Voici la marche ordinaire des choses : si nous prenons pour point de départ une époque où elle est maîtresse incontestée des âmes, par exemple l’époque des premières croisades, nous la voyons d’abord, dans la plénitude et l’orgueil de sa force, faire peser un joug de fer sur les consciences, régenter la société civile, essayer de gouverner à la fois et les rois et les peuples, se faire l’arbitre de la paix et de la guerre, s’ériger en dépositaire unique et infaillible de la vérité tant religieuse que scientifique. […] Mais aussi, au lendemain de ces deux défaites, deux grandes restaurations catholiques ; l’une qui commence avec la création de la Compagnie de Jésus et la réunion du Concile de Trente, qui se continue avec le retour à la discipline austère parmi les Oratoriens et les solitaires de Port Royal, qui aboutit à la fougueuse intolérance de Bossuet, aux dragonnades et à la révocation de l’Édit de Nantes ; l’autre qui commence avec les théories ultramontaines d’un Bonald et d’un Joseph de Maistre, qui continue avec la brillante apologie du catholicisme par Chateaubriand, avec le Concordat, avec les tirades éloquentes de Lamennais contre l’indifférence religieuse, qui aboutit à la tentative manquée de Charles X pour raffermir à la fois le trône et l’autel et pour ramener la société française de quelques siècles en arrière. […] Ainsi depuis 1830, en notre siècle où les courants contraires se sont succédé avec rapidité, où les vagues d’idées ont été, pour ainsi dire, plus courtes, on compte en moins de cinquante ans trois de ces coalitions avec les forces de résistance ; l’une après la première explosion de socialisme qui menaça la société bourgeoise, c’est-à-dire au lendemain des journées de juin 1848 ; l’autre après la seconde grande levée du prolétariat, lors de la Commune de 1871 ; la troisième enfin qui a commencé de 1885 à 1890 et qui dure encore, causée par les craintes que le progrès des nouvelles théories sociales inspire aux détenteurs des derniers privilèges. […] Mais il ne suffit pas de constater vaguement le mouvement qui emporte la société dans l’un ou dans l’autre sens.
Jeune, actif, d’un jugement net et fin, en relation de famille avec ce qu’il y avait de plus noble dans les Pays-Bas autrichiens et à la cour de Vienne, il se trouva du premier jour très bien introduit à celle de Versailles, des mieux placés pour observer et s’y plaire ; il fut particulièrement de la société de la Dauphine, bientôt reine, Marie-Antoinette. […] En un mot, il n’avait ni les formes ni le langage de la société dans laquelle il se trouvait ; et quoique, par sa naissance, il allât de pair avec ceux qui le recevaient, on voyait néanmoins tout de suite à ses manières qu’il manquait de l’aisance que donne l’habitude du grand monde. […] Mirabeau montre que cet homme soi-disant nécessaire, en paralysant tout, perd tout, et qu’il laisse descendre petit à petit la monarchie et la société avec elle, jusqu’à une entière désorganisation. […] Il s’épuise à vouloir opérer en Louis XVI cette métamorphose d’un roi honnête et timide, brusque et faible, en un roi ferme et ouvert, qui aille tête levée, qui ose tout ce qu’il faut pour son salut, pour celui de la monarchie et de la société.
Cette fin prématurée doit disposer à quelque indulgence pour un homme d’un esprit ferme et brillant, que la société avait beaucoup distrait, que la Révolution avait jeté dans l’exil, et qui n’a pu mener à fin de grands projets d’ouvrages, sur lesquels il a mieux laissé pourtant que des promesses. […] Il se livrait à la société le jour, et il travaillait la nuit. […] C’est dans cette dernière ville qu’il parvint à établir une sorte de centre de société et d’atelier littéraire ; tout ce qui y passait de distingué se groupait autour de lui. […] Je parle de Manette parce que c’est une manière discrète d’indiquer comment Rivarol n’avait point dans ses mœurs toute la gravité qui convient à ceux qui défendent si hautement les principes primordiaux de la société et le lien religieux des empires.
