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981. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

En est-il moins vrai que tout simbole doit avoir un caractère propre et distinctif ? […] Croire avec Hutcheson, Smith et d’autres que nous ayons un sens moral propre à discerner le bon et le beau, c’est une vision dont la poésie peut s’accommoder, mais que la philosophie rejette.

982. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XI. Mme Marie-Alexandre Dumas. Les Dauphines littéraires »

des Dauphines de leur propre chef ! […] soufflet que se donne de ses propres mains le vieux monde renouvelé qui se croit rajeuni !

983. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Nulle d’elles, aurait-ce été Ninon, Ninon courtisane et philosophe, n’eût effrontément écrit sa vie, en mettant des noms propres sur toutes ses fautes. […] Elle aurait gardé, sans le donner à risée ou à mépris sérieux, le souvenir touchant de ce fou à elle et fait par elle ; mais pour cette Prudence et ses pareilles, la question n’est ni l’honneur de Chateaubriand, ni leur propre honneur de cœur.

984. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Avec eux, historiens dogmatiques, dès qu’ils prennent la parole en leur propre nom, on se sent entrer dans un cycle tout nouveau. […] Il la sacrifia dans certains cas à ce qu’il crut de son devoir et de ses serments (ce qui est très-méritoire)  ; mais, par une sorte d’illusion propre aux amants, il ne crut jamais la sacrifier tout entière ni la perdre sans retour ; il mourut bien moins en la regrettant qu’en la croyant posséder encore. […] Sieyès, si haut placé qu’il fût dans sa propre idée et dans celle des autres, n’a pas toujours fait de la sorte. […] « Pendant les trente-quatre années d’une union où sa tendresse, sa bonté, l’élévation, la délicatesse, la générosité de son âme, charmaient, embellissaient, honoraient ma vie, je me sentais si habitué à tout ce qu’elle était pour moi, que je ne le distinguais pas de ma propre existence. […] Un écrit assez considérable et inachevé95 expose la situation publique et sa propre attitude en 1814 et 1815.

985. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Il se mit à les frotter, pour les rendre propres, sur la manche de son habit. […] Sans parler des littératures anciennes et étrangères qui sont devenues moins absurdes à leurs yeux, ils ont fait des progrès dans l’intelligence de Igor propre littérature. […] L’esprit organisateur qui l’enseigne le premier, la constate plus qu’il ne la crée ; il ne la tire point de son propre fonds ; il la dégage des œuvres et de l’esprit de son époque. […] Puis, pour saisir par le contraste le caractère propre de cet esprit et de ce style, lisez une page de Shakespeare. […] Il multiplie les incidents, parce que les situations étranges et variées sont très propres à mettre en lumière et à montrer sous toutes sortes de jours la nature spéciale de ses originaux.

986. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

Il y a quelque chose de pire, en ces matières, que le « mot propre », qui est ici le mot honteux : c’est la périphrase, car la périphrase décrit par ses effets ce que le mot propre se contente de nommer ; et le mot propre, c’est toujours très sommaire et très court ; mais la périphrase se peut prolonger et diversifier à l’infini ; elle insiste, caresse, pénètre et se colle, elle nous donne le temps d’être émus. […] Pas précisément ; sa paresse plutôt, et son goût du propre et du confortable. […] Zola les fait mouvoir), là est son domaine propre, le domaine ou il ne connaît guère de rival. […] Charles, se confiant à un vieil ami, déclare en propres termes « que sa femme est bête ». […] Peut-être trouverez-vous seulement qu’il nous fait un peu trop les honneurs de sa propre scélératesse.

987. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Catelina à occire son propre fils ?  […] Et il cite en exemple sa propre mère : « Jamais, dit-il, mère n’aima son fils mieux que la mienne ; mais c’était sans que je m’en aperçusse. […] Brunetière est, avant tout, un logicien-artiste, qui se délecte de ses propres constructions. […] Quelle jolie façon d’hésiter devant l’audace de sa propre pensée ! […] Les moqueries légères qu’il fait de son propre cas laissent sa sincérité intacte.

988. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Observateur superficiel des mœurs de son temps, écrivain abondant, facile, harmonieux, mais inégal et négligé, ce que Prévost a de plus original et de plus communicatif, c’est sa promptitude à s’émouvoir de ses propres imaginations. […] Voltaire le dit en propres termes : « La nature est partout la même ». […] Il fit mieux encore, en 1758, après la condamnation définitive ; « et ce fut dans son propre cabinet qu’il offrit une retraite sûre aux papiers de Diderot » [Cf.  […] que la vérité ne brille pas toujours de sa propre lumière, et que de très bonnes causes ont eu cruellement à souffrir d’être mal défendues ? […] Et si enfin le classicisme français, dans ses chefs-d’œuvre, n’avait été, pour ainsi parler, qu’une projection de l’esprit français sur le plan de la littérature générale, on ne conçoit pas comment il eût pu éviter d’être refoulé dans ses propres frontières par le progrès même de cette littérature, et ainsi de mourir de son propre triomphe.

989. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Il a ce don, qui est le plus significatif la marque propre du grand poète. […] Car Hugo n’est jamais « sobre », et le propre de ce genre d’esprit est précisément l’intempérance. […] ») — Mais que de choses vraiment senties, trouvant la langue et le mouvement et le tour qui leur sont absolument propres ! […] Cette faculté de saisir l’âme obscure des choses est son secret propre. […] Mais nous parlons ainsi, dans notre propre idiome, une langue morte, et qui n’émeut en rien l’imagination.

990. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Or l’art réaliste, comme tout autre, est un point de vue, et comme tout autre, découpe dans l’ensemble des choses la circonscription qui lui est propre. […] Le propre d’une force comme celle qui fait le fond de l’honorable M.  […] Cet art psychologique où il était fin ouvrier, le théâtre en vit ; c’est sa ressource propre. […] Il a donné comme étant le principe du gouvernement aristocratique la qualité qui était le fond de son propre caractère, la modération. […] Nous avons une force de plus, une institution particulière apportant, elle aussi, ses avantages propres, la monarchie : faisons-la entrer dans notre système.

991. (1897) Aspects pp. -215

Il est surtout son propre captif. […] En tant que technique propre aux sujets énervés élus de préférence par M.  […] Il semble qu’on soit le témoin de sa propre disparition. […] … Non pas, n’est-il point propre à tout, puisqu’il est poète ! […] Il n’est point propre à un état mais toutes les fortunes lui conviennent.

992. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Alors, le poète devient, à ses propres yeux, un verbe ; c’est un monde, un Dieu ; il n’a ni commencement ni fin ; il le dit, et l’on est à peu près subjugué par cette affirmation naïvement audacieuse. […] Champfleury et Courbet ont été étonnés que ce nom leur fût attribué comme à des hommes absolument nouveaux, car, selon leur propre conviction, ils faisaient seulement comme d’autres avaient fait avant eux. […] Au dix-neuvième nous avons la somme des idées des temps passés, plus nos propres idées ; on est donc, en 1856, incontestablement plus fort qu’avant Jésus-Christ. […] Il y en a qui veulent jalonner l’avenir en montrant à la société non ses misères, ses petitesses, mais des images propres à lui donner de l’espérance (l’œil au bout d’une queue ?). […] Ce n’est pas assez qu’une chose soit belle, il faut qu’elle soit propre au sujet, qu’il n’y ait rien de trop, ni rien de manque.

