S’il dérive de l’expérience, il est frappé d’un caractère de contingence et de variabilité, et alors la logique du sensualisme ne repose plus sur la nécessité, elle est variable comme la sensation elle-même, en d’autres termes elle n’est plus une logique.
Ce qu’aime Mme Guichard, ce sont donc les sensations que lui donne M. Alphonse, rien de plus, comme il aime et cherche, lui, les sensations que lui procurent les jolies femmes rencontrées, la bonne chère, la paresse jouisseuse et les commodités matérielles de la vie. […] Or, après une vie de travail acharné, d’absorption douloureuse dans la chose écrite, d’une sorte d’ascétisme littéraire dont il n’y a peut-être pas de plus parfait exemple, et qui, tout en aiguisant en eux la faculté de sentir et de rendre leurs sensations, les a peut-être spécialisés outre mesure, a fini par leur enlever une certaine liberté aisée du jugement et la vue sereine et indulgente des choses de ce monde, Jules de Goncourt, — le plus heureux des deux pourtant, — est mort sans avoir connu la gloire. […] Chose singulière, ce drame écrit par deux artistes dont la prétention la plus constante a été de nous donner la sensation directe de la vie, ce drame sent le cabinet de travail, la petite table et l’encrier du bon mandarin de lettres épris des gentillesses de la phrase, il est tout pourri de littérature, il est purement livresque. […] … Souvenez-vous, souvenez-vous… — Fleurette, frappée : Oui, oui, je me souviens. — Le Comte : Et plus tard, sans transition aucune, une grande sensation de fraîcheur… de l’eau, de l’eau partout… une corbeille qui flotte… dans cette corbeille un enfant… Souvenez-vous, souvenez-vous… — Fleurette : Oui, oui, je me souviens. — Le Comte : Pas un mot de plus, vous êtes la princesse Hermia. » (Notez qu’on blague ici par surcroît Moïse sur le Nil : Mes sœurs, l’onde est plus pure aux premiers feux du jour…) Cinquièmement… ( « Horrible, horrible, très horrible !
Que Goethe ait eu la sensation de cet isolement qui entourait sa grandeur incontestée, on n’en saurait douter. […] Quelle sensation inattendue me surprit dès l’entrée ! […] Et puis, sans compter les faux frères que nous connaissons, vint la série interminable des imitations, dans toutes les langues : une armée de sous-Werther, plus ou moins exactement calqués sur le modèle, s’exprimant comme lui, agissant comme lui, battant la menue monnaie de ses propos, de ses pensées, de ses sensations : Jacopo Ortis, Saint-Alme, Le Peintre de Salzbourg, Werthério Stellino, le Nouveau Werther (comme on avait écrit le Nouveau Robinson), et combien d’autres ! […] On ne lit plus la littérature dont il procéda, du moins comme on la lisait alors… À qui le Vicaire de Wakefield paraîtrait-il aujourd’hui un roman à sensation ? […] Mais ces arguments ne pourront jamais constituer qu’une forte présomption, et après tout, il n’y a point de raison péremptoire pour que Goethe ne se soit pas plu à recommencer l’aventure de Pétrarque : bien qu’il n’eût ni la pureté du cœur, ni la piété de l’auteur des Triomphes, il était assez curieux de sensations de toutes sortes pour s’en tenir, avec une personne dont il avait de confiance admiré l’âme sur sa silhouette, aux délices raffinés du platonisme : le dilettantisme tient quelquefois lieu de vertu.
C’est lui qui a écrit cette phrase du plus pur matérialisme : « Le génie naît du trop-plein de la sensation. » Je ne dirai pas que ses romans sont immoraux, le sens moral y manque d’une manière absolue. […] Souvent, dans la Dame aux perles, par exemple, il arrête l’action pour permettre à ses personnages, à Jacques surtout, de promener sur ses sensations et ses sentiments la pointe du scalpel et de s’analyser lui-même, ce qui refroidit l’intérêt, engendre l’ennui et détruit la vraisemblance. […] Sa philosophie sceptique et matérialiste ramène impitoyablement les sentiments et les idées aux sensations. […] On éprouve une sensation de froid et d’obscurité en parcourant ces pages ; l’âme, ce soleil moral qui éclaire et échauffe, en est absente. […] Fanny n’est pas un livre d’idées, c’est un livre de sensations.
