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495. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Tout ce que le peuple pouvait goûter d’émotions esthétiques lui venait par la religion : l’Église était la maison bénie où se dilatait son âme, opprimée par la dureté de la vie. […] Mais la source immédiate du drame, c’était la variation de l’office du jour, les prières ou le récit qui rappelaient l’acte divin, le saint, ou le martyr, dont l’office du jour consacrait particulièrement la mémoire ; c’était l’Evangile, les Actes des apôtres, ces délicieux poèmes de la religion naissante, que l’usage de l’Église découpait pour servir à l’éducation du peuple selon l’ordre de l’année chrétienne. […] Avec cela, le drame dévot devient une farce : la place que la religion garde dans l’ouvrage, c’est justement celle que lui fait l’âme bourgeoise dans la vie laïque. […] Vous aurez une idée légère de l’inénarrable pièce où Adam le Bossu a jeté tout à la fois ses rancunes et ses observations, toute son individualité, et la vie de cette ardente commune picarde, et jusqu’aux superstitions légendaires qui, à côté de la religion, maintenaient une idée du surnaturel dans ces natures matérielles : outre le dessin de l’œuvre, outre la verve des scènes populaires, il y a des coins de vraie poésie, tendre ou fantaisiste, où l’on n’accède parfois qu’à travers d’étranges et plus que grossières trivialités.

496. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Il a observé partout, dans les idées, dans les mœurs, et dans le gouvernement, la plus étrange confusion : les législateurs occupés à détruire ou neutraliser les effets de la Révolution, à restreindre la liberté, borner l’égalité ; l’autorité méprisée et redoutée, l’administration centralisée et oppressive ; le riche et le pauvre en face l’un de l’autre, se haïssant, ne croyant plus au droit, mais à la force ; les chrétiens épouvantés de la démocratie, qui est selon l’Évangile ; les libéraux hostiles à la religion, qui est essentiellement libérale ; les honnêtes gens en guerre contre la civilisation dont ils devraient diriger la marche : dans tout cela, le progrès évident, irrésistible, de l’égalité, partant de la démocratie. […] Il avait le sens des symboles, et la grandeur poétique, la plénitude morale du symbolisme chrétien l’ont saisi : à mesure que la religion du moyen âge se matérialisera, se desséchera, il pleurera cette grande ruine ; il cherchera de tous côtés les illuminés, les indépendants, les révoltés, qui ont gardé la vue de l’Idée et le contact de Dieu : il mettra en eux son amour et sa joie. […] Cependant Michelet écrira encore d’admirables pages, toutes pleines d’idées profondes et suggestives, sur la Renaissance, sur la Réforme, sur les guerres de religion : il nous donnera en tableaux merveilleux une vision précise, colorée du xvie  siècle. […] Là, son âme de poète, plus tendre, plus enthousiaste, plus juvénile que jamais, s’ouvre à la grande et divine nature, qui toujours, du reste, avait été la religion de son intelligence, la joie de ses sens.

497. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Impuissant à penser, il a le respect, la religion de la pensée : il a l’ambition d’être un penseur. […] Il demande à l’érudition la matière de sa poésie : ses poèmes sont une histoire des religions. […] De là, ce défilé des dieux et des religions qui sont les formes par où l’humanité tente toujours de tromper son ignorance et d’éterniser sa brièveté ; mais ces formes elles-mêmes passent, portant témoignage de l’universel écoulement et de l’éternelle illusion, démasquant le néant dans leur mélancolique succession. […] De chaque phénomène, il fixe la particulière beauté ; et ainsi le poète des religions se double d’un peintre de paysages et d’animaux.

498. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Ils persistent à rêver la réconciliation de la science et de la foi, de la religion et de la société moderne. […] Cette démonstration de la vérité du catholicisme par son rôle dans l’histoire et dans la société humaine, c’est quelque chose d’un peu bien arbitraire ; car l’histoire se pétrit aisément selon la fantaisie de qui s’en empare, et je ne vois pas une religion qui ne puisse tenter une démonstration de ce genre. Ajoutez qu’à défaut de l’histoire, qu’il savait juste assez pour l’interroger avec éloquence, Lacordaire se contentait parfois de l’anecdote et qu’il lui arrivait de prouver la vérité de la religion chrétienne par un mot de Jean-Jacques ou de Napoléon à Sainte-Hélène. […] La vérité de la religion catholique ne se démontre pas.

499. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Si le gouvernement du monde était un problème spéculatif, et que le plus grand philosophe fût l’homme le mieux désigné pour dire à ses semblables ce qu’ils doivent croire, c’est du calme et de la réflexion que sortiraient ces grandes règles morales et dogmatiques qu’on appelle des religions. […] Quant aux religions sémitiques, elles sont aussi peu philosophiques qu’il est possible. […] Le juif, au contraire, grâce à une espèce de sens prophétique qui rend par moments le sémite merveilleusement apte à voir les grandes lignes de l’avenir, a fait entrer l’histoire dans la religion. […] Mais en religion, c’est toujours le parti ardent qui innove ; c’est lui qui marche, c’est lui qui tire les conséquences.

500. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Et le mot dieu est employé dans un sens précis, puisque tu compares, naïf, « la religion de l’innocent » à « la religion du Christ ». Même la religion de l’innocent, innocent toi-même, te paraît singulièrement supérieure, car celle de Jésus fut longue à prendre, mit « quatre siècles à se formuler ». […] Vous souffletez les officiels de la religion, aussi ignorants de « la doctrine de Jésus » que nos francs-maçons de « celle de Pythagore, d’Hermès ou des maîtres de la Gnose ».

501. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Le fait est, si l’on met toute malice à part, que Mme Scarron, durant ces années les plus périlleuses, paraît n’avoir jamais été troublée par ses sens, jamais poussée par son cœur, et qu’elle était retenue par les deux freins les plus forts de tous, un amour de la considération qui, de son aveu, était sa passion dominante, et une religion précise et pratique dont elle ne se départit jamais : « J’avais, a-t-elle dit, un grand fonds de religion, qui m’empêchait de faire aucun mal, qui m’éloignait de toute faiblesse, qui me faisait haïr tout ce qui pouvait m’attirer le mépris. » Je ne vois pas de raison pour douter de cette parole, sauf accident. […] Si l’on peut entrevoir ici en Mme de Maintenon, pour peu qu’on y réfléchisse, la femme de quarante-cinq ans la plus experte et la plus consommée en l’art de nouer une trame, une intrigue mi-partie de sensualité et de sentiment, sous couleur de religion et de vertu, on doit reconnaître aussi le talent d’esprit qu’elle dut y mettre et ce charme de conversation par lequel elle amusait, éludait et enchaînait un roi moins ardent qu’autrefois et qui s’étonnait de prendre goût à cette lenteur toute nouvelle. […] Ajoutez la multitude d’affaires qui passaient par ses mains, celles de religion surtout et de conscience, car elle se croyait l’« abbesse universelle », a dit Saint-Simon ; et elle-même s’appelle la « femme d’affaires des évêques ».

502. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Hors de là, pleine de religion, de moralité et de bons enseignements, et justifiant l’éloge magnifique que lui a donné Érasme. […] « Ne parlons point de celle-là, dit le roi, elle m’aime trop : elle ne croira jamais que ce que je croirai, et ne prendra jamais de religion qui préjudicie à mon État. » Ce mot résume le vrai : Marguerite ne pouvait être d’une autre religion que son frère, et Bayle a très bien remarque, dans une très belle page, que plus on refuse à Marguerite d’être unie de doctrine avec les protestants, plus on est forcé d’accorder à sa générosité, à son élévation d’âme et à son humanité pure. […] Au point de vue de l’État, il peut y avoir quelquefois danger dans le sens de cette tolérance trop confiante et trop absolue : cela parut bien, du temps de Marguerite, à cette heure critique où la religion de l’État, et, partant, la constitution d’alors, faillit être renversée.

503. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

Jordan écrivit au roi une lettre dernière, dans laquelle, au milieu de l’expression d’une tendre reconnaissance, il touchait un mot de religion ; c’était comme une demi-rétractation de certaines plaisanteries qui avaient eu cours entre eux à ce sujet : Sire, mon mal augmente d’une façon à me faire croire que je n’ai plus lieu d’espérer ma guérison. Je sens bien, dans la situation où je me trouve, la nécessité d’une religion éclairée et réfléchie. Sans elle, nous sommes les êtres de l’univers les plus à plaindre… Comme on ne connaît la nécessité de la valeur que dans le péril, on ne peut connaître l’avantage consolant qu’on retire de la religion que dans l’état de souffrance. […] À défaut de la religion ou de la poésie, dont on lui voudrait quelque lueur, tel est du moins le sentiment sociable et amical encore qui préoccupe Frédéric jusque dans les horreurs de cette lutte prolongée.

504. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Pour lui, la vérité du catholicisme fut surtout d’être la religion de l’unité. […] Si le livre que voici avait une origine suspecte, s’il avait été publié par un homme opposé d’opinion ou de religion au comte de Maistre, dans le but d’abaisser sa gloire ou de la lui voler, ah ! […] Partout où règne une autre religion (ajoute-t-il encore), l’esclavage est de droit, et partout où cette religion s’affaiblit, le peuple devient en proportion précise moins susceptible de liberté générale ».

505. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Les catholiques, à peine accoutumés à leurs nouveaux alliés protestants, s’agitaient en divers sens et pouvaient se croire déliés ; les protestants, d’autre part, voyaient leur roi tout d’un coup promu au terme de ses espérances, mais par cela même sollicité et mis en demeure de les abandonner sur la religion. […] Et il lui conseille de ne point se soucier de ceux qui menacent de changer de parti si lui-même il ne change sur l’heure de religion : Gardez-vous bien de juger ces gens-là sectateurs de la royauté pour appui du royaume, ils n’en sont ni fauteurs ni auteurs… Quand votre conscience ne vous dicterait point la réponse qu’il leur faut, respectez les pensées des têtes qui ont gardé la vôtre jusques ici ; appuyez-vous, après Dieu, sur ces épaules fermes, et non sur ces roseaux tremblants à tous vents ; gardez cette partie saine à vous, et dedans le reste perdez ce qui ne se peut conserver. […] Ces défauts ou saillies de caractère nous mèneraient de même à comprendre en quoi d’Aubigné n’était (entre les hommes restés fidèles à sa même religion) ni un Du Plessis-Mornay, ni un Sully.

506. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Ma religion, c’est toujours le progrès de la raison, c’est-à-dire de la science. […] On y trouve également enraciné un vieux reste de catholicisme, l’idée qu’on reverra des âges de foi, où régnera une religion obligatoire et universelle, comme cela eut lieu dans la première moitié du Moyen Âge. […] L’histoire des religions est éclaircie dans ses branches les plus importantes.

507. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316

Ainsi l’exécution se fait avant que le patient soit préparé ; n’importe, dit Naigeon ; frappez, frappez fort, ce n’est guère que quelques goutes de sang, pour tout celui que sa maudite religion fera verser. ce sont deux instans confondus. […] Il ne s’agit pas dans ces morceaux de montrer au peuple comment Persée vainquit le dragon et lui ravit Andromède, mais de fixer ce point de religion dans sa mémoire. […] Prononcer que la superstition régnante soit aussi ingrate pour l’art que Webb le prétend, c’est ignorer l’art et l’histoire de la religion ; c’est n’avoir jamais vu la ste Thérèse du Bernin, c’est n’avoir jamais vu cette vierge, le sein découvert, à qui son petit tout nu sur ses genoux pince en se jouant le bout du téton.

508. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

Ce grignoteur de livres n’est que le trotte-menu de la raison, et cela lui en paraît le comble de séculariser une religieuse et une sainte, et d’expliquer son entrée en religion par les motifs les plus humains. […] En religion, les saints sont les héros, et elle était une héroïne, qui courait toujours au plus difficile, au plus escarpé, au plus terrible dans la discipline, dans la règle, dans la stricte observance ! […] Elle l’a appelée de cet avilissant nom d’intrigante, parce que la Carmélite, qui voyait clair dans ce malheureux monde qui s’en allait, s’occupait des intérêts de la religion — tout pour elle ! 

509. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXIII » pp. 133-140

M. de Maistre écrivait il y a bien longtemps : « Qu'on me donne la feuille des ordinations en France, et je pourrai prédire de grands événements. » Il voulait dire par là que, s’il avait vu, vers 1817, de grands noms, les enfants d’illustres familles entrer en foule dans le clergé pour réparer les brèches qu’avait faites l’impiété voltairienne de leurs pères, il aurait bien auguré de l’avenir de la religion en France. […] Saint-Marc Girardin a prêchée dans ses cours avec beaucoup de suite et de piquant, c’est la petite morale, comme il l’appelait, celle de tout le monde, celle de la société et du grand chemin, celle de la religion sans doute, mais celle aussi de l’intérêt bien entendu ; il sait la dose juste dans laquelle on peut combiner la générosité et l’utilité sans compromettre celle-ci ; il a constamment raillé, et souvent avec bien de la justesse, les enthousiasmes pompeux, les désintéressements à faux, toute l’exagération lyrique d’alentour.

510. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre V. Résumé. »

De là un déluge de plaisanteries sur la religion ; l’un citait une tirade de la Pucelle ; l’autre rapportait certains vers philosophiques de Diderot… Et d’applaudir… La conversation devient plus sérieuse ; on se répand en admiration sur la révolution qu’avait faite Voltaire, et l’on convient que c’était là le premier titre de sa gloire. « Il a donné le ton à son siècle, et s’est fait lire dans l’antichambre comme dans le salon. » Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, qu’un coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant : « Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois qu’un misérable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre »  On conclut que la révolution ne tardera pas à se consommer, qu’il faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place à la philosophie, et l’on en est à calculer la probabilité de l’époque et quels seront ceux de la société qui verront le règne de la raison  Les plus vieux se plaignaient de ne pouvoir s’en flatter ; les jeunes se réjouissaient d’en avoir une espérance très vraisemblable, et l’on félicitait surtout l’Académie d’avoir préparé le grand œuvre et d’avoir été le chef-lieu, le centre, le mobile de la liberté de penser. « Un seul des convives n’avait point pris de part à toute la joie de cette conversation… C’était Cazotte, homme aimable et original, mais malheureusement infatué des rêveries des illuminés.

511. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Léon Cladel »

D’impression et d’enfance, il est de cette religion qu’on peut appeler la religion des peintres, et d’où sont sortis Michel-Ange et Raphaël.

512. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Nous avons la religion de la famille, et nous ne voulons pas que la littérature peigne les passions qui attaquent la vie de famille. […] Il y mûrit au double souffle de la religion et de la morale ; on sait quels sont leur popularité et leur empire au-delà du détroit. […] Nous avons eu jadis nos hypocrites ; mais c’est lorsque la religion était populaire. […] La religion anglaise est peu dogmatique et toute morale. […] La politique, les affaires et la religion, comme trois puissantes machines, ont formé, par-dessus l’homme ancien, un homme nouveau.

513. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Son oisiveté le consumait autant que son génie ; il y faisait diversion par une immense correspondance avec tous les esprits supérieurs de l’Europe qui sympathisaient avec ses principes en religion ou en monarchie. […] Il y a trop de sophiste dans le comte de Maistre : dans sa politique il y a trop de passion d’esprit ; dans sa religion il y a trop d’exagération d’idées ; dans ses prophéties il y a trop de jactance ; dans son style même, le plus réel de ses titres, il y a encore trop de facétie. […] Nous ne croyons donc pas que les ouvrages théologiques du comte de Maistre aient fait aucun bien à la religion. […] Il ne lui manque, en religion et en politique, qu’une chose : le sérieux, qui est la dignité des convictions ; il procède trop souvent, comme le caprice, par sauts et par bonds. […] … Vous le voyez, toutes vos conjectures sur le renouvellement des religions et du monde ont été trompées.

514. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

L’amour et la religion, ces deux idolâtries de leur cœur, avaient en lui leur représentant dans un même homme. […] Ce vrai mot était personnalité du génie ; il voulait être en règle avec le passé par la religion, avec le présent par l’aristocratie du faubourg Saint-Germain, avec l’avenir démocratique par ses pressentiments de république. […] Je voulais prévenir l’élimination en ne prétendant pas à la faveur ; de plus je n’ai jamais aimé les conciliabules d’invités ; je suis un homme de plein air ; l’esprit de parti m’asphyxie ; je ne puis le respirer, ni en religion, ni en politique, ni en littérature. […] Passionnée pour le Génie du Christianisme, qui lui avait révélé la poésie de sa foi, elle aurait donné tous les spectacles pour le spectacle de ce beau front d’où était sortie cette renaissance de la religion antique. […] Elle avait tant vu familièrement la célébrité et la passion, qui n’avaient pas fait le bonheur de sa mère, qu’elle avait appris dès l’enfance à n’estimer que la vertu ; mais cette vertu était libre et grande, une vertu antique ; sa religion ne rétrécissait rien de ses pensées, sa foi donnait à sa physionomie une expression grave comme celle des femmes qui sortent des temples où elles ont eu commerce avec Dieu ; elle sortait à toute heure de l’infini.

515. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Le mot littérature, dans sa signification la plus universelle, comprend donc la religion, la morale, la philosophie, la législation, la politique, l’histoire, la science, l’éloquence, la poésie, c’est-à-dire tout ce qui sanctifie, tout ce qui civilise, tout ce qui enseigne, tout ce qui gouverne, tout ce qui perpétue, tout ce qui charme le genre humain. […] C’est ce qu’on appelle la théologie, la religion, le sacerdoce, la morale, la philosophie d’un peuple : La théologie, science de Dieu et de l’âme, la première et la dernière de toutes les sciences, celle qui commence tout, celle qui finit tout, celle qui contient tout. […] Mais avant nous devons dire ce que nous pensons de l’origine des théologies, des religions, des morales, des philosophies sur la terre, à ces époques antéhistoriques de l’humanité. […] XIX Mais, dès les âges les plus reculés aussi, une autre philosophie, la philosophie de la réalité, la véritable expression de l’homme complexe, âme et corps, une philosophie qui est raison et religion tout ensemble, vérité et consolation à la fois, une philosophie dont on retrouve les dogmes et les préceptes dans les premiers monuments littéraires de l’Inde, a réfléchi au lieu de rêver, et a trouvé dans la douleur même les deux seuls remèdes à la douleur : l’acceptation et la sanctification. […] Et ces hymnes sacrés des Védas se chantaient dans l’Inde on ne sait combien de siècles avant la religion des Brahmanes, et la religion des Brahmanes avait été remplacée par celle de Bouddha, et celle de Bouddha était déjà vieillie du temps de la conquête d’Alexandre, c’est-à-dire trois cent vingt-six ans avant Jésus-Christ.

516. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

On ne reconnaîtrait plus si bien l’homme de toutes les autorités qui soient sur la terre, — qui fit de l’autorité une religion, et qui eut la religion de l’autorité. […] Mais le philosophisme, c’est la religion de Diderot et de Danton, c’est l’athéisme, c’est la Nature, voilà la chose sacrée, la vraie religion des penseurs de l’avenir, voilà le progrès ! […] elle en avait le droit, si elle était la seule vérité, la seule religion, comme M.  […] Tel était le culte et l’une des formes de la nouvelle religion. […] Quand il faut enfin serrer son idée et se prendre à une réalité, même la religion de Chaumette, le culte de la Raison, pour lequel, on le sait, il avait incliné d’abord et montré une respectueuse tendresse, est abandonné, et il revient à cet athéisme plus franc, qui ne voit de Dieu que dans la Révolution, dont « la France, dit-il, est le prêtre armé dans l’Europe, et qui doit évoquer du tombeau tous les peuples ensevelis ».

517. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Bons ou mauvais, les dieux sont des animaux ou des hommes : des femmes, dans la religion civilisée. […] Mais il faut considérer séparément les religions et le personnel du culte ; et si l’on veut connaître une religion c’est le peuple, et non les prêtres, qu’il faut interroger. […] Il faut laisser mourir les vieilles religions et redouter qu’il en naisse de nouvelles. […] Cependant si on ôtait de Pascal tout ce que la religion a surajouté à son génie. […] » Mais, si Ja biologie ne répond pas, est-ce la métaphysique, peut-être, qui répondra, ou la religion ?

518. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Nous pourrons toucher ce point, en passant, lorsqu’il sera question de la peinture et des influences réciproques des religions sur les arts, et des arts sur les religions. […] La religion catholique se fit gloire d’être la mère de la peinture moderne. La peinture, à son tour, fit mine de propager la religion qui lui avait donné naissance. […] Ainsi cette religion commença de se perdre par où elle croyait régner d’autant plus. […] La sculpture et l’architecture achèveront de faire voir les influences réciproques des religions sur les arts et des arts sur les religions ; — faits mixtes et complexes, psycho-physiologiques.

519. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

On peut découvrir demain toute l’Égypte et toute l’Inde, lire au cœur des religions antiques, en tenter de nouvelles, l’ode d’Horace à Lycoris n’en sera, ni plus ni moins, une de ces perles dont nous parlons. La science, les philosophies, les religions sont là, à côté, avec leurs profondeurs et leurs gouffres souvent insondables ; qu’importe ? […] Voilà ce que nous avions besoin de nous dire avant de nous remettre, nous, critique littéraire, à l’étude curieuse de l’art, et à l’examen attentif des grands individus du passé ; il nous a semblé que, malgré ce qui a éclaté dans le monde et ce qui s’y remue encore, un portrait de Regnier, de Boileau, de La Fontaine, d’André Chénier, de l’un de ces hommes dont les pareils restent de tout temps fort rares, ne serait pas plus une puérilité aujourd’hui qu’il y a un an ; et en nous prenant cette fois à Diderot philosophe et artiste, en le suivant de près dans son intimité attrayante, en le voyant dire, en l’écoutant penser aux heures les plus familières, nous y avons gagné du moins, outre la connaissance d’un grand homme de plus, d’oublier pendant quelques jours l’affligeant spectacle de la société environnante, tant de misère et de turbulence dans les masses, un si vague effroi, un si dévorant égoïsme dans les classes élevées, les gouvernements sans idées ni grandeur, des nations héroïques qu’on immole, le sentiment de patrie qui se perd et que rien de plus large ne remplace, la religion retombée dans l’arène d’où elle a le monde à reconquérir, et l’avenir de plus en plus nébuleux, recélant un rivage qui n’apparaît pas encore. […] Sa vie bienfaisante, pleine de bons conseils et de bonnes œuvres, dut lui être d’un grand apaisement intérieur ; et toutefois peut-être, à de certains moments, il lui arrivait de se redire cette parole de son vieux père : « Mon fils, mon fils, c’est un bon oreiller que celui de la raison ; mais je trouve que ma tête repose plus doucement encore sur celui de la religion et des lois. » — Il mourut en juillet 178491. […] On était dans un siècle d’analyse et de destruction, on s’inquiétait bien moins d’opposer aux idées en décadence des systèmes complets, réfléchis, désintéressés, dans lesquels les idées nouvelles de philosophie, de religion, de morale et de politique s’édifiassent selon l’ordre le plus général et le plus vrai, que de combattre et de renverser ce dont on ne voulait plus, ce à quoi on ne croyait plus, et ce qui pourtant subsistait toujours.

520. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Michelet est un déiste, qui croit que les fleurs, l’histoire naturelle et le déisme, cette religion cul-de-jatte, sont les meilleures garanties de la vertu et du bonheur des femmes. […] j’en suis fâché, non pour Michelet, qui est mort, mais pour ses coreligionnaires, — si on peut dire coreligionnaires de gens sans religion comme eux ; j’en suis fâché, car ils vont être humiliés : Michelet n’est qu’un misérable chrétien retourné ! […] Michelet, dans ce Cours, qui fut pour lui ce que, dans un autre temps, fut pour Massillon son Petit Carême, car l’étudiant, pour Michelet, c’est le petit roi de l’avenir ; Michelet a prêché l’établissement de la religion révolutionnaire, qui est une religion sans Dieu, avec les formules et les sentiments du Christianisme. C’est, ne nous y méprenons pas, de l’anthropomorphisme pur, que cette religion nouvelle.

521. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

» De nos jours encore, dans ces deux grands Empires qui sont, moralement comme géographiquement, sur la limite de l’Europe, c’est l’adhésion à la religion d’État, c’est la prise du turban on le passage par les cuves orthodoxes qui confère tous les droits. Les Musulmans n’ont pas le préjugé de la naissance, et l’hétérogénéité des races ne les choque pas ; mais en revanche ils ne sauraient supporter l’hétérogénéité des religions. […] Un rythme, rendu sensible par une histoire à vol d’oiseau des gouvernements des législations, des religions, de la technique, tend, suivant M.  […] Elles aussi tendent vers l’universalité ; les dogmes précis, apanages d’une secte, d’une cité, ou d’une nation font place peu à peu à des croyances vagues qui embrassent le monde, et, en même temps qu’elles s’élargissent, se fondent d’ailleurs les unes dans les autres ; c’est l’âge des « congrès de religions ». […] Les croyances dernières apparaissent de plus en plus comme choses toutes personnelles. — si bien qu’on a pu dire, en un sens, qu’une seule foi commune nous reste, la religion de l’individu149.

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