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2135. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Le grand Gœthe, le maître de la critique, a établi ce principe souverain qu’il faut surtout s’attacher à l’exécution dans les œuvres de l’artiste, et voir s’il a fait, et comment il a fait, ce qu’il a voulu : « Il en est beaucoup, disait-il, qui se méprennent, en ce qu’ils rapportent la notion du beau à la conception, beaucoup plus qu’à l’exécution des œuvres d’art ; ils doivent ainsi, sans nul doute, se trouver embarrassés quand l’Apollon du Vatican et d’autres figures semblables, déjà belles par elles-mêmes, sont placés sous une même catégorie de beauté avec le Laocoon, avec un faune ou d’autres représentations douloureuses ou ignobles. » Il y a donc, selon lui, une part essentielle de vérité, qui entrait dans les ouvrages des anciens, dans ceux qu’on admire et qu’on invoque le plus, et c’est cette part de vérité, cette nature souvent crue, hideuse ou basse, moins négligée des anciens eux-mêmes qu’on ne l’a dit, qu’il ne faut point interdire aux modernes d’étudier et de reproduire : « Puisse, s’écriait Gœthe, puisse quelqu’un avoir enfin le courage de retirer de la circulation l’idée et même le mot de beauté (il entend la beauté abstraite, une pure idole), auquel, une fois adopté, se rattachent indissolublement toutes ces fausses conceptions, et mettre à sa place, comme c’est justice, la vérité dans son sens général !  […] Il a eu, d’ailleurs, une récompense qui vaut mieux que tous les articles du dehors : le maître de nos romanciers, une nature féconde et généreuse, Mme Sand qui ne connaît l’auteur que par ses livres, lui en a écrit, et à diverses reprises, et des lettres pleines de sympathie, de cordialité, d’éloges et de conseils aussi, de critiques de détail discutées et motivées.

2136. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers (suite) »

Dès que la nature s’en mêle, l’homme redevient bien petit, que ce soit le grand Pompée ou César. […] J’aime la vérité assurément et la réalité franche, je le répète assez souvent ; je sais même surmonter un dégoût pour arriver au plus profond des choses, au plus vrai de la nature humaine ; mais je m’arrête là où l’inutilité saute aux yeux et où la puérilité commence.

2137. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

Le hasard a voulu que ce soit vous, Parisiens, qui soyez chargés de faire les réputations littéraires en Europe ; et une femme d’esprit, connue par son enthousiasme pour les beautés de la nature, s’est écrié, pour plaire aux Parisiens : « Le plus beau ruisseau du monde, c’est le ruisseau de la rue du Bac. » Tous les écrivains de bonne compagnie, non seulement de la France, mais de toute l’Europe, vous ont flattés pour obtenir de vous en échange un peu de renom littéraire ; et ce que vous appelez sentiment intérieur, évidence morale, n’est autre chose que l’évidence morale d’un enfant gâté, en d’autres termes, l’habitude de la flatterie. […] Ce qu’il y a de pis, c’est que nous mettons de la vanité à soutenir que ces mauvaises habitudes sont fondées dans la nature.

2138. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

La littérature du temps de la reine Anne, avec Addison, Pope, Dryden, est gagnée aux idées d’ordre, de méthode, de raison, d’imitation fidèle et correcte de la nature, qui sont les caractères sensibles de nos œuvres classiques. […] Au moment où Rousseau remue si profondément les âmes de nos compatriotes, et celles de ses contemporains par toute l’Europe, l’Angleterre nous envoie Thomson, Young, Macpherson586 : les Saisons de Thomson réveillent le goût de la nature chez nos mondains ; et nos spirituels peintres des choses champêtres, les Saint-Lambert, les Roucher, sont de mauvais copistes d’un bon original.

2139. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Oui, la nature est là, qui t’invite et qui t’aime ! […] Quand tout change pour toi, la nature est la même, Et le même soleil se lève sur tes jours.

2140. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Cethegus, chef des démagogues, le hait par bassesse de nature et « parce qu’un prêtre est un aristocrate comme un autre » et que « la morale, le bien, la vertu sont encore des restes de prêtrise ». […] Une mère dont l’enfant est malade lui offre de l’argent : « Garde tes offrandes… Oses-tu croire que la divinité dérange l’ordre de la nature pour des cadeaux comme ceux que tu peux lui faire ?

2141. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

. — Sans doute, comme l’homme est un être complexe, comme il existe en lui deux âmes ennemies, l’âme sociale et l’âme individuelle, la morale a dû plus d’une fois tenir compte de cette dualité de notre nature et faire certaines concessions au sentiment de l’individualité. […] Les natures de politiciens démocrates sont volontiers simplistes, absolutistes et dogmatiques.

2142. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

L’homme, dès qu’il se distingua de l’animal, fut religieux, c’est-à-dire qu’il vit, dans la nature, quelque chose au-delà de la réalité, et pour lui quelque chose au-delà de la mort. […] Mais c’était un naturalisme profond et moral, un embrassement amoureux de la nature par l’homme, une poésie délicieuse, pleine du sentiment de l’infini, le principe enfin de tout ce que le génie germanique et celtique, de ce qu’un Shakspeare, de ce qu’un Goethe devaient exprimer plus tard.

