À la même époque, un Espagnol, doué de la plus riche imagination, connaissant les préceptes et les modèles de la scène antique, mais, comme il le disait lui-même, les tenant enfermés sous dix clefs, pour ne pas succomber à la tentation de suivre les uns et d’imiter les autres, s’était condamné à l’extravagance, pour plaire à sa nation, amoureuse de l’élévation démesurée des sentiments, de la pompe emphatique du langage, et de la complication fatigante des événements. […] Qu’ils y arrivent, et il sera temps alors pour nous de les combattre, de leur démontrer que ces règles contre lesquelles on se mutine, sont pourtant les seules bases sur lesquelles puisse être assis le système dramatique d’un peuple éclairé, et qu’elles sont elles-mêmes fondées sur les résultats de l’expérience, lentement convertis en axiomes ; qu’elles ne sont pas, comme on a l’air de le croire, des lois imposées à l’imagination par le caprice d’un vieux philosophe grec du temps d’Alexandre, et que l’auteur de la Poétique n’a pas plus inventé les unités, que l’auteur de la Logique n’a créé les syllogismes ; que ces lois, établies pour les intérêts de tous, font seules du théâtre un art, et de cet art une source d’illusions ravissantes pour le spectateur et de succès glorieux pour le poète ; qu’elles ont le double avantage d’élever un obstacle contre lequel le génie lutte avec effort pour en triompher avec honneur, et une barrière qui arrête l’invasion toujours menaçante de la médiocrité aventureuse ; qu’on peut quelquefois essayer de reculer les limites de l’art, et quelquefois même, comme a dit Boileau, tenter de les franchir, mais qu’il ne faut jamais les renverser ; et qu’enfin, il en peut être de la littérature comme de la politique, où quelques concessions habilement faites à la nécessité des temps, préservent l’édifice de sa ruine, et le rajeunissent, tandis qu’une révolution complète, renversant tout ce qu’elle rencontre, bouleversant tout ce qu’elle ne détruit pas, plaçant le crime au-dessus de la vertu, et la sottise au-dessus du génie, engloutit dans un même gouffre la gloire du passé, le bonheur, du présent, et les espérances de l’avenir. […] Ils savent que, dans les arts, la partie la plus noble de nous-mêmes veut autre chose que l’imitation de ce qui tombe sous nos sens ; que, dans la poésie particulièrement, l’âme et l’imagination demandent, pour aliment de leur dévorante activité, ces sentiments profonds et en quelque sorte infinis, dont la religion et l’amour sont les deux principales sources ; et que l’esprit même ne saurait être entièrement captivé qu’à l’aide de cet art délicat, qui consiste à ne pas arrêter avec trop de fermeté les formes de certains objets, et à étendre sur quelques autres un voile qui les laisse entrevoir ou seulement soupçonner. […] Parce que l’imagination aime à achever les tableaux qu’on lui présente, faut-il que des descriptions poétiques ressemblent à ces figures indécises et changeantes que les nuages offrent à nos yeux ? […] Faites apparaître les fées, les nécromants, les sylphes ; ces fictions, qui ne sont pas nouvelles pour nous, puisque les récits de Perrault en ont bercé notre enfance, peuvent avoir de la grâce et amuser l’imagination : mais ne prodiguez pas les revenants, les larves, les lamies, les lémures, les vampires, grossières créations de l’ignorance et de la peur.
Elle n’y prenait pas une place à part ; elle n’avait pas su attacher aux traditions religieuses et aux fêtes nationales quelques empreintes immortelles d’imagination et d’art, ; elle n’était pas entrée dans la vie des Romains, moins poétique et moins libre que celle des Grecs : et, si elle s’était mêlée parfois à ces œuvres artificielles du théâtre que Rome victorieuse chercha comme une distraction, elle n’avait eu, sous cette forme, qu’un rôle secondaire, dont le cadre même devenait difficile et rare sous le pouvoir absolu d’Auguste. […] Il en a reçu l’incrédulité aux Dieux et la négation de l’âme spirituelle, le culte de la matière et l’indifférence sur la vertu, toutes les croyances en un mot qui sont ennemies de l’enthousiasme et devraient éteindre l’imagination comme le cœur. […] Une imagination, égale peut-être à celle d’Homère, s’arrête captive dans les lacets subtils de la dialectique argutieuse qu’avait tissée l’oisiveté d’Athènes. […] Mais, loin de là, passant de l’incrédulité païenne à l’athéisme, ne décréditant les déités sans nombre dont l’imagination avait peuplé l’univers que pour nier aussi la divinité même de l’âme, que pour abaisser l’homme à la condition de la brute, n’accusant la superstition crédule et barbare que pour ôter en même temps au crime ses barrières et ses terreurs, Lucrèce s’est arraché lui-même la plus belle part de son génie. […] À quoi réduisez-vous vos imaginations et notre espérance ?
