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1163. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Mais que des journaux, qui se piquent d’accepter et de vouloir le régime nouveau, combattent ouvertement, par des raisonnements empruntés à l’ordre légal, cette expression publique de pieux souvenirs ; qu’ils viennent nous montrer dans Bories et ses compagnons des hommes pleins de courage sans doute, mais contraires aux lois ; qu’ils nous rappellent avec patelinage que ce fut un jury et non un tribunal révolutionnaire, non une cour prévôtale, qui fit tomber ces têtes ; — comme si ce jury n’avait pas été désigné par le préfet, contrôlé par le président du tribunal et présidé par un agent du pouvoir ; — que, par une induction odieuse, jésuitique et impie, ils ne voient dans Bories et ses compagnons que des ennemis de cette Restauration dont MM. de Polignac, de Peyronnet et autres étaient aussi les ennemis à leur manière, et qu’ils assimilent sans pudeur les victimes de 1822 aux traîtres de 1830, il y a là une révélation profonde sur la manière dont un certain parti juge ce qui s’est passé en juillet, et un précieux éclaircissement sut les arrière-pensées qu’il nourrit. […] — Boulogne, le.. venddr, l’an 3me de la République française, une et indivisible. — Citoyen, en exécution de l’article dix du titre sept de la loi du 21 pluviôse, relative aux secours, je te préviens que tu as été cotisé à une somme de 50 fr pour être employée au payement d’avance du trimestre de venddr au pre nivôse des secours dus aux familles des défenseurs de la République. — Je te requiers en conséquence, sous les peines portées en l’article 13 du titre 7 de la loi ci-dessus, de payer sous huit jours, entre les mains du citoyen Marsan, nommé à cet effet par les commissaires distributeurs, le montant de ta cotisation ; cette somme te sera remboursée aussitôt l’arrivée des fonds destinés à cet objet. — Salut et Fraternité. […] Ainsi, sur un exemplaire (imprimé à Arras) de la Constitution de la République française, du 5 fructidor an III (22 août 1795), et dont la première signature est celle de Marie-Joseph Chénier, président de la Convention nationale, M. de Sainte-Beuve père écrivait ce vers de la tragédie de Mahomet (acte II, scène v) : Je viens après mille ans changer vos lois grossières Et au-dessous cet autre vers de la Pharsale de Lucain (livre II) : Naturamque sequi patri que impendere vitam 28.

1164. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Pour ceux dont le fléau de la Terreur avait ravagé la famille et contristé l’enfance ; sur qui Fructidor avait passé comme un dernier nuage sombre ; qui s’étaient émus aux récits de Sinnamari et avaient salué avec espérance le rétablissement du culte et des lois ; pour ceux qui avaient épousé le Consulat, mais non pas l’Empire, et que cette dictature militaire comprimait comme un poids de plus en plus étouffant, pour ceux-là 1814 fut une joie bien légitime, une délivrance. […] Il avait trente-huit ans en 1814, ayant vécu jusque-là dans l’étude, dans la rêverie, dans les affections et les souffrances individuelles, s’étant élevé naturellement à une moralité générale, douce, pieuse, plaintive, chrétienne, mais n’ayant pas approprié sa pensée à son siècle, n’ayant pas trouvé la loi, la formule de sa philosophie, n’ayant pas deviné l’énigme. […] Vous ne savez où trouver cette créature exceptée de la commune loi ; c’est qu’en effet elle n’existe point, elle n’a jamais existé. […] Ballanche ne portait pas l’horizon le plus lointain de cette émancipation moderne au delà des limites du Christianisme lui-même ; il proclamait la perfection de celui-ci en tant qu’institution spirituelle et divine, et s’il croyait que les sociétés humaines dussent se gouverner désormais selon une loi de liberté, le résultat de cette action immense ne lui semblait pouvoir être autre chose que l’introduction de plus en plus profonde du Christianisme dans la sphère politique et civile.

