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1212. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Si l’on se reporte au temps où il arbora ce principe, si l’on se souvient des inconséquences étroites et puériles des libéraux les plus francs, de leur intolérance hostile contre tout ce qui était catholique en religion, Allemand ou Anglais en poésie, on comprendra que la marche suivie par le Globe fût à la fois une nouveauté très-originale et un progrès très-réel. […] Il désira à cet effet une entrevue avec les deux fondateurs du journal : mais le temps n’était pas mûr ; on ne s’entendit pas ; l’homme de génie avait vu plus loin et plus vite que les deux rédacteurs dans les conséquences de leur marche et dans la portée de leurs idées. […] Nous crûmes qu’avec les éléments actuels de la société, avec un peuple et une bourgeoisie qui avaient fraternisé, avec une monarchie républicaine et une représentation nationale purgée d’aristocratie, il y aurait lieu de fonder un ordre de choses, transitoire sans doute, et qui n’était pas encore l’âge d’or de l’humanité, mais du moins un ordre stable et progressif, à l’exemple duquel l’Europe pût se modeler dans son affranchissement, et qui donnât le temps aux idées futures de mûrir. […] Nous désirions qu’il prît la tête du progrès ; qu’il ne laissât pas la société, un instant unie dans une sympathie héroïque, se débander de nouveau et se dissoudre ; qu’il gardât, quelque temps du moins, leur prestige à ces idées de liberté qui n’avaient pas encore failli. […] L’émancipation complète de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, le classement selon la capacité et les œuvres, avaient de tout temps été pour nous des croyances d’instinct, des idées confuses et naturelles, pour nous qui sommes du peuple et qui ne prétendons valoir qu’autant que nous sommes capables et que nous faisons.

1213. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

Michel-Ange avoit apparemment travaillé durant long temps avant que de parvenir à peindre la majesté du pere éternel avec ce caractere de fierté divine qu’il a sçû lui donner. […] Dans le temps dont je parle, Raphaël peignoit la voûte de la gallerie qui distribuë aux appartemens du second étage du vatican. […] Ainsi chaque voussure à quatre faces, et Raphaël peignoit au temps dont je parle, une histoire de l’ancien testament, sur chacune des faces de la premiere voussure. […] Il suffit que le lecteur sçache que cette peinture est du bon temps de Raphaël, pour être persuadé que la poësie en est merveilleuse. […] Le génie se fait sentir bien-tôt dans les ouvrages des jeunes gens qui en sont doüez, ils donnent à connoître qu’ils ont du génie, dans un temps où ils ne sçavent point encore la pratique de leur art.

1214. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Le Conte de l’Isle. Poëmes antiques. »

C’est même une chose naturelle, ordinaire et universelle aux temps de syncrétisme comme le nôtre, que cette facilité des esprits à revêtir tous les costumes, déjà connus, de la pensée, et à se les ajuster assez bien, ma foi ! […] Le costume antique pris à André Chénier, qui du moins y avait moulé une beauté d’Antinoüs ou d’Alcibiade, a été, dans ces derniers temps, un peu défloré, sur le tremplin, par M.  […] Dans un temps où la langue serait forte, la Critique punirait peut-être le poète de cette impiété et de cette profanation, mais nous ne sommes plus au temps du grand Corneille où l’on disait Brute et Cassie, et où ce qui doit changer le moins, même les noms propres, devenaient français sous les plumes fières… À présent nous n’avons plus, il est vrai, cette insolence d’orgueil, et ce n’est pas seulement à l’expression étrangère que nous allons tendre des mains mendiantes, c’est à l’inspiration elle-même ! […] Maladie du temps, mais qui est devenue sa nature, à lui, a ce poète qui a du mouvement, du coup d’aile cinglant fièrement et largement parfois, et qui aurait pu être lyrique, s’il avait été quelque chose !

