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320. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

IV Je partis sur ce bon augure et je m’arrêtai seulement quelques jours, dans ma famille, à Mâcon, où m’attendait un nouveau bonheur, préparé et négocié par ma mère en mon absence. […] Il jouissait du bonheur de faire valoir ses inférieurs et ses égaux. […] Le contraste du calme resplendissant de cette solitude, cernée par les flots de la mer, avec le bruit menaçant et tumultueux d’une grande ville en révolution, augmentait la sensation de bonheur, de calme et de sécurité qu’inspirait cette résidence enchantée entre le ciel et l’eau. […] Puissent ces lignes lui apprendre que l’amitié survit au-delà du bonheur et de la popularité pour les hommes dignes d’être aimés à tous les âges ! […] Voici cette bizarre et malheureuse péripétie de mon bonheur.

321. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Son poëme Sur le Bonheur de l’Étude remporta une des couronnes décernées par l’Académie française en 1817. […] laisse-moi jouir D’un bonheur que je crains de voir s’évanouir. […] C’est un des plus doux bonheurs du poëte de pouvoir reconnaître un jour par lui-même les lieux désirés dont les noms erraient sur ses lèvres avec harmonie dans les rêves de sa jeunesse93. […] Mais laissons parler là-dessus un témoin bien grave et hautement autorisé en toute matière, M. le duc de Broglie, qui, dans la Revue française de janvier 1830, venant constater, à propos de l’Othello de M. de Vigny, la révolution sensible qui s’opérait dans le goût du public, écrivait : « Chacun peut se rappeler les murmures qui interrompirent, lors de la première représentation du Cid d’Andalousie, cette scène charmante94 où le héros de la pièce, tranquillement assis aux pieds de sa bien-aimée, sans desseins, sans inquiétude, uniquement possédé de l’idée de son prochain bonheur, dans un profond oubli et du monde, et des hommes, et de toutes choses, l’entretenait doucement des progrès de leur amour mutuel, et lui rappelait, en vers pleins de délicatesse et de grâce, les premiers traits furtifs de leur muette intelligence. […] On le croira avec peine, tout notre bonheur se réduisit à manger des cerises ensemble. » 81.

322. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

. — Bonheur d’Eva. […] Motif 41 (p. 321, 322). — Annonce la fête où Eva et Walther verront consacrer leur bonheur inespéré. […] Motif(p. 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169). — Marque généralement l’opposition que peuvent apporter les maîtres au bonheur d’Eva et de Walther. […] Il apparaît même dans l’hallucination de Walther et en dernier lieu quand Sachs dit au chevalier que c’est aux maîtres qu’il doit son bonheur. […] — De même (p. 146) l’impression que Sachs traduit par « wie Vogelsang un süssen Mai » se retrouve dans Parsifal, modifiée par les circonstances, mais identique au fond, quand Parsifal chante, pendant le motif si voluptueusement printanier de la prairie en fleurs : « Wohl traf ich Wunderblumen… » Et enfin ne trouve-t-on pas, aux pages 272, où Sachs recommande à Walther de briller au milieu de la fête, et 371-372, où il va chanter, entouré de l’admiration et des faveurs de la foule, la même griserie de lumière, de bonheur et d’enivrante suavité dont bercent les Filles-fleurs le jeune Parsifal, « holder Knabe » en dansant mollement autour de lui ?

323. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

Spencer, au besoin d’un plus grand bonheur. […] Spencer, le besoin d’un plus grand bonheur que les formes de plus en plus complexes de la civilisation seraient destinées à réaliser de plus en plus complètement ? Il faudrait alors établir que le bonheur croît avec la civilisation et nous avons exposé ailleurs toutes les difficultés que soulève cette hypothèse76. […] Il faudrait admettre alors une tendance interne qui pousse l’humanité à dépasser sans cesse les résultats acquis, soit pour se réaliser complètement, soit pour accroître son bonheur, et l’objet de la sociologie serait de retrouver l’ordre selon lequel s’est développée cette tendance. […] Fût-il vrai que nous tendons actuellement à chercher notre bonheur dans une civilisation industrielle, rien n’assure que, dans la suite, nous ne le chercherons pas ailleurs.

324. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Tu sais quel bonheur je trouve à remplir ma mission, et je te remercie d’avoir également rempli la tienne. […] Il y a au fond de moi-même une prière incessante qui demande à Dieu du bonheur qui puisse s’envoyer à ceux que j’aime. […] Juge donc si nous avons le bonheur de revoir ceux que nous avons tant aimés ! […] … Cette idée m’affecte aux larmes, et pour moi le bonheur, c’est le repos. » (Lettre écrite de Lyon, le 5 juillet 1827.)

325. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Là, il a une justesse, une nouveauté, un bonheur surprenants : il fait rendre aux mots tout leur effet par la place où il les loge. […] Il est parti de ce point de départ, dont chacun de nous, s’il était franc, prendrait bien volontiers l’analogue en lui-même : qu’il n’y avait rien de plus intéressant au monde pour lui que Michel de Montaigne, et que l’objet de son étude devait être ce qu’était, ce que sentait, ce que voulait Michel de Montaigne, pour lui ménager le plus de commodité, d’aise et de bonheur en cette incertaine vie. […] Pour faire rendre le plus de réel bonheur à ses cinq ou six mille livres de rente qu’il mangeait en son castel, il a confronté avec sa Gascogne et sa France les deux mondes découverts depuis un siècle, le monde de la nature, les sauvages de l’Amérique, et le monde de la civilisation, les penseurs de la Grèce et de Rome. […] Il n’est, pour Montaigne, comme pour Pascal, qu’un moyen : pour Pascal, moyen d’aller à Dieu, pour Montaigne moyen d’aller au bonheur.

326. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Quand les socialistes disent : le but de la société est le bonheur de tous ; quand leurs adversaires disent : le but de la société est le bonheur de quelques-uns, tous se trompent ; mais les premiers moins que les seconds. […] Il n’y a pas en effet de tradition pour le bonheur, et il y a tradition pour la science. […] Or cela est au moins aussi sérieux que le bonheur.

327. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Et cependant les mêmes hommes, qui applaudissaient aux railleries contre les généraux d’antichambre ou même contre Jeanne d’Arc, étaient animés d’un zèle incessant et désintéressé pour le bonheur de l’humanité. […] Voltaire, ce prince des moqueurs, écrivait dans son Dictionnaire philosophique 110 ces lignes de généreuse inspiration : Si un animal sentant et pensant dans Sirius est né d’un père et d’une mère tendres qui aient été occupés de son bonheur, il leur doit autant d’amour et de soins que nous en devons ici à nos parents. […] Il s’est attaché à montrer que cette raison tant célébrée ne peut mener ni au bonheur ni à la vertu113. […] Ce sont elles qui produisent les grandes actions, qui poussent l’homme à la recherche de la vérité, qui le font croire à un bonheur qu’il poursuit toujours sans l’atteindre jamais.

328. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Pour un moment, je suis roi de la terre ; Tremble, méchant, ton bonheur va finir ! […] Et un écrivain aussi a très bien défini Saint-Just : « C’est un monstre bien peigné et qui débite des apophtegmes. » Dans sa parole brève, concise et coupante, et assez habilement relevée de rares images, il ne doutait de rien : Travaillons enfin pour le bonheur du peuple, disait-il magistralement, et que les législateurs qui doivent éclairer le monde prennent leur course d’un pied hardi, comme le soleil. […] Venant proposer une mesure qui a pour but de diminuer la misère des patriotes indigents, il dira : Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie sur la terre ; qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur : le bonheur est une idée neuve en Europe !

329. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Calemard de Lafayette était, il y a une quinzaine d’années, un jeune littérateur de Paris ; il s’occupait de poésie et de critique ; il était du groupe de l’Artiste et en train de se faire un nom, tout en se livrant à ses goûts préférés, lorsque, vers ce temps, des circonstances de famille et de fortune l’enlevèrent à la vie parisienne : il avait le bonheur et l’embarras d’être propriétaire foncier ; il se retira dans ses terres aux environs du Puy, dans la Haute-Loire, et se mit à les exploiter lui-même ; il prit goût à l’agriculture, à l’amélioration du sol et des colons ; l’amour de la poésie l’y suivit, et il combina ces deux amours, celui des champs et celui des vers : il en est résulté le poème dont j’ai à parler et qui a paru il y a quelques mois. […] Lucrèce n’a pas traité des champs en particulier ; mais, dans son tableau de l’origine du monde et des premiers âges des sociétés (au livre Ve), il a cueilli les plus vastes images, il a tracé les plus larges cadres de l’époque rurale primitive, du bonheur naturel et des ébats champêtres auxquels se livraient les innocents agriculteurs au retour des printemps : Sæpe itaque inter se prostrati in gramme molli, Propter aquæ rivum, sub ramis arboris altæ, Non magnis opibus jucunde corpora habebant, Præsertim cum tempestas ridebat, et anni Tempora pingebant viridantes floribus herbas… Quelle ampleur de peinture et de langage ! […] Je n’ai que l’embarras du choix entre les tableaux et les frais paysages, entre les scènes de labourage, de semailles, de fauchaison et de fenaison, de récolte et de vendange, entre les charmants hasards du parc naturel, confinant au bois et à la forêt, et le monde bruyant de la basse-cour ; car tout cela est diversement peint, et presque toujours avec un rare bonheur dû à une extrême vérité.

330. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Mais le bonheur et la vivacité de l’invention y font volontiers négliger, en le lisant, cette intention particulière. […] Reconnaissons enfin, après plus de deux siècles d’injustice et d’erreur, dans toutes les proportions de sa gloire un grand homme qui fut un martyr ; qui tout le temps qu’il traversa cette terre resta étranger au bonheur ; dont le cœur fut pur de toute tache, à l’abri de ces petitesses dont souvent ne sont point exempts les grands écrivains ; dont le chef-d’œuvre porte à un si haut degré l’empreinte d’une nature si noble, si élevée et si humaine, et qui de tous les hommes est celui dont l’âme se montrerait le plus sensible à une réparation pour l’outrage fait à la portée de son génie. » Et moi je dis : Ainsi est fait l’esprit humain ; il a soif d’une légende morale ; il a un besoin perpétuel de refonte et de remaniement pour toutes ses figures. […] Une partie du bonheur des auteurs heureux, c’est qu’on leur prête encore plus d’habileté qu’ils n’en ont eu.

331. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

les illusions de la jeunesse ne reverdissent pas deux fois au cœur de l’homme, le bonheur qui a fui ne saurait revenir ; l’amour qui s’est envolé ne fait pas comme l’hirondelle ; le cœur qu’il abandonne reste longtemps vide et désert… Du moins c’était ainsi que je l’éprouvais alors. » René ! […] … Il rappelle ses premiers bonheurs dans une vie patriarcale et pure, les peines cruelles de l’exil, tout ce que l’exilé au retour ne retrouvera plus : Qui me ramènera vers les bords fortunés Où sont morts mes aïeux, où mes frères sont nés ? […] dût le chemin qui mène à ma patrie Être plus rude encore, et ma tête meurtrie Ne pas trouver de pierre où se poser le soir ; Dussé-je n’avoir pas une table où m’asseoir, Pas un seul cœur ému qui de moi se souvienne, Pas une main d’ami pour étreindre la mienne ; Comme le lépreux d’Aoste, au flanc de son rocher, Dussé-je cultiver des fleurs sans les toucher, N’avoir pour compagnon, dans ma triste vallée, Qu’un chien, et pour abri qu’une tour désolée, Et quand je souffre trop pendant les longues nuits, Qu’une sœur pour me plaindre et bercer mes ennuis, Une sœur qui, souffrant de la même souffrance, Prie et veille avec moi jusqu’à la délivrance…, Je veux aller revoir les lieux que je chéris, De mon bonheur au moins retrouver les débris ; Si ce ne sont les morts qui dorment sous la pierre J’embrasserai leurs fils, hélas !

332. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Ce bonheur qu’ont certains poëtes d’atteindre, un matin, sans y viser, à quelque chose de bien venu, qui prend aussitôt place dans toutes les mémoires, mérite qu’on l’envie, et faisait dire dernièrement devant moi à l’un de nos chercheurs moins heureux : « Oh ! […] » Millevoye a surtout mérité ce bonheur, j’imagine, parce qu’il ne le cherchait pas avec intention et calcul. […] Parmi les romances de Millevoye, les amateurs distinguent, pour la tendresse du coloris et de l’expression, celle de Morgane (dans le poëme de Charlemagne) ; la fée y rappelle au chevalier la bonheur du premier soir : L’anneau d’azur du serment fut le gage : Le jour tomba ; l’astre mystérieux Vint argenter les ombres du bocage, Et l’univers disparut à nos yeux.

333. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Et il ajoute, dans un sentiment excellent, qui trouve de lui-même l’expression simple : On ne peut attendre des belles-lettres d’autre récompense qu’un peu de consolation et d’espérance ; et si, par bonheur, les hommes et les esprits que j’aime se trouvent de moitié dans ma récompense, eh bien ! […] ils ont adopté pour leur usage personnel cette heureuse définition du bonheur dans une cité paisible : un facile travail, une pauvreté contente, une joie ingénue et sérieuse, une patrie honorée, un ciel clément, des hommes et des dieux indulgents. […] Janin a imité l’idylle avec bonheur, et, pour que ce passage de son roman soit plus remarqué, il ne lui manque que d’être moins mêlé aux autres imitations mythologiques et de fantaisie qui précèdent et qui suivent.

334. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Le Voyage proprement dit s’ouvre avec bonheur et avec émotion par une visite à Épaminondas, le plus parfait des héros anciens ; il se termine, au dernier chapitre, par un portrait du jeune Alexandre : le récit tout entier s’encadre entre cette première visite à Thèbes, où le sujet apparaît dans toute sa gloire, et la bataille de Chéronée, où périt la liberté de la Grèce. […] C’est ainsi que, vers la fin, dans le séjour à Délos, il n’a pu s’empêcher de se donner carrière : l’homme s’est révélé ; il a placé dans la bouche de Philoclès ses propres idées sur le bonheur, sur la société, sur l’amitié, et a introduit par extraits cet ancien petit Traité de morale qu’il avait composé bien des années auparavant pour le neveu de M. de Malesherbes. […] Un seul trait vous peindra la douceur de son âme philanthropique : « Que n’est-il donné à un mortel, s’écriait-il souvent, de pouvoir léguer le bonheur !

335. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

Nous sommes tous, comme madame de La Vallière, dans ce monde pour être contents, et non pour être bien aises, au large et sans limites : et le contentement, terme relatif, est le vrai nom du bonheur. » XXVIII. […] L’avenir ne me promet plus rien ; je n’attends rien ni de l’ambition ni du bonheur.

336. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Elle fait mon bonheur aujourd’hui, demain elle fera mon bonheur, et après-demain, et après-demain encore et toujours, parce qu’elle ne changera pas, parce que les dieux lui ont donné le bon esprit, la droiture, la sensibilité, la franchise, la vertu, la vérité qui ne change point.

337. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Swift »

Jonathan Swift est né à Dublin, mais ses parents étaient du comté d’York ; il était donc Anglais de race, et on est bien aise de le savoir, quand on croit que la race est encore pour les hommes quelque chose… Mal élevé et malheureux dans les premiers temps de sa vie, Swift, né avec un esprit violent, fut de bonne heure misanthrope dans une société qui blessait son orgueil par toutes ses institutions, et quand le bonheur, la célébrité et l’influence sur les hommes lui vinrent, l’étoffe avait son pli et le vase était imbibé de liqueur amère. […] Si le bon sens suffisait pour être un homme de génie, Swift l’eût été, mais il faut plus, pour la gloire de la pensée et même pour le bonheur de la vie.

338. (1890) Dramaturges et romanciers

Loin de se repaître de mensonges, ils poussent l’amour de la sincérité jusqu’à la destruction de leur bonheur. […] Tout les fera souffrir, même ce qui donne aux autres le bonheur et la joie. […] Sibylle sacrifie son bonheur et son existence à une raison de conscience. […] C’est très justement qu’un critique contemporain a dit d’André Theuriet que la province lui avait porté bonheur. […] Il y a du bonheur dans le rire, il y a de la douceur dans les larmes, et l’effroi même a sa volupté.

339. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

. —  Peinture de la beauté et du bonheur sensible. —  Haydée. […] Position de Byron dans son siècle. —  La maladie du siècle. —  Les diverses conceptions du bonheur et de la vie. —  La réponse des lettres. —  La réponse des sciences. —  Équilibre futur de la raison. —  Conception moderne de la nature. […] En Italie, la beauté du climat, le sens inné du beau et le despotisme du gouvernement suggéraient la vie oisive, les mœurs relâchées, la religion imaginative, le culte des arts et la recherche du bonheur. […] Deux ou trois fois de suite on voit ici le bonheur et quand je dis le bonheur, c’est bien le bonheur profond et entier, non pas la simple volupté, non pas la gaieté grivoise ; nous sommes à cent lieues ici des jolies polissonneries de Dorat et des appétits débridés de Rochester. […] Mais nous avons le droit de concevoir pour autrui les espérances que nous n’avons plus pour nous-mêmes, et de préparer à nos descendants un bonheur dont nous ne jouirons jamais.

340. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Mon âme désirait un bonheur si plein ! […] Elle se disait : « Voilà le bonheur ; il va fondre sur moi comme un grand fleuve ; et pas une goutte n’a seulement touché mes lèvres ! Ou bien peut-être que le bonheur, le vrai bonheur de ma vie, a passé tout près de moi, m’a souri de son sourire radieux, et que je n’ai pas su le reconnaître. […] Ce fut avec un vrai bonheur que je revis devant moi la calme et loyale figure de mon guide. […] Il avait vraiment cessé de penser à son bonheur, à son intérêt.

341. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Vous avez daigné honorer notre pauvre village de votre présence ; vous nous avez comblés par là de bonheur pour le reste de nos jours. […] Zverkoff commença en ces termes : — Vous n’êtes pas sans savoir quelle femme j’ai le bonheur de posséder ; je crois qu’il est impossible de trouver une meilleure personne ; vous en conviendrez vous-même. […] Iakof jouissait de son triomphe comme un enfant ; il était devenu méconnaissable : ses yeux étincelaient de bonheur. […] un chasseur seul peut apprécier le bonheur que l’on éprouve à errer dans les buissons aux premières lueurs de l’aube. […] L’air que l’on respire est glacial, l’éclat de la surface scintillante qui s’étend de tous côtés vous fait involontairement cligner les yeux, et vous les reposez avec bonheur sur le ciel vert qui surmonte les bois rougeâtres.

342. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Collin, Paul (1843-1915) »

Paul Collin a une spécialité, un rare bonheur : ses vers si faciles, si musicaux, d’un rythme si délicat, inspirent, depuis bien des années, une bonne moitié de nos compositeurs, — et pas les moins illustres.

343. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Il voulut jouir avec tranquillité, comme les autres citoyens, de ce bonheur qu’un grand peuple avait reçu de lui. […] Et que font aux vertus, à la morale, et par conséquent au bonheur qui n’existe point sans elles, toutes nos découvertes si vantées ? […] Je conclus qu’un bonheur aussi constant n’est point l’effet de cette puissance aveugle et capricieuse qu’on appelle la Fortune. […] je connais des rois qui, fiers d’un tel honneur, « Paieraient de tout leur sang ce suprême bonheur. […] Mais, si ce dévouement courageux fit sa gloire, il n’a pas fait son bonheur.

344. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Indiana, dès l’abord, prend l’amour au sérieux ; elle choisit, elle désigne du cœur Raymon comme l’être idéal qu’elle a constamment attendu, comme celui qui doit porter le bonheur dans ses jours. […] Honneur à l’auteur d’Indiana de lui avoir arraché sa fausse enveloppe, et d’avoir étalé à nu son misérable bonheur !

345. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Cette tentative, qui a été si impuissante pour rien édifier, a eu le mérite de mettre à nu plusieurs plaies de l’ordre social ; on a mieux senti en particulier ce qu’avaient d’irrégulier et de livré au hasard la condition de la femme, son éducation d’abord, et plus tard dans le mariage son honneur et son bonheur. […] Les jours où je me sentais agitée au point de ne pouvoir plus reconnaître la ligne de démarcation imaginaire tracée autour de ma prison, je l’établissais par des signes visibles ; j’arrachais aux murailles décrépites les longs rameaux de lierre et de clématite dont elles étaient rongées, et je les couchais sur le sol aux endroits que je m’étais interdit de franchir : alors, rassurée sur la crainte de manquer à mon serment, je me sentais enfermée dans mon enceinte avec autant de rigueur que je l’aurais été dans une bastille. » J’indiquerai encore dans le début toute cette promenade poétique du jeune Sténio sur la montagne, la description si animée de l’eau et de ses aspects changeants, et, au sein de la nature vivement peinte, les secrets surpris au cœur : « Couché sur l’herbe fraîche et luisante qui croît aux marges des courants, le poëte oubliait, à contempler la lune et à écouter l’eau, les heures qu’il aurait pu passer avec Lélia : car à cet âge tout est bonheur dans l’amour, même l’absence. » On pourrait, chemin faisant, noter dans Léliaune foule de ces douces et fines révélations, dont l’effet disparaît trop dans l’orage de l’ensemble. 

346. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

C’est un grand bonheur aujourd’hui ; mais ni l’un ni l’autre n’ont le droit d’en être fiers. […] « A l’époque de la vie où on n’est plus un enfant, où on ne sait pas encore positivement si on est un homme, le plus grand bonheur qu’on puisse éprouver est de rencontrer une occasion de tâter son courage.

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