Il commence ce pèlerinage, qui asurtout pour objet la Suisse catholique, par une diatribe violente contre Genève, où l’on célébrait, quand il ypassa, l’inauguration de la statue de Jean-Jacques, un sujet tout trouvé d’anathème : « Tristes fêtes dont nous n’osons plus rire, s’écrie l’auteur, quand nous songeons qu’il est une autre vie et que probablement ce malheureux Rousseau, mort dans l’hérésie, sans sacrements et, selon toute apparence, sans repentir, a plus affaire à la justice de Dieu qu’à sa clémence… » Je laisserais ce passage et le mettrais sur le compte de la jeunesse, si les mêmes sentiments d’exécration ne revenaient sans cesse sous la plume de l’auteur ; si, dans ces volumes de Çà et Là où il y a de charmants paysages et de beaux vers pleins de sensibilité, je ne voyais, lors d’une nouvelle visite à Genève (chapitre Du Mariage et de Chamounix), la même répétition d’injures contre la statue et les mêmes invectives contre les Genevois en masse.
S’il n’avait fait qu’y rétablir l’ordre, introduire plus de régularité et de décence dans ce bizarre parlement de Pau et dans la conduite extérieure des principaux officiers, mettre à la raison certain procureur général de trop folle humeur et des plus libertins, on n’aurait qu’à le louer ; on ne ferait que rire de quelques histoires singulières qu’il raconte : mais tout à côté de ces réformes de bon aloi, il faut bien prêter l’oreille à tous ceux que l’intendant proconsul va faire saigner et pleurer, et dont les cris de douleur sont venus jusqu’à nous.
C’est comme le mot d’Homère sur Andromaque, lorsqu’elle présente le petit Astyanax, tout effrayé et bientôt rassuré, à Hector en armes qui part pour le combat : Elle riait au milieu de ses larmes !
Le public, informé de ces misères, se prit à en rire.
D’ailleurs le malheur devrait à la longue influer bien plus sur mon humeur que sur mes opinions : or, j’aime extrêmement la gaieté de l’intimité, et je rirais comme un autre, quoique je sente le poids de cette main de fer qui reste appuyée sur moi : mais je pense que c’est dans ce qu’on appelle (bien ou mal) mélancolie que nous trouverons les lumières désormais utiles.
Mais cette tristesse de l’automne est voluptueuse encore ; tous ces fruits qui mûrissent et tombent, et cette grappe qui rit, n’ont rien de chastement mystique, ni qui appelle naturellement la séraphique extase.
Il le fait tranquillement, n’esquivant rien, n’exagérant rien, avec un désintéressement, une impartialité, une indépendance de jugement telle, que cette sorte de sacrifice ou plutôt (car il n’avait point à la sacrifier) d’oubli provisoire de la piété filiale en face de la science qui prime tout, m’a rappelé, je ne sais comment, la hauteur d’âme des vieux Romains mettant tout naturellement l’intérêt de la patrie au-dessus des affections de famille… Puis, tout à coup, après ce long, tranquille et consciencieux exposé qui n’eût point été différent s’il se fût agi d’un étranger, la voix du professeur s’altère et laisse tomber ces mots : … Moi qui vous parle, moi qui seul sais le respect et la reconnaissance que je lui dois, j’ai dû m’abstenir de les exprimer comme je les sens, autant pour être fidèle à cette modération qu’il aimait à garder en toutes choses, autant pour ne rien rire ici qui ne dût être dit par tout autre à ma place, que pour ne pas m’exposer à être envahi par une émotion trop poignante qui ne m’aurait pas laissé la liberté et la force de rendre à cette mémoire si chère et encore si présente l’hommage public auquel elle a droit.
Les profanes, et quelquefois même ceux qui s’appellent penseurs, se prennent à rire des minutieuses investigations de l’archéologue sur les débris du passé.
Affectant de rire du titre pompeux que l’on donnait à Jésus, il le fit fouetter 1141.
