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998. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

C’est la dernière lueur avant l’ombre définitive, le dernier surgeon, la dernière poussée de sève au tronc de l’arbre mort.

999. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité » pp. 185-210

Je repeterai encore une observation : c’est que les acteurs des anciens ne joüoient pas comme les nôtres à la clarté des lumieres artificielles qui éclairent de tous côtez, mais à la clarté du jour qui devoit laisser beaucoup d’ombres sur une scéne où le jour ne venoit guere que d’en haut.

1000. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXII. La comtesse Guiccioli »

Le livre que voici donne une opinion de plus sur Byron, mais ne change pas, par un fait nouveau, mais ne modifie pas d’un iota, d’un atome, d’un atome d’atome, l’opinion faite de longue main sur Byron, Historiquement, biographiquement, littérairement, tout ce qui est dit ici a été dit ailleurs sur le grand poëte anglais, dont la vie ressemble à ces fragments sublimes interrompus du Giaour, plaques de lumière et d’ombre ; et sa destinée est peut-être de rester mystérieuse, comme celle de ces Sphinx de l’Action, — Lara et le Corsaire, — ces Mystères vivants qu’il a chantés !

1001. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’empire russe depuis le congrès de vienne »

ce n’est pas uniquement la peur de cet œil qui ne dort jamais, — qui s’ouvre au plafond entre deux lustres, — qui s’ouvre au parquet entre les deux roses d’un tapis, — et l’ombre menaçante de cette main retrouvée sur tous les murs et qui peut les saisir dans leur alcôve la mieux fermée, et les jeter, en deux temps, aux traîneaux fuyants de l’exil, qui empêchent les Russes de préparer leur histoire future en écrivant des Mémoires, — ces mines d’où l’Histoire doit sortir !

1002. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Courtois et souriant, avec une ombre dans les yeux, il était de ces créatures qu’un rien fait tressaillir.

1003. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Ce n’est pas parce qu’on s’acoquine dans l’ombre d’un bronze qu’on devient bronze, quand on n’est qu’un morceau de papier !

1004. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

On cherche en vain dans cette aristocratique religieuse agenouillée, sous ce visage, à l’ovale si pur, que l’austère et strict bandeau fait paraître plus pur encore, la mystique dont l’âme, à force d’énergie, détruisit le corps, la paralytique aux os écrasés et aux nerfs tordus, cet amas sublime d’organes dissous sur lesquels flamboyait l’Extase, l’ombre de fille consumée qui vécut deux trous ouverts au cœur, les deux trous par lesquels le glaive du Séraphin avait passé, et si physiquement et si réellement qu’après sa mort, sur le cœur même, on put constater la blessure.

1005. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

L’Innocent III du comte de Gasparin n’est qu’un discours sur le pontificat d’Innocent III, condamné d’avance par un a priori illusoire, et dérisoire aussi… Ce pontificat glorieux, le plus glorieux — quoique exécrable — de tous les pontificats de l’Église romaine, de l’aveu du comte de Gasparin, ne pouvait pas, il faut en convenir, être raconté en quelques minutes de Conférence, avec toutes les négligences d’une parole qui se hâte, avec tous les à peu près de la circonstance, tous les faits laissés, vu leur nombre, forcément, dans l’ombre d’un discours.

1006. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

On sent que cette œuvre est sortie uniquement de lui, sans l’ombre d’un ressouvenir, d’un respect quelconque pour la tradition, et qu’il y a là, au sens plein et authentique du mot, une création, dont la forme et le fond prennent leurs racines dans le tempérament propre de l’artiste.

1007. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

Je vous félicite donc, ô vous braves guerriers pendant la vie, ombres sacrées après la mort, je vous félicite de ce que votre valeur ne pourra être mise en oubli, ni par votre siècle, ni par la postérité, puisque le sénat et le peuple vous dressent, pour ainsi dire, de leurs propres mains, un monument immortel ; jamais un tel honneur n’a été rendu à aucune armée, et plût aux dieux que nous pussions faire davantage !

