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583. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Il y perdrait la joie du cœur et la paix de l’âme. […] Si tu doutes de mon être, je suis perdue, ce qui signifie également que lu perds en moi la créature idéale qu’il t’eût suffi d’y appeler. […] Il sent qu’il l’a perdue par sa faute. […] Il y perdit sa théologie, mais il y devint homme d’esprit. […] Notre Jeanne ne perdrait rien à être expliquée de la sorte.

584. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Il ne perdit pas une heure dans toute sa vie, pas même l’heure de sa mort ; il écrivait encore on ne sait quoi sur ses tablettes dans sa litière, au moment où, arrêté par les sicaires d’Antoine, il leur tendit sa tête pour mourir. […] Nos vœux avaient obtenu de leurs bontés beaucoup d’autres avantages : sans votre volonté, tous ces présents du ciel seraient perdus pour nous. […] Il ne perd pas une ligne de sa taille en descendant de la tribune, ni un rayon de sa majesté en sortant du sénat ; nous nous aiderons pour vous faire mesurer cette grandeur, qui est dans l’homme et non dans la dignité, du beau travail de translation de M.  […] Chatham et William Pitt n’élevaient pas leur âme à ces hauteurs sereines de la pensée ; Mirabeau et Vergniaud perdaient la moitié de leur force en descendant des tribunes ; ils n’écrivaient pas du même style sur les lois et sur la Divinité. […] « Peine perdue ; car se trouve-t-il des hommes assez sots pour en avoir peur ?

585. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Sur ce boulevard, pendant des heures entières, il cheminait à pas lents, voûté comme un aïeul, perdu en de vagues souvenirs, et s’affaissant de plus en plus dans le sentiment indéfinissable de son existence manquée. […] je retombe en tristesse ; Je songe à mes longs jours passés avec vitesse, Turbulents, sans bonheur, perdus pour le devoir, Et je pense, ô mon Dieu ! […] On s’y adonne avec prédilection ; on s’en pénètre ; c’est un enchantement ; et, comme on se sent encore trop voisin du passé pour le perdre de vue, on essaye d’y jeter ce voile ondoyant de poésie qui fait l’effet de la vapeur bleuâtre aux contours de l’horizon. […] « Si vous aimez un ami plus jeune que vous, que vous le cultiviez comme un enfant, et que vous lui aplanissiez le chemin de la vie, il grandira bientôt ; il se lassera d’être à vous et par vous, et vous le perdrez. […] Votre style s’est épuré d’une façon remarquable, sans perdre rien de sa vérité et de son allure abandonnée.

586. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

C’est être un grand homme d’État que de perdre une grande monarchie. […] Cela devrait monter tout le long de voûtes immenses et se perdre en haut dans la nuit, ainsi que toutes ces têtes se perdent dans l’anonymat… Puis l’agacement de ces Parisiens loustics, un vrai train de plaisir dans un ossuaire, et qui s’amuse à jeter des lazzis dans cette caverne du néant… En regardant tous ces restes, tout ce peuple d’os, je me demandais : Pourquoi ce mensonge d’immortalité, le squelette ? […] Et comme, perdu là-dedans, les idées flottantes, je regardais toujours le théâtre tout nu, tout vide, une voix d’en bas cria : « Prévenez ces messieurs de l’avant-scène. » Il paraît que l’opéra était fini. […] Un poumon est perdu et l’autre tout comme… » Et il faut revenir à la malade, lui verser de la sérénité avec notre sourire, lui faire espérer sa convalescence dans tout l’air de nos personnes… Puis une hâte nous prend de fuir l’appartement et cette pauvre femme. […] Il me semble que la tristesse se perd parmi tant de monde.

587. (1888) Poètes et romanciers

Je crois même que le poète n’aurait rien perdu à le supprimer tout à fait. […] Victor Hugo semble avoir perdu la juste mesure des choses. […] Le sentiment de la nature s’exagère et perd tout son charme en s’exagérant. […] Il en est qui ont été trahis ; il en est qui ont perdu leurs illusions ! […] Dans cette mesure-là, l’espoir n’est jamais perdu et le mari a beau jeu pour sortir sain et sauf du péril.

588. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Son héros perd sa mère et son père en bas âge, et c’est tout. […] Le pittoresque, qui pouvait la perdre, est ce qui la sauve. […] Cette pitié va-t-elle la perdre comme elle perd l’Éloa romantique ? […] Sans doute cet admirable connaisseur de lui-même savait qu’il eût perdu à insister. […] Mais il n’en est pas qui risque plus de se perdre et qui ait davantage besoin de contrainte.

589. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Cette époque touche celle des Étrusques, dont les arts et la puissance vont se perdre dans l’antiquité, qu’Hésiode appelait grands et illustres, neuf siècles avant Jésus-Christ, qui envoyèrent des colonies en Grèce et dans nombre d’îles, plusieurs siècles avant la guerre de Troie. […] C’est ce qui nous a perdus ! […] Dans le pays des révolutions, des vengeances, des crimes vils et ténébreux, qu’arriverait-il si les femmes n’avaient matériellement rien à perdre par la mort de leurs époux, et si elles n’y voyaient que le droit d’en acquérir un autre ? […] Tu dois me traiter de même, ma chère petite, afin que tu sois tout accoutumée à m’aimer quand je te verrai, et que ce soit tout comme si nous ne nous étions jamais perdus de vue. […] Je puis attacher ta fortune à la mienne si tu aimes le travail, autrement tout est perdu.

590. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Le livre tombe des mains avant d’avoir dit son dernier mot, tant on a perdu de mots oiseux à l’attendre ; l’esprit est saisi à chaque instant d’une de ces impatiences fébriles qui bouillonnent en nous jusqu’à un véritable accès de colère, croyant toujours toucher à un but qu’on lui dérobe toujours ; or, irriter et impatienter l’esprit, ce n’est pas un bon procédé pour le convaincre. […] Je vous disais en commençant que j’avais contre moi d’ardentes et implacables inimitiés ; ce qui me perdra, si je succombe, ce ne sera ni Mélitus, ni Anytus, ce sera l’envie et la calomnie, qui ont déjà fait périr tant d’hommes de bien, et qui en feront périr après moi tant d’autres ; car n’espérez pas que l’iniquité s’arrête à moi ! […] L’heure, la mort, la gravité du passage de cette vie à l’autre, que pressent Socrate et qui émeuvent Platon, ne permettent ni au philosophe ni à son disciple de perdre leur temps et le nôtre dans les puériles arguties de leur dialectique oiseuse. […] Phédon raconte alors que, le matin du jour de la mort, les amis de Socrate se réunirent plus tôt que de coutume sur la place devant la prison, pour ne pas perdre une heure de sa vie et de sa pensée. […] Rousseau meurt ou se tue dans une retraite où il a fui les hommes qu’il accuse et qu’il redoute, livré aux reproches mérités d’une femme qu’il a flétrie en lui dérobant ses fruits à sa mamelle pour aller les jeter à la voirie humaine des enfants perdus !

591. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

L’entretien du vieux ministre et du jeune dictateur fut long et dut être intéressant : c’était la rencontre de deux hommes, dont l’un avait perdu une monarchie, dont l’autre reconstruisait tout ce que le premier avait démoli. […] Pendant que toute cette négociation très-dangereuse se conduisait, je voyais souvent le général Bernadotte et ses amis ; c’était plus qu’il n’en fallait pour me perdre, si leurs desseins étaient découverts. […] Nulle part elle ne fut plus femme que dans Delphine ; elle ne perdit pas un enthousiasme, elle conquit des émotions. […] Elle perd l’amour et la vie pour avoir conquis le bruit et la gloire. […] On se lasse promptement de la poésie descriptive, quand elle s’applique à des objets qui n’ont rien de grand en eux-mêmes ; mais les sentiments descendent du ciel, et dans quelque humble séjour que pénètrent leurs rayons, ils ne perdent rien de leur beauté. » Lamartine.

592. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Et le voici, montant cet escalier du bal de l’Opéra, qu’il n’a pas vu depuis quinze ans, le voici à mon bras, perdu dans cette foule, comme un roi perdu dans son royaume : lui, Gavarni, qui pourrait dire : « Le carnaval, c’est moi !  […] — « Madame, j’en ai perdu un !  […] * * * — Mon cousin me contait que dans une maison de Jeu, au 36 de la rue Dauphine, il avait vu, dans sa jeunesse, un homme après avoir perdu une grosse somme, dans une contraction nerveuse, chiffonner son chapeau de feutre comme un linge, se moucher dedans, et le mettre dans sa poche. […] Moi je n’ai peur que de ce passage du moment, où mon moi entrera dans la nuit, où je perdrai la conscience d’avoir été… — Il y a cependant un grand horloger, balbutie timidement Claudin. — Ah ! […] * * * — Peut-être n’y a-t-il de bien vraie liberté pour l’individu, que lorsqu’il n’est pas encore enrégimenté dans une société parfaitement civilisée, où il perd l’entière possession de lui-même, des siens, de son bien.

593. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Dimanche 7 février Dans un dîner d’hommes politiques, chez Charpentier, Floquet racontait, qu’en 1852, la première année de son stage, ayant loué un appartement rue de la Ferme-des-Mathurins, le bâtonnier des avocats, lui avait dit qu’il perdait son avenir, en se logeant dans un quartier aussi perdu : — l’homme du barreau ne pouvant pas dépasser la rue Neuve-des-Petits-Champs. À ce dîner, le colonel Yung disait que l’intelligence de Mac-Mahon, — reconnue par tous assez médiocre — fouettée par la mitraille, s’éclairait, grandissait, devenait surprenante, tandis que celle de Bourbaki, cependant d’une valeur héroïque, se perdait, tombait en enfance. […] Je le trouve couleur d’un vieux cierge d’église, les yeux ayant perdu l’allumement de la vie, la voix sans résonance, se plaignant d’affreuses névralgies des reins ; et l’esprit encore plus malade que le corps, et me disant : « Je crois bien avoir le foie atteint, aux tristesses affreuses que j’éprouve !  […] Il m’a chargé de l’excuser près de vous, pour n’avoir rien écrit sur le livre, mais il n’en a pas la force. » Et il m’annonce qu’on regarde le pauvre garçon, comme perdu. […] Au fond, sous ces ironies, le directeur est préoccupé de la recette, peste contre le beau temps qui lui fait perdre 20 000 francs, ce mois, et appelle la pluie et les frimas.

594. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Le fond est une campagne où l’œil va se promener et se perdre. […] Si je te perdais jamais, idole de mon âme, si une mort inopinée, un malheur imprévu te séparait de moi, c’est ici que je voudrais qu’on déposât ta cendre, et que je viendrais converser avec ton ombre. […] N’y a-t-il aucun antre, aucune forêt, aucun lieu secret, écarté, où tu puisses porter tes pas et perdre aussi ta mélancolie ? […] Le Brun perdit sa couleur en moins de trois ans. […] C’est alors que les critiques, les petits esprits, les admirateurs du temps passé jettent les hauts cris et prétendent que tout est perdu.

595. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Jupiter finit par obéir, il monte… et se perd bientôt dans la cime. — Monte jusqu’à la septième branche, — dit Legrand. — Il s’agit d’avancer sur cette branche aussi loin que tu le pourras. […] Ivre de civilisation matérielle, l’auteur de l’Aéronaute hollandais perd le meilleur de sa pensée dans cette lourde ivresse. On ne reconnaît plus en lui que le Yankee, l’enfant perdu de cette race puritaine qui a mis sa main musclée sur le Nouveau Monde, — qui la mettra partout où il y a de la matière à asservir, — et dont la plus haute expression littéraire fait pâlir tout ce qu’elle rappelle : ce Robinson Crusoé qui est sorti d’une plume anglaise, mais qui n’en est pas moins le génie américain deviné ! […] Edgar Poe, méconnu et presque inconnu pendant toute sa vie, perdu en une errance mystérieuse dans, laquelle on ne le suit pas, traîna la plus horrible pauvreté dans une société qui se vante d’être le dernier mot de la civilisation moderne, et qui lui fut aussi dure, aussi étouffante, aussi atroce d’indifférence que les temps primitifs et barbares de la Grèce le furent pour Homère, le mendiant sacré, nourri du moins des olives et du pain noir des pasteurs ! […] Mais là, où l’anarchie de ces États, désunis plutôt, se produit de la même manière qu’entre les hommes, et où chaque province se croit la capitale de quelque chose, les renommées qui surgissent sur un point s’émiettent et se perdent vite dans tout cet espace… Edgar Poe, qui éparpilla une vie vagabonde au milieu de tous ces États, apparaissait de temps à autre dans la publicité comme un nageur qui sort de l’Océan, contre lequel il lutte.

596. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

La loi, rajeunie plutôt que changée, reprendra la vie qu’elle avait perdue. […] Certains de ses poëmes font l’effet d’être traduits d’originaux grecs ignorés ou perdus. […] Il sentait mieux ce qu’il avait perdu que ce qu’il avait gagné. […] Séduction perdue. […] Il a perdu sa vie, mais c’est dans son fils qu’il la recommence.

597. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

C’est un combat perpétuel et déchirant entre l’amour et la religion, qui n’avait alors rien perdu de sa force. […] Nous n’avons plus d’autels, et je n’ai plus d’empire ; Nous avons tout perdu. […] Mahomet était perdu. […] Les beaux récits de Racine sont plus beaux à la lecture qu’au théâtre ; ceux de Voltaire perdent beaucoup à être lus : ils ont besoin du prestige de la scène. […] Hermogide n’a fait que changer son nom en celui d’Assur ; mais il a perdu avec son nom beaucoup de sa force et de son activité.

598. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

. — Quant à la description en elle-même, au point de vue littéraire, je la trouve, moi, très-compréhensible, et le drame n’en est pas embarrassé, car Spendius et Mâtho restent au premier plan ; on ne les perd pas de vue. […] Les conseils de la fin ne seront pas perdus, et vous n’aurez eu affaire ni à un sot ni à un ingrat. […] tout le monde et lui-même y auraient perdu. […] Je l’ai perdu de vue après quelques années, et, parti un matin comme pour une absence passagère, il ne m’est plus revenu. […] Après l’avoir perdu, je retrouvai un utile et solide secours dans la collaboration de M. 

599. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Les révolutions passent sur les peuples, et font tomber les rois comme des têtes de pavots ; les sciences s’agrandissent et accumulent ; les philosophies s’épuisent ; et cependant la moindre perle, autrefois éclose du cerveau de l’homme, si le temps et les barbares ne l’ont pas perdue en chemin, brille encore aussi pure aujourd’hui qu’à l’heure de sa naissance. […] Voilà ce que nous avions besoin de nous dire avant de nous remettre, nous, critique littéraire, à l’étude curieuse de l’art, et à l’examen attentif des grands individus du passé ; il nous a semblé que, malgré ce qui a éclaté dans le monde et ce qui s’y remue encore, un portrait de Regnier, de Boileau, de La Fontaine, d’André Chénier, de l’un de ces hommes dont les pareils restent de tout temps fort rares, ne serait pas plus une puérilité aujourd’hui qu’il y a un an ; et en nous prenant cette fois à Diderot philosophe et artiste, en le suivant de près dans son intimité attrayante, en le voyant dire, en l’écoutant penser aux heures les plus familières, nous y avons gagné du moins, outre la connaissance d’un grand homme de plus, d’oublier pendant quelques jours l’affligeant spectacle de la société environnante, tant de misère et de turbulence dans les masses, un si vague effroi, un si dévorant égoïsme dans les classes élevées, les gouvernements sans idées ni grandeur, des nations héroïques qu’on immole, le sentiment de patrie qui se perd et que rien de plus large ne remplace, la religion retombée dans l’arène d’où elle a le monde à reconquérir, et l’avenir de plus en plus nébuleux, recélant un rivage qui n’apparaît pas encore. […] On lui accorde de reste les fantaisies humoristes, les boutades d’une saillie incomparable, les chaudes esquisses, les riches prêts à fonds perdu dans les ouvrages et sous le nom de ses amis, le don des romans, des lettres, des causeries, des contes, les petits-papiers, comme il les appelait, c’est-à-dire les petits chefs-d’œuvre, le morceau sur les femmes, la Religieuse, madame de La Pommeraie, mademoiselle La Chaux, madame de La Carlière, les héritiers du curé de Thivet ; — ce que nous tenons ici à lui maintenir, c’est son titre social, sa pièce monumentale, l’Encyclopédie ! […] Diderot savait mieux que personne les défauts de son œuvre ; il se les exagérait même, eut égard au temps, et se croyant né pour les arts, pour la géométrie, pour le théâtre, il déplorait mainte fois sa vie engagée et perdue dans une affaire d’un profit si mince et d’une gloire si mêlée. […] Mais Socrate, à ma place, la leur aurait arrachée. » Il dit en un endroit au sujet de Grimm : « La sévérité des principes de notre ami se perd ; il distingue deux morales, une à l’usage des souverains. » Toutes ces idées excellentes sur la vertu, la morale et la nature, lui revinrent sans doute plus fortes que jamais dans le recueillement et l’espèce de solitude qu’il tâcha de se procurer durant les années souffrantes de sa vieillesse.

600. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

La chaleur modérée de tant de nobles œuvres, l’épuration continue qui s’en était suivie, la constance enfin des astres et de la saison, avaient amené l’atmosphère des esprits à un état tellement limpide et lumineux, que du prochain beau livre qui saurait naître, pas un mot immanquablement ne serait perdu, pas une pensée ne resterait dans l’ombre, et que tout naîtrait dans son vrai jour. […] D’Olivet, qui est malheureusement trop bref sur le célèbre auteur, mais dont la parole a de l’autorité, nous dit en des termes excellents : « On me l’a dépeint comme un philosophe, qui ne songeoit qu’à vivre tranquille avec des amis et des livres, faisant un bon choix des uns et des autres ; ne cherchant ni ne fuyant le plaisir ; toujours disposé à une joie modeste, et ingénieux à la faire naître ; poli dans ses « manières et sage dans ses discours ; craignant toute sorte d’ambition, même celle de montrer de l’esprit138. » Le témoignage de l’académicien se trouve confirmé d’une manière frappante par celui de Saint-Simon, qui insiste, avec l’autorité d’un témoin non suspect d’indulgence, précisément sur ces mêmes qualités de bon goût et de sagesse : « Le public, dit-il, perdit bientôt après (1696) un homme illustre par son esprit, par son style et par la connoissance des hommes ; mes ; je veux dire La Bruyère, qui mourut d’apoplexie à Versailles, après avoir surpassé Théophraste en travaillant d’après lui et avoir peint les hommes de notre temps dans ses nouveaux Caractères d’une manière inimitable. […] Modeste et sûr, il s’avance ; pas un effort en vain, pas un mot de perdu ! […] Il nous a tracé une courte histoire de la prose française en ces termes : « L’on écrit régulièrement depuis vingt années ; l’on est esclave de la construction ; l’on a enrichi la langue de nouveaux tours, secoué le joug du latinisme, et réduit le style à la phrase purement françoise ; l’on a presque retrouvé le nombre que Malherbe et Balzac avoient les premiers rencontré, et que tant d’auteurs depuis eux ont laissé perdre ; l’on a mis enfin dans le discours tout l’ordre et toute la netteté dont il est capable : cela conduit insensiblement à y mettre de l’esprit. » Cet esprit, que La Bruyère ne trouvait pas assez avant lui dans le style, dont Bussy, Pellisson, Fléchier, Bouhours, lui offraient bien des exemples, mais sans assez de continuité, de consistance ou d’originalité, il l’y voulut donc introduire. […] Cela est cause « que ses portraits ressembleront toujours ; mais il est à craindre que « les vôtres ne perdent quelque chose de ce vif et de ce brillant qu’on « y remarque, quand on ne pourra plus les comparer avec ceux sur « qui vous les avez tirés. » On voit que si La Bruyère tirait ses portraits, M. 

601. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Les deux enfants se voient, se perdent, se retrouvent, s’éprennent de la plus candide et de la plus pure inclination muette l’un pour l’autre. […] IX Le beau et doux Marius, qui a perdu son idéal à lui, l’idéal de son cœur, Cosette, depuis quelques jours, parce que le jaloux tuteur Valjean l’a enfouie dans la maison de la rue Plumet, et qui conspire aussi sans savoir pourquoi, parce que le temps lui dure, comme dit la romance ; le beau Marius rencontre la petite Éponine, une des deux filles des Thénardier, tombée de l’opprobre dans la misère, mais qui le guette, le suit et l’aime à son insu. […] Ce logis communiquait, par derrière, par une porte masquée et ouvrant à secret, avec un long couloir étroit, pavé, sinueux, à ciel ouvert, bordé de deux hautes murailles, lequel, caché avec un art prodigieux et comme perdu entre les clôtures des jardins et les cultures dont il suivait tous les angles et tous les détours, allait aboutir à une autre porte également à secret, qui s’ouvrait à un demi-quart de lieue de là, presque dans un autre quartier, à l’extrémité solitaire de la rue de Babylone. […] avoir perdu la trace de ce qu’on aime ! […] XXX L’histoire des enfants perdus, soit dans la forêt, mangeant des mûres, soit dans les rues d’une grande capitale, et recueillis par la pitié d’un vagabond dans son nid d’un soir, dans un monument en charpente d’Égypte ou de Paris, est toujours une des misères les plus apitoyantes de l’humanité.

602. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Ce que je voyais me semblait une chute, une décadence ; je me crus perdu dans une fourmilière de pygmées. […] … » Elle passait ses journées à chanter les cantiques de Marseille, qui étaient son livre de prédilection 24, surtout le cantique de joseph : Ô Joseph, ô mon aimable, Fils affable, Les bêtes t’ont dévoré Je perds avec toi l’envie D’être en vie ; Le Seigneur soit adoré ! […] Les valeurs sont choses plus légères, plus éthérées, plus fragiles ; elles attachent moins, et on risque plus de les perdre. […] Observations, mais la vue du timbre m’interdit : l’idée que cette belle feuille de papier serait perdue m’arrêta. […] Le déplacement d’un atome rompait la chaîne de faits fortuits qui, au fond de la Bretagne, me prépara pour une vie d’élite ; qui me fit venir de Bretagne à Paris, qui, à Paris, me conduisit dans la maison de France où l’on pouvait recevoir l’éducation la plus sérieuse ; qui, au sortir du séminaire, me fit éviter deux ou trois fautes mortelles, lesquelles m’auraient perdu : qui, en voyage, me tira de certains dangers où, selon les chances ordinaires, je devais succomber ; qui fit, en particulier, que le Dr Suquet put venir à Amschit me tirer des bras de la mort, où j’étais enserré.

603. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Il semble que notre organisme perd pied, pour ainsi dire, dans ce vide, dans cette détente qui lui est imposée ; il en résulte une sorte de gêne, à la fois une tendance à nous reculer vers le plus profond de nous-même, et une impulsion à saisir avec avidité les premières impressions qui se présenteront. […] Et tandis que l’action dramatique, dans sa portée psychologique, c’est-à-dire par la sonorité expressive du mot et du motif, semble nous pénétrer et se perdre en nous, notre moi, par réaction fatale, se prend à vivre, à son insu, la vie du drame et à évoluer, dans sa compréhension subjuguée, selon le devenir déterminé de l’œuvre. […] En résumant, nous voyons une action triple concourant, de façon assez complexe, à l’agrandissement surhumain du personnage : la perspective des arceaux rectilignes faisant paraître tout plus éloigné, c’est-à-dire plus près de l’horizon ; la convexité du toit de l’orchestre écartant encore la scène de nous, tout en recouvrant l’abime mystique, en tamisant les sonorités ; et l’illusion accentuée dans tous les sens par l’éclat isolé de la scène au milieu de l’obscurité ambiante, sans que les personnages aient rien perdu de leurs dimensions, bien qu’ils semblent devoir paraître plus petits. […] Et, dans la chambre nuptiale, sa tendresse se fait plus inquiète ; en vain Lohengrin lui rappelle le serment qu’elle a prononcé, la prie, la conjure de chasser le doute, d’avoir confiance, de ne pas perdre la candeur de son amour. […] Elsa aimait, une tentation l’a perdue : elle doute, elle meurt d’avoir douté.

604. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Les formules impératives édictées à l’origine pour faire face aux premiers besoins de moralité ont perdu le pouvoir de contraindre par la terreur et il est bon qu’il en soit ainsi puisque les individus normaux de cette société se comportent instinctivement de la façon qu’exige l’intérêt de la collectivité. […] Or cette vue du philosophe paraît bien profonde si l’on considère que le juif, dont le lien national est purement ethnique et religieux et n’est fixé autour d’aucun lieu de l’espace, a tout à gagner et rien à perdre avec une doctrine qui fait de tous les hommes, des citoyens de l’univers égaux entre eux, et, des nationalités diverses, des faits d’une importance secondaire ou périmée. […] Fascinée par l’idée, elle va perdre le sens de ses nécessités vitales et adopter des attitudes qui lui sont défavorables. […] Il est arrivé ceci : les prohibitions, les règles et les contraintes qui se sont perpétuées dans le dogme et, dans la loi, n’étaient pour les hommes animés de la croyance ancienne, que des attitudes d’utilité raisonnées, Mais leur importance et leur utilité même eurent bientôt transformé ces attitudes naturelles en dogmes, dont la généalogie utilitaire peu à peu fut perdue. […] D’ailleurs, si les lois de Solon lèvent les défenses antérieures, le caractère sacré de l’ancienne prohibition montre encore le pouvoir qu’il exerce sur les esprits à ceci : que le vendeur perd, par le fait de la vente, ses droits de citoyen.

605. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Mais, malgré tout, cet élément de la pensée est bien une parole ; s’il a perdu les caractères accessoires de la parole physique, il en a gardé tous les caractères intrinsèques ; c’est une parole affaiblie, purifiée de tout mélange, et incorporée à la pensée ; mieux vaut donc continuer à l’appeler une parole. […] Peut-être alors faudrait-il signaler, comme une condition favorable du développement de la parole intérieure et de son association constante avec la pensée, l’harmonie préétablie, ou, plus exactement, l’harmonie d’essence, qui relie les sons à la succession psychique : le son étant, par lui-même, dénué de toute extension spatiale et de toute position dans l’espace, une série de sons est analogue à l’âme, pure succession inétendue ; une série d’images sonores devient donc le symbole le plus exact par lequel l’âme puisse se représenter à elle-même, si les sons qui la composent n’acquièrent par aucune association d’idées la spatialité qui leur faisait primitivement défaut, ou s’ils la perdent après l’avoir acquise ; ce dernier cas est celui de la parole intérieure : l’attention exclusive dont elle est l’objet la dissocie peu à peu et de l’image tactile, image essentiellement locale [ch. […] En s’élevant à cette fonction, le son, état faible, est dégagé peu à peu de toute association localisatrice ; dépouillé des caractères de l’extériorité, il reprend, avec l’apparence d’une pure succession, son état primitif, que la première opération lui avait fait perdre. […] Une soirée perdue. [« Une soirée perdue », publiée dans la RDM le 1er août 1840, Musset, Poésies complètes, « Pléiade », op. cit.

606. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Ils aboient comme des chiens perdus et se dispersent dans le brouillard. […] Les honneurs lui ont fait perdre la tête, et je ne puis la réduire. […] — Au surplus, ne te crois pas mon esclave au point d’avoir perdu toute initiative. […] Beaucoup perdent pied, invoquent le mystère endormeur de Jésus et renient leur raison. […] Les Sains rêvent, les yeux perdus vers le soleil.

607. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Si vous aviez été mère, les trois quarts de votre vie auraient été perdus pour votre mission. […] homme perdu ! […] Les Polonais se perdent en commentaires sur cette prédiction. […] … Il se perd dans les abîmes. […] Il l’avait perdu, il ne s’en était jamais consolé, il ne s’en consola jamais.

608. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Il fallait tout quitter ; chaque minute de retard faisait perdre des millions. […] Que de génie jeté au vent et à jamais perdu ! […] La passion de l’art le perdit. […] S’il s’était lui-même volontairement jeté dans ce gouffre, c’est qu’il n’y avait aucun intérêt et devait à coup sûr s’y perdre. […] a perdu en lui un de ses derniers et plus courageux champions.

609. (1911) Nos directions

Le Parnasse perdit le sceptre de la poésie. […] Non, je ne perdrai pas l’occasion de réhabiliter son emploi. […] Si l’excitation sexuelle y perd, l’art en s’élargissant y gagne. […] Rostand perdra pour nous le bénéfice de l’acoustique théâtrale. […] L’alexandrin y perd toute raison vitale.

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