Il sait que tout mouvement libre offense les critiques, prêtres de l’immobilité ou porteurs du manipule de foin que suivent toujours, salive à la bouche, les légions, les centuries et les décuries littéraires : « Jadis un homme se levait, bouclier de la foi, contre les nouveautés, contre les hérésies, le Jésuite ; aujourd’hui, champion de la règle, trop souvent se dresse le Professeur. » Mais « la diabolique intelligence rit des exorcismes, et l’eau bénite de l’Université n’a jamais pu la stériliser, non plus que celle de l’Église ».
Il me rappelle un vers d’André Chénier : Et nous aurons Julie au rire étincelant… Il y a des nuances morales attachées aux noms.
Il sait l’adroit et caressant coup de main que donne une jeune fille sur la jupe de sa voisine, « l’allée et la venue d’un petit pied bête » d’une femme hésitant à dire une idée embarrassante et saugrenue, le rapide gigottement du coude d’une actrice éclatant d’un fou rire, et le geste de colère avec lequel, désespérant de trouver une intonation, elle tire les pointes de son corsage.
On ne peut s’empêcher de rire dans les sermons de celui-ci, sur l’enfant prodigue & sur la Magdelaine ; non plus que dans un panégyrique de la vierge d’un autre prédicateur, qui rapporte naïvement que Marie & son fils eurent des altercations au sujet du salut de l’ame d’un ecclésiastique libertin, quoique dêvot à la mère.
Ce fut une Théroigne épargnée… Et de l’être dut certainement redoubler par un dépit humilié, le courroux et le ressentiment de ce violent bas-bleu contre le sexe fort, qu’elle repoussait et détestait en masse, mais qu’elle admettait très bien et qu’elle ne haïssait pas en détail… Le sexe fort de ce temps-là se contentait de rire de ses airs terribles de Méduse, trouvant drôle cette union, pittoresquement claudicante, d’une Gorgone et d’une madame Trissotin !
Sur cette neurasthénie, malgré l’azur bouché, les murs aveuglés, le règne du « cher Ennui », voici qu’éclatent encore, dans la fraîcheur et la liberté de leur rire, le printemps, la jeunesse, la vie cristalline, l’Azur. […] Ce que, pour un poète de la nature, pour un faune vrai comme Francis Jammes, sont les arbres, les fleurs, les bêtes, la maison aussi dans laquelle entre le paysage par les fenêtres, pour la baigner et la tremper de joie comme une mère, au matin, sous l’éponge qui ruisselle, fait de fleur fraîche les joues de l’enfant qui rit, tout cela chez Mallarmé, s’enclot dans le mystère des chambres septentrionales, celles qui défendent du froid, celles où montent du bois les esprits du feu ; et sur tous les objets son rêve jette comme ce feu des reflets de chimère qui rôde. […] J’ai longtemps rêvé d’être, ô duchesse, l’Hébé Qui rit sur votre tasse au baiser de vos lèvres. […] Dans Conflit, à une bande de terrassiers qui préparent une voie ferrée devant sa maison de compagne, et mettent ainsi en lambeaux douloureux sa méditation, il projette d’adresser un discours qui vaguement les fasse conscients de cette atteinte et il en présume qu’il « les frapperait, sûrement, plus qu’autres au monde, et ne commanderait le même rire immédiat qu’à onze messieurs pour voisins : avec le sens, pochards, du merveilleux118 ». […] Chaque vers des sonnets, même chaque mot, est la tranche d’une image sous-jacente ; par horreur précisément du plaqué, Mallarmé ramène à un empilement selon la profondeur ce que le discours métaphorique ordinaire étend en le sens de la longueur Victorieusement fui le suicide beau, Tison de gloire, sang par écume, or, tempête Ô rire si là-bas une pourpre s’apprête.