1008. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Il est d’abord bâtonné dans l’ombre par deux inconnus. […] Pas de caractère développé : il y a une quarantaine de personnages, — sans compter ceux qui ne parlent pas ; mais la plupart ne font qu’apparaître, jeter leur plainte ou leur menace, et disparaître ; et de nouvelles têtes surgissent de l’ombre à chaque tableau. […] » ou : « Jamais le soleil ne verra ce demain », ou : « Nos mains sont de la même couleur », ou : « J’ai tué le sommeil. » Supposez que ces Ombres prononcent ces mots avec une sorte d’étonnement d’avoir à les prononcer et une vague épouvante de vivre ; qu’elles se voient elles-mêmes comme des Ombres, en effet ; qu’elles se voient comme se voit Macbeth au moment où il apprend la mort de sa femme : « Je suis un spectre qui s’agite parmi des fantômes… La vie est un rêve conté par un homme en délire… » Supposez enfin que ces Ombres nous soient surtout présentées non de face, mais à l’envers, non du côté par où elles communiquent avec la société humaine, mais du côté par où elles tiennent encore à la Vie inconsciente et communiquent avec ce grand réservoir de forces obscures… et vous concevrez à peu près ce que M.  […] Et c’est parce que Son Ombre plane de nouveau sur les planches où les colonels de Scribe exprimèrent tant de nobles sentiments qu’il faut aller voir l’Homme à l’oreille cassée. […] l’admirable paysage dans la bruine, par un soir d’automne : Dans l’air s’éparpillait l’humide éclaboussure D’un jet d’eau qui laissait, sous le grand ciel blafard, S’égoutter son sang pâle à travers le brouillard, Comme si l’ombre blanche avait une blessure.

1009. (1890) Nouvelles questions de critique

Pour nous, et sans ombre de mauvaise humeur, nous aurions plaisir à lui déduire longuement les nôtres, s’il ne nous accordait de bonne grâce que sa poésie du moyen âge n’a manqué ni de « défauts généraux », ni de « pauvretés », ni de « faiblesses incontestables ». […] J’y trouve sept fois l’Ombre, et quatre fois seulement le Ver, mais il m’en revient un exemple que M.  […] La première pièce des Rayons et les Ombres, que nous avons rappelée plus haut, intitulée Fonction du poète, et l’une des dernières pièces des Contemplations, intitulée les Mages, — développement du même thème à quinze ou vingt ans de distance, — contiennent déjà de précieux aveux. […] qui, « par une brusque déchirure de l’ombre, voyait tout à coup l’invisible » ? […] L’idée de la mort le poursuit, le hante, l’obsède ; elle obscurcit de son ombre les heures lumineuses de son existence ; elle mêle son barreur jusque dans ses amours ; elle est l’énigme ou le mystère dont il ne se lasse pas de demander le mot aux choses, aux hommes, et à Dieu : Nous demandons, vivants douteux qu’un linceul couvre, Si le profond tombeau qui devant nous s’entr’ouvre, Abîme, espoir, asile, écueil, N’est pas le firmament plein d’étoiles sans nombre Et si tous les clous d’or qu’on voit au ciel dans l’ombre Ne sont pas les clous du cercueil.

1010. (1903) La pensée et le mouvant

Par le seul fait de s’accomplir, la réalité projette derrière elle son ombre dans le passé indéfiniment lointain ; elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de possible, à sa propre réalisation. […] Regardons bien cette ombre : nous devinerons l’attitude du corps qui la projette. […] Car le monde où nos sens et notre conscience nous introduisent habituellement n’est plus que l’ombre de lui-même ; et il est froid comme la mort. […] Est-il étonnant qu’elle voie cet objet fuir devant elle, comme l’enfant qui voudrait se fabriquer un jouet solide avec les ombres qui se profilent le long des murs ? […] Aux états psychologiques détachés, à ces ombres du moi dont la collection était, pour les empiristes, l’équivalent de la personne, le rationalisme adjoint, pour reconstituer la personnalité, quelque chose de plus irréel encore, le vide dans lequel ces ombres se meuvent, le lieu des ombres, pourrait-on dire.

1011. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

  « 4 août, 3 heures, 32 degrés à l’ombre. […] que j’ai hâte de m’asseoir à votre foyer et de me promener avec vous dans mon Breuil bien-aimé, à l’ombre des arbres que j’ai plantés ! […] Gandar retrouvait l’École bien en progrès, la bibliothèque agrandie et complétée, le petit jardin ayant gagné en verdure et en fleurs, d’autres jardins encore (ceux de la reine) créés et embellis par une habile culture : « Bien que deux hivers désastreux, dit-il, aient ravagé toute la plaine, brûlé les jeunes orangers d’Athènes comme les oliviers séculaires du Céphise, la reine est parvenue à doubler ses plantations où l’on trouve de l’eau, des fleurs, de l’herbe, presque de l’ombre, et quelques arbustes exilés de nos pays, mêlés à ceux des montagnes de l’Attique et aux palmiers de l’Orient.