Il tenait du duc d’Orléans, futur régent, du marquis de La Fare, de Chaulieu et des habitués du Temple, du grand prieur de Vendôme chez qui, plus tard, Voltaire jeune le rencontrera au passage : il lui suffisait, en tout état de cause, de rester digne de ce qu’il appelait la société des honnêtes gens, mais ce mot commençait à devenir bien vague ; et Saint-Simon, plus sévère et qui pressait de plus près les choses, disait de lui : « C’était un cadet de fort bonne maison, avec beaucoup de talents pour la guerre, et beaucoup d’esprit fort orné de lecture, bien disant, éloquent, avec du tour et de la grâce, fort gueux, fort dépensier, extrêmement débauché (je supprime encore quelques autres qualifications) et fort pillard. » Ce qui s’entrevoit très bien dans le peu qu’on sait du rôle du chevalier de Bonneval dans ces guerres d’Italie, c’est qu’il n’était pas seulement né soldat, mais général : il avait des inspirations sur le terrain, des plans de campagne sous la tente, de ces manières de voir qui tirent un homme du pair, et le prince Eugène dans les rangs opposés l’avait remarqué avec estime. […] La société française, qui s’était mise à accueillir vivement tout ce que Louis XIV avait disgracié, se prit d’enthousiasme à ce moment pour le général Bonneval et pour ses exploits de paladin dans cette espèce de croisade contre le Turc. […] Tirant une clef de sa poche, il ouvre ; et, au lieu d’in-folio, je vois des rangées de bouteilles des meilleurs vins, et nous nous mîmes tous deux à rire de grand cœur : « C’est là, me dit le pacha, ma bibliothèque et mon harem ; car, étant vieux, les femmes abrégeraient ma vie, tandis que le bon vin ne peut que me la conserver, ou du moins me la rendre plus agréable. » Les détails qui suivent montrent que le spirituel pacha avait cherché à tirer tout le meilleur parti de sa position nouvelle ; qu’il avait réuni autour de lui ce qu’on pouvait appeler les honnêtes gens de là-bas, et fait rendre à la Turquie tout ce qu’elle renfermait de ressources de société. […] dans quel pays, dans quel ordre d’idées et de société put-on dire de lui, le jour de sa mort, ce mot qui est la plus enviable oraison funèbre : C’est une perte.
Soyez de la société de tempérance. […] Il s’agit de sauver la société dans la littérature comme dans la politique. […] L’antique société catholique et l’antique littérature légitime sont menacées. […] Leur passage, nous l’avons dit, renouvelle l’art, la science, la philosophie ou la société.
Elle apparaît comme un symptôme de décadence prochaine, dans les sociétés qui vont finir. […] Cette société les irrite. […] L’on a pu avec raison dire que la société d’aujourd’hui ressemble à la Comédie humaine plus que la société d’après laquelle cette Comédie a été composée. […] Il en est une très humble, qui tient à la condition même de l’écrivain dans la société moderne. […] Celle de Balzac s’explique d’un mot : il a pensé la société par les causes.
Au milieu d’une société étrangère par ses goûts et ses besoins à ces sortes de théories, une vive sympathie dut bientôt réunir et liguer ensemble les jeunes réformateurs : aussi ne manquèrent-ils pas de s’agréger étroitement, et de se constituer envers et contre tous missionnaires et chevaliers de la doctrine commune. […] La société se fâcha de n’être pas mieux comprise par une poésie qui se proclamait celle du siècle, et à son tour elle se piqua de ne pas la comprendre.
Ce fut un de ces livres où une société prend conscience d’elle-même, qui l’aident à dégager son goût, à connaître et satisfaire son besoin. […] Homme d’une époque tardive et raffinée où s’amalgamaient en une civilisation hybride et Rome et la Grèce et l’Orient, moraliste plus attentif au fonds humain qu’à la particularité historique, et, quand il cherche la variation et la singularité, plus curieux de l’individu que des sociétés, Plutarque offrait déjà les temps anciens dans l’image la plus capable de ressembler aux temps modernes.
