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519. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

Dans ces temps d’effroi, les hymnes durent être animées par l’imagination et respirer l’enthousiasme ; car l’homme aux prises avec la nature conçoit des idées plus grandes par la vue de sa faiblesse même ; alors tout s’exagère à ses yeux ; ses expressions s’élèvent avec ses idées, il peint tout avec force, il emprunte de toute la nature des images pour louer celui à qui la nature est soumise. […] Tout ce qui vit, tout ce qui rampe, tout ce qui existe de mortel sur la terre, nous naquîmes de toi, nous sommes de toi une faible image ; je t’adresserai donc mes hymnes, et je ne cesserai de te chanter.

520. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIII. Éloges donnés aux empereurs, depuis Auguste jusqu’à Trajan. »

Ovide qui, après la mort de cet Octave qu’il devait abhorrer, lui consacra un éloge funèbre en vers gètes, lui dressa une chapelle, lui composa des hymnes, et allait tous les matins encenser son image, pour que l’odeur de l’encens parvînt au Capitole, à cet autre tyran nommé Tibère ! […] Non seulement vos yeux doivent être secs, mais vous devez même laisser éclater votre joie24. » Et plus bas : « Votre frère est heureux ; en mourant, il a laissé Claude, son auguste famille, et vous-même sur la terre. » Et ailleurs : « Je ne cesserai de vous offrir l’image de Claude.

521. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVII. De l’éloquence au temps de Dioclétien. Des orateurs des Gaules. Panégyriques en l’honneur de Maximien et de Constance Chlore. »

Il semble que ces hommes eussent voulu s’agrandir eux-mêmes, en proportion de l’univers auquel ils commandaient49 ; mais malgré leurs efforts, condamnés à n’être que des hommes, ils agrandissaient leurs images, et tout ce qui semblait faire partie d’eux-mêmes. C’est à la même idée que tenait l’apothéose de leurs prédécesseurs ; la fantaisie de se faire adorer de leur vivant ; les temples qu’on leur élevait dans toutes les parties de l’empire ; la multitude énorme de statues d’or et d’argent, de colonnes et d’arcs de triomphe ; le caractère sacré imprimé à leurs images et jusqu’à leurs monnaies ; le titre de seigneur et de maître que Tibère même avait rejeté avec horreur, et qui fut commun sous Domitien ; la formule des officiers de l’empereur, qui écrivaient, voici ce qu’ordonne notre Seigneur et notre Dieu 50 ; et quand les princes, par les longs séjours et les guerres qui les retenaient en Orient, furent accoutumés à l’esprit de ces climats ; la servitude des mœurs, l’habitude de se prosterner, consacrée par l’usage et ordonnée par la loi.

522. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Sous les différences d’images individuelles persiste une seule conception de « la femme ». […] La portée morale d’une œuvre dépend moins des préceptes qui y sont formulés que de l’image de la vie qui y est contenue. […] Il faut en outre être prédisposé à traduire ses idées en images. […] Dimanche dernier, je crains que le choix de son texte, d’un texte qui était une image, ne lui ait nui. […] A la fin, on distribue des objets de sainteté, de petites images, des crucifix.

523. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Il ne dit pas, je le répète : « Voici des mots, faites-en de la vie, des images, des gestes, du mouvement, de l’action !  […] La scène du théâtre se propose à lui comme l’argile au modeleur, la pierre ou le bois au tailleur d’images. […] Certes, faisant image, l’antithèse force l’attention ; mais autre chose est d’en user en respectant la vraisemblance, autre chose d’en abuser au mépris du simple bon sens. […] Des images ? […] Un public fouetté par les mots et qui prend les mots pour des choses, ébloui par les images et qui les prend pour des êtres.

524. (1923) Nouvelles études et autres figures

Aussitôt l’illustre Boiteux modela avec de la terre l’image d’une vierge pudique. […] D’autres images sont empruntées aux habitudes de la vie quotidienne et au parler populaire. […] D’image en image, le tableau s’organise. […] Son cerveau est constitué de telle façon que toutes les images y organisent immédiatement des comédies. […] Ils sont quelquefois rocailleux, obscurs, bourrés de chevilles, d’inversions pénibles, de répétitions de mots, d’images forcées.

525. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Qui fait ce tri parmi les images conservées ? […] La conscience obtient une image défigurée et vague du monde extérieur. […] Il enrichit leur mémoire de sons, non d’images nettement dessinées de la réalité. […] Il songe constamment à la luxure, et son esprit est incessamment empli d’images libidineuses. […] Où est l’effet sonore du mot, quand il est murmuré sourdement ou n’est visible que sous forme d’image écrite ?

526. (1924) Critiques et romanciers

Une image, si l’on redoute le mot de symbole, remplace une description. […] Anne Comnène est l’image d’une idée que les hasards n’ont pas favorisée. […] En rapetissant les choses, il s’était efforcé d’en obtenir une image nette. […] Et il faut donc que l’image soit une création. […] Une image sur un miroir dépend de l’objet qui se reflète, et aussi du miroir : mais l’âme d’un artiste, si elle est un miroir, est un miroir qui compose, arrange et colore l’image.

527. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Dans ce garçon, fait à l’image de M.  […] C’en est une image, reflétée dans le plus puissant cerveau de philosophe, mais une image. […] Ce ne sont même plus des images, c’est la concrétion même de l’objet. […] En outre, ne procéder que par images, c’est se refuser à l’analyse intime. […] Il veut que ces images soient concrètes.

528. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

de lui emprunter ses cérémonies, ses images, la sanction terrible ou consolante de ses mystères et de ses dogmes ? […] À force de se plonger en lui, de renier et d’anéantir tout ce qui n’est pas à son image, elle finira par se croire, non plus une émanation, mais une partie intégrante, essentielle, absolue, de la Divinité. […] Eh bien, avec ces éléments si simples, l’auteur du Cousin Pons a trouvé moyen de promener son réalisme sur les images les plus dégoûtantes. […] Là nous le retrouvons avec une partie de son ancienne puissance : c’est encore la même vigueur de tons, la même richesse d’images, la même fécondité de métaphores et d’analogies. […] C’est sur cette image que nous voulons, en finissant, nous reposer de nos fatigues et de nos rigueurs : nous ne trouvons pas d’autre circonstance atténuante à ce livre des Contemplations.

529. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

M. Selwyn Image a fait la première de quatre conférences sur l’art moderne, devant un auditoire select et distingué. […] M. Image est une loyauté absolue, mais ce fut son plus grand défaut pour une certaine partie de l’auditoire. […] M. Image extrêmement suggestive. […] C’est chose mauvaise pour un siècle que de regarder sans cesse dans l’art pour y trouver son image. […] Swinburne est le plus limité dans ses images ?

530. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

L’image ! l’image splendide, rayonnante, est à nous. Laissons aux vils prosateurs l’image sensée. Le vers, c’est la glorification de l’image et de l’adjectif, c’est le monde infini de l’infinie fantaisie ! […] Cette Revue de Paris est le vrai pays de Cocagne des images.

531. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Vivre, agir, si ce doit être dans un seul sens et avec méthode et de façon à tracer de nous sur la rétine d’autrui une image, c’est être composite et impur, c’est être un compromis. […] Comme je sentais que cela se trouvait en eux, je restais là, immobile, à regarder, à respirer, à tâcher d’aller avec ma pensée au-delà de l’image et de l’odeur. […] Je restais là, immobile, à regarder, à respirer, à tâcher d’aller, avec ma pensée, au-delà de l’image et de l’odeur. […] Comme je sentais que cela se trouvait en eux, je restais là immobile, à regarder, à respirer, à tâcher d’aller avec ma pensée au-delà de l’image ou de l’odeur. […] Mais elles avaient plutôt la propriété d’éveiller cet amour, de le porter à son paroxysme, qu’elles n’en étaient l’image.

532. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Oui, si par imaginer l’on entend exprimer des sentiments par des images. […] Ce que la morale révèle à la conscience sous la forme de préceptes, l’esthétique a pour but de le montrer aux sens sous la forme d’images. […] Chez les Grecs, les premières images taillées furent celles des personnes divines ; la poésie chantée, c’est la religion qui l’inspira. […] L’art ainsi entendu est un miroir grossier, et l’image qu’il présente, mille autres pourraient la reproduire avec autant de fidélité et aussi peu d’intérêt. […] Cette femme pourrait être un modèle d’atelier ; cependant, comme c’est un paysage qui est sur le chevalet, j’aime mieux voir en elle l’image du réalisme, d’autant plus qu’elle répond assez bien à l’image que je m’en fais.

533. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

L’œil y saisit sans peine les formes des objets et en rapporte une image précise. […] Elles y prendront l’habitude des images déterminées et nettes, et n’auront point le trouble vague, la rêverie débordante, la divination anxieuse de l’au-delà. […] Quant au premier éveil de la réflexion ils essayent de concevoir le monde, ils le font à l’image de leur esprit. […] On voit par les commentateurs et les scoliastes que le son et la mesure y tenaient une place aussi grande que l’idée et l’image. […] Le ruissellement des images va croissant, coupé à chaque pas de jets imprévus, de retours, de soubresauts, dont la témérité et l’énormité ne souffrent aucune traduction.

534. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

On peut étendre une image dans une phrase de cinq ou six vers, ensuite en renfermer une autre dans un ou deux. […] Le premier consiste à relever, à anoblir par des figures et à représenter par des images propres à nous émouvoir, tout ce qui ne toucherait pas s’il était dit simplement. […] Le style d’images est ce qui fait la différence de la poésie et de la prose ; il sert à exprimer les plus communes, d’une manière non commune ; il donne de la noblesse, de la grâce à tout. […] Il n’y a pas dix vers qui ne soient en sentiments ou en images. […] Les sujets champêtres font plaisir par les tableaux naïfs qu’ils nous présentent, et sont très susceptibles d’une musique gracieuse, par les images riantes dont ils sont ornés.

535. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Quelques-uns des vers écrits par lui à cette époque, pour une des cinq dames qui suivaient la princesse de Savoie, attestent que l’image de Léonora avait fait place à une autre image, qui n’éclairait pas seulement, mais qui consumait son cœur. […] « Je ne trouverai jamais d’éloquence, lui dit le Tasse dans ses billets, qui arrive à égaler votre tendre courtoisie pour moi, ni d’images qui puissent peindre votre modestie. » Le Tasse, protégé par tant de hautes influences à Naples, intenta un procès pour réclamer la dot considérable de sa mère, retenue par les oncles de Porcia, et cinq mille écus des propriétés confisquées de son père Bernardo Tasso. […] Le poète qui chante un de ces récits doit donc le chanter avec les accents et les images que la riche imagination lui prête ; mais il est tenu aussi à le chanter dans un mode sérieux, conforme à la réalité de la nature humaine à l’époque où il la met en scène, conforme surtout à la vérité des mœurs de ses héros ; en un mot, le poème épique, pour être national, humain, religieux, immortel, doit être vrai, au moins dans l’événement, dans la nation, dans le caractère et dans le costume de ses personnages. […] « Il y arrive, et voit du sein d’un rocher jaillir une onde claire et limpide, qui se précipite et roule avec un doux murmure sur un lit bordé de gazon : en proie à sa douleur, il s’arrête, il jette un cri ; l’écho seul y répond ; enfin l’aurore se lève, etc., etc. » Si l’on ajoute à cette situation et à ces images la mélodie évanouie des stances, trouvera-t-on dans Homère ou dans Virgile un plus délicieux contraste des champs de bataille et de la nature pastorale ? […] Jamais le sort, en effet, n’avait préparé aux poètes futurs une plus saisissante et plus éternelle image de la déception des pensées humaines, que dans ce triomphe où le triomphateur n’assistait que mort à sa victoire, et où la fortune, qui avait tenu si longtemps la couronne suspendue sur le front d’un grand homme, ne livrait cette couronne qu’à un tombeau !

536. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

De douces images traversaient de temps en temps son imagination. — Dans un de ses rêves il dit : « Voyez… voyez cette belle tête de femme… avec ses boucles noires… un coloris splendide… sur un fond noir… » À un autre moment, voyant sur le sol une feuille de papier, il demanda : « Pourquoi laisse-t-on par terre une lettre de Schiller ? […] Mais ces portraits sont si surprenants et si fortement dessinés qu’ils paraissent des créations et non des images. […] La paix se fait ; il profite de ses loisirs pour voyager en Suisse et en Italie, sur cette terre où les orangers fleurissent ; il y enrichit son cœur et son imagination des plus chères et des plus vives images. […] Il était accompagné d’une lettre de David renfermant ces passages : “Je vous envoie cette faible image de vos traits, non comme un présent digne de vous, mais comme le témoignage d’un cœur qui sait mieux éprouver des sentiments que les exprimer… Vous êtes la grande figure poétique de notre époque ; une statue vous est due : j’ai essayé d’en faire un fragment ; un génie digne de vous l’achèvera.” Goethe, très heureux de cet envoi, fit placer le buste dans la salle de la bibliothèque grand-ducale ; et, le 28 août, dernier jour anniversaire de sa naissance, on enleva solennellement le voile qui couvrait cette grandiose image où se révèle en même temps le génie du poète et du sculpteur.

537. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

La conversation va au Japon, aux impressions, aux images obscènes qu’il m’affirme ne plus venir en Europe, parce que, au moment où le pays a été ouvert aux étrangers, ils ont acheté ces images avec des moqueries et des mépris publics pour la salauderie des Japonais, et que le gouvernement a été blessé, a fait rechercher ces images, et les a fait brûler. Maintenant ces images ne seraient pas, comme on l’a cru jusqu’ici, des images à l’usage des maisons de prostitution, elles seraient destinées à faire l’éducation des sens des jeunes mariés ; et dans un volume, illustré par la fille d’Hokousaï, racontant le mariage et ses épisodes, on voit roulée près du lit des jeunes époux, une série de makimono qui doivent être une collection de ces images. […] L’un de nous se demande rêveusement, si les morts n’y laissent pas de leur image, revenant à de certaines heures.

538. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

» Image aussi naïve et aussi philosophique, selon moi, qu’aucune image d’Horace pour assigner leur rôle différent au printemps et à l’hiver des poètes ! […] La jeunesse s’ennuie, elle m’accueillera comme son image. […] Pardon de cette image, mais il ne s’en présente pas d’autre sous ma main pour peindre cet attrait mêlé de répulsion qui me saisit en lisant ces poésies renversées qui placent l’idéal en bas au lieu de le laisser où Dieu l’a placé, dans les hauteurs de l’âme et dans les horizons du ciel. […] Tu as été élevée sous ce règne terre à terre où la France de 1830, antichevaleresque et antilibérale tout à la fois, s’était fondu un trône à son image avec des rognures d’écus entassées dans ses coffres-forts, et où le matérialisme de la jouissance ne prêchait pour toute morale aux enfants de tels pères que le mépris de toute noble intellectualité ! […] Il te fallait un poète à l’image de ta politique ; car enfin les poètes sortent de terre comme en France sortent les soldats, quel que soit le parti qui frappe du pied cette terre féconde.

539. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

C’est plus tard que l’association entre le nom et l’image ou perception de l’objet s’est précisée, que l’image ou perception du père a appelé sur ses lèvres le son papa, que ce son prononcé par un autre a définitivement et régulièrement évoqué en elle le souvenir, l’image, l’attente, la recherche de son père. […] — Aujourd’hui, il a fait sur mes bras le tour de mon cabinet, regardant dans les passe-partout quantité de figures encadrées, et, à l’aspect de ces gravures, il a répété Bédames, pendant une demi-heure, avec l’accent vif et heureux de la découverte. — Il vient de dire plusieurs fois et plusieurs jours de suite Bédames, en voyant sa propre image dans le globe en cuivre poli de la lampe. — Jamais il ne dit ce mot devant une personne vivante ni devant un simple paysage sans figures. […] Un chat qui a été effrayé ou mordu une fois par un chien aboyant comprendra aisément le son et se sauvera, aussi bien que tout autre être qualifié de raisonnable180. » Seulement, s’il se sauve, c’est que, par association, l’aboiement évoque en lui l’image ou représentation sensible du chien qui s’élance et de la paire de crocs qui vont entrer dans sa peau.

540. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Après un rude hiver et trois mois de fâcheux temps, pendant lesquels on n’a pu faire charrois ni labours, l’année s’ouvre enfin, les travaux reprennent leur cours. » Ses paysans, ses vignerons, amoureux de la terre, laborieux, rudes et simples, ont une sorte de grâce robuste qui évoque l’image des laboureurs attiques de la Paix : et lui-même s’est composé son personnage à demi idéal de vigneron tourangeau, tracassier, processif et bonhomme, d’une façon qui rappelle le talent des logo-graphes athéniens à dessiner les figures de leurs clients. […] Chateaubriand apporta parfois à la tribune ses vastes images, le superbe étalage de son moi mélancolique. […] Le général Foy, sous un luxe d’images dont l’éclat a fané, et sous de grands mouvements dont l’accent paraît ampoulé aujourd’hui, cachait une remarquable force d’esprit, une rare audace d’invention oratoire qui se marquait surtout dans la position des questions : on peut voir, à propos du milliard des émigrés, avec quelle franchise d’attaque il établit son argumentation sur le terrain le plus dangereux. […] Il avait une rare puissance de raisonnement, une clarté et une précision de termes qui rappelaient les maîtres du xviie  siècle, une plénitude de développement qui saisissait les esprits ; et parfois son austère parole était illuminée de sobres images. […] Hugo déployait ses vastes images, assénait ses antithèses sentencieuses ; et sa volumineuse éloquence, abondante en grands effets et théâtralement machinée, soutenait des combats fréquents contre la parole unie et savante de Montalembert.

541. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Cinq ou six fois du moins, Vigny a su inventer, pour les idées les plus profondes et les plus tristes, les plus beaux symboles et les mythes les plus émouvants, et fondre de telle sorte la pensée et l’image que les objets sensibles sont, chez lui, tout imprégnés d’âme, que la forme précise et rare y est suggestive de rêves infinis, et que ses vers, signifiant toujours au-delà de ce qu’ils expriment, retentissent en nous longuement et délicieusement, y parachèvent leur sens et s’y égrènent en échos lents à mourir… Et c’est, comme vous savez, une poésie de cette espèce, plus libre seulement et plus fluide, mais pareillement évocatrice, que poursuivent les derniers venus de nos joueurs de flûte. […] Huysmans deux sentiments contradictoires en apparence : celui de la laideur des hommes et des choses et de l’impureté de la chair et de ses œuvres et, au fond, une complaisance pour cette laideur et un consentement à cette impureté, se trahissant par une sorte d’orgueilleuse virtuosité à les décrire et par la hantise non repoussée de leurs images. […] Nul peut-être n’a parlé de façon plus soutenue « le parisien » des dix dernières années ; nul n’en a mieux connu le vocabulaire, la syntaxe, les images, le ton, le geste, et ce que roule cette langue dans ses petits bouts de phrases inachevées et baroques, et les divers argots superposés qui y transparaissent. […] Les « voyants », du moins ceux du Midi, sont des gens qui « voient » mieux et plus nettement que nous, même les images de ce bas monde. […] Il songe : — Que l’image de Notre-Dame de Lourdes ait été uniquement créée par le désir de Bernadette, qu’importe ?

542. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

On lui avait appris à sentir et à parler en vers ; elle avait l’image dans les yeux, l’harmonie dans l’oreille, la passion en pressentiment dans le cœur, l’éclat dans l’esprit ; ses strophes peignaient, chantaient, pleuraient, brillaient comme les gazouillements poétiques de l’oiseau qui s’essaye au bord du nid à demi-voix, et dont on écoute en avril les notes futures. […] XVIII Mais les vers de jeunesse de madame de Girardin ont tout ce que l’atmosphère dans laquelle elle vivait comporte ; c’est de la poésie à demi-voix, à chastes images, à intentions fines, à grâces décentes, à pudeurs voilées de style. […] Pour moi, quand ma mémoire évoque ton image, Je te vois l’œil éteint par la veille et les pleurs, Sans couronne et sans lyre, et penchant ton visage             Sur un lit de douleurs. […] Sous les verts peupliers qui bordent nos prairies, Hier j’avais porté mes vagues rêveries ; J’écoutais l’onde fuir à travers les roseaux, Et debout, effeuillant le saule du rivage, J’attachais mes regards sur le cristal des eaux, Qui, du ciel étoilé réfléchissant l’image, La nuit sur le vallon répandait sa fraîcheur ; Et les vapeurs du lac dont j’étais entourée, D’un nuage céleste égalant la blancheur, Semblaient unir la terre à la voûte azurée. […] Mais jamais mon amitié réelle, constante et tendre ne souffrit de cette réserve ; et quand nous nous retrouverons dans la sphère des sentiments sans ombre et des amitiés éternelles, elle reconnaîtra qu’elle n’a laissé à personne, en quittant cette boue, une plus vive image de ses perfections dans le souvenir, une plus pure estime de son caractère dans l’esprit, un vide plus senti dans le cœur, une larme plus chaude et plus intarissable dans les yeux.

543. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Du reste, et c’est par là que je termine, j’ai déjà rapproché de Mirabeau l’auteur des Fleurs du mal, je le rapproche de Dante, et je réponds que le vieux Florentin reconnaîtrait plus d’une fois dans le poète français sa fougue, sa parole effrayante, ses images implacables et la sonorité de son vers d’airain. […] Le vers négligé, mou, le versus pedestris du dix-huitième siècle, qui convient si bien à la muse décrépite de l’abbé Delille et de ses imitateurs, n’est plus de mise dans un poème court destiné à frapper l’esprit des lecteurs par une succession rapide d’images intenses. […] Sa poésie, concise et brillante, s’impose à l’esprit comme une image forte et logique. Soit qu’il évoque le souvenir, soit qu’il fleurisse le rêve, soit qu’il tire des misères et des vices du temps un idéal terrible, impitoyable, toujours la magie est complète, toujours l’image abondante et riche se poursuit rigoureusement dans ses termes. […] Ils m’ont donc déjà compris lorsque j’ai cherché à indiquer le caractère de cette poésie abondante dans sa sobriété, de cette forme serrée où parfois l’image fait explosion avec l’éclat soudain de la fleur d’aloès.

544. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Je n’en peux citer davantage, parce que, partout, dans cette Tentation de saint Antoine, les images lascives et les gros mots obscènes abondent, et qu’où le livre, fait pour quelques-uns, peut avoir son audace, le journal, fait pour tous, doit avoir sa pudeur. […] Mais le génie, le tempérament, l’esprit, et surtout le comique, un comique immense, qu’il mêle à ces images, en diminuent le dégoût et le danger. […] Le système d’images qui se succèdent s’arrête dans une dernière image. […] Réduit maintenant à n’être plus que deux très petites choses, un imagier et un érudit qui a gratté des curiosités dans les livres pour les fourrer dans les siens, Flaubert se sera dit (l’imagier) que La Tentation de saint Antoine serait une bonne occasion pour peinturlurer des images ; et l’érudit, pour nous parler de l’encens du cap Gardefan, du silphium bon à mettre dans les sauces, du chalibon, le vin des rois d’Assyrie qu’on buvait dans une corne de licorne, du cassiteros de Tartessus, du bois bleu de Pandio, du cinnamome, du dadanon (quel dada !

545. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Un esprit merveilleux, brillant, en train de toute science et de toute diversion, cherchant jusqu’au miel des poëtes ; une parole éloquente et suave, un cœur généreux et magnifique, une âme ardente, impatiente, immodérée, épuisant la fatigue sans jamais trouver le repos, que rien ne pouvait combler, ressaisie d’une mélancolie infinie au sein des succès et des plaisirs ; que revenait obséder par accès l’idée de la mort, l’image de l’éternité, et qui, à un certain moment, rejetant ce qui n’était plus qu’incomplet pour elle, l’immolant au pied de la Croix, entra, comme dit son biographe, dans la haine passionnée de la vie. […] Le critique, quand il s’agit de M. de Chateaubriand, n’en est plus un ; il se borne à rassembler les fleurs du chemin et à en remplir sa corbeille ; c’était l’office, dans les fêtes antiques, de ce qu’on appelait le canéphore ; et même en cette histoire de cloître, si l’on nous passe l’image, c’est ainsi que nous ferons.  […] L’austérité extrême du sujet l’a rejeté d’autant plus vers les images voltigeantes. […] Mille serments couvrent le papier, où se reflètent les roses de l’aurore ; mille baisers sont déposés sur les mots qui semblent naître du premier regard du soleil ; pas une idée, une image, une rêverie, un accident, une inquiétude qui n’ait sa lettre.

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