» Voltaire continue en Hollande de faire des imprudences et d’obéir à sa nature ; il envoie au prince royal de Prusse (qui va être le grand Frédéric) un manuscrit sur la Métaphysique, et cette Métaphysique, si elle s’imprime, est de telle sorte qu’elle peut perdre à jamais son homme. […] Il est vrai que j’ai perdu cet état si heureux, et que ce n’a pas été sans qu’il m’en ait coûté bien des larmes.
En s’emparant de cette langue qu’il lui avait fallu conquérir et maîtriser, il la força un peu, il la marqua d’un pli qu’elle devait garder désormais ; mais il lui rendit plus qu’il ne lui faisait perdre, et, à bien des égards, il la retrempa et la régénéra. […] Les deux natures, celle de René et celle de Rousseau, ont un coin malade, trop d’ardeur mêlée à l’inaction et au désœuvrement, une prédominance de l’imagination et de la sensibilité qui se replient sur elles-mêmes et se dévorent ; mais, des deux, Rousseau est le plus vraiment sensible, celui qui est le plus original et le plus sincère dans ses élans chimériques, dans ses regrets, dans ses peintures d’un idéal de félicité permise et perdue.
La jeune Indienne, comme on la nommait à cause de son voyage d’Amérique, fut très remarquée à première vue, et elle ne perdait pas à l’examen. […] Mourant, et quand il eut perdu connaissance, on sait qu’elle se retira avant qu’il eût rendu le dernier soupir.
« Il n’avait pas dix ans quand son père mourut (6 mai 1749) : il en avait un peu plus de seize lorsqu’il perdit sa mère (16 février 1756) morte à l’Hôtel-Dieu. » La Harpe ne parla qu’assez tard de sa naissance ; soit mépris réel pour des propos à demi calomnieux, soit difficulté d’aborder ce point délicat, il ne s’expliqua pour la première fois qu’en 1790, et il le fit sur un ton qui nous montre assez son caractère. […] C’est une sottise inexcusable, mais il ne veut consulter personne, et, s’il écrit une seule ligne contre ses ennemis, il est perdu sans ressource.
En tenant dans mes mains ces volumes de forme et d’inspirations différentes, mais auxquels un vœu égal a présidé, et dont pourtant un si petit nombre surnage, même un seul instant, j’éprouve un sentiment douloureux de voir tant de peines, tant de soins et de temps perdus autour de chaque œuvre si couvée et si caressée, et qui est déjà tombée du sein paternel dans un monde d’indifférence. […] Une jeune et riche veuve campagnarde, Nola, autrefois servante, vient de perdre son vieux mari, qui l’avait épousée par reconnaissance de ce qu’elle lui avait cédé un dimanche sa place à l’église.
Mme de Maintenon, pourtant, lui écrivait à ce propos, en la félicitant : « Comme je ne perds jamais vos intérêts de vue, je suis ravie que vous n’ayez plus trois cents femmes à gouverner. » Ainsi elle-même, Mme de Maintenon, croyait trois cents femmes plus difficiles à gouverner que trois cents hommes. […] Elle se contenta donc d’égayer tout ce monde, de le consoler, d’inspirer la fermeté et une sorte de joie autour d’elle, de ne pas trop voir les choses en noir de son œil malade, d’obéir plutôt à sa douce humeur et à une certaine inclination d’espérer qui lui venait de la nature : Il arrive souvent, madame, écrit-elle à Mme de Maintenon, que lorsqu’on croit tout perdu, il survient des choses heureuses qui changent absolument la face des affaires. — Je pense, dit-elle encore, que la fortune peut nous redevenir favorable ; qu’il est de ses faveurs comme du trop de santé, c’est-à-dire qu’on n’est jamais si près d’être malade que lorsqu’on se porte trop bien, ni si proche d’être malheureux que quand on est comblé de bonheur.
Elle nous y parle du jeu, qui se mêlait très bien, assure-t-elle, à la causerie, et qui, tout follement engagé qu’il était, n’était point acharné alors comme aujourd’hui, et ne laissait perdre ni un récit amusant ni un bon mot. […] Ce n’est point ici le cas pour Edmond : Léonie est loin de s’engager avec lui ; mais peu à peu elle le remarque, elle lui en veut, puis elle lui sait gré ; enfin, elle s’occupe de lui, et tout le terrain que perd Alfred, Edmond insensiblement le gagne.