1012. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

Mais son cœur est ému de pitié au souvenir de leurs combats, du prix dont ils payent les passagères douceurs de leurs espérances ; car, dans cet admirable ouvrage, la peine suit d’aussi près la faute que l’ombre suit le corps, et ces tristes cœurs ne goûtent pas un moment de joie qui soit pur de regret ou de crainte. […] Roxane aime, sans remords ; et, au lieu que dans le palais de Thésée, en cette Grèce où les crimes des mortels sont commandés par les dieux ; l’amour est comme une fureur sacrée ; au sérail, dans l’ombre et le mystère où vit Roxane, cachée et surveillée, l’amour ressemble à une intrigue sanglante. […] Courons, fuyons, retirons-nous A l’ombre salutaire Du redoutable sanctuaire.

1013. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Il est anormal qu’un visum, en plein jour, ne soit qu’une ombre vague et transparente ; il est anormal, en toute circonstance, qu’un visum soit impalpable, etc. […] La passion a besoin d’une certaine activité de l’imagination ; les images lui donnent un commencement, une ombre de satisfaction ; elles sont comme une réponse à la demande de la passion, et ces réponses sont plus ou moins riches et variées selon que l’imagination a plus ou moins de fécondité naturelle et d’exercice. Parfois l’imagination développe à sa manière le thème fourni par la passion, de façon à occuper presque seule toute la scène de l’âme et à rejeter dans l’ombre le sentiment même qu’elle exprime ; d’autres fois, l’image évoquée est simple : elle représente soit l’objet direct de l’émotion, soit, quand la passion est surtout intellectuelle, un interlocuteur destiné à nous entendre bien parler du sujet qui nous anime et à se laisser convaincre sans résistance.

1014. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Mais s’il ne voit dans ces divers états rien de plus que ce que leur nom exprime, s’il n’en retient que l’aspect impersonnel, il pourra les juxtaposer indéfiniment sans obtenir autre chose qu’un moi fantôme, l’ombre du moi se projetant dans l’espace. […] Vous n’avez pas non plus le droit d’abréger — fût-ce d’une seconde — les divers états de conscience par lesquels Paul va passer avant Pierre ; car les effets du même sentiment, par exemple, s’ajoutent et se renforcent à tous les moments de la durée, et la somme de ces effets ne pourrait être éprouvée tout d’un coup que si l’on connaissait l’importance du sentiment, pris dans son ensemble, par rapport à l’acte final, lequel demeure précisément dans l’ombre. […] On laisse alors la nature propre de ces phénomènes dans l’ombre, mais on affirme qu’en leur qualité de phénomènes ils restent soumis à la loi de causalité.

1015. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Toutes les idées de choses visibles sont accompagnées d’une telle image, d’un […]39 : l’homme, par exemple, la rose, ne sont pas conçus sans l’imagination d’une ombre d’homme, d’une ombre de rose. […] Chez le commun des esprits, l’image intérieure de l’homme n’est pas l’ombre d’un Jupiter ou d’un Apollon ; elle n’est pas davantage celle d’un bossu ou d’un estropié ; l’homme imaginé n’est ni Apollon ni Esope, ni un géant ni un nain, ni un enfant ni un vieillard ; c’est un homme tel qu’après l’avoir classé dans le genre humain on ne peut être tenté de le parquer dans un coin de ce genre au moyen d’une épithète restrictive. […] Et, en effet, porter et maintenir l’attention sur les notions que les mots recouvrent, chercher à avoir une claire conscience de leurs rapports, comparer, après les notions, ces rapports eux-mêmes, de façon à porter la lumière de la conscience sur les conflits latents des idées ; en toute occasion, méditer, réfléchir, analyser, examiner ; tenir sa pensée toujours en éveil, toujours inquiète, toujours en devenir, en renouvellement et en progrès ; qu’est-ce autre chose que réagir contre cette inégale distribution de la conscience qui, conservant aux mots leur vivacité, laisse les idées s’évanouir et disparaître dans une ombre toujours plus épaisse ?

