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482. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

. —  Expansion du naturel énergique et triste. […] I Essayons donc de remettre devant nos yeux ce public, cet auditoire et cette scène ; tout se tient ici ; comme en toute œuvre vivante et naturelle, et s’il y eut jamais une œuvre naturelle et vivante, c’est celle-ci. […] Jusque dans les écoles, les enfants se rudoient, se résistent, se battent comme des hommes, et leur naturel est si indompté qu’il faut les verges et les meurtrissures pour les réduire sous la discipline de la loi. […] Dans cet universel retour aux sens, et dans cet élan des forces naturelles qui fait la Renaissance, les instincts corporels et les idées qui les consacrent se débrident impétueusement. […] Le fond de l’homme naturel, ce sont des impulsions irrésistibles, colères, appétits, convoitises, toutes aveugles.

483. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

. — Cas des grandeurs artificielles ou collections d’unités naturelles. — Deux de ces collections sont égales quand elles contiennent le même nombre d’unités. — Cas des grandeurs naturelles ou collections d’unités artificielles. — Deux de ces grandeurs sont égales lorsqu’elles coïncident et se confondent en une même grandeur. — Dégagement de l’idée d’identité incluse et latente dans l’idée d’égalité. […] Des grandeurs artificielles, passons aux grandeurs naturelles. […] Mais il est une construction plus simple encore, ou du moins plus naturelle, et qui nous permet d’assister à la génération de nos deux perpendiculaires. […] Voilà pour les collections qui sont des grandeurs artificielles et discontinues ; même raisonnement pour les durées, les lignes, les surfaces, les solides qui sont des grandeurs naturelles et continues. […] Discours sur l’étude de la philosophie naturelle, p. 159-162. — System of Logic, I, 458.

484. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

— Vous savez que je suis républicaine, et vous me savez très vite dans tout ce que je suis : je vous atteste que votre lettre ne m’a point étonnée, que je l’ai trouvée naturelle dans votre situation et qu’elle n’a rien changé à l’opinion que j’avais de vous. […] Je donnerai ces lettres dans l’ordre qui me paraît le plus naturel. […] Tout ce qui est naturel est-il permis ? […] Il ne suffit pas qu’on convienne avec eux que la vengeance est défendue, ils ne peuvent pas même entendre qu’elle est naturelle. […] Retenez bien qu’entre des actions également défendues par les lois divines et humaines, il en est de naturelles, comme il en est qui ne sont pas naturelles, et si vous voulez que je vous donne un exemple qui vous apprenne à les discerner, Chénier, écoutez-moi : … Il est naturel pour un fils de fondre le poignard à la main sur le bourreau de son père ; mais il ne l’est pas pour un frère de laisser son frère périr sur un échafaud, quand il n’avait, pour le sauver, qu’à le vouloir.

485. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

C’est un effet naturel du développement de l’individualisme. […] Ils veulent dire tous les deux que, dans la nature, notre imagination ne trouve jamais de satisfaction entière ; que rien de naturel, en aucun genre, n’épuise l’idée que nous nous formons de sa perfection ; et qu’ainsi nous y pouvons toujours ajouter quelque chose de notre fonds. […] Dans l’intérêt de la société des hommes, et par conséquent, dans son intérêt même, personnel et particulier, que chacun de nous abdique donc un peu de cet égoïsme qui lui est d’ailleurs si naturel ! […] — Le style de Montaigne est une « création perpétuelle » ; — il n’y a pas plus de métaphores, ni de plus naturelles, ni de plus nouvelles, dans Shakespeare même ; — et, à ce propos, de la métaphore comme principe et moyen de la « fructification des langues ». — Universalité du vocabulaire de Montaigne. — Le jugement de Sainte-Beuve sur le style de Montaigne [Cf.  […] Satire viii] ; — l’apparence au moins, sinon toujours la réalité de l’aisance et du naturel [Cf. 

486. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 527-532

Par-tout le naturel, la force, l’érudition, la solidité, s’adaptent & se fondent, pour ainsi dire, dans les sujets qu’il traite. […] Ce n’est, en effet, que par le secours de ces Auteurs consacrés par l’admiration constante de tous les siecles, qu’un Ecrivain, quelque génie naturel qu’il ait d’ailleurs, peut se former le goût & développer sa raison.

487. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

L’image du tactum buccal est le complément naturel de la parole intérieure quand elle simule l’extériorité ; cette illusion que l’âme passionnée subit, que l’âme en verve d’imagination se donne à elle-même, serait incomplète sans la présence de ce phénomène, associé constant de l’état fort que nous avons l’habitude de juger extérieur à nous. […] De même, l’idée de s’abstenir d’une action conçue et désirée, pour laquelle déjà les muscles s’agitent et frémissent, cette idée ne peut réussir à arrêter l’élan actif de la passion que si elle prend, elle aussi, l’allure de la passion, si elle semble rompre subitement le cours naturel des désirs et des actes. […] La parole intérieure morale, telle que nous l’avons décrite, est un reste de l’état sauvage : avec les progrès de la civilisation, elle doit devenir de plus en plus rare ; il est donc naturel que nous en cherchions dans le passé les traces les plus vives, les exemples les plus frappants. […] Qu’un sot entêté parle à son bonnet à tout propos, cela est naturel ; mais, lorsqu’un homme de sens rassis en fait autant, ce n’est plus la nature prise sur le fait, c’est l’art qui se substitue à la nature pour les besoins du genre dramatique. […] Et pourtant il n’est pas naturel que sa voix devienne extérieure, tandis que, si chez le père Joyeuse et ses pareils quelque chose peut étonner, c’est que le rêve reste si longtemps silencieux.

488. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Mais dès qu’en ouvrant le livre on s’est vu introduit dans un monde vrai, vivant, nôtre, à cent lieues des scènes historiques et des lambeaux de moyen âge, dont tant de faiseurs nous ont repus jusqu’à satiété ; quand on a trouvé des mœurs, des personnages comme il en existe autour de nous, un langage naturel, des scènes d’un encadrement familier, des passions violentes, non communes, mais sincèrement éprouvées ou observées, telles qu’il s’en développe encore dans bien des cœurs sous l’uniformité apparente et la régularité frivole de notre vie ; quand Indiana, Noun, Raymon de Ramière, la mère de Raymon, M. […] Si en effet quelques traits de style et de pinceau, aux endroits particulièrement descriptifs et littéraires, dénotent plus de fermeté et d’habitude qu’il n’est naturel d’en accorder à une femme toute seule, dans un premier essai d’aussi longue haleine, une foule d’observations fines et profondes, de nuances intérieures, de sensations progressives ; l’analyse du cœur d’Indiana, de ses flétrissants ennuis, de son attente morne, fiévreuse et désespérée, pauvre esclave ! […] Ses premiers mécomptes, la manière naturelle et facile dont Raymon les répare, dont il la fascine et l’enchante ; l’éclair sinistre qu’un mot de sir Ralph sur l’aventure de Noun jette dans l’esprit d’Indiana, le coup qu’elle en reçoit et qu’elle rend à Raymon ; sa croyance en lui, malgré la découverte, sa résolution de fuir avec lui, de se réfugier chez lui, plutôt que de suivre son mari au départ ; cet abandon immense, généreux, inébranlable, sans souci de l’opinion, sans remords, et mêlé pourtant d’un superstitieux refus ; toute cette analyse vivante est d’une vérité, d’une observation profonde et irrécusable, qu’on ne saurait assez louer.

489. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

En laissant de côté les préventions naturelles à des princes longtemps proscrits, et qui, malgré ce qu’on a dit, ne se sont jamais réjouis de nos victoires, par la raison toute simple qu’ils ne pouvaient fonder l’espoir de leur retour que sur nos désastres, on concevra comment la vieillesse de Louis XVIII, et ses infirmités, qui ajoutaient à son isolement d’étiquette, nous ont valu les Cent Jours ; et pourquoi le règne de Charles X a fini par un crime, dont la première compensation sera de nous avoir épargné la vieillesse de M. le duc d’Angoulême, vieillesse qui aurait été d’autant plus déplorable qu’il n’a jamais été jeune. […] Si cette minorité était arrivée d’une manière naturelle, peut-être aurait-elle été favorable au développement de nos libertés ; mais à travers deux abdications, toujours et nécessairement conditionnelles, avec le besoin cruel de séparer un enfant de ses parents-exilés, de ne pouvoir former sa raison sans lui apprendre à les juger au moins aussi sévèrement que l’histoire le fera, avec le danger de les voir un jour se rapprocher de lui, il n’aurait été qu’une cause de soupçons, d’agitation, que l’étendard d’un parti qui n’a que trop prouvé ses fureurs et son incapacité. […] « En effet, avec notre résistance légale, notre refus de payer l’impôt, dernier refuge des libertés, nous n’en restions pas moins isolés, et la lenteur du moyen ne produisant sur le travail qu’une diminution progressive, il était à craindre que ce qui vit d’un travail journalier tombât dans le découragement, et qu’un ministère d’un peu de capacité ne tournât contre nous des ressentiments naturels à la misère.

490. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Comme si les inégalités naturelles et les inégalités sociales ne rendaient pas évidemment utopique l’égalité devant la loi. […] Les enfants naturels, adultérins, incestueux, sont frappés d’une tare juridique. […] L’effort contemporain vers l’individualisation de la peine est la manifestation la plus libérale de cette tendance devenue pleinement consciente d’elle-même. — Une autre cause qui tient en échec l’absolutisme juridique est la tendance naturelle des hommes à désobéir aux lois ; c’est la pratique incessante, directe ou indirecte, ouverte ou sournoise, de l’illégalité.

491. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 151-168

Qu’on ne l’accuse point de malignité : il est si naturel à un esprit droit & juste, à un cœur ferme & généreux, d’éprouver les mouvemens du dépit, à la vue des usurpations ; le zele pour la gloire des Lettres & les intérêts de l’équité est si prompt à s’enflammer contre des injustices absurdes & multipliées, que l’esprit vient comme de lui-même au secours de la raison outragée ; & du mélange de sa vivacité unie à la sensibilité du cœur, naissent ces traits vigoureux qui impriment tantôt le ridicule, tantôt l’opprobre sur les travers ou sur les vices. […] Tel est le caractere général de ses Satires, où la simplicité, le naturel, la fécondité, l’imagination, la variété des pensées & des tours, prêtent un secours mutuel, & procurent à l’esprit de nouvelles lumieres & de nouveaux plaisirs. […] Ces deux Ouvrages, écrits avec autant de noblesse que de naturel & de solidité, suffiroient, auprès des Connoisseurs, pour assurer à tout autre Ecrivain une réputation préférable à celle dont jouissent plusieurs de nos Littérateurs modernes les plus renommés.

492. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre III. Mme Sophie Gay »

En se travaillant immensément, en se tortillant, en se donnant beaucoup de courbatures, Mme Sophie Gay, qui pouvait rester une femme du monde spirituelle, était parvenue à faire de son esprit je ne sais quel talent sans naturel, sans originalité et sans grâce. […] Elle écrivit ces feuilletons charmants du vicomte de Launay, chef-d’œuvre de la légèreté féminine, qui est pour le dix-neuvième siècle ce que les lettres de Mme de Sévigné sont pour le dix-septième, mais Mme Sophie Gay n’eut pas un pareil bonheur… Mme Sophie Gay, qui a fait une montagne de romans que je ne conseillerai à, personne de gravir, et dans lesquels je retrouve, ensemble ou tour à tour, les influences, déteintes ou mélangées, de Picard, de Droz, de Sénancourt, et surtout de Mme de Genlis, non pour la raison, que Mme de Genlis avait, mais pour l’agrément, que Mme de Genlis n’avait pas, Mme Sophie Gay a, comme sa fille, voulu une fois faire son livre de femme, — un livre dans lequel la prétention virile et l’imitation des littérateurs de son temps qui avaient eu du succès, — ces deux choses qui constituent le bas-bleuisme, — pouvaient n’être absolument pour rien, et ce livre, dont le titre frappe au milieu des autres titres de ses œuvres (la Physiologie du Ridicule), prouve au contraire combien chez Mme Gay, le bas-bleu avait rongé la femme, et combien elle était peu propre à traiter un sujet qui demandait plus qu’aucun autre les qualités naturelles à la femme, c’est-à-dire de la grâce sincère et, à force de finesse de la profondeur. […] tous les souvenirs qui l’honorent le plus, évoquez vos vertus premières, vos agréments naturels ou étudiés (roulez donc, période, roulez donc !)

493. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

C’est que, malgré son absence de manière très individuelle et d’originalité accentuée, Barthélemy Saint-Hilaire a une telle élévation naturelle, et, dans la pensée comme dans le style, une si large clarté tombant de si haut, que si ce n’est pas, cela, de l’originalité en soi, c’est quelque chose d’aussi rare que l’originalité, et peut-être de plus imposant. […] Luther, lui, préférait le Turc au Pape, et c’était bien naturel… c’était parfaitement logique à Luther, avec la situation qu’il s’était faite dans le monde, cet aimable homme ! […] Mahomet, le guerrier, le général d’armée, mais qui ne le devint qu’à cinquante ans, comme le rude Cromwell, était né doux, et ce qu’il sut du Christianisme ajouta encore à la disposition naturelle de son âme… À la première bataille à laquelle il assista, tout jeune qu’il fût, par conséquent d’autant plus susceptible de sentir l’ivresse du combat, il se contenta de ramasser tranquillement les flèches de ses oncles… C’était un de ces doux, à qui doit échoir l’empire de la terre.

494. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’arbitrage et l’élite »

L’avènement du « droit des gens », du « droit naturel des nations », en tant que science positive, marque l’un des plus gigantesques pas en avant qu’ait accompli le monde. […] Grotius établit « qu’il y a un droit naturel des nations fondé sur l’instinct de sociabilité ». « C’est à lui qu’il faut attribuer l’honneur d’avoir le premier émis la grande pensée humanitaire d’une commission de tous les peuples s’entendant pour proscrire la guerre. » La science du droit international existait désormais encore humble et restreinte, mais contenant en germe toutes les larges idées de l’avenir.‌ […] Aucun de ceux-là n’aurait refusé et ne refuserait, je pense, de remplir une fonction, qui serait l’aboutissement naturel et pratique de son existence.

495. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Le thème principal c’est l’homme, l’homme naturel et vrai, et sur ce thème les temps et les lieux font à l’indéfini des variations. […] Et ce procès est si naturel, si essentiel ! […] La poésie se crée un mysticisme à elle propre dans la contemplation des mystères naturels de la vie. […] parfois elle se sépare imprudemment de son allié naturel, l’Art, et affecte pour la Beauté un dangereux dédain. […] On entrevoit mal, dans la société telle que la constitue l’éducation moderne, que la juste part soit faite aux deux naturels conducteurs du monde, le poète et le savant.

496. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Il est à remarquer qu’en fait de style, à force de le vouloir limpide et naturel, Beyle semblait en exclure la poésie, la couleur, ces images et ces expressions de génie qui revêtent la passion et qui relèvent le langage des personnes dramatiques, même dans Shakespeare, — et je dirai mieux, surtout dans Shakespeare. En ne voulant que des mots courts, il tarissait le développement, le jet, toutes qualités qui sont très naturelles aussi à la passion dans les moments où elle s’exhale et se répand au-dehors. […] Ce public, tel que nous le connaissons aujourd’hui, ne serait pas si difficile sur son plaisir : qu’on lui offre seulement quelque chose d’un peu vrai, d’un peu touchant, d’honnête, de naturel et de profond, soit en vers, soit en prose, et vous verrez comme il applaudira. […] Le goût du vrai et du naturel qu’il met en avant a souvent, de sa part, l’air d’une gageure ; c’est moins encore un goût tout simple qu’une revanche, un gant jeté aux défauts d’alentour dont il est choqué. […] Le brusque passage du genre académique au genre naturel, tel que le pratique Beyle, me semble assez de cette espèce-là.

497. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Cette édition de Cowper et cette biographie par Southey, et de plus l’édition donnée par le révérend Grimshawe (1850), fournissent les documents d’une étude complète, ou, pour mieux, dire, cette étude est déjà faite par Southey lui-même : mais la correspondance de Cowper, qui égale en mérite et en pensée ses œuvres poétiques, et qui est encore plus naturelle et surtout plus aisée, offre une lecture où chacun peut choisir sa matière de réflexion et ses coins d’agrément. […] On peut donc dire de Puss qu’il s’était complètement apprivoisé, que la timidité, la sauvagerie de sa nature, avait tout à fait disparu, et, en un mot, il était visible, à mille signes qu’il serait superflu d’énumérer, qu’il était plus heureux dans la société de l’homme que lorsqu’il était enfermé avec ses compagnons naturels. […] Timide lui-même et si sujet à la terreur, Cowper faisait de ces animaux à lui un rapprochement naturel : il leur appliquait le mot miséricordieux et humain du poète : « non ignora mali… », et il eût volontiers répété aussi avec un poète de l’Orient : « Ne fais point de mal à une fourmi qui traîne un grain de blé, car elle a une vie, et cette douce vie lui est chère. […] Mais avant la fin de l’année, j’eus occasion de m’émerveiller du progrès qu’on peut faire en dépit de l’insuffisance naturelle et par la seule opiniâtreté de la pratique ; car j’en vins à produire trois paysages qu’une dame jugea dignes d’être encadrés et mis sous verre. […] Il ne goûtait rien médiocrement : « Je n’ai jamais reçu, disait-il, un petit plaisir de quoi que ce soit dans ma vie : si j’ai une impression de joie, elle va à l’extrême. » Il commençait aussi à écrire à quelques amis de jolies lettres soignées, élégantes, ingénieuses dans leur naturel.

498. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Aimant avant tout le naturel, adorant Molière et La Fontaine, faisant d’eux ses dieux et ne se considérant que comme leur écolier dans son genre, il manqua de bonne heure à Collé l’ambition du talent. […] La Vérité dans le vin nous peint au naturel les vices du temps, l’effronterie des femmes de robe, la sottise des maris, l’impudence des abbés ; il y a dans le dialogue une familiarité, un naturel, dans les reparties une naïveté, dans les situations un piquant et un osé qui font de ce tableau de genre un des témoins historiques et moraux du XVIIIe siècle. […] Qu’on relise dans la Correspondance de Béranger les lettres de conseils littéraires donnés à Mlle Béga, et qu’on les compare à celles de Collé à son élève : on verra le côté par où Béranger est supérieur à celui qu’il appela un jour « son maître. » La vie tout entière de Béranger avait été une éducation continuelle : Collé, sous le prétexte d’un goût naturel et sain, avait trop obéi à sa paresse et n’avait pas marché. […] Jamais, de mes jours, je n’ai vu autant de sortes d’esprit que dans ces Mémoires… Je n’aime point Rousseau ; personne ne rend plus de justice que moi à son éloquence, à sa chaleur et à son énergie, mais je trouve Beaumarchais mille fois plus vrai, plus naturel, plus insinuant et plus entraînant que cet orateur, qui veut toujours l’être, le paraître, qui est d’ailleurs sophiste à impatienter son lecteur que l’on sent qu’il méprise, et dont il se joue perpétuellement comme le rat fait de la souris. » Sauf le dernier trait contre Rousseau qui n’est pas juste (car Rousseau n’y met pas tant de malice), l’ensemble du jugement est parfait.

499. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Ce contemporain, dont le nom n’étonnera que ceux qui n’ont lu aucun de ses trois ouvrages caractéristiques, et qu’un instinct heureux de fureteur ou quelque indication bienveillante n’a pas mis sur la voie des Rêveries, d’Oberman et des Libres Méditations ; l’éloquent et haut moraliste qui débuta en 1799 par un livre d’athéisme mélancolique, que Rousseau aurait pu écrire comme talent, que Boulanger et Condorcet auraient ratifié comme penseurs ; qui bientôt, sous le titre d’Oberman, individualisa davantage ses doutes, son aversion sauvage de la société, sa contemplation fixe, opiniâtre, passionnément sinistre de la nature, et prodigua, dans les espaces lucides de ses rêves, mille paysages naturels et domestiques, d’où s’exhale une inexprimable émotion, et que cerne alentour une philosophie glacée ; qui, après cet effort, longtemps silencieux et comme stérilisé, mûrissant à l’ombre, perdant en éclat, n’aspirant plus qu’à cette chaleur modérée qui émane sans rayons de la vérité lointaine et de l’immuable justice, s’est élevé, dans les Libres Méditations, à une sorte de théosophie morale, toute purgée de cette âcreté chagrine qu’il avait sucée avec son siècle contre le christianisme, et toute pleine, au contraire, de confiance, de prière et de douce conciliation ; fruit bon, fruit aimable d’un automne qui n’en promettait pas de si savoureux ; cet homme éminent que le chevalier de Bouflers a loué, à qui Nodier empruntait des épigraphes vers 1804 ; que M. […] Il continue donc, sans faire la moindre allusion à l’expérience flagrante, de poursuivre le Discours sur l’Inégalité des Conditions et l’Émile, de vouloir ramener l’homme au centre primitif des affections simples et naturelles. […] Son idée se traduit constamment sous la forme morale ; c’est tout au plus si de loin en loin il la couronne de quelque grande image naturelle[…] Les circonstances déterminent nos affections ; mais les sentiments expansifs sont naturels à l’homme dont l’organisation morale est parfaite. […] Tout sentiment généreux vous était naturel ; tout le feu des passions était dans votre mâle intelligence ; l’amour lui était nécessaire, il devait l’alimenter ; il eût achevé de la former pour de grandes choses ; mais rien ne vous a été donné, et le silence de l’amour a commencé le néant où s’éteint votre vie. » Le génie du paysage se révèle à chaque pas dans les récits d’Oberman.

500. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

A ses débuts, on le voit, il tenait par tous les côtés à cette vie de collége et de cloître qui fut son premier horizon, et qui resta toujours sa perspective ; il y était initié à fond, et son naturel badin, agréable et ingénument malicieux, ne réussit jamais d’un ton plus sûr que lorsqu’il s’y donna ses ébats, en ayant l’air d’en sortir. […] Il y eut, ne l’oublions pas, deux temps très-distincts, deux moitiés très-tranchées dans le xviiie  siècle ; ce n’est que dans la seconde moitié, et après 1747, année du Méchant, que ce siècle produisit les mémorables ouvrages qui en firent décidément une grande époque de philosophie et d’éloquence : l’Esprit des Lois, l’Histoire naturelle, l’Encyclopédie, l’Emile et tant d’autres ; Voltaire embrasse et remplit les deux périodes, Rousseau n’éclate que dans la seconde ; Gresset ne passa jamais la première. […] Je ne prétends pas dire que Gresset n’ait pas eu là d’heureuses années embellies de succès légitimes ; des idées riantes, un certain jeu de vivacité naturelle et de mollesse voluptueuse, quelques éclairs de tendresse, des accents sortis d’un cœur droit, d’une âme honnête et bonne, animaient ces productions de sa veine dans leur fraîcheur : presque tout cela, encore un coup, a disparu. […] Le personnage de Valère, de ce jeune homme bien doué et d’un naturel excellent, qui se croit obligé de faire le fat par bon air, n’est pas moins vivement saisi ; cela prête à plus d’une scène heureuse et d’un intérêt assez comique ; mais la diction surtout du Méchant est excellente ; on en peut dire ce que Voltaire disait de la satire des Disputes, que ce sont des vers comme on en faisait dans le bon temps. […] Chez Gresset, sans qu’il s’en rendît compte, la conscience littéraire, par une de ces ruses d’amour-propre qui sont naturelles au cœur humain, se déguisait ici en conscience morale ; elle lui disait tout haut qu’il ne devait plus rien faire, pressentant tout bas qu’il ne le pourrait plus37.

501. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

l’humanité vieillie, dégoûtée des agitations stériles, excédée de sa propre civilisation, déserter les villes, revenir à la vie naturelle et employer à en bien jouir toutes les ressources d’esprit, toute la délicatesse et la sensibilité acquises par d’innombrables siècles de culture. […] Or, il est naturel de se servir de ce qu’on sait, et la science de M. de Glouvet vient d’autant mieux à propos, que la chicane tient une assez grande place dans la vie des paysans. […] Enfin, le travail des champs garde toujours une noblesse : il est si naturel, si nécessaire pour que l’humanité vive, qu’il en devient auguste ; c’est le travail antique, connu des patriarches et des rois. […] Plus tard on pourrait trouver, comme je l’ai déjà indiqué, que ce braconnier fait tout de même trop de bonnes actions ; mais il semble que sa bonté soit un produit naturel de sa vie en pleine nature, qu’elle soit aussi spontanée que son amour de la forêt. […] Un souffle le traverse ; il a la grandeur, une poésie abondante et naturelle ; c’est une idylle tragique qui a quelque chose de fruste, de primitif et de mystérieux.

502. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

La pensée philosophique doit être le naturel fondement mais non le but du poème dont la fonction est avant toute chose de créer de la beauté. […] Mais je voudrais appeler allégorie l’œuvre de l’esprit humain où l’analogie est artificielle et extrinsèque, et j’appellerai symbole celle où l’analogie apparaît naturelle et intrinsèque. […] Une tête décharnée, un squelette, peuvent être regardés comme des symboles naturels ; mais le squelette armé de la faux est une figure allégorique : la faux est ici un emblème et suppose connue la métaphore « faucher les vies ». […] Vielé-Griffin n’est point subtil à l’égal de celui-ci ; je le dirais volontiers plus naturel et plus « classique » si ce dernier mot ne devait amener d’ennuyeuses méprises. […] De même la musique ne peut créer un paysage ; mais elle l’évoque en exprimant les sentiments qu’il éveille dans l’homme, en suscitant des gestes et des attitudes, traducteurs naturels de ce sentiment.

503. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Mais là où Diderot est surtout excellent à entendre, même pour des peintres, c’est quand il insiste sur la force de l’unité dans une composition, sur l’harmonie et l’effet d’un ensemble, sur la conspiration générale des mouvements ; il comprend d’instinct cette vaste et large unité, il y revient sans cesse ; il veut la concordance des tons et des expressions, la liaison facile des accessoires à l’ensemble, la convenance naturelle. […] Les inflexions du sein, les mollesses des contours, même dans ces tableaux de famille, même chez les épouses et chez les mères, il y revient sans cesse, il y porte le regard et la description avec complaisance, non pas en critique ou en artiste, non pas en libertin raffiné non plus (Diderot n’est point pervers), mais en homme naturel et matériel, parfois un peu grossier. […] Puis tout à coup, à la fin, son secret, qui, deux ou trois fois pourtant, est venu au bout de sa plume, lui échappe, et ces paysages naturels auxquels il nous a fait assister se trouvent être tout simplement les toiles de Vernet qu’il s’est plu à imaginer ainsi et à réaliser sur place, se remettant dans la situation et dans l’inspiration même de l’artiste qui les composait. […] Combien, avant d’avoir lu Diderot, auraient pu dire avec Mme Necker : « Je n’avais jamais vu dans les tableaux que des couleurs plates et inanimées ; son imagination leur a donné pour moi du relief et de la vie ; c’est presque un nouveau sens que je dois à son génie. » Ce sens nouveau et acquis s’est fort développé chez nous depuis lors ; espérons qu’il nous est devenu tout à fait naturel aujourd’hui29. […] Dans les petits morceaux faits exprès, tels que l’Éloge de Richardson ou les Regrets sur ma vieille robe de chambre, il a bien de la grâce, des pensées heureuses, des expressions trouvées ; mais l’emphatique revient et perce par endroits, l’apostrophe me gâte le naturel.

504. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Son caractère naturel est une supériorité aisée ; je ne saurais mieux le définir qu’une sorte de Montaigne adouci. […] J’en connais qui n’ont pas moins d’esprit et de discrétion que de charme et de beauté ; mais ce sont des singularités que la nature, par dessein ou par caprice, se plaît quelquefois à nous donner… Ces femmes extraordinaires semblent avoir emprunté le mérite des hommes, et peut-être qu’elles font une espèce d’infidélité à leur sexe, de passer ainsi de leur naturelle condition aux vrais avantages de la nôtre. […] Je ne l’ai point voulu chercher parmi les hommes, parce qu’il manque toujours à leur commerce je ne sais quelle douceur qu’on rencontre en celui des femmes ; et j’ai cru moins impossible de trouver dans une femme la plus forte et la plus saine raison des hommes, que dans un homme les charmes et les agréments naturels aux femmes. […] Clarice est donc de fort belle taille et d’une grandeur agréable, capable de plaire à tout le monde par un certain air libre et naturel qui lui donne bonne grâce. […] Saint-Évremond, pris en faute et un peu honteux sans doute de sa raillerie à faux, s’empresse de réparer, et il écrit à Ninon une lettre où il la loue comme elle le mérite, et où il nous la représente au naturel dans ce moment de transition et de métamorphose.

505. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Tel est véritablement l’effet que produit la méthode à demi scolastique de Bonald, mise en regard de la marche naturelle et large de Bossuet dans les mêmes matières. […] C’est ainsi qu’un autre jour, dans un discours à la Chambre des pairs, il dira, en parlant de la peine de mort, que punir un coupable du dernier supplice, c’est le renvoyer devant son juge naturel . […] Ainsi, dans la société, M. de Bonald croit à un ordre particulier, aussi naturel et aussi nécessaire que l’ordre général de l’univers : il marche donc dans sa voie, tranquillement, fermement, sous l’œil de Dieu et de ceux qu’il a préposés, comme au temps de Moïse et du Décalogue, comme au temps de Grégoire VII et  III, comme au temps de saint Louis. […] Ses lettres à Joseph de Maistre, récemment publiées, nous le montrent simple en effet, suivant de tout point ses idées et les pratiquant, très occupé des détails, et revenant souvent d’une manière naturelle, mais cependant marquée, à ses soucis de famille et d’intérêts domestiques. […] Bonald est le chef des partisans de la Création contre ceux qui soutiennent une origine humaine purement naturelle.

506. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Et d’ailleurs, si Mme de Motteville, se tenant à son rôle de femme, ne disant que ce qu’elle a appris par elle-même ou de bonne source, n’essaye pas de pénétrer les secrets du cabinet (dont elle devine pourtant très bien quelques-uns), elle nous peint au naturel l’esprit général des situations et le caractère moral des personnages : c’est ce côté durable que le temps a dégagé en elle, et qui la place désormais à un rang si distingué et si bien établi. […] Le ministre, de même, semblait par son adresse faire un bon usage des malédictions publiques ; il s’en servait pour acquérir auprès de la reine le mérite de souffrir pour elle… On sent, dans ces passages et dans tout le courant du style de Mme de Motteville, une imagination naturelle et poétique, sans trop de saillie, et telle qu’il seyait à la nièce de l’aimable poète Bertaut. […] C’était précisément ce qui déplaisait à Mazarin et ce qui le faisait se plaindre : « Ce reproche, ajoute-t-elle, marquait assez de défiance naturelle, et combien nous étions malheureux de vivre sous la puissance d’un homme qui aimait la friponnerie, et avec qui la probité avait si peu de valeur qu’il en faisait un crime. » À ces reproches du cardinal, qui ne laissaient pas de transpirer, elle tâchait de remédier par quelque bonne parole de la reine, qui en réparât les impressions devant tous ; « car à la Cour, remarque-t-elle, il est aisé d’éblouir les spectateurs, et il ne leur faut jamais donner le plaisir de savoir que nous ne sommes pas si heureux qu’ils se l’imaginent, ou que nous sommes si malheureux qu’ils le souhaitent ». […] À un bal que donne le cardinal Mazarin aux jours gras de 1647, elle nous décrit, l’une après l’autre, les principales beautés et reines de la fête, après quoi elle fait défiler les comparses, et qui ne sont pas les moins prétentieuses ni les moins bruyantes : Les filles de la reine, Pons, Guerchy et Saint-Mégrin, tâchèrent de faire quelques conquêtes naturelles, par le soin qu’elles eurent de s’embellir par toutes sortes de voies ; heureuses si, parmi tant d’amants, elles eussent pu attraper des maris selon leur ambition et le dérèglement de leurs désirs ! […] Le jour où le Parlement s’appuie de je ne sais quelle ordonnance de Louis XII pour demander « que nul ne puisse être mis en prison sans être renvoyé vingt-quatre heures après à ses juges naturels », elle ne peut s’empêcher de remarquer que cet article de garantie individuelle, comme nous dirions, « était agréable à toute la France.

507. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Chez Bossuet, la parole grande et simple sort et se répand par un cours naturel, irrésistible, et en déroulant à grands flots ses largeurs, ses audaces ou ses négligences : chez Montesquieu, il y a eu étude, combinaison profonde, effort, comme chez Salluste, pour revenir à une propriété expressive de termes et à une concision mémorable ; comme chez Tacite, pour faire l’image à la fois magnifique et brève, et imprimer à toute sa diction je ne sais quoi de grave et d’auguste. […] Avec Machiavel, on est toujours plus voisin de la corruption naturelle, de la cupidité première ; Machiavel se méfie, et Montesquieu ne se méfie pas. […] Au début de L’Esprit des lois, il va jusqu’à dire que les premiers hommes supposés sauvages et purement naturels sont avant tout timides et ont besoin de la paix : comme si la cupidité physique, le besoin et la faim, ce sentiment aveugle que toute jeunesse a de sa force, et aussi « cette rage de la domination qui est innée au cœur humain », ne devaient pas engendrer dès l’abord les rixes, et les guerres. […] J’ai dit le défaut radical que je crois à la politique de Montesquieu : il met la moyenne de l’humanité, considérée dans ses données naturelles, un peu plus haut qu’elle n’est. […] Quand on a beaucoup lu Montesquieu et qu’on est Français, une tentation vous prend : « Il semble, a dit de lui un critique sagace17, enseigner l’art de faire des empires ; on croit rapprendre en l’écoutant ; et, toutes les fois qu’on le lit, on est tenté d’en construire un. » Montesquieu ne dit pas assez à ceux qui le lisent : « Pour considérer l’histoire avec cette réflexion et avec cette suite, et pour en raisonner si à l’aise et de si haut, vous n’êtes pas, je ne suis pas moi-même un homme d’État. » Le premier mot et le dernier de L’Esprit des lois devrait être : « La politique ne s’apprend point par les livres. » Que nous tous, esprits qui formons le commun du monde, nous tombions dans ces erreurs et dans ces oublis d’où nous ne sommes tirés que rudement ensuite par l’expérience, rien de plus naturel et de plus simple : mais que le législateur et le génie qui s’est levé comme notre guide y soit jusqu’à un certain point tombé lui-même, ou qu’il n’ait point paru se douter qu’on y pût tomber, là est le côté faible et une sorte d’imprudence.

508. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Franklin est un des hommes les mieux nommés, et qui a le plus justifié son nom ; car ce mot de Franklin signifiait primitivement un homme libre, un franc-tenancier, jouissant dans un petit domaine à lui de la vie naturelle et rurale. […] Et cette méthode, que je n’adoptai pas d’abord sans faire quelque violence à mon inclination naturelle, me devint à la longue aisée et si habituelle que, peut-être, depuis ces cinquante dernières années, personne n’a jamais entendu une expression dogmatique échapper de ma bouche. […] Il voit cependant quelques gens de lettres ; en composant, comme imprimeur, un livre sur la Religion naturelle de Wollaston, il a l’idée d’écrire une petite Dissertation métaphysique pour le réfuter en quelques points. […] La vérité et la sincérité ont un certain lustre naturel distinctif qui ne peut jamais bien se contrefaire ; elles sont comme le feu et la flamme, qu’on ne saurait peindre. […] [NdA] « Le mariage, après tout, est l’état naturel de l’homme.

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