Il nous a laissé une idée riante de son enfance au sein d’une famille unie et tendre ; il avait un frère et deux sœurs ; ayant perdu sa mère de bonne heure, il retrouva dans son père une affection toute maternelle. […] Il reste évident, malgré tout, après la lecture de ces lettres d’Italie, qu’il s’est senti un peu perdu dans ce champ immense ; son voyage l’a encore plus humilié que réjoui, en lui révélant toute l’étendue de ce qu’il est forcé d’ignorer ou d’effleurer ; il sent le besoin de se concentrer au retour, de s’enfermer tout en vie et de ne sortir de sa retraite qu’avec quelque gros ouvrage : Vous êtes heureux, dit-il trop obligeamment à M. de Caylus, mais avec un regret très sincère pour lui-même, d’avoir des sujets isolés et piquants.
Mais d’autres conseillers de la reine sont d’un avis contraire, qu’ils appuient de raisons assez plausibles ; de peur de perdre la confiance de sa maîtresse, Richelieu, par prudence, se voit obligé de se ranger à leur avis, « et, à l’imitation des sages pilotes, de céder à la tempête. […] On a un tableau ironique comme en aurait pu tracer un Philippe de Commynes, et il le termine par ces considérations si dignes de lui, de l’homme resté, en tout temps, royal : Je reconnus en cette occasion que tout parti composé de plusieurs corps qui n’ont aucune liaison que celle que leur donne la légèreté de leurs esprits…, n’a pas grande subsistance ; que ce qui ne se maintient que par une autorité précaire n’est pas de grande durée ; que ceux qui combattent contre une puissance légitime sont à demi défaits par leur imagination ; que les pensées qui leur viennent, qu’ils ne sont pas seulement exposés au hasard de perdre la vie par les armes, mais, qui plus est, par les voies de la justice s’ils sont pris, leur représentant des bourreaux au même temps qu’ils affrontent les ennemis, rendent la partie fort inégale, y ayant peu de courages assez serrés pour passer par-dessus ces considérations avec autant de résolution que s’ils ne les connaissaient pas.
Saint François de Sales y énumère toutes les petites formes de partialité et d’injustice par lesquelles nous tirons à nous, dans la pratique de la vie, du côté de notre intérêt et de notre passion, sans vouloir l’avouer ni en avoir l’air, et sans nous croire moins honnêtes gens ; il fait toucher au doigt en quoi consistent ces défauts de raison et de charité, lesquels, au bout du compte, ne sont que de mesquines tricheries : « Car on ne perd rien, dit-il, à vivre généreusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur royal, égal et raisonnable. » Par ce seul chapitre, où respire dans le moindre détail la vraie loi de charité, saint François de Sales s’élève en morale bien au-dessus du Montaigne et du Franklin. […] Dans tous les conseils qui suivent, on peut vérifier à quel point ce charmant esprit si élevé était en même temps net et positif ; il donne la règle à suivre même pour les bons désirs, qu’il ne faut point perdre, mais « qu’il faut savoir serrer en quelque coin du cœur jusqu’à ce que leur temps soit venu. » Dans ses avis aux gens mariés, aux femmes, dans ses prescriptions sur l’honnêteté du lit nuptial, il est hardi, original et pur.
Son premier mot est pour consoler le captif, pour le rassurer : « Madame (Louise de Savoie) a senti si grand redoublement de forces que, tant que le jour et soir dure, il n’y a minute perdue pour vos affaires ; en sorte que de votre royaume et enfants ne devez avoir peine ou souci. » Elle se félicite de le savoir aux mains d’un aussi bon et généreux vainqueur que le vice-roi de Naples Charles de Lannoy ; elle le supplie, au nom de sa mère, de songer à sa santé : Elle a entendu que voulez entreprendre de faire ce carême sans manger chair ni œufs, et quelquefois jeûner pour l’honneur de Dieu. […] Ces rigueurs des âges suivants, ainsi adoucies et tempérées comme elles le sont par les mœurs générales, eussent été les bienfaits des siècles passés : il y a des points gagnés au civil qui ne se perdent plus.
Mercredi 29 octobre La France est perdue. […] » Et il termine, en disant qu’il pense que ça finira, comme en Chine, où il croit à une science primordiale complètement perdue, et réduite et tombée à des recettes industrielles.
Vendredi 23 février Des jours de souffrance, de faiblesse physique, de lâcheté morale, où peu à peu je perds l’énergie de sortir de chez moi, et où je m’habitue à une existence emprisonnée dans mon cabinet de travail, sans vouloir même descendre à la salle à manger pour y prendre mes repas. […] Donc la journée est perdue.
voilà comme tu m’as perdue. […] Kahn, on décompose le vers en éléments, chaque élément terminé par une muette perdra une syllabe.
Mais il y a surtout un ordre de valeurs qui ne sauraient être détachées de l’expérience sans perdre toute signification : ce sont les valeurs économiques. […] La preuve en est qu’une même chose peut ou perdre la valeur qu’elle a, ou en acquérir une différente sans changer de nature : il suffit que l’idéal change.
