Il a donné ensuite deux autres recueils : L’Oasis (1880) où il s’est montré profondément tendre et humain, et les Anniversaires (1887), qui révèlent une réelle puissance poétique et une grande souplesse de rythme.
Un pareil verdict répond donc à un état de sensibilité, réel chez certains êtres, et qui parvient d’ailleurs à se complaire à lui-même en des attitudes de détachement religieux ou esthétique : des hommes qui ressentent la vie comme une souffrance trouvent en ces postures une méthode et un moyen anticipé pour se soustraire à la vie.
Les principaux traits de cet autre moment si bien rempli furent la suprématie, le culte de l’Art considéré en lui-même et d’une façon plus détachée, un grand déploiement d’imagination, la science des peintures, l’histoire entamée dramatiquement, évoquée avec souffle, comme dans le Cinq-Mars et le Cromwell, la reproduction expressive du Moyen-Age mieux envisagé, de Dante et de Shakspeare compris à fond ; on perfectionna, on exerça le style ; on trempa le rhythme ; la strophe eut des ailes ; on se rapprochait en même temps de la vérité franche et réelle dans les tableaux familiers de la vie. […] Ce n’étaient pas des couleurs combinées, surajoutées par un procédé successif, mais bien le réel se dorant çà et là comme un atome à un rayon du matin, et s’envolant tout d’un coup au regard dans une transfiguration divinisée. […] Ces personnages mêmes, l’artiste les a poussés d’ordinaire au profil le plus vigoureux et le plus simple, au langage le plus bref et le plus fort ; dans sa peur de l’épanchement et de ce qui y ressemble, il a mieux aimé s’en tenir à ce qu’il y a de plus certain, de plus saisissable dans le réel ; sa sensibilité, grâce à ce détour, s’est produite d’autant plus énergique et fière qu’elle était nativement peut-être plus timide, plus tendre, plus rentrée en elle-même ; elle a fait bonne contenance, elle s’est aguerrie et a pris à son tour sa revanche d’ironie sur le siècle : de là une manière à part, à laquelle toutes les autres qualités de l’auteur ont merveilleusement concouru. — Esprit positif, observateur, curieux et studieux des détails, des faits, et de tout ce qui peut se montrer et se préciser, l’auteur s’est de bonne heure affranchi de la métaphysique vague de notre époque critique, en religion, en philosophie, en art, en histoire, et il ne s’est guère soucié d’y rien substituer.
Ces mêmes jugements, dont l’autorité est fragile si l’on prétend leur conférer une infaillibilité factice, gardent une valeur très réelle si on les considère seulement comme des présomptions. […] On s’accordera, je pense, à reconnaître qu’une description de Théophile Gautier est saisissante pour les yeux ; que la Nuit d’Octobre est émouvante ; qu’un roman de Voltaire fait penser ; que le Qu’il mourût du vieil Horace est d’une héroïque vigueur ; que le Corbeau d’Edgar Poe emporte l’imagination bien au-delà du monde réel. […] Ainsi encore un poème mystique ou un conte fantastique, s’il déroule un chapelet d’aventures extravagantes que ne rattache aucun lien logique ; s’il nous montre des êtres avec lesquels nous ne pouvons pas sympathiser, parce qu’ils n’ont plus rien de commun avec nous ; si, au lieu d’être un prolongement ou une transfiguration du réel, il se met en pleine contradiction avec lui, ce n’est plus qu’une chevauchée dans l’absurde et dans l’impossible, la folle aberration d’un cerveau malade. « Je veux qu’un conte, disait Voltaire avec raison34, soit fondé sur la vraisemblance et qu’il ne ressemble pas toujours à un rêve.
Mais cet homme habile, en voulant se tourner du côté du soleil levant, ne sut pas s’orienter avec une parfaite justesse : il avait fait de longue main sa cour à la maîtresse du prince, la croyant destinée à l’influence, et il avait négligé la femme légitime, la future reine, qui pourtant eut seule le crédit réel. […] Lorsque, deux ans après, en 1744, il entra pourtant dans l’administration, d’abord comme ambassadeur à La Haye et vice-roi d’Irlande, puis même comme secrétaire d’État et membre du cabinet (1746-1748), ce ne fut qu’à titre plus spécieux que réel. […] Et puis, l’objet de son idéal secret et de son ambition réelle, nous le savons à présent.
