L’application qu’ils mirent à leur tâche ne leur fit pas illusion sur la nature ou sur l’importance des résultats. […] Aussi bien, c’est une loi de nature qu’il n’est pas permis aux poètes d’être médiocres. […] Le châtelain de Cirey chante en vers les cieux de Newton et disserte en prose, tout à fait savamment, sur la Nature du feu. […] Le premier mouvement de Voltaire, conformément à sa nature, est de prendre peur. […] Ajoutez qu’en même temps la vie sociale, de plus en plus artificielle, achève de déshabituer l’homme du spectacle et du sentiment de la nature.
L’envie, sous peine de manquer à sa nature, ne va jamais tête haute. […] Ni Shakespeare, ni Gozzi, ni Tieck n’ont pu changer la nature de la comédie. […] Guizot, le plus grand nombre des lecteurs ne sauraient à quoi s’en tenir sur la vraie nature des capitulaires. […] Le sujet de Gabrielle est d’une nature fort délicate. […] Le poète comique ne doit jamais choisir ses personnages parmi les types d’une nature exceptionnelle.
Delille, Ex-Oratorien, Auteur d’une Traduction inexacte & plate de Suétone ; d’une prétendue Philosophie de la Nature, qui n’est que l’écho infidele de ce qui a été dit mille fois d’une maniere plus simple & plus précise ; & enfin d’une Poétique sur la Tragédie, qu’on n’auroit pas été tenté d’attribuer à un Poëte, quand même l’Auteur n’auroit pas mis sur le frontispice en très-gros caractere, PAR UN PHILOSOPHE. […] Delille, & auquel nous n’avons rien changé depuis la premiere édition des Trois Siecles, nous a fait ranger, par cet Auteur, au nombre de ses ennemis, dans le VI vol. de sa Philosophie de la Nature, qu’il fit paroître un an après la premiere publication de notre Ouvrage.
— Charmant recueil ; de l’imagination, de la grâce, une heureuse nature de poète ! […] N’est-ce pas contre nature, de scandaliser avec une bouche si jeune, et d’être, à la fois, pur de cœur et effronté en paroles ? […] Toutes les choses de la terre lui semblent un lien mystérieux entre la nature divine et la sienne. […] Par la nature même de son talent, — et c’est ici le moment de le caractériser, — M. […] Il n’y a pas non plus d’analyse qui pût exprimer mieux la nature vague et impalpable des sujets traités par M.
Naturellement le sens dans lequel s’exerce cette déformation et son degré varient extraordinairement suivant les natures. […] S’interrogeant sur la nature des tendances qu’arrête le refoulement et qui s’expriment par substitution dans les symptômes et dans les rêves, Freud, on le sait, croit constater qu’elles sont toutes de nature sexuelle. […] Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. […] C’est aussi qu’il faut bien voir la nature de cette densité. […] La nature humaine a été sollicitée par lui dans sa profondeur et amenée au grand jour, exprimée, fixée.
Oui, mais ma nature n’a pas changé. […] Mais cela, c’était le Veuillot de la simple nature et non plus le chef de parti. […] Les natures vulgaires s’en tirent comme elles peuvent, en adorant l’argent ou la chair. […] Il ne demande qu’une goutte d’eau et il la demande à la nature. […] certes, il ne croit pas, lui, aux gais paysages et à la nature en fête !
Cette double nature était sa sincérité. […] Mais quelle a été la nature de cette liaison ? […] Il s’avilit de toutes les forces de sa nature animale pour vivifier davantage les forces de sa nature spirituelle. […] Taisez-vous, nature imbécile. […] C’est précisément pour nous sauver de la nature qu’il prend la plume.