Et ce n’est pas du temps perdu : la rêverie est un travail latent qui, pour s’accomplir à l’insu de l’artiste, n’en féconde pas moins son cerveau. […] Leur bien-être et vos convenances y perdent ; — qui sait ?
Ces animaux-guinné perdent, lorsqu’ils figurent dans les contes, les caractéristiques conventionnelles que les fables leur attribuent d’une façon invariable. Le pleureur perd sa turbulence et ses instincts malfaisants pour devenir secourable (v.
Au reste, les louanges prodiguées à la mémoire de Henri IV, à l’instant de sa mort, ne furent point semblables à tant d’éloges de princes ou d’hommes puissants qui, après avoir retenti sous les voûtes des temples dans une cérémonie funèbre, semblent le moment d’après aller se perdre et s’ensevelir avec eux dans la tombe qui les attend. […] Enfin, on écrivit son histoire, et l’on ne manqua point d’observer qu’il était né le même jour que François Ier perdit la bataille de Pavie, comme si apparemment la nature eût voulu consoler la France.
» Certes, l’accent d’une telle voix est bien élevé ; il touche au sublime ; mais il y touche une dernière fois, pour se perdre dans le néant. […] A-t-elle perdu la chaste fleur de sa beauté, elle n’est plus aimable aux yeux des adolescents, ni chère aux jeunes filles.
Enfin, l’anthropophagie, qui commençait à se perdre dans le monde sauvage, se retrouvait, le 3 septembre 1792, après la mort de la princesse de Lamballe, à la porte du Temple, dans la vieille capitale de la civilisation. […] Ce dernier regard d’un roi mourant, qui laissait derrière lui la monarchie compromise et presque perdue ; ce premier regard d’une reine alors si belle et si adorée, quelques années plus tard si éprouvée et si courageuse, ne sortirent point de la mémoire de M. de Bonald. […] Ces deux événements n’obtiennent de sa plume, dans ses lettres à son ami Vignet des Étoiles, que deux courtes mentions, qui constatent en passant son naufrage particulier, perdu à ses yeux dans le naufrage gêneral. […] Ayant perdu sa mère, dans son enfance, il ne put trouver une atténuation à cet immense malheur dans les soins de son père, absorbé par les occupations de son commerce et l’état de ses affaires, que l’emprunt forcé et les captures des Espagnols avaient compromises. […] Il entrait dans saseptième année, quand il perdit son père ; sa mère, femme d’un esprit remarquable, alla chercher à Genève, pour ses deux fils, une de ces éducations fortes qu’on ne trouvait plus à cette époque en France.
Après Montaigne et quand on eut vu son succès, il prit sans doute envie à plus d’un gentilhomme campagnard de jeter par écrit ses fantaisies sans beaucoup d’ordre, et de devenir auteur à ses moments perdus sans cesser de courir le lièvre.
Quand une série de faits concordants se présentait, Sainte-Beuve, en parfait chroniqueur, multipliait ses lettres, et ne perdait pas une occasion d’écrire.
On s’y perd : — pétulance, étourderie, entraînement d’une verve plus forte que l’homme, d’un cheval plus fort que son cavalier ; impossibilité de se contenir, oui, une véritable incontinence de pensée, c’est-à-dire une vraie faiblesse sous ces aspects de violence !
Conclusion : le jésuitisme peut encore gagner beaucoup en France, et le catholicisme pourtant continuer de perdre.
Les hautes dignités elles-mêmes du clergé ne paraîtraient plus aujourd’hui aux enfants de ces familles nobles, d’ordinaire encore très-religieuses, une considération sociale suffisante et une compensation pour ce qu’ils perdraient.
La poésie, en se faisant simple auxiliaire à la suite des idées philosophiques, avait perdu ses qualités éminentes les plus énergiques et les plus châtiées ; Voltaire, son dernier représentant illustre, avait été son plus grand corrupteur L’entreprise de Chénier fut une œuvre d’étude et de long silence, pleine de secrets labeurs au sein d’une vie de plaisirs, et animée d’un profond amour de cette France, qu’il voulait doter de palmes plus rares.
A chacune de ces contradictions nouvelles, elle a gagné d’un côté ce qu’on lui interdisait de l’autre ; elle a perdu, chaque fois, quelque chimère, quelque fiction dont elle ne s’était pas assez gardée dans le premier enivrement ; et aujourd’hui que tous les obstacles sont enfin levés, elle remet en commun tous ces progrès si lents, tous ces résultats conquis un à un durant quarante années : il n’y a que les chimères qu’elle a laissées en chemin.