En société, c’est le plus souvent un commerce de mensonges, établi par la convention et le besoin de se plaire : alors elle nuit aux hommes, parce qu’elle les dispense d’avoir des vertus qu’ils auraient peut-être, ou du moins qu’ils devraient avoir. […] Vous le trouverez peu chez une nation livrée à ce qu’on appelle les charmes de la société ; chez un tel peuple, la multitude des goûts nuit aux passions.
En vain ces Marches et ces Gaus se groupent en états et finissent par former une société demi-réglée, pourvue d’assemblées, et régie par des lois, conduite par un roi unique ; sa structure même indique les besoins auxquels elle pourvoit. […] Les instincts nobles en Angleterre. — Le guerrier et son chef. — La femme et son mari. — Poëme de Beowulf. — La société barbare et le héros barbare. Ils viennent s’établir en Angleterre, et si désordonnée que soit la société qui les assemble, elle est fondée, comme en Germanie, sur des sentiments généreux. […] Tout y est grave, et même sombre, dans les associations civiles, comme dans la société conjugale. […] La société, en se formant, amenait avec soi l’idée de la paix et le besoin de la justice, et les dieux guerriers languissaient dans l’imagination des hommes, en même temps que les passions qui les avaient faits.
ou bien est-ce la société, qui le traque ainsi jusqu’au bout ? […] C’est la société qui le jette dans le brasier. […] « Je ne demande à la société que ce qu’elle peut faire. […] « J’ai voulu montrer l’homme spiritualiste étouffé par une société matérialiste, où le calculateur avare exploite sans pitié l’intelligence et le travail. […] Y a-t-il un autre moyen de toucher la société que de lui montrer la torture de ses victimes ?
Toutes les fois que vous donnerez à choisir à une société entre un échafaud ou un trône, elle choisira le trône ; et qui osera s’en étonner ? […] Les livres étaient jour et nuit en société avec nous. […] Toute la société aristocratique, politique et littéraire du faubourg Saint-Germain et de la cour, traversait, pendant les hivers, ce salon. […] Penser n’était plus un loisir, c’était un travail ; la société en ébullition jetait toutes ses flammes dans le même foyer. […] Que ceux qui craignent pour la société en France se rassurent : ce peuple, assaini par sa littérature, est sain de cœur comme de bon sens.
Marot, dans sa jeunesse, était le meneur et l’âme de cette société des Enfants sans souci ; folle bande directement organisée pour le vaudeville et les chansons ; mais c’est à partir de 1733 qu’on peut suivre presque sans interruption la série des dîners joyeux, et qu’on possède les annales à peu près complètes de la gastronomie en belle humeur. […] Dans un dîner du 2 fructidor an iv (1796), dix-sept gens d’esprit dont on a les noms, et parmi lesquels on distingue les deux Ségur, Deschamps, père des poëtes Deschamps d’aujourd’hui, Piis, Radet, Barré, Després, etc., posèrent entre eux les bases d’un projet de réunion mensuelle qu’ils rédigèrent le mois suivant en couplets ; c’était l’ère des constitutions nouvelles et des décrets de toutes sortes ; on ne manqua pas ici d’en parodier la formule : En joyeuse société, Quelques amis du Vaudeville, Considérant que la gaieté Sommeille un peu dans cette ville, Sous les auspices de Panard, Vadé, Piron, Collé, Favart, Ont regretté du bon vieux âge Le badinage Qui s’enfuit ; Et, pour en rétablir l’usage, Sont convenus de ce qui suit : et, après la rédaction rimée-de divers articles du règlement, la commission signait en bonne forme : Au nom de l’Assemblée entière, Paraphé, ne varietur. […] Un peu plus tôt, un peu plus tard, l’aimable société avait son terme marqué vers ce moment qui enleva plusieurs de ses principaux convives : l’un des Ségur mourut, l’aîné devenait maître des cérémonies ; Després, nommé secrétaire des commandements du roi de Hollande, et d’autres membres encore, appelés à de graves fonctions officielles, durent renoncer à des amusements qui semblaient incompatibles avec l’étiquette renaissante. […] J’omets cette foule de réunions moins en vue et vouées à une goguette moins choisie, qui pullulèrent alors, et qui n’ont pas laissé de traces ni d’archives ; mais l’institution qui sembla l’héritière directe des Dîners du Vaudeville, et qui représente la gaieté sous l’Empire, comme l’autre réunion l’avait représentée sous le Directoire et sous le Consulat, ce fut la société du Rocher de Cancale ou du Caveau moderne. […] Ce ne sont pas celles qui ont pour titre et pour sujet un de ces noms tirés au sort, comme c’était d’usage dans les réunions du Caveau, la neige, la plume, le noir, le long ; il s’agissait de broder là-dessus quelques couplets, vraie gageure de société et pur jeu d’esprit.