1165. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

. — Loi qui régit le mélange des couleurs spectrales. — Leur saturation et leur proximité du blanc. — Sensation du noir ou manque de la sensation rétinienne. — Elle fournit un nouvel élément pour composer les diverses sensations totales de couleur. — Divers exemples. — Résumé. — Nous ne pouvons démêler par la conscience les éléments des sensations élémentaires de couleur. — Pourquoi. — Analogie de ces sensations élémentaires et des sensations élémentaires du son. — Preuve qu’il y a des éléments dans les unes comme dans les autres. — Expérience de Wheatstone. — Nombre énorme des éléments successifs qui composent une sensation élémentaire de couleur. — Indices et conjectures sur les derniers de ces éléments. — La conscience n’aperçoit que des totaux. […] Parmi ces couples, on en compte quatre principaux, le rouge et le vert bleuâtre, l’orangé et le bleu cyanéen, le jaune et l’indigo, le jaune verdâtre et le violet ; réunies deux à deux, ces couleurs nous donnent la sensation du blanc, et l’on voit sur le spectre qu’elles sont séparées par une distance moyenne. — Au contraire, prenons sur le spectre les couleurs séparées par la plus grande distance possible, le rouge et le violet ; leur assemblage produit une sensation de couleur distincte, celle du pourpre. — Ces deux remarques donnent la loi qui régit tous les mélanges de couleurs spectrales. — Deux couleurs étant données pour être mélangées, leur distance sur le spectre, comparée à cette distance moyenne qui produit le blanc, en diffère d’une quantité plus ou moins grande. […] Leur assemblage fait une couleur spectrale. — Plusieurs couleurs spectrales réunies forment le blanc, le pourpre, et une infinité de composés d’après une loi fixe ; et l’addition du noir, c’est-à-dire l’affaiblissement de la sensation totale, introduit encore une infinité de nuances dans tous ces produits. — Ces produits eux-mêmes, en se combinant, forment les couleurs ordinaires que nous observons dans le monde environnant. […] À cet égard, des expériences de Weber me paraissent concluantes103. — Trempez dans l’eau froide un gros tronc nerveux, le nerf cubital, par exemple, à l’endroit où il fait saillie entre les deux os du coude ; selon une loi bien connue, vous reportez dans l’avant-bras et dans les deux derniers doigts de la main la sensation que l’action nerveuse située aux environs du coude vous fait éprouver ; or, cette sensation n’est point celle du froid ; vous n’éprouvez que de la douleur.

1166. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Ces modiques domaines, augmentés sans doute de quelques milliers de sesterces accumulés par son père et soustraits à la déprédation des triumvirs, étaient loin de suffire à un jeune homme de vingt-quatre ans qui ne voulait pas alors flatter les vainqueurs ; il restait fidèle à la république autant qu’on pouvait l’être en vivant sous la loi des héritiers de César ; il composait des satires mordantes dans lesquelles les vices et les ridicules des vainqueurs ou de leurs amis étaient livrés à la malignité du peuple romain. […] Un mâle égoïsme fut sa seule loi. […] Huit esclaves, hommes, femmes ou enfants, suffisaient sous ses lois à la culture et à l’exploitation rurale de sa petite ferme. […] Seulement le vieillard de Ferney n’avait pas le droit d’accuser trop Virgile et Horace de leurs complaisances envers Auguste, lui qui avait été le complaisant de Frédéric, le plus spirituel, mais le plus pervers des rois ; lui qui excusait dans Catherine de Russie jusqu’au meurtre prémédité d’un époux pour affranchir ses mœurs dépravées et pour régner à la place d’un fils au nom des prétoriens de la Russie et au mépris des lois de l’empire.