Après le premier sentiment d’intérêt et d’admiration pour cette jeune, simple et généreuse victime, on sent le besoin, afin même de mieux l’admirer, de se l’expliquer tout entière, de se rendre parfaitement compte et de sa sincérité et des mobiles qui la faisaient agir, du genre de foi qu’elle y attachait ; et la pensée va encore au-delà, elle va jusqu’à s’enquérir de ce qu’il pouvait y avoir de réel dans le fond de son inspiration même. […] Quoi qu’il en soit de cette perte irréparable, on a de sa bouche une série de réponses qui constatent son état réel dès l’enfance. […] Quand j’ai insisté sur le côté énergique et un peu rude de la noble bergère, loin de moi l’idée de lui refuser le don de douceur, douceur qui n’en était que plus réelle et sentie pour ne pas être excessive !
Pour en finir sur ce chapitre, qui ne saurait être le nôtre, je dirai que ce ne fut qu’après un assez grand nombre de volumes que Buffon, instruit peu à peu par la pratique et par les descriptions auxiliaires de Daubenton, en vint à former des classifications plus réelles et plus fondées sur l’observation comparée des êtres en eux-mêmes. […] Buffon n’y présente point son hypothèse comme réelle, mais comme un simple moyen de concevoir ce qui a dû se passer d’une manière plus ou moins analogue, et de fixer les idées sur les plus grands objets de la philosophie naturelle. […] Il a traité ce roman sublime avec la précision achevée qu’il aurait mise à une description de la nature existante et réelle.
Les forces isolées s’annulent, l’idéal et le réel sont solidaires. […] Ossian, parfaitement certain et réel, a eu un plagiaire ; ce n’est rien ; mais ce plagiaire a fait plus que le voler, il l’a affadi. […] Entrer en passion pour le bon, pour le vrai, pour le juste ; souffrir dans les souffrants ; tous les coups frappés par tous les bourreaux sur la chair humaine, les sentir sur son âme ; être flagellé dans le Christ et fustigé dans le nègre ; s’affermir et se lamenter ; escalader, titan, cette cime farouche où Pierre et César font fraterniser leurs glaives, gladium gladio copulemus ; entasser dans cette escalade l’Ossa de l’idéal sur le Pélion du réel ; faire une vaste répartition d’espérance ; profiter de l’ubiquité du livre pour être partout à la fois avec une pensée de consolation ; pousser pêle-mêle hommes, femmes, enfants, blancs, noirs, peuples, bourreaux, tyrans, victimes, imposteurs, ignorants, prolétaires, serfs, esclaves, maîtres, vers l’avenir, précipice aux uns, délivrance aux autres ; aller, éveiller, hâter, marcher, courir, penser, vouloir, à la bonne heure, voilà qui est bien.
Toutes les fois que cette littérature noble n’avait pas dédaigné l’autre source réelle et naturelle du fonds national, et qu’elle s’y était franchement trempée, elle y avait acquis une vie et comme une allégresse singulière, et s’était sauvée de l’affadissement. […] On ferait preuve d’un esprit bien superficiel en n’y voyant que des accidents particuliers auxquels se serait pris le poëte : Béranger a dramatisé, sous ces figures populaires, toute une économie politique impuissante, tout un système d’impôts écrasants ; il a touché en plein la question d’égalité réelle, du droit de chacun à travailler, à posséder, à vivre, la question, en un mot, du prolétaire.
Tout cela reste juste, et pourtant dans la vie réelle, dans l’exacte ressemblance, les choses ne se passent jamais tout à fait ainsi : M. […] Il ne serait pas impossible, nous le croyons, d’arriver à donner le sentiment réel, vivant et presque dramatique de l’histoire, par l’excellence même du récit ; et, au besoin, les belles pages narratives par lesquelles M.