Les témoignages y sont classés avec méthode, critiqués avec sûreté, mais non pas fondus dans un de ces tableaux par lesquels l’histoire doit nous donner la sensation de la réalité. […] « Outre, dit-il, que les sens l’emportent parfois jusqu’à la rendre imprudente et malavisée, elle dépend de ce qu’on nomme le plaisir et de cela elle est esclave : c’est le besoin qu’ont les femmes de remuer, de voir, d’être vues, d’organiser des parties, de se montrer à des spectacles, de se trouver hors de chez elles… À cela, Joséphine sacrifiera tout : enfants, famille, amour même et bien plus les calculs d’avenir. » De page en page, à travers les mille péripéties de sentiments et de sensations qui font ressembler ce livre d’histoire à un roman psychologique, on voit paraître en traits de plus en plus surprenants cette prodigieuse inconscience d’une impératrice qui ne fut jamais que la petite femme d’un grand homme. […] Au sortir des proses qui forment l’habituel fonds de notre littérature « courante », on éprouve une sensation de salubrité lorsqu’on ouvre les pages serrées et copieuses du livre où M.
C’est là que parut cet article en l’honneur de nos vieux trouvères, qui fit sensation et un peu scandale parmi les partisans religieux de l’Antiquité, et dans lequel il se risqua à traduire un chant de l’Iliade en vers français du xiiie siècle : tentative ingénieuse où le poète peut échouer, où le critique et le linguiste prennent leur revanche et triomphent.
L’enfance de Goethe, sur laquelle il s’appesantit trop dans ses Mémoires, à l’exemple de Jean-Jacques Rousseau dans ses Confessions, ne mérite pas d’être regardée avant l’âge où les sensations deviennent des idées.
De Pétersbourg à Turin, il voit tout, sans éprouver même une sensation.
N’est-ce pas l’étude des langues primitives qui nous a révélé les caractères primitifs de l’exercice de la pensée, la prédominance de la sensation, et cette sympathie profonde qui unissait alors l’homme et la nature ?
Pour lui, il faut qu’elle soit indiquée, qu’elle soit commandée par la situation dramatique ou bien par la suite dans une seule phrase de mots éveillant des sensations opposées.
Les sensations le gouvernent ; elles se succèdent, dans son cerveau, et s’anéantissent l’une par l’autre, avec une rapidité délirante.
* * * — Les contours des visions, dans le rêve, ont un semblant de la ligne diffuse des dessins, trempant dans l’eau… Quel mystère que le rêve, cet état ressemblant à de la mort vivante… Et pourquoi dans le rêve, cette richesse des sensations de la peur, de l’épouvante, qu’on dirait touchée chez nous, par un bouton électrique correspondant à nos fibres intimes ?
Et regarder la coupole, semble un moment devoir devenir l’expression, pour peindre l’abstraction d’un académicien, d’une séance de l’Académie, la dissimulation de ses impressions, de ses sensations, quand un antipathique parle.
Il faut plaindre ceux qui méprisent un tel artiste de n’avoir ni des yeux ni des oreilles capables de comprendre ce grand art de faire rendre à des syllabes tout ce que la nature fait éprouver de plus inexprimable aux sens, même le silence et l’assoupissement des sensations !
Dans son dernier livre, l’Enfant à la Balustrade qui n’est qu’un recueil de sensations enfantines, on peut s’étonner de l’ironie savante dont fait preuve un jeune observateur aux jugements si rapides et si exacts.
Il n’y a certainement que son père qui l’apperçoive ; car son apparition ne fait pas la moindre sensation sur les autres.
Cette âme trop pleine s’épanche sans le savoir, heureuse et honteuse du flot de bonheur et de sensations nouvelles dont un sentiment inconnu l’a comblée. « Je suis une folle de pleurer de ce dont je suis heureuse. — De quoi pleurez-vous ? […] Il la peindra violente et avide des sensations violentes de la gloire.
Athée du sentiment, insatisfaite par la sensation, elle reste de longues heures, agenouillée devant le dieu Phallus, à cracher des blasphèmes2. […] » Hâtez-vous de traduire en langage plus abstrus : « L’orbe des sensations ne doit être fragmenté. » Continuez avec un geste solennel : « De la cime perdue de nos effluves sensoriels effilés vers l’astral, à la base charnelle de notre corps, lourde argile qui retient, hors du vol éternel, notre vague de vie… » Si vous avez fait une déclaration et qu’on vous réponde mariage, donnez-vous le temps d’inventer quelque empêchement absolu et esthétique en vous écriant : « Le mot que vous venez de prononcer rétrécit l’envergure de mon envolement. […] C’est un homme à bonnes fortunes, mais un don Juan bourgeois et prudent qui ne prendra jamais la femme d’un ami, « car il n’y a pas de sensation d’amour qui vaille la somme d’ennuis qui pourrait en résulter ».
