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365. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

C’est par là que l’histoire elle-même peut se plier à cette loi d’Aristote : « la science ne s’occupe que du général. » Il est arrivé pour l’histoire ce qui est arrivé pour la science : elle s’est démembrée, elle s’est divisée en chapitres particuliers, qui sont devenus des sciences distinctes. […] Ainsi, à aucun point de vue, les livres ne sont inférieurs aux choses ; je parle des grands livres, qui ne sont pas de purs accidents, mais qui sous une forme particulière expriment quelques-unes des lois générales de la pensée. […] C’est là, nous le reconnaissons, le travail de toute une vie ; mais maintenant que les sources sont connues, que les grandes écoles ont été approfondies, une multitude de points particuliers éclaircis, le moment serait venu peut-être d’entreprendre une vaste synthèse qui embrasserait l’histoire générale des systèmes non-seulement en eux-mêmes, mais dans leurs rapports avec l’histoire religieuse, politique et scientifique en général.

366. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

— Il n’est pas un précurseur, comme Pétrarque ; il est tout de son époque ; mais il l’a pénétrée si profondément qu’il en a exprimé, derrière les formules particulières, le problème en ce qu’il a d’éternel et d’universel. […] La nouvelle, je l’ai déjà dit, est une vision toute particulière, qui tient du drame autant que de l’épopée ; elle n’est pas un court roman, mais un drame en germe, tout en ayant d’ailleurs, comme forme d’art, sa vie à elle. […] Il y a là un phénomène que nous constaterions aussi dans la littérature allemande et qui mérite une attention particulière ; il s’agit d’un conflit entre l’évolution nationale et l’évolution de l’humanité pensante en général.

367. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Mais par la manière dont vous présentez les faits, dont vous les développez, dont vous les rapprochez les uns des autres, par les grandes actions comparées aux grands obstacles, par l’influence d’un homme sur sa nation, par les traits énergiques et mâles avec lesquels vous peignez ses vertus, par les traits touchants sous lesquels vous montrez la reconnaissance ou des particuliers ou des peuples, par le mépris et l’horreur que vous répandez sur ses ennemis, enfin, par les retours que vous faites sur votre siècle, sur ses besoins, sur ses faiblesses, sur les services qu’un grand homme pourrait rendre, et qu’on attend sans espérer, vous excitez les âmes, vous les réveillez de leur léthargie, vous contribuez du moins à entretenir encore dans un petit nombre l’enthousiasme des choses honnêtes et grandes. […] Mais ces connaissances ne sont encore que générales, il vous en faut de plus particulières. […] Qu’il ne consulte ni un particulier ni une ville, ni même une nation et un siècle, dont les mœurs et les idées changent, mais la nature de tous les pays et de tous les temps, qui ne change pas.

368. (1888) Études sur le XIXe siècle

Or, ce qu’il a trouvé dans ces modèles, ce n’est pas seulement une forme littéraire d’une admirable pureté, c’est encore et surtout le profond idéalisme dont leurs œuvres sont imprégnées et la toute particulière conception de la vie qu’elles dégagent. […] Mais, avec la lutte, finit aussi la vie commune des préraphaélites, qui désormais se développeront chacun dans son sens particulier. […] Toute formation géologique a ses traits essentiels qui n’appartiennent qu’à elle, ses lignes déterminées de fracture qui donnent naissance à des formes constantes dans les terrains et les rochers, ses végétaux particuliers parmi lesquels se distinguent encore des différences plus particulières par suite des variétés d’élévation et de température. […] Mais chez Victor Hugo, elles sont autre chose et plus qu’une nécessité de rhétorique, elles correspondent, si je puis m’exprimer ainsi, à un besoin particulier de matérialisation. […] En revanche, on retrouve en M. de Amicis un peintre de race, un miniaturiste charmant, dès qu’il enchâsse dans un cadre restreint une vue particulière, dès qu’il s’applique à une étude de détail.

369. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

La loi morale a encore ceci de particulier qu’elle parle plus volontiers à la seconde personne qu’à la première : tu dois, au lieu de je dois ; dans le cas de reproche, elle emploie quelquefois le vous au lieu de tu, parce que le vous, dans nos usages modernes, est méprisant quand il n’est pas cérémonieux. […] Il ne paraît pas que chacun d’eux ait eu un timbre de voix particulier ; elle les distinguait par les noms qu’ils se donnaient et surtout par des signes visibles. […] Socrate croyait à une providence immanente répandue partout et se manifestant aux hommes de temps à autre par des signes particuliers, de préférence par des signes audibles ; pour certains hommes, la Providence divine était plus attentive et plus manifeste que pour le vulgaire ; Socrate se croyait du nombre de ces privilégiés. […] Les souvenirs seuls ont la valeur de documents historiques ; les passages qui nous paraissent présenter ce caractère sont courts ; nous y trouvons d’abord plusieurs définitions générales du phénomène, définitions plus ou moins explicites, mais concordantes ; puis l’indication d’une de ses applications habituelles ; enfin, un seul exemple particulier nous paraît pouvoir être reçu comme authentique. […] Ceci est le seul fait positif et particulier pour lequel l’intervention du prétendu démon nous soit attestée par un témoignage authentique ; Xénophon, qui le rapporte, mais qui était absent d’Athènes lors du procès et de la mort de Socrate, nomme son garant, un certain Hermogène, fils d’Hipponicus, que nous savons par d’autres textes200 avoir été parmi les familiers de Socrate.

370. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Aussi il a mérité que ces lettres, écrites d’abord dans un but tout à fait particulier, et sans vue de publicité extérieure, parussent aujourd’hui, lui mort, sous les auspices et pour l’édification de cette doctrine même qu’il servit si religieusement ; qu’elles fussent proposées au public comme l’expression avouée et une des premières manifestations écrites de ce dogme immense qui mûrit et se développe de jour en jour. […] Ce qui peut y être considéré comme le propre d’Eugène, c’est la forme qu’il leur a donnée et qui nous représente fidèlement la tournure particulière de son esprit ; quelque chose de complexe, d’un peu obscur à la surface, et qui rayonne par le fond ; une clarté profonde, sans beaucoup de transparence ; une pensée solidaire qui se manifeste sur plus d’un point à la fois, et se déroule avec une plénitude imposante dans sa qualité fondamentale ; un arbre d’une puissante végétation intérieure, qui n’a nul souci de l’écorce ; une allure simple, grave, un peu enveloppée, faisant beaucoup de chemin sans affecter beaucoup de mouvement ; souvent de ces mots brefs et compréhensifs, de ces formules d’apôtre qui gravent une pensée pour toute une religion.

371. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Cet horrible état demande une explication particulière, et peut-être faut-il avoir été témoin d’une révolution, pour comprendre ce que je vais dire sur ce sujet. […] D’ailleurs, un caractère particulier aux grands coupables, c’est de ne point s’avouer à eux-mêmes le malheur qu’ils éprouvent, l’orgueil le leur défend ; mais cette illusion, ou plutôt cette gêne intérieure ne diminue rien de leurs souffrances, car la pire des douleurs est celle qui ne peut se reposer sur elle-même.

372. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XI. Des éloges funèbres sous les empereurs, et de quelques éloges de particuliers. »

Des éloges funèbres sous les empereurs, et de quelques éloges de particuliers. […] Les éloges funèbres des particuliers devinrent donc beaucoup plus rares ; cet honneur ne fut presque rendu qu’à la famille impériale.

373. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Pour ma part, je la considérerais volontiers comme l’exemple particulier d’un état général. […] Ainsi, dans la tribu des Arunta, les esprits ont un goût particulier pour les belles femmes un peu dodues. […] Est-il admissible que, dans des conditions particulières, le fil nerveux puisse être également supprimé ? […] Jules de Gaultier, a créé, pour qualifier ce penchant universel, une expression particulière. […] Lefébure, qui fut blessé en luttant avec le Roseg, ressent pour cette dure montagne une particulière dilection.

374. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Et qu’est-ce qu’un roman de mœurs, dans sa forme originelle, avant que l’artiste en ait extrait pour ainsi dire l’œuvre d’art, sinon, réciproquement, des Mémoires particuliers sur les hommes et les choses de son temps ? […] Ces traits ne sont donc pas du caractère des personnages, mais bien, et positivement, du style de l’auteur, de sa façon particulière de penser et d’écrire. […] Voilà bien jusqu’à ces tics de style, « cet honneur-là, ces raisons-là », que l’on n’a pu croire particuliers à Marivaux que faute d’avoir assez lu Fontenelle. […] Mais l’honneur ou le bonheur des autres ne diminue pas le mérite particulier de Marivaux. […] Richardson, lui, sentit d’abord ce que cette même forme procurait de facilités particulières à la prédication morale, et l’artiste qui était en lui, survenant à son tour, en découvrit à l’épreuve la merveilleuse richesse.