1167. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Aussi la musique a-t-elle, entre les arts, des lois spéciales. […] Ainsi la noble Rome, vénérable, avait disparu, aux yeux du spectateur intelligent, recouverte par le style architectural jésuitique des deux derniers siècles ; ainsi s’était amollie et édulcorée la très glorieuse peinture italienne ; ainsi s’était dressée, sous la même influence, la Poésie Française classique, œuvre de mort intellectuelle, et dont les lois examinées présentent une précise analogie avec les lois de l’Opéra et de la Sonate. […] Toutes les parties de cette musique nous montrent, — lorsque nous avons l’esprit dans l’état de veille, et les sens à jeun, — uniquement, un art d’accordance technique avec les lois de la Forme ; maintenant, se révèle à nous une vie tout faite d’esprit, une sensibilité douce tantôt, tantôt effrayante ; nous éprouvons, fiévreusement, le trouble, puis la paix, et les soupirs, et l’angoisse, et la plainte, et le transport ; tout cela semble avoir été pris au sol le plus profond de notre âme, et lui être rendu.

1168. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Quand dans Bleak House, l’avoué qui figure dans ce récit, regarde l’heure qu’il est à diverses horloges, en se dirigeant vers sa maison où l’attend une femme qui va l’assassiner, Dickens discute sur les avertissements qu’auraient dû donner au promeneur ces cadrans taciturnes et leur fait tenir les discours que, pour son malheur, l’homme de loi ne put entendre. […] Ailleurs Dickens livre à la risée les bureaucrates, ailleurs les magistrats et les hommes de loi, ailleurs encore les avares, et quand il se met ainsi à flageller quelque vice ou quelque institution, il y procède avec l’injustice, la partialité haineuse, l’aversion sans compromis d’un homme qui a les affections et les inimitiés vigoureuses, irréfléchies et franches d’un satiriste. […] Les prescriptions qui n’ont pas été puisées de l’homme même, de tous ses penchants, de la connaissance obscure du bien de son espèce, mais qui proviennent d’un élan passionné et pressant vers le parfait, d’un acte d’aveugle et d’exigeant amour, ont l’inefficacité des lois trop rigoureuses, commandent aux hommes d’excessifs devoirs, quelque retranchement essentiel de leur nature, auquel ils ne se résoudront jamais. […] À peine a-t-il l’oreille du public qu’il se lance, inconsidérément souvent, dans une lutte acharnée contre tout ce qu’il prenait pour des abus, l’institution pourtant utile des workhouses, les mauvaises écoles, la rapacité des gens de loi, l’insolence des bureaucrates, tous les vices et les défauts que nous l’avons vu flageller.

1169. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Ces deux sortes de périodes s’unissent enfin en paragraphes selon certaines lois rhythmiques ; car la prose de Flaubert est belle de la beauté et de la justesse des mots, de leur tenace liaison, du net éclat des images ; mais elle charme encore la voix et l’oreille par l’harmonie qui résulte du savant dosage des temps forts et des faibles. […] Cet art réaliste étayé de faits et d’où l’imagination est presqu’exclue, atteint, par là, selon le vœu d’une de ses lettres « à la majeste de la loi et à la précision de la science ». […] Sur la stupidité et la méchanceté de certains êtres, sur l’inconsciente grossièreté d’autres, sur l’injustice ironique de la destinée, sur l’inutilité de tout effort, la muette et formidable insouciance des lois naturelles, Flaubert ne tarit pas en dissimulés sarcasmes. […] La loi des nombres gouverne donc les sentiments et les images, et ce qui paraît être l’extérieur est tout bonnement le dedans ? 

1170. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Jamais la conscience du genre humain n’écrivit avec plus d’autorité et d’évidence ces lois inspirées de Dieu, qui sont le code inné de l’être créé pour vivre de justice, de dévouement et de vertu en société. […] Cette poésie morale de l’Inde », ajoute le critique, « aurait pour nous quelque chose d’analogue aux Pensées de Pascal : une grande expérience de la vie se manifeste dans ces résumés de la sagesse de l’Inde ; cette sagesse a quelquefois des sourires de vieillard sur les lèvres ; elle n’a jamais d’ironie. » XXI Les lois étaient écrites ainsi en langage rythmé, pour favoriser l’exercice de la mémoire. Des dialogues explicatifs du sens de ces lois et des dogmes de la religion sont un des plus admirables monuments de cette littérature. […] Le philosophe, devenu poète pour s’attirer l’imagination du peuple, chante la Loi de la délivrance de l’âme, ou de son émancipation des liens de la matière.