993. (1899) Arabesques pp. 1-223

Mais je ne suppose pas qu’on fasse un crime à quelqu’un qui se tient propre de haïr nos Maîtres et de les fouailler. […] Au réveil, l’intelligence rafraîchie, fournie d’idées jeunes, on se sent plein de vigueur, — de nouveau propre à la guerre. […] En extase devant ses propres poèmes, il affirme : « Je suis quelque chose d’éclatant, de terrifiant et de pudique. […] Au milieu de la multiplicité, de la plénitude et de l’arbitraire de Wagner, ils sont, d’après leur propre jugement, sauvés. […] Il se rendait compte qu’il serait impossible de désigner les individus propres à préparer le Surhomme.

994. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Thackeray vient en son propre nom attaquer le vice. […] Mon cher et excellent lecteur, ne savez-vous pas que Brutus fit couper la tête à ses propres fils ? […] Rien de plus propre à inspirer l’aversion. […] Quand une personne est trop pauvre pour avoir une servante, si élégante qu’elle soit, elle est bien forcée de balayer sa propre chambre. […] Ce sont ses propres paroles.

995. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

L’armée française ne fut jamais plus héroïque, mais son chef y fut vaincu par sa propre imprévoyance. […] Telles étaient ses pensées en 1810, et, cherchant de bonne foi à les réaliser, il imaginait le blocus continental qui devait contraindre l’Angleterre à la paix par la souffrance commerciale, s’efforçait de soumettre la Hollande à ce système, et, celle-ci résistant, il l’enlevait à son propre frère, la réunissait à son empire, et donnait à l’Europe, qu’il aurait voulu calmer, l’émotion d’un grand royaume réuni à la France par simple décret. […] Thiers était éminemment propre, on pourrait dire prédestiné, à ce grand ouvrage de sa vie d’écrivain. […] Enfin la guerre, quand elle est juste et nécessaire, c’est l’héroïsme collectif des nations, c’est ce dévouement surnaturel jusqu’à la mort, dévouement qui élève, par le devoir et par l’enthousiasme de la patrie, un peuple au-dessus du vil intérêt de propre conservation pour lui faire donner la mort sans crime ou la recevoir sans peur, dans l’intérêt de cette communauté civile dont il était membre et dont il se fait le soldat. […] C’est une grande et salutaire leçon de la nécessité et de la sainteté du gouvernement donné au peuple ; c’est la réhabilitation de l’autorité par l’histoire ; l’autorité est la force exécutive de la loi morale ; mais il faut la recevoir et non la prendre cette autorité, et quand on l’a reçue, il faut l’employer au bien de ses semblables et non à la gloire étroite de son propre nom.

996. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Cette version fut très-bien reçuë dans le tems, & on la crut propre à découvrir les finesses de l’Original, ainsi que ses notes peuvent en montrer l’art, en expliquer la conduite & en faciliter l’imitation. […] On y remarque presque à chaque page une affectation ridicule à se servir de termes figurés & nouveaux qu’il croit propres à égayer. […] L’Enéide de Scarron trouva de continuateurs aussi indécens que lui, mais moins enjoués & plus propres à faire rire la vile populace, qu’à amuser les honnêtes gens. […] Elle vient encore plus de ce qu’il a donné à tant de sujets différens la beauté propre à chacun. […] Masson, Trésorier de France, est exacte & propre à faire connoître le Lucain du tems de Néron, avec tous les défauts de sa jeunesse, & ceux qu’il tenoit du mauvais goût de son siécle.

997. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

Tous les collectionneurs savent que les espèces d’insectes propres aux côtes sont souvent cuivrés ou lurides ; et de même les plantes qui vivent exclusivement sur les bords de la mer sont fréquemment charnues. […] Il est exclusivement propre aux cavernes et ne compte de représentants nulle autre part. […] Comme il n’est pas vraisemblable que l’homme ait réussi à former tant de races et de sous-races ayant chacune une constitution spécialement adaptée à son propre district, il faut bien qu’une part de ce résultat soit due à l’influence de l’habituation. […] Dans ce cas, seulement, les plantes qui, individuellement, produisent les graines les mieux conformées pour être emportées au loin par le vent, ont quelque avantage sur celles qui produisent des graines moins propres à se disperser ; mais ce procédé ne saurait s’appliquer à des fruits indéhiscents. […] C’est ainsi que j’ai pu m’expliquer un fait dont j’ai été vivement frappé en étudiant les Cirripèdes, et dont on pourrait encore trouver beaucoup d’autres exemples : c’est que, lorsqu’un Cirripède est le parasite interne d’un autre, et que par cela même il se trouve protégé, il perd plus ou moins complétement sa propre coquille ou carapace.

998. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Il est notoire qu’absorbée par ce devoir filial, toute préoccupation de son propre avenir lui demeure indifférente. […] Est-ce Louis XIV qui, de sa propre inspiration, prélude à l’extermination du parti de la Réforme ? […] Touchés de tant de merveilles, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis ; poussons jusqu’au ciel nos acclamations, et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne, ce que les six cent trente Pères dirent autrefois dans le concile de Chalcédoine ; « Vous avez affermi la foi, vous avez exterminé les hérétiques : c’est le digne ouvrage de votre règne, c’en est le propre caractère. […] S’il avait eu le moindre souci d’humanité ou même de sa propre dignité, son devoir n’était-il pas de s’opposer à ce qu’on fit le plus léger tort aux Réformés, de faire en sorte qu’on laissât agir sur eux la puissance du livre, du prêche, de la controverse ? […] apprenez l’histoire de votre propre.

999. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Au bas est le fait momentané, absolument singulier et distinct qui est l’élément du reste ; chaque moment, acte, état ou fait est ainsi une donnée prodigieusement complexe, différente de toute autre, et qui a sa nuance propre. […] Partant, si elles l’évoquent, c’est grâce à ce que toutes ont en commun, et non grâce à ce que chacune d’elles a de propre ; partant encore, s’il les évoque, c’est grâce à ce que toutes ont de commun, et non grâce à ce que chacune d’elles a de propre ; par conséquent enfin, il est attaché à ce que toutes ont de commun et à cela seulement. — Or ce quelque chose est justement le caractère abstrait, le même pour tous les individus de la classe. […] « Un membre de ma propre famille, dit M.  […] Mais il est clair que les caractères propres au corps humain sont infiniment plus nombreux ; une telle notion en représente cinq ou six, et des plus extérieurs ; accroissons-la de tous ceux que l’observation prolongée et variée pourra découvrir. — L’anatomiste arrive avec l’envie de voir le détail et le dedans ; il dissèque, note, décrit et dessine. […] Nous construisons l’utile, le beau et le bien, et nous agissons de manière à rapprocher les choses, autant que possible, de nos constructions. — Par exemple, étant données des pierres éparses et brutes, nous les supposons équarries, transportées, empilées à l’endroit où nous voulons habiter, et, conformément à l’idée du mur ainsi construit, nous construisons le mur réel qui nous préservera du vent. — Étant donnés les hommes qui vivent autour de nous, nous sommes frappés d’une certaine forme générale qui leur est propre ; nous remarquons à un plus haut degré, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, les signes extérieurs de telle qualité ou disposition bienfaisante pour l’individu ou pour l’espèce, agilité, vigueur, santé, finesse ou énergie93 ; nous recueillons par degrés tous ces signes ; nous souhaitons contempler un corps humain en qui les caractères que nous jugeons les plus importants et les plus précieux se manifestent par une empreinte plus universelle et plus forte, et, s’il se trouve un artiste chez qui ce groupe de conditions conçues aboutisse à une image expresse, à une représentation sensible, à une demi-vision intérieure, il prend un bloc de marbre et y taille la forme idéale que la nature n’a pas su nous montrer. — Enfin, étant donnés les divers motifs qui poussent les hommes à vouloir, nous constatons que l’individu agit le plus souvent en vue de son bien personnel, c’est-à-dire par intérêt, souvent en vue du bien d’un autre individu qu’il aime, c’est-à-dire par sympathie, très rarement en vue du bien général, abstraction faite de son intérêt ou de ses sympathies, sans plus d’égard pour lui-même ou pour ses amis que pour tout autre homme, sans autre intention que d’être utile à la communauté présente ou future de tous les êtres sensibles et intelligents.

