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581. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

Il y a là une comtesse polonaise, un gentilhomme portugais, un prince russe, un colonel suisse, un conseiller aulique allemand, un abbé espagnol, un géologue suédois, un agronome hollandais, un commerçant de Boston, un touriste anglais, et enfin (quelle jolie et patriotique manière de représenter la France !) […] Je sais bien que les grands faiseurs de nouvelles, que ce Boccace, qu’il a osé rappeler, que le Bandello, que Cervantès, se sont toujours montrés assez indifférents à la manière dont ils amenaient leurs récits, ne se préoccupant que de l’intérêt du récit même ; mais au dix-neuvième siècle, avec les accroissements que le temps apporte aux littératures, il n’est plus permis de faire si bon marché des nécessités de la composition, devenues de plus en plus impérieuses. […] Dans celle-là, il n’y a pas que des brigands qui épousent des marquises et qui fusillent des carabiniers du Pape ; il n’y a pas que des Carbonari et des Francs-Maçons, et de la police et des révolutions, et des moines violeurs et des événements à la manière noire d’Anne Radcliffe ou de Mathurin.

582. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Sa voix était éclatante, ses gestes hardis ; il fronçait les sourcils à faire peur, et il nous parlait tous les jours des manières libres avec lesquelles il traitait ces ignorants d’Anglais. […] Vous l’avez fort bien estimé, me dit-elle ; auriez-vous le courage de me monter ces diamants d’une manière plus nouvelle ? […] Honteux de sa sottise, il pria le maître d’hôtel de me l’apporter pour le raccommoder sur-le-champ, de manière que l’évêque ne s’en aperçût pas ; ce que je fis en quelques heures. […] Je dis ensuite à Alexandre et aux deux autres d’apprêter leurs armes, et je les postai de manière qu’on ne pouvait les atteindre du dehors. […] Le pape, qui s’informait aussi de tout, et auquel les médecins avaient annoncé la mort prochaine du châtelain, dit qu’il voulait que celui-ci me fît mourir avant lui, de la manière qu’il le jugerait à propos, puisque j’étais la cause de sa mort.

583. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Son athéisme, qui est incontestable, est en quelque manière respectueux. […] Il a deux manières, celle du haut des pages et celle des notes. […] C’est à quoi un auteur ne doit pas moindre garde qu’un jardinier. » Voilà sa manière. […] Il est femme, de cœur, d’intelligence, de manière et de style. […] Pour elle, il supposera une idée innée, une manière de révélation.

584. (1903) La pensée et le mouvant

De toute manière, la philosophie nous aura élevés au-dessus de la condition humaine. […] La manière humaine de penser. […] Nous recommandons une certaine manière difficultueuse de penser. […] Les philosophes ont réfuté cet argument de bien des manières, et de manières si différentes que chacune de ces réfutations enlève aux autres le droit de se croire définitives. […] Seulement il l’aimait à sa manière, en homme d’action.

585. (1900) Molière pp. -283

Il y a bien des manières d’observer ; Molière ne cherche pas l’observation fine et subtile ; il n’essaye pas de fouiller les replis perdus du cœur humain : non, il suit une voie large, une grande voie. […] Cette puissance d’observation et de généralisation, elle éclate surtout, d’une manière effrayante, chez Molière, dans la peinture des sexes. […] C’est une épopée mise en dialogue, où tous les caractères, même les plus épisodiques, sont accusés à grands traits, d’une manière qui rappelle la largeur et la simplicité de la touche homérique. […] Parce que la science n’est dans Philaminte qu’une manière de persécuter son mari. […] » Eh bien, prenez garde : quoique votre costume soit bien changé, vous ne vous habillez pas encore comme tout le monde ; il y a quelque chose dans votre chapeau ; il y a quelque chose dans la manière dont vous posez votre canne à terre, dans la manière dont vous jetez toutes vos paroles ; vous ne parlez plus latin, je le sais bien… mais, positivement, depuis une vingtaine d’années, vous vous mettez tout doucement à parler grec.

586. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Célèbre par les poètes qu’elle a produits et au Moyen Âge et à la naissance de notre littérature classique (sans parler des plus récents), elle les honore, et, ce qui est la meilleure manière de les honorer, elle les étudie. […] Il eut tout le loisir de prendre son pli et de marquer dans sa manière en quoi il se séparait de ses prédécesseurs. […] Ce plan lui eût fourni un poème grand, noble, varié, plein d’âme et d’intérêt, et plus flatteur pour une jeune princesse, surtout s’il eût su lui parler de sa beauté moins longuement et d’une manière plus simple, plus vraie, plus naïve qu’il ne l’a fait. […] Il eût peut-être appris à traiter l’ode de cette manière, s’il eût mieux lu, étudié, compris la langue et le ton de Pindare qu’il méprisait beaucoup au lieu de chercher à le connaître un peu. […] Dans ses œuvres rares, difficiles, toujours remaniées, qu’il prise haut, mais qu’il n’estima jamais assez terminées pour en publier lui-même le recueil, il semble avoir cherché surtout à donner des exemples d’une nouvelle et meilleure manière de faire : on dirait qu’il n’a voulu que changer le procédé et remonter l’instrument plutôt que d’en user largement lui-même.

587. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

C’était aussi la manière dont Joinville et ses amis recevaient ces fusées effrayantes. […] Quelle plus douce et plus angélique manière d’exprimer une sainte mort ! […] Joinville, de son côté, a ses aventures et sa manière d’être pris. […] Et tout le monde qui avait à faire à lui, se tenait à l’entour debout, et lors il les faisait juger et renvoyer chacun en la manière que je vous ai dit auparavant du bois de Vincennes. […] On croyait alors à son roi, on croyait surtout à son Dieu ; on y croyait non pas en général et de cette manière toujours un peu vague et abstraite, dans ce lointain où la science moderne, si on n’y prend garde, le fait de plus en plus reculer, mais dans une pratique continuelle et comme si Dieu était présent même physiquement dans les moindres occurrences de la vie.

588. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

La vraie manière de bien s’en rendre compte et d’en tirer profit pour l’histoire du temps, c’est de voir comment Madame écrivait, dans quel esprit, ce qu’elle était elle-même par l’éducation, par le caractère. […] Elle aurait volontiers emprunté de l’illustre philosophe son idée d’un rapprochement et d’une fusion, d’une réconciliation entre les principales communions chrétiennes ; elle traduisait cela un peu brusquement à sa manière lorsqu’elle disait : « Si l’on suivait mon avis, tous les souverains donneraient ordre que parmi tous les chrétiens, sans distinction de religion, on eût à s’abstenir d’expressions injurieuses, et que chacun croirait et pratiquerait selon sa volonté… » Au milieu de cette cour de Louis XIV, qui allait être si unanime sur la révocation de l’édit de Nantes, elle apportait et elle conserva d’inviolables idées de tolérance : « C’est ne se montrer nullement, chrétien, disait-elle, que de tourmenter les gens pour des motifs de religion, et je trouve cela affreux ; mais lorsqu’on examine la chose au fond, on trouve que la religion n’est là que comme un prétexte ; tout se fait par politique et par intérêt. […] Elle aimait les chiens et les chevaux, passionnément la chasse et les spectacles, n’était jamais qu’en grand habit ou en perruque d’homme, et en habit de cheval… Et ailleurs, dans un second portrait d’elle qu’il recommence admirablement et qu’il conclut en ces mots : « La figure et le rustre d’un Suisse ; capable avec cela d’une amitié tendre et inviolable. » Introduite à la Cour par sa tante, l’illustre princesse palatine Anne de Gonzague, elle ne lui ressemblait donc en rien pour l’esprit, pour le don d’insinuation habile et de conciliation, pour la prudence ; succédant, à la première Madame, elle en était encore plus loin et véritablement le contraire pour les manières, pour la qualité et le tour des pensées, pour la délicatesse et pour tout, Madame, dans toute sa vie, était et sera ainsi le contraire de bien des choses et de bien des personnes autour d’elle : elle était originale du moins, et tout à fait elle-même. […] Madame, mariée d’une manière si triste et si ingrate, et avec qui il ne fallait que causer, disait-on, quand on voulait se dégoûter à l’avance de cette condition pénible du mariage, n’était pas femme à se rejeter sur le roman pour se consoler de la réalité. […] Si je n’avais eu la fièvre et de grandes vapeurs, madame, du triste emploi que j’ai eu avant-hier d’ouvrir les cassettes de Monsieur, toutes parfumées des plus violentes senteurs, vous auriez eu plus tôt de mes nouvelles, mais je ne puis me tenir de vous marquer à quel point je suis touchée des grâces que le roi a faites hier à mon fils, et de la manière qu’il en use pour lui et pour moi : comme ce sont des suites de vos bons conseils, madame, trouvez bon que je vous en marque ma sensibilité, et que je vous assure que je vous tiendrai très inviolablement l’amitié que je vous ai promise ; et je vous prie de me continuer vos conseils et avis, et de ne jamais douter de ma reconnaissance qui ne peut finir qu’avec ma vie.

589. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

L’abbé Le Dieu s’y élève au-dessus de lui-même et de sa manière ; il y entre dans des particularités telles qu’on les aime sur les grands hommes et dans un détail sans trivialité ni bassesse. […] L’endroit où il donne le caractère de Bossuet dans le sermon, et où il explique sa manière de s’y préparer, enleva tous les éloges. […] qui allons faire une visite à Fénelon : J’étais donc dans la grande salle du billard, près de la cheminée : dès que je l’y vis entrer, j’approchai en grand respect ; il me parut au premier abord froid et mortifié, mais doux et civil, m’invitant à entrer avec bonté et sans empressement. « Je profite, lui dis-je, monseigneur, de la permission qu’il a plu à Votre Grandeur de me donner de venir ici lui rendre mes respects, quand j’en aurais la liberté. » C’est ce que je dis d’un ton modeste, mais intelligible ; j’ajoutai plus bas, et comme à l’oreille, que je lui apportais des nouvelles et des lettres de Mme de La Maisonfort. « Vous me faites plaisir, dit-il ; venez, entrez. » Alors parut M. l’abbé de Beaumont, qui me salua avec embrassades, d’une manière fort aisée et fort cordiale. […] M. l’archevêque prit la peine de me servir, de sa main, de tout ce qu’il y avait de plus délicat sur sa table ; je le remerciais chaque fois en grand respect, le chapeau à la main, et chaque fois aussi il ne manqua jamais de m’ôter son chapeau, et il me fit l’honneur de boire à ma santé, tout cela fort sérieusement, mais d’une manière aisée et très polie. […] En lui envoyant copie de la Lettre latine de Bossuet au pape Innocent XI sur l’éducation du dauphin, il dit : « Je le fais bien valoir à cet abbé par la lettre que je lui écris, parce qu’avec de pareilles gens si méprisants il faut faire le gascon… Nous verrons comment notre abbé le recevra ; je veux qu’il sente le besoin qu’il a de moi. » — D’ailleurs il est heureux à sa manière, il s’arrange et s’acoquine à Meaux ; il achète une maison, grande affaire ; il se cache pour cela sous le nom du chanoine Blouin ; dès qu’on le sait, les anciennes jalousies contre lui se réveillent.

590. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Toujours à Sainte-Barbe, il eut des succès dans les hautes caisses ; il en eut même à la lingerie, ce qu’il nous apprend d’une manière assez peu voilée. […] La princesse Pauline Borghèse, quand elle le vit à Pise en 1823, trouva qu’il ressemblait d’une manière frappante au général Leclerc, son premier mari. […] Elle aimait tout de lui, disait-elle dans des vers passionnés : J’aime tout dans celui qui règne sur mon cœur… Elle aimait son talent, ce qu’elle appelait son génie, ses défauts même, son air vaurien ou lutin, et jusqu’à ses infidélités et ses inconstances : comment n’aurait-elle pas aimé sa manière correcte et digne ? […] Aimer follement lui avait paru de tout temps la seule manière raisonnable d’aimer. […] Necker qu’il ose mettre en balance d’une manière incroyable avec Napoléon ?

591. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

Je ne savais rien de plus, que de la manière la plus vague et par ouï-dire. […] J’en ferai bien mon profit, et je l’ai déjà fait pour le plus important ; j’ai retranché toute la partie champêtre, et j’ai abordé tout de suite la Cavalcanti : de cette manière, le conte se passe tout entier dans ce monde de fantaisie où je l’avais conduit maladroitement. […] La même raison m’empêche de changer la manière générale du conte ; pour cela, il faudrait le recommencer, et il n’en vaut d’ailleurs pas la peine. […] Je l’ai donc retirée pour en faire le commencement d’une historiette toute rustique, et j’ai mis dans la bouche de mon secrétaire intime, dans le courant de son séjour à Monteregale, un récit de sa jeunesse où j’ai tâché de tracer son humeur d’une manière qui s’harmonie mieux avec la suite. […] Aussi l’on ne s’étonnera point que Mme Sand, ayant parlé de moi dans ses Mémoires d’une manière très-flatteuse et affectueuse, je lui aie écrit, pour la remercier, la lettre suivante, qui se rejoint bien aux confidences anciennes et qui résume mes sentiments : « Ce 10 août 1855.

592. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Je résumerai le défaut littéraire de la manière historique de M.  […] Ici sa manière s’aiguise tout à fait et se dégage. […] Il vivait d’une manière particulière, un peu bizarre. […] C’est ainsi du moins que ceux qui viendront après seront à même de prendre une idée de lui et de le reconnaître entre tant de gens également distingués, qu’on loue d’une manière uniforme et monotone. […] J’ai pensé que la meilleure manière d’introduire ce rayon à demi obscur qui m’avait échappé, c’était d’en faire remarquer l’absence et de consigner le regret si bien senti et si délicatement touché qu’on vient de lire.

593. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Il semble souvent, en effet, qu’il ne manque chez lui qu’un rayon pour tout éclairer, et l’on dirait volontiers de l’athéisme de Diderot comme il disait de ces deux vues de Vernet, où le moment choisi de la chute du jour avait rembruni et obscurci tous les objets : « À demain, lorsque le soleil sera levé. » Avec tout cela, cependant, on ne fera jamais de Diderot un croyant sans le savoir, ni une manière de déiste selon le sens et l’esprit du mot ; une telle discussion serait ici, d’ailleurs, trop délicate et trop épineuse pour que je l’aborde de près ou de loin. […] Mme d’Épinay, aidée de Grimm, eut bien de la peine à l’apprivoiser chez elle ; elle méritait d’y réussir par la manière vive dont elle le goûtait : « Quatre lignes de cet homme me font plus rêver, disait-elle, et m’occupent plus qu’un ouvrage complet de nos prétendus beaux esprits. » L’impératrice de Russie, la grande Catherine, apprivoisa également le philosophe à force de supériorité et de bonne grâce ; il alla la voir, comme on sait, à Saint-Pétersbourg, et il n’est pas bien sûr qu’il ne l’ait pas traitée quelquefois, en causant, comme un camarade. […] À quel point Diderot est littérateur dans sa manière de juger les tableaux, on s’en aperçoit tout d’abord. […] Ce serait, d’ailleurs, un moyen d’éclairer le tableau d’une manière bien piquante. […] Diderot, dans ses Salons, a trouvé la seule et vraie, manière de parler aux Français des beaux-arts, de les initier à ce sentiment nouveau, par l’esprit, par la conversation, de les faire entrer dans la couleur par les idées.

594. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Doué d’une taille avantageuse et de qualités physiques auxquelles il mit toujours du prix, il sut, dès ses premiers pas, se faire compter dans le monde par sa tenue, son calme, par une manière d’être qui annonçait déjà un caractère arrêté, par beaucoup d’aperçus dans l’esprit, « d’autant plus originaux que la plupart étaient sans solution » ; il les faisait valoir encore par une tournure d’expression précise et neuve. […] Hors de là, dans la partie sentimentale, le roman n’est pas exempt des défauts ni de la manière de l’époque. […] À la manière dont il y jugeait Rousseau, Voltaire, Mably, Raynal, Helvétius et tutti quanti, on sentait un esprit singulièrement dégagé de toute superstition envers les grandes illustrations littéraires : « Heureux, disait-il en concluant, heureux ceux qui n’ont pas fermé les yeux sur les événements pour ne les ouvrir que sur les livres !  […] C’était sa manière, à lui, d’être et de produire. […] Fiévée ajoutait : « Il en sera de même des nations qui s’obstinent à finir dans les bureaux » (les bureaux ministériels du Directoire) ; et nous dirions de même des nations qui s’obstinent aux intrigues parlementaires, qu’il y a pour elles une manière de finir dans les couloirs.

595. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Louis XIV, religieux comme il est, croit qu’il est des lumières qui se proportionnent aux situations, et particulièrement à celle de roi : « Dieu qui vous a fait roi vous donnera les lumières qui vous sont nécessaires, tant que vous aurez de bonnes intentions. » Il croit qu’un souverain voit naturellement les objets qui se présentent, d’une manière plus parfaite que le commun des hommes. […] « Car enfin ce n’est pas une chose facile que de se transformer à toute heure en la manière que l’on doit », et « la face du monde où nous vivons est sujette à des révolutions si différentes, qu’il n’est pas en notre pouvoir d’y garder longtemps les mêmes mesures ». […] Je crois trouver un merveilleux rapport entre cette manière de voir et de faire de Louis XIV, et celle des hommes distingués de son temps. […] Une certaine justesse et une certaine hardiesse d’esprit : n’admirez-vous pas le choix excellent et la rencontre heureuse de ces paroles, et quelle grande et noble manière il porte naturellement dans ces choses simples ? […] On a un échantillon de sa manière de décrire et de peindre, dans sa lettre écrite de Montargis à Mme de Maintenon sur l’arrivée en France de la duchesse de Bourgogne ; mais de récit proprement dit ou de conte, nous n’en avons pas.

596. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Les préceptes que ce Rhéteur philosophe fournit sur le genre déliberatif, le démonstratif & le judiciaire ; la peinture qu’il fait des mœurs de chaque âge, de chaque état, de chaque condition, la maniere dont il explique les moyens d’exciter ou de calmer les passions ; les instructions qu’il donne par rapport aux preuves, aux caractères de la bonne élocution, au choix des mots, à la structure de la période, & à toute l’œconomie du discours oratoire, montre qu’il n’ignoroit rien de ce qui est essentiel à l’éloquence, & qu’il en avoit approfondi toutes les parties. […] On embrasse ici ces deux objets, parce que le Poëte & l’Orateur, (ainsi qu’on l’observe) n’ayant tous deux que le même but, celui de plaire, de toucher, d’instruire, ils ne différent que dans la maniere d’employer les moyens qui leur sont communs : mais la poétique n’est pas longue, parce qu’on se propose moins de former des Poëtes que des lecteurs éclairés. […] Mais si l’on reconnoît des Orateurs, formés par l’étude ou par l’exercice, il faut reconnoître des regles, & dès-lors, la Rhétorique est un art utile, puisqu’elle rend à faciliter l’énonciation, ou l’usage de parler de la maniere la plus propre à persuader, à convaincre, ou à se faire écouter agréablement.” […] C’est beaucoup que la plûpart disent de bonnes choses de quelque maniere qu’elles s’y prennent. […] Mais j’ai encore moins composé mes Réfléxions d’après mes Panégyriques, que mes Panégyriques d’après mes Réfléxions ; & j’ose espérer qu’on ne trouvera rien dans celles-ci qui ait été dicté au Rhéteur par l’intérêt personnel de l’Orateur ; rien qui décéle l’intention de justifier par des principes particuliers une maniere qui me seroit particuliére.

597. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Mais elle existe et à un degré qui étonne, même quand on est le plus accoutumé à ces ressemblances de manière que l’histoire, littéraire constate à chaque pas. […] Comme toutes les femmes qui, dans le domaine de l’esprit, autant que dans la sphère du cœur, ne peuvent être jamais des grandeurs solitaires, elle a choisi son Seigneur par l’admiration, la lecture préférée, et elle a peint comme lui la nature ; et elle a écrit dans sa manière, mais, grâce à Dieu ! […] Je pris mon livre des Évangiles et je le lui donnai. » Certes, le geste est protestant, mais la manière dont elle raconte qu’elle le fit, l’est-elle ? […] Malgré les ressemblances de manière et des incertitudes de touche, les Horizons prochains étaient un vrai chef-d’œuvre tremblé, il est vrai, mais tremblé par une main exquise, et nous dîmes sincèrement, — si on se le rappelle, — et les débilités (presque charmantes) du chef-d’œuvre et la beauté pure de la main. […] À sa manière elle a fait plus sur la question de personnalité divine que beaucoup de philosophes ; que M. 

598. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Si la manière de Giusti ne rappelle pas la manière de Béranger, on ne peut nier que le choix des sujets traités par le poète toscan ne rappelle très souvent à la mémoire du lecteur les œuvres du poète français. […] Les pièces que je viens d’analyser suffisent pour caractériser la manière de Giusti. […] Étrange manière de comprendre la foi catholique ! […] D’ailleurs, la biographie réelle d’Angelica Kauffmann vide le procès d’une manière décisive. […] La manière dont il apprécie les historiens d’Athènes et de Rome ne permet pas de lui imputer une pareille hérésie.

599. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

À propos du Tasse, il prétend avoir fait de grandes recherches et que l’histoire se rapproche beaucoup de la manière dont il a traité son sujet. […] Ils ne sont pas signés, mais, comme vous connaissez ma manière de penser, vous les distinguerez bien des autres. […] Goethe avait loué cette manière d’agir, et l’avait trouvée tout à fait appropriée à mon état d’esprit actuel. […] Mais telle qu’elle est, tout esprit juste saura y voir votre manière de penser. […] Il parle de moi à peu près comme en parlent les personnes de Berlin qui me sont favorables ; du moins je reconnus leur manière de voir et de penser.

600. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

La perfection de la forme, ils l’entendaient d’une autre manière, sans doute, et, vous l’avez vu, très différente de la sienne, mais enfin, quant au principe : que les choses valent surtout de la manière qu’on les dit et par la façon qu’on y donne ; ils eu tombaient d’accord avec lui. […] C’est sa manière d’acquitter sa dette ; et, après tout, elle en vaut bien une autre. […] Nous montrerions de la même manière que c’est aussi ce qui fait l’immoralité de sa morale. […] Je sens d’une manière, et vous sentez d’une autre ; nos façons de sentir sont également légitimes, puisqu’elles sont naturelles. […] Elle renouvelle encore la question d’une autre manière : c’est en se plaçant, pour la traiter, au point de vue comparatif.

601. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

de quelle manière ont ils le droit d’en user lorsqu’ils les ont acquises ? […] Ce trait, sans être saillant encore, se distingue très bien dès le temps de sa première manière. […] Il le fut de différentes manières, mais il le fut toujours. […] Il se déclasse, en quelque manière. […] Voilà des manières de raisonner !

602. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Tous sont moralistes à leur manière. […] Cette révélation a été donnée, mais il importe de faire remarquer de quelle manière elle a opéré. […] À son aurore, le protestantisme ne manifesta pas son principe de la manière dont il le déploie à présent. […] — Avec votre manière de voir, la société doit vous offrir un étrange aspect. […] C’est la seule manière de s’en débarrasser, et, sous le point de vue logique, le parti me paraît fort bon.

603. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Dès qu’il est entré dans le bateau, Montesquieu croit s’apercevoir, à la manière dont ce jeune homme rame, qu’il n’exerce pas ce métier depuis longtemps. […] Ce qui fait que, dans d’autres pays, on revient si difficilement des abus, c’est qu’ils n’y sont pas des effets d’abord sensibles ; le prince n’y est pas averti d’une manière prompte et éclatante comme il l’est à la Chine. […] Il exalte d’une manière absolue le gouvernement, selon lui parfait, de l’Angleterre. […] Dans les pays tempérés vous verrez des peuples inconstants dans leurs manières, dans leurs vices mêmes et dans leurs vertus : le climat n’y a pas une qualité aussi déterminée pour les fixer eux-mêmes. […] Qu’un autre royaume du Nord ait perdu ses lois, on peut s’en fier au climat, il ne les a pas perdues d’une manière irrévocable. » XX Quelle série d’inconséquences et quelle profondeur d’ignorance !

604. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Des récits fictifs, des manières de romans édifiants ont servi de preuve à la logique, peu rigoureuse, des sentiments. […] Alors la réalité transparaît ou se déforme d’une autre manière. […] Et c’est l’office de la religion et de la philosophie, j’entends de notre religion et de la philosophie qui a régné chez nous, car d’autres ont resserré d’une manière différente le lien social. […] On a bien établi, d’une manière confuse, grossière et fallacieuse, une sorte de hiérarchie des devoirs qui ne s’est pas imposée et que chacun interprète selon son inspiration, ou plutôt selon les suggestions qu’il subit. […] Aussi quand il n’agit pas visiblement et directement en nous, l’esprit social y intervient au moins d’une manière imperceptible et détournée.

605. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

A un moment donné, la quantité de force nerveuse qui correspond à l’état de conscience appelé sensation doit nécessairement se dépenser de quelque manière et engendrer quelque part une manifestation équivalente de force. […] Les physiologistes ont entièrement rejeté le principe darwinien de l’antithèse, et les exemples donnés par Darwin peuvent en effet, le plus souvent, s’expliquer d’une autre manière. […] Ces deux directions de l’expression chez les peuples divers, l’une centrifuge et l’autre centripète, confirment ce que nous avons dit des deux directions fondamentales de l’activité humaine, qui se combinent de mille manières dans les sentiments ou les passions : facilité et effort, expansion et contraction. […] Des cris prolongés ont amené inévitablement l’engorgement des vaisseaux sanguins de l’œil, engorgement qui a dû provoquer, d’abord d’une manière consciente et ensuite par le simple effet de l’habitude, la contraction des muscles qui entourent les yeux pour protéger ces organes. […] Mantegazza, lui, fait à sa manière le portrait des diverses nations.

606. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Comme la géologie démontre clairement que chaque contrée a subi de grands changements physiques, nous pouvons supposer que les êtres organisés ont varié à l’état de nature de la même manière qu’ils varient généralement sous les conditions changeantes de la domesticité. […] Combien, au contraire, ce fait s’explique simplement, si l’on admet que ces espèces soient descendues d’un ancêtre rayé, de la même manière que toutes les races de Pigeons domestiques descendent du Pigeon biset bleu rayé de noir. […] Il est inexplicable, d’après la théorie de création, pourquoi un organe développé d’une manière anormale chez une espèce quelconque d’un genre et conséquemment de grande importance pour cette espèce, ainsi qu’il est naturel de l’inférer, est éminemment susceptible de variations. […] Cette susceptibilité organique se manifeste jusque dans les moindres circonstances : ainsi, un même poison affecte souvent de la même manière les plantes et les animaux ; de même, le poison sécrété par le Cynips produit des excroissances monstrueuses sur la Rose sauvage ou le Chêne. […] Il y a de la grandeur dans une telle manière d’envisager la vie et ses diverses puissances, animant à l’origine quelques formes ou une forme unique sous un souffle du Créateur.

607. (1894) Études littéraires : seizième siècle

C’est une manière d’atavisme artificiel. […] Un poète local reste toujours une manière de poète de province. […] On n’était point disqualifié pour être vagabond de cette manière. […] Il pouvait être une manière de petit secrétaire d’ambassade. […] Elle n’indique pas la manière de former des mots nouveaux.

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