1215. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

Comme l’évêque de Ptolémaïs, sous l’impression du spectacle de la nature mis en rapport avec le cœur de l’homme, il marquait par des hymnes les principales heures et les divisions du temps. […] « Viennent seulement les temps où Dieu doit accomplir toute espérance ! […] Quelques années après la naissance du poëte de Tarragone, un autre chantre de la foi chrétienne s’élevait dans ces provinces méridionales de la Gaule, la conquête et la continuation de l’Italie ; c’était Paulin, l’élève, l’ami, le contradicteur d’Ausone, et associé comme lui quelque temps aux dignités de l’empire. […] « En avant de toutes les voix sonnera, comme un clairon, la voix de Nicétas célébrant le Christ ; et, sur la mer, répondra David et sa harpe221. » C’étaient les Argonautes et l’Orphée de ces temps nouveaux. […] Mais les flots de la barbarie, mal contenus par le despotisme usé du vieux monde, allaient pour un temps tout submerger et tout détruire, sauf les croix immortelles des églises, qui apparaîtraient encore çà et là sur l’abîme.

1216. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Ses rimes me paraissent merveilleusement belles la plupart du temps. […] Vous mettez votre manteau ou votre chapeau de paille, selon le temps qu’il fait. […] Incompris, les prophètes sont des insensés, et c’est ainsi que, de leur temps, le vulgaire les juge. […] Julie lui objecta la beauté du temps. […] il est temps.

1217. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

N’est-il donc pas bien temps, pour nous, d’en finir aussi avec elle ? […] Tel, en résumé, le Faust de Gœthe, la pièce qui fut l’événement fulgurant, le canon Krupp littéraire du temps où elle parut. […] Les travaux philologiques de ces derniers temps ont fait croire aux savants qu’il y avait des rapports de race et de langue entre les Allemands et les Indous. […] On perdrait son temps et son honneur à vouloir les analyser. […] Je ne sais, mais tout le temps qu’il a vécu jamais chapelle ne fut plus hantée par les pèlerins que sa maisonnette de Weimar… L’Europe y déferlait en flots incessants.

1218. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

Mais il est temps d’aborder les caractères de la fonction qui nous occupe. […] L’animal fut tué au bout de ce temps. […] Il faut donc qu’il s’écoule un certain temps entre le commencement de l’application du froid et la mort de l’animal, temps qui devra être d’autant plus long, que la quantité de sucre existant dans le foie sera plus considérable. Ce temps devra être conséquemment plus long chez un animal en digestion que chez un animal à jeun. […] Le pouvoir endosmotique d’un liquide augmente avec son degré de concentration, de sorte qu’il en passe davantage dans le même temps.

1219. (1864) Le roman contemporain

Ils ont été trop de leur temps pour être des temps qui suivent. […] On avait du temps devant soi ; on allait chercher à l’employer. […] Autre signe du temps. […] si les hommes de notre temps ressemblaient à Maxime ! […] il y a une patrie dans le temps comme dans l’espace.

1220. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

De notre temps, Musset détonnait un peu dans ce milieu. […] Je pactise avec leurs audaces classiques en ces temps de témérités d’autres parts. […] La sœur a disparu de ma mémoire, mais le frère, ordonné prêtre depuis, fut mon élève pendant quelque temps. […] À Dieppe, buffet bourré de voyageurs empêchés par le mauvais temps, d’embarquer sur les précédents courriers. […] En eussé-je eu le temps, j’aurais tenté d’apercevoir un grand tableau que l’on remarqua justement au Salon de 1872.

1221. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Comme tous les grands hommes, il avait donné sa vie à ses œuvres, il ne lui en restait plus pour le temps ; il travaillait déjà pour l’éternité. […] Quels temps pour le génie ! et que de génie, de grandeur, de sagesse, de lumière, de vertu même (car non loin de là mourut Socrate) pour ce temps ! Ce moment-ci y ressemble en Europe, et surtout en France, cette Athènes vulgaire des temps modernes. […] Le temps seul peut rendre les peuples capables de se gouverner eux-mêmes.

1222. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Ces différences physiques correspondent à des différences morales plus profondes encore et se joignent à de grandes variations dans le temps. […] C’est commettre une grande erreur historique et politique que de croire à l’existence de traits intellectuels stables et universels, dans les peuples, qui, de tout temps ont été composites et changeants. […] Tous les historiens modernes ont remarqué celle progression de la liberté individuelle de penser, des temps anciens aux nôtres, et M.  […] Il fallut deux siècles à Pascal et à Saint-Simon pour atteindre la renommée, et ils n’ont été compris qu’en ce temps dont ils avaient d’avance, l’un l’angoisse, l’autre l’irrespect et la vision fouillante. […] Il expose au § 16, les faits de permanence des caractères de race en dépit du temps et du changement d’habitat.