. — Contrecoup de la Révolution sur les imaginations françaises et étrangères. — Lebrun. — André Chénier. — Coleridge. — Génie anglais dans l’Inde. — L’évêque de Calcutta. […] Cette zone de la Tireur était inhabitable à l’imagination paisible. […] Toute cette ardeur d’indépendance, qui bouleversait la France de fond en comble, plaisait théoriquement à bien des imaginations en Europe. […] Par-là Coleridge, très admiré de son temps, surtout dans son pays, poëte extraordinaire plutôt que grand poëte, assorti dans sa maladie même aux imaginations effarées par la guerre et la Terreur, a p^ du dans l’estime d’une époque plus calme ; mais il est encore un témoin éclatant du passé, l’image d’une grande puissance exercée sur les âmes, l’exemple salutaire d’un retour à la justice et à la raison, inspiré par le spectacle même des abus de la force et des iniquités de la conquête. […] C’était un ministre protestant qui avait l’âme de Fénelon, et ce même goût d’antiquité, ce même attrait de culture élégante et d’imagination émue.
La vanité des hommes supérieurs les fait prétendre aux succès auxquels ils ont le moins de droit ; cette petitesse des grands génies se retrouve sans cesse dans l’histoire ; on voit des écrivains célèbres ne mettre de prix qu’à leurs faibles succès dans les affaires publiques ; des guerriers, des ministres courageux et fermes, être avant tous flattés de la louange accordée à leurs médiocres écrits ; des hommes, qui ont de grandes qualités, ambitionner de petits avantages : enfin, comme il faut que l’imagination allume toutes les passions, la vanité est bien plus active sur les succès dont on doute, sur les facultés dont on ne se croit pas sûr ; l’émulation excite nos qualités véritables ; la vanité se place en avant de tout ce qui nous manque ; la vanité souvent ne détruit pas la fierté ; et comme rien n’est si esclave que la vanité, et si indépendant, au contraire, que la véritable fierté, il n’est pas de supplice plus cruel, que la réunion de ces deux sentiments dans le même caractère. […] L’imagination peut créer, embellir par ses chimères, un objet inconnu ; mais celui que tout le monde a jugé, ne reçoit plus rien d’elle. […] D’ailleurs, la femme qui, en atteignant à une véritable supériorité, pourrait se croire au-dessus de la haine, et s’élèverait par sa pensée au sort des hommes les plus célèbres ; cette femme n’aurait jamais le calme et la force de tête qui les caractérisent ; l’imagination serait toujours la première de ses facultés : son talent pourrait s’en accroître, mais son âme serait trop fortement agitée, ses sentiments seraient troublés par ses chimères, ses actions entraînées par ses illusions ; son esprit, pourrait mériter quelque gloire, en donnant à ses écrits la justesse de la raison ; mais les grands talents, unis à une imagination passionnée, éclairent sur les résultats généraux et trompent sur les relations personnelles.
. — Par cet artifice, nous atteignons au même effet qu’une créature douée d’une mémoire et d’une imagination indéfiniment plus nettes et plus vastes que les nôtres. […] Grâce à des séries de remplacements superposés, nous pouvons nommer et partant penser certaines propriétés abstraites particulières aux groupes, propriétés que la limitation naturelle de notre imagination et de notre mémoire semblait nous empêcher pour toujours de penser, c’est-à-dire de nommer. […] En d’autres termes, un caractère abstrait, noté par les premiers mots, a été uni à un autre caractère abstrait, noté par les seconds mots, et le composé total, ainsi fabriqué, désigne une chose nouvelle, que nos sens n’atteignent pas, que notre expérience ne rencontre pas, que notre imagination ne sait pas tracer. […] À cela se réduit notre conception du temps infini et de l’espace infini. — Mais le fruit est le même que si le champ de notre imagination, infiniment étendu, pouvait nous présenter à la fois toute la ligne infinie qu’on nomme le temps, ou l’étendue infinie en trois sens qu’on nomme l’espace.