Paul Souday, elle bâtira une dissertation sur le rire. Mais elle ne rira pas. […] Par définition, elle est celle qui comprend, non celle qui rit. […] Je regardais de tous mes yeux, ahuri, mais non sceptique, songeant au fou rire qui prit une de nos sociétés savantes lorsqu’on lui présenta le premier embryon du phonographe.
Allons, allons, messieurs les grondeurs pour rire, avouez qu’au fond vous êtes contents de nous, les jeunes, que nous ne dégénérons pas trop de nos pères de 1830 et que véritablement nous sommes les petits de ces grands lions-là ! […] » — Vous riez ? […] Lui-même, parfois, il riait franchement à tel souvenir qui lui passait par le discours et il y avait quelque chose de comique dans sa physionomie dans ces moments-là : son long nez sur sa longue barbe, le mouvement ascensionnel de sa moustache portée en brosse, le pli profond de sa joue maigre et basanée par la mer de son pays, lui donnaient alors l’air d’un vieux zouave en gaîté. […] Je riais ou je souriais de ces « leçons » ; quand ça en valait la peine, j’en profitais.
Aux temps dont nous parlons, Molière lui-même n’eût pas trouvé là le plus petit mot pour rire. […] … Et tenez, avant de nous mettre en route, expliquez-moi donc ce titre de Comédie, qui, tout d’abord, me choque ; car enfin, à part quelques diableries assez drôles, je ne vois pas le plus petit mot pour rire dans cette fameuse Comédie. […] Je me rappelle (c’était en 1818, au moment que s’ouvrait à Paris un club de femmes) que le moraliste Émerson, nous voyant rire, et moi tout le premier, de ces dames orateurs, me demandait, avec son sérieux du Massachusetts, ce qu’il y avait donc là de si risible ? […] Il en parlait en souriant, mais d’un sourire grave ; il n’en aurait pas ri. […] Et quand, lui aussi, il voudrait pleurer, pleurer ses espérances évanouies, ses erreurs, ses égarements, le rire de ses amis sceptiques, le sarcasme des athées, le consternent et tarissent en lui la source des bienfaisants repentirs.
Il ne conçoit pas qu’on puisse railler ce qui est laid, ni rire de ce qui est triste. […] Car tout cela se tient ; et, tandis qu’on n’a rien à alléguer contre un vaudeville qui fait rire, les objections abondent contre une pièce qui fait penser. […] Il n’y voit qu’une chose : c’est qu’on lui sert — et abondamment — de quoi rire et de quoi pleurer ou avoir peur dans la même soirée, et qu’il a un vaudeville et un drame pour le prix d’une seule pièce… Et, n’est-ce pas ? […] Si vous n’en êtes pas, il se pourra également que ces turlupinades vous semblent mortelles ou qu’elles vous communiquent un bon rire ingénu et bienfaisant. […] Celle-là est d’un caractère tout à fait traditionnel et classique, et, comme je ne sais pas pourquoi j’en ris, je me dis que c’est peut-être par atavisme.
Son dessein est que tant de fantaisies du ton de Boccaceq et d’Arétin vous courroucent, vous révoltent ; et que devient l’effet de sa rigueur, si des auditeurs légers sont capables de s’en égayer et d’en rire ? […] Vous en avez ri, messieurs ; eh bien ! […] » Je transcris ce jugement parce qu’il est conforme au nôtre : La Harpe ajoute que l’auteur est aussi éloigné de la plaisanterie douce, et de la franche gaîté de l’Arioste, que de l’heureuse abondance de ses créations : « l’Arioste voulait rire et faire rire, et n’en voulait à rien ni à personne ; et Voltaire en veut toujours à la Bible, aux prêtres, aux moines, à ses critiques, aux savants, aux anciens, à tout, et à tous ? […] On rit de voir Astolphe descendu de la lune sous la protection d’un saint évangéliste, diriger sa course chez les Nubiens, « vers une montagne d’où part le Vent austral qui souffle contre les deux ourses : il trouva la caverne d’où, par une étroite ouverture, ce furieux s’élance en se levant. […] « Ris-toi des changements de cet amas d’argile : « Comme ses animaux sa surface est fragile.
