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413. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Une anecdote, un trait qui caractérise les mœurs est préférable au récit d’expéditions militaires, dont il ne résulte aucun changement politique. […] Cet auteur qui avoit le génie de la Cour, s’est plus à peindre les hommes avec ces traits qui attachent l’esprit & remuent le cœur. […] Il peint à grands traits tous les personnages qu’il présente. […] Vous trouverez des traits plus animés dans l’histoire des Révolutions de Portugal, par M. l’Abbé de Vertot, in-12. […] Ce n’est pas une histoire de Christine, mais c’est un recueil d’anecdotes piquantes & de réfléxions philosophiques sur les principaux traits de sa vie.

414. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Cet ensemble de scènes, les plus importantes que nous avons citées, les moins notables qui forment la contexture même de l’œuvre, sont faites, non d’indications descriptives, de traits anecdotiques, de considérations exposées par l’auteur, en son nom personnel, mais des actes mêmes, des paroles et des manifestations de la foule des personnages dont on admire et la variété, et la vérité, et l’étonnante vie fictive. […] Aucun auteur ne renseigne plus pleinement et plus abondamment, par des traits véritables sur ses créatures, ne se propose plus ouvertement pour but de les révéler par des récits et des scènes inventés à une plus parfaite imitation de ce que présente la vie, même à un observateur attentif. […] Ces hommes, que l’on pourrait être tenté de considérer comme des types, l’auteur les réalise jusqu’au bout par mille traits adventices, les implique dans des épisodes, de menues aventures, les complique et les diversifie de toute manière, les met sans cesse en opposition avec eux-mêmes, use en un mot non pas de la méthode romanesque habituelle qui consisterait à les rendre le plus plausibles et le plus nus possible, mais d’une sorte de méthode historique fictive dans laquelle le personnage est d’abord posé comme existant, puis est narrée une histoire sans omission d’écarts ou de contradictions. […] Le dessin fléchit puis s’accentue en gros traits, distribuant autrement que le sujet ne le commande le fort et le faible, soulignant, résumant en de brèves formules, lâchant de nouveau et tombant dans l’ordinaire, comme les croquis d’un artiste négligent, tantôt sensible, tantôt fermé au charme de ce qu’il dépeint, avec les détaillements ennuyés et les soudaines énergies d’un homme que tout intéresse et qui de tout est distrait par autre chose. […] III À ce point de notre étude, les grands traits du génie de Tolstoï nous sont connus.

415. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Il s’agit, pour le romancier, de dégager les traits les plus caractéristiques ! […] Tous avaient ce trait commun de s’être donné une large et forte culture. […] Autre trait du petit monde parisien : la peur d’être dupe. […] Un second trait de M.  […] C’était le second trait qui se distinguait également dans Vicaire jeune, et ses vers nous l’apprennent aussi.

416. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

C’est peut-être le trait le plus inquiétant de cette inquiétante figure. […] Les traits physiques ou les traits moraux y prédominent, s’y effacent, et ces traits physiques ou ces traits moraux éveillent en nous certaines répugnances ou certaines complaisances, quoi que nous en ayons. […] C’est le trait de mœurs singulier et pittoresque. […] Elle consiste à marquer en quelques traits profonds la marche d’une maladie d’âme. […] Je copie deux de ces morceaux, en soulignant le trait final.

417. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

« Ce sont, lui dis-je, de méchants traits de la nature des choses ; il y en a de pires. […]Trait admirable et vrai de tous les complots ! […] Sous peine donc de faire dire que, pour être si court sur un tel sujet, autant valait n’en point parler, je me bornerai à rappeler deux ou trois traits de la vie publique de M.  […] Le même Mignet, dans le cours du même entretien, avait bien voulu me reconnaître, entre autres traits, le goût. […] C’était sans doute le trait gai.

418. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

C’est encore un des traits de sa nature. […] Laurent Tailhade leur lance des traits barbelés ; l’ironie de Coppée est bienveillante, celle de M.  […] C’est alors qu’apparaît l’éternelle tentatrice sous les traits d’une vierge, Sara, qui lui inspire un ardent amour. […] Sophocle dessinait d’une main ferme le portrait d’Œdipe ; Racine marquait Phèdre de traits rigoureusement précis. […] On ajoute à l’histoire un trait charmant.

419. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Dans les lectures d’histoire qu’on lui fait faire, il lui semble qu’il n’y a pas de roi préférable à Louis XII ; l’écho des victoires l’atteint peu ; et cependant elle a aussi la marque de son temps, et lorsqu’il vient là pendant quelques jours un beau monsieur de Paris, très riche, très gai, très galant pour elle, et qui cause politique avec Mme de Coigny, qui apporte les dernières nouvelles et les commente avec cet esprit de dénigrement propre aux salons, elle n’est pas séduite, elle aperçoit d’abord ce qui manque à l’élégant monsieur, en fait de chevaleresque, et celle dont le cœur est destiné à des cœurs braves, finit par ce trait en le dépeignant : « Et puis il n’a été à aucune bataille, et c’est vraiment ridicule30. » Mme de Coigny aime les longues lectures régulières et qui se continuent, qui occupent et reposent : on lit donc Rulhière, Histoire de l’anarchie de Pologne, toutes les Révolutions de Vertot, La Guerre de Trente Ans de Schiller, Le Siècle de Louis XIV ; toutes ces lectures ne sont pas également intéressantes. […] Elle nous a exprimé en quelques traits heureux la physionomie même du savant et de l’homme : M. de Tracy était humilié de croire, il voulait savoir33. […] C’est à la comtesse Aimée de Coigny seule, à sa gracieuse figure, à son caractère facile et insouciant, que peuvent s’appliquer les traits particuliers sous lesquels André Chénier nous a peint si délicatement sa riante compagne d’infortune. […] Française de cœur, elle avait dans l’esprit et dans le caractère de ces traits passionnément ou agréablement bizarres qui distinguent les filles d’Albion.

420. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Après la mort de Gœthe, resté uniquement fidèle à sa mémoire, tout occupé de le représenter et de le transmettre à la postérité sous ses traits véritables et tel qu’il le portait dans son cœur, il continua de jouir à Weimar de l’affection de tous et de l’estime de la Cour ; revêtu avec les années du lustre croissant que jetait sur lui son amitié avec Gœthe, il finit même par avoir le titre envié de conseiller aulique, et mourut entouré de considération le 3 décembre 1854. […] Il craignait toujours, plus tard, en se ressouvenant, de ne pas ressaisir au degré voulu la vivacité et l’éclat de ses impressions premières ; il attendait pour écrire que le parfait réveil se fît en lui, que les heures passées se peignissent dans sa mémoire toutes brillantes et lumineuses, que son âme eût retrouvé le calme, la sérénité et l’énergie où elle devait atteindre pour être digne de voir reparaître en soi les idées et les sentiments de Gœthe ; « car j’avais affaire, disait-il, à un héros que je ne devais pas abaisser. » Ainsi pénétré du noble sentiment de sa mission, il la remplit avec une piété que nous ne trouverons jamais trop minutieuse ; et les grands traits, d’ailleurs, il ne les a pas omis, et il nous permet, ce qui vaut mieux, de les déduire nous-mêmes peu à peu de la réalité simple : « Gœthe vivait encore devant moi, s’écrie-t-il en une de ses heures de parfait contentement et de clarté ; j’entendais de nouveau le timbre aimé de sa voix, à laquelle nulle autre ne peut être comparée. Je le voyais de nouveau, le soir, avec son étoile sur son habit noir, dans son salon brillamment éclairé, plaisanter au milieu de son cercle, rire et causer gaiement. — Je le voyais un autre jour par un beau temps, à côté de moi, dans sa voiture, en par-dessus brun, en casquette bleue, son manteau gris clair étendu sur les genoux : son teint brun est frais comme le temps, ses paroles jaillissent spirituelles et se perdent dans l’air, mêlées au roulement de la voiture qu’elles dominent. — Ou bien, je me voyais encore le soir, dans son cabinet d’étude éclairé par la tranquille lumière de la bougie : il était assis à la table en face de moi, en robe de chambre de flanelle blanche ; la douce émotion que l’on ressent au soir d’une journée bien employée respirait sur ses traits ; notre conversation roulait sur de grands et nobles sujets ; je voyais alors se montrer tout ce que sa nature renfermait de plus élevé, et mon âme s’enflammait à la sienne. […] Il lui donne quelques conseils sur les projets de voyage qu’Eckermann formait à ce moment, et lui recommande ce qui lui reste à voir de curiosités à Weimar : « Je ne pouvais me rassasier de regarder les traits puissants de ce visage bruni, riche en replis dont chacun avait son expression, et dans tous se lisait la loyauté, la solidité, avec tant de calme et de grandeur !

421. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Vous vous dites sans cesse inspirés par les cieux, Et vous ne frappez plus notre oreille, nos yeux, Que par le seul tableau des choses de la terre ; Quelques traits copiés de l’ordre élémentaire.  […] Lamartine, vers le même temps, aima et lut sans doute beaucoup le Génie du Christianisme, René : si sa simplicité, ses instincts de goût sans labeur ne s’accommodaient qu’imparfaitement de quelques traits de ces ouvrages, son éducation religieuse, non moins que son anxiété intérieure, le disposait à en saisir les beautés sans nombre. […] Il existait avant sa passion, il s’est retrouvé après, avec ses grandes facultés inoccupées, irrassasiables, qui s’élançaient vers la suprême poésie, c’est-à-dire vers l’Amour non déterminé, vers la Beauté qui n’a ni séjour, ni symbole, ni nom : Mon âme a l’œil de l’aigle, et mes fortes pensées, Au but de leurs désirs volant comme des traits, Chaque fois que mon sein respire, plus pressées  Que les colombes des forêts, Montent, montent toujours, par d’autres remplacées, Et ne redescendent jamais ! […] C’est à un souvenir de ce moment que se rapporte la pièce de vers suivante, dans laquelle on a tâché de rassembler quelques impressions déjà anciennes, et de reproduire, quoique bien faiblement, quelques mots échappés au poëte, en les entourant de traits qui peuvent le peindre. — À lui, au sein des mers brillantes où ils ne lui parviendront pas, nous les lui envoyons, ces vers, comme un vœu d’ami durant le voyage !

422. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Ce serait notre plus grand honneur que de pouvoir quelquefois réussir à ce jeu, qui d’ailleurs, dans le cas présent, ne peut nous mener qu’à trahir des délicatesses d’esprit et des traits ingénieux de caractère. […] C’est là son trait original. […] Les portraits de Timon ont du relief et du trait, nous en convenons ; ils sautent aux yeux à travers la vitre. […] C’est encore là un trait qui rentre dans ce que nous avons dit du caractère de M.

423. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Ce que ne gardèrent pas moins, en général, les personnages de cette époque et de ce rang qui survécurent et dont la vieillesse honorée s’est prolongée jusqu’à nous, c’est une fidélité remarquable, sinon à tous les principes, du moins à l’esprit des doctrines et des mœurs dont s’était imbue leur jeunesse ; c’est le don de sociabilité, la pratique affable, tolérante, presque affectueuse, vraiment libérale, sans ombre de misanthropie et d’amertume, une sorte de confiance souriante et deux fois aimable après tant de déceptions, et ce trait qui, dans l’homme excellent dont nous parlons, formait plus qu’une qualité vague et était devenu le fond même du caractère et une vertu, la bienveillance. […] Son frère le vicomte, avec moins de fond, avait plus de trait et de pointe : M. de Ségur est plutôt un esprit uni, orné, nuancé ; il ne sort pas des tons adoucis. […] Mais j’aime mieux finir sur un trait plus humble, plus assorti à la morale familière dont M. de Ségur n’était un si fidèle et si persuasif organe que parce qu’il la pratiqua. […] Je ne sais si je m’abuse, mais un tel trait bien simple, si on l’omettait quand on en a connaissance, ferait faute au portrait du moraliste, et l’on n’aurait pas tout entier devant les yeux l’auteur de l’Essai sur la Bienveillance.

424. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Mais le trait le plus original de sa nature, c’est la place qu’elle donne au sentiment. […] L’apparente incohérence de l’œuvre de Marguerite se réduit facilement à quelques traits principaux : 1° Elle a ouvert la source du lyrisme, qui est dans l’émotion personnelle ; quelques élans de foi ou d’amour fraternel nous le montrent168. […] Tout le monde connaît cette grâce malicieuse, cette très peu candide et très naturelle simplicité, ces jets imprévus d’imagination ou d’ironie, cet art de dire les choses en se jouant, sans appuyer, et d’enfoncer profondément le trait dont l’atteinte est si légère. […] Cf. des traits de ce genre : « Un tout seul pour qui seul j’étais une me fut ôté », etc.

425. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Tous ses personnages sont si patiemment étudiés, qu’en faisant saillir tous les détails de leur individualité, il dégage les traits profonds qui en font des types puissants et compréhensifs. […] Il suppléait à toutes les lacunes de l’érudition : il allait chercher à travers les siècles et les races de quoi compléter ses textes, cueillant ici un trait du Sémite biblique, et là faisant concourir sainte Thérèse à la détermination du type extatique de Salammbô. « Je me moque de l’archéologie, écrivait-il ; si la couleur n’est pas une, si les détails détonnent, si les mœurs ne dérivent pas de la religion et les faits des passions, si les caractères ne sont pas suivis, si les costumes ne sont pas appropriés aux usages, et les architectures au climat, s’il n’y a pas, en un mot, harmonie, je suis dans le faux. […] A mesure qu’il vieillissait, il a marqué de traits plus forts, presque brutalement, la décomposition, la démoralisation de certain grand monde, exquis gentilshommes aux âmes vides ou dures, délicieuses jeunes filles aux propos cyniques. […] Les études sérieuses sont éparses surtout dans Monsieur de Camors (1867), Histoire d’une Parisienne (1881), la Morte (1886), les Amours de Philippe (1887), et quelques traits dans Honneur d’artiste (1890). — Edition : Romans, Calmann Lévy, 14 vol. in-18 ; Théâtre, 5 vol. in— 18.

426. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Je sens son œuvre toute pleine de tout ce qui l’a précédée ; j’y découvre, avec les traits qui constituent son caractère et son tempérament particulier, le dernier état d’esprit, le plus récent état de conscience où l’humanité soit parvenue. […] Mais bien qu’il sache décrire d’un trait saillant ces figures, toujours il les observe du point de vue d’un philosophe qui a acquis la faculté de s’étonner que le monde soit ce qu’il est. […] Le dessin même des personnages a toujours quelque chose d’ironique ; il accentue, avec une exagération placide, les traits caractéristiques. […] Faut-il rappeler quelques traits de ces histoires enfantines ?

427. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Voici le pape qui nous apparaît sous les traits de Renart, le maître fourbe, croquant de pauvres poules qui n’en peuvent mais. […] C’est même un des traits les plus caractéristiques de l’époque, que cet équilibre qui se maintenait entre la scène et l’autel. […] Tels sont quelques-uns des traits que le protestantisme a donnés à la littérature éclose à son ombre, et si quelques-uns de ces signes particuliers tendent aujourd’hui à s’effacer, ils sont encore assez visibles pour qu’une observation attentive permette de constater à quel point un ensemble de croyances religieuses modèle les œuvres littéraires. […] Chez toutes les sectes, quoiqu’elles aient gardé certains traits constants, il s’est produit des variations analogues dans la façon de concevoir les rapports de l’homme avec le divin et par suite avec la vie et l’art.

428. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

Les écrivains qui admirent si vivement les anciens dédaignent les modernes, crient arrière à l’Espagne et à l’Italie, ignorent l’Angleterre et l’Allemagne, effacent d’un trait de plume le moyen âge et même le xvie  siècle. […] L’époque se rattache ainsi à la grande période classique qui commence à la Renaissance et va jusqu’au romantisme, période où l’imitation des Grecs et des Romains est un des traits essentiels de la littérature française, comme l’étude du grec et du latin est le fond de l’enseignement donné aux enfants de la noblesse et de la bourgeoisie riche. […] La Fontaine, à peu près seul, dans quelques-unes de ses fables188, croque d’un crayon rapide leur grosse gaîté, leur humeur narquoise, leur appétit d’argent et de ripaille ou burine en traits énergiques une sombre eau-forte où revit leur misère. […] Mais, telle qu’elle est, elle nous fournit déjà un ensemble de traits qui distinguent nettement l’époque littéraire dont il s’agit de celles qui l’avoisinent.

429. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Un trait austère lui est resté de cette école presque monastique, de cette philosophie qui était une théologie. […] On a dit aussi que le peuple, soulevé par un trait de la tragédie de Sisyphe, qui lui parut lancé contre un dieu, envahit la scène, et aurait mis Eschyle en pièces comme Orphée, s’il n’avait embrassé l’autel de Bacchus. […] » Avant lui, les masques étaient inanimés ou informes ; il les fit modeler et peindre, d’après les types consacrés, plus grands et plus accentués que nature, avec ces bouches béantes, ces yeux caverneux, ces traits saillants, ces chevelures étagées et calamistrées qui frappaient chaque personnage à l’effigie d’une tête surhumaine. […] D’autres survivent par des traits sublimes ; on dirait des javelots brisés qui sifflent encore.

430. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Nous touchons là à l’un des traits principaux qui caractérisent l’esprit de M. de Broglie, et en général l’esprit doctrinaire, en prenant ce mot dans son vrai sens primitif. […] C’est encore là un des traits caractéristiques de M. de Broglie. […] Et lorsque, des hauteurs où cette pensée nous transporte, on abaisse ses regards sur l’état actuel de l’Europe, lorsque l’on songe que ce sont ces mêmes cabinets que nous avons vus pendant trente ans si complaisants envers tous les gouvernements nés de notre Révolution, qui ont successivement traité avec la Convention, recherché l’amitié du Directoire, brigué l’alliance du dévastateur du monde ; lorsque l’on songe que ce sont ces mêmes ministres que nous avons vus si empressés aux conférences d’Erfurt qui viennent maintenant, gravement, de leur souveraine science et pleine autorité, flétrir de noms injurieux la cause pour laquelle Hampden est mort au champ d’honneur et lord Russell sur l’échafaud, en vérité le sang monte au visage ; on est tenté de se demander : Qui sont-ils enfin, ceux qui prétendent détruire ainsi, d’un trait de plume, nos vieilles admirations, les enseignements donnés à notre jeunesse, et jusqu’aux notions du beau et du juste ? […] Et en littérature, par exemple, en ce qui avait trait à la lutte des deux écoles au théâtre : Eh bien !

431. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

Mais c’est là un trait des Français, qu’ils prennent au pied de la lettre tout ce qui est compliment. […] Ajoutez force jactance, injures, des digressions sans motif, des omissions sans excuse, jamais un trait de talent, sinon dans quelques comparaisons ingénieuses.

432. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre premier. »

Voilà deux traits de naturel qu’on ne trouve guère que dans La Fontaine, et qui charment par leur simplicité. […] Elle me rappelle le trait d’un riche particulier qui avait fait dîner ensemble un antiquaire, qui hors de là ne savait rien, et un physicien célèbre dénué de toute espèce d’érudition.

433. (1879) Balzac, sa méthode de travail

De chaque signe, de chaque mot imprimé part un trait de plume qui rayonne et serpente comme une fusée à la congrève, et s’épanouit à l’extrémité en pluie lumineuse de phrases, d’épithètes et de substantifs soulignés, croisés, mêlés, raturés, superposés ; c’est d’un aspect éblouissant. […] Balzac plaidant pour son propre compte dans le mémoire ayant trait au Lys dans la vallée, Balzac prétendant soustraire la tête de Peytel au bourreau, est un avocat de talent sans doute ; mais il fatigue et n’atteint pas le but qu’il se propose.

434. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 21, du choix des sujets des comedies, où il en faut mettre la scene, des comedies romaines » pp. 157-170

Nous ne serions pas aussi frappez de tous les traits qui peignent l’avare, que nous le sommes, si Harpagon exerçoit sa lezine sur la dépense d’une maison reglée suivant l’oeconomie des maisons d’Italie. […] Tout le monde sçait, par exemple, le trait dont il se servit pour excroquer une ville qui vouloit dépenser une grande somme à lui ériger une statuë.

435. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 40, si le pouvoir de la peinture sur les hommes est plus grand que le pouvoir de la poësie » pp. 393-405

Quand nous lisons dans Horace la description de l’amour qui aiguise ses traits enflammez sur une pierre arrosée de sang ; les mots dont le poëte se sert pour faire sa peinture réveillent en nous les idées, et ces idées forment ensuite dans notre imagination le tableau où nous voïons l’amour dépêcher ce travail. […] Un autre amour qui s’est piqué le bras, darde son sang sur cette pierre, où Cupidon affile des traits dont le fer étincelle.

436. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Il n’y a qu’à recueillir ces traits épars ; on verra reparaître tout un monde, esquissé à la volée, mais sans que rien y manque. […] » Aussi c’est le renard qui rassemble en soi tous les traits du courtisan, comme le lion tous ceux du monarque. […] La Fontaine, a pris plaisir à résumer tous les traits de ce caractère et à mettre en scène le gentilhomme sous son vrai nom. […] Je n’ai eu besoin que de réunir des traits épars pour reformer une société tout entière. […] Par ce trait de magnificence Le prince à ses sujets étalait sa puissance.

437. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

MADAME DE KRÜDNER197 Dans les personnes contemporaines dont les productions nous ont amené à étudier la physionomie et le caractère, nous aimons quelquefois à chercher quels traits des âges précédents dominent, et à quel moment social il serait naturel de les rapporter comme à leur vrai jour. […] Delphine est certainement un livre plein de puissance, de passion, de détails éloquents ; mais l’ensemble laisse beaucoup à désirer, et, chemin faisant, l’impression du lecteur est souvent déconcertée et confuse : les livres, au contraire, qui sont exécutés fidèlement selon leur propre pensée, et dont la lecture compose dans l’esprit comme un tableau continu qui s’achève jusqu’au dernier trait, sans que le crayon se brise ou que les couleurs se brouillent, ces livres, quelle que soit leur dimension, ont une valeur d’art supérieur, car ils sont en eux-mêmes complets. […] Marmier, qui a écrit sur Mme de Krüdner un morceau senti204, a très-bien remarqué dans Valérie nombre de pensées déjà profondes et religieuses, qui font entrevoir la femme d’avenir sous le voile des premières élégances ; j’en veux citer aussi quelques traits qui sont des présages : « Son corps délicat est une fleur que le plus léger souffle fait incliner, et son âme forte et courageuse braverait la mort pour la vertu et pour l’amour. » « …. […] Mais ces défauts de goût y sont rares, aussi bien que quelques locutions vicieuses (en imposer pour imposer), qu’un trait de plume corrigerait. […] Ce trait est bien de celle qui, femme du monde, s’était figuré volontiers que Gustave ou quelque autre était mort d’amour pour elle211.

438. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

L’homme m’explique l’événement, le visage m’explique l’homme, les traits me révèlent le caractère, la vie privée me dévoile les motifs souvent cachés de la vie publique. […] Voyez ce dernier trait : « Dans la situation de Louis XVI, et quand on se demande quel est le conseil qui aurait pu le sauver, on cherche et on ne trouve pas. […] Ses cheveux blond-cendré étaient longs et soyeux ; son front haut et un peu bombé venait se joindre aux tempes par ces courbes qui donnent tant de délicatesse et tant de sensibilité à ce siège de la pensée ou de l’âme chez les femmes ; les yeux de ce bleu clair qui rappelle le ciel du Nord ou l’eau du Danube ; le nez aquilin, les narines bien ouvertes et légèrement renflées, où les émotions palpitaient, signe du courage ; une bouche grande, des dents éclatantes, des lèvres autrichiennes, c’est-à-dire saillantes et découpées ; le tour du visage ovale, la physionomie mobile, expressive, passionnée ; sur l’ensemble de ces traits, cet éclat qui ne se peut décrire, qui jaillit du regard, de l’ombre, des reflets du visage, qui l’enveloppe d’un rayonnement semblable à la vapeur chaude et colorée où nagent les objets frappés du soleil : dernière expression de la beauté qui lui donne l’idéal, qui la rend vivante et qui la change en attrait. […] On la peignait dans d’odieux pamphlets sous les traits d’une Messaline ; les bruits les plus infâmes circulaient ; les anecdotes les plus controuvées furent répandues. […] Ses traits majestueux et calmes annonçaient le sentiment de sa puissance.

439. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

De ce qu’il y a quelques traits de vérité dans le fragment d’Harold, on veut conclure que ce ne sont point des sentiments feints, et qu’ils expriment la pensée de l’auteur plus que la passion du héros. Oui, sans doute, il y a quelques traits de vérité : et quel peuple n’a pas ses vices ? […] L’Italie seule voudrait-elle n’être peinte que des traits de l’adulation ? Il y a quelques traits de vérité ; mais l’ensemble du tableau est faux, outré, comme tout tableau qui n’est vu que sous un seul jour, comme toute peinture où l’imagination n’emploie que les couleurs de la prévention et de la haine. […] La nature en cela n’avait rien laissé à désirer dans les yeux, dans la chevelure, dans les traits, dans les bras, dans tout le galbe enfin de madame de Bombelles.

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