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484. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

J’adhère au jugement commun ; je ne revendique que la liberté de mes motifs. […] Le jugement n’est le plus souvent que l’admiration qui donne ses motifs. […] C’est à jamais le plus beau jugement des temps modernes sur l’antiquité. […] Leur génie subtil ouvrait à son esprit des horizons infinis, et leur vertu même devenait un piège pour son jugement, en lui ôtant la crainte de s’égarer sur de si saintes traces. […] L’opinion de Leibniz sur la querelle entre Bossuet et Fénelon est le jugement même de la postérité : il n’y a rien à y changer.

485. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Sur l’académie, je ne ferais miens tous les jugements de M. de Souza. […] Elle n’y verra qu’une suite de jugements ; trente, cinquante affirmations ou négations. Ces jugements n’arborent pas tous leur insigne, je veux dire leur verbe, leur oui ou leur non. […] Souday aidant, ou n’importe quel logicien, il faudra bien qu’ils se montrent dans leur nudité grelottante de jugements. […] Laissée à elle-même, et telle qu’elle se présente à l’examen de la raison, une œuvre, quelle qu’elle soit, n’a rien de poétique ; elle n’est qu’un tissu de jugements, et l’on sait bien que tout jugement, même porté sur des choses concrètes, est abstraction, que toute abstraction est prose.

486. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Thiers, à dater du jour de son arrivée d’Aix à Paris jusqu’au manifeste du National le 27 juillet 1830, c’est là notre sujet pour le moment ; et le sujet est riche, il est attrayant et varié, il prête déjà, dans ces limites où nous le circonscrivons aujourd’hui, à un jugement d’ensemble, à un jugement impartial, incontestable, bien actuel pourtant, et dont plus d’un trait se reflétera sur les circonstances présentes de ce merveilleux esprit, si fécond chaque jour en preuves nouvelles. […] Il n’y a même de tout à fait injuste dans ce jugement que l’avantage décidé que le critique accorde au peintre sur le romancier. […] La vivacité du sens historique s’y substitue presque partout à la sévérité morale des jugements ; sur ce point il n’y a pas de système, il y a de l’oubli. […] Le style de Laplace dans l’Exposition du système du monde, de Napoléon dans ses Mémoires, voilà les modèles du langage simple et réflechi propre à notre âge. » Et il finit par risquer ce mot qui, depuis, a tant fait fortune : « Napoléon est le plus grand homme de son siècle, on en convient ; mais il en est aussi le plus grand écrivain. » Il faudrait bien de la pédanterie pour venir contester, contrôler un jugement si piquant. si vrai même, à l’entendre d’une certaine manière. […] Il ne nous appartient pas de devancer le jugement de tous, mais notre impression n’est pas douteuse, et, comme un messager porteur d’une bonne et grande nouvelle, nous ne la cacherons pas.

487. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

De là souvent un peuple qui aime à rire ne voit que diable et qu’enfer. » Il se réservait pourtant de grands et sombres tableaux à retracer : « Lorsqu’il sera question des sacrifices humains, ne pas oublier ce que partout on a appelé les jugements de Dieu, les fers rouges, l’eau bouillante, les combats particuliers. […] Le poëte se proposait de clore le morceau des sens par le développement de cette idée : « Si quelques individus, quelques générations, quelques peuples, donnent dans un vice ou dans une erreur, cela n’empêche que l’âme et le jugement du genre humain tout entier ne soient portés à la vertu et à la vérité, comme le bois d’un arc, quoique courbé et plié un moment, n’en a pas moins un désir invincible d’être droit et ne s’en redresse pas moins dès qu’il le peut. […] Brizeux, insérées autrefois au Globe sur le portrait, une lettre de M. de Latour sur une édition de Malherbe annotée en marge par André (Revue de Paris 1834), le jugement porté ici même (Revue des Deux Mondes) par M.  […] On traiterait, en un mot, André comme un ancien, sur lequel on ne sait que peu, et aux œuvres de qui on rattache pieusement et curieusement tous les jugements, les indices et témoignages.

488. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Au reste, autant que la chose était possible alors, même à la cour, et même devant le roi, Boileau gardait son indépendance et la franchise de son jugement. […] L’esprit d’autrefois était un jeu savant, une escrime réglée : il y fallait de l’invention, mais aussi du jugement, de la raison et de la science. […] la belle chose que ce sera, au jour du dernier jugement, lorsque Notre-Seigneur dira à ses élus : “Venez, les bien-aimés de mon Père, parce que vous ne m’avez jamais aimé de votre vie ; que vous avez toujours défendu de m’aimer, et que vous vous êtes toujours fortement opposés à ces hérétiques, qui voulaient obliger les chrétiens de m’aimer ! […] Il remplaçait à l’occasion le père absent, corrigeait les versions de Jean-Baptiste, et lui formait le jugement en le faisant causer.

489. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Pour moi, je ne sens point chez Mme de Rémusat l’âme étroite et mesquine qu’on lui prête ; je suis fort tenté de croire à la parfaite liberté de son jugement comme à la sincérité de son récit ; et je ne pense point faire preuve, en cela, de tant de naïveté. […] Peut-être eût-il mieux fait d’attendre l’apparition du volume, où sans doute le jugement porté sur l’homme s’expliquera mieux par le jugement porté sur l’œuvre ; mais nous concevons la généreuse impatience du neveu de l’empereur. […] Alors il redouble ses investigations ; il cherche un endroit où puisse s’appliquer son microscope ; il trouve une explication qui rabaisse, à la portée de sa vue, la grandeur dont l’aspect l’avait d’abord offusqué, etc. » Rien de plus faux, à mon sens, que ce jugement.

490. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 128-130

Religion, Morale, Politique, Histoire, Géographie, Chimie, tout a été de son ressort, & par-tout on y reconnoît l’Homme érudit, mais sans jugement, sans principes, & sans goût.

491. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Cowper, avec son tour d’imagination frappée, y voyait non seulement des avertissements divins et des châtiments infligés au monde, mais encore des signes précurseurs de la fin des temps et du Jugement dernier. […] Les uns, fascinés par l’éclat d’un nom, livrent leur jugement un bandeau sur les yeux. […] [NdA] En lisant ces vers À Marie, qui tournent sensiblement à la litanie pieuse, on ne peut s’empêcher de penser à cette autre Marie par excellence, la Vierge, celle dont il est dit dans la Divine Cornédie de Dante, par la bouche de Béatrix : « Il est au ciel une noble dame qui se plaint si fort de ces obstacles contre lesquels je t’envoie, qu’elle fléchit là-haut le jugement rigoureux. » C’est la confiance en cette Marie toute clémente et si puissante auprès de son fils qui a manqué à Cowper.

492. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Ici, nous nous trouvons dans une sorte d’embarras à l'égard du président Hénault ; les jugements sur son compte sont assez divers. […] Aussi y a-t-il des gens assez injustes pour croire qu’il prodigue sans sentiment et sans distinction les politesses à tout le monde : mais ceux qui le connaissent bien et le suivent de près, savent qu’il sait les nuancer, et qu’un jugement sain et un grand usage du monde président à la distribution qu’il en fait. […] On m’a assuré qu’au Palais il était bon juge, sans avoir une parfaite connaissance des lois, parce qu’il a l’esprit droit et le jugement bon.

493. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Son goût en littérature, en ouvrages d’agrément, est juste ; son jugement sur les ouvrages sérieux est solide ; son esprit a de l’étendue et de la sagacité, il voit promptement et loin. […] Ses cahiers et notes, quand elle noircissait du papier, devaient être surtout de réflexions morales et de jugements concis. […] Je m’ennuie si fort à Paris, que vous devriez y revenir, ne fut-ce que pour empêcher ma démence. » Mais il ne sera pas indifférent de bien définir, en présence de Mme de Créqui, le confident qu’elle s’est donné dans ses jugements des hommes et des choses.

494. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

Colbert, il le définissait très bien en peu de mots : C’est un écrivain rapide, dont le style est ce qu’il a de moins mauvais ; il n’est pas sans savoir, mais il est sans aucun jugement, traduit mal, ne fait rien raisonnablement que les généalogies. […] Chapelain donc, écrivant au docte Nicolas Heinsius, « secrétaire latin de messieurs des États à la Haye », portait ce jugement péremptoire qui embrassait et sapait l’entreprise du fécond traducteur dans les douze premières années, qui sont encore les moins mauvaises de toutes (2 janvier 1659) : Cette traduction française de Stace par l’abbé de Marolles est un de ces maux dont notre langue est affligée. […] [NdA] Dans un écrit de Furetière, Nouvelle Allégorique, ou histoire des derniers troubles arrivés au royaume d’Éloquence (1659), on lit : « Il y vint (à l’armée du Bon Sens) un illustre abbé de Marolles, qui poussa ses conquêtes jusques dans les terres de Tibulle, Catulle, Properce, Stace, Lucrèce, Piaule, Térence et Martial ; terres auparavant inconnues à tous ceux de sa nation ; cependant il les dompta, et les mit sous le joug de ses sévères versions, et il les traita avec telle exactitude et rigueur, que de tous les mots qu’il y trouva, il n’y eut ni petit ni grand qu’il ne fît passer au fil de sa plume, et qu’il n’obligeât à parler français et à lui demander la vie… » Ce jugement ne ferait guère d’honneur à la critique de Furetière qui était d’ailleurs un homme d’esprit, mais il est à croire qu’il ne parlait pas sérieusement quand il écrivait cela.

495. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

… Si l’infraction d’une seule loi peut contre-balancer toutes nos bonnes œuvres, et que, par le seul manquement, on soit coupable comme si l’on avait manqué à tout, qui pourra se sauver de la rigueur d’un jugement où rien ne nous sera pardonné ? Que si par une soudaine citation on est appelé à ce jugement, et que le juge vienne tout d’un coup à interroger, qui pourra lui répondre ?… Mystères terribles de la justice de Dieu, profonds abîmes de ses jugements, ce n’est pas à nous à vous pénétrer, mais nous ne saurions assez vous redouter.

496. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

C’est alors que ce mot célèbre lui échappa : « J’avais connu jusqu’ici les grands, maintenant je connais les petits. » Mme d’Albany, à côté de ce grand haïsseur, sut maintenir l’équité ou du moins la modération de ses jugements. […] Ses jugements, qu’elle n’écrivait que pour elle seule, sont trop naturels et trop en déshabillé peut-être pour pourvoir être donnés au public sans quelque préparation ; des gens d’esprit qui les ont cités s’y sont mépris tout les premiers : ils ont cru voir de l’agitation et une ardeur inquiète là où il n’y avait qu’un emploi tranquille et animé des heures. […] Je suis de ceux qui ont fait l’apologie du livre de Mme de Staël, qui en ont de leur mieux démontré et mis en lumière les bonnes parties, et cependant je ne puis trouver si faux en somme le jugement résumé de Mme d’Albany ; j’y vois plus de sévérité que d’erreur.

497. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Dans ses lettres à Mme d’Albany, dont il fit la connaissance pendant ce voyage, on le voit mûr et ferme en ses jugements, et d’aplomb dans sa pensée, bien qu’il laisse percer encore, par-ci par-là, quelque chose de ses dispositions susceptibles et souffrantes. […] Mme d’Albany elle-même le goûtait peu, surtout depuis qu’il eut parlé d’Alfieri et des défauts de sa manière tragique : « J’aime votre vivacité sur Schlegel, lui répondait Sismondi ; c’est, en effet, un pédant présomptueux, et sa manière de porter ses jugements est presque toujours d’une extrême insolence. […] Sismondi en était revenu avec lui au vrai point de liaison et à l’exacte mesure du jugement.

498. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Il portait, d’ailleurs, sur les choses publiques un jugement excellent ; il sentait les périls intérieurs là où ils étaient ; partisan déclaré de la liberté de la presse, il ne fut pas des derniers à prédire où mènerait la censure. […] Sir Henry Bulwer est un peu doux et poli dans ses appréciations, comme il sied à un Anglais qui a tant vécu dans la haute société française ; mais voici un de ses compatriotes qui est plus haut en couleur et plus mordant : ce jugement parut dans le Morning-Post, à l’époque de la mort de Talleyrand ; je crois qu’il ne déplaira pas à cause de quelques traits caractéristiques qu’on chercherait vainement ailleurs : « Lorsque Talleyrand, nous dit l’informateur anonyme, était ici engagé dans les protocoles, lui qui dormait peu, il avait coutume de mettre sur les dents ses plus jeunes collègues, et nous avons trop bien éprouvé qu’au temps de la quadruple alliance et en plus d’une autre occasion, ses yeux étaient ouverts tandis que lord Palmerston sommeillait. […] Il fut traduit pour ce fait en police correctionnelle, et la cour royale confirma le 15 juin les jugements précédemment rendus.

499. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Daunou en particulier, ce vénérable représentant de la littérature et de la philosophie du xviiie  siècle, rangea autour de Boileau, avec une sorte de piété, tous les faits, tous les jugements, toutes les apologies qui se rattachent à cette grande cause littéraire et philosophique. […] Rien ne saurait mieux donner idée du degré de défaveur que la réputation de Boileau encourait à un certain moment, que de voir dans l’excellent recueil intitulé l’Esprit des Journaux (mars 1785, page 243) le passage suivant d’un article sur l’Épître en vers, adressé de Montpellier aux rédacteurs du journal ; ce passage, à mon sens, par son incidence même et son hasard tout naturel, exprime mieux l’état de l’opinion courante que ne le ferait un jugement formel : « Boileau, est-il dit, qui vint ensuite (après Regnier), mit dans ce qu’il écrivit en ce genre la raison en vers harmonieux et pleins d’images : c’est du plus célèbre poëte de ce siècle que nous avons emprunté ce jugement sur les Épîtres de Boileau, parce qu’une infinité de personnes dont l’autorité n’est point à mépriser, affectant aujourd’hui d’en juger plus défavorablement, nous avons craint, en nous élevant contre leur opinion, de mettre nos erreurs à la place des leurs. » Que de précautions pour oser louer !

500. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Ces pensées politiques et autres, par leur caractère de gravité et de vérité, par l’absence de toute déclamation, par la sincérité des aveux et le noble regret des fautes commises, par les sages vues d’avenir qui se mêlent au jugement du présent, font beaucoup d’honneur à Barnave, et ne peuvent que confirmer, en l’épurant, l’impression d’intérêt et d’estime qui demeure attachée à sa mémoire. […] Il parle ainsi d’eux dans les écrits qu’il composa pour lui seul ; il en parla de même devant ses accusateurs et en face de l’échafaud : ce double jugement se confirme et concorde trop exactement pour ne pas être bien sincèrement le sien. […] Ses jugements sur les derniers actes de l’Assemblée constituante sont d’une grande sagesse.

501. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Si j’osais pourtant hasarder un jugement d’ensemble, je dirais que son ambition n’y eut jamais satisfaction entière, et que les distinctions brillantes dont son existence publique fut remplie couvraient, au fond, bien des vœux trompés et le déchet de bien des espérances. […] Un tel jugement est souverainement injuste, et si Chesterfield, dans le cas particulier, insiste tant sur les grâces des manières et sur l’agrément à tout prix, c’est qu’il a déjà pourvu aux parties plus solides de l’éducation, et que son élève n’est pas en danger du tout de pécher par le côté qui rend l’homme respectable, mais bien par celui qui le rend aimable. […] Il aurait mieux valu presque avoir échoué totalement et n’avoir réussi à faire qu’un original en sens inverse, tandis qu’avec tant de soins et à tant de frais, n’en être venu qu’à produire un homme du monde insignifiant et ordinaire, un de ceux desquels, pour tout jugement, on dit qu’on n’a rien à en dire, il y avait de quoi se désespérer vraiment, et prendre en pitié son ouvrage, si l’on n’était pas un père.

502. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Si ma petite-fille est une bête, le savoir la rendrait confiante et insupportable ; si elle a de l’esprit et de la sensibilité, elle fera comme moi, elle suppléera par adresse et avec du sentiment à ce qu’elle ne saura pas ; et quand elle sera plus raisonnable, elle apprendra ce à quoi elle aura plus d’aptitude, et elle l’apprendra bien vite. » Elle ne m’a donc fait apprendre, dans mon enfance, simplement qu’à lire ; mais elle me faisait beaucoup lire ; elle m’apprenait à penser en me faisant raisonner ; elle m’apprenait à connaître les hommes en me faisant dire ce que j’en pensais, et en me disant aussi le jugement qu’elle en portait. […] Mme de Tencin est bien moins remarquable comme auteur d’histoires sentimentales et romanesques, où elle eut peut-être ses neveux pour collaborateurs, que par son esprit d’intrigue, son manège adroit, et par la hardiesse et la portée de ses jugements. […] Ce sont des esprits qui redoutent un peu la fatigue et l’ennui, et dont le jugement sain et quelquefois perçant n’est pas continu.

503. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Cependant Courier écrivait de Paris à sa femme (juin 1821) : Je ne sais encore si je serai mis en jugement. […] Avant de se constituer prisonnier et aussitôt après son jugement, Courier n’avait pas manqué d’écrire l’histoire de son procès, en y joignant le discours qu’il aurait voulu prononcer pour sa défense ; il appelait cela son Jean de Broé, du nom de l’avocat général qu’il y tournait en ridicule : « Ma brochure a un succès fou, écrivait-il à sa femme ; tu ne peux pas imaginer cela ; c’est de l’admiration, de l’enthousiasme. […] Mais Frémont, mis en jugement, fut acquitté à l’unanimité par le jury devant la cour d’assises de Tours, le 3 septembre 1825.

504. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Michaud, condamné à mort par contumace comme rédacteur de La Quotidienne, et exécuté en effigie sur la place de Grève, ne parvint que dix-huit mois après à faire révoquer ce jugement. […] Comparant les jugements contradictoires qui ont été exprimés sur les croisades, il suit une voie moyenne et d’entre-deux, et s’attache à adopter ce que « tous ces jugements divers ont de modéré et de raisonnable ».

505. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Essai de critique, écrit par un poète, on y chercherait en vain la fermeté de jugement et la profondeur d’aperçu qui doivent, avant tout, distinguer un livre d’appréciation philosophique ou littéraire. […] Un fragment, tour à tour charmant et superbe, et qu’il intitule les Aveux d’un poète, ferme comme d’un jugement définitif ces deux volumes sur l’Allemagne et date avec éclat une ère nouvelle dans la pensée de Henri Heine. […] Aussi irréfléchi que faux est le jugement que j’avais répété, d’après mes maîtres des différentes écoles philosophiques, que le déisme, détruit en théorie par la logique, ne subsiste plus que piteusement dans le domaine d’une foi agonisante.

506. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

Voilà comment nous nous expliquions Lucrèce ; et s’il y avait dans ce jugement quelque erreur, elle ne provenait pas du moins d’animosité ni d’injustice. […] D’où peut venir cette variation de M. de Pongerville dans ses jugements sur son poète favori ?

507. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

On ne porterait de Molière qu’un jugement imparfait et hasardé si on l’isolait des vieux écrivains français auxquels il reprenait son bien sans façon, depuis Rabelais et Larivey jusqu’à Tabarin et Cyrano de Bergerac. […] On lit cela dans le Commentaire latin de Huet sur lui-même, qui renferme de curieux jugements peu connus sur Boileau, Corneille et autres : on s’en tient d’ordinaire au Huetiana, qui n’est pas la même chose.

508. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — I »

Nous sentions le besoin de justifier, aux yeux de nos lecteurs et aux nôtres, les expressions de profond mépris qui éclateront plus d’une fois dans notre jugement sur ce pitoyable ouvrage. […] Une autre fois, nous aborderons la Vie même de Napoléon ; mais elle ne nous fournira malheureusement pas l’occasion de rétracter notre premier jugement et de faire amende honorable aux pieds du génie qui tant de fois reçut nos hommages sincères.

509. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

Le triomphe pouvait durer, dans les salons, quelques années ; mais à la fin la représentation, venant confirmer ou contrarier le jugement des amateurs, fixait pour jamais le sort de l’auteur. […] Quoique ce goût ait encore beaucoup de progrès à faire, qu’à la fois timide et superbe, il s’accommode et s’effarouche de peu, et que jusqu’à ce jour il se prononce par ses répugnances bien plutôt que par ses prédilections, il faut convenir pourtant que son jugement n’est pas douteux, et qu’il encourage tous les essais nouveaux aussi constamment qu’il repousse les restes épuisés d’autrefois.

510. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Dans les crises des factions populaires, ce qu’on veut éloigner avant tout, c’est l’indépendance du jugement. […] Qu’est-ce qu’un jugement appréciateur et calme dans nos nombreuses associations modernes !

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