Je crois la voir donner la main à Mme Dacier, cette autre Clorinde de la naïve érudition d’antan Mlle de Montpensier est une héroïne de Corneille, très fière, très bizarre et très pure, sans nul sentiment du ridicule, préservée des souillures par le romanesque et par un immense orgueil de race ; qui nous raconte, tête haute, l’interminable histoire de ses mariages manqués ; touchante enfin dans son inaltérable et superbe ingénuité quand nous la voyons, à quarante-deux ans, aimer le jeune et beau Lauzun (telle Mandane aimant un officier du grand Cyrus) et lui faire la cour, et le vouloir, et le prendre, et le perdre Le sourire discret de la prudente et loyale Mme de Motteville nous accueille au passage Mais voici Mme de Sévigné, cette grosse blonde à la grande bouche et au nez tout rond, cette éternelle réjouie, d’esprit si net et si robuste, de tant de bon sens sous sa préciosité ou parmi les vigoureuses pétarades de son imagination, femme trop bien portante seulement, d’un équilibre trop imperturbable et mère un peu trop bavarde et trop extasiée devant sa désagréable fille (à moins que l’étrange emportement de cette affection n’ait été la rançon de sa belle santé morale et de son calme sur tout le reste) A côté d’elle, son amie Mme de La Fayette, moins épanouie, moins débordante, plus fine, plus réfléchie, d’esprit plus libre, d’orthodoxie déjà plus douteuse, qui, tout en se jouant, crée le roman vrai, et dont le fauteuil de malade, flanqué assidûment de La Rochefoucauld vieilli, fait déjà un peu songer au fauteuil d’aveugle de Mme du Deffand Et voyez-vous, tout près, la mine circonspecte de Mme de Maintenon, cette femme si sage, si sensée et l’on peut dire, je crois, de tant de vertu, et dont on ne saura jamais pourquoi elle est à ce point antipathique, à moins que ce ne soit simplement parce que le triomphe de la vertu adroite et ambitieuse et qui se glisse par des voies non pas injustes ni déloyales, mais cependant obliques et cachées, nous paraît une sorte d’offense à la vertu naïve et malchanceuse : type suprême, infiniment distingué et déplaisant, de la gouvernante avisée qui s’impose au veuf opulent, ou de l’institutrice bien élevée qui se fait épouser par le fils de la maison ! […] Mais vous, je vous salue et vous aime par-dessus toutes vos compagnes, sans réserve ni mauvaise humeur, ô George Sand, jardin d’imagination fleurie, fleuve de charité, miroir d’amour, lyre tendue aux souffles de la nature et de l’esprit ! […] Mais pourquoi, si quelques-unes ont été, par l’imagination et surtout par le cœur, de grands poètes, n’en voyons-nous point qui l’aient été par la forme ? […] Jacquinet répond à la première de ces questions dans sa substantielle préface : Peut-être peut-on se demander si la beauté solide et constante de langage des vers, par tout ce qu’il faut au poète, dans l’espace étroit qui l’enserre, de feu, d’imagination, d’énergie de pensée et de vertu d’expression pour y atteindre, ne dépasse pas la mesure des puissances du génie féminin, et si véritablement la prose, par sa liberté d’expression et ses complaisances d’allure, n’est pas l’instrument le plus approprié, le mieux assorti à la trempe des organes intellectuels et au naturel mouvement de l’esprit chez la femme, qui pourtant, si l’on songe à tout ce qu’elle sent et à tout ce qu’elle inspire, est l’être poétique par excellence et la poésie même.