Tout ce qui peut imprimer une secousse à ses nerfs, tout ce qui lui procure une sensation nouvelle, il le recherche avec avidité. […] Je me rappelle encore la sensation de joyeux étonnement que j’éprouvai lorsque, il y a bien des années, guidé par les incomparables notices et par les habiles extraits de Charles Lamb, je fis connaissance avec les œuvres de ces vieux poètes, et spécialement avec le grand poème de Spenser. […] On m’avait donc trompé lorsqu’on m’avait présenté cette vieille littérature anglaise comme dormant et méritant de dormir dans la poudre des bibliothèques, puisque je découvrais qu’elle possédait ce don auquel on reconnaît toutes les grandes littératures, à quelque époque qu’elles appartiennent, celui d’intéresser non seulement notre intelligence, mais cette faculté insondable qui constitue en nous le fond de l’être, celui de nous communiquer, toutes vieilles qu’elles soient, les sensations actuelles de la vie présente. […] Ce qui augmente encore la sensation d’accablement du lecteur, c’est que ces images ne sont rien moins que faites pour glisser légèrement sur l’attention ; ce sont des images du plus fort calibre qui font trou là où elles portent et qui blessent l’esprit en s’y enfonçant. […] Il ne peut exprimer d’une manière générale les sensations d’effroi dont nous avons parlé, et il lui est interdit de terrifier d’autres pécheurs que les pécheurs du pays de Galles.
« Il goûte du plaisir lorsqu’il pleut à verse, qu’il voit les vieux murs moussus tout dégouttants d’eau, et qu’il entend les murmures des vents qui se mêlent aux frémissements de la pluie. » Ces sensations qu’il aime à décrire, il les proclame « les affections de l’âme les plus voluptueuses. » Il traite aussi du « plaisir de la ruine, du plaisir des tombeaux, qui sont à ses yeux, surtout les tombeaux de nos parents, les plus intéressants de tous les monuments » ; du plaisir de la solitude « qui flatte notre instinct animal en nous offrant des abris d’autant plus tranquilles que les agitations de notre vie ont été plus grandes, et étend notre instinct divin en nous donnant des perspectives où les beautés naturelles et morales se présentent avec tous les attraits du sentiment. » Toutefois B. de Saint-Pierre a connue une certaine tristesse maladive et par là, sans atteindre Rousseau, il se rapproche de lui. […] Il est ridicule de supposer qu’un homme dont l’esprit aurait été véritablement imbu de mépris pour ses semblables, aurait publié chaque année trois ou quatre volumes pour le leur dire, ou qu’un homme qui aurait pu affirmer en toute sincérité qu’il ne recherchait la sympathie de personne, aurait permis à l’Europe toute entière d’entendre ses adieux à sa femme et la bénédiction qu’il adressait à ses enfants… Je suis pourtant bien loin de croire que sa tristesse fut entièrement feinte… Mais il découvrit bientôt qu’en faisant parade de son malheur devant le public, il produisait une immense sensation. […] Plus tard, un écrivain peu connu, dont on retrouve un discours couronné par l’académie des jeux floraux, dans un recueil intitulé les Annales romantiques, et qui comprend les années 1826, 1827 et 1828, M. de Servière, s’exprimait ainsi : « Il n’est pas douteux que le genre romantique, ne doive entrer aujourd’hui dans toute la littérature, et y apporter une source de richesses poétiques : les tableaux de la nature animés du souffle de Dieu, et la peinture de tant d’affections nouvelles ; cette inquiétude secrète de l’homme, cet instinct mélancolique qui le met en rapport avec les scènes de la nature ; ce mystère plein d’attraits, ce vague où l’âme se complaît, qui est comme l’absence de sensations, et qui pourtant est une sensation délicieuse. » Une autorité plus haute et plus incontestable vient s’ajouter à ces témoignages. […] Il eût fait sensation s’il eût désiré parler.
Il abuse de la dialectique minutieuse et pointilleuse et qui donne comme la sensation d’une hache divisant un porte-plume en allumettes et une allumette en aiguilles, ou plus encore d’un marteau frappant toujours sur le même clou avec la précaution de ne point l’enfoncer. […] Celui qui s’entend le mieux en brides et en mors, c’est le cavalier : celui qui s’y entend encore, mais moins bien et comme par routine, c’est le sellier ou le forgeron ; celui qui ne s’y entend pas du tout et qui seulement en saisit et sait en reproduire le dessin, saisit et sait reproduire la sensation fugitive qu’ils font sur l’œil, c’est le peintre. […] Qu’on ne réponde pas à ceux-ci qu’il n’y a rien de plus réel qu’une sensation, fût-elle agréable, et que la sensation de bien-être que produit le manger, le boire, le se reposer et le s’endormir est une réalité incontestable. […] Du reste, elle est excellente à montrer ce qu’il y a de vide et d’inconsistant dans l’amour, puisqu’elle prouve assez bien que plus il est fort plus il se détruit, que plus il est fin plus il se détruit encore ; et qu’à s’approfondir il se transforme et qu’à se transformer il aboutit à un transport de désir qui est une sensation de néant.