La littérature ne rit plus depuis près d’un siècle. […] — Oui, me répondit le poète, et Brasseur fait rire. Mais celui-là n’est pas laid pour rire. C’est pourquoi je ne ris pas. […] La gouvernante grondait, l’empereur riait et l’enfant paraissait recevoir avec plaisir les caresses bruyantes de son père.
Vous riez. […] Flaubert a mieux aimé rire, s’indigner et crier, en se tapant sur les cuisses : « Hein ! […] Pareillement, quelques-uns de nos romanciers se sont amusés à faire grimacer, outre mesure, les petits et les faibles, afin de secouer d’un gros rire le ventre des mandarins et des satisfaits. […] Le rire de Labiche, les plaisanteries de l’illustre Gaudissart et, au besoin, les indignations de M. […] Leur âme vagabonde parcourt le temps et l’espace, se prêtant aux mille formes où se déguisa la sensibilité humaine depuis que les hommes rient et pleurent.
On rit et on a la larme à l’œil. […] Je recours à l’Odéon, à l’instant où l’on reprend, une seconde fois, le dîner des sept petites filles, qui avec le bruit, les rires, la jacasserie qu’y a introduits Porel, sera bien certainement un des clous de la pièce5. […] C’est pour ces machines-là que vous avez le rire le plus large et la plume la plus enfiévrée d’éloge.
L’homme parle et dispute avec l’obscurité, Et la larme de l’œil rit du bruit de la bouche. […] Un seul homme debout, qu’ils nomment le songeur, Regarde la clarté du haut de la colline : Et tout, hormis le coq à la voix sibylline, Raille et nie ; et passants confus, marcheurs nombreux, Toute la foule éclate en rires ténébreux Quand ce vivant, qui n’a d’autre signe lui-même Parmi tous ces fronts noirs que d’être le front blême, Dit en montrant ce point vague et lointain qui luit : « Cette blancheur est plus que toute cette nuit132 ! […] Tu n’es pas responsable ; Ris de l’inaccessible, étant l’insaisissable171. » Puis Hugo répond en énumérant les conséquences morales qu’on peut tirer, à l’en croire, du système matérialiste : Pour tout dogme : « Il n’est point de vertus ni de vices ; » Sois tigre, si tu peux.
Le style s’élève : avec deux mots le poëte devient éloquent, justement au sortir du ton gouailleur ; il rit et s’indigne dans la même phrase, appelle tout à la fois la grenouille « bonne commère » et « parjure » ; tant l’imagination agile est prompte à suivre les apparences changeantes des choses et les variations des sentiments. […] Et quel brave petit dieu joyeux que Mercure, sachant les moeurs des gens, ayant le mot pour rire : « Tu as assez crié pour boire. » Du reste, il est moral justement de la façon qui convient à un dieu des voleurs. « Tu as dorénavant de quoi te faire riche ; sois homme de bien. » Mais surtout quel luxe, quelle profusion de détails, quelle insistance dans la prière, quelle surabondance de l’imagination qui déborde et se répand de tous côtés et noie le récit, troublée, emportée, ruisselante !
Son talent, sa gaieté, sa figure faisaient de lui l’idole des jeunes compagnons de Brutus ; les historiens font un charmant portrait de ce général enjoué, qui riait de tout, même de la mort. […] Je crois Ferney plus beau ; les regards étonnés, Sur cent vallons fleuris doucement promenés, De la mer de Genève admirent l’étendue, Et les Alpes, au loin s’élevant dans la nue, D’un large amphithéâtre embrassent les coteaux Où le pampre en festons rit parmi les ormeaux.
. — On voit que vous aimez à rire. […] Il sait que tout cet enchantement, pour lui, n’était qu’un jeu ; et il rit sur lui-même.