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691. (1886) Le roman russe pp. -351

À partir de ce moment, l’humble famille des écrivains devient foule et puissance ; sa richesse fait notre embarras, comme auparavant sa pauvreté. […] Le chant d’Igor contient en puissance toute la poésie lyrique du dix-neuvième siècle russe. […] Pour la première fois, Gogol a su mettre une vraie puissance de terreur dans la lutte du pauvre clerc contre le fantôme. […] Je ne sais même si l’auteur et ses premiers lecteurs aperçurent toute la puissance de cette opposition. […] Jamais encore Tourguénef n’avait poussé aussi loin la puissance créatrice, le don de l’observation minutieuse.

692. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre III. De la comédie grecque » pp. 113-119

Le malheur, la puissance, la religion, le génie, tout ce qui frappait l’imagination des Athéniens excitait en eux une sorte de fanatisme ; mais cette impression se détruisait avec la même facilité, dès qu’on en substituait une autre également vive.

693. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

Par cette puissance, l’imagination reproduit et remplace la vue ; le livre tient lieu de l’objet ; la phrase rend présente la chose qui n’est pas là.

694. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre X »

Il n’est pas possible qu’une langue littérairement aussi vivante ait perdu sa vieille puissance verbale ; il suffira sans doute que l’on proscrive à l’avenir tout mot grec, tout mot anglais, toutes syllabes étrangères à l’idiome, pour que, convaincu par la nécessité, le français retrouve sa virilité, son orgueil et même son insolence.

695. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

« Ils habitaient en leur puissance à Worms sur le Rhin. […] « Ils ont ici aux bords du Rhin une trop grande puissance ; c’est pourquoi je ne veux pas vous conseiller la lutte ; ils seraient trente contre un. […] Personne ne peut se figurer avec quelle puissance cette immense troupe chevauchait dans le pays. […] avec quelle puissance elle occupa la place d’Helche ! […] « Quand ceux qui devaient veiller sur eux les eurent quittés, la puissance d’Etzel les protégea sur tous les chemins.

696. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Ils sont des éducateurs et des nourriciers ; ils nous élèvent et nous fortifient : quand ce n’est pas directement par leurs idées, c’est par la puissance de leurs peintures, par leurs analyses si profondes et si déliées, à représenter la vie humaine ; c’est par les nobles sentiments qu’ils prêtent à leurs personnages et qu’ils tirent de leurs cœurs pour relever les nôtres. […] La moelle de chaque siècle, ajoutée à la leur, accroît leur force, leur puissance et leur joie. […] Je l’ai, autant que j’ai pu, réchauffé et excité à se venger en faisant quelque nouveau Cid qui attire les suffrages de tout le monde ; mais il n’y a pas moyen de l’y résoudre, et il ne parle plus que de règles, et que des choses qu’il eût pu répondre aux Académiciens, s’il n’eût point craint de choquer les puissances. » Pendant trois ans il ne fit rien représenter. […] C’est dans cette variété touffue qu’éclate la puissance du génie. […] Ou bien encore les vers suivants : Lorsque le déshonneur souille l’obéissance, Les rois peuvent douter de leur toute puissance ; Qui la hasarde alors n’en sait pas bien user, Et qui veut pouvoir tout ne doit pas tout oser.

697. (1900) La culture des idées

Peut-on supposer que la religion qui avait modifié la nature de ses perceptions avait en même temps diminué la puissance physiologique de son cerveau ? […] Des êtres surnaturels flottaient dans les imaginations qui n’étaient ni des anges, ni des démons, mais des Puissances que pouvait se soumettre l’intelligence de l’homme. […] Le véritable ciment d’une communauté, c’est l’égoïsme ; au moment qu’un homme se fortifie et se grandit, il assure par cela même la santé et la puissance de la république. […] Cette seconde cause est la plus forte ; elle peut anéantir la première ; mais si elle s’y ajoute, au lieu de la contrarier, elle peut acquérir une puissance indestructible. […] Pour cela, il est châtié éternellement, car il a voulu nier, par orgueil, les conditions même, de la vie de relation, telles qu’elles nous sont imposées ; il avait obéi aux propres suggestions de ses enfants, de ses pensées, de son égoïsme, et l’égoïsme eut plus de puissance que l’amour, — « et la faim eut plus de puissance que la douleur.

698. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Les Anglais traitent les hommes comme ils traiteraient des forces naturelles dont ils ne connaîtraient pas la puissance exacte. […] Eh bien, il n’y en a pas chez qui les vieux sentiments germaniques se traduisent avec plus de puissance et se présentent avec plus de pureté. […] Oui, voilà jusqu’où mon art avec votre aide a pu porter sa puissance ! […] Shakespeare s’inquiète moins de faire un drame que de rendre sa conception par tous les moyens possibles et avec toute la puissance vitale qu’il sent remuer en lui. […] Voilà la puissance qui manque au livre d’Elis Wyn ; écrit avec un talent vrai et une singulière force descriptive, il n’est cependant qu’un livre de secte.

699. (1896) Études et portraits littéraires

Mais Taine, nous savons ce qu’il entend par là : un groupe de puissances, ou mieux, de faits. […] C’est un être, une personne ; ou plutôt c’est une puissance figurée en un géant synthétique. […] Qu’il travaille à développer, actuer, avons-nous dit, ce qu’il possède en puissance. […] Si cette puissance lui manque, la prise maîtresse lui échappe. […] Nulle part il ne sentait mieux « la puissance et la bonté du printemps ».

700. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Noble faculté qui, à ce degré de développement, appelle et subordonne à elle toutes les passions de l’être et ses autres puissances ! […] Chacun de ces commencements, d’ordinaire, forme deux ou trois feuillets de sa grosse écriture d’écolier, de cette écriture qui avait comme peur sans cesse de ne pas être assez lisible ; et la tirade s’arrête brusquement, coupée le plus souvent par des x et y, par la formule générale pour former immédiatement toutes les puissances d’un polynôme quelconque : je ne fais que copier. […] L’absence, la douleur et l’exaltation chaste les réveillèrent avec puissance. […] Votre imagination est une bien cruelle puissance qui vous subjugue et vous tyrannise.

701. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Astolphe raconte la puissance et les merveilles de ses enchantements : après l’avoir aimé deux mois, Alcine se dégoûte de lui par un nouveau caprice ; pour se débarrasser de lui, elle l’a changé en arbre dans cette forêt, toute peuplée de ses amants, métamorphosés comme lui. […] Roger le foudroie en découvrant son écu magique, qui a la puissance d’éblouir et d’atterrer tout ce qui est frappé de son éclat ; profitant de l’éblouissement du monstre engourdi, Roger déchaîne Angélique, la fait monter en croupe sur l’hippogriffe, part à travers les airs et ne peut s’empêcher de se retourner souvent pour admirer trop amoureusement celle qu’il a sauvée. […] Vous pouvez donc dire à votre belle maîtresse que mon chien peut passer en sa puissance, mais il n’est aucun trésor qui le puisse payer. » XIII La fin de ce récit, quoique ingénieuse, est cynique ; on regrette que la plume presque incontaminée de l’Arioste s’y soit salie d’une image plus qu’obscène. […] Quoi qu’il en fût, ce livre, commencé dans la gaieté, se terminait dans la mélancolie ; l’imagination, à dix-neuf ans et à vingt-sept ans, est une puissance qu’il ne faut pas solliciter trop vivement, même par des badinages ; les feux follets de l’Arioste ont pu allumer quelquefois des volcans du cœur.

702. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Or, que les théâtres d’opéra représentent des opéras, et qu’ils représentent cette merveille exquise, où est, suprêmement, la dernière puissance expressive de l’opéra, Lohengrin, le plus beau et le dernier des opéras ! […] Pour nous apprendre l’inénarrable puissance de ce secret, Wagner nous montre d’abord la beauté ineffable du sanctuaire, habité par un Dieu qui venge les opprimés, et ne demande qu’amour et foi à ses fidèles. […] Et le Mage sera Beethoven, éclairant son tableau de l’Apparence à la Lumière intérieure de son Univers, univers profond où gît l’Être réel des choses : Beethoven créant, en pleine conscience, les forêts et les couples, et le torrentueux Océan des émotions humaines ; Beethoven, pénétré d’un indicible Contentement, à la vue de sa puissance, souriant à l’Illusion qu’il a créée, reprenant, pour se jouer, en charmeur, avec elle, toute la Douleur de l’Etre. […] Nous assistons à un véritable réveil, dans cette évolution de la musique instrumentale à la musique vocale, dans ce fait si mémorable, si précieux pour la théorie générale esthétique, et dont l’explication, au propos de la Neuvième symphonie de Beethoven, nous a conduit jusque cette recherche Ce que cette évolution nous signifie, maintenant, c’est une certaine surabondance, une tendance nécessaire et impérieuse pour s’épandre au dehors, comparable, entièrement, à l’effort pour s’éveiller d’un rêve angoissant et cruel : et la signification suprême pour le génie artistique de l’Humanité est que cet effort appelle, ici, une nouvelle forme d’activité artistique, donnant à ce génie une puissance nouvelle, l’aptitude à réaliser l’œuvre d’art dernière.

703. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

On était en Carême (1201), il fut donc décidé que dans un an à partir de là, à la Saint-Jean, les croisés se donneraient rendez-vous à Venise et qu’ils y trouveraient une flotte toute prête : on devait se diriger sur l’Égypte et sur le Caire, afin de mieux attaquer par là la puissance des Sarrasins ; c’était la route que saint Louis devait prendre plus tard. […] à quelques pas de là, Commynes, mandé par le doge de bon matin, voit en entrant tous ces mêmes visages non plus abattus, mais fiers et radieux ; on lui signifie le traité conclu, hostile à la France, et le nom des puissances confédérées : c’est à lui, à son tour, tout avisé qu’il est, d’avoir le cœur serré et le visage défait, car il n’avait eu vent de rien de précis jusqu’à cette heure, le secret avait été rigoureusement observé ; à force de voir traîner les choses en longueur, il avait fini par les croire échouées : en descendant les degrés du palais, il trahissait aux yeux de tous son étonnement manifeste et sa perte de contenance.

704. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Pascal a distingué trois ordres divers, et, dans chaque ordre, des princes : il y a, selon lui, l’ordre de la politique et des conquêtes, des grandeurs et des puissances terrestres ; il y a celui de l’intelligence pure et de l’esprit ; il y a enfin l’ordre de la beauté morale et de la charité. […] Si l’exemple d’Arago nous preuve que des esprits ingénieux et fins en matière de science ne sont souvent que robustes en littérature, il nous montre aussi qu’il y a une puissance réelle à ne parler que de ce qu’on sait à fond, et qu’il entre tout autre chose que le goût dans cette prise qu’on a sur les hommes.

705. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Les Moissonneurs des marais Pontins exprimaient la dignité romaine jusque dans sa simplicité rurale et la puissance de l’été. […] Dans son bon temps, et avant que la maladie eût altéré sa faculté et sa puissance d’exécution (ce qui me paraît avoir dû être dans le courant de 1833), il avait de grandes douceurs mêlées à un travail et à une peine inévitables.

706. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

On sent à cette vive peinture que Ramond, malgré sa précoce expérience, n’a pas épuisé encore cette puissance d’enthousiasme, cette ardeur de confiance et d’initiation qui peut entraîner même les plus éclairées des jeunes âmes : ici, il est presque fasciné par Lavater, il le sera tout à l’heure et pour quelque temps par un moins digne, par Cagliostro, un Lavater bien moins innocent. […] Ces cabanes, ces moissons, ces prés sont un miracle au-dessus des forces d’une grossière industrie : chez un peuple simple et crédule, il fallait chercher ailleurs les puissances capables de le produire.

707. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

C’était la puissance de l’homme, bien supérieure à celle de l’orateur. » Le contraire est vrai de M. Guizot : la puissance de l’orateur fut très supérieure chez lui à celle de l’homme d’État.

708. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Quel beau problème politique, économique et d’utilité populaire, que de rechercher et de préparer l’avenir tel qu’il est possible, tel qu’il est tout grand ouvert pour la France, avec un chef qui a dans la main la puissance de Louis XIV, et dans le cœur les principes démocratiques de la Révolution française ; car il les a, et sa race est tenue de les avoir. […] Saint-Marc Girardin, comme lui-même nous permet aussi de le conjecturer, puisqu’il a dit quelque part qu’il n’enviait rien de plus qu’une semblable destinée, il n’aurait pas même eu ce quart d’heure de puissance, cette participation d’un jour dans le gouvernement de son pays ; car M. 

709. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Michelet est une puissance établie : j’y ai résisté assez longtemps, malgré ma vieille amitié pour l’homme, je capitule ; je la reconnais enfin, cette puissance, et je demande seulement de ne pas la discuter.

710. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Les conseils moraux y reviennent toujours, et dans le même sens de l’intérêt bien compris : s’acquérir une bonne renommée parmi les hommes, car la renommée est aussi une déesse, — nous dirions une puissance. […] L’esprit de Lucrèce, on le connaît aussi : c’est le génie de la nature puisé à sa source, embrassé dans toute sa grandeur et dans sa puissance, et aussi adoré dans sa fleur et sa vénusté.

711. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Lorsque les puissances ont fait une Grèce, elles se sont trop hâtées et l’ont faite trop petite, trop à l’étroit. […] Les nations, pour se former, pour sortir de l’état social élémentaire et pour s’élever dans la civilisation et dans la puissance, ont besoin de tels hommes ; quand elles se sont défaites et qu’elles sont restées, des siècles durant, en dissolution et en déconfiture, elles en ont également besoin pour se reformer, et rien n’en saurait tenir lieu : elles languissent et traînent, ou s’agitent vainement, jusqu’à ce qu’elles aient trouvé cet homme-là.

712. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

On sait cette énumération grandiose des victoires et conquêtes d’Auguste, qui se termine par ces simples mots : « … Les Indes recherchent son alliance ; ses armes se font sentir aux Rhètes ou Grisons… ; la Pannonie le reconnaît ; la Germanie le redoute, et le Weser reçoit ses lois : victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus : tout l’univers vit en paix sous sa puissance, et Jésus-Christ vient au monde. » Ici Bossuet arrive à sa région propre : on dirait qu’il va prendre l’essor, ou du moins l’aile s’entr’ouvre et se fait sentir ; mais il se réserve ; il attendra, pour se déployer, la seconde partie. […] Mais c’est à Moïse et à la loi écrite qu’il en faut venir, à ce degré de révélation de plus, et Bossuet y insiste de toute sa puissance et de toute sa hauteur.

713. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

Quinet, il est vrai, dit à merveille dans sa préface : « L’époque la plus riche assurément que l’histoire romaine ait présentée à l’épopée est celle où le monde antique parvint à sa plus haute unité sous la puissance du premier des Césars. […] Brutus est la vertu ; César est la puissance.

714. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

Vous arriverez, par cette gymnastique intellectuelle, à donner à votre esprit une puissance de déduction inconnue à ceux qui restent servilement dans le sillon creusé par leurs maîtres, moins par respect pour ceux qui ont ouvert les portes de la science que par paresse ou insuffisance. » L’emploi véridique de ce procédé, en littérature, suppose donc un certain degré de nescience de la part de l’auteur. […] Leur peinture met donc en relief la puissance personnelle d’observation du grand dramaturge ; son chef-d’œuvre en la matière est réalisé dans le « cas Hamlet ».

715. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

De plus, il est capable d’éprouver les unes et de produire les autres ; et à ce titre il possède des puissances ou facultés. Or ces facultés résident en lui d’une façon stable ; par elles, il sent, il se souvient, il perçoit, il conçoit, il combine des images et des idées, il est donc une cause efficiente et productrice. » — On arrive ainsi à considérer le moi comme un sujet ou substance ayant pour qualités distinctives certaines facultés, et, au-dessous de nos événements, on pose deux sortes d’êtres explicatifs, d’abord les puissances ou facultés qui les éprouvent ou les produisent, en suite le sujet, substance ou âme qui possède les facultés162.

716. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Ce qui lui manqua, ce fut une pensée originale, une pensée qui ne fût occupée qu’à faire entrer le monde et la vie dans les formes du tempérament, à projeter le tempérament sur l’univers et sur l’humanité : qui par conséquent permît au tempérament de dégager toute sa puissance, et de réaliser ses propriétés personnelles. […] Marot, dans ses Psaumes, ne dépassait guère la strophe de 7 vers : celle de 5, et plus souvent celles de 4 et de 6, étaient les plus ordinaires chez lui : Ronsard y ajoute les strophes de 4, 10 et 12 vers dont il met en lumière la puissance expressive, en les dégageant des étroites contraintes où la ballade les tenait assujetties199.

717. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Le « Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences » est la biographie d’une pensée ; et du seul caractère narratif et descriptif de l’ouvrage sortent visiblement deux traits de la physionomie intellectuelle de Descartes : au lieu d’une exposition théorique de sa méthode, il nous en décrit la formation dans son esprit, et présente ses idées comme autant d’actes successifs de son intelligence, de façon à nous donner en même temps qu’une connaissance abstraite la sensation d’une énergie qui se déploie ; le tempérament actif des hommes de ce temps est devenu chez Descartes une puissance créatrice d’idées et de « chaînes » d’idées. […] La raison cartésienne se met à la place de Dieu, et compose la machine du monde : mieux encore, elle n’explique pas seulement, elle agit, car de la science dépend la puissance ; par son progrès, elle vaincra la maladie et la mort même.

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