1223. (1883) Le roman naturaliste

Mais enfin, les dimensions, non plus que le temps, ne font rien à l’affaire. […] Signe des temps, bien caractéristique ! […] On a critiqué dans le temps l’empoisonnement de l’héroïne. […] Entre temps elle se prépare à débuter dans Phèdre. […] Dirai-je qu’il était temps ?

1224. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Les Vénitiens, jaloux des Pisans, voulaient reconquérir à Constantinople une influence qui depuis quelque temps n’était plus sans partage : Henri Dandolo fut toujours considéré par les Grecs comme le plus habile instigateur de cette conquête et l’auteur de tous leurs maux. […] Les premiers vaisseaux arrivés attendent les autres au port d’Abydos, et de là tous remontent, par le canal dit alors de Saint-Georges, jusque dans cet admirable bassin et en cette mer intérieure qu’on appelait aussi quelquefois du même nom : En ces huit jours d’attente arrivèrent tous les vaisseaux et les barons, et Dieu leur donna bon temps : alors ils quittèrent le port d’Abydos. […] Quand on lit Nicétas sur les chefs-d’œuvre dont il déplore la perte et que rien n’a pu réparer, je le répète, on est navré avec lui, on est de sa patrie un moment, de cette patrie qui a été, dans un temps, celle du genre humain. « N’importe, peuple usé ! […] Il a des larmes de pitié sous sa visière, mais il n’en abuse pas ; il sait s’agenouiller à deux genoux, et se relever aussitôt sans faiblesse ; il a l’équité et le bon sens qu’on peut demander aux situations où il se trouve ; jusqu’à la fin sur la brèche, il porte intrépidement l’épée, il tient simplement la plume : c’est assez pour offrir à jamais, dans la série des historiens hommes d’action où il s’est placé, un des types les plus honorables et les plus complets de son temps. […] [NdA] Dans des leçons que j’ai eu depuis lors à faire à l’École normale au sujet de ce même Villehardouin, je développais un peu plus ce point de vue, et j’ajoutais : Il est un mot sur lequel il faut insister encore, et pour le réfuter, et pour nous faire mieux pénétrer dans l’esprit de ces temps, de ce Moyen Âge occidental et français véritablement moderne : c’est que les chefs et capitaines des croisés, auraient été de purs barbares.

1225. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal de Dangeau. tomes III, IV et V » pp. 316-332

Cet effet, chez Dangeau, est toujours masqué par du cérémonial, et il faut quelque temps pour s’en débarrasser. […] La Dauphine, près de qui Dangeau est chevalier d’honneur, meurt vers ce temps-là ; on a le cérémonial de ses funérailles dans la dernière précision. […] Le roi, son siège fait et son coup de foudre lancé, revient à temps, cette année 1691, pour entendre la messe le dimanche de Pâques 15 avril à Compïègne, et pour faire ses Pâques le dimanche d’après à Versailles. […] Nous sommes encore ici dans les temps qui précèdent la date à laquelle s’ouvrent les Mémoires de Saint-Simon. […] Il est temps, c’est l’impression qu’on a, que la paix se fasse, et que le traité de Riswick arrive pour procurer à la France un intervalle de repos qui, malheureusement, ne sera pas assez long.

1226. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

On lit cela, on s’y intéresse bien un certain temps, mais seulement pour en avoir fini et pour le laisser de côté. […] À la place des belles figures de la mythologie grecque, on voit des diables, des sorcières, des vampires, et les nobles héros du temps passé doivent céder la place à des escrocs et à des galériens. […] Cette manière de n’avoir égard à rien l’a poussé hors d’Angleterre et l’aurait, avec le temps, poussé aussi hors de l’Europe. […] Il y a eu, il est vrai, un temps en Allemagne où l’on se représentait un génie comme petit ; faible, voire même bossu ; pour moi, j’aime un génie bien constitué aussi de corps. — Quand on a dit de Napoléon que c’était un homme de granit, le mot était juste, surtout de son corps. […] Il les associait encore dans une lettre écrite à Zelter vers le même temps : « Si tu ne les connais pas déjà, je te conseille de lire le théâtre de Clara Gazul et les Poésies de Béranger.