L’homme étant pris pour centre, il a des rapports : avec lui-même, avec les autres hommes, avec l’autre sexe, avec l’infini, Dieu ou Nature. […] Les Époques de la Nature, si elles émeuvent les savants et les philosophes, n’en sont pas moins une somptueuse épopée. […] L’homme n’est pas libre, ni la nature, pas plus que ne sont justes ni l’homme ni la nature. […] Cette faiblesse nous prive de considérations piquantes sur l’état présent des mœurs et aussi sur la nature humaine. […] Mais les hommes, et c’est leur fin, sont ingénieux à tourner les obstacles que la nature leur impose.
Ceux qui sortent de la nature sont punis par la nature : telle est, ici comme ailleurs, la conclusion de Molière. […] On ne supprime pas les suites d’un manquement aux lois de la nature. […] Au reste, ils n’ont eu qu’à exagérer une indication de la nature. […] Il est au premier acte un fanatique de la « nature ». […] la nature !
Mais c’est une loi de la nature contre laquelle la créature humaine ne peut rien. […] Certes, il faut se défier du charme quand même, et tout ne doit pas être rose et sucré dans la nature ; mais les oppositions sont également dans la nature, et le noir n’existerait pas si le blanc n’était pas inventé. […] Ainsi qu’on le voit, c’est le sentiment du vrai, de la nature, qui ressort surtout du roman de M. […] Même cette humble joie de nature, lui, ne l’a pas connue ; il est obligé de l’envier. […] Et cela sans contorsions de vers, de rimes pauvres par leur richesse, rien qu’en laissant parler en lui la nature.
Il semble en effet qu’elle ait sa source en un sentiment profond de la nature humaine, et, pour cette raison, elle peut nous révéler quelque chose d’important touchant le mécanisme de la vie. Si, après avoir mis en lumière l’universalité et la fatalité du mensonge bovaryque, on s’est gardé ici de formuler une évaluation pessimiste de la vie et de ses conditions, il faut reconnaître que cette même constatation de fait serait de nature à motiver un autre jugement chez l’immense foule des hommes qui vivent et assurent par leur confiance et leur ardeur les progrès de la vie.
Il a voulu toucher à des hommes au lieu de toucher à des mots, et quoique ces hommes soient de la même nature que lui, des jaugeurs de vocables, il n’a pas réussi. […] Seulement, pour détacher cette étrange physionomie, la creuser et la faire se mouvoir, il aurait fallu des qualités d’observateur et d’écrivain qui n’ont point été départies à la correcte, sèche et grammaticale nature de Charles Nisard.
Puissent-ils jouir d’un meilleur sort que leur père et avoir toujours devant les yeux la crainte de Dieu, cette crainte salutaire qui opère en nos cœurs l’innocence et la justice, malgré la fragilité de notre nature ! […] Le sentiment de la nature vivante et champêtre lui créait en ces moments toute une nouvelle existence dont il s’enivrait. […] cette nature qu’il aimait et qu’il parcourait en tous sens alors avec ravissement, comme un jardin de sa jeunesse, il ne la voyait pourtant et ne l’admirait que sous un voile qui fut levé seulement plus tard. […] Ampère savait mieux les choses de la nature et de l’univers que celles des hommes et de la société. […] Chez les esprits de cet ordre et pour les cerveaux de haut génie, la nature a, dans plus d’un cas, combiné et proportionné l’organisation.
. — D’ailleurs, la nature du sujet et celle de la musique ne constituent pas tout le drame. […] Et, comme nous avons vu Beethoven préservé contre cette tendance, dans l’art, par la puissante impulsion de sa nature, ainsi nous lui reconnaissons encore la même force, également vaillante à le détourner, dans sa vie et son caractère, de toute tendance frivole. […] Et si nous revenons à l’Art, Beethoven nous paraît aussi amené, par cet Esprit, dans la voie où il se devait rencontrer au seul Initié de son Art, au seul devant lequel il pût se pencher, respectueusement, au seul qui lui donnât la révélation de sa plus secrète nature intime. […] C’est avec une danse de paysans hongrois qu’il s’est joué, dans le final de la Symphonie en La ; mais il a joué cette danse à la Nature entière ; et celui qui pourrait assister à cette Danse idéale, croirait voir, devant lui, une planète nouvelle, entraînée dans un extraordinaire tourbillon. […] Schopenhauer dit : « Chaque œuvre d’art s’efforce à nous montrer les choses telles qu’elles sont en vérité et en réalité, mais telles qu’elles ne peuvent être reconnues par chacun, à cause du voile que jettent autour d’elles les impressions fortuites, de nature objective ou subjective.