L’image du beau, ainsi que celle de la vertu est gravée au fond de nos cœurs ; il n’appartient qu’à nous de la contempler sans cesse ; voilà la véritable jouissance de l’ame, & le plaisir inaltérable ; aussi les gens de Lettres sçavent trouver en eux-mêmes une satisfaction douce & continue, qui n’agite point le cœur, qui ne réfroidit point l’imagination, tandis que les autres hommes jamais détrompés, embrassent dans une volupté passagere un phosphore brillant qui se dissipe. […] Alors dans les vastes pensées d’une sublime méditation, le livre antique lui tombe des mains, le soufle inspirateur se répand dans son ame, son cœur s’échauffe ; son imagination s’allume, un frémissement délicieux coule dans ses veines, l’enthousiasme le saisit ; sur des aîles de feu, son esprit s’élance, il franchit les limites du monde, il plane au haut des Cieux : là, il contemple, il embrasse la vertu dans sa perfection, il s’enflamme pour elle jusqu’au ravissement & à l’extase, je vois son front riant tourné vers le Ciel, des larmes de joie coulent de ses yeux, l’amour sacré du genre humain pénetre son cœur d’une vive tendresse, son sang bouillonne ; la rapidité de ses esprits entraîne celles de ses idées ; c’est alors qu’il peint avec sentiment, qu’il lance les foudres d’une mâle éloquence, qu’il crée ces chefs-d’œuvres l’admiration des siécles ; il donne l’ame, la vie, ou plutôt il embrâse tout ce qu’il touche. […] Active imagination, tu es la source & la gardienne de nos plaisirs ; ce n’est qu’à toi que nous devons l’agréable illusion qui nous flatte ; tu sçais fournir à notre cœur les plaisirs dont il a besoin ; tu rappelles nos voluptés passées, & tu nous fais jouir de celles que l’avenir nous promet ; tu plais sur-tout à l’esprit ; c’est ta flamme subtile & légere qui colore & les Cieux & la terre & les Mers ; sans toi l’ame se refroidit, la fleur la plus précieuse de notre sensibilité tombe, se fanne, & tous les charmes de la vie disparoissent ; tu distingues dans les Arts celui qui est né avec du génie ; la pensée la plus profonde s’évanouit, si elle n’est revêtue de tes couleurs ; tu as peut-être découvert plus de vérités que la raison même, car tu joins la force à l’agrément, la persuasion à l’autorité ; tout ce qui est vif, délicat, riant est de ton ressort ; oui, tu es le miroir heureux où se peignent, se multiplient, s’embellissent tous les objets de la Nature. Aimable imagination, souveraine de nos esprits, dès qu’on se livre à ton vol enchanteur, l’infortune fuit, les rayons de l’espérance dorent la perspective du bonheur ; l’homme de génie échauffé par toi, se trouve dans son malheureux destin au-dessus de ses revers, & même il les oublie ; il porte en lui un trésor que ne peut lui arracher la Fortune : Animé d’un feu céleste, il exerce sa pensée, elle se repose sur les objets les plus sublimes ou les plus rians, & l’image de ses maux est effacée.
L’œil s’allume, s’éteint, languit, s’égare, se fixe ; et une grande imagination de peintre est un recueil immense de toutes ces expressions. […] Dans une imagination forte, dans les auteurs, dans les nuages, dans les accidents du feu, dans les ruines, dans la nation où ils ont recueilli les premiers traits que la poésie a ensuite exagérés. […] Un poète est un homme [d’une imagination forte] qui s’attendrit, qui s’effraye lui-même des fantômes qu’il se fait. […] Le païen, au contraire, à chaque fois qu’il les retrouvait dans un poète, rentrait d’imagination dans un temple, revoyait le tableau, se rappelait la statue qui les avait fournies.
restée : « Littérature facile », il n’entendait parler que des inventions de ce temps-là, que des compositions dans lesquelles cependant l’imagination s’efforçait de tenir sa place encore ; mais assurément il ne prévoyait pas que, grâce à toutes sortes de circonstances, une littérature plus facile que celle qu’il déshonorait de ce nom éclorait au sein de la première, déjà si aisément épanouie, et la panacherait du foisonnant éclat de ses facilités nouvelles ! […] Mentir supposerait l’imagination qu’on n’a plus, et dont on peut très bien se passer, du reste, puisque la question, l’unique question n’est plus que de décrire, de décrire jusqu’à la plus extrême minutie, et qu’en matière de livres la peinture, l’envahissante peinture a tout remplacé. […] du loisir, de la vanité et de l’imagination impuissante essayant de se frotter à tous les objets pour se féconder, il y a par hasard un seul livre qui ait, lui, sa physionomie, ce n’est pas, soyez-en certain ! […] Il ne se vante pas d’être un observateur à forcer toute confiance, il ne tient pas à regarder de près les choses, aimant mieux observer mal que de ne pas respecter l’imagination en lui.