Le poëme devait avoir trois chants, à ce qu’il semble : le premier sur l’origine de la terre, la formation des animaux, de l’homme ; le second sur l’homme en particulier, le mécanisme de ses sens et de son intelligence, ses erreurs depuis l’état sauvage jusqu’à la naissance des sociétés, l’origine des religions ; le troisième sur la société politique, la constitution de la morale et l’invention des sciences. […] Et traîne Encore après ses pas la moitié de sa chaîne. » Le troisième chant devait embrasser la politique et la religion utile qui en dépend, la constitution des sociétés, la civilisation enfin, sous l’influence des illustres sages, des Orphée, des Numa, auxquels le poëte assimilait Moïse. […] « Chaque individu dans l’état sauvage, écrit Chénier, est un tout indépendant ; dans l’état de société, il est partie du tout ; il vit de la vie commune. […] Tous ont leurs lois à part, et toutes ces lois diverses tendent à une loi commune et forment l’univers… Mais ces soleils assis dans leur centre brûlant, Et chacun roi d’un monde autour de lui roulant, Ne gardent point eux-même une immobile place : Chacun avec son monde emporté dans l’espace, Ils cheminent eux-même : un invincible poids Les courbe sous le joug d’infatigables lois, Dont le pouvoir sacré, nécessaire, inflexible, Leur fait poursuivre à tous un centre irrésistible. » C’était une bien grande idée à André que de consacrer ainsi ce troisième chant à la description de l’ordre dans la société d’abord, puis à l’exposé de l’ordre dans le système du monde, qui devenait l’idéal réfléchissant et suprême.
Rabelais et Calvin avaient eu la gloire de faire les premières applications heureuses des idées anciennes à la société moderne. […] Ses grands hommes dans les Vies ; dans les Œuvres morales, ses philosophies, sa religion, ses mœurs, sa vie domestique et anecdotique ; que de sources fécondes, que de termes de comparaison avec la société d’alors ! […] Comme historien, à quelle partie de la science historique n’a-t-il pas touché, guerre, administration, gouvernement, sous toutes les formes de société appliquées chez les anciens, depuis le, pouvoir absolu de l’Orient jusqu’à l’extrême démocratie ? […] Il y a d’ailleurs de frappantes analogies entre les deux époques de grandes choses qui finissent, la religion et la société politique dans l’empire romain, le catholicisme du moyen âge, et la féodalité dans la France du xvie siècle ; de grands bouleversements, des révolutions, le règne de la force, qui détache les esprits méditatifs d’une société où personne n’a protection, et les ramène sur eux-mêmes ; le même doute aux deux époques par des causes différentes ; dans Rome en décadence, parce que les vieilles croyances y sont éteintes et laissent l’homme en proie à lui-même ; dans la France du seizième siècle, parce qu’on est placé entre d’anciennes formes qui disparaissent et un avenir qu’on ignore.
Le vrai artiste-s’adresse au peuple ; le non-artiste, l’artiste-artisan, s’adresse à la société. Nous nommons société un nombre d’individus entre eux coalisés pour différents buts. « Le peuple, dit Wagner, consiste en tous ceux qui sentent une misère commune. » La lutte pour l’existence et les besoins métaphysiques sont reliés par l’art qui ainsi a une signification pratique. […] Le théâtre français au contraire a toujours réussi ; car il s’est proposé un but bien défini, celui d’amuser, de divertir, et ce but il l’a atteint ; aussi les auteurs français écrivaient-ils, non pour une nation abstraite, mais pour une « société » réelle et connue, dans un milieu unique, Paris. […] Edmond Evenepoel COLOGNE. — La société chorale de M. […] ROME. — La Société Orchestrale, bien connue dans la haute société et dans le monde artistique de Rome, aussi bien qu’à l’étranger, vient de donner, pour la première fois en Italie, une audition d’une partie du Parsifal, sons la direction de M.