II Un jour, à Bayreuth, sortant d’une représentation du premier acte de Tristan et Isolde et gravissant avec un ami la montée au-dessus du théâtre, plus spécialement que de coutume poignés l’un et l’autre du spectacle qui venait de se clore, et silencieux, je considérais les champs environnants et un paysan laboureur qui à ce moment traversait la route, conduisant un couple de bœufs et tranquille d’indifférence ; la placide nature de ces champs et le plus placide passage de ce paysan laboureur faisait aux passionnements du drame récent une antithèse, et, comme à un nouveau drame, je fus ému… Etait-ce donc de l’art, la réalité de cette nature, autant que la fiction de ce drame ? […] Car il est évident que dans la représentation des bruits de la nature est la très lointaine origine de la musique. Très multiples, très divers, très spéciaux, les bruits de la nature se sont fixés aisément dans la mémoire humaine ; les chants d’oiseaux, le vent, le roulis de la mer, l’orage, tout cela est chez les peuples sauvages (et les civilisés) l’objet d’imitations ; et ces imitations, quelque approximatives qu’elles fussent, sont devenues dans les esprits les évocations des bruits primitifs, et tel rythme, telle mélodie, tel timbre peu à peu purent représenter des bruits connus. […] Et de là est sortie la musique : en même temps que les lignes et les couleurs répondaient à la forme des choses, les mots aux idées abstraites d’elles issues, l’harmonie des sons née de l’imitation des bruits de la nature atteignait ce où échouaient lignes et mots, l’impression sentimentale découlée de la nature. […] D’aucune façon le Parsifal n’apparaît tel ; dans le texte, il n’y a qu’anecdote ; dans l’ensemble du texte et de la musique, il ne peut y avoir qu’illustration d’une anecdote, ou musique additionnée d’une anecdote ; car le Parsifal, Amfortas, Kundry ne sont pas personnages humains ; ils n’ont pas de psychologie ; leur nature se modifie à chaque scène, ou plutôt n’est posée en aucune ; tous falots et irréels, Kundry, Parsifal, Amfortas ne répondent à rien d’humain ; ce n’est que mise en action d’un vague romancero religieux.
Pour faire pardonner aux hommes, naturellement railleurs, une occupation de cette nature, M. […] Hugo est franchement osé et physique dans son inspiration, le mot s’affermit sous la brutalité de l’idée, et il redevient l’écrivain grossier, haut en couleur, qui choque les natures élevées non moins que les natures sincères, mais qui a pourtant je ne sais quelle puissance. […] Comme Dubartas, il accouple les substantifs, ce qui est le péché contre nature dans la langue. […] … VI Ce mensonge combiné, ce double effet voulu dans le faux littéraire, qui est le fond de la nature de M. […] De nature et d’instinct, le génie de M.