1000. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Le propre de la pensée vraiment poétique, c’est, en quelque sorte, de déborder le vers, dont la mesure ne semble lui avoir été imposée que pour limiter en elle ce qui seul peut l’être, la forme, non le fond. […] IV On sait que Leopardi a chanté l’amour et la mort, sujet toujours propre à tenter les poètes. […] » Les apologistes de la foi sous toutes ses formes, — foi morale à la façon de Kant ou foi proprement religieuse, — les criticistes comme les adeptes des religions protestante ou catholique, ont été heureux du renfort que semblait leur apporter cette « bible », si propre à produire le dégoût pour le nouveau Credo de la science. […] Il nous décrit, à sa façon, la méditation du génie de l’espèce dont sa propre vie est sortie. […] L’habile versificateur caractérise ici parfaitement son propre genre : au lieu de Blasphèmes, n’aurait-il pu aussi bien prendre pour titre : Blagues en vers ?

1001. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

voilà un génie charmant, léger, plaintif, rêveur, désolé, le génie de l’élégie et de la romance, qui se fait entendre sur ces tons pour la première fois : il ne doit rien qu’à son propre cœur. […] C’est une douceur profonde que de trouver de pareils amis dans le passé et de pouvoir vivre encore avec eux malgré la mort. » Elle avait fait une pièce de vers sur le Jour des morts, qui était le jour anniversaire de sa propre naissance ; elle y disait, en s’adressant à ces chers défunts qu’on a connus : Vous qui ne pleurez plus, nous aimez-vous toujours ? […] Et tout cela me rend l’étude de l’espagnol plus intéressante qu’une autre, parce que je pense que tu as parlé cette langue dans ta jeunesse guerrière. » Elle ennoblit tant qu’elle peut le passé de ce cher frère pour le relever lui-même à ses propres yeux ; elle y verse de la poésie comme sur toute chose, en croyant n’y mettre que du souvenir. […] Tout cela t’explique assez que je vis en pleurs, ma bonne amie, sans avoir le droit de me plaindre que Dieu ne m’ait pas choisie pour répandre ses consolations sur les miens, lui qui m’a faite si tendre pour eux… « Pour mettre un peu de baume sur les tristesses que je te cause, je finis en parlant des consolations divines que nous devons à mon cher Hippolyte. » Il lui restait, on vient de le voir, une dernière sœur, l’aînée, Cécile, qui habitait aussi Rouen ; elle paraît avoir été d’un esprit plus simple et aussi d’un cœur moins expansif que les autres membres de la famille, ou peut-être n’était-ce qu’un effet de l’âge et des malheurs : du moins la correspondance avec elle est plus rare et ne roule guère que sur d’humbles envois ; mais il est touchant de voir comme Mme Valmore s’efforce de réveiller son sentiment, d’intéresser sa vieillesse, de l’attendrir par l’aveu des misères communes ou par l’appel à de chers souvenirs59 : « (9 novembre 1854)… La dame qui m’aide souvent à trouver l’argent d’emprunt pour passer mon mois, à la condition de le rendre à la fin de ce mois même, n’a pu venir encore à mon secours, à travers la pluie et toutes les difficultés de sa propre vie. […] Il ne serait pourtant pas impossible que toute cette histoire touchante, ressaisie après coup par une imagination de poëte dans une mémoire d’enfant de quatre à cinq ans, eût subi dans l’intervalle quelque chose de la transformation propre aux légendes.