Or aucune espèce d’observation ne découvre dans la vie des animaux, même des animaux qui vivent en société, rien qui ressemble à ce qu’on nomme, dans toute langue humaine, morale et religion. […] Une troupe de loups réunis par l’instinct de la chasse et excités par l’aiguillon de la faim n’a rien de commun avec une société d’hommes civilisés. Et si cette troupe n’est pas sans analogie avec une bande de sauvages, il ne faut pas oublier que ces pauvres sauvages possèdent en germe le principe des développements et des transformations qui en feront une société politique avec le temps et sous l’influence de milieux différents, tandis que jamais aucune espèce animale n’est parvenue à un véritable état politique, malgré les changements de conditions géographiques ou domestiques. […] Et si l’on équivoque ici comme pour l’institution politique, en disant que l’animal parle aussi à sa façon, il n’est pas difficile de montrer qu’entre le langage des animaux et le langage humain, il n’y a pas moins de différence qu’entre la société des bêtes et la société des hommes.
La fierté dans l’extérieur, dans la société, est l’expression de l’orgueil : la fierté dans l’ame est de la grandeur. […] Les Orientaux employent presque toûjours le style figuré, même dans l’histoire : ces peuples connoissant peu la société, ont rarement eu le bon goût que la société donne, & que la critique éclairée épure. […] Ils furent écartes de la société jusqu’au tems de Balzac & de Voiture ; ils en ont fait depuis une partie devenue nécessaire. […] Quand il y a peu de société, l’esprit est retréci, sa pointe s’émousse, il n’a pas dequoi se former le goût. […] Celui qui est grave dans la société est rarement recherché.
Le fils du marquis de Parny, brillant, aimable, nouveau venu de Versailles, dut être une bonne fortune pour la société de Saint-Paul ; sa condition lui ouvrait toutes les portes, ses talents lui ménagèrent des familiarités. […] L’année même où parut la Guerre des Dieux, et qui fut celle où s’exhalait le dernier soupir du Directoire, vit paraître une série de publications de même nature qui montrent à quel point la littérature alors n’avait pas moins besoin que la société d’un 18 brumaire, je veux seulement dire de quelque chose d’assainissant et de réparateur. […] Bonaparte n’eut garde de s’y tromper : il étendit la main à la littérature comme aux autres vices de la société, et ne tarda pas à y ramener la décence, la régularité, et par malheur aussi le mot d’ordre qu’il imposait en toute chose. […] La société, qui renaissait et qui obéissait déjà à tout un autre reflux d’idées, y accourut en foule et dans les dispositions d’une curiosité quelque peu malicieuse ; c’était le même monde qui venait d’inaugurer le Génie du Christianisme, et tout récemment de faire le succès de la Pitié de Delille, succès qu’on peut considérer comme une revanche sociale de celui de la Guerre des Dieux. […] » Le Parny de ces jolies pièces qu’on se plaît à citer était bien celui qu’on retrouvait avec agrément dans la société et dans l’intimité, aux années du Consulat et de l’Empire, celui qui, n’ayant plus rien d’érotique au premier aspect, rachetait ces pertes de l’âge par quelque chose de fin, de discret, de noble, que tous ceux qui l’ont approché lui ont reconnu.