1016. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

La glaciale tradition génevoise n’étendait plus son ombre sur les générations auxquelles appartenaient Suzanne Bernard et Isaac Rousseau. […] Il va par les rues, fait le prophète, et quand, rompu, il recourt à l’ombre, ce n’est point comme on s’astreint à une cure, mais comme on se livre à un excès. […] Mais, posée sur un petit mur, une Jonquille fleurie lui rapporte cet enchantement « d’une lueur céleste que nous croyons saisir, qui nous passionne, qui nous entraîne et qui n’est qu’une ombre indiscernable, errante, égarée dans le ténébreux abîme59. » Il recourt aussi à la consolation philosophique. […] Et ses années roulent dans ce chaos, uniquement tissues des rayons et des ombres que, selon l’heure, il projette sur le vague univers.

1017. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Il n’a rien vu, il n’a point « admiré la blancheur des lis, ou loué le profond vermillon de la rose200. » Toutes ces suavités du printemps n’étaient que son parfum et que son ombre. « Je dis à la violette : Où as-tu volé ton parfum qui embaume, —  si ce n’est dans l’haleine de ma bien-aimée ? […] —  La vie n’est qu’une ombre voyageuse, un pauvre acteur — qui se démène et s’agite pendant son heure sur le théâtre, —  et qu’ensuite on n’entend plus. […] —  Oui, pauvre ombre, tant que la mémoire aura un siége — dans ce monde détraqué. […] Pour oublier les luttes et les chagrins du monde, il faut s’enfoncer dans une grande forêt silencieuse, « et sous l’ombre des rameaux mélancoliques laisser couler et perdre les heures fuyantes du temps. » On regarde les dessins splendides que le soleil découpe sur le tronc blanc des hêtres, l’ombre des feuilles tremblantes qui vacille sur la mousse épaisse, les longs balancements des cimes ; la pointe blessante des soucis s’émousse ; on ne souffre plus, on se souvient seulement qu’on a souffert ; on ne trouve plus en soi qu’une misanthropie douce, et l’homme renouvelé en devient meilleur.

1018. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Comptez enfin l’admirable éclat du soleil qui pousse à l’extrême le contraste des parties claires et des ombres et qui ajoute l’opposition des masses à la décision des lignes. […] Il se renferme dans le cercle visible qu’à chaque génération retrouve l’expérience humaine ; il n’en sort pas ; ce monde lui suffit, il est seul important ; l’au-delà n’est que le séjour vague des ombres vaines ; lorsque Ulysse rencontrant Achille chez Hadès le félicite d’être encore le premier parmi les ombres, celui-ci lui répond : « Ne me parle pas de la mort, glorieux Ulysse. […] La pudeur n’est point encore devenue pruderie ; chez eux, l’âme ne siège pas à une hauteur sublime sur un trône isolé, pour dégrader et reléguer dans l’ombre les organes qui servent à un moins noble emploi ; elle n’en rougit pas, elle ne les cache point ; leur idée n’excite ni la honte ni le sourire. […] Un rien, un arbre, une fleur, un lézard, une tortue, provoquent le souvenir de mille métamorphoses chantées par les poètes ; un filet d’eau, un petit creux dans le rocher, qu’on qualifie d’antre des nymphes ; un puits avec une tasse sur la margelle, un pertuis de mer si étroit que les papillons le traversent et pourtant navigable aux plus grands vaisseaux, comme à Poros ; des orangers, des cyprès dont l’ombre s’étend sur la mer, un petit bois de pins au milieu des rochers suffisent en Grèce pour produire le contentement qu’éveille la beauté.

1019. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

L’ombre de Washington, en descendant sur ce dôme majestueux, y trouvera celles de Turenne, de Catinat et du grand Condé, qui se plaisent à l’habiter encore. […] Mais elle voit Hector toujours vivant sous cette tombe qu’elle embrasse ; elle le croit dans l’Élysée, d’où reviennent quelquefois les ombres heureuses. […] Ces jeux fantastiques, ces courses des ombres au milieu des tourbillons et des orages, ressemblent trop au néant, pour que l’âme se repose et s’étende avec quelque charme dans un avenir aussi désert, où rien n’a de la consistance et de la réalité. […] L’ombre de cet illustre marin, évoquée par l’orateur, se promène tristement au milieu de nos ports déserts, et rappelle aux Français la gloire de ces flottes victorieuses sous qui se courbait autrefois l’Océan, et qui faisaient trembler le pavillon britannique. […] sous son ombre encor je serais invincible. » — « Oui, j’en crois ton courage et ta noble vigueur.

