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502. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

Il nous est singulièrement agréable de trouver parmi les poètes chrétiens quelque chose qui balance, et qui peut-être surpasse ce songe : poésie, religion, intérêt dramatique, tout est égal dans l’une et l’autre peinture, et Virgile s’est encore une fois reproduit dans Racine.

503. (1883) Le roman naturaliste

Aussi bien l’une et l’autre doctrine ne sont-elles pas sorties du concours des mêmes causes, et les mêmes influences du dehors n’en ont-elles pas fait jusqu’ici la fortune ? Il est d’ailleurs à redouter qu’elles ne menacent l’une et l’autre d’une même et dégradante transformation l’avenir de l’art et de la métaphysique. […] Sans doute, sur l’étrangeté de l’une et de l’autre tentative, ce n’était qu’un seul cri, mais tout le monde aussi convenait de la rare puissance d’imaginer et de peindre dont elles étaient l’éloquent témoignage. […] Emile Montégut, il y a quelques années, dans l’une de ces études où son esprit si merveilleusement curieux soulève et remue tant d’idées, en a tracé le sommaire et dicté les conclusions. […] L’une de ses supériorités sur l’auteur de Madame Bovary — comme aussi, je dois le dire, sur l’auteur de Jane Eyre — c’est de n’en avoir pas gardé rancune à la vie.

504. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Vous cherchez en vain ce jaillissement, ce parfait naturel qui, chez Balzac, se traduit en verve, chez Scott en bonhomie. » Évidemment, l’essentiel n’est pas d’avoir l’une ou l’autre des deux théories, il est d’avoir, dans l’une ou dans l’autre, du génie. […] De ces similitudes j’en retiendrai deux, l’une entre les deux romans de M.  […] Je ne veux tirer de ces constatations aucune conclusion pessimiste : la littérature a ses lois, la vie politique et sociale a les siennes, et conclure trop rapidement de l’une à l’autre constitue précisément l’une des usurpations de la littérature. […] Le livre roule donc sur deux idées, l’une qui intéresse l’histoire des sentiments et de la civilisation, l’autre qui concerne l’histoire du roman. […] L’une et l’autre des deux premières thèses seraient successivement justifiées si on s’arrêtait à l’un et à l’autre des deux premiers récits.

505. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Il a simplement voulu dire que la connaissance des contraires est une, ou, pour employer les termes mêmes dont il se sert ailleurs et les comparaisons qui lui sont familières, qu’on ne peut connaître les choses opposées que l’une par l’autre, et qu’en conséquence, il est impossible d’approfondir la nature de la santé sans savoir ce que c’est que la maladie, du contentement sans savoir ce que c’est que la tristesse, du sérieux sans savoir ce que c’est que la gaieté ; de même il est impossible de pénétrer un peu profondément dans l’essence de la tragédie, sans découvrir du même coup l’idée de la comédie, qui est son contraire. […] En effet, le sérieux et la gaieté ont assez souvent la même apparence pour qu’il puisse nous arriver presque à chaque pas, si nous n’y sommes pas très attentifs, de prendre l’une pour l’autre deux choses si profondément contraires. […] Je n’ai plus que deux choses à faire remarquer en concluant ce premier point : l’une, c’est que beaucoup de poètes comiques en avaient fait autant avant lui ; l’autre, c’est qu’il leur a tout emprunté78. […] J’examinerai en détail trois pièces de Molière, l’une, parce qu’elle est imitée de Plaute, et qu’elle me fournira l’occasion d’un rapprochement instructif ; les deux autres, parce qu’elles passent communément pour le nec plus ultra de la comédie. […] Or Alceste, loin d’ignorer ou de cacher sa misanthropie, en fait une profession si déclarée, que lui et son ami Philinte ne sont pas autre chose que deux thèses morales habillées en hommes, argumentant sur la scène l’une contre l’autre, comme autrefois le Juste et l’injuste dans Les Nuées d’Aristophane.

506. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Le langage ordinaire, dans son évolution, transforme les mots en vue de l’usage le plus commode ; la poésie les transforme dans le sens de la représentation la plus vive et la plus sympathique ; l’une a pour but la métaphore utile qui « économise l’attention » et rend plus facile l’exercice de l’intelligence ; l’autre la métaphore proprement esthétique, qui multiplie la faculté de sentir et la puissance de sociabilité. […] L’artiste fait sonner ce carillon intérieur auquel Taine compare le système nerveux : il a pour cela cent moyens, car la vibration invisible court d’une clochette à l’autre ; que l’une d’elles soit tirée de main de maître, toutes les autres se mettront en branle. […] La rime est un lien inattendu entre deux images ou idées, qui fait que l’une s’unit à l’autre en un mariage divin ; en un mot, elle est un accord qui symbolise pour l’oreille tous les autres accords. […] Certes, quand la rime est l’occasion de pareilles trouvailles, elle mérite des adorations ; malheureusement, ce qui est difficile à trouver, ce ne sont pas les rimes riches, c’est la poésie capable de remplir l’intervalle entre l’une et l’autre282. […] Ce qui est vrai, c’est que la prose tend, comme nous venons de le montrer, à s’organiser d’une manière à la fois plus savante et plus libre, mais en conservant ce qui a toujours fait le fond commun de la poésie et de la prose, à savoir l’image et le rythme, l’une s’adressant aux yeux, l’autre aux oreilles, tous deux cherchant à atteindre le cœur.

507. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLV » pp. 176-182

L'une des plus jolies pièces, A une branche d’amandier, rappelle celle de Jean-Baptiste Rousseau : Jeune et tendre arbrisseau, l’honneur de mon verger, etc.

508. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Profondément estimé en France de tous ceux qui avaient lu quelques-uns de ses morceaux de morale et de critique dans lesquels une pensée si forte et si fine se revêtait d’un style ingénieux et savant, il laisse un vide bien plus grand que la place même qu’il occupait, et il serait impossible de donner idée de la nature d’une telle perte à quiconque ne l’a pas vu au sein de ce monde un peu extérieur à la France, mais si étendu et si vivant, dont il était l’une des lumières.

509. (1874) Premiers lundis. Tome I « Bonaparte et les Grecs, par Madame Louise SW.-Belloc. »

La pièce suivante nous a paru l’une des plus heureusement reproduites ; c’est le Tombeau du Klephte : Le soleil se couchait ; Dimas parle, il ordonne : — « Enfants, apportez l’eau pour le repas du soir.

510. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

Il n’écrit ni vers sonores ou martelés, ni strophes à combinaisons savantes ; il n’est ni naturiste ni symboliste ; son style est un mélange de précision et de gaucherie, l’une naturelle, l’autre voulue.

511. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

Il est rare de rencontrer dans un même Homme deux qualités qui semblent s’exclure l’une l’autre.

512. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Girac, et Costar. » pp. 208-216

L’une est sa propre apologie, & l’autre est la suite de la Défense de Voiture.

513. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « Préface »

Il ne croit qu’à la Critique personnelle, irrévérente et indiscrète, qui ne s’arrête pas à faire de l’esthétique, frivole ou imbécile, à la porte de la conscience de l’écrivain dont elle examine l’œuvre, mais qui y pénètre et quelquefois le fouet à la main, pour voir ce qu’il y a dedans… Il ne pense pas qu’il y ait plus à se vanter, d’être impersonnel que d’être incolore, — deux qualités aussi vivantes l’une que l’autre et qu’en littérature, il faut renvoyer aux Albinos !

514. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

Si Varron la distingue de la théologie civile et de la théologie naturelle, c’est que, partageant l’erreur vulgaire qui place dans les fables les mystères d’une philosophie sublime, il l’a crue mêlée de l’une et de l’autre.

515. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Dans l’une et dans l’autre, l’objet est vivant, c’est-à-dire soumis à une transformation spontanée et continue. […] Dans l’une et dans l’autre, la molécule organisée ne se développe que sous l’influence de son milieu. Dans l’une et dans l’autre, chaque état de l’être organisé a pour double condition l’état précédent et la tendance générale du type. […] L’une eut les honneurs et les grâces, l’autre la paix et l’ordre, et l’une et l’autre laissèrent prendre le gouvernement au roi. […] L’une affaiblit l’énergie des volontés, l’autre ôte aux volontés l’initiative.

516. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Geoffroy avait été invité à l’une de ces représentations qui ne rappelaient pas mal, dans l’Université renaissante, les thèses en grec de MM. […] J’expose et mets en regard ces deux manières sans avoir la prétention de les juger, ni d’assigner la préférence à l’une ou à l’autre. […] Dans sa première manière, il s’est gardé soigneusement de faire rien passer de l’une dans l’autre.

517. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Elle aurait pu alors, comme sainte Thérèse, et un peu plus tard comme Mme de Chantal, trouver encore appui à l’une des colonnes subsistantes du grand édifice catholique ébranlé ; elle aurait rouvert une route monastique nouvelle dans la ligne encore indiquée des saintes carrières. […] Mlle de Scudéry et Mme Cottin, malgré le grand esprit de l’une et le pathétique d’action de l’autre, sont tout à fait passées. […] Elle eût peut-être sauvé Labédoyère, si elle avait obéi à une seule pensée : mais des suggestions diverses se succédaient près d’elle ; l’inspiration variait au gré de la dernière personne qu’elle voyait ; et l’une de ces personnes, hostile à Labédoyère, avait grand soin de ne la quitter que peu d’instants avant l’heure de l’empereur Alexandre, lequel trouvait la bonne inspiration clémente toute combattue et refroidie.

518. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

En face de cette école, fille directe de la philosophie du Dix-Huitième Siècle, est venue se placer une autre famille poétique. dont Lamartine et Hugo sont les représentants et les chefs en France ; école qui, au fond, est aussi sceptique, aussi incrédule, aussi dépourvue de religion que l’école Byronienne, mais qui, adoptant le monde du passé, ciel, terre et enfer, comme un datum, une convention, un axiome poétique, a pu paraître aussi religieuse que la poésie de Byron paraissait impie, s’est faite ange par opposition à l’autre qu’elle a traitée de démon, et cependant a fait route de conserve avec elle pendant plus de quinze ans, à tel point que l’on a vu les mêmes poètes passer alternativement de l’une à l’autre, sans même se rendre compte de leurs variations, tantôt incrédules et sataniques comme Byron, tantôt chrétiens résignés comme l’auteur de l’Imitation. » Quand nous écrivions cela, une femme de génie n’avait pas encore ajouté toute une galerie nouvelle à la galerie de Byron. […] L’une produisit à la fin Voltaire ; l’autre, après Milton, enfanta Klopstock. […] Au surplus, Goethe s’est peint lui-même, sous le rapport de ses croyances, dans un passage de ses Mémoires : « Lavater, dit-il, m’ayant à la fin pressé par ce rude dilemme : Il faut être chrétien ou athée, je lui déclarai que s’il ne voulait pas me laisser en paix dans ma croyance chrétienne telle que je me l’étais formée, je ne verrais pas beaucoup de difficulté à me décider pour ce qu’il appelait l’athéisme ; convaincu, d’ailleurs, comme je l’étais, que personne ne savait précisément quelle croyance méritait l’une ou l’autre qualification. » Malheureusement on ne sait trop non plus ce que c’est que la croyance chrétienne que Goethe s’était formée : c’était une espèce d’oreiller comme celui de Montaigne.

519. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Aux concerts de 1860, à Paris, il paraît que l’impression générale fut bonne ; mais Wagner, dont Tannhæuser allait être joué à l’Opéra avait de nombreux acharnés ennemis : en tête Berlioz ; dans son feuilleton du journal des Débats (février), il s’ingénia à trouver des critiques au moins étranges : « Il est singulier, dit-il, parlant du prélude de Tristan, que l’auteur l’ait fait exécuter au même concert que l’introduction de Lohengrin, car il a suivi le même plan dans l’une et dans l’autre. […] Chacune de ces versions est incomplète ; mais elles s’éclairent l’une par l’autre, et l’on peut aisément reproduire un tout en les rapprochant. […] Elle publia l’une des premières traductions de Parsifal après la mort de Wagner.

520. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Au Moyen Age, la loi des différences croissantes amène déjà la formation de deux musiques entièrement distinctes : l’une populaire, donc toute de rythme et de mélodie : l’autre savante, la musique religieuse et scolastique, destinée seulement aux âmes plus complexes. […] Cette scène est l’une des plus admirables, l’une des plus complètes de la Tétralogie.

521. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Rappelons qu’en parlant d’idées-forces, nous ne considérons pas les idées, ainsi que l’a fait parfois l’école de Herbart, comme des espèces d’entités ayant chacune une existence à part, agissant l’une sur l’autre à la façon d’un acide et d’une base mis en présence : les idées ou images sont pour nous des états de conscience qui s’accompagnent de sentiments et aboutissent à des mouvements66 ; ces sentiments et ces tendances motrices n’ont pas toujours des formes déterminées, des limites et des contours précis : ce sont des états continus et reliés à d’autres états par des transitions souvent insensibles. […] On pourrait comparer les cordons nerveux à des cordes tendues, l’une produisant le la du diapason, une autre produisant l’ut, etc. ; quel que soit le moyen par lequel vous arriverez à ébranler la première, — frottement d’un archet, pincement avec le doigt, coup donné sur la corde, fort ébranlement de l’air, courant électrique, — la première corde donnera toujours le la et non une autre note, l’autre corde donnera toujours l’ut ; l’une sera, sous le rapport mécanique, la mémoire du la, l’autre de l’ut.

522. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Par rapport à cette volonté primordiale, mécanisme et finalité intellectuelle sont deux relations ultérieures et dérivées, comme l’impulsion et l’attraction ; et l’une implique l’autre, l’une est l’autre prise à rebours. […] Lorsque nous ne concevons pas même l’acte contraire comme possible en soi et pour un autre que nous, sinon pour nous, lorsqu’il n’y a pas même de comparaison intuitive ou implicite, c’est alors une sorte de détermination réflexe, plutôt qu’une détermination réfléchie et volontaire, en « connaissance de cause. » La délibération peut être réduite au minimum pour deux raisons opposées : l’une, parce que tel mobile est trop tort pour laisser à la volonté la possession de soi ; l’autre, parce que la volonté se possédant elle-même est trop énergique et trop portée dans une direction pour accorder une attention quelconque au parti contraire.

523. (1904) En méthode à l’œuvre

La Matière est « une » primordialement, d’une unité amorphe et in-sciente, si nous la prenions, un instant idéal, en son éternité où l’une de l’autre l’Origine et la Fin sont en virtuelle puissance. […] D’aucuns ignorent-ils assez le sens phonétique de notre langue dont il est l’une des caractéristiques, qui n’ont même la sensation d’une entreprise attentatoire à son essence, — quand, dans le vers, sans l’élider, ils ne tiennent ni pour élément numérique, ni pour élément musical, l’« e muet ». […] En même temps, et en production d’universalité : Qui est Parole, et donne à la parole son vrai sens qui la veut musique de mots en lui rapportant son naturel et primordial élément de phonalité, Qui est graphique et Plastique, par la détermination morphologique du Rythme, — par la science des durées dans le vers et l’ordre prémédité du poème, du livre et de l’Œuvre, Qui est d’art Pictural, par le moins de hasard lumineux donné naturellement aux mots, selon couleurs des timbres-vocaux, Qui est Musique : Qui est manière-d’art en laquelle les manières-d’art s’unissent en Synthèse, — de même que les sensations, indépendantes et localisées, entre-muées sous l’empire de la pensée re-créatrice agissent l’une sur l’autre en mille nuances, et ainsi se multiplient en plus aiguë puissance d’apporter de nouveaux et plus rares matériaux à notre entendement : Et qui est mouvement adéquat à la Matière pensante : Est « l’instrumentation-Verbale », dont, de sens et d’appellation, nous douons l’Art poétique.

524. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

elles ne sont plus, ni l’une ni l’autre, sur cette terre ; elles sont remontées à ces régions inconnues d’où les belles matinées se lèvent derrière les montagnes de leur pays, et où les beaux soirs s’éteignent dans leur belle mer Adriatique. […] Une fille de roi, aimée d’un paladin de la cour de son père ; une amitié tendre entre cette princesse et sa suivante, devenue en grandissant avec elle son amie ; la séduction de cette Olinde par un débauché qui abuse de son innocence, cette ruse infernale de l’échange des vêtements sur le balcon, qui donne l’apparence du crime à l’innocence endormie ; le désespoir de ce fidèle amant, témoin de la fausse infidélité de celle qu’il respecte et qu’il adore, le silence qu’il s’impose, et la mort qu’il essaye de se donner pour ne pas flétrir celle qui lui perce le cœur ; ce Renaud, étranger à tous ces intérêts d’innocence, d’amour ou de crime, qui vient, par le pieux culte de la femme et de la justice, se jeter l’épée à la main dans cette mêlée comme la Providence ; ce vieux roi, qui pleure sa fille et qui la livre à sa condamnation à mort par respect pour les mœurs féroces de son peuple ; cet Ariodant, qui se revêt chez l’ermite de son armure de deuil, et qui va combattre masqué contre son propre frère pour le salut de celle dont le crime apparent le fait mourir deux fois ; ce repentir et cette confidence de la suivante Olinde dans la forêt, retrouvée comme la vérité au fond du sépulcre ; ce Renaud, qui interrompt heureusement le combat fratricide entre Ariodant et Lurcin, qui tue Polinesso et qui lui arrache la confession de l’amour de Ginevra ; ces deux amants qui se retrouvent, l’une dans son innocence, l’autre dans son dévouement, et qui s’unissent dans les bras du vieux roi aux acclamations du peuple ! […] Elles continuèrent à jouer ainsi l’une avec l’autre devant moi, comme une jeune brebis avec son agneau devant un enfant qui les contemple. […] Ainsi, dans cette circonstance de ma vie poétique, la belle villa des collines euganéennes, les bois de lauriers sous nos pieds au penchant de la pelouse, le pin murmurant sur nos têtes, la mer Adriatique à l’horizon, le tintement du petit jet d’eau des terrasses qui venait jusqu’à nous sur les tièdes bouffées du vent du soir, ces deux charmantes figures de femme, l’une dans le septembre encore fleuri, l’autre dans l’avril à peine fleurissant de leurs années ; cette tendresse égale, mais diverse, qui se peignait dans leurs yeux bleus en se regardant avec leur jeune amour, l’un de mère, l’autre de fille ; le groupe enchanteur qu’elles formaient sans y penser en folâtrant ensemble dans des attitudes langoureuses ou enfantines, sous mes yeux ; les joyeux éclats de rire innocents qui retentissaient dans leurs jeux, entre leurs dents sonores, tout cela me faisait une telle illusion et se confondait tellement dans mes yeux et dans mon imagination avec les stances de l’Arioste, encore vibrantes à mes oreilles, qu’il me semblait voir en réalité une Ginevra dans la mère, une Angélique dans la fille, et que, si on m’avait demandé : Êtes-vous dans le poème ?

525. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Elle les trouve chez eux : l’une est assise auprès du foyer avec les femmes qui la servent, filant sur sa quenouille une laine teinte de la pourpre des mers ; elle rencontre l’autre comme il sortait pour se rendre avec ses chefs illustres au conseil où les nobles Phéaciens l’appelaient ; elle s’arrête tout près de son père bien-aimé, et lui dit : « “Père chéri, n’allez-vous pas me préparer un char élevé, aux fortes roues, afin que je porte vers le fleuve, pour les laver, les précieux vêtements que j’ai là tout malpropres ? […] Comme la reine du jeu lance le ballon à l’une des suivantes, cette suivante le manque, et il tombe dans la profondeur du courant ; elles poussent de grands cris, et le divin Ulysse se réveille : il se redresse alors, et dans son esprit et son cœur il raisonne ainsi : III « “Hélas ! […] je me jette à tes pieds, que tu sois déesse ou mortelle : si tu es l’une de ces divinités qui résident dans le ciel immense, je ne saurais te comparer, pour la taille, la forme et la beauté, qu’à Diane, la fille du grand Jupiter ; et si tu es l’une de ces mortelles qui habitent sur la terre, ô trois fois bienheureux ton père et ta mère vénérables ; trois fois bienheureux tes frères !

526. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Presque toute la société se rallie à cette théorie, en déclarant qu’un Mirabeau échappe aux règles de la petite probité bourgeoise : « Alors, Messieurs, nous écrions-nous, il n’y a plus de morale, de justice chez les historiens en histoire, si vous avez deux mesures, deux balances, l’une pour les hommes de génie, l’autre pour les pauvres diables. […] L’une (la duchesse de M…), — une petite nymphe de Fragonard, une figurine, un saxe émacié, une vraie petite porcelaine, à la chair toute claire, toute blanche, toute nacrée, avec des traits d’oiseau dans la plus aristocratique des maigreurs, avec de petites oreilles détachées, du rose d’un coquillage, avec des yeux scintillants, avec une poussière d’or pâle pour cheveux, sur une tête, où des marguerites de diamants sont piquées partout. […] L’une des femmes avait un goitre, de la grosseur de la tête, suspendu dans un mouchoir à carreaux. […] L’une des élèves disait à l’autre : « Cette malheureuse naine !

527. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Dans l’une les mots sont employés à donner des choses une image la plus précise possible, une image intellectuelle qui laisse dans l’esprit peu de place aux sentiments associés ; dans l’autre, au contraire, l’image est vague, lointaine, grandie, à peine aperçue et mystérieusement belle ; de l’émotion qu’elle suggère, toute intelligence est excluse. […] Ces écoles diffèrent non dans la manière dont elles méprisent ou observent le réel, bien qu’il y ait nécessairement plus de vérité chez les réalistes, mais dans l’image illusoire qu’ils en tirent, radieuse chez l’une, prestigieuse chez l’autre, pathétique et odieuse chez la dernière, telle qu’elle excite soit l’admiration, soit la passion soit la haine et la pitié. […] La vie l’affligeait et la mort le désolait ; il ne pouvait s’empêcher de voir l’une et de réfléchir à l’autre. […] S’il est doublé d’un psychologue, à plus forte raison, les romanciers de l’âme et les poètes sensitifs, les hommes à la Stendhal et à la Baudelaire se regardent vivre, vouloir, aimer, haïr, sentent sans cesse, à côté des portions d’homme normal et instinctif qui subsistent en eux, un impassible et perspicace témoin, qui mine leur activité spontanée en la contrôlant : Il semble avoir deux âmes, dit M. de Maupassant dans un article récent, l’une qui recueille et commente chaque sensation de sa voisine, l’âme naturelle commune à tous les hommes ; et il vit condamné à être toujours, en toute occasion, un reflet de lui-même et un reflet des autres, condamné, à se regarder sentir, agir, aimer, penser, souffrir, et à ne jamais souffrir, penser, aimer, sentir comme tout le monde, bonnement, franchement, simplement, sans s’analyser soi-même après chaque joie et après chaque sanglot…..

528. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Ainsi ces grandes lumières n’eurent point à se combattre ni à s’éclipser l’une l’autre, elles se succédèrent paisiblement et largement comme une suite de riches saisons ou comme les heures d’une journée splendide. […] Chaque développement chez Massillon, chaque strophe oratoire se compose d’une suite de pensées et de phrases, d’ordinaire assez courtes, se reproduisant d’elles-mêmes, naissant l’une de l’autre, s’appelant, se succédant, sans traits aigus, sans images trop saillantes ni communes, et marchant avec nombre et mélodie comme les parties d’un même tout.

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