1171. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Nous en avions qui se disaient chrétiennes et dans lesquelles les Jacobins étaient représentés avec un sérieux qui aurait été bien comique s’il n’avait pas été si ennuyeux, comme les successeurs des douze Apôtres et les réalisateurs politiques de l’Évangile et de sa loi de fraternité. […] Il faut confesser l’un ou l’autre, ou reculer dans le passé, comme l’Empire l’a fait franchement, ou suivre la voie révolutionnaire contre la théologie arbitraire de la grâce et du privilège, et mettre en tête de la loi le nom du Dieu nouveau : Justice. » La Révolution l’y mit en effet, mais en lui donnant une sanction permanente et active : le couperet de Guillotin. […] Égalitaire battu par les lois même de sa pensée, il ne peut pas les trouver égales devant la loi de son esprit.

1172. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Il y a, selon lui, deux espèces d’époques, celles où la philosophie est en honneur et où l’on pense, celles où la philosophie est découragée et où l’on ne pense pas : Là où il n’y a pas de philosophie, a-t-il dit en homme qui sait les lois et presque les dogmes de l’histoire, il n’y a pas de civilisation ; là où il n’y a plus de philosophie, la civilisation dépérit et l’humanité s’affaisse. […] La recherche du vrai dans toutes les théories, le goût du beau sous toutes les formes, la jouissance du droit conquis par la raison publique et consacré par la loi commune, l’application rapide de toutes les découvertes utiles et l’échange des productions multipliées de l’univers, devinrent en philosophie, en littérature, en politique, en industrie, le travail, l’ambition, le partage de l’heureuse génération à laquelle appartenait M. 

1173. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Aux époques où l’on n’avait pas étudié la nature physique et où les causes secondes et les lois de l’univers étaient peu connues, la toute-puissance suprême semblait plus rapprochée de chacun en ce qu’on la voyait comme directement dans chaque événement inattendu, dans chaque phénomène. […] Depuis que la nature physique est plus connue et que la science en observe et en expose successivement les lois, il serait à craindre que la pensée de Dieu, même auprès de ceux qui ne cessent de l’admettre et de s’incliner devant elle, ne reculât en quelque sorte aux confins de l’univers et ne s’éloignât trop de l’homme, jusqu’à ne plus être à son usage et à sa portée ; il serait à craindre que ce Dieu, tel qu’on a reproché à Bolingbroke de le vouloir établir, Dieu plus puissant que bon, plus souverainement imposant que présent et que juste, Dieu qu’on admet en un mot, mais qu’on n’adore point et qu’on ne prie point, il serait à craindre que ce Dieu-là ne prît place, et seulement pour la forme, dans les esprits, si la pensée chrétienne ne veillait tout à côté, si le Dieu du Pater ne cessait d’être présent matin et soir à chaque cœur, et si la prière ne maintenait cette communication invisible et continuelle de notre esprit borné avec l’Esprit qui régit tout.

1174. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

On n’a besoin que d’une certaine activité nécessaire pour une prompte expédition, que d’embrasser des détails familiers par l’habitude, d’avoir présent à l’esprit le texte de quelques règlements, des formes prescrites, des usages qui ont force de loi. […] Il n’y a plus, à proprement parler, de lats, de ces fats transcendants, qui primaient dans la société, donnaient des lois sur la parure et les modes, qui subjuguaient les femmes et en imposaient aux hommes par l’audace et les succès, et dont la jeunesse s’empressait de copier les manières et d’imiter le ton.