1002. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

On est allé, pour la récolte et la vendange, chercher les plus entendus et les mieux préparés sur chaque production du pays, sur chaque cru ; on a demandé à chacun ce qu’on savait à l’avance de son goût, ce qu’il préférait, au risque de le voir un peu se délecter et abonder dans son propre sens. […] Sans nous faire juges nous-mêmes dans notre propre cause, il nous semble que, rien qu’à y regarder simplement, il est plus d’un siècle, souverain pour elle, où elle aurait eu incontestablement le prix, où elle aurait, d’un consentement unanime, gagné la couronne ; et, lors même qu’elle est primée par de plus grandes et de plus hautes productions étrangères, elle a encore de quoi consoler et honorer sa défaite par bien des grâces qui sont à elle et à elle seule. […] Le propre de ces vieux récits, en général, est de se dessiner comme de soi et de marcher indépendamment presque d’un guide, d’un ouvrier, d’un poète. […] Sachons pourtant qu’en parlant si plaisamment de Malherbe et en traçant le portrait du poète-grammairien auquel il oppose celui d’un libre et naïf génie, c’est-à-dire le sien propre, Régnier jugeait bien plus son adversaire d’après ses propos que sur ses écrits et ses œuvres mêmes. […] Rien n’est plus propre à nous faire comprendre ce qu’aurait été la poésie française, si elle avait su échapper au trop de politesse du xviie  siècle, et si, avant de tant chercher à se clarifier au risque de s’affaiblir, elle avait pu arriver, dans un tel génie, ou dans des génies tournés vers d’autres genres, à son entière maturité.

1003. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Voilà son premier mot général : la signification qu’elle lui donne n’est pas celle que nous lui donnons ; il n’en est que plus propre à montrer le travail original de l’intelligence enfantine ; car, si nous avons fourni le mot, nous n’avons pas fourni le sens ; le caractère général que nous voulions faire saisir à l’enfant n’est pas celui qu’elle a saisi ; elle en a saisi un autre, approprié à son état mental, et pour lequel aujourd’hui nous n’avons point de nom précis. […] — Aujourd’hui, il a fait sur mes bras le tour de mon cabinet, regardant dans les passe-partout quantité de figures encadrées, et, à l’aspect de ces gravures, il a répété Bédames, pendant une demi-heure, avec l’accent vif et heureux de la découverte. — Il vient de dire plusieurs fois et plusieurs jours de suite Bédames, en voyant sa propre image dans le globe en cuivre poli de la lampe. — Jamais il ne dit ce mot devant une personne vivante ni devant un simple paysage sans figures. […] Selon lui, il y a deux sortes de langages, l’un qu’il appelle émotionnel et qui nous est commun avec les brutes, l’autre qu’il appelle rationnel et qui est propre à l’homme. […] Quelques-unes de celles-ci sont sans doute de formation secondaire ou tertiaire et peuvent être réduites à un nombre plus petit de formes primaires, en tout à peu près de 500 à 600181. — Toutes ces racines expriment des concepts généraux et manifestent un mode de connaissance propre à l’homme. […] L’érudit : commence et finit par ces types phonétiques ; s’il les méconnaît, ou s’il veut ramener les mots aux cris des animaux ou aux interjections humaines, c’est à ses propres risques.

1004. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

On trouve dans Horace les plus fortes maximes de vie intérieure, de vie retirée et retranchée en soi, supérieure aux accidents, attachée au seul bien moral et l’embrassant uniquement pour sa beauté propre. — Soldat de Brutus, il accepta le principat d’Auguste par raison, par considération de l’intérêt public ; mais il fut, ce semble, moins complaisant pour l’empereur et pour Mécène et sut beaucoup mieux défendre contre eux sa liberté et son quant-à-soi que le tendre Virgile. […] Mais il veut valoir, pour lui-même et pour jouir solitairement de son propre prix. […] D’autres critiques racontent leur propre sensibilité à l’occasion des œuvres qu’ils analysent. […] Ils ont, dans la pratique, un peu de cette absence de scrupules qui est propre aux sectaires religieux. […] Là, puis sur la rive historique de la Seine « aux peupliers d’or », et le lendemain, chez le Roi Soleil, sa bienvenue lui fut souhaitée en des vers magnifiques ou gracieux, dont le tour propre et toute la composition secrète témoignaient de l’antiquité d’une langue lentement formée et à la fois épurée et enrichie par toutes les savantes lèvres qui l’ont parlée depuis le Serment de Strasbourg.