Les luttes au-dedans qui ont succédé à la victoire, bien que vives à leur tour et réelles, n’ont jamais soulevé une sérieuse discorde civile ni changé l’enceinte législative en arène. […] Jefferson l’appelle quelque part la révolution de 1800 : « Car, dit-il, c’en fut une réelle dans les principes, comme celle de 1776 en avait été une dans la forme du gouvernement ; elle ne fut pas, il est vrai, comme la première, accomplie par la force des armes, mais par le suffrage du peuple, instrument de toute réforme paisible et rationnelle. » Il est douteux pourtant que si Jefferson n’avait pas lutté, comme il l’a fait, pied à pied, seul de son bord au sénat qu’il présidait en qualité de vice-président, durant l’administration d’Adams ; tandis que M.
Cervantès, au contraire, héros bafoué par la vie, crée un être réel et noble, puis il le livre à l’insulte des basses réalités. […] Il faut s’évader, il le comprend, « des moules sociaux où la civilisation nous enferme », car ils « n’ont pas avec nos formes réelles une plus exacte relation que les figures conventionnelles des constellations avec la véritable carte stellaire ». — Triomphe moins vraisemblable et qui paraît la victoire définitive de la thèse : Phillotson, le vieux mari de Suzanne, et qui aime Suzanne, est persuadé par les arguments de sa femme.
Mais, s’il en est ainsi, d’où vient donc qu’on s’arrête devant les travaux photographiques avec curiosité toujours, avec admiration quelquefois, mais qu’on n’est jamais impressionné ; tandis qu’un paysage réel (le moins compliqué) un coin de verdure, un arbre, un ruisseau, nous fait rêver des heures entières ? […] Parfois il vous semble entrevoir ces figures étranges, ces monstres, que l’œil devine dans les arbres réels.
Abaisser le voltairianisme contemporain : voilà la réelle signification de cet ouvrage ! […] Son génie, qui fut tout action, pose ici admirablement dans son action même, et les soixante volumes qu’on a de lui, et qui ne sont pas ses plus grands chefs-d’œuvre, ne valent pas, pour bien s’attester sa valeur réelle et suprême, cette chronique pied à pied, — cette espèce de livre de loch de sa vie où l’historien et le flibustier apportent l’un son masque, l’autre sa plume et sa plaisanterie taillée en stylet.
Ils croiront que ce Nicolas Gogol, au nom si harmonieusement sauvage, est quelque Edgar Poe… ukrainien ou zaporogue, et ce sera une erreur dont ils s’apercevront bien vite, pour peu qu’ils ouvrent ces deux volumes, dont la prétention, au contraire, est d’être cruellement réels. […] Il possédera des âmes qui, aux yeux du fisc, existent tout le temps que la révision des listes n’est pas faite ; et, muni de ses titres de vente, il empruntera sur ces âmes fictives au Lombard (le Mont-de-Piété en Russie), des sommes parfaitement réelles.
Seulement, pour que le coup de balai fût réel, il faudrait un autre manche que le génie de M. […] Je ne sache rien de plus contestable, de moins approfondi, de moins approchant du réel, que cette philosophie de l’histoire à quoi se réduit, en somme, l’œuvre de M.
Les Trente-deux Duels de Jean Gigon 11, nous assure leur historien, sont une histoire réelle, et il se donne beaucoup de mal pour nous le persuader. […] Tout ce qui est vrai est assez réel.
On sacrifie presque toujours alors des facultés réelles à des prétentions incertaines. […] Le bon moment pour naître, l’étonnant fanatisme, cela allait jusque-là, d’un critique célèbre, sans enthousiasme, mais, au contraire, habituellement difficile et hargneux, l’influence de la Revue des Deux-Mondes, aussi réelle alors qu’elle est nulle maintenant, tout, jusqu’à la rareté de ses publications, — rareté qui tenait même à la nature de son talent, — facilita la fortune littéraire de M.