1175. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Il devrait en être de même de l’enseignement ; et cependant, d’un bout de l’Europe à l’autre, notre enfance est gouvernée par de vieux usages, par des lois surannées qui ont été faites pour d’autres hommes et pour un autre siècle. […] Dans les académies savantes, ce sont, au contraire, des vérités nouvelles qu’on cherche à découvrir, et celui qui invente ne se plie pas sans peine à des lois que la convention a dictées.

1176. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

On y sent se dessiner les formes d’esprit de l’auteur lui-même, confiance, espérance, certitude ; on y saisit ses origines intellectuelles et morales, son tour et son degré de libéralisme, ses limites distinctes et précises : « Je suis de ceux, dit-il, que l’élan de 1789 a élevés et qui ne consentiront point à descendre… Né bourgeois et protestant, je suis profondément dévoué à la liberté de conscience, à l’égalité devant la loi, à toutes les grandes conquêtes de notre ordre social. […] J’ai aimé et j’aime surtout la politique juste et la liberté sous la loi… On m’a quelquefois reproché de ne pas m’associer assez vivement aux impressions publiques.

1177. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Méchancetés, indiscrétions, mensonges, faux rapports, tracasseries, toutes les bêtises de la malice humaine rassemblées dans un cercle étroit et redoublées par l’étiquette, elle éprouve tout cela dans ses relations avec sa mère, avec l’Impératrice, avec son fiancé, avec les femmes qu’on lui donne pour argus ; elle est obligée de garder des mesures avec chacun, et, malgré sa grande jeunesse et son goût vif d’amusement et de plaisir, elle s’en fait une loi : comme chez tous les grands ambitieux (Sixte-Quint, Richelieu), sa passion dominante est assez forte pour se plier à tout et s’imposer d’abord la souplesse ; son orgueil fait le mort et rampe pour mieux s’élever ; seulement, femme et charmante femme qu’elle est, elle a ses moyens à elle, et elle y met de la grâce : « Au reste, je traitais le mieux que je pouvais tout le monde, et me faisais une étude de gagner l’amitié, ou du moins de diminuer l’inimitié de ceux que je pouvais seulement soupçonner d’être mal disposés en ma faveur. […] Baronius traduit en russe, et l’Esprit des Lois, et Tacite.

1178. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Ce livre si divertissant de Don Quichotte, du moment qu’on entre dans les vues de l’auteur et dans l’esprit qui l’animait pendant sa composition, change tout à fait d’aspect, selon Sismondi, et ne lui paraît plus fournir qu’un texte à des réflexions sérieuses : « L’invention fondamentale de Don Quichotte, dit-il (et cette explication depuis a fait loi), c’est le contraste éternel entre l’esprit poétique et celui de la prose. […] Revenant sur le parallèle avec Berlichingen, ce représentant de l’époque féodale, il marque les rapports et les différences ; Don Quichotte, selon lui, est bien autre chose ; « il ne doit pas seulement représenter une époque, c’est un caractère, c’est le type de l’idéal à toutes les époques : « Dans quelque siècle que vous le placiez, enseigne le livre, l’homme qui asservira sa conduite aux lois d’un idéal absolu ne pourra que contraster, que grimacer avec la réalité, et ce contraste ne manquera pas d’engendrer le comique… « Et qu’était-ce que Cervantes lui-même, à le bien prendre, se demande le critique, qu’était-il, sinon un Don Quichotte ?

1179. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Que cette liberté qui règne par les lois Soit la religion des peuples et des rois. […] Quand les choses ont repris leur assiette et leur organisation, quand la société rentre dans les formes parlementaires, il est, certes, un peu tard pour la comédie politique ; et si, en s’y engageant, on se fait de plus une loi sévère de ne se séparer à aucun moment de l’équité, de la décence, envers ceux mêmes qu’on attaque et qu’on raille, si on apporte, en composant, toutes sortes de généreuses considérations de bon citoyen et d’honnête homme, il est certain qu’on ajoute aux difficultés déjà grandes, qu’on multiplie autour de soi les entraves.

