/ 1798
577. (1908) Après le naturalisme

Que l’artiste imagine ce qui lui convient, tout en restant normal, selon sa fantaisie heureuse et pour le seul plaisir d’imaginer ! […] Pure hypothèse que l’imaginer. […] Mais elles ne sont que des représentations synthétiques des rapports de l’homme avec l’univers ; elles n’imaginent rien qui ne tienne à la réalité. […] On eut bien effrayé les enthousiastes de 1830 en leur définissant leur rôle social théorique et même le rôle exact qu’ils jouèrent parmi leurs semblables — eux qui s’imaginaient n’en remplir aucun, ne toucher à rien des mœurs. […] Le merveilleux, c’en est l’enfance, le balbutiement, et certes il y a aujourd’hui quelque ridicule à imaginer des légendes et faire parler innocemment des fleurs et des bêtes.

578. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

J’imagine que cet écrivain si probe n’eût pas souhaité un plus grand éloge. […] Scott a complété les aventures réelles que lui fournissait la légende par des aventures imaginées. […] J’imagine volontiers qu’elle fut écrite au sortir d’un entretien avec vous. […] … Il imagine. […] Ne s’est-il pas imaginé que la France ne marcherait pas ?

579. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Imaginez a lutte cachée, les élans et les reculs de l’âme, les angoisses mortelles. […] C’est lui, j’imagine, qui a inventé « la croix de ma mère ». […] Et, encore une fois, je ne m’imagine nullement être par là une créature exceptionnelle. […] Je déclare même que le cas imaginé par M.  […] Je crois, cependant, que le revirement imaginé par M. 

580. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Lorsque, en des heures de rêverie, on s’imagine que l’on aurait pu vivre avec ceux que l’on admire, c’est surtout de Molière qu’on voudrait avoir été le compagnon. […] Je suis telle que vous m’avez imaginée et voulue, c’est-à-dire belle, et rien de plus. […] C’est, je m’imagine, en se plaçant à ce point de vue qu’il faut considérer le très particulier génie de Charles Baudelaire. […] Moi-même je n’y tenais guère, ne l’ayant imaginé qu’en souvenir du Parnasse satirique de Théophile de Viau et d’autres « parnasses » autrefois publiés. […] La vérité, c’est que, le plus souvent, il s’efforce à l’expression excessive, mais directe, de ce qu’il éprouve, de ce qu’il imagine, de ce qu’il voit.

581. (1895) Hommes et livres

À plus forte raison, ce public ne saurait imaginer le monde extérieur : il ne voit que ce qu’il a sous les yeux. […] Le plancher de la scène ne change pas : supposons donc et imaginons, puisque autrement l’art dramatique ne saurait subsister, mais supposons et imaginons une fois pour toutes, que cette scène est une salle de palais, à Rome, ou une chambre, à Paris. […] J’imagine que M.  […] Il s’imagina qu’il pouvait les combiner abstraitement, les construire en l’air et les priver de toute réalité, sous prétexte de la généralité qu’ils devaient avoir. […] Essayez d’imaginer ce qu’ont été avant la pièce, ce que seront après, les personnages de Marivaux : cela est impossible.

582. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Callisthène s’imaginait être le dispensateur de la gloire et le seul homme capable de transmettre à la postérité les hauts faits d’Alexandre. […] Les mêmes choses se lisent dans le discours que Quinte-Curce fait prononcer à Hermolaüs ; ce qui est très digne de remarque, puisqu’il en résulte que cet historien n’imaginait pas toujours les harangues dont il a rempli son ouvrage, et qu’il ne les composait pour l’ordinaire qu’après en avoir trouvé le sujet, soit dans Plutarque, soit dans d’autres écrivains qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous. […] « C’est par l’éducation qu’il convient de ramener à la communauté et à l’unité l’État qui est multiple, comme je l’ai déjà dit ; et je m’étonne qu’en prétendant introduire l’éducation, et, par elle, le bonheur dans l’État, on s’imagine pouvoir le régler par de tels moyens, plutôt que par les mœurs, la philosophie et les lois. […] En ce genre, tout, on peut le dire, a été imaginé ; mais telles idées n’ont pas pu prendre, et telles autres ne sont pas mises en usage, bien qu’on les connaisse.

583. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Au sortir d’une phase de sommeil hypnotique qui avait duré quelques minutes, une malade s’imagine qu’elle a dormi plusieurs heures ; M.  […] V Action constructive de l’imagination L’analyse que nous avons faite des opérations intellectuelles nous montre que penser, c’est avoir conscience de percevoir ou imaginer, c’est avoir conscience de ses représentations et de leurs liaisons. […] Si Pythagore n’avait pas imaginé sa construction à la fois simple et féconde, le problème du carré de l’hypothénuse n’aurait pu être résolu : l’idée est donc déjà, par elle-même, une solution. […] Si j’imagine une femme à queue de poisson, comme la sirène, l’imagination est purement constructive ; si je me sers de cette représentation pour exprimer le caractère à la fois séduisant et bas de la volupté, l’imagination devient expressive.

584. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Pour exemple, imaginez que dans un salon une jeune et jolie femme de vingt-sept ans, soit originalité, soit caprice, ou probité, s’avise d’avouer tout haut qu’elle a eu vingt-sept ans, il y a trois jours, aussitôt l’étonnement est général. […] À ces bruits avant-coureurs du bruit des couronnes brisées et des têtes qui tombent, les grands seigneurs et les belles dames s’imaginaient que c’était tout simplement un coup de tonnerre qui les venait surprendre : « Allons, disaient-ils en se séparant, allons voir aujourd’hui ce qui se passe à l’assemblée des notables, nous reprendrons demain la conversation où nous l’avons laissée. » Ah ! […] Voilà tout le secret du succès de la comédie de Marivaux ; elle est pour quelques-uns un regret, elle est pour tous de l’histoire ; elle a été un grand écueil pour ceux qui ont voulu imiter ce style à part, et qui avaient imaginé de faire parler les bourgeois de ce temps-ci, comme parlaient les grands seigneurs d’autrefois. […] Scribe à dater du jour où ce charmant esprit avait imaginé de couvrir d’un voile, et de charger d’un nuage, les deux beaux yeux de Valérie, afin que bientôt le voile tombant rendit une force inattendue à ce regard, perçant comme l’esprit, et tendre comme l’amour.

585. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

Je vais donc exposer ici mes refléxions d’autant plus volontiers, qu’en fait de probabilité et de conjectures, on se voit refuter avec plaisir, quand on apprend dans une réponse des choses plus solides que celles qu’on avoit imaginées. […] Les beautez qu’on tire du nud dans les corps representez en action, n’avoient point été imaginées de personne. […] Les arcs triomphaux des romains n’étoient pas comme les nôtres des monumens imaginez à plaisir, ni leurs ornemens des embelissemens arbitraires qui n’eussent pour regles que les idées de l’architecte. […] On peut imaginer aussi avec quel soin ils donnoient à ceux qu’ils jugeoient capables d’exceller dans la sculpture l’éducation propre à perfectionner leur talent.

586. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Ces lettres de Bernis et de Duverney, qui n’ont rien de bien intéressant par le sujet, et qui ont été imprimées en 1790 avec les notes les plus ridicules et les plus impertinentes qu’on puisse imaginer, sont curieuses quand on les lit, comme je le fais, au point de vue de la biographie et de la connaissance des deux caractères. […] Mais, dans cette explication qui s’est tant de fois répétée depuis, rien n’est exact ; le grave Turgot a imaginé une cause gratuite, et si de petits motifs en effet contribuèrent à produire ces grandes calamités, Bernis du moins n’a point à rougir, pour sa part, d’en avoir introduit un aussi mesquin et aussi misérable que celui dont on l’accuse.

587. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Je puis facilement imaginer combien il a été peiné quand il a vu qu’à peine restait-il des ruines de Heidelberg. […] Elle tombe à ce sujet dans tout ce que peuvent imaginer aux jours de folie les plus grossières crédulités populaires : elle voit en Mme de Maintenon, même après la mort de Louis XIV et depuis qu’elle est ensevelie à Saint-Cyr, tantôt une accapareuse de blé, tantôt une empoisonneuse, experte dans l’art des Brinvilliers, une Gorgone, une incendiaire qui fait mettre le feu au château de Lunéville.

588. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

La famille Unwin se composait du père, de Mme Unwin, plus âgée que Cowper de sept ans, et qui devint pour lui comme une mère, du fils dont je viens de parler et d’une fille : Ce sont les plus aimables gens qu’on puisse imaginer, écrivait Cowper à un de ses amis dès les premiers temps de cette relation ; ils sont tout à fait sociables, et en même temps aussi affranchis que possible de toutes ces civilités cérémonieuses, ordinaires au monde comme il faut de province. […] Ce fut, si j’en excepte les vers, ce qui m’amusa le plus longtemps de tout ce que j’avais imaginé d’inventions et d’expédients de tout genre pour échapper au malheur de n’avoir rien à faire.

589. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Le pain surtout était l’inquiétude principale ; c’est à quoi Villars dut pourvoir tout d’abord et durant toute la campagne, il n’y avait pas de magasins, et les subsistances n’arrivaient qu’au jour le jour ; on n’en avait pas d’assurées pour deux journées à l’avance ; et ce n’était point la faute des intendants, mais le grain manquait par tout le royaume, et la famine n’était pas seulement dans l’armée : Imaginez-vous, écrivait Villars au ministre, l’horreur de voir une armée manquer de pain ! […] Écrivant à M. de Torcy et lui exprimant la situation dans toute sa nudité : « Je parle à un ministre, ajoutait-il, car aux autres je me fais tout blanc de mon épée et de mes farines. » Il était bien obligé de répandre des bruits faux et d’imaginer, ne fut-ce qu’à l’usage de l’ennemi, des arrivées de fonds ou de subsistances qui n’existaient pas : Je me vis donc réduit à payer de hardiesse, je dirais presque d’effronterie, avec cinquante mille hommes de moins que les ennemis, une petite artillerie de campagne mal traînée, mal approvisionnée, contre deux cents bouches à feu bien servies, et la frayeur perpétuelle de manquer de pain chaque jour.

590. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers. »

Vous ne pouvez imaginer, Madame, avec quel plaisir j’y reviens comme à mon élément naturel, et quelle jouissance j’éprouve à lire, muser et flâner au milieu des agréables sites qui m’entourent. Mais oui, vous pouvez aisément vous l’imaginer ; vous avez formé vous-même le même dessein ; vous étiez résolue, cet été, à renouer le Fil brisé de vos études et amusements littéraires.

591. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Quoique je susse que les Anglais étaient tristes, je ne pouvais m’imaginer que le séjour de leur capitale le fût au point où je l’a trouvé. […] Imaginez-vous que, depuis dix ans, je ne l’avais plus quitté, que nous passions nos journées ensemble : j’étais à côté de lui quand il travaillait, je l’exhortais à ne pas tant se fatiguer, mais c’était en vain : son ardeur pour l’étude et le travail augmentait tous les jours, et il cherchait à oublier les circonstances des temps en s’occupant continuellement.

592. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Dans cette suite de montagnes et de vallées qu’on traverse et qui ont leur grandeur, il rencontre dans la vallée du Chéliff un pays, un lieu extraordinairement aride et qui réalise bien l’idée d’une Afrique entièrement africaine (non pas Boghar plus connu, plus en vue, mais Boghari), qu’on découvre à main gauche en entrant dans la vallée, — un village perché sur un rocher, au fond d’un amphithéâtre désolé, mais flamboyant de lumière : « C’est bizarre, frappant ; je ne connaissais rien de pareil, et jusqu’à présent je n’avais rien imaginé d’aussi complètement fauve, — disons le mot qui me coûte à dire, — d’aussi jaune. […] La vallée du Chéliff, ou plutôt la plaine inégale et caillouteuse ravinée par le Chéliff, s’offre à nous avec son caractère d’aridité surprenante ; le peintre ici se montre tout à nu et nous rend le terrain dans sa crudité géologique, comme le ferait un Saussure qui saurait colorer aussi bien que dessiner : « Imagine (il s’adresse toujours à son ami) un pays tout de terre et de pierres vives, battu par des vents arides et brûlé jusqu’aux entrailles ; une terre marneuse, polie comme de la terre à poterie, presque luisante à l’œil, tant elle est nue ; et qui semble, tant elle est sèche, avoir subi l’action du feu ; sans la moindre trace de culture, sans une herbe, sans un chardon ; — des collines horizontales qu’on dirait aplaties avec la main ou découpées par une fantaisie étrange en dentelures aiguës, formant crochet, comme des cornes tranchantes ou des fers de faux ; au centre, d’étroites vallées, aussi propres, aussi nues qu’une aire à battre le grain ; quelquefois, un morne bizarre, encore plus désolé, si c’est possible, avec un bloc informe posé sans adhérence au sommet, comme un aérolithe tombé là sur un amas de silex en fusion ; — et tout cela, d’un bout à l’autre ; aussi loin que la vue peut s’étendre, ni rouge, ni tout à fait jaune, ni bistré, mais exactement couleur de peau de lion. » Après de telles pages, on n’a plus rien à demander au peintre pour le technique de son art : il s’est traduit en prose avec un ton égal à son objet.

593. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que je m’entendrai bien avec elle comme je m’entends avec Provence. » La Dauphine essaye donc de se faire une petite société gaie et jeune dans ce vaste ennui de Versailles ; elle se montre presque bourgeoise, ou du moins très naturelle dans les premières combinaisons qu’elle met en œuvre : « J’ai imaginé avec les femmes de mes deux beaux-frères de faire table commune, quand nous ne mangeons pas en public ; j’en ai fait la proposition à M. le Dauphin qui a trouvé la chose à son gré, et ainsi nous sommes toujours six à table au dîner et au souper. […] On va bientôt plus loin que les repas en commun ; on imagine, on complote de jouer la comédie entre soi.

594. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

J’imagine, pour accorder mon désir avec l’exactitude bien reconnue du narrateur, qu’ayant su par un témoin que la saignée au pied avait été difficile, il aura attribué cette difficulté à un reste d’embonpoint, tandis que la saignée au pied est quelquefois lente et pénible, même sans cette circonstance. […] Il est des douleurs tellement irrémédiables à la fois et fécondes, que, malgré la fragilité de notre nature et le démenti de l’expérience, nous nous obstinons à les concevoir éternelles ; faibles, inconstants, médiocres nous-mêmes, nous vouons héroïquement au sacrifice les êtres qui ont inspiré de grandes préférences et causé de grandes infortunes ; nous nous les imaginons comme fixés désormais sur cette terre dans la situation sublime où l’élan d’une noble passion les a portés. — Mais nous n’en étions qu’au départ de Rome.

595. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

La plupart s’imaginent que le plus léger sentiment d’une autre espèce altérerait ou effacerait l’amitié, qui leur semble le pis aller d’un cœur désœuvré. […] Si La Blancherie, qu’elle n’a plus d’occasion ordinaire de voir, se trouve à l’église, à un service funèbre de bout de l’an pour la mère chérie qu’elle a perdue : « Tu imagines, écrit la jeune fille à son amie, tout ce que pouvait m’inspirer sa présence à pareille cérémonie.

596. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

On se lance jusque dans des phrases qui semblent d’abord des niaiseries ; on parle « d’un chat qui fait la chattemitte », et « d’un saint homme de chat. » On imagine des épithètes héroïques à la façon d’Homère : « le chat grippefromage, triste oiseau le hibou, Rongemaille le rat, le milan porte-sonnette. » On change en dieux, à la façon des peuples primitifs, des conjonctions et des adjectifs. « Que-si que-non frère de la Discorde, avecque Tien-et-Mien son père. » On invente comme le peuple ces expressions hardies, étranges, qui faisaient dire à l’abbé d’Olivet qu’on fabrique plus de tropes en un jour à la halle qu’en un an à l’Académie. […] Car n’allez pas imaginer qu’un poëte naturel ne connaisse que les mots familiers et les tournures simples.

597. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

Quand l’émotion, au contraire, est extrême, exaltée, infinie sur les fibres sensitives de l’instrument humain, quand l’imagination de l’homme se tend et vibre en lui jusqu’à l’enthousiasme et presque jusqu’au délire, quand la passion imaginaire l’exalte, quand l’image du beau dans la nature ou dans la pensée le fascine, quand l’amour, la plus mélodieuse des passions en nous parce qu’elle est la plus rêveuse, lui fait imaginer, peindre, invoquer, adorer, regretter, pleurer ce qu’il aime ; quand la piété l’enlève à ses sens et lui fait entrevoir, à travers le lointain des cieux, la beauté suprême, l’amour infini, la source et la fin de son âme, Dieu ! […] Nous prêtions tour à tour l’oreille, et nous nous imaginions que c’étaient des esprits célestes qui chantaient.

598. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Ce grand convertisseur et manieur d’âmes sait bien que ni l’Évangile ni la vie selon l’Evangile ne sont choses plaisantes, et il faut ne l’avoir pas lu pour s’imaginer qu’il rende la dévotion aisée. […] Il affectait de ne voir en Malherbe qu’un regratteur de mots et syllabes ; il lui reprochait de faire de la poésie une coquette fardée : il s’imaginait que Ronsard et Desportes, c’était le beau naturel, facile et nu !

599. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Celui-ci s’englue à l’expression directe la plus vulgaire ; l’autre s’imagine y échapper, mais ce qu’il crée n’est pas un symbole, c’est une desséchante allégorie. […] Beaucoup d’artistes, même des plus récents, sans doute bouleversés par cette définition, s’imaginent au contraire devoir nettement conclure et veulent imposer leur idée à l’esprit confident en la précisant avec rigueur.

600. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

Voilà, j’imagine, ce que pouvait être, à de certains jours, le personnel d’un souper chez Mlle Le Couvreur, et il y en avait assurément en haut lieu de moins bien assortis que ceux-là. […] Il n’est pas difficile d’imaginer quelle était cette personne si attendue : le comte de Saxe revenait, à cette date, d’un de ses voyages de Courlande à Paris.

601. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Il y a des personnes peut-être qui s’imaginent qu’il suffit d’être riche, d’avoir un bon cuisinier, une maison confortable et située dans un bon quartier, une grande envie de voir du monde, et de l’affabilité à le recevoir, pour se former un salon : on ne parvient de la sorte qu’à ramasser du monde pêle-mêle, à remplir son salon, non à le créer ; et si l’on est très riche, très actif, très animé de ce genre d’ambition qui veut briller, et à la fois bien renseigné sur la liste des invitations à faire, déterminé à tout prix à amener à soi les rois ou reines de la saison, on peut arriver à la gloire qu’obtiennent quelques Américains chaque hiver à Paris : ils ont des raouts brillants, on y passe, on s’y précipite, et, l’hiver d’après, on ne s’en souvient plus. […] Je n’avais jamais aimé à être redressé auparavant ; maintenant vous ne pouvez vous imaginer combien j’y ai pris goût.

602. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Diderot échappe moins qu’un autre à ce reproche, et les tableaux qu’il voit ne sont le plus souvent qu’un prétexte et un motif à ceux qu’il refait et qu’il imagine. […] Puis tout à coup, à la fin, son secret, qui, deux ou trois fois pourtant, est venu au bout de sa plume, lui échappe, et ces paysages naturels auxquels il nous a fait assister se trouvent être tout simplement les toiles de Vernet qu’il s’est plu à imaginer ainsi et à réaliser sur place, se remettant dans la situation et dans l’inspiration même de l’artiste qui les composait.

603. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Il imagine un homme tout neuf et sans notions aucunes, dans une campagne où les animaux, les oiseaux, les poissons, les plantes, les pierres se présentent successivement à ses yeux. […] Après cela, je ne trouve pas chez lui une nouveauté ni une création d’expression aussi vive qu’il se pourrait aujourd’hui imaginer ; Chateaubriand à cet égard, et même Bernardin de Saint-Pierre, l’ont fait pâlir.

/ 1798