1227. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Un des épisodes de cette vie de Berny, et qui nous en apprend long sur les mœurs du temps et du lieu, est celui du petit comte de Billy. […] Le spectacle d’une folle jeunesse qui se noie dans les plaisirs et dans l’orgie au sortir de l’enfance est de tous les temps : il est vrai qu’ici ces circonstances caractéristiques d’être colonel presque à la jaquette et de faire sa première communion de raccroc à la dernière heure, grâce à un prince-abbé aussi édifiant, impriment à l’historiette une variété piquante et y mettent en plein la signature du xviiie  siècle. […] Il ne participe en rien aux lumières, aux idées générales du temps : il n’en est que par une certaine bonhomie et simplicité de ton et par une certaine douceur de mœurs. […] On n’avait que le temps d’évacuer sur toute la ligne et de se replier en abandonnant les malades, les farines. […] Il subit la loi du temps : il devint dévot avec les années.

1228. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Voici l’exacte vérité : j’ai gagné, dans l’espace de deux mois, non dans des maisons de jeu, mais dans la société et au Club des Échecs, regardé presque en tout temps, par la nature même de ses institutions, comme une maison particulière, environ 30,000 francs. […] Talleyrand dans le temps même s’égayait fort de cette anecdote et en régalait ses amis. […] Membre des deux clubs fameux de l’époque (les Jacobins et les Feuillants), il les fréquentait de temps à autre, non pour se mêler à leurs débats, mais pour faire la connaissance de ceux qui y prenaient part, et pouvoir les influencer. […] Quel put être le motif de cette rigueur, et pourquoi fut-il un des rares Français auxquels on crut devoir appliquer en ce temps-là l’Alien-bill ? […] J’y existe, comme je l’ai toujours été, étranger à toutes les discussions et à tous les intérêts de parti, et n’ayant pas plus à redouter devant les hommes justes la publicité d’une seule de mes opinions politiques que la connaissance d’une seule de mes actions… » Sa réclamation étant restée vaine, il s’embarqua en ce temps pour les États-Unis.

1229. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Note »

Le temps et l’extrême impartialité de la rédaction auraient été les seuls moyens de lui donner du succès.  […] Cromwell, né sur le trône en temps de paix, n’eût été qu’un prince assez peu remarquable, et Marc-Aurèle, né dans l’obscurité, y fût resté. […] Si à peine je puis voir dans un autre temps les motifs qui m’ont décidé alors, comment savons-nous les vrais motifs des actions des autres ? […] — Mais l’embarras est moins grand, plusieurs de mes amis ayant pris assez tôt, dans le temps de mes malheurs, le soin de m’apprendre que je pourrais les quitter sans scrupule lorsque je serais heureux. » « Décembre 1812. […] « Je pense que ce reproche tombera et que c’est précisément par cette sorte de tendance que peut-être mes écrits devancent les temps.

1230. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

C’était le temps des bacchanales et des orgiaques amours de l’antiquité. […] Depuis quelques temps, il devient presque évident qu’elle subsiste et dure, mais ne se renouvelle plus. […] Quant aux personnes, je fais trois groupes de poëtes parmi ceux de ce temps, c’est-à-dire parmi ceux des vingt dernières années. […] N’est-il pas temps en effet que nos vieux adversaires, bon gré mal gré, le reconnaissent ? […] Mais la comédie du temps, chacun le dira, s’il fallait la personnifier dans un auteur, ne se trouverait point porter un nom sorti des rangs nouveaux.

1231. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Les journaux, les recueils du temps, les étrennes et almanachs des Muses furent inondés de traductions et imitations en vers, d’après la version en prose. […] Grétry, dans le même temps, arrivait à Liége, et y recevait des ovations patriotiques que la correspondance de M. de Sainte-Croix mentionne et que Léonard eût été heureux d’enregistrer. […] Lui-même, en des vers philosophiques, nous a confessé avec grâce le faible de son inconstance :    Mais le temps même à qui tout cède Dans les plus doux abris n’a pu fixer mes pas ! […] Le temps me ramène à vos pieds ; J’ai revu le ciel de la France, Et tous mes maux sont oubliés. […] le temps qui m’entraîne Va tout changer autour de moi : Déjà mon cœur que rien n’enchaîne Ne sent que tristesse et qu’effroi… Ce bois même avec tous ses charmes, Je dois peut-être l’oublier ; Et le temps que j’ai beau prier Me ravira jusqu’à mes larmes.