1180. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Si l’on veut examiner la cause, du grand ascendant que dans Athènes, qu’à Rome, des génies supérieurs ont obtenu de l’empire presque aveugle, que dans les temps anciens ils ont exercé sur la multitude, on verra que l’opinion n’a jamais été fixée par l’opinion même, que c’est à quelques pouvoirs différents d’elle, à l’appui de quelque superstition que sa constance a été due : tantôt ce sont des rois, qui jusqu’à la fin de leur vie ont conservé la gloire qu’ils avaient obtenue ; mais les peuples croyaient alors que la royauté avait une origine céleste : tantôt on voit Numa inventer une fable pour faire accepter des lois que la sagesse lui dictait, se fiant plus à la crédulité qu’à l’évidence. […] Toutes les passions, sans doute, ont des caractères communs, mais aucune ne laisse après elle autant de douleurs que les revers de la gloire ; il n’y a rien d’absolu pour l’homme dans la nature, il ne juge que parce qu’il compare ; la douleur physique même est soumise à cette loi : ce qu’il y a de plus violent dans le plaisir ou dans la douleur est donc causé par le contraste ; et quelle opposition plus terrible que la possession ou la perte de la gloire !

1181. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

. — La loi générale s’applique au cas dont il s’agit. — Différence absolue entre le procédé pair lequel nous acquérons l’idée d’une sensation et le procédé par lequel nous acquérons l’idée des centres nerveux et de leurs mouvements moléculaires. — Les deux idées doivent, être irréductibles entre elles. — Il est possible que leurs deux objets soient un seul et même objet. […] Il est construit avec les mêmes substances chimiques, soumis aux mêmes forces physiques, assujetti aux mêmes lois mécaniques, et toutes les indications de la science concourent à le représenter comme autre en degré, mais le même en nature160 ; ce que nous appelons la vie est une action chimique plus délicate d’éléments chimiques plus composés. — Ainsi, en poursuivant l’analyse, depuis les plus hautes opérations des lobes cérébraux jusqu’aux phénomènes les plus élémentaires de la physique, on ne trouve que des mouvements mécaniques d’atomes, transmissibles sans perte d’un système à l’autre, et d’autant plus compliqués que les systèmes sont plus complexes.

1182. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Mais il a de la vigueur, un enchaînement solide et efficace de raisons, et je ne sais pourquoi, quand on a ses discours du temps de la Ligue, notamment son Exhortation à la paix, ou sa Suasion de l’arrêt rendu en Parlement pour la manutention de la loi salique, on va chercher dans la Harangue de d’Aubray un modèle de l’éloquence politique du temps. […] Hotman, Du Plessis-Mornay, mirent en avant les théories nouvelles : la royauté élective et la souveraineté des États, les droits de la conscience contre la loi, la légitimité de l’insurrection, et même du régicide224.

1183. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

L’œuvre de Murger a pris en elle force de loi. […] Il en fera uniquement l’homme qui passe, indifférent aux lieux, aux langages et aux foules, qui passe porteur d’une âme plus pure, d’un caractère plus beau, d’une éloquence et d’une charité plus altières, l’homme qui détient le secret des lois et des méthodes psychologiques, les raisons du cœur humain, les analogies et les idées générales de la société, l’homme qui, parmi les actifs du domaine transitoire, médite les vérités permanentes et les définit à travers les fluctuations de leurs formes.

1184. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

La mascarade, comme moyen classique du rire, est fondée sur cette loi : un corset, une crinoline, des paniers Watteau, un chapeau à plumes, un éventail, de la poudre et du fard, voici divers objets qui rentrent tous dans le concept de la parure ou de l’habillement féminins : qu’avec ces objets on costume et que l’on pare un homme mûr et aussitôt sa voix, ses gestes, sa démarche, tout ce qui, sous le déguisement, trahit sa vraie nature, va, par le contraste susciter le rire de tous. […] Bien qu’observés déjà, et souvent décrits, ils recevront quelque clarté du fait d’être rattachés à la loi dont on expose ici le caractère général.