Elle passe dans ce roman, qui est son histoire, comme ces natures supérieures qui ne savent pas aimer au-dessous d’elles, et qui s’en vont de ce monde sans donner leur main à un de ces êtres misérables que les femmes qui n’ont dégoût de rien, même de ce qu’elles méprisent, se résignent souvent à épouser. […] Tout au plus l’a-t-il achevé, a-t-il donné la dernière main à l’importance de cette précieuse créature des classes moyennes, dont il a fini, le pauvre Louis-Philippe, très prince de nature mais qui aurait voulu s’embourgeoiser lui-même, par désespérer ! […] — dit M. de Goncourt, — commencé par la canaille, parce que la femme et l’homme du peuple, plus rapprochés de la nature et de la sauvagerie, sont peu compliqués… » Humble aveu de faiblesse, qui déshonore l’œuvre qu’on a commise ! […] La question est de savoir si le Talent — cet ogre du cœur qui mange le nôtre dans nos poitrines au point qu’il n’en reste bientôt plus rien — n’est pas plus tyrannique, plus absolu et plus féroce, en ces natures de grandes comédiennes, qu’en quelques artistes que ce soit, et n’exalte pas des vanités que les hommes ne connaissent pas à ce degré de délirante ivresse, et qui l’emporte sur tous les autres enivrements de la vie ? […] Quel sujet de roman qu’une telle créature, pour un romancier fort en nature humaine, et qui sait la brasser.
Cette fidélité au pays, à la souche originelle, était un des traits de sa nature. […] La nature ne l’avait pas fait pour être de ceux qui lancent de loin dans le but la flèche sonore. […] Une nature d’esprit et, de talent n’est entièrement définie, selon moi, que quand on a pu nommer son contraire. […] Par nature et par goût, je n’aurais jamais été de ceux qui ont défriché le Moyen-Age ; je n’aurais pas eu ce courage, je l’avoue : eux, ils l’ont eu, ils l’ont défriché patiemment. […] Et maintenant nous sommes en mesure, ce me semble, de nous faire une idée complète de cette nature d’esprit peu caractérisée au premier coup d’œil, si répandue, si éparse même, mais qui a sa nuance et son grain d’originalité.
Peu élégiaque de sa nature, il aimait les fortes joies, et la bière et le vin et l’eau-de-vie, et, quand il était gris, disait avec un accent tout plein d’un gaudissement sensuel : « Je suis ramplan ! […] Nous lui prêchions une grande illustration de Paris, une série de dessins représentant la Morgue, Mabille, un salle d’hôpital, un cabaret de la Halle, etc. ; enfin un tableau pris dans le Plaisir ou la Douleur, à tous les étages et dans tous les quartiers, mais cela fait rigoureusement d’après nature et non de chic, et pouvant servir de document historique pour plus tard — nous plaignant de ce que les siècles futurs n’auraient pas de renseignements de visu authentiques sur le « Paris moral » de ce temps. Il nous répondait qu’il y avait bien songé, qu’il ne cherchait qu’à faire des études d’après nature, qu’il n’y avait que cela de bon, qu’il lui arrivait de dessiner souvent dans les rues, qu’il avait même proposé à L’Illustration de prendre une page, pour lui faire des scènes parisiennes, comme celles dont nous lui parlions, mais qu’on était si peu intelligent dans cette boutique, qu’on n’avait pas voulu. […] Peut-être que ce plagiat sinistre de la nature est appelé au plus grand avenir. […] — moins analystes que nous : de grosses natures qui se grisaient régulièrement de plaisir sans effort, et que la jouissance mettait en appétit de jouir.
C’est la longueur du récit, sa nature et sa nécessité, qui déterminaient l’étendue de la protase à plus ou moins de scènes, la renfermaient quelquefois dans le premier acte, et le second. […] Si quelque chose peut prouver que nous nous accoutumons à tout, et que, tout jaloux que nous paraissons de l’imitation de la nature, le moindre plaisir nous fait passer sur bien des irrégularités, c’est qu’on ne soit pas blessé des monologues dans les tragédies, surtout quand ils sont un peu longs. Où trouverait-on, dans la nature, des hommes raisonnables qui parlassent ainsi tout haut, qui prononçassent distinctement et avec ordre tout ce qui se passe dans leur cœur ? […] Bien des gens sont encore charmés des stances de Polieucte : tant il est vrai que nous ne sommes pas si délicats sur les convenances, et que la coutume donne souvent autant de force aux fausses beautés, que la nature en peut donner aux véritables ! […] Il doit être celui de la nature même.