1020. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Cette ombre, voilà mes clartés ! […] Car ce fut la chance heureuse du feuilleton de rencontrer mademoiselle Mars à son apogée, et mademoiselle Rachel à son aurore ; il arriva, juste à l’heure où la comédie était vivante encore, où la tragédie expirée allait renaître, et dans cette ombre éclairée et dans cette lumière douteuse, il sut entourer de ses hommages et de ses louanges la grande actrice vieillissante ; il sut entourer de ses encouragements et de ses conseils la jeune tragédienne encore ignorée et qui s’ignorait elle-même ! […] Que de grands joueurs de violon, que d’illustres pianistes, que de chanteurs qui sont devenus… une ombre, un nom, un écho ! […] L’ombre hideuse de Tartuffe s’est trouvée si fort enveloppée dans le reflet de cette aimable et chaste existence, que nos yeux ont pu supporter cette ombre dégoûtante sans dégoût. […] Aussitôt l’ombre évoquée arrive à vos regards charmés ; soudain vous retrouvez la magicienne aussi bien dans l’inexpérience de cette petite fille qui débute, que dans la grande habitude du chef d’emploi qui veut toucher, avant de mourir, à ces rôles qu’elle appelle des rôles de son emploi — les rôles de l’emploi de mademoiselle Mars !

1021. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Au retour du printemps, quand Mai étale sur les champs sa robe bigarrée de fleurs nouvelles, Astrophel et Stella vont s’asseoir sous l’ombre d’un bois écarté, dans l’air chaud, plein de bruissements d’oiseaux et d’émanations suaves. […] Cependant le soleil monte, perce de sa tête d’or l’épais brouillard qui s’évapore, et vient à travers les cimes entrelacées baiser l’ombre endormie305. » Encore un pas, et vous verrez reparaître les dieux antiques. […] Les plus sévères et les plus tragiques de leurs poëtes se sont détournés pour aller à sa rencontre, Shakspeare parmi les chênes toujours verts de la forêt d’Ardennes314, Ben Jonson315 dans les bois de Sherwood, parmi les larges clairières coupées d’ombre, parmi les feuilles luisantes et les fleurs humides qui frissonnent au bord des sources solitaires. […] Quelques-unes lavaient leurs membres dans le flot clair ; d’autres étaient couchées à l’ombre ; le reste, comme une guirlande de fleurs, entourait la déesse, qui dénouant ses tresses blondes, et rejetant sa tunique, avançait son pied vers l’eau transparente334. […] Nul rêve de peintre n’égale ces visions, ce flamboiement de la fournaise sur les parois des cavernes, ces lumières vacillantes sur la foule, ce trône et cet étrange scintillement de l’or qui partout luit dans l’ombre.

1022. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

On constatera des lacunes ; il m’a fallu, maintes fois, laisser dans l’ombre certaines œuvres ou certaines parties d’œuvres que je tiens en haute estime : leur étude approfondie démentirait le titre général de ce livre. […] Ou encore : À quoi dans ce matin d’avril, Si douce et d’ombre enveloppée, La chère enfant au cœur subtil Est-elle ainsi tout occupée ? […] Les Vergers illusoires, Nuits d’épiphanies, Les Estuaires d’ombre, Le Jardin des îles claires, La Nef désemparée témoignent d’un art extrêmement honnête et fort discipliné, trop discipliné même, car on aimerait trouver dans l’œuvre de Fontainas moins de recherche et plus de vie. […] Paris, Mercure de France, 1894. — Les Estuaires d’ombre. […] Bruxelles, Lacomblez, 1891. — Un chant dans l’ombre.

1023. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Et si l’ombre de Brunetière nous regarde d’un œil torve, nous lui ferons observer, pour la rasséréner, que tous les genres ont évolué ainsi, et qu’ils vont tous de la parole à l’écriture. […] La critique spontanée se confond avec la critique des contemporains, des écrivains contemporains, et son mouvement suit le leur comme le mouvement de l’ombre suit celui du corps. […] L’ombre critique qu’il prolonge va des Réflexions sur Longin à Port-Royal. […] Mais l’H du premier génie, Homère, n’est que l’ombre projetée par l’H monumental du dernier. […] Le grand mérite de Brunetière est peut-être d’avoir restauré, après Nisard, cette notion des genres, liée à la critique classique, et que Sainte-Beuve avait laissée dans l’ombre.

1024. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Ils disparaissent et rencontrent en courant dans la nuit vers la ville une horde de sorciers qui s’agitent autour d’un gibet dressé dans l’ombre. […] L’heure du soir allonge l’ombre des maisons sur la rue ; la foule rentre escortant la colonne fugitive.

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