Ils n’avaient rien de latin, rien de classique ; ils inventaient leur langue, ils notaient avec une intensité incroyable leurs sensations d’artistes malades de leur art. […] Ce ne sont plus des phrases parfaites sur un sujet donné ; ce sont des sensations éprouvées devant un spectacle. […] Chez lui, l’analyse procède par la sensation. […] Mais le tempérament de l’écrivain ne s’en affirme pas moins par la sensation très vive des faits et la mise en œuvre des observations recueillies. […] Dans leur milieu, d’ordinaire, les choses ne se passent point avec un raffinement de sensations pareil.
Et, tout de même, la vision de moisson et la sensation d’été y sont bien. […] Une créature est « tout pour vous » ; elle vous fait indifférent au reste du monde, parce qu’elle vous donne ou que vous attendez d’elle des sensations uniques. […] Vous voulez être pour elle ce qu’elle est pour vous : l’univers de la sensation. […] J’aimais jusqu’à ces pleurs que je faisais couler… Galanterie sèche et d’une fatuité élégante ; puis, surgie tout à coup dès le premier obstacle qui s’oppose à son désir, cette cruauté dans l’amour, qui, portée à son plus haut degré, s’appellera le « sadisme », du nom d’un sinistre fou ; c’est-à-dire le plaisir d’étendre son être en faisant souffrir, les sensations agréables ayant pour mesure la souffrance d’autrui, et le désir de sentir se confondant avec le désir de détruire… Et ce sont ces plaisirs et ces pleurs que j’envie… Caché près de ces lieux, je vous verrai, madame… Je me fais de sa peine une image charmante… Et, après ces ironies et ces méchancetés froides, l’explosion de colère sous les mots dont le flagelle Britannicus, la menace d’arrêter tout le monde, et, dès lors, l’assassinat secrètement résolu ; puis, le petit attendrissement devant les larmes et l’agenouillement de ce brave Burrhus ; mais enfin, sous l’habile manœuvre de Narcisse, qui, tour à tour, chatouille la vanité de l’homme, l’orgueil du tout-puissant et son besoin de mépriser et, point plus sensible encore, son amour-propre de cocher et de chanteur, — Néron redevenant lui-même et de nouveau consentant au crime.
Ses sensations étaient obtuses, comme sous le coup d’une grande stupeur. […] En lisant un ouvrage d’un aliéniste célèbre, Michel avait été, jadis, profondément frappé par cet axiome, d’une valeur scientifique et qui était demeuré gravé dans son cerveau, comme certaines phrases on ne sait d’où venues et qui survivent parfois à un monde de lectures : « L’observation prouve que la mort volontaire est à peu près incompatible avec les derniers degrés de l’avilissement. » Il se souvenait de ses tentations bizarres d’autrefois, de ces journées de chasse où il appuyait ses dents sur le canon de son fusil, comme pour sentir, par avance, avec une volupté funèbre, la sensation de la mort. […] …………………………………………………………………………………………… Comme il nous arrivait parfois d’entrer à Saint-Sulpice le matin du jour de l’an pour entendre la messe avant d’aller déjeuner rue de Vaugirard, je vis bien souvent le carrosse de ma tante stationner à la porte de l’église, où il faisait toujours sensation.
L’idée fixe avait fait naître une sensation d’épiderme, la sensation du vieillissement, continue et perceptible comme celle du froid ou de la chaleur. […] Je demeurais haletant, si grisé de sensations, que le trouble de cette ivresse fit délirer mes sens. […] Plus je les connais, moins je trouve en elles cette sensation d’ivresse douce qu’une vraie femme doit nous donner.
. — Si on ne consent pas à réduire l’expression théâtrale d’un débat intérieur, à une mimique passionnée qui ne vaudra qu’autant que vaut le mime ; si on accorde que tout personnage est tenu de « parler » ses sentiments les plus secrets, les plus résolument tacites, et que le théâtre ne saurait vivre sans cette transposition, — pourquoi le héros qui consent à nous dévoiler sa pensée, n’aurait-il pas la faculté, en outre, d’élucider, d’exprimer par des mots, tout l’inconscient de son être, ce poème confus de sensations, d’intuitions, de rêves, de souvenirs et de réactions obscures que chacun de nous porte en lui, ce lyrisme sourd et caché que l’émotion délivre ? […] Il sut que l’important au théâtre n’est pas l’idée, — anti-musicale en principe, à moins que devenue sentiment ou sensation — mais le sentiment et la sensation eux-mêmes, et il mit l’un si près de l’autre qu’ils finirent par se confondre.
Le bonheur est tellement composé de sensations relatives, que ce ne sont pas les choses en elles-mêmes, mais leur rapport avec la veille ou le lendemain, qui agit sur l’imagination.