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382. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

On pourrait dire — pour recourir à une autre image — qu’une émotion est dramatique, communicative, quand tous les harmoniques y sont donnés avec la note fondamentale. […] Quand nous avons traité du comique des formes et du mouvement, nous avons montré comment telle ou telle image simple, risible par elle-même peut s’insinuer dans d’autres images plus complexes et leur infuser quelque chose de sa vertu comique : ainsi les formes les plus hautes du comique s’expliquent parfois par les plus basses. […] Presque aussitôt, l’image d’un moulin à vent vous revient à l’esprit : c’est un moulin à vent que vous avez devant vous. […] A qui n’est-il pas arrivé de voir la même image reparaître dans plusieurs rêves successifs et prendre dans chacun d’eux une signification plausible, alors que ces rêves n’avaient pas d’autre point commun ? […] Mais se détacher des choses et pourtant apercevoir encore des images, rompre avec la logique et pourtant assembler encore des idées, voilà qui est simplement du jeu ou, si l’on aime mieux, de la paresse.

383. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Mais il n’en est point dont on ne puisse faire un bon emploi : c’est à vous qui écrivez de les bien choisir, de bien les tourner, de bien les entourer, et, déterminés dans leur sens, limités dans les idées et les images qu’ils évoquent, ils vaudront en somme ce que vaudra votre pensée. […] Mais la chose est délicate, et il faut être bien maître de la langue pour réduire chaque mot à l’emploi qu’on lui assigne : autrement l’expression rebelle lâche au travers de la phrase et de l’idée des sens inattendus, des images déplacées, et, manquant le sublime, on tombe dans le grotesque : au lieu d’étonner, on dégoûte.

384. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Chaque image qui nous arrive en éveille d’autres, indéfiniment, suscite même la vision confuse de l’Être total. […] Il aimera magnifiquement : car la nature entière lui fournira des images pour exprimer son amour.

385. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

Les poésies de Mme Desbordes-Valmore sont remplies de ces grands noms ; le dernier surtout y est prodigué à un point qui frappe tout le monde et appliqué comme aucune femme ne s’en était encore avisée ; c’est que le ciel seul lui fournit des images proportionnées à une passion qui n’est qu’une perpétuelle apothéose : Dieu, c’est toi pour mon cœur ; j’ai vu Dieu, je t’ai vu ! […] ………………………………… Cette pauvre barque, ô Valmore, Est l’image de ton destin.

386. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Éphémérides poétiques, 1891-1900 » pp. 179-187

Ferdinand Hérold : Images tendres et merveilleuses. […] — Le Livre d’images.

387. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

C’est l’image de ce volume composé de morceaux écrits à des occasions très diverses. […] Lorsque son image s’altéra, lorsque son culte se corrompit, une vertu se retira du Polythéisme. […] Il n’y a pas seulement de la haine, il y a du mépris dans l’image que le peuple a gardée de lui. […] Tibère revient au monde déguisé en pape, et refait Rome à son image. […] Mais la foi manquait à cette parodie des austères images du vieux temps.

388. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Homere descend jusqu’à dire, en beaux termes, si l’on veut, mais toujours bien clairement, qu’elle se décrassa tout le corps avant que de le parfumer ; idée qui ternit mal à propos une image d’ailleurs toute gracieuse. […] La majesté des dieux, la splendeur des astres, le courroux des flots et des vents, l’ardeur des chasseurs et des chiens, le courage et la force des lions, la vigilance des pasteurs, la docilité et les frayeurs des troupeaux : voilà ses images ordinaires ; que pouvoit-il choisir de plus grand et de plus agréable ? […] Ce ne seroit pas assez de varier les circonstances de ses images, si le fonds en demeuroit trop semblable, parce que c’est le fonds qui frape le plus. […] Les poëtes fiers de leur talent, s’imaginent que la prose ne peut atteindre à l’expression et aux images poëtiques ; et les prosateurs dédaignant un talent qu’ils n’ont pas, se persuadent que les vers sont incompatibles avec la fidélité qu’un traducteur doit à son original. […] L’amas des circonstances et des images frappe et remplit l’imagination, et c’est ce qu’on appelle force : les vers foibles sont ceux où le sens est en moindre proportion que les paroles.

389. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

La réalité psychologique, c’est, en somme, l’image. L’idée générale n’est que la résultante fortuite des groupements d’images qui forment des images composites ; de même si l’on photographie tous les membres d’une même famille, on peut obtenir, en superposant les clichés obtenus, une photographie type. Ces images composites se groupent entre elles suivant les transformations de l’organisme et du cerveau. […] C’est cette « activité de l’esprit » qui est la force organisatrice intelligente des idées et des images. […] En l’examinant de très près on découvre en lui deux éléments : une sorte de mouvement intérieur qui fait, à vrai dire, sa vie même et un vêtement plus ou moins riche et somptueux d’images qui s’adapte à ce rythme.

390. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Ce n’est point ici dans le jardin régulier de Le Nôtre qu’on se promène, ce n’est pas non plus dans un jardin dit anglais ; ne prenons point hors de chez nous nos images : c’est dans le jardin français de nos pères, dans le libre et riant enclos du Roman de la Rose, avec ses détours sinueux, ses doubles haies et ses labyrinthes. […] Cette mère qui avait obtenu merci, la veille, et promesse de sauvegarde pour son abbaye ; ce serment violé ; ce double sacrilège commis par un féroce baron sur des nonnes innocentes ; ce fils pieux enchaîné par l’honneur à son seigneur indigne ; approuvé, la veille encore, pour son effort de loyauté, par sa mère, et qui voit brûler cette mère qu’il vient seulement de retrouver, d’embrasser, — qui arrive trop tard pour la sauver, et qui, pour consommation dernière, voit son psautier brûler sur sa poitrine ; image admirable et sainte ! […] » Voilà de belles et sincères images, bien guerrières, bien féodales : il n’a manqué qu’un poète pour les recueillir et les enchâsser dans un ferme tissu. […] On y marche sur de beaux endroits, sur des images de prix. […] Quelques-uns des critiques qui ont travaillé au choix, et qui en ont pris l’occasion de juger, sont poètes eux-mêmes : on a ainsi une image des théories et des œuvres à la fois.

391. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

Voici venir Pallas Athéné, debout sur son quadrige aérien, telle qu’on la voit dans ses grandes images, le front pur et les yeux lucides, la bouche arquée d’un sourire sévère, le visage plein d’une bonté majestueuse. […] De cette blancheur céleste était née l’image d’une jeune fille froide et sereine, candide et splendide : son nom de Pallas signifie cela. […] Pallas la fit à son image, active et pensive, créatrice et industrieuse en toutes choses, aussi prompte aux œuvres de l’intelligence qu’aux travaux et qu’aux exploits de la guerre. […] Mais le vote de Pallas, comptant double, départage les juges, Oreste est absous : la déesse avait posé cette règle avant le scrutin. — Secours compatissant que reproduit, sous une autre forme, une belle image égyptienne, peinte sur la boîte d’une momie du Louvre. […] Toute sa vie sociale et morale s’empreint de l’image qu’il se forme d’eux.

392. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Il ne décrit la nature qu’imparfaitement, avec monotonie, sans aucune de ces images grandes et douces que les anciens ont connues : et comment en serait il autrement, puisque jusqu’en ses heures les plus recueillies et sur son banc de gazon, sous son prunier en fleur, il a d’un côté Montaigne ouvert (je le lui passe, quoique ce ne soit pas le moment), mais de l’autre il a La Pucelle ? Et comment aurait-il parlé, en même temps que de la nature, de ce qui donne à la vie privée son embellissement et tout son charme, des femmes qu’il aimait, mais qu’au fond il estimait assez peu, dont il décomposait et niait les plus naturelles vertus par la bouche de Ninon, et en faveur de qui, sous le nom de Bernier, et pour tout réparer, il se contentait de dire : « Maintenons dans les deux sexes autant que nous le pourrons ce qui nous reste de l’esprit de chevalerie… » Mais ce reste d’esprit de chevalerie qui, dès lors bien factice et tout à l’écorce, était bon pour entretenir la politesse dans la société, est loin de suffire pour renouveler et pour réjouir sincèrement le fond de l’âme, pour inspirer le respect et l’inviolable tendresse envers une compagne choisie, et pour former au sein de la retraite une image de ce bonheur dont le grand poète Milton a montré l’idéal dans ces divines et pudiques amours d’Adam et Ève aux jours d’Éden. […] Il a, pour peindre les soins et les vaines agitations des hommes, des images dignes de Lucrèce, mais d’un Lucrèce chrétien : Si nous ouvrons la carte où se déploie le plan étendu du Tout Puissant, nous trouvons une toute petite île, cette vie humaine : l’espace inconnu de l’éternité l’environne et la limite de toutes parts ; la foule empressée explore et fouille chaque crique et chaque rocher du dangereux rivage, y ramasse avec soin tout ce qui lui paraît exceller aux yeux, quelques-uns de brillants cailloux, d’autres des algues et des coquillages ; ainsi chargés, ils rêvent qu’ils sont riches et grands, et le plus heureux est celui qui gémit sous sa charge. […] Cowper, en terminant ce petit poème, indique tous les plaisirs innocents et encore bien nombreux qu’il permet à son solitaire et à son ami des champs, et il les résume par une image poétique, en disant que ce sont tous ceux « qui ne laissent aucune tache sur l’aile du Temps ». — Nous voilà loin de Saint-Lambert, de ses inspirations et de ses lectures, et c’est précisément cette distance que j’ai voulu faire mesurer aujourd’hui.

393. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Il a des images qui étonnent, des comparaisons étranges et qu’il soutient et prolonge avec une finesse un peu pointilleuse ou compassée. […] À ces endroits-là, il peut paraître subtil et recherché ; mais le plus ordinairement, l’imprévu de ses images ne fait qu’ajouter un agrément de plus à leur exactitude. […] À cet égard, le traitement que nous recevons du Temps dépend de l’accueil que nous lui faisons… Il est clément pour ceux qui, tels que vous, savent se tenir comme sur la pointe du pied au sommet de la colline de la vie, jetant un regard en bas avec plaisir sur la vallée qu’ils ont traversée, et de temps en temps étendant leurs ailes pour s’envoler avec espérance vers l’éternité… » Le charme de la correspondance de Cowper est dans cette succession d’images, de pensées et de nuances qui se déroulent avec une vivacité variée, mais d’un cours égal et paisible. […] La composition et la publication de son premier recueil n’avaient fait que le mettre en train et en verve ; il sentait que ce n’était qu’en écrivant, et en écrivant des vers, qu’il pouvait échapper complètement à sa mélancolie : Il y a, disait-il vers ce temps, il y a dans la peine et le travail poétique un plaisir que le poète seul connaît : les tours et les détours, les expédients et les inventions de toute sorte auxquels a recours l’esprit, à la poursuite des termes les plus propres, mais qui se cachent et qui ne se laissent point prendre aisément ; — savoir arrêter les fugitives images qui remplissent le miroir de l’âme, les retenir, les serrer de près, et les forcer de se fixer jusqu’à ce que le crayon en ait tiré dans toutes leurs parties une ressemblance fidèle ; alors disposer ses tableaux avec un tel art que chacun soit vu dans son jour le plus propice, et qu’il brille presque autant par la place qui lui est faite, que par le travail et le talent qu’il nous a coûtés : ce sont là des occupations d’un esprit de poète, si chères, si ravissantes pour sa pensée, et de nature à le distraire si adroitement des sujets de tristesse, que, perdu dans ses propres rêveries, heureux homme !

394. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Chénier est plein de la lecture d’Homère ; il voudrait en reproduire en français l’accent et quelques-unes des grandes images, en offrir un échantillon proportionné ; il a l’idée de ramener l’épopée au cadre de l’idylle, et l’histoire qu’il imagine pour cela n’a rien que de très-autorisé par la tradition. […] » Aussi les images empruntées et les libres réminiscences se succèdent enchâssées avec art ; le palmier de Latone, auquel le vieillard compare les gracieux enfants, ne nous ramène-t-il pas vers Ulysse naufragé s’adressant en paroles de miel à Nausicaa ? […] Tantôt chez un auteur j’adopte une pensée, Mais qui revêt chez moi, souvent entrelacée, Mes images, mes tours, jeune et frais ornement ; Tantôt je ne retiens que les mots seulement ; J’en détourne le sens, et l’art sait les contraindre Vers des objets nouveaux qu’ils s’étonnent de peindre. […] Mais, quelle que soit la valeur de tel ou tel vers, il faut bien se dire que ce n’est pas d’employer l’or, l’ivoire, la neige ou l’albâtre, qui est chose interdite en poésie (car tous les poëtes, plus ou moins, vivent de ces images), mais de les employer pêle-mêle et de les prodiguer sans discernement.

395. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Rulhière avait fait graver pour elle un cachet qui représentait un chêne avec cette devise : « Un souffle m’agite, et rien ne m’ébranle. » La devise était juste ; mais l’image du chêne peut sembler bien altière. […] « S’il est un homme tourmenté, dit-il, par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase, et cette phrase dans un mot, c’est moi. » Sa méthode est de toujours rendre une pensée dans une image ; la pensée et l’image pour lui ne font qu’un, et il ne croit tenir l’une que quand il a trouvé l’autre. […] Il était « de ces esprits méditatifs et difficiles qui sont distraits sans cesse de leur œuvre par des perspectives immenses et les lointains du beau céleste dont ils voudraient mettre partout quelque image ou quelque rayon ».

396. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

« L’Égypte, dit Eudore dans Les Martyrs, toute brillante d’une inondation nouvelle, se montre à nos yeux comme une génisse féconde qui vient de se baigner dans les flots du Nil. » Voilà l’image que le poète pittoresque est allé chercher ; il l’a trouvée, il remporte avec lui. […] En écrivant il a ses images aussi, croyez-le bien, mais des images utiles et qui figurent un résultat. […] On citerait tel endroit où l’image se lie si étroitement à la pensée qu’elle n’en est pas séparable et qu’elle n’est autre que l’idée même.

397. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Et élevant de plus en plus sa pensée et son cœur, réduisant sa propre souffrance à ce qu’elle est dans l’immense sein de la nature, s’y voyant non plus seulement soi, mais des royaumes entiers, comme un simple point dans l’infini, il ajoute en des termes qui rappellent d’avance Pascal, et dont celui-ci n’a pas dédaigné d’emprunter le calque et le trait : Mais qui se représente comme dans un tableau cette grande image de notre mère nature en son entière majesté : qui lit en son visage une si générale et constante variété ; qui se remarque là-dedans, et non soi, mais tout un royaume, comme un trait d’une pointe très délicate, celui-là seul estime les choses selon leur juste grandeur. […] Et redoublant sa pensée, selon son usage, par toutes sortes d’images et de formes familières et pittoresques, il dira encore que, s’il se laisse quelquefois pousser au maniement d’affaires qui lui sont étrangères, il promet « de les prendre en main, non pas au poumon et au foie ». […] Ce style à la Montaigne, si conséquent et si varié dans la suite et l’assortiment des images, exige qu’on crée à la fois une partie du tissu même, pour les porter. […] Notre bon langage, en effet, notre prose, qui se sent toujours plus ou moins de la conversation, n’a pas naturellement de ces ressources et de ces fonds de toile pour une continuelle peinture ; elle court et fuit vite, et se dérobe : à côté d’une image vive, elle offrira une soudaine lacune et défaillance.

398. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

La démonstration acharnée finit par une accumulation d’images, magnifiques. […] Il dira à la Chambre des pairs : « On déporte les hommes ; les lois fondamentales d’un pays ne se laissent pas déporter. — Les fleuves ne remontent pas vers leur source ; les événements accomplis ne rentrent pas dans le néant. » Il disait à la Sorbonne : « A mesure que la réflexion retire la causalité que l’ignorance avait répandue sur les objets, les volontés locales, exilées du monde matériel, sont successivement rassemblées et concentrées par la raison en une volonté unique, source commune de toutes les volontés contingentes, cause première et nécessaire que la pensée de l’homme affirme sans la connaître, et dont elle égale le pouvoir à l’étendue, à la magnificence, à l’harmonie des effets qu’elle produit sous nos yeux. » Il invente des expressions superbes, qu’on n’oublie plus, images puissantes qui condensent sous un jet de lumière de longues suites d’abstractions obscures. […] Si on l’en croit8, Descartes, Malebranche, Leibnitz, Locke, Hume, Condillac, etc., bref, tous les philosophes modernes, ont admis des idées représentatives, sortes d’êtres interposés entre l’esprit et les objets, ayant de la ressemblance avec les objets, présentant à l’esprit l’image des objets, et fournissant à l’esprit, qui ne peut pas sortir de soi ni apercevoir les objets directement et en eux-mêmes, les moyens de les apercevoir indirectement et dans un portrait. […] Supposition contradictoire : car de deux choses l’une : si les idées sont des images matérielles, on ne peut pas admettre des portraits de la solidité, du chaud, de l’odeur et du son ; si elles sont spirituelles, elles ne peuvent ressembler à la matière, ni par conséquent la représenter.

399. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

« Il avait, dit-il lui-même, une pente naturelle vers les choses d’observation intérieure »… Il suivait « une lumière intérieure, un esprit de vérité qui luit dans les profondeurs de l’âme et dirige l’homme méditatif appelé à visiter ces galeries souterraines… Cette lumière n’est pas faite pour le monde, car elle n’est appropriée ni au sens externe ni à l’imagination ; elle s’éclipse ou s’éteint même tout à fait devant cette autre espèce de clarté des sensations et des images ; clarté vive et souvent trompeuse qui s’évanouit à son tour en présence de l’esprit de vérité. » Ainsi occupé, et ses regards concentrés sur lui-même, il avait fini, comme les philosophes indiens, par isoler et constituer à part, du moins à ses propres yeux, son être intérieur et sa volonté active. […] Osez dire que vous entendez celle-ci : « Chacun peut observer en lui-même que les perceptions directes des sens externes, comme les images ou intuitions du sens interne, et les idées mêmes, produits élaborés de l’intelligence, venant à être réfléchis ou contemplés successivement par le moisous des modifications sensitives diverses, ou avec un sentiment variable de l’existence, triste ou pénible, agréable ou facile, se proportionnent jusqu’à un certain point à ces variations, quant aux degrés de clarté ou d’obscurité, de mobilité ou de persistance, de confiance ou de doute, qui impriment à ces idées un caractère particulier et comme une physionomie propre15. » Voilà un fait bien désigné, n’est-ce pas ? […] « Chacun peut observer en lui-même que les perceptions directes des sens externes, comme les images ou intuitions du sens interne, et les idées mêmes, produits élaborés de l’intelligence, venant à être réfléchies ou contemplées successivement par le moi sous des modifications sensitives diverses, ou avec un sentiment variable de l’existence, triste ou pénible, agréable ou facile, etc., se proportionnent jusqu’à un certain point à ces variations, quant aux degrés de clarté ou d’obscurité, de mobilité ou de persistance, de confiance ou de doute, qui impriment à ces idées un caractère particulier et comme une physionomie propre. » Cette période effaroucherait Hegel ou Duns Scot lui-même. […] « Car nulle cause ou force ne peut se représenter sous une image qui ressemble à l’étendue ou à ce que nous appelons matière. » « Toute cause efficiente dans l’ordre physique même est une force immatérielle. » « Les êtres sont des forces, les forces sont des êtres : il n’y a que les êtres simples qui existent réellement à leur titre de forces ; ce sont aussi les véritables substances existantes. » « Aussi les esprits conséquents et qui pensent comme il faut, se trouvent-ils éconduits au point de spiritualiser le monde, comme a fait Leibnitz, en n’admettant d’autre réalité que celle des êtres simples dont toute l’essence est la force active.

400. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Il n’y a là qu’une image poétique. […] Comptons : 1° sensation agréable ; 2° idées agréables à propos de la pêche, et disposition générale à, n’avoir que des idées agréables ; 3° image agréable de la pêche conservée et image désagréable de la pêche détruite ; 4° idée qu’il faut posséder la pêche, et tendance à la prendre. […] Allez plus loin : percez une seconde enveloppe ; remarquez que ce que nous appelons une hallucination, une vision, une représentation, est une apparence et une apparence fausse ; que lorsque nous nous figurons une maison, il n’y a rien dans notre esprit ni dans notre cervelle qui ressemble à la maison ; que cependant cette image remplace si bien la maison, que dans la rêverie ou dans le sommeil nous la prenons pour la maison elle-même ; vous conclurez qu’il y a en vous quelque modification ou opération inconnue, ayant la propriété de vous faire illusion, de vous paraître extérieure, quoiqu’elle soit intérieure, d’être confondue avec la maison physique et matérielle, quoiqu’elle n’ait rien peut-être de physique et de matériel.

401. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Le poëte saisit une grande image terrestre ; mais il n’a plus rien au-delà, et s’arrête au bord de l’infini, sans amour et sans espérance. […] » Dans d’autres occasions, Catulle nous rend l’image de cette poésie grecque mêlée si souvent aux fêtes de la vie privée, au luxe de la richesse. […] Quelques siècles auparavant, Pindare avait dit de Pélée : « Il a vu le cercle magnifique180 où s’étaient assis les rois du ciel et de la mer, faisant apparaître les dons et la puissance qu’ils destinaient à sa race. » Depuis lors, cette image des noces de Thétis et de Pélée avait souvent occupé la peinture comme la poésie : c’était un des thèmes favoris de l’art grec, aussi familier que le voyage des Argonautes, la vengeance de Médée, ou l’abandon d’Ariane. […] Courez, fuseaux, courez en tissant vos trames181. » Avec la majesté de l’hexamètre latin, on sent ici le souffle de la muse grecque, et aussi comme un reste de la barbarie première dans l’image de Polyxène immolée sur le tombeau d’Achille.

402. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

… Elle est fille d’une mère qui a été fort persécutée des tyrans, qui l’ont voulu étouffer dans le sang de ses martyrs, et encore des hérétiques, qui ont fait mille efforts à ce qu’elle ne mît point ce béni enfant au monde ; mais enfin elle s’est couronnée de lys aussi bien que de roses, portant en son sein des vierges et des martyrs… Cette excellente épouse n’a jamais été maltraitée de son mari, qui au contraire est mort pour elle… Et elle continue sur ce ton, multipliant, épuisant les images, les allusions emblématiques, s’y jouant plus que de raison, oubliant un peu le goût, mais faisant ses preuves en fait de grâce : je prends le mot dans le double sens, dans le sien et dans le nôtre. […] D’après ce principe que les petits présents entretiennent l’amitié, il ne cessait d’en faire aux religieuses ses voisines ; il leur envoyait tantôt de l’excellent beurre de Bretagne (il était Breton), tantôt du fruit, des fleurs, une lampe, un cachet où était l’image du bon pasteur. […] Aussi avait-il une dévotion particulière au bon pasteur ; il en portait l’image sur son cachet ; il en commanda un tableau à Champagne pour son oratoire particulier, tableau dont il fit ensuite présent à Port-Royal.

403. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

., inconsidérément mêlés à des images que le panthéisme de l’antique et monstrueux Orient y a seul osé associer. […] Mme Pierson, durant toute cette première situation attachante, est une personne à part, à la fois campagnarde et dame, qui a été rosière et qui sait le piano, un peu sœur de charité et dévote, un peu sensible et tendre autant que Mlle de Liron ou que Caliste : « Elle était allée l’hiver à Paris ; de temps en temps elle effleurait le monde ; ce qu’elle en voyait servait de thème, et le reste était deviné. » Ou encore : « Je ne sais quoi vous disait que la douce sérénité de son front n’était pas venue de ce monde, mais qu’elle l’avait reçue de Dieu et qu’elle la lui rapporterait fidèlement, malgré les hommes, sans en rien perdre ; et il y avait des moments où l’on se rappelait la ménagère qui, lorsque le vent souffle, met la main devant son flambeau76. » Pour bien apprécier et connaître cette charmante Mme Pierson, il faudrait, après avoir lu la veille les deux premières parties de la Confession, s’arrêter là exactement, et le lendemain matin, au réveil, commencer à la troisième partie, et s’y arrêter juste sans entamer la quatrième : on aurait ainsi une image bien nuancée et distincte dans sa fraîche légèreté. […] C’est la différence, dans une même image, de la poésie lyrique au roman réel.

404. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

Le magnifique fleuve déploie le cortège de ses eaux bleues entre deux rangées de montagnes aussi nobles que lui ; leurs cimes s’allongent par étages jusqu’au bout de l’horizon dont la ceinture lumineuse les accueille et les relie ; le soleil pose une splendeur sereine sur leurs vieux flancs tailladés, sur leur dôme de forêts toujours vivantes ; le soir, ces grandes images flottent dans des ondulations d’or et de pourpre, et le fleuve couché dans la brume ressemble à un roi heureux et pacifique qui, avant de s’endormir, rassemble autour de lui les plis dorés de son manteau. […] C’est ainsi que l’esprit reproduit la nature ; les objets et la poésie du dehors deviennent les images et la poésie du dedans. […] Ils écrivent sans images ni figures, aisément, tranquillement, avec la suite d’une eau claire et coulante.

405. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

Quelles images successives de Marivaux s’étaient faites toutes les générations du XVIIe et du XVIIIe siècle ? […] Au fond, l’on reprochait à Larroumet que son étude ne ressemblait pas à son auteur : « Il a, disait quelqu’un, déposé un éléphant sur un papillon. » Ce mot révèle une conception purement esthétique de l’histoire littéraire : l’essai doit être l’image, la réduction, comme l’eau-forte de l’œuvre originale. […] Dans les articles rapides de ses dernières années, il s’est laissé aller à causer, à se souvenir ; il s’est mis à l’aise, laissant jouer son esprit et sa sensibilité, suivant les images de sa vie et de la vie qui s’évoquaient en lui.

406. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

Cette comparaison des prospérités coupables et passagères avec les nuées dont le ciel est obscurci, cette tempête du printemps qui les dissipe, et, au prix de quelques maux, rend la sérénité au ciel et une lumière féconde à la terre ; ce sont là des images dont la plus belle invention lyrique aimerait à se parer. […] Ailleurs cette poésie plus simple nous donnera déjà l’image de la vie, comme la peignit chez les Hébreux le livre de la Sagesse, et comme la décrira quelque jour, dans une société plus raffinée, l’ingénieux Horace. […] C’est, dans les formes de l’art, l’image de cette marche régulière et terrible dont les Crétois abordaient lentement, au son de la flute et de la lyre, les bataillons ennemis.

407. (1888) Études sur le XIXe siècle

les plus beaux visages que je regarde me semblent vouloir imiter ton image. […] combien de fois la souveraine image a-t-elle manqué à mes rêves ? […] Non, c’est simplement entasser une succession d’images qui ne représentent à l’esprit qu’un heurt confus de métaphores. […] Les descriptions, quelque longues qu’elles soient, ne sont presque jamais établies que par l’accumulation du même trait, répété tantôt en termes différents, tantôt en images itératives. […] Les images naissent naturellement de la répétition.

408. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « Mme DESBORDES-VALMORE. (Pauvres Fleurs, poésies.) » pp. 115-123

Je voudrais qu’un jour on tirât de ce volume, qu’on dégageât cette suite d’élégies-romances dont la forme est si assortie à la manière de Mme Valmore, et dans lesquelles son sentiment soutenu se produit quelquefois jusqu’au bout avec un parfait bonheur, sans les tourments plus ordinaires à l’alexandrin : Croyance, la Femme aimée, Aveu d’une Femme, Ne fuis pas encore, la Double Image, Fleur d’Enfance. […] Il n’y a d’image un peu hasardée que celle de ce jeune platane qui, de sa tête diaphane, fait un bandeau à des pleurs ; et encore on passe cela et on le comprend à la faveur de la fenêtre sans rideau qui vous a saisi.

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