2143. (1902) L’humanisme. Figaro

Il y en a un second qui est la nature humaine elle-même. […] Un humanisme qui est un défi à la nature humaine ne peut pas avoir d’avenir ; j’ajoute qu’il n’a rien de tentant ni de séduisant en soi.

2144. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

En un sens, la théorie classique, comme on l’appelle, convient par un côté à notre philosophie, car elle proclame l’idéal comme loi suprême de l’art, de même que nous considérons l’absolu et le divin comme cause suprême de la nature ; elle préfère, comme nous-mêmes, l’âme au corps et la raison aux sens ; elle place le beau dans l’expression de la vérité et du sentiment, non dans l’imitation colorée et violente des formes matérielles : par ces différentes raisons, la critique classique que représente M.  […] Il ne faut point oublier que la littérature est un art, que ce qui distingue l’art de la science, ce n’est pas seulement la nature des vérités qu’il exprime, c’est encore la manière dont il les exprime, que son principal objet est de rendre le vrai ou l’intelligible par des formes sensibles, en un mot de parler au cœur, aux sens, à l’imagination en même temps qu’à l’esprit.

2145. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Mais Chamfort ne prenait pas le change sur la nature de cet empressement. […] La philosophie avait tellement renforcé en lui la nature, qu’après avoir, pendant quelques années, joui des douceurs de l’aisance, il sut, déjà sur son déclin, envisager avec courage et sérénité une position presque aussi malheureuse que celle où il avait passé sa jeunesse.

2146. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

car elle serait moins dans la vérité de son sexe, de sa nature, de la société. […] c’est cette Mme de Staël, restituée à la vérité de sa nature par un éditeur qui serait capable de la comprendre et de l’expliquer, que je voudrais voir revenir en pleine lumière, dans quelque splendide édition, où nous trouverions de ces lettres qui, comme plusieurs de celles de Weymar et Coppet, mais en trop petit nombre, éclairent le génie par la vie — comme les neiges tombées éclairent le ciel par en dessous !

2147. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

II Et pour ne parler que de celle-là, à qui l’Opinion, cette femelle, décerne actuellement le titre d’homme de génie, Mme George Sand, qui, dans sa Lélia, ayant voulu montrer des abstractions et des types revêtus d’une humanité agrandie, a glissé bien vite, de cette hauteur de conception et de résolution, dans cette fatalité des portraits, imposés, de par la nature, à la femme, laquelle ne pense guère que quand elle se souvient. […] Tout bas-bleu qu’elle fût de nature et d’étude, Mme Swetchine, nous l’avons vu, s’arrête à temps toujours, pour ne pas faire tomber son catholicisme dans la fondrière d’indigo où l’auteur des Soirées de la villa des Jasmins a fini par noyer le sien !

2148. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

L’effet y est cherché et cela devait être, du reste, avec une femme de cette nature, amoureuse de tout ce qui résonne, et qui, parce qu’elle a été quittée par un homme, la belle affaire ! […] Voilà selon moi la meilleure explication à donner de cette Cosaque par trop décosaquée… Une âme d’actrice plus que de femme, ce qui n’est pas monstrueux du tout, quoique j’en aimasse mieux une autre… Une pareille âme a obéi à sa nature et suivi son courant, en s’affolant (même avant de l’avoir vu) d’un acteur comme elle, — d’un très grand artiste, j’en conviens, — mais du plus éclatant des saltimbanques, du fameux pianiste, au sabre hongrois qu’il a remplacé par le bréviaire.

2149. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIV. Mme Claire de Chandeneux »

Elle a débordé et maintenant elle fait eau partout il faut que ce soit une loi de la nature expansive de ces doux êtres : mais les femmes, même les plus contenues, deviennent incontinentes, dès qu’elles ont une plume à la main ! […] Elle ne le cache pas sous l’éblouissement du talent, sous la richesse de sa nature.

2150. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Elle ne s’arrêtait point à un des effets du mal quand il s’agissait de remonter à toutes les causes, et en inspirant la résignation aux classes dénuées et opprimées, en appuyant à de sublimes espérances la moralité défaillant sous toutes les croix de ses épreuves, elle avait plus fait pour diminuer l’oppression et la misère, et, disons davantage, doubler la richesse sociale, par la modération ou les renoncements de la vertu, que l’Économie politique qui reprend à son tour le problème résolu par l’Église depuis tant de siècles, et qui prétend le résoudre aujourd’hui, avec toutes les convoitises excitées de la nature humaine, aussi aisément et plus complètement que l’Église avec toutes ses abnégations. […] Et si, au contraire, comme nous le pensons, il ne veut pour l’heure, en quoi que ce puisse être, se réclamer de la philosophie du xviiie  siècle, s’il croit même qu’elle est de nature à compromettre ses idées, pourquoi ne s’est-il pas rendu compte des influences latentes et ambiantes sous l’empire desquelles il a écrit ?