Et, en effet, le caractère de ces lilliputiennes comédies, c’était la faculté très inattendue, dans un journal très hardi et qui, comme un postillon de noce, n’avait pas peur de verser dans toutes les ornières, de se risquer avec une grâce incomparablement audacieuse et… heureuse sur les bords les plus glissants de cet abîme de l’indécence qui fait tourner la tête aux imaginations pudiques, et de se retenir… et de n’y tomber jamais… Est-ce assez rare, cela ? […] Elle lui a donné trop de rivales dans l’imagination du lecteur. […] Anxiétés, jalousies, fatigue, désillusion, ennui, ridicules, tout est ici, mais sous un voile de poésie jeté sur tout par une imagination ravissante, et c’est bien le mot, car elle nous ravit aux cruautés de cette comédie du mariage comme nous autres hommes la comprenons et l’écririons. […] Qu’elle entre plus ou moins bien dans les combinaisons plus ou moins usées du théâtre, elle n’en a pas moins pour moi l’observation, l’imagination et le style avec lesquels, quand l’art du théâtre subsistait encore, on faisait la comédie autrefois !
Enfin, si elle cite toujours avec orgueil et louange le beau nom de M. de Chateaubriand, elle a trop de circonspection, de sagesse et d’amour du vrai en lui-même pour suivre dans ses déportements d’éloquence et d’imagination cet aventureux génie89. […] Si la diction, dans sa gravité, a parfois des formules un peu ternes et des pesanteurs, une imagination noble et sévère vient à propos la relever, l’éclaircir et lui prêter un lustre vrai qui ajoute à la solidité. […] Or, c’est là le point remarquable, ne pouvant résoudre ses doutes directement, ni par la logique ni par la conscience, il s’en tirait à l’aide de l’imagination ; il se figurait en idée un grand spectacle, une représentation lugubre de ce que serait le châtiment du sacrilége, et, reculant bientôt épouvanté, il criait non de toutes ses forces à cette loi sanglante qu’il avait presque invoquée d’abord sous sa forme abstraite.
Un homme, un poète, un Juif aussi, réussi comme un Juif lorsqu’ils sont réussis : Henri Heine a parlé dignement de Lessing, avec cette imagination charmante qui fait de la vérité, sans la fausser et sans même l’atteindre, une chose belle comme une illusion. […] Ne comparons pas à l’imagination orientale de l’auteur de Nathan le Sage et d’Émilia Galotti, l’imagination un peu bourgeoise de l’auteur du Fils naturel et du Père de famille.
Il nous a expliqué un titre sur lequel l’imagination rêve pour se tromper ; car ce titre ne dit pas nettement ce qu’il veut dire, contrairement au devoir d’un titre, qui est tenu d’être transparent comme un cristal. […] Quand la politique se lève, — (l’auteur écrivait en 1849), — l’imagination se couche ; c’est l’heure d’éteindre sa lumière, et de couvrir son foyer. […] Imagination spirituelle, et cela dans une époque où le talent, le lyrisme dans le talent, existait à haute dose, mais où l’esprit n’était pas la faculté la plus commune et la plus formidable, Jules Lefèvre frappait aussi par une sensibilité qui n’était ni la molle des uns ni la maladive des autres, et qu’il avait trempée, pour lui donner du ton, dans les sources amères et sombres de la poésie anglaise.
Mais ici, dans Émaux et Camées, quoique le titre du livre indique, avec une précision coupante, la préoccupation matérielle de cette imagination objective, le poète n’est déjà plus matérialiste au même degré. […] Ses Émaux et Camées, tous ces bijoux qui devaient défier, dans leur tranquillité sévère, l’imagination microscopique qui les admire, ont parfois la vibration fougueuse de disques lancés, et sont teints de sang comme des flèches. […] En vertu de ses consanguinités d’imagination, le poète d’Émaux et Camées chante l’Amour, ce sujet de poésie éternelle, sur lequel il n’y a pas de cant à faire, et jusqu’ici non plus il ne l’avait jamais chanté d’un accent si vrai et, disons-le, si pur.