Il a oublié que partout où le sentiment baisse, le paganisme, qui n’est pas de l’histoire et de l’archéologie, mais bel et bien de la nature humaine éternelle, le paganisme remontait ! […] Fanny devait retourner à son mari, parce qu’il était son mari, voilà tout, par l’inévitable nature des choses, et nous n’avions pas besoin de cette goutte d’un sang corrompu pour l’expliquer. […] C’est le mariage, la racine de tous les maux, le mariage indissoluble, imprévoyant, sacrilège envers la sainte et libre nature, et que les écrivains comme M. […] Feydeau, et nul d’entre eux n’y donne l’intérêt élevé, l’intérêt d’art ou de nature humaine que doit avoir toute œuvre qui a la prétention de vivre. […] On dirait qu’il a interverti l’ordre des procédés ordinaires, et qu’il n’a pas placé ses personnages dans ses descriptions, mais plaqué ses descriptions par-dessus ses personnages, mettant l’accessoire devant le principal, et la plastique inerte devant la nature vivante !
Les âmes délicates s’en étaient révoltées, et la noble nature de Mme de Sablé la première. […] entre Saint-Évremond et La Rochefoucauld, entre gens de cette sorte et natures de cette qualité, les questions de priorité n’existaient pas. […] Change l’état douteux dans lequel tu nous ranges, Nature ; élève-nous à la clarté des anges. […] Ses Réflexions sur les divers génies du peuple Romain dans les différents temps de la République sont d’un esprit éclairé, sensé, philosophique et pratique à la fois, qui s’explique assez bien ce qui a dû se passer dans les âges anciens par ce qu’il a vu et observé de son temps, et par la connaissance de la nature humaine : partout où il faudrait entrer dans les différences radicales et constitutives des anciennes cités et sociétés, il est insuffisant et glisse. […] Enfin, pour être et paraître quelque chose de plus, pour pousser ses essais jusqu’à l’œuvre, pour porter son esprit jusqu’au talent, il n’a manqué à Saint-Évremond qu’un enthousiasme, une ambition, une illusion, un mobile : il en faut aux plus heureuses natures.
Est-ce une nature vraie, légitime, une société saine qu’a exprimée M. […] Non, il n’est jamais permis à l’art humain d’être vrai de cette sorte ; quand même on aurait le sujet vivant, l’espèce sociale en personne sous les yeux, c’est là encore, si l’on peut dire, de l’art contre nature. […] La saine nature n’est-elle pas là tout à côté qui rejaillit aussitôt, qui retrempe et qui console ? […] Lorsque Dieu forma le cœur et les entrailles de l’homme, il mit premièrement la bonté, comme propre caractère de la nature divine, et pour être comme la marque de cette main bienfaisante dont nous sortons. […] Bien que le paysage des montagnes semble par endroits assez largement tracé, je regrette qu’il ne soit pas constamment plus précis, plus sobre, plus conforme à cette sévère nature de notre Midi.
Mais au fond c’était une nature soumise, non raisonneuse, altérée des sources supérieures, encline à la spiritualité, largement crédule à l’invisible ; une intelligence de la famille de Malebranche en métaphysique ; une de ces âmes qui, ainsi qu’il l’a dit de sa Cécile, se portent d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure, et s’en croient empêchées par les ténèbres des sens et le poids de la chair. […] Nous ne pouvons revenir à cette géographie fabuleuse, à cette nature de Pyrame et Thisbé, vaguement remplie de rochers, de grottes et de sauvages. […] Pour sa famille, je ne répondrais pas qu’il l’amusât constamment ; mais nous qui ne sommes pas amoureux, le moyen de lui en vouloir quand il nous dit : « Je lui prouvai par un raisonnement sans réplique que ce qu’il nommoit amour invincible, constance inviolable, fidélité nécessaire, étoient autant de chimères que la religion et l’ordre même de la nature ne connoissoient pas dans un sens si badin ? […] … Au reste, le caractère de Tiberge, ami du chevalier, est admirable… Je ne dis rien du style de cet ouvrage ; il n’y a ni jargon, ni affectation, ni réflexions sophistiques ; c’est la nature même qui écrit. […] Il ressuscite avec ampleur, après Louis XIV, après cette précieuse élaboration de goût et de sentiments, ce que d’Urfé et mademoiselle de Scudery avaient prématurément déployé ; et bien que chez lui il se mêle encore trop de convention, de fadeur et de chimère, il atteint souvent et fait pénétrer aux routes secrètes de la vraie nature humaine ; il tient dans la série des peintres du cœur et des moralistes aimables une place d’où il ne pourrait disparaître sans qu’on aperçût un grand vide.