2151. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Seulement, la frivolité française ne change pas la nature de son crime pour l’abominable siècle qui a corrompu le cœur d’un roi avant de couper le cou à un autre. […] Pour des imaginations comme MM. de Goncourt, dont la nature poétique a toujours résisté au prosaïsme de leur système quand ils ont voulu faire de cette prétendue réalité, qu’ils appellent cruelle et que j’appelle simplement crue, les femmes sont, en effet, ce que je sais de plus dangereux et de plus mortel pour la supériorité d’un homme, — pour son sang-froid, sa justice et son impartialité.

2152. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

Mais s’il n’a pas été baptisé comme nous, s’il a combattu trente ans contre l’Église et la Monarchie, cette fille de l’Église, et s’il est mort comme il a vécu, il n’en était pas moins chrétien par bien des points de son âme, — un chrétien de nature, et de nature indestructible.

2153. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

Journaliste, Μ. de Girardin peut avoir du talent, mais il n’est pas aisé d’en changer la nature : c’est un talent de journaliste. […] Mais il est de la nature de l’art de faire de rien quelque chose.

2154. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Crétineau-Joly » pp. 247-262

Revenu en France après Juillet, il y respira le journalisme, comme, quand on est fait pour la guerre, on respire la poudre, et il se trouva tout à coup ce qu’il était, sans le savoir, dans le fin fond de sa soutane et de sa nature : c’est-à-dire un chouan, qui toute sa vie chouannerait ! […] Il en avait la gaieté, la bonne humeur, la verte allure la nature à pleine main, ce Jacques, défenseur des jésuites et du Pape, qui n’avait ni peur de souper chez ses ennemis ni scrupule de se montrer, tous les soirs, dans les coulisses de l’Opéra.

2155. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

… II Les Âmes mortes, en effet, sont le déshonneur universel de la Russie, et jusque de sa nature extérieure, que le réaliste Gogol insulte par les descriptions qu’il en fait et les indignes objets auxquels il la compare. […] Insupportable, nous l’avons dit déjà, par le sujet et la manière ; insupportable par la monotonie de son trait, qui est toujours le même ; insupportable par la vulgarité de son observation, qui ne s’élève jamais, quoiqu’il ait essayé, dans la seconde partie des Âmes mortes, de peindre des gens qui ne sont pas simplement des radoteurs ou des imbécilles ; insupportable enfin par sa description de la nature, qui nous reposerait du moins de cette indigne société de crétins nuancés dans laquelle il nous fait vivre, et qu’il nous peint toujours à l’aide du même procédé : la comparaison de l’objet naturel avec le premier engin de civilisation venu.

2156. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

Le talent de nature aurait grandi, plus ou moins mensonge ou caresse, le talent de grâce n’aurait point paru. […] La peur comme l’espoir voit plus grand que nature.

2157. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

Par la nature de ses facultés, il était destiné à toujours aller devant soi dans le sens de ses premières pentes. […] Par la nature de son esprit, par la prétention de son système, par l’isolante force ou faiblesse de son principe, je pense, donc je suis, Descartes est l’orgueil de la personnalité solitaire.

2158. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

À certaines places de ce récit merveilleux où le surnaturel a complètement remplacé la nature, on voit surgir du fond de cette Contemplative, éperdue et perdue dans son Dieu, une raison plus forte que toutes ces flammes, qui met la main sur le cœur qui palpite et dit à ce cœur : « N’es-tu pas ta proie à toi-même ? […] Malheureusement, du reste, ce n’est pas dans un livre de la nature de celui-ci que nous pouvons donner une idée complète de la vie de Sainte Térèse, écrite par elle-même ; il faudrait s’arrêter plus longtemps que nous ne le pouvons.

2159. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

Le moraliste, dans la vraie acception de ce mot, est tout simplement l’homme qui sait la nature humaine, qui la connaît à fond, qui l’a sentie en lui, qui l’a étudiée dans les autres. […] Quand il a un certain génie, cet homme-là s’appelle Shakespeare ou Molière ; quand il en a un certain autre, La Rochefoucauld, La Bruyère, Vauvenargues ; mais, quand il est prêtre et qu’il a quelque intelligence, il en sait plus sur la nature humaine que les hommes d’un génie supérieur au sien.

2160. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Avant d’être terminé, il a ennuyé la Nature qui l’a laissé là ; mais il était commencé en poète. […] Dans cette succession d’événements qui osent tout, — le chimérique et l’absurde, sous prétexte de merveilleux, — on se demande vainement où finit la légende, fruit de l’imagination des poètes ou des chroniqueurs du passé, et où commence l’inspiration du poète moderne et son travail… Quel est le fait ou la combinaison, de quelque nature qu’ils soient, qui, réellement, lui appartiennent ?

2161. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Édouard Gourdon et Antoine Gandon » pp. 79-94

Voilà ce sur quoi il n’a point assez appuyé, et ce qui a ôté à son livre tout sens profond en nature humaine et aussi en moralité. […] Que nous importerait quand ce serait un conte, si ce conte était vrai de nature, d’observation, d’accent ?

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