1232. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

Elle est la seule dont la puissance ne se démontre pas également dans tous les temps et dans tous les pays. […] Un beaucoup plus grand nombre d’hommes se mêle aux querelles politiques, parce que dans les intérêts de ce genre, toutes les passions se joignent à l’esprit de parti, et décident à suivre l’un ou l’autre étendard ; mais le pur fanatisme, dans tous les temps, et pour quelque but que ce soit, n’existe que dans un certain nombre d’hommes, qui auraient été Catholiques ou Protestants dans le xve  siècle, et se font aujourd’hui Aristocrates ou Jacobins. […] Cette passion étouffe dans les hommes supérieurs les facultés qu’ils tenaient de la nature, et cette carrière de vérité, indéfinie comme l’espace et le temps, dans laquelle l’homme qui pense jouit d’un avenir sans bornes, atteint un but toujours renaissant ; cette carrière se referme à la voix de l’esprit de parti, et tous les désirs, comme toutes les craintes, vouent à la servitude de la foi les têtes formées pour concevoir, découvrir et juger. […] Mais en deçà de cet horrible terme, combien en France, combien dans tous les temps, l’esprit de parti n’a-t-il pas entraîné d’actions coupables ? […] C’est sans doute à l’instinct secret de l’empire que doit avoir le vrai sur les événements définitifs, du pouvoir que doit prendre la raison dans les temps calmes, c’est à cet instinct qu’est dû l’horreur des combattants pour les partisans des opinions modérées : les deux factions opposées les considèrent comme leurs plus grands ennemis, comme ceux qui doivent recueillir les avantages de la lutte sans s’être mêlés du combat ; comme ceux, enfin, qui ne peuvent acquérir que des succès durables, alors qu’ils commencent à en obtenir.

1233. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre X. La commedia dell’arte en France pendant la jeunesse de Molière » pp. 160-190

En un mot, c’est ici où cet incomparable Scaramouche, qui a été l’ornement du théâtre et le modèle des plus illustres comédiens de son temps qui avaient appris de lui cet art si difficile et si nécessaire aux personnes de leur caractère, de remuer les passions, et de les savoir bien peindre sur le visage (c’est une allusion à Molière) ; c’est ici, dis-je, où il faisait pâmer de rire pendant un gros quart d’heure dans une scène d’épouvante où il ne proférait pas un seul mot. […] Deux grands médecins, le Temps et le Dépit, et la Raison, prudente garde-malade, sont en consultation au chevet de l’Amour. […] Le Temps fait, à propos du méchant tour que celles-ci jouent aux deux nigauds, la réflexion suivante : IL TEMPO. […] Ce que le livret traduit ainsi : LE TEMPS. […] Monsieur reprit : “Il est vrai ; je ne me plains que de cette maudite Espagnole. — Il n’est pas temps de se plaindre, reprit Madame, il est temps d’agir d’une façon ou de l’autre.

1234. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

Elle allait au péril en souriant, avec sécurité, avec charité, un peu comme ces rois très chrétiens du vieux temps, un jour de semaine sainte, allaient à certains malades pour les guérir. […] Un jour qu’il voulait dire un mot à Mme Récamier dans une promenade à cheval, il se retourna vers Benjamin Constant qui était de la partie : « Monsieur de Constant, lui dit-il, si vous faisiez un petit temps de galop ?  […] Mme Récamier l’avait vu pour la première fois chez Mme de Staël, en 1801 ; elle le revit pour la seconde fois en 1810 ou 1817, vers le temps de la mort de Mme de Staël, et chez celle-ci encore. Mais ce n’avaient été là que des rencontres, et la liaison véritable ne se noua que tard, dans le temps où M. de Chateaubriand sortit du ministère, et à l’Abbaye-aux-Bois. […] Quand Mme Récamier vit s’avancer l’heure où la beauté baisse et pâlit, elle fit ce que bien peu de femmes savent faire : elle ne lutta point ; elle accepta avec goût les premières marques du temps.