1005. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Voltaire lui-même est l’exemple le plus éclatant du péril de ses propres nouveautés. […] Autant Voltaire regimbe contre la correction qui lui vient d’autrui, autant il se ménage peu quand il se l’administre de ses propres mains. […] Au lieu de chercher ses sujets dans une profonde étude de l’histoire ou dans son propre fonds, il les recevait des passions ou des préjugés de ses contemporains. […] Pour Racine en particulier, c’est dans la méditation des historiens et des tragiques de l’antiquité, entre Tacite et Sophocle, qu’il cherchait les sujets de ses pièces, regardant l’homme tour à tour dans l’histoire, dans le cœur des maîtres de l’art et dans son propre cœur, essayant divers sujets, rejetant ceux où il aurait eu à mettre trop du sien, résistant à la tentation du poète dramatique de façonner le monde pour son théâtre, et l’homme pour le rôle qu’il lui fait. […] Nul n’a mieux vu chez les autres ses propres défauts.

1006. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

À se placer au point de vue de l’art absolu, le propre de l’épopée, c’est la grandeur ; le propre du drame, c’est l’immensité. […] Ces figures grossissantes, propres aux poëtes suprêmes, et à eux seuls, sont vraies, au fond, d’une vérité de rêverie. […] Abd-Allatif a vu, vers 1220, à Alexandrie, « la colonne des piliers supportant une coupole », et il dit : « là était la bibliothèque que brûla Amrou-ben-Alas, par permission d’Omar. » Abulfaradge, en 1260, dans son Histoire dynastique, raconte en propres termes que, sur l’ordre d’Omar, on prit les livres, de la bibliothèque, et qu’on en chauffa pendant six mois les bains d’Alexandrie. […] Tout exemplaire est germe, et a en lui sa propre renaissance possible à des milliers d’éditions ; l’unité est grosse de l’innombrable.

1007. (1772) Éloge de Racine pp. -

Le premier il mit de la noblesse dans notre versification ; il éleva notre langue à la hauteur de ses idées, il l’enrichit des tournures mâles et vigoureuses qui n’étaient que l’expression de sa propre force. […] Averti par son propre coeur, il vit qu’il fallait la puiser dans le coeur humain, et dès ce moment il sentit que la tragédie lui appartenait. […] Racine eut le premier la science du mot propre, sans lequel il n’y a point d’écrivain. […] Les unes, tenant de plus près à la nature, et réveillant en nous ces premiers sentimens qu’elle nous a donnés, ont un effet aussi infaillible qu’universel, parce qu’il dépend ou de cette pitié naturelle placée dans le coeur humain pour l’adoucir et le rendre meilleur, ou bien de ce sentiment de grandeur, qui l’élève à ses propres yeux, et le soumet par l’admiration au pouvoir de la vertu. […] Vous vous écrierez alors dans votre juste admiration : quel art que celui qui me domine si impérieusement, que je ne puis y résister sans démentir mon propre coeur ; qui force ma raison même d’approuver des fictions qui m’arrachent à elle ; qui avec des douleurs feintes, exprimées dans un langage harmonieux et cadencé, m’émeut autant que les gémissemens d’un malheur réel ; qui fait couler, pour des infortunes imaginaires, ces larmes que la nature m’avait données pour des infortunes véritables, et me procure une si douce épreuve de cette sensibilité dont l’exercice est souvent si amer et si cruel !

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