Mais on en conclurait à tort que le public verra juste ; car il reste encore à examiner l’état de ses yeux, s’il est presbyte ou myope, si, par habitude ou par nature, sa rétine n’est pas impropre à sentir certaines couleurs. […] Pour le bien connaître, voyons-le se former. — Il s’établit en même temps que la monarchie régulière et la conversation polie, et il les accompagne non par accident, mais par nature. […] Au dix-huitième siècle, il est impropre à figurer la chose vivante, l’individu réel, tel qu’il existe effectivement dans la nature et dans l’histoire, c’est-à-dire comme un ensemble indéfini, comme un riche réseau, comme un organisme complet de caractères et de particularités superposées, enchevêtrées et coordonnées. […] Considérez tour à tour, pendant la même période, en France et en Angleterre, le genre où elle a son plus large emploi, le roman, sorte de miroir mobile qu’on peut transporter partout et qui est le plus propre à refléter toutes les faces de la nature et de la vie. […] Jamais de faits ; rien que des abstractions, des enfilades de sentences sur la nature, la raison, le peuple, les tyrans, la liberté, sortes de ballons gonflés et entrechoqués inutilement dans les espaces.
Cette souple nature s’est développée à travers trois quarts de siècle, recueillant toutes les influences, frémissant à tous les souffles ; les acquisitions, les transformations, les progrès de cet esprit sont exactement les acquisitions, les transformations, le progrès de l’esprit public ; et il n’a été si puissant que parce que son développement interne coïncidait avec le mouvement des idées de la nation : son rôle fut de lancer aux quatre coins du monde les pensées fraîchement écloses dans toutes les têtes. […] Dans Zaïre (1732) la religion est l’obstacle au bonheur préparé par la nature. […] Elle procède de sa nature avide de jouir, et que toutes les défenses de jouir révoltent. […] Une religion qui gêne la nature, qui attache du péché au désir et au plaisir, lui fait l’effet d’un monstrueux non-sens. […] Il est aussi peu que possible l’homme de la nature : sa nature à lui, c’est d’être au plus haut degré l’homme de la société.
Nos batailles font à son oreille le même bruit qu’un moucheron La nature est mystérieuse C’est l’ombre qui a fait les dieux Les prêtres sont horribles L‘âme est immortelle : nous retrouverons nos morts Le monde est mauvais : tout est nuit et souffrance. […] Et voici les pensées qu’on y trouve : — Les poètes primitifs aimaient la nature, et elle leur parlait J’ai fait de la critique quand j’étais enfant, mais j’ai reconnu l’absurdité de cette occupation La tragédie classique sent le renfermé. […] Tout cela fait sept cordes (à la vérité, il serait difficile de les nommer avec précision ; il semble pourtant que les sept livres que nous venons de parcourir pourraient s’intituler : Humanité, Nature, Philosophie, Art, Foyer, Amour, Fantaisie). […] La nature rêve et voit Dieu. […] Seulement (et c’est la rançon du don monstrueux que la nature injuste a mis en lui) il finit par appeler ses amis les montagnards : Tigres compatissants !