1235. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

En passant des mains des apôtres juifs en celles de Grecs et de Latins, possédant une plus profonde culture et soumis à de meilleures habitudes de discipline intellectuelle, le christianisme perdit pour un temps cette tendance qu’il tenait de ses origines orientales. […] Lorsque les célèbres romans de Grandisson pénétrèrent en France, grâce à l’adaptation de Prévost (Mémoires pour servir à l’histoire de la vertu, extrait du journal d’une jeune dame, traduit de l’anglais), ils obtinrent en très peu de temps auprès du public français un succès étourdissant. […] Au reste toute la littérature du temps prouve une extraordinaire sensibilité. […] Et comme J, K et Y lui manquaient, il se mit aussitôt à l’œuvre et eut, en peu de temps, écrit le Jockey, le Kiosque, et Yelva ou l’Orpheline russe. […] On pourrait trouver encore, soit dans notre littérature contemporaine, soit dans la littérature étrangère ou celle des temps passés, bien des originalités dans le choix des titres.

1236. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Quoique les bluets qui le manifestent se succèdent dans le temps et soient placés dans l’espace, il est, comme le triangle abstrait et comme les vérités géométriques, en dehors du temps et de l’espace. […] Donc si, en résumé, on veut exprimer sa nature, on devra dire : l’un, absolu, l’inconditionnel, la substance, la cause, qui de sa nature est au-dessus du temps et de l’espace, se développe nécessairement, et tombe pour se développer dans la diversité, dans la limitation, dans la pluralité. […] « L’immensité ou l’unité de l’espace, l’éternité ou l’unité du temps, l’unité des nombres, l’unité de la perfection, l’idéal de toute beauté, l’infini, la substance, l’être en soi, l’absolu, c’est une cause aussi ; non pas une cause relative, contingente, finie, mais une cause absolue. […] Il prouvait qu’il y avait trois époques historiques, « ni plus, ni moins », celle de l’infini, celle du fini, et celle de leur rapport ; puis monté sur un char attelé de quatre systèmes, et traversant l’empyrée philosophique, partout, en Orient, en Grèce, au moyen âge, aux temps modernes, il distribuait en quatre compartiments les doctrines qu’il connaissait et les doctrines qu’il ne connaissait pas39. […] Il n’était point inutile de voir deux doctrines contraires naître en lui tour à tour du développement de deux facultés diverses, une faculté plus faible, fortifiée d’abord par les circonstances, prendre l’empire, fléchir lorsque le temps emporte les causes qui la soutenaient, et s’effacer enfin devant la véritable souveraine, qui essaye d’anéantir tout ce que sa rivale a produit.

1237. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXV » pp. 97-99

Je n’ai pas le temps de vous la développer ici, mais qu’il vous suffise de savoir que pour la réaliser il ne faudrait qu’un million par an. […] Parce que je n’ai pas le million à moi tout seul, parce qu’il n’y a pas en ce temps-ci en France une idée qui pèse contre un écu. Que les bons citoyens trouvent le million, moi je me charge de trouver les hommes… » Ces hommes (les collaborateurs du journal) seraient au fond le véritable pouvoir moral de la nation, les administrateurs de la pensée publique, le concile permanent de la civilisation moderne… Il y a en ce temps-ci quelque chose de plus beau que d’être ministre de la Chambre ou de la Couronne, c’est d’être ministre de l’opinion !

1238. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

Vers ce temps, le seigneur et les nobles du pays, pour récompenser les services de Patin le père d’une manière qui ne leur coûtât rien, lui voulurent donner un bénéfice pour son fils ; mais le jeune homme refusa tout plat, déclarant qu’il ne serait jamais prêtre. […] Tout en l’étudiant, le peu de secours qu’il recevait de sa famille l’obligea d’être quelque temps correcteur dans une imprimerie17. […] Belin que celui-ci a entre les mains quelques-unes de ces thèses si désirées, il lui offre de mettre en dépôt vingt pistoles contre ledit paquet, si on le lui confie ; il s’engage à perdre son dépôt s’il n’a rendu les pièces empruntées au temps préfix. […] Comme médecin, Gui Patin est un de ceux qui pouvaient à bon droit passer pour éclairés, de leur temps mais il n’est pas en avant ni au-delà. […] Cette aménité du temps de Scaliger, venant dans une correspondance tout amicale, étonne un peu Gui Patin, qui est relativement plus poli ; il proteste n’avoir point voulu offenser M. 

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