1185. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Il connaît les crimes tolérés par la loi et enjoints par la misère. […] Effrayé de la peur de la vie et souffrant misérablement de son horreur, pénétrant l’homme dans ses dessous farouches et douloureux, pris du triste amour de sa chair souffreteuse, ne voyant en toute transgression que le commencement du châtiment, inquiet, éperdu et aimant, obstinément attaché à débattre et à retourner le problème du mal, du péché et de la peine, interrogeant la science et violenté, dans son âme obscure et slave, par la hautaine impiété de la philosophie évolutionniste, par ces doctrines qui, extraites et résumées du cours des astres, du choc des atomes, du sourd essor de la substance organique, puisent dans leur origine matérielle une inhumaine dureté et font au ciel qu’elles mesurent et dans l’âme qu’elles analysent un épouvantable et clair vide, frémissant du tranquille déni qu’elles opposent au problème final de toute méditation irréaliste — le but et le sens de la vie, — et finalement repoussé par les sèches raisons dont elles interdisent la pitié, l’aide aux faibles, aux malades, aux méchants, par la nécessité de ne point intervenir dans la lutte de tous contre fous, qui est à la fois la loi du monde vivant et la source même de ce qui nous pousse à la violer, — Dostoïewski s’est violemment rejeté en arrière ; sortant de toute église comme de tout enseignement, maudissant toute intelligence, se contraignant à croire ce qui console non sans trembler de la peur tacite d’être déçu, il a rivé ses yeux sur l’Évangile, il s’est prosterné pleurant sur la face pleurante d’un Christ populaire, en une agonie de pitié, de douleur, d’angoisse, d’effroi, de fou désespoir et de tremblante supplication aussi tragique en sa clameur que les affres contenues de Pascal.

1186. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Dans le sujet pensant, ce que Kant a surtout démêlé, ce sont les lois de la pensée. […] Pour Kant, le sujet pensant n’est encore qu’une résultante dont la notion se forme par l’application des lois de la pensée à la multitude des phénomènes intérieurs.

1187. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

Mais voici que, descendant au détail du réel, on continue à le composer de la même manière et selon les mêmes lois que la représentation, ce qui équivaut à ne plus les distinguer l’un de l’autre. […] On peut l’exprimer à la moderne, la traduire dans le langage de la science actuelle, y rattacher un nombre toujours croissant de faits observés (où l’on a été conduit par elle) et lui attribuer alors des origines expérimentales : la partie effectivement mesurable du réel n’en reste pas moins limitée, et la loi, envisagée comme absolue, conserve le caractère d’une hypothèse métaphysique, qu’elle avait déjà au temps de Descartes.

1188. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Les superficiels déclarent indépendants de toute loi les phénomènes dont ils ignorent la loi et en attribuent la surprenante apparition au hasard ou au caprice. […] Sa sensibilité s’émeut devant le malheur des hommes ou des bêtes, suivant les mêmes lois que devant les beautés naturelles. […] Dans les précédents recueils, l’auteur se croit trop obligée par la loi du genre et elle s’acharne à la chasse des idées drôles. […] la fidélité de leur souvenir aux malheureux que la loi appelle coupables et leur façon fraîche de sentir que la vie est autre chose que la société ! […] C’est une loi inéluctable qu’un peuple opprimé considère comme idéale la situation du peuple oppresseur, réclame les biens vrais ou faux dont le tyran paraît jouir.

1189. (1874) Premiers lundis. Tome I « Œuvres de Rabaut-Saint-Étienne. précédées d’une notice sur sa vie, par M. Collin de Plancy. »

Mais, âme douce en même temps que forte, il ne prêcha que l’obéissance aux lois, la soumission au monarque et le pardon des injures.

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