Voilà pourquoi l’idée n’en est pas venue au seizième siècle, quoique l’Italie nous eût donné l’exemple de quelques sociétés académiques, et qu’il fût de mode d’imiter tout ce qui se faisait dans ce pays. […] C’est dans la petite chambre de Malherbe que naquit le véritable esprit académique, cet esprit de discipline et de choix qu’Henri IV appliquait au gouvernement et à la société civile. […] « Le cardinal de Richelieu, ajoute-t-il, qui aimait les grandes choses, et surtout la langue française, en laquelle il écrivait lui-même fort bien, vit dans la société Conrart le germe d’une grande institution, et un moyen de gouverner la langue par un conseil régulièrement établi. […] Le grand ministre en sentit lui-même les effets tout le premier, alors qu’ayant changé quelques phrases dans la lettre que lui avait adressée, sur son invitation, la société Conrart, il lui fut dit que si ces changements étaient un ordre, la compagnie y déférerait ; mais que les phrases, dans leur première rédaction, avaient paru à tous les membres assez nobles et assez françaises. […] S’il s’agit de ces vérités par lesquelles les sociétés subsistent, mais qui, sans cesse oubliées ou éludées, veulent être exprimées dans un langage qui les rende toujours sensibles et présentes, la langue générale n’y suffit pas.
c’est un grand trou dans son cœur et sa société, que cette mort, cette disparition de sa vieille giraille. […] Les Berquinades ne poussent jamais dans la décomposition des sociétés sceptiques et blagueuses. […] * * * — Je sens avec mes nerfs, un excellent ami, faisant son Yago, dans les sociétés qui nous sont communes, et animant contre moi les gens, avec tout ce qu’il sait apporter de démolissage à rencontre de quelqu’un, sans, pour ainsi dire, se compromettre par des paroles, — et cela toujours au nom de la sainte amitié. […] * * * — Dans toute les sociétés, qui se s’ont succédé depuis le commencement du monde, il y a un athéisme des classes supérieures, mais je ne connais pas encore de société, ayant subsisté avec l’athéisme des gens d’en bas, des besoigneux, des nécessiteux. […] Samedi 30 décembre Au milieu de la gaieté et du tapage des conversations, Nittis adossé à son bureau du fond de l’atelier, me dit dans sa jolie langue enfantine, sur une note mélancolique : « Oh, quand on a passé la première jeunesse… quand il n’y a plus dans les veines, un certain bouillonnement du sang… la vie, ce n’est plus guère attachant… et moi encore tout enfant — j’avais dix ans — j’ai entendu : « Il y a un « monsieur qui s’est tué… » c’était de mon père qu’il s’agissait… vous concevez la vie fermée que ça m’a fait là-bas… deuil et solitude… et des notions tout élémentaires… lire et écrire : ç’a été tout… le reste c’est moi qui me le suis donné… je me suis entièrement formé par la réflexion solitaire… cela m’a laissé une naïveté… et vous concevez que dans la société actuelle cette naïveté… » Nittis ne finit pas sa phrase.
Mais après avoir encore une fois savouré ces tristes délices de la lecture d’Adolphe, avoir goûté cette finesse consommée d’expérience sociale, cette vérité aride et terne, si bien dissoute et démêlée, et avoir reconnu, par-dessus tout, le cachet d’élégance et de distinction achevée empreint dans l’ensemble, je n’ai pu m’empêcher d’admirer la différence des temps, des sociétés, des écoles diverses. […] Les scènes proprement dites y sont peu dessinées, même les scènes de société, car il n’est pas question de paysage ni du sentiment de la nature. […] La société m’importune, la solitude m’accable… Je me précipite sur cette terre qui devrait s’entrouvrir pour m’engloutir à jamais… Je me traîne vers cette colline d’où l’on aperçoit votre maison, je reste là les yeux fixés sur cette retraite que je n’habiterai jamais avec vous. » Et cette maison, cette retraite tant convoitée, tant regardée, et qui lui paraît offrir de si enviables perspectives de bonheur, il n’en retrace pour lui ni pour nous aucun trait distinct et reconnaissable, il ne nous la montre pas.