375. (1921) Esquisses critiques. Première série

Que tout cela déjà est original et particulier ! […] Il ne parvient pas même à douer les figures qu’il façonne de cet ensemble de traits particuliers et constants qui établissent une sorte de parenté entre les créations diverses d’un esprit original. […] Non, ce milieu particulier, dans lequel se déroulent les volumes de M.  […] Toulet où nous lui voyons des caractères particuliers. […] Elle a je ne sais quoi de morose et de triste qui la colore d’une façon particulière.

376. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Le bon goût dans les choses littéraires, et la méthode, cet autre bon goût qui est particulier aux sciences, le xvie  siècle n’en sut point le prix ni l’usage. […] Tous ses écrits de cette époque ne furent plus composés qu’en vue de quelque circonstance particulière et en quelque sorte domestique ; moins que jamais le public apparut à sa pensée, ce grand public prochain qui allait être le seul juge. […] Il commence par poser avec Charron « que la justice, vertu et probité du Souverain, chemine un peu autrement que celle des particuliers. » A-t-il tort de le prétendre ? […] Parmi les opinions particulières qui ne font faute, est celle qui range dans les inventions des coups d’État la venue de la Pucelle d’Orléans, « laquelle, ajoute Naudé en passant, ne fut brûlée qu’en effigie. » Il ne daigne pas s’expliquer davantage. […] Cette porte particulière n’eut pas temps de s’ouvrir, à cause des troubles.

377. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Sur la scène solennellement émouvante, où des personnages à la fois héroïques et criminels combattent pour le triomphe d’un droit saint en lui-même, mais inique en ce qu’il ne peut triompher que par la ruine d’un autre droit inviolable, plane, jusqu’à la catastrophe finale, l’ombre de la Némésis tragique, comme l’Harmonie suprême et la Justice absolue, qui brisera la justice relative de toutes les volontés particulières, pour rétablir l’accord rompu entre les idées morales, et opérer ainsi la réconciliation intérieure du Divin rentré dans son repos181. […] Le développement de la personnalité permet de représenter le côté particulier de l’existence, dans la multiplicité de ses incidents, à la fois quant aux détails particuliers de la vie intime et aux circonstances extérieures au milieu desquelles l’action se déroule. […] Aristote a dit aussi dans l’endroit le plus profond de sa Poétique : La poésie est quelque chose à la fois de plus philosophique et de plus sérieux que l’histoire, puisque la poésie s’occupe davantage de l’universel, et que l’histoire s’occupe davantage du particulier (ch.  […] Pour se faire une idée nette de la forme particulière de l’ordre social, qui est accessible aux représentations de l’art, on n’a qu’à jeter un coup d’œil sur celle qui lui est opposée. […] En effet, dans un État qui mérite ce nom, tout est sous l’empire des lois et des coutumes, tes droits par lesquels la liberté est fixée et régularisée d’une manière générale et abstraite sont indépendants de la volonté individuelle, et du hasard des circonstances particulières.

378. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Je cherchais ainsi à me représenter l’œuvre d’art qui doit embrasser tous les arts particuliers et les faire coopérer à la réalisation supérieure de son objet. […] C’est le projet d’une institution de fête théâtrale : un tel projet devra sa réussite au concours des particuliers, et surtout à l’appui d’un prince qui veuille s’y dévouer. […] Les efforts sociaux sont vains ; il faut dans ce monde que les volontés particulières soient pliées à la volonté unique et despotique de l’Etat. […] Nous serions vraiment en peine de signaler aux lecteurs de la Revue Wagnérienne un chapitre particulier du livre de M.  […] Jourdain fait un Walther trop immobile et Mme Caron n’a pu s’élever jusqu’à la conception du rôle d’Eva pour lequel la nature particulière de son talent n’a pas les affinités de race.

379. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Boisgobey, me parlant du gâtisme d’un de nos confrères, le comparait à un ver de latrine particulier à l’Afrique, et dont sa maîtresse, dans ce pays, ne pouvait prononcer le nom arabe, sans cracher à terre. […] Samedi 7 juin C’est particulier, comme la mort fait le ressouvenir pardonnant à l’égard des gens qu’on enterre. […] Un détail particulier des enterrements de ce pays. […] » Et elle se mettait à lui préparer les lettres de faire part, qu’elle aurait à envoyer, Pélagie ajoutait que la mère, à force d’avoir pleuré dans sa vie, avait les yeux d’un violet particulier, d’un violet ressemblant à certaines petites figues du Midi. […] Causerie avec le peintre Carrière, qui me tire de sa poche, un petit calepin, où il me montre une liste de motifs parisiens qu’il veut peindre, et parmi lesquels, il y a une marche de la foule parisienne, cette ambulation particulière, que j’ai si souvent étudiée d’une chaise d’un café du boulevard, et dont il veut rendre les anneaux, semblables pour lui aux anneaux d’une chaîne.

380. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

Ainsi, la sensation de douleur est sujette à une condition particulière ; pour qu’elle se produise, il faut que la circulation du sang, et partant les désassimilations et les assimilations moléculaires du nerf, se fassent avec un certain degré de vitesse. […] En troisième lieu, la sensation du jaune, comme celle de l’indigo, est composée des trois sensations élémentaires et simultanées de couleur, le rouge, le violet et le vert, chacune avec un degré particulier d’intensité. […] Elle a d’abord institué la sensation qui traduit le fait avec une justesse et une finesse plus ou moins grande ; puis la sensation survivante et capable de résurrection indéfinie, c’est-à-dire l’image, qui répète la sensation et qui par suite traduit le fait lui-même ; puis le nom, sensation ou image d’une espèce particulière, qui, en vertu de propriétés acquises, représente le caractère général de plusieurs faits semblables, et remplace les sensations et images impossibles qui traduiraient ce caractère isolé. Au moyen de cette correspondance, de cette répétition et de ce remplacement, les faits du dehors, présents, passés, futurs, particuliers, généraux, simples, complexes, ont leurs représentants internes, et ce représentant mental est toujours le même événement interne plus ou moins composé, répété et déguisé. […] « L’ingestion de la santonine détermine une variété particulière de daltonisme en rendant la rétine insensible aux rayons violets… » Certains sujets « ne perçoivent pas le bleu ; cet état coïncide toujours avec l’insensibilité de la rétine aux rayons rouges.

381. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Cette musique n’appartient qu’à la Russie, et c’est peut-être la seule chose particulière à un peuple qui ne soit pas ancienne. […] Croirons-nous que les législateurs antiques, qui furent tous des hommes prodigieux, n’aient pas eu dans ces contrées des raisons particulières et puissantes pour établir de tels usages ?  […] Ne contiennent-ils rien de particulier et d’étranger à notre nature ? […] Il est fait comme nous extérieurement, il naît comme nous ; mais c’est un être extraordinaire, et, pour qu’il existe dans la famille humaine, il faut un décret particulier, un fiat de la puissance créatrice. […] Quant au titre de ministre d’État, joint à la dignité de régent, il ne suppose pas des fonctions particulières, ni la direction d’un département.

382. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

Je vois à la philosophie de Kant deux grands antécédens : l’esprit général, le mouvement universel de l’Europe, puis l’esprit particulier de l’Allemagne. […] Je dois insister davantage sur l’état particulier de l’Allemagne avant Kant. […] Quand l’unité du saint-empire eut péri, et que le titre d’empereur fut devenu un titre vain qui n’était plus en réalité que celui d’empereur d’Autriche, les électeurs et les princes, rendus à l’indépendance, devinrent peu à peu des monarques absolus, et au despotisme régulier d’un seul succéda une foule de despotismes particuliers. […] Il y a d’abord l’idée particulière d’un certain meurtre commis dans telle ou telle circonstance, avec tel ou tel instrument déterminé ; il y a aussi l’idée non pas d’un meurtrier en général, mais de tel ou tel meurtrier, qu’il s’agit de découvrir. […] Dans la proposition en question, et dans toute proposition semblable, il appelle les élémens particuliers variables et accidentels, la matière (materie) de la connaissance, et il donne le nom de forme (forme) à l’élément général et logique.

383. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Quand son éducation critique est suffisante, il est capable de démêler sous chaque ornement d’une architecture, sous chaque trait d’un tableau, sous chaque phrase d’un écrit, le sentiment particulier d’où l’ornement, le trait, la phrase sont sortis ; il assiste au drame intérieur qui s’est accompli dans l’artiste ou dans l’écrivain ; le choix des mots, la brièveté ou la longueur des périodes, l’espèce des métaphores, l’accent du vers, l’ordre du raisonnement, tout lui est un indice ; tandis que ses yeux lisent un texte, son âme et son esprit suivent le déroulement continu et la série changeante des émotions et des conceptions dont ce texte est issu ; il en fait la psychologie. […] On connaissait l’homme, on ne connaissait pas les hommes ; on n’avait pas pénétré dans l’âme ; on n’avait pas vu la diversité infinie et la complexité merveilleuse des âmes ; on ne savait pas que la structure morale d’un peuple et d’un âge est aussi particulière et aussi distincte que la structure physique d’une famille de plantes ou d’un ordre d’animaux. […] C’est dans cet intervalle entre la représentation particulière et la conception universelle que se trouvent les germes des plus grandes différences humaines. […] Il y a un système particulier d’impressions et d’opérations intérieures qui fait l’artiste, le croyant, le musicien, le peintre, le nomade, l’homme en société ; pour chacun d’eux, la filiation, l’intensité, les dépendances des idées et des émotions sont différentes ; chacun d’eux a son histoire morale et sa structure propre, avec quelque disposition maîtresse et quelque trait dominateur. […] D’ailleurs, il y a cela de particulier dans cette civilisation, qu’outre son développement spontané, elle offre une déviation forcée, qu’elle a subi la dernière et la plus efficace de toutes les conquêtes, et que les trois données d’où elle est sortie, la race, le climat, l’invasion normande, peuvent être observées dans les monuments avec une précision parfaite ; si bien, qu’on étudie dans cette histoire les deux plus puissants moteurs des transformations humaines, je veux dire la nature et la contrainte, et qu’on peut les étudier sans incertitude ni lacune, dans une suite de monuments authentiques et entiers.

384. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Pour plus de clarté, j’écrirai Harmonie et Rythme au sens général, rythme et harmonie dans le sens particulier. […] Le Rythme, au contraire, est tout entier dans le temps ; il mesure le temps particulier d’une action, et, en art, ne peut être étudié dans l’espace qu’à travers l’orchestique où l’on en acquiert la notion comme d’un geste inscrit dans la durée. […] Il en est autrement des harmonies : elles paraissent, en effet, contenir une sorte de Rythme particulier, s’attirent réciproquement et changent de l’une à l’autre en un perpétuel roulement ; mais ces évolutions procèdent par des progressions régulières et bien assises et ne sont en réalité qu’un résultat de l’inertie. […] La proposition grammaticale coïncide avec le vers, ou, plus souvent, les membres de chaque proposition sont présentés séparément ; parfois même il suffit d’un fragment de l’un d’eux pour remplir tout un vers lorsqu’il a une particulière importance descriptive, suggestive ou dramatique et, — chez M.  […] Progrès inconscient peut-être, mais naturel : l’enjambement n’a sa raison d’être qu’avec la mesure syllabique dont il cherche à combattre la monotonie ; il ne peut que nuire aux rythmes, — hors des cas particuliers pour lesquels, encore une fois, la sensation ainsi exprimée justifie l’exception ; — car, au développement naturel des mouvements qu’elle contient doit s’allier le développement naturel de la période.

385. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Dès les premières lignes de ses contes et de ses poèmes, par l’emploi d’un style particulier et variable, d’une certaine catégorie de mots et d’une syntaxe précise, par le ton spécifique du début, Poe s’empare de l’attention, dispose à le suivre en une certaine humeur, contraint — de même qu’un sourire fait sourire, et qu’un clignement d’yeux porte à prendre l’air rusé, — à ressentir l’état d’esprit, la comicité nerveuse et le douloureux accablement dont l’œuvre sera saturée. […] Outre l’aspect particulier que prennent chez Poe les trois parties primordiales de l’esthétique de tout écrivain : le style, l’invention des lieux et des personnages, la composition, il est utile de considérer les caractères généraux de ces éléments, les propriétés par lesquelles ils concordent et coopèrent. […] Ayant choisi un effet premièrement nouveau, secondement vif, je considère si on peut le produire le mieux par des incidents ordinaires et un ton particulier, ou par des incidents et un ton particuliers, regardant ensuite autour de moi ou plutôt en moi pour trouver cette combinaison de ton et d’événements qui m’aideront le mieux à produire l’effet. […] Il faut donc imaginer que ces penchants grands et moindres, les visions d’horreur, les associations incohérentes, la raison domptant toute émotion, ont été situés entre 1809 et 1849 dans la matière d’un encéphale particulier, pourri depuis et résorbé par le sol du cimetière de Baltimore en Amérique ; que cette cervelle remplissait le crâne d’un homme à cheveux noirs, lustrés et bouclés, à yeux gris, au large front, aux ièvres minces, droites, coupées aux coins de deux incises diagonales, un homme à la tète massive et presque cubique posée sur des épaules rondes, fortes, tombantes, ayant la taille moyenne et les mains musculeuses, l’air impérieux, sûr de lui-même, sarcastique et gracieux.

386. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Voyez, pesez… Ce n’était pas consulter assez l’humeur particulière de Sieyès que de croire qu’il s’associerait si aisément avec des collaborateurs de rencontre et non de son choix ; Sieyès ne se mêle pas volontiers aux autres. […] D’ailleurs, simple particulier, ayant une presse, une imprimerie à lui, il en usait largement. […] Dans les quinze jours qui précédèrent le 18 Brumaire, il voyait le général tous les soirs et avait avec lui un entretien particulier : « Bonaparte ne voulait rien faire sans Sieyès ; Sieyès ne pouvait provoquer Bonaparte. […] Nous nous étions interdit toute entrevue particulière et tout entretien secret.

387. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Au sein d’une Chambre divisée en partis violents, Tocqueville juge admirablement l’ensemble d’une situation ; sortant des questions trop particulières, il généralise ses Vues, remonte aux causes du mal et disserte sur les mœurs publiques ; il considère à bout portant la crise qu’il a sous les yeux, non au point de vue pratique, mais au point de vue historique déjà. […] Ce n’est pas à une nation démocratiquement constituée comme la nôtre, et chez laquelle les vices naturels de la race ont une malheureuse coïncidence avec les vices naturels de l’état social, ce n’est pas à cette nation qu’on peut laisser prendre aisément l’habitude de sacrifier ce qu’elle croit sa grandeur à son repos, les grandes affaires aux petites ; ce n’est pas à une pareille nation qu’il est sain de laisser croire que sa place dans le monde est plus petite, qu’elle est déchue du rang où l’avaient mise ses pères, mais qu’il faut s’en consoler en faisant des chemins de fer et en faisant prospérer au sein de la paix, à quelque condition que cette paix soit obtenue, le bien-être de chaque particulier. […] Il ne parvint pas dans la presse plus qu’à la tribune à trouver une base, une représentation un peu large et distincte aux opinions particulières qu’il apportait dans l’Opposition. […] Vieillard, l’ancien précepteur du fils aîné de la reine Hortense, l’ami particulier et le correspondant, en tout temps, du prince Louis-Napoléon, l’homme dévoué à l’Empereur bien avant l’Empire, le libre et original penseur dont la fin, tout sénateur qu’il était, ne démentit point les convictions.

388. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Tout me prouve la destination des trois opuscules de Saint-Évremond : une dédicace, écrite par l’éditeur Barbin en 1668159 ; le genre particulier d’ouvrage dont il s’agit ; enfin, les relations intimes qui ont dû exister entre Saint-Évremond et la marquise de Sablé. » M.  […] Vous y perdez une de vos meilleures amies : vous ne sauriez croire combien elle a été regrettée du public et des particuliers. […] Je ne sais si je me trompai mais il me semble que, dans l’ancienne société, telle qu’elle était faite, le champ de l’amitié était plus étendu qu’aujourd’hui : il y avait plus de sujets réservés, plus de choses particulières dont on eût à s’entretenir, même en matière d’idées ; la publicité, comme aujourd’hui, n’avait pas tout pris, tout défloré : il y avait bien plus de place à la confidence et au secret. […] La matière qui alimentait ces conversations si particulières, ces confidences infinies d’autrefois, est soutirée à chaque instant, désormais, par la circulation du dehors ; le huis clos de l’intimité est éventé.

389. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

On exclut du discours la plupart des mots qui servent à l’érudition spéciale et à l’expérience technique, les expressions trop latines ou trop grecques, les termes propres d’école, de science, de métier, de ménage, tout ce qui sent de trop près une occupation ou profession particulière et n’est pas de mise dans la conversation générale. […] Même, selon le précepte de Buffon, on les emploie pour désigner les choses particulières. […] Cela est plus commode pour l’attention paresseuse ; il n’y a que les termes généraux de la conversation pour réveiller à l’instant les idées courantes et communes ; tout homme les entend par cela seul qu’il est du salon ; au contraire, des termes particuliers demanderaient un effort de mémoire ou d’imagination ; si, à propos des sauvages ou des anciens Francs, je dis « la hache de guerre », tous comprennent du premier coup ; si je dis « le tomahawk », ou « la francisque », plusieurs supposeront que je parle teuton ou iroquois360. […] Tous ont les mêmes goûts, les mêmes passions, les mêmes mœurs, parce qu’aucun n’a reçu de forme nationale par une institution particulière. » (Rousseau, Sur le gouvernement de Pologne, 170.)

390. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Sarcey part de ces deux principes incontestables : 1° Le théâtre est un genre particulier, soumis à certaines règles nécessaires qui dérivent de sa nature même ; 2° Les pièces de théâtre sont faites pour être jouées, et non pas devant une poignée de délicats, mais devant de nombreuses assemblées d’hommes et de femmes. […] Et vous-même, soyez sincère : ne vous êtes-vous pas laissé prendre plus d’une fois à ces machines d’un art inférieur et particulier, dont la grossièreté choque par réflexion votre délicatesse ? […] Inférieur ou non, c’est un art particulier et très puissant dont on peut déterminer les moyens et la forme nécessaire ; et c’est ce que j’ai fait. […] La blague est un certain goût, qui est spécial aux Parisiens et plus encore aux Parisiens de notre génération, de dénigrer, de railler, de tourner en ridicule tout ce que les hommes, et surtout les prudhommes, ont l’habitude de respecter et d’aimer ; mais cette raillerie a ceci de particulier que celui qui s’y livre le fait plutôt par jeu, par amour du paradoxe que par conviction : il se moque lui-même de sa propre raillerie.

391. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

L'intérêt particulier, quel qu'il soit, est proscrit par la morale, &, avec lui, non seulement les actions qui ont quelque vice pour principe, mais toutes celles qui n'ont pas la vertu pour objet. […] Nous sommes bien éloignés de vouloir avilir nos Contemporains : mais quelle comparaison entre ces temps de grandeur & d'élévation, de franchise & de bonne foi, où la soumission religieuse contenoit les esprits, fixoit les sentimens, régloit les mœurs, & ce temps de vertige où tout paroît permis, où l'on n'est retenu par aucun frein, où l'on craint plus de manquer aux bienséances qu'à la vertu, où les rangs décident la Justice, où l'intérêt public est continuellement sacrifié à l'intérêt particulier ? […] Fût-elle plus austere que nos Philosophes le prétendent, son joug n'est-il pas infiniment avantageux, puisqu'elle ne tend qu'à diminuer le nombre des vices, qu'à multiplier les vertus, qu'à établir le bonheur général, en mortifiant les intérêts particuliers ? […] Comme l’ordre de la Société exige pour son propre soutien de la subordination, de la dépendance, de la fatigue ; comme la corruption de l’humanité répand sur le général & sur les particuliers, des afflictions, des peines, des travaux, des oppressions, des injustices : quel homme pourroit se soumettre aux rigueurs d’un partage si cruel à la Nature, sans une lumiere qui lui apprît à supporter les amertumes de son sort ; sans un contrepoids qui réprimât les soulévemens d’une sensibilité trop souvent juste ; sans une loi de soumission qui lui fît accepter, par des vûes sur-humaines, tout ce qui peut blesser son esprit & révolter son cœur ?

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