Quoique dans l’introduction qui précède son livre il nous dise, vers la fin : « La conspiration que j’ai rapportée est une conspiration vraie, aussi vraie que la conspiration du général Malet », ce qui est peut-être trop vite dit et pas assez prouvé, et, quoique l’imagination, beaucoup plus intéressée à ce roman d’une conspiration qu’elle ne le serait à une histoire, veuille bien accepter, sans le chicaner, ce qu’affirme si brièvement l’auteur, cependant il reste toujours, non pas uniquement l’embarras de savoir où le personnage historique finit et où le personnage inventé commence, mais il reste encore — et c’est autrement important — que tous les personnages de l’action sont tous vus de par dehors, comme les personnages d’une histoire, au lieu d’être vus de par dehors et de par dedans tout ensemble, comme doivent être vus tous les personnages d’un roman, dont l’auteur peut approfondir à son gré ou idéaliser les caractères, puisqu’il les a lui-même inventés ! […] … Ce Rochereuil et cet abbé Goujet, ces figures de premier plan, ont-ils une individualité qui leur appartienne, qui émeuve l’imagination et qui s’impose à la mémoire ? […] L’auteur du Roman d’une conspiration n’a pas tiré de la foule de tous les conspirateurs qui mettent leur vie au jeu, et bravement l’y laissent, ce Goujet, et surtout ce Rochereuil, qu’il fallait marquer d’un signe à part, — comme ce Redgauntlet, par exemple, qui est aussi un conspirateur, et que le génie de Walter Scott a marqué, pour que l’imagination le revoie toujours dans ses rêves, de ce fer à cheval sur le front, signe du malheur de toute une race, qui perd toutes les causes pour lesquelles elle combat, sans que jamais son courage faiblisse sous le poids de cette sombre et désespérante fatalité !
Il était depuis longtemps connu par des écrits d’un talent tempéré, mêlé dans un dosage savoureux d’imagination et de science. […] À travers la fumée des usines et des locomotives, j’ai entrevu, pour les curiosités du savoir, quelques antiquités sur les bords de l’Ohio et sur le plateau mexicain ; pour les plaisirs de l’imagination, une poétique nature, la chute du Niagara, les palmiers des Tropiques. » Chateaubriand nous en avait donné quelque idée… N’importe ! […] » Et il ajoute, une page plus loin, avec une sérénité compatissante : « Les grands nombres étonnent toujours l’imagination, quels que soient les individus qui les composent, quand même ces individus sont des cochons. » Il n’y a que le nombre des sots qui n’étonne jamais… À cette exception près, Ampère, qui est certainement un homme d’esprit, a complètement et peut-être ici trop raison.
Il nage en imagination sur son fleuve d’or. […] Avec le même élan, Jefferson se lance dans les imaginations de tout genre. […] Ils s’épargnent ainsi la peine de voyager en imagination dans le temps et dans l’espace, ce qui les accommode fort, car ils n’aiment pas la peine et n’ont guère d’imagination. […] Si ondoyante que soit la nature, cette imagination l’est autant. […] Là-dessus l’imagination se donne carrière ; le lecteur va voir le chemin qu’elle a fait.
Il a une imagination, une verve bouffonne, une puissance créatrice incomparables ; mais il n’a point de caractères, et si son coloris est plein d’éclat, son burin est sans pénétration257. […] Shakespeare, plus grand dans la tragédie que dans la comédie, parce que la première comporte mieux les fantaisies de l’imagination, et que la seconde doit ressembler davantage à une peinture265, Shakespeare ne met presque jamais la vie réelle sur la scène comique266.
Oser cela, c’est être sûr de soi, c’est avoir la conscience d’une maîtrise, c’est affirmer tout au moins que, venant après Leconte de Lisle et après M. de Heredia, on ne faiblira pas en un métier qui demande, avec la splendeur de l’imagination, une certaine sûreté de main. […] On connaît l’Aventurier, le Prince d’Avalon, les Voix impérissables et d’autres encore, d’une imagination puissante, d’une fougue concise et d’une précieuse matière verbale.