Émancipés aujourd’hui, fils de l’Occident, héritiers de tant d’œuvres, et comme portés sur les épaules de tant de générations, espérons mieux ; mais, si nous nous appelons philosophes, n’en venons jamais, par une sorte d’orgueil intellectuel, à oublier les origines si grossières et si humbles de toute société civile. […] Tout ceci est bien terre à terre, je le sais, aux yeux de cette opinion factice et amoureuse de popularité, qui tient le pouvoir, quelles que soient les mains qui l’exercent, pour l’adversaire présumé de la société. […] M. de Tocqueville, favorable à l’auteur et au livre, en prit occasion d’exposer ses idées sur les beaux-arts et sur leur fonction dans la société : l’idée de moralité dominait sa pensée, le nom de Poussin y prêtait.
Boileau (autre infirmité), enfin, ne sentait pas la famille, ni le rôle que tient la femme dans la société, ni celui qu’elle remplit en mère au foyer domestique et autour d’un berceau ; sa sensibilité et son imagination n’avaient jamais été éveillées de ce côté. […] Cette bizarrerie consistait à être accessibles à tous les goûts, à toutes les vues modernes, de science, d’art, d’inventions de toutes sortes, sans que le style littéraire parût la seule chose de prix à leurs yeux ; à être les moins exclusifs des esprits, à avoir de tous les côtés des jours ouverts sur la civilisation et la société actuelle et future. […] La vraie et juste disposition à leur égard est un premier fonds de respect, et tout au moins beaucoup de sérieux, de circonspection, d’attention, une patiente et longue étude de la société, de la langue, un grand compte à tenir des jugements des Anciens les uns sur les autres, ce qui nous est un avertissement de ne pas aller à l’étourdie, de ne pas procéder à leur égard avec un esprit tout neuf en partant de nos idées d’aujourd’hui.
La société polie était née au xve siècle, et bien avant l’hôtel de Rambouillet ; seulement c’était une société polie issue de la féodalité, et sous forme chevaleresque, et non celle qui se continuera sans interruption et de plain-pied jusque sous Louis XIV et dans tout le siècle suivant. […] En ce sens, notre vieux Mystère a quelque chance de ne pas être tout à fait oublié : en faisant bon marché de l’œuvre comme art, comme élévation, comme composition, on pourra toujours le consulter pour ces quelques scènes, quand on voudra donner une idée fidèle et piquante de la vie de salon, des habitudes et du ton de la société galante et déjà polie au xve siècle.
Ces trois existences si diverses, successivement racontées et finement décrites, donnent beaucoup à penser et à réfléchir sur la forme que revêtent l’esprit et le cœur en trois pays et trois sociétés si dissemblables, sur les directions que parvient à se frayer la spontanéité humaine à travers des contraintes et des pressions si différentes. […] On retrouve en elle la fille d’une race et d’une société plus antique, plus vieillie, plus usée : elle se sert d’une langue toute faite ; c’est une riche et fine étoffe un peu passée, qu’elle rajeunit avec grâce en la mettant, mais dont chaque pli ne crie pas sous ses doigts. […] Les Horizons prochains ; — les Horizons célestes ; — Vesper ; — les Tristesses humaines ; et aujourd’hui enfin les Prouesses ou Voyages de la Bande du Jura, c’est-à-dire de la société active, honnête, rieuse et vaillante, amoureuse de la nature, amoureuse des œuvres de Dieu, qui se réunit et se groupe chaque été autour de la châtelaine de Valleyres. — (Michel Lévy.)
Notre tragédie, à nous, est, si j’ose ainsi dire, d’un cran plus bas ; elle s’attaque particulièrement au cœur et à ses sentiments délicats et déliés jusqu’au sein de la passion ; elle s’encadre avec la société, non plus avec le temple ; elle vit à l’infini sur des luttes, sur des scrupules intérieurs nés du christianisme ou de la chevalerie, et dès longtemps élaborés par une élite polie et galante. […] Quel moment en effet dans une société que celui où des sentiments si nobles, si délicats, disons même si subtils, et qui courraient presque risque de nous échapper aujourd’hui, étaient saisis unanimement par un cercle avide qu’ils occupaient aussitôt et passionnaient ! […] La lutte du cœur plutôt que celle des faits, tel est en général le champ de la tragédie française en son beau moment, et voilà pourquoi elle fait surtout l’éloge, à mon sens, du goût de la société qui savait s’y plaire.