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120. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

On n’a pas assez dit lorsque, parmi ces victimes du fanatisme du Midi, on a énuméré dans un récit d’histoire quelques noms de généraux connus : mais combien d’autres de toute classe, immolés et restés obscurs, et dont il faut aller chercher, réveiller le souvenir aux lieux mêmes où ils ont péri et où l’écho répondra si on l’interroge ! […] A quelques lieues de Montpellier, dans la montagne et dans les bois, à un lieu qu’on nomme la Taillade de Gignac, s’étaient livrés de véritables combats entre les insurgés royalistes et les troupes ; les insurgés interceptaient au passage les courriers, les caisses publiques, et ils assassinaient le plus de soldats qu’ils pouvaient, de ceux qui rentraient dans leurs foyers après le licenciement. Sur quantité de points de ces contrées, les mêmes événements se reproduisirent ; il était peu d’endroits où l’on ne pût citer, il y a quelques années encore, quelque individu noté, quelque Trestaillons du lieu, qui avait figuré comme assassin dans ces temps funestes et qui, avec sa tache de sang au front, vivait et vieillissait impuni. […] Les haines religieuses, en bien des lieux, s’associaient et s’accouplaient aux haines politiques pour les mieux empoisonner encore, et ce vieux levain de cupidité, d’avarice et d’envie qui fait le fond de la nature humaine autant et plus que la bonté (quoi qu’en ait dit Bossuet dans une phrase oratoire célèbre, empruntée au déclamateur Tertullien), ce mauvais fond sauvage qu’il n’est besoin que d’éveiller pour le remettre en goût et en appétit, faisait le reste. […] On voyait en première ligne, en tête de ces partisans des rigueurs salutaires, un Bonald, à l’air respectable et doux, métaphysicien inflexible et qui prenait volontiers son point d’appui, non pas dans l’ancienne monarchie trop voisine encore à son gré, mais par-delà jusque dans la politique sacrée et dans la législation de Moïse : oracle du parti, tout ce qu’il proférait était chose sacro-sainte, et quiconque l’avait une fois contredit était rejeté à l’instant, répudié à jamais par les purs ; — un La Bourdonnaie, l’homme d’action et d’exécution, caractère absolu, dominateur, un peu le rival de Bonald en influence, mais non moins dur, et qui avec du talent, un tour d’indépendance, avec le goût et jusqu’à un certain point la pratique des principes parlementaires, a eu le malheur d’attacher à son nom l’inséparable souvenir de mesures acerbes et de classifications cruelles ; — un Salaberry, non moins ardent, et plus encore, s’il se pouvait ; pamphlétaire de plume comme de parole, d’un blanc écarlate ; — un Duplessis-Grenedan, celui même qui se faisait le champion de la potence et de la pendaison, atroce de langage dans ses motions de député, équitable ailleurs, par une de ces contradictions qui ne sont pas rares, et même assez éclairé, dit-on, comme magistrat sur son siège de justice ; — M. de Bouville, qui eut cela de particulier, entre tous, de se montrer le plus inconsolable de l’évasion de M. de Lavalette ; qui alla de sa personne en vérifier toutes les circonstances sur les lieux mêmes, et qui, au retour, dans sa fièvre de soupçon, cherchait de l’œil des complices en face de lui jusque sur le banc des ministres ; — et pour changer de gamme, tout à côté des précédents, cet onctueux et larmoyant Marcellus, toujours en deuil du trône et de l’autel, d’un ridicule ineffable, dont quelque chose a rejailli jusqu’à  la fin sur son estimable fils ; — et un Piet, avocat pitoyable, qui, proposant anodinement la peine de mort pour remplacer celle de la déportation, disait, dans sa naïveté, qu’entre les deux la différence, après tout, se réduisait à bien peu de chose ; ce qui mettait l’Assemblée en belle humeur et n’empêchait pas le triste sire de devenir bientôt, par son salon commode, le centre et l’hôte avoué de tous les bien pensants ; — et un Laborie que j’ai bien connu, toujours en quête, en chuchotage, en petits billets illisibles, courtier de tout le monde, trottant de Talleyrand ou de Beugnot à Daunou, mêlé et tripotant dans les journaux, pas méchant, serviable même, mais trop l’agent d’un parti pour ne pas être inquiétant et parfois nuisible.

121. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

On dirait que le tempérament littéraire de l’époque sommeille, attend, se refait sourdement, qu’il passe par l’un de ces lents efforts de recomposition intérieure dans lequel il y a lieu d’agir, et plus lieu assurément qu’à aucun des instants qui ont couru durant ces dix dernières années. […] Cet accord s’essaye et subsiste plus ou moins déjà ; c’est la pensée et le vœu de cette Revue même, et c’est parce que la chose est en train de se faire qu’elle devient possible, et qu’il y a lieu d’insister, d’achever et de s’exhorter. — Un coup d’œil sur l’ensemble de la littérature et sur les phases de ses principaux personnages depuis dix ans éclairera encore mieux notre idée et la modération de notre désir. […] Là donc encore il y a lieu de s’appuyer à des frontières connues et d’espérer même des alliés dans les maîtres. […] c’est le radeau après le navire), la critique, par épuration graduelle et contradiction commune des erreurs, tend à se reformer et à fournir un lieu naturel de rendez-vous.

122. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Une conversation brusque, franche et à saillies ; nulle préoccupation d’art, nul quant-à-soi ; une bouche de satyre aimant encore mieux rire que mordre ; de la rondeur, du bon sens ; une malice exquise, par instants une amère éloquence ; des récits enfumés de cuisine, de taverne et de mauvais lieux ; aux mains, en guise de lyre, quelque instrument bouffon, mais non criard ; en un mot, du laid et du grotesque à foison, c’est ainsi qu’on peut se figurer en gros Mathurin Regnier. […] Il ne lui arrive jamais, aux heures de rêverie, de voir, dans les étoiles, des fleurs divines qui jonchent les parvis du saint lieu, des âmes heureuses qui respirent un air plus pur, et qui parlent, durant les nuits, un mystérieux langage aux âmes humaines. […] Toute femme m’agrée… Ennemi déclaré de ce qu’il appelle l’honneur, c’est-à-dire de la délicatesse, préférant comme d’Aubigné l’estre au parestre, il se contente d’un amour facile et de peu de défense : Aymer en trop haut lieu une dame hautaine, C’est aymer en souci le travail et la peine, C’est nourrir son amour de respect et de soin. […] Et que, sans nul respect des hommes ou du lieu, Il faut que j’obéisse aux fureurs de ce dieu. […] Tous deux, complets en eux-mêmes et en leur lieu, nous laissent aujourd’hui quelque chose à désirer.

123. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Et bientôt, au sortir de ces songes flottants, Je me sentis pleurer, et j’admirai longtemps Que de ces hommes morts, de ces choses vieillies, De ces traditions par hasard recueillies, Moi, si jeune et d’hier, inconnu des aïeux, Qui n’ai vu qu’en récits les images des lieux, Je susse ces détails, seul peut-être sur terre, Que j’en gardasse un culte en mon cœur solitaire, Et qu’à propos de rien, un jour d’été, si loin Des lieux et des objets, ainsi j’en prisse soin. […] Là désormais, sans trouble, au port après l’orage, Rafraîchissant vos jours aux fraîcheurs de l’ombrage, Vous vous plaisez aux lieux d’où vous étiez sorti. […] « “Le lieu de la résidence de Virgile est bas et humide, et le climat en est froid à certaines saisons de l’année. […] « “Tout l’aspect de la nature change : au lieu des vignes, on ne voit que des prés, des prés virgiliens, herbosa prata. […] Comme eux, accoutumé aux armes dès sa jeunesse, il trouvait enfin le bonheur dans une retraite sauvage, que ses travaux avaient transformée en un lieu de délices.”

124. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre V. Ruines des monuments chrétiens. »

Assis sur un autel brisé, dans les Orcades, le voyageur s’étonne de la tristesse de ces lieux ; un océan sauvage, des syrtes embrumées, des vallées où s’élève la pierre d’un tombeau, des torrents qui coulent à travers la bruyère, quelques pins rougeâtres jetés sur la nudité d’un morne flanqué de couches de neige, c’est tout ce qui s’offre aux regards. […] S’il est parmi les anges, comme parmi les hommes, des campagnes habitées et des lieux déserts, de même que vous ensevelîtes vos vertus dans les solitudes de la terre, vous aurez sans doute choisi les solitudes célestes pour y cacher votre bonheur !

125. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 19, de la galanterie qui est dans nos poëmes » pp. 143-146

Monsieur Perrault avoit reproché aux anciens qu’ils ne connoissoient point ce que nous appellons galanterie, et qu’on n’en voïoit aucune fleur dans leurs poëtes, au lieu que les écrits des poëtes françois, soit en vers, soit en prose, ces derniers écrits sont les romans, se trouvent parsemez de ces gentillesses. […] Mais un moment après Renaud devient un amant précieux et un amoureux affecté lorsqu’il répond à sa maîtresse qui lui dit : voyez en quels lieux je vous laisse, par ce fade compliment, puis-je rien voir que vos appas ?

126. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Je me rappelle souvent ce jour, où, sortant du premier sommeil, je me trouvai couchée parmi les fleurs, sous l’ombrage ; ne sachant où j’étais, qui j’étais, quand et comment j’avais été amenée en ces lieux. […] Je m’avançai vers ce lieu, avec une pensée timide ; je m’assis sur la rive verdoyante, pour regarder dans le lac transparent, qui semblait un autre ciel. […] C’est ici le lieu de remarquer que, dans la peinture des voluptés, la plupart des poètes antiques ont à la fois une nudité et une chasteté qui étonnent.

127. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

Il en fit de touchantes descriptions ; la solitude des lieux donnent le champ libre à son imagination romanesque. […] Dans ce lieu, depuis un an, demeurait une femme vive, bonne et sensible ; elle s’appelait Marguerite. […] Madame de la Tour, suivie de sa négresse, trouva dans ce lieu Marguerite qui allaitait son enfant. […] Ces descriptions sont les lieux mêmes. […] Paul, voyant que ce lieu était aimé de Virginie y apporta de la forêt voisine des nids de toute sorte d’oiseaux.

128. (1874) Premiers lundis. Tome II « Sextus. Par Madame H. Allart. »

Familière dès longtemps avec ces types qu’elle perfectionne en secret et qu’elle aime, la femme distinguée qui a écrit ce livre n’a pas songé qu’il y avait lieu à une composition, et, dans un grand nombre de cas, elle a raconté ce qui les touche de plus important et de plus intime, en peu de mots, avec une sorte de brève négligence, comme on fait à la fin d’une lettre, lorsque le jour baisse ou que le papier manque. […] Et puis, dans toute espèce de roman, même le plus élevé, le plus sérieux, le plus digne, n’y a-t-il pas lieu, par instante aussi rares qu’on voudra, mais quelquefois enfin, à s’asseoir, à s’oublier, à s’épanouir ?

129. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

De jour en jour, la beauté de Médor fleurit ; de jour en jour, la malheureuse sent la sienne se flétrir, comme une neige tombée après la saison, que les rayons du soleil fondent dans un lieu sauvage. […] Roland, en courant une de ses aventures, arrive au vallon naguère habité par Angélique et Médor, sans se douter que ce beau lieu a été le théâtre de son infortune amoureuse. […] Zerbin et Isabelle, deux amants dont nous avons déjà parlé dans le commencement des aventures de Roger, arrivent ensemble dans le beau lieu où Roland a perdu le sens et jeté ses armes. […] je laissais dans ce beau lieu une partie de la mienne, mais je ne désirais pas qu’on me la rendît jamais. […] Puisse cette séparation ressembler à celles de l’Arioste, où, après mille traverses héroïques, un enchanteur, un ermite ou un bon génie, sous la figure d’une Léna ou d’une Thérésina, ramène le héros au lieu et aux félicités qu’il regrette !

130. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Au lieu que la prose et surtout l’éloquence sont moins exigeantes, elles ne fixent aucune limite à la verbosité qui devient même une qualité dans cette dernière branche de l’art. […] Si exaltés qu’ils soient ils ne débordent pas, au lieu que le méridional déborde toujours. […] Je n’ai pas le loisir de vérifier cette loi générale ; j’ai tout lieu de croire qu’il ne l’a pas énoncée sans preuves. […] Il est bien évident que le lieu de naissance d’un poète ou plus généralement d’un écrivain ne signifie pas grand’chose. […] L’hérédité ne se détermine pas uniquement par le lieu de naissance.

131. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Chez les anciens, la pièce commençait dès le prologue : chez les Anglais, elle ne commence que quand le prologue est fini ; c’est pour cela qu’au théâtre anglais, la toile ne se lève qu’après le prologue, au lieu qu’au théâtre des anciens ; elle devait se lever auparavant. […] Ce mot est formé d’un mot grec, qui veut dire tenir le premier lieu : c’était, en effet, par là que s’ouvrait le drame. […] Il est à souhaiter que l’action commence dans un jour illustre ou désiré, remarquable par quelque événement qui tienne lieu d’époque ou qui puisse le devenir. […] La troisième observation touchant les monologues, est de les faire en telle sorte qu’ils aient pu vraisemblablement avoir lieu, sans que la considération de la personne, du lieu, du temps et des autres circonstances, ait dû l’empêcher. […] En ces rencontres donc, il faut trouver des couleurs pour obliger un homme à faire éclater tout haut sa passion, ou bien lui donner un confident avec lequel il puisse parler comme à l’oreille ; en tout cas, le mettre en lieu commode pour s’entretenir seul et rêver à son aise, ou enfin lui donner un temps propre pour se plaindre à loisir de sa mauvaise fortune.

132. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Un jour qu’il se promenait avec son ami l’évêque de Comminges (Gilbert de Choiseul), dans le diocèse de ce dernier et à un endroit fort solitaire, d’où l’on découvrait d’assez près les hautes montagnes des Pyrénées, l’évêque, remarquant l’attention avec laquelle Rancé considérait ces lieux sauvages, y soupçonna du mystère : « Apparemment, monsieur, lui dit-il, vous cherchez quelque lieu propre à vous faire un ermitage. » Rancé se prit à rougir et n’en disconvint pas. — « Si cela est, repartit l’évêque, vous ne pouvez mieux faire que de vous adresser à moi ; je connois ces montagnes, j’y ai passé souvent en faisant mes visites : j’y sais des endroits si affreux et si éloignés de tout commerce, que, quelque difficile que vous puissiez être, vous aurez lieu d’en être content. » Rancé, avec sa vivacité naturelle, prenant cette parole à la lettre, pressait déjà M. de Comminges de les lui montrer : « Je m’en garderai bien, lui répondit le prélat en souriant, ces endroits sont si tentants, que, si vous y étiez une fois, il n’y auroit plus moyen de vous en arracher. »  C’était en vain que cet évêque aimable et d’autres amis conseillaient à Rancé, jusque dans son repentir, « cette juste médiocrité qui fut toujours le caractère de la véritable vertu. » Cette médiocrité était précisément ce qu’il y avait de plus contraire à son humeur et de plus insupportable à ses pensées. […] Déjà, dans un séjour qu’il y avait fait en 1662, il avait dû purger les lieux de la présence des anciens religieux, au nombre de six, qui n’en avaient plus que le nom et qui y vivaient en toutes sortes de désordres ; menacé par eux et au risque d’être poignardé ou jeté dans les étangs, il avait tenu bon, refusant même l’assistance que lui offrait M. de Saint-Louis, un colonel de cavalerie du voisinage, digne militaire dont Saint-Simon nous a transmis les traits. […] Ce n’est pas ici le lieu d’exposer à fond et de démêler ces affaires auxquelles il faudrait apporter un grand détail pour les rendre intéressantes. […] À mesure qu’on avançait dans le siècle, l’abbaye de la Trappe gagnait en autorité aux yeux du monde ; elle héritait de l’affluence et du concours qui ne se partageait plus entre d’autres saints lieux désormais suspects et sans accès. […] Se plaindra-t-on encore de la digression et de l’oubli du lieu ?

133. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Qu’il y ait lieu maintenant et en tout temps à un tel rôle, nul doute. […] En lisant et relisant cet article, je le conçois si peu en lui-même, que je cherche de tous côtés autour de nous quel pauvre diable de poëte de vingt-huit ans est mort et a mérité, par sa précocité de production et à la fois par sa maigreur d’esprit, toutes les sentences écrasantes qu’endosse, en son lieu et place, le malheureux Perse. […] Même quand il loue en lieu excellent et de bon cœur, il ne sait pas toujours les mesures : en dissertant tout au long de la santé chétive, des afflictions corporelles ou de la pauvreté des auteurs qu’il admire, il a, en trois ou quatre rencontres, manqué notablement de tact, ce qui est une manière encore de n’avoir pas assez de goût. […] Certes, M. le duc d’Orléans en son lieu, avec tout ce qu’on en voudra écrire ou penser de plus flatteur ; M. […] Sa position est allée s’étendant de jour en jour : député, directeur au ministère de l’Instruction publique, maître de conférences à l’École normale et, en dernier lieu, professeur au Collége de France, il a pu suffire à tant d’emplois divers.

134. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Le lieu relève de la masse des citoyens, il n’est de fait, à aucun. […] La veille il voulut lire, en mon lieu, à cause de ma terreur devant la clause locale, sa traduction admirable d’un jet conduite en plusieurs heures de nuit. […] Au lieu qu’au début de ce siècle, l’ouïe puissante romantique combina l’élément jumeau en ses ondoyants alexandrins, ceux à coupe ponctuée et enjambements ; la fusion se défait vers l’intégrité. […] Très avant, au moins, quant à un point, je le formule : — À savoir s’il y a lieu d’écrire. […] La Cité, si je ne m’abuse en mon sens de citoyen, reconstruit un lieu abstrait, supérieur, nulle part situé, ici séjour pour l’homme. — Simple épure d’une grandiose aquarelle, ceci ne se lave, marginalement, en renvoi ou bas de page.

135. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

De tous les points du monde, on viendrait à Paris pour y briguer l’honneur d’être enterré à l’Elysée et d’y conquérir « les droits d’une bourgeoisie illustre et immortelle. » Cet Élysée serait en même temps un lieu d’asile. […] Au-delà de son art, je ne vois plus que la froide recherche de l’effet et le procédé de l’état de lieux, si fatigant même quand c’est un écrivain qui le dresse. […] Il lui suffit de quelques pages pour peindre le lieu de la scène, ce petit coin de terre dont le lecteur se souvient comme du pays natal, ces deux familles qui l’habitent, les douces bêtes qui complètent leur domestique. […] Ainsi, dans cette pastorale, tout arrive en son lieu, à son moment ; tout sert à l’impression dernière de pureté, d’innocence et de poésie, la plus douce et la plus douloureuse qu’il ait été donné à un livre de produire. […] Ce petit livre dut cette faveur à ses éblouissantes nouveautés ; il le dut aussi à ce que les premières admirations se donnent, au lieu que les secondes se vendent.

136. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Au lieu d’introduire, en l’interprétant, le renseignement nouveau, de le combiner avec les anciens et de rectifier les erreurs, s’il y a lieu, de réparer ou de combler les lacunes, on aime mieux jeter à bas et reprendre à neuf dès la base la statue, le monument. […] Y avait-il lieu à une révolution dans l’idée qu’on doit se former dorénavant de ces illustres personnes, à un bouleversement d’opinion du tout au tout ? […] Si le major général est réduit à sa charge, et que l’estime, l’amitié, l’amour de la patrie et de la gloire ne l’unissent point avec le général, la machine ne se meut que lourdement, et la présence d’une seule personne étant impossible en tous lieux dans le même instant, on ne peut remédier aux accidents parce qu’on ignore l’intention du général. […] Arrivés en ce lieu, ils y trouvèrent Catinat, comme c’était convenu avec celui-ci. […] c’est ce que chacun bientôt se répéta et qui retentit en tous lieux et tout d’un cri comme dans un écho ; c’est ce que Bonfflers et Catinat lui-même, dans leurs lettres à Louvois, ne purent s’empêcher de relever avec admiration comme pour un coup de théâtre où ils avaient joué leur rôle sans en sentir d’abord tout l’étonnant et toute la grandeur.

137. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Il y continua les mêmes accents sous un ciel plus favorable et dans l’ardeur d’un apostolat plus impérieux : mais en même temps il y fut poëte de la nature et de la vie privée ; il y fut poëte inspiré par les lieux comme par les souvenirs, mêlant ses joies de famille à ses épreuves de missionnaire, son amour humain à ses espérances célestes. […] L’état du monde, la science de l’apôtre, le lieu de sa mission, la forme de son sacrifice, tout est bien changé, bien divers : ce sont les horizons de feu, les diamants de Golconde, le luxe de Calcutta, les palais des princes déchus, au lieu des huttes éparses sur les bords du Rhin et dans les forêts de la Thuringe ; mais l’âme du charitable apôtre est la même. […] Un simple prélude qu’on lui avait demandé, pour une quête en faveur de missions évangéliques, devient un hymne sur la future conversion du monde : « Des montagnes glacées du Groënland, des rivages de corail de l’Inde jusqu’aux lieux de l’Afrique, où des sources brûlantes roulent leur sable d’or, de la rive des fleuves, du fond des plaines ombreuses, les hommes nous appellent pour les délivrer d’esclavage. […] faites retentir ce mot d’allégresse jusqu’au jour, jusqu’au lieu où le peuple le plus lointain aura reçu le nom du Christ.

138. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

C’est encore un ancien, l’aimable et sage Ménandre, qui disait que dans ce monde, en fait de bonheur et de succès, le premier rang est au flatteur, le second au sycophante ou calomniateur, et que les gens de mœurs corrompues viennent en troisième lieu. […] Nous lui répondions qu’il exagérait sans doute un peu, et qu’il n’y avait peut-être pas lieu d’être si fort en garde. […] Il y a lieu, en de certains moments décisifs, à cette critique auxiliaire, explicative, apologétique : c’est quand il s’agit, comme cela s’est vu dans les années de lutte de l’école poétique moderne, d’inculquer au public des formes inusitées, et de lui faire agréer, à travers quelques ornements étranges, les beautés nouvelles qu’il ne saluerait pas tout d’abord. […] Qu’il y ait lieu, par instants, en littérature, à une critique d’allure tranchée, plus dogmatique et systématique, plus dirigée d’après une unité profonde de principes, nous ne le nions pas, et simplement, sans exclure de son à propos cette haute critique d’initiative, ce n’est point celle à laquelle la Revue d’ordinaire prétend.

139. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

Si notre religion n’était pas une triste et plate métaphysique ; si nos peintres et nos statuaires étaient des hommes à comparer aux peintres et aux statuaires anciens : j’entends les bons, car vraisemblablement ils en ont eu de mauvais et plus que nous, comme l’Italie est le lieu où l’on fait le plus de bonne et de mauvaise musique ; si nos prêtres n’étaient pas de stupides bigots ; si cet abominable christianisme ne s’était pas établi par le meurtre et par le sang ; si les joies de notre paradis ne se réduisaient pas à une impertinente vision béatifique de je ne sais quoi qu’on ne comprend ni n’entend ; si notre enfer offrait autre chose que des gouffres de feux, des démons hideux et gothiques, des hurlements et des grincements de dents ; si nos tableaux pouvaient être autre chose que des scènes d’atrocités, un écorché, un pendu, un rôti, un grillé, une dégoûtante boucherie ; si tous nos saints et nos saintes n’étaient pas voilés jusqu’au bout du nez ; si nos idées de pudeur et de modestie n’avaient proscrit la vue des bras, des cuisses, des tétons, des épaules, toute nudité ; si l’esprit de mortification n’avait flétri ces tétons, amolli ces cuisses, décharné ces bras, déchiré ces épaules ; si nos artistes n’étaient pas enchaînés et nos poètes contenus par les mots effrayants de sacrilège et de profanation ; si la Vierge Marie avait été la mère du plaisir ; ou bien, mère de Dieu, si c’eût été ses beaux yeux, ses beaux tétons, ses belles fesses qui eussent attiré l’Esprit Saint sur elle, et que cela fût écrit dans le livre de son histoire ; si l’ange Gabriel y était vanté par ses belles épaules ; si la Magdelaine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si aux noces de Cana le Christ entre deux vins, un peu non-conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noces et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires ; de quel ton nous parlerions de ces charmes qui joueraient un si grand et si merveilleux rôle dans l’histoire de notre religion et de notre Dieu, et de quel œil nous regarderions la beauté à laquelle nous devrions la naissance, l’incarnation du Sauveur, et la grâce de notre rédemption. […] C’est que les ruines sont un lieu de péril, et que les tombeaux sont des sortes d’asiles. […] C’est qu’ils étaient placés dans des lieux écartés, et que l’horreur d’une forêt environnante, se joignant au sombre des idées superstitieuses, remuait l’âme d’une sensation particulière. […] C’est comme nos poètes de théâtre qui n’ont jamais su tirer aucun parti du lieu de la scène.

140. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Sorti de Paris à dix-neuf ans, dès les premiers jours de la Révolution ; retenu par les circonstances et la maladie en Suisse, au lieu des longs voyages qu’il méditait ; marié là et proscrit en France à titre d’émigré, M. de Sénancour n’était rentré que furtivement, à diverses reprises, pour visiter sa mère, et s’il s’était hasardé à séjourner à Paris, sans papiers, de 1799 à 1802, ç’avait été dans un isolement absolu : il avait profité toutefois de ce  séjour pour publier, dès 1799, ses Rêveries sur la nature primitive de l’Homme. […] Ainsi nous aurons parcouru à nous deux tous les lieux visités par Oberman. […] En Suisse, on a lu le livre en présence des lieux, et cette lecture est d’un grand effet.

141. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Malheureusement il semble qu’on ait seulement changé de joug : la délicatesse mondaine était au moins une forme d’esprit nationale, au lieu que l’élégance antique de la littérature du premier empire n’est qu’un froid pastiche, une inintelligente copie de formes étrangères. […] En troisième lieu, le journalisme a l’inconvénient de dévorer une foule d’esprits, les plus agiles souvent et les plus ouverts, auxquels il offre une carrière en apparence facile et séduisante. […] Je ne puis faire l’histoire du journalisme : ce n’est pas par le détail qu’elle intéresse la littérature, et je signalerai en leur lieu les noms à retenir.

142. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre II. Enfance et jeunesse de Jésus. Ses premières impressions. »

Puis se déroulent le double sommet qui domine Mageddo, les montagnes du pays de Sichem avec leurs lieux saints de l’âge patriarcal, les monts Gelboé, le petit groupe pittoresque auquel se rattachent les souvenirs gracieux ou terribles de Sulem et d’Endor, le Thabor avec sa belle forme arrondie, que l’antiquité comparait à un sein. […] Si jamais le monde resté chrétien, mais arrivé à une notion meilleure de ce qui constitue le respect des origines, veut remplacer par d’authentiques lieux saints les sanctuaires apocryphes et mesquins où s’attachait la piété des âges grossiers, c’est sur cette hauteur de Nazareth qu’il bâtira son temple. […] Là aussi, sur cette terre où dorment le charpentier Joseph et des milliers de Nazaréens oubliés, qui n’ont pas franchi l’horizon de leur vallée, le philosophe serait mieux placé qu’en aucun lieu du monde pour contempler le cours des choses humaines, se consoler de leur contingence, se rassurer sur le but divin que le monde poursuit à travers d’innombrables défaillances et nonobstant l’universelle vanité.

143. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

vous venez de fournir un sujet éternel à ceux qui voudront blâmer Athènes ; on lui reprochera d’avoir fait mourir Socrate, qui était, dira-t-on, un sage ; car, pour avoir droit de vous blâmer, on me donnera ce nom que je ne mérite pas ; au lieu que, si vous aviez encore attendu quelque temps, je mourais sans qu’Athènes se déshonorât. […] Pour moi je voudrais qu’au lieu des ruines du temple de Minerve, le temps eût conservé la prison où est mort Socrate. Je voudrais que sur la pierre noire et brute on eût gravé : « Ici il prit la coupe ; là, il bénit l’esclave qui la lui portait ; voici le lieu où il expira. » On irait en foule visiter ce monument sacré ; on n’y entrerait pas sans une sorte de respect religieux, et toute âme courageuse et forte, à ce spectacle se sentirait encore plus élevée.

144. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Homère, et le grammairien Thestorides. » pp. 2-6

Malgré son premier nom, on ne sçait pas au juste le temps ni le lieu de sa naissance. […] Le poëte juroit de poursuivre en tous lieux le grammairien.

145. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XII. Suite des machines poétiques. — Voyages des dieux homériques. Satan allant à la découverte de la création. »

Tantôt il raconte que le char du dieu vole comme la pensée d’un voyageur qui se rappelle, en un instant, les lieux qu’il a parcourus ; tantôt il dit : Autant qu’un homme assis au rivage des mers Voit, d’un roc élevé, d’espace dans les airs, Autant des Immortels les coursiers intrépides En franchissent d’un saut81. […] Soudain, aux regards de Satan se dévoilent les secrets de l’antique abîme ; océan sombre et sans bornes, où les temps, les dimensions et les lieux viennent se perdre, où l’ancienne Nuit et le Chaos, aïeux de la nature, maintiennent une éternelle anarchie au milieu d’une éternelle guerre, et règnent par la confusion.

146. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

En troisieme lieu, que la raison alléguée par R. […] Il y a lieu de croire que ce dictionnaire philosophique, en apprenant des mots, apprendroit en même tems des choses, & d’une maniere d’autant plus utile, qu’elle seroit plus analogue aux procédés de l’esprit humain. […] D’autres fois on supplée par cet artifice à une énumération ennuyeuse & impossible de noms propres ; les philosophes de l’antiquité, au lieu du long étalage des noms de tous ceux qui dans les premiers siecles ont fait profession de philosophie. […] Ce n’est pas ici le lieu de justifier ce systeme ; mais nous ferons observer à M.  […] Quintilien a donc eu raison de traduire ce mot dans sa langue par verbi transgressio : & ce que l’on nomme hyperbate consiste en effet dans le déplacement des mots qui composent un discours, dans le transport de ces mots du lieu où ils devroient être en un autre lieu.

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