Tout cela me paraît beau tel que c’est ordonné, combiné, et affreux dès que cela est transposé, dérangé par l’imagination humaine. […] Esclave d’une imagination fantasque et brouillonne qui voit et ne voit plus, marche et danse, cause et crie tout à la fois ! […] pour le coloriste des Orientales qui éblouit notre imagination ! […] Au lieu de créer, l’imagination de l’homme fait n’a pu aller au-delà de l’imagination de l’enfant qui brise ses poupées et transforme tout en mutilant tout. […] L’invention, l’imagination, comme on le voit, ont un bien petit rôle ; tout est dans l’induction.
M. de Chateaubriand, du moins, est une exception ; lui, il est, comme on le dit des rois, hors de page, il a ses licences, comme un enfant gâté de la France, comme le fils le plus brillant et le plus cher à la fantaisie de tous et à l’imagination nationale. […] Lacordaire a d’ordinaire de l’éclat, de l’imagination, du talent, mais un esprit peu judicieux, des rapprochements historiques forcés qui seraient plutôt saint-simoniens que chrétiens, toute l’emphase du jour : sa parole lui échappe souvent, et il ne la gouverne pas.
Parce que le moi est la réalité la plus immédiatement saisissable, la plus nettement déterminée (en apparence du moins), non par vanité seulement, elle s’y attache, elle s’y replie, et dans ce qui frappe ses sens, comme dans ce qu’atteint sa pensée, elle tend naturellement à chercher surtout les relations et les manifestations du moi : n’excédant guère la portée des sens ou du raisonnement, cherchant une évidence pour avoir une certitude absolue, dogmatique et pratique à la fois, objectivant ses conceptions, et les érigeant en lois pour les traduire en faits : sans imagination que celle qui convient à ce caractère, celle qui forme des enchaînements possibles ou nécessaires, l’imagination du dessin abstrait de la vie, et des vérités universelles de la science.
Il eut, du poète, le don d’imagination et, du romancier, l’esprit d’observation. […] À l’origine, le poète prédomina un peu, puisque, dans l’aube rose de l’adolescence, il est naturel que l’imagination surtout fermente, flambe, fleurisse, feu et fleurs !
On remarque dans ces derniers une beauté où l’imagination des artisans qui ne les avoient point vûs, ne pouvoit pas atteindre. […] Souvent leur imagination la gâte au lieu de la perfectionner.
L’idée generale de l’ouvrage a pris son assiete, pour ainsi dire, dans l’imagination ; car il faut qu’une telle idée y demeure quelque-temps avant que d’y bien prendre sa place. […] Un curieux d’architecture n’examine une colonne, et il ne s’arrête sur aucune partie d’un palais, qu’après avoir donné le coup-d’oeil à toute la masse du bâtiment, qu’après avoir bien placé dans son imagination l’idée distincte de ce palais.
Trois espèces de natures Maîtrisée par les illusions de l’imagination, faculté d’autant plus forte que le raisonnement est plus faible, la première nature fut poétique ou créatrice. […] Du reste, la nature des premiers hommes était farouche et barbare ; mais la même erreur de leur imagination leur inspirait une profonde terreur des dieux qu’ils s’étaient faits eux-mêmes, et la religion commençait à dompter leur farouche indépendance.
Il énumère tous les traits d’une merveilleuse ressemblance, qui n’existe probablement que dans son imagination. […] En 1832, M. de Lamartine passait à Marseille, prêt à commencer ce voyage en Orient d’où son cœur devait rapporter tant de douleurs et son imagination tant de nuages. […] Mercier a raison les poëtes, ou, si l’on veut, les hommes d’imagination, seront toujours, je le crains, de fort médiocres maris. […] Il faut avoir entendu des contemporains, jeunes alors et d’une imagination sensible à la gloire, pour se faire quelque idée de cette apothéose ! […] C’est alors que le roman se faisait complice des passions les plus paradoxales et traduisait en récriminations éloquentes la souffrance ou l’orgueil des imaginations révoltées.