Seule immortalité réelle, c’est elle qui donne pleinement le droit aux croyants de prendre en pitié les poursuivants d’une ombre. […] Nos idées de l’espace et du temps, passées au crible de l’analyse, ont paru à certains philosophes vides de tout contenu réel. […] La chose écrite serait-elle donc plus réelle que la chose qui est ? […] La première, je le sais, est une chose réelle ; la seconde, une idée imaginaire. […] Ce serait abandonner pour une chance fort incertaine le réel, le solide, et, pour l’ombre, lâcher le corps.
Certains livres catholiques se vendent si bien en France et sont pour les auteurs d’un profit si réel, qu’on assure que M. de Lamennais, ruiné depuis longtemps, a surtout vécu et vit encore de la vente des éditions de son Imitation de Jésus-Christ et de sa Journée du chrétien.
Jules Barbey d’Aurevilly Nous aimons à louer, avec ferveur et sympathie, un talent très réel, très ému, très naturel et aussi très cultivé, mais il faut bien reconnaître que M. de Châtillon, triple artiste, peintre, sculpteur et poète, qui n’est pas un jeune homme sans expérience, et dont le début pour le public n’est pas un début pour la muse, n’a pas su préserver un talent d’une inexprimable délicatesse, des épaisseurs et des grossièretés de l’art de son temps.
Elles sont tombées, parce qu’elles n’avoient pas le même mérite, & il n’y a qu’un mérite réel qui puisse soutenir un Ouvrage dans tous les temps & dans tous les états.
Cependant qu’on se rassure : l’étude du passé n’a rien d’exclusif ni d’absolu ; savoir n’est pas reculer ; donner la vie idéale à qui n’a plus la vie réelle n’est pas se complaire stérilement dans la mort. […] Il est bien entendu que la rigueur de ce jugement n’atteint pas quelques hommes d’un talent réel qui, dans un sentiment très large de la nature, ont su revêtir leur pensée de formes sérieuses et justement estimées. […] L’héroïque bataillon des élégiaques verse moins de pleurs réels que de rimes insuffisantes. […] Sauf de rares morceaux pleinement venus, il y a dans ce gémissement continu une telle absence de virilité et d’ardeur réelle, cette langue est tellement molle, efféminée et incorrecte, le vers manque à ce point de muscles, de sang et de nerfs, qu’il est impossible d’en poursuivre la lecture et l’étude sans un intolérable malaise. […] L’art n’a pas mission de changer en or fin le plomb vil des âmes inférieures, de même que toutes les vertus imaginables sont impuissantes à mettre en relief le côté pittoresque, idéal et réel, mystérieux et saisissant des choses extérieures, de la grandeur et de la misère humaines.
Affermis sur la bâse de l’intérêt public & de la connoissance réelle de l’homme, ils dirigeront les idées Nationales ; les volontés particulieres sont entre leurs mains. […] Il faudroit avoir une idée profonde & juste & de l’image réelle & de l’imitation parfaite, pour déterminer, avec précision, le sens de ce mot abstrait. Les Peuples policés appellent goût ce qu’ils imaginent être la perfection de leurs Arts ; & les individus, ce qui forme la limite réelle de leur talent. […] C’est que le pédantisme a toujours pris le manteau de l’antiquité pour mieux cacher sa sottise & sa nudité réelle. […] L’Anglois lui doit sans contredit la supériorité réelle de ses Tragédies sur celles que l’on a faites en France.
Dujardin écrivit cette extraordinaire trilogie d’Antonia, où plus rien de réel ne subsiste, qui finit par une ode triomphale à l’Absolu et qui semblait donc faite à peine pour les austères et sublimes joies de la lecture solitaire.
Dès qu’ils rencontrent un Athlete réel, ils esquivent le combat, & croient suppléer, par des pantalonnades, à ce qui leur manque du côté de la vigueur.
Il a même alors la véritable allégorie, sans avoir la sécheresse qui l’accompagne, ces esprits pervers étant en effet des êtres réels, et tels que la religion nous permet de les croire.