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31. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

La même tolérance respectueuse fut garantie par les vainqueurs dans toutes les villes grecques chrétiennes de l’empire ; nul ne fut ni persécuté ni contraint pour cause de religion ; les chrétiens furent seulement obligés de respecter eux-mêmes dans leurs actes et dans leurs paroles le culte mahométan. […] Comment se fait-il que tout l’archipel grec professe le christianisme, que la Valachie et la Moldavie soient chrétiennes, que la Servie et la Bulgarie soient chrétiennes, que la Macédoine, l’Albanie, la Dalmatie soient chrétiennes, que la Syrie, à l’exception d’Alep et de Damas, soit chrétienne ? […] Je le concevrais s’il y avait dans l’empire ottoman une race, chrétienne ou non chrétienne, assez nombreuse, assez compacte, assez courageuse, assez intelligente pour se substituer de plein droit à l’empire et pour gouverner ces quatre cent mille lieues dépeuplées de leurs possesseurs ; mais ce fait n’existe pas. […] Mais aucune de ces races néanmoins, chrétienne ou non chrétienne, n’y existe en nombre assez prédominant pour y succéder à l’empire ottoman, si cet empire s’écroulait par une décomposition spontanée ou par la violence de l’Europe. […] La France, sans s’informer si elle servait en cela l’Angleterre, a volé à Sébastopol, a versé le sang chrétien pour préserver le sang ottoman, et la France a bien fait.

32. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

— non pas charge d’âmes (le mot serait trop chrétien), mais charge de corps, charge de chair souffrante. […] Saint Paul savait le nombre des chrétiens d’Éphèse, de Corinthe, de chez les Galates… Si vraiment l’Église saint-simonienne est une réalité, si effectivement M.  […] Enfantin assimile, avec une perversion du sens intellectuel qui pourrait bien être une perversité, sa pensée à la pensée chrétienne. […] Madame ou mademoiselle Marie Recurt est une Judith chrétienne, dont la plume coupe comme le glaive. Chrétienne, elle s’est levée pour objecter à l’homme de la chair, la chair corrompue et l’esprit de vie, à l’esprit de mort !

33. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

Le brahmanisme, qui remonte jusqu’aux âges les plus anciens de l’humanité, n’a jamais péri, et il est encore debout en face de la civilisation chrétienne. […] Or, dans la pratique, il faut bien reconnaître que les apologistes chrétiens ont raison de dire que le déisme abstrait n’est pas sensiblement différent de l’athéisme. […] Mais nous comprenons difficilement que l’on refuse le titre de chrétien à celui qui revendique ce titre volontairement et sincèrement. Par cela seul que je me dis chrétien, je le suis, à moins que l’on ne suppose que je mente. […] Sur ce terrain élargi, les chrétiens pouvaient donner la main aux philosophes, et ceux-ci de leur côté n’ont pas de raison pour s’y refuser.

34. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Ces belles contrées entre le Danube et la côte d’Asie seront laissées aux races chrétiennes ; Sainte-Sophie sera redevenue chrétienne ; cette ville de Constantinople, cette entrée orientale de l’Europe lâchement livrée aux Turcs il y a quatre siècles, conquise de leurs mains par droit de massacre, restée désormais sous leur joug par droit de stupidité, d’après ce titre d’être la nation la plus propre à posséder inutilement un grand empire, sera rendue à la fédération chrétienne d’Europe. Ou ville libre et neutralisée, ou capitale d’un État grec, ou conquête disputée entre de grandes puissances, Constantinople, si près de Malte et de Marseille, dans la vitesse actuelle des forces civilisées, ne peut longtemps appartenir à un autre monde, à un autre génie que l’Europe chrétienne. […] La terre où le sentiment chrétien a tant de ferveur, où la règle religieuse a tant de puissance, est aussi le pays où, comme dans l’Asie et dans l’Europe chrétienne des premiers siècles, l’esclavage domestique, la vente, l’asservissement physique de l’homme sont encore maintenus. […] Telle fut la grandeur, le caractère original de ces hymnes que la foi chrétienne, que la pitié, que l’espérance prodiguaient au milieu des misères du monde romain expirant ; telle était cette source de ferveur pure et sublime, cette Aréthuse chrétienne qui ne cessait point d’épandre quelques filets limpides sous les flots de la barbarie. […] De ces prêches que l’unité de ferveur, dans la liberté de croyance, multiplie parmi les sectes chrétiennes d’Amérique, il jaillira toujours des paroles de feu qui entretiendront l’enthousiasme de la charité dans les âmes.

35. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VI. La Mère. — Andromaque. »

Ici nous proposons d’ouvrir un nouveau sentier à la critique ; nous chercherons dans les sentiments d’une mère païenne, peinte par un auteur moderne, les traits chrétiens que cet auteur a pu répandre dans son tableau, sans s’en apercevoir lui-même. Pour démontrer l’influence d’une institution morale ou religieuse sur le cœur de l’homme, il n’est pas nécessaire que l’exemple rapporté soit pris à la racine même de cette institution ; il suffit qu’il en décèle le génie : c’est ainsi que l’Élysée, dans le Télémaque, est visiblement un paradis chrétien. Or, les sentiments les plus touchants de l’Andromaque de Racine émanent pour la plupart d’un poète chrétien. […] Ce vers si simple et si aimable : Je ne l’ai point encor embrassé d’aujourd’hui, est le mot d’une femme chrétienne : cela n’est point dans le goût des Grecs, et encore moins des Romains. […] Lorsque la veuve d’Hector dit à Céphise, dans Racine : Qu’il ait de ses aïeux un souvenir modeste : Il est du sang d’Hector, mais il en est le reste, qui ne reconnaît la chrétienne ?

36. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

Adhérer à Jésus en vue du royaume de Dieu, voilà, ce qui s’appela d’abord être chrétien. […] Le royaume de Dieu, tel que nous le concevons, diffère notablement de l’apparition surnaturelle que les premiers chrétiens espéraient voir éclater dans les nues. […] En ce sens, nous sommes chrétiens, même quand nous nous séparons sur presque tous les points de la tradition chrétienne qui nous a précédés. […] Ne disons pas davantage que la gloire de la fondation du christianisme doit revenir à la foule des premiers chrétiens, et non à celui que la légende a déifié. […] Ce passage a été altéré par une main chrétienne.

37. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Mais il n’écrivait plus ; il avait donné sa démission de la littérature… L’ancien éventailliste du premier Figaro, dégoûté des Célimènes et des journaux pour lesquels il avait travaillé, dégoûté même des livres qu’il avait écrits, dégoûté des philosophies par lesquelles il avait passé, s’était fait chrétien pour en finir avec tous ces dégoûts, qui sont les égouts de nos cœurs… Il était devenu chrétien, — mais le christianisme de Brucker n’était pas ce haut balcon d’où l’on peut cracher sur le monde méprisé. […] … Le chrétien rentra dans sa crypte aussi simplement qu’il en était sorti. […] Arrivés au sommet de leur renommée, heureux, applaudis, se faisant entre eux dans leurs livres tous les salamalecs de la camaraderie, qui n’est le plus souvent que l’hypocrisie de l’amitié, aucun d’eux ne s’est noblement retourné vers cet homme dont ils avaient vu à l’œuvre le génie, et qui les avait, avant qu’il fût chrétien, souvent inspirés ! […] En ce temps-là comme en celui-ci, il y avait contre la paternité et la famille, qui ne font qu’un, du reste, l’hostilité héréditaire de l’égalité entre tous et de la cohue révolutionnaire, qui ne font aussi qu’un à leur tour, et c’est pour sauver la Paternité et la Famille, qu’on voulait noyer dans cette cohue, c’est pour défendre leur personnalité et leur dignité violées par un enseignement qui n’aurait pas été chrétien, que Brucker fit ses Docteurs du jour, dont le jour est revenu… Il y discute toutes les questions hypocrites sous lesquelles les docteurs d’alors cachaient leurs haines et leurs projets contre la société chrétienne. […] Beaumarchais chrétien, avec l’esprit et la combattante gaieté de Beaumarchais, mais qui, de cette fois, ne triompha pas… Malheureux !

38. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XVI. Le Paradis. »

Il est pourtant extraordinaire qu’avec tant d’avantages les poètes chrétiens aient échoué dans la peinture du ciel. […] D’après ces considérations sur l’usage du merveilleux chrétien dans la poésie, on peut du moins douter que le merveilleux du paganisme ait sur le premier un avantage aussi grand qu’on l’a généralement supposé. […] Quand nous aurons, sur un sujet chrétien, un ouvrage aussi parfait dans son genre que les ouvrages d’Homère, nous pourrons nous décider en faveur du merveilleux de la fable, ou du merveilleux de notre religion ; jusque alors il sera permis de douter de la vérité de ce précepte de Boileau : De la foi d’un chrétien les mystères terribles, D’ornements égayés ne sont point susceptibles. […] Tout est machine et ressort, tout est extérieur, tout est fait pour les yeux dans les tableaux du paganisme ; tout est sentiment et pensée, tout est intérieur, tout est créé pour l’âme dans les peintures de la religion chrétienne. […] C’est une chose assez bizarre que Chapelain, qui a créé des chœurs de martyrs, de vierges et d’apôtres, ait seul placé le paradis chrétien dans son véritable jour.

39. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

On avait presque le droit de les appeler, selon le langage des anciens Pères, les chrétiens primitifs ; c’était du moins comme autant de Mages qui étaient déjà plus ou moins directement en chemin vers le divin berceau. […] L’auteur a pour but de démontrer qu’au point de vue chrétien et catholique, la communion crue et acceptée dans sa plénitude, la communion fréquente et bien faite (quand on a le bonheur d’y croire), est la plus sûre, la plus efficace et la plus vive méthode de charité. […] L’abbé Gerbet fut le consécrateur et l’exhortant dans cette scène si profondément sincère et si douloureusement pathétique, mais où le chrétien retrouvait de saintes joies. […] « C’est ainsi que parlerait Platon chrétien », a dit M. de Lamartine de ce Dialogue, et l’éloge n’est que vrai. L’abbé Gerbet, s’il voulait s’y appliquer, et si sa nature physique le lui permettait avec suite, eût composé sans doute plus d’un de ces dialogues heureux : il a en lui ce qu’il faut pour être l’homme des Tusculanes chrétiennes.

40. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

avec un sentiment qui est sa gloire, à elle, et que Michelet, le chrétien tombé, avait perdu. L’auteur des Horizons prochains, cet esprit d’ange, et jamais ce mot n’a été plus vrai, est tellement chrétienne qu’on dirait qu’elle l’était avant que d’être une âme, si cela n’était pas impossible. […] car l’incognito du talent est impossible, et le voile qu’elle avait mis sur le sien a été levé… Mme de Gasparin est une chrétienne qui n’écrit que pour des chrétiens, et ce n’est pas moins pour tout le monde, car son livre est bien capable d’en faire naître ; mais n’y eût-il dans ce livre divinisé par le sentiment chrétien que l’imagination humaine où il y a le génie des plus saintes croyances, qu’il faudrait admirer encore le poëme touchant et sublime que l’imagination aurait composé avec les idées de la foi ! […] Aujourd’hui, ce n’est encore qu’une âme chrétienne qui dit simplement, sincèrement, mais passionnément aussi, tout ce qu’elle pense et ce qu’elle croit. […] Une grande moraliste, une des moralistes les plus pathétiques, les plus renseignées de douleurs, est au fond de cette rêveuse chrétienne, qui en nous donnant à son tour sa poésie sur le-Ciel, y mêle les réalités saignantes de la vie ; amer charme de plus !

41. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Il y a l’introduction vaillante du mysticisme chrétien dans l’histoire, en vue d’expliquer des faits trop grands pour être naturels. […] Il endoctrinait un dauphin sous le Roi Très-Chrétien et dans une société, chrétienne encore d’esprit, si elle ne l’était plus de mœurs. […] Il s’expose au ridicule, le dernier bourreau de ceux qui continuent de livrer les chrétiens aux bêtes. […] Roselly de Lorgues est un chrétien qui a fait déjà des livres chrétiens ; ou a-t-il trouvé dans l’homme prodigieux qu’il raconte aujourd’hui une démonstration que d’abord il ne cherchait pas ? […] Roselly de Lorgues une virtualité inaccoutumée parmi les publications chrétiennes de ce temps, n’a pas porté malheur à son histoire.

42. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Plan de l’Apologie de la religion chrétienne. […] L’individu suit sa passion, cherche son plaisir, rejetant toute règle : et quelle règle plus gênante que la règle chrétienne ? […] comment a-t-elle excité les âmes aux sublimes efforts dans les rudes voies de la perfection chrétienne ? […] Il faut donc vivre en chrétien. […] Or la religion chrétienne est une religion d’amour.

43. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Olier conçoit comme l’idéal de la vie du chrétien ce qu’il appelle « l’état de mort ». […] On croit avoir fait des chrétiens ; on a fait des esprits faux, des politiques manqués. […] Manier, j’étais chrétien. […] Et, s’exaltant peu à peu, il me dit avec un accent passionné : « Vous n’êtes pas chrétien !  […] Gottofrey, je chancelais ; ces mots : « Vous n’êtes pas chrétien ! 

44. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

n’est pas chrétienne, à ce juste de la Révolution ! […] , de respect, de reconnaissance et d’amour chrétien de la famille, quoiqu’il n’ait pas fait baptiser ses enfants. […] Il alla à toute sa nature, qui était chrétienne comme elle était sensée. […] Il était né chrétien par les facultés. […] Proudhon a vu dans le Bas-Bleu — la femme du xixe  siècle — l’écroulement de la femme chrétienne, de la noble femme chrétienne !

45. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

L’imagination peut à peine concevoir l’horreur des peuples chrétiens du seizième siècle, à l’approche de Soliman ou de Sélim. […] C’est ce pontife qui, dès la première menace des Turcs contre l’île de Chypre, sollicita vivement une ligue de quelques États chrétiens. […] La flotte ottomane, forte de plus de deux cents galères poussées par les rames d’esclaves chrétiens, et traînant à sa suite une foule de navires, s’était embossée au rivage. La flotte chrétienne longea, du nord au sud, la côte d’Albanie, marchant à l’ennemi précédée de six galéasses vénitiennes, ou grands vaisseaux, dont les hauts bords et les feux étaient irrésistibles. […] Le Seigneur, qui a montré sa forte main pour la foi de son prince chrétien, et qui, pour la gloire de son saint nom, accorde à son Espagne ce triomphe.

46. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Persévérance et uniformité ardente, qui le tint toujours à l’abri de tout échec et de tout soupçon ; qui se sent et transpire dans tout ce qu’il profère et enseigne, et qui lui assurait, dans l’ordre moral et chrétien, une autorité que nul en son siècle n’a surpassée, pas même Bossuet ! […] En lisant ce sermon Sur la pensée de la mort et à mesure que j’avançais, je sentais s’évanouir ces vagues idées d’un dieu non chrétien, d’un dieu des bonnes gens, qui se sont aujourd’hui glissées insensiblement presque dans toutes les âmes. […] Bourdaloue même y a peut-être l’avantage par un côté : il y reste plus réel et plus vrai, plus d’accord en tout avec la chaire chrétienne. […] Il ne considéra son sujet qu’à un point de vue chrétien, et ne loua dans l’ancien fauteur de tant de troubles civils que le converti du calvinisme et celui qui avait replacé sa maison et sa race dans le giron de l’Église. […] Lorsqu’il arrive à l’heure de cette conversion, il a un retour sur lui-même, comme il s’en permet peu d’ordinaire ; mais ici le mouvement est indiqué et comme irrésistible : Le dirai-je, chrétiens ?

47. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Brucker, le Diderot chrétien, n’a ni l’éclat, de la vie de Diderot l’athée, ni son influence sur l’opinion. […] Brucker, né sur le fumier de l’incrédulité, qui ne vaut pas celui de Job, a longtemps été philosophe, mais est devenu un chrétien, avant de recevoir son coup de lumière dans l’intelligence. […] C’est là qu’il fut réellement le Diderot chrétien, comme nous nous obstinons à l’appeler. […] Envoyé à Nancy, il y fonda l’Espérance, revint à Paris, et, comme tous les esprits de grande origine que le sentiment de l’unité tourmente et chez qui l’inconséquence entre la pensée et la vie ne saurait durer, il y revint chrétien pratique de chrétien spéculatif qu’il avait été jusque-là. […] Il a voulu, — cette chose chimérique, — y faire asseoir la morale chrétienne une bonne fois.

48. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Fontenelle, et le père Baltus. » pp. 2-16

Qu’on ajoute à cela l’amour naturel des hommes pour le merveilleux, & l’on ne s’étonnera plus que cette opinion ait été générale parmi les chrétiens. […] Des sectes entières de philosophes, des écrivains, & sur-tout les poëtes comiques, des grecs encore sans culture, mais d’un sens droit, des chrétiens eux-mêmes s’en moquoient ouvertement. […] Les empereurs chrétiens défendirent, vers ce temps, d’en faire aucun exercice, sous peine de mort. […] Baltus lui-même ne croit pas à l’oracle de l’enfant Hébreu : il convient que les oracles n’ont point cessé tout-à-coup, mais à proportion du progrès de la religion chrétienne. […] La conversion des peuples au christianisme, la fourberie soupçonnée dans plusieurs oracles & confirmée dans quantité d’autres, les édits des empereurs chrétiens.

49. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Dante avec tout son génie, avec les influences divinisantes dont le Catholicisme avait pénétré sa pensée, n’est pas le poète de l’enfer chrétien. […] Mais la conception de l’enfer chrétien dispensait un homme d’avoir du génie, et, d’ailleurs, voir où dort une immense poésie rend un homme digne de l’éveiller. […] Amédée Pommier a été un grand poète dans tout ce qu’il a compris de l’idée chrétienne, mais, quand cette idée qui l’a élevé au-dessus de lui-même, qui l’a emporté et qui l’a soutenu, l’a laissé à terre, il y est resté. […] Ce n’est pas Klopstock, ce n’est pas Milton, c’est un poète d’une personnalité différente dans lequel l’inspiration de la tradition chrétienne et de la légende populaire bat plus fort. […] Son enfer, à lui, est bien l’enfer chrétien, inamissible, inexorable, éternel.

50. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M.  […] À ces questions de première nécessité, la religion chrétienne a des réponses, les meilleures réponses, les plus nettes, et M.  […] Guizot est simple : elle ne heurte aucune des communions chrétiennes, elle s’accommode de toutes ; elle s’en passe aussi jusqu’à un certain point. […] On n’a droit à, ses yeux de se dire chrétien qu’à bon escient. […] Pour être chrétien aux yeux de M. 

51. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre III. Partie historique de la Peinture chez les Modernes. »

L’école chrétienne a cherché un autre maître ; elle le reconnaît dans cet Artiste qui, pétrissant un peu de limon entre ses mains puissantes, prononça ces paroles : Faisons l’homme à notre image. […] Les arts ne trouvèrent plus de retraites qu’auprès des chrétiens et des empereurs orthodoxes. […] Les professeurs furent brûlés vifs, et ce ne fut qu’au péril de leurs jours que des chrétiens parvinrent à sauver la peau de dragon, de cent vingt pieds de longueur, où les œuvres d’Homère étaient écrites en lettres d’or. […] Enfin, vers le treizième siècle, la religion chrétienne, après avoir lutté contre mille obstacles, ramena en triomphe le chœur des Muses sur la terre. […] Or, il est aisé de prouver trois choses : 1º que la religion chrétienne, étant d’une nature spirituelle et mystique, fournit à la peinture un beau idéal, plus parfait et plus divin que celui qui naît d’un culte matériel ; 2º que, corrigeant la laideur des passions, ou les combattant avec force, elle donne des tons plus sublimes à la figure humaine, et fait mieux sentir l’âme dans les muscles, et les liens de la matière ; 3º enfin, qu’elle a fourni aux arts des sujets plus beaux, plus riches, plus dramatiques, plus touchants, que les sujets mythologiques.

52. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Caractères généraux de cette période : restauration monarchique et catholique ; ordre et tolérance ; rationalisme et éloquence ; détermination des objets littéraires ; stoïcisme chrétien ; sincérité et naturel. […] Cela ne suffit pas pour en faire un sceptique : ne plagiait-il pas aussi le très chrétien Du Vair ? […] C’est un stoïcisme chrétien, qui préfère l’action à la contemplation, et la vie civile au cloître. […] Sur un point, il est moins Grec et Romain que ses devanciers de la Renaissance et que ses successeurs classiques : il veut une poésie, une tragédie chrétiennes. […] Sous la pression des tristesses morales de cette époque troublée, une sorte de stoïcisme chrétien s’élabore dans les âmes qui ont besoin de faire provision d’énergie.

53. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

D’un autre côté, ajoutera-t-on, nierez-vous les poètes chrétiens ? […] Vous appelez Lamartine chrétien, et moi je l’appelle sceptique ; il n’a du Chrétien que la crainte devant Dieu. […] Je ne puis voir dans tous ces chants chrétiens qu’un deuil, une pompe funéraire et la plainte dernière sur un mort. […] Or c’est là précisément ce qui est arrivé à nos poètes chrétiens. […] Le mysticisme du cloître avait sa place dans l’Église, comme la prière dans la journée du chrétien.

54. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIX. Progression croissante d’enthousiasme et d’exaltation. »

La première génération chrétienne vécut tout entière d’attente et de rêve. […] Le chrétien sera loué d’être mauvais fils, mauvais patriote, si c’est pour le Christ qu’il résiste à son père et combat sa patrie. […] L’Évangile était ainsi destiné à devenir pour les chrétiens une utopie, que bien peu s’inquiéteraient de réaliser. […] De tous les humains le plus intéressé, le plus orgueilleux, le plus dur, le plus attaché à la terre, un Louis XIV, par exemple, devait trouver des prêtres pour lui persuader, en dépit de l’Évangile, qu’il était chrétien. […] Le moine est ainsi, en un sens, le seul vrai chrétien.

55. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Henri Cantel »

A de certaines saveurs de son volume, on pourrait croire que l’auteur est chrétien d’éducation première et peut-être d’âme par sa mère ; mais littérairement, non ! […] C’est un païen, un païen de nuances douces et mêlées à des quarts de nuances chrétiennes, et voilà pourquoi, sans nul doute, amitié et talent à part, Hippolyte Babou, l’auteur des Païens innocents, l’a chaperonné si aimablement dans une spirituelle préface. […] » A un poète chrétien : « Voyons ce que vous avez tiré des idées chrétiennes ! » A un poète qui n’est ni païen ni chrétien : « Voyons votre œuvre et jugeons, sans nous soucier et sans nous informer de la pensée d’où elle est sortie ; voyons-la et jugeons-la sur ses mérites extérieurs, plastiques ou littéraires !  […] La forme chrétienne a seule la vie.

56. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Ce lien qui unit tous les Européens est-il donc en ce que tous sont chrétiens ? — La main sur le cœur, chers frères d’Europe, sommes-nous tous chrétiens ? […] Non, les peuples européens ne sont pas encore chrétiens ; sont-ils donc pareils en ce qu’ils sont hommes issus d’hommes ? […] Mais cet appui de la religion la plus pure, la plus divine, ce pouvait être seulement la plus noble des races humaines ; ainsi le pur Christianisme affranchi devint nécessairement la propriété des Aryens, qui en ces temps dominaient l’Europe : dès ce moment il y avait une ère chrétienne, bien qu’il n’y eût pas encore des peuples vraiment chrétiens. […] C’est pour cela que toute œuvre d’art vraie, pure et grande, qui ne se contente pas de jouer avec l’apparence, mais qui la représente idéalement comme l’être de l’homme, devient un fait chrétien.

57. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Auprès du philosophe il était besoin d’insister particulièrement sur l’esprit chrétien et sur l’influence de la pensée théologique ; auprès du millénaire, il fallait insister davantage sur la forme catholique et l’action sociale de la hiérarchie. […] Tel fut Eugène ; il mérita d’être compté au nombre des premiers disciples du maître dont il embrassa la foi, et maintenant il reçoit au milieu de nous la récompense de ses mérites. » Eugène fut un théologien du premier ordre ; né dans la religion juive, il ne passa point ses premières années au milieu de cette indifférence convenue et de cette tiédeur morale qui est la plaie de tant de familles chrétiennes. […] La papauté, aux plus beaux jours du catholicisme, n’a fuit que tester, depuis, ce que le dogme chrétien ne permettait, avec sa division du spirituel et du temporel, que dans une mesure imparfaite. Le mosaïsme, moins développé en dogme que la religion chrétienne ; s’en tenant, avant tout, à l’unité de Dieu, qu’il importait de conserver entière et pure au sien du polythéisme ; renonçant à lier et à associer l’humanité encore rebelle et trop peu assimilable ; le mosaïsme, même avec ses restrictions, ses ignorances et ses grossièretés, cimentait plus fortement qu’aucune autre religion n’eût fait, et coordonnait en société complète, dans sa contrée étroite et montagneuse, son petit peuple choisi. […] Sainte-Beuve a aimé parfois à en imaginer, — cet autre portrait d’un savant, d’un philosophe « austère et solitaire », qu’il a peint lui-même, trente-deux ans plus tard (en 1864), dans un article à propos des Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. 

58. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Nous connaissons la morale chrétienne, comme elle nous connaît nous-mêmes. […] S’il est vrai que nous ne soyons pas théologiens, du moins nous sommes chrétiens. […] C’est par là que doit commencer le prédicateur chrétien. […] Toute la morale chrétienne est dans ses sermons. […] Chrétien par la douceur et la pureté, le serait-il devenu par la croyance ?

59. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre premier. Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu. »

Or, c’est ici le grand avantage de notre culte sur les cultes de l’antiquité : la religion chrétienne est un vent céleste qui enfle les voiles de la vertu et multiplie les orages de la conscience autour du vice. Les bases de la morale ont changé parmi les hommes, du moins parmi les hommes chrétiens, depuis la prédication de l’Évangile. Chez les anciens, par exemple, l’humilité passait pour bassesse, et l’orgueil pour grandeur ; chez les chrétiens, au contraire, l’orgueil est le premier des vices, et l’humilité une des premières vertus. […] C’est par le mélange de la vertu chrétienne, directement opposée à ce mouvement, l’humilité. […] Le principe de nos amitiés n’est point dans ce monde : deux êtres qui s’aiment ici-bas sont seulement dans la route du Ciel, où ils arriveront ensemble, si la vertu les dirige ; de manière que cette forte expression des poètes, exhaler son âme dans celle de son ami, est littéralement vraie pour deux chrétiens.

60. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Atala est chrétienne. […] Es-tu chrétien ?  […] Je suis devenu chrétien. […] Un païen amoureux d’une chrétienne ou un chrétien amoureux d’une païenne. […] Cymodocée veut être chrétienne.

61. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Ce n’en est pas moins toujours, quel qu’en soit l’instrument, le parricide de l’idée chrétienne dont nous sommes tous les fils et qu’on frappe au cœur ! […] Sénèque était si chrétien de présensation, qu’on a prétendu, bien à tort, — et M. Boissier fait à fond cette critique, — qu’il avait connu saint Paul, et que si saint Paul ne l’avait pas converti, il l’avait, du moins, imprégné et saturé d’idées chrétiennes. Marc-Aurèle, tout philosophe qu’il fût, était dévot à la manière de nous autres, les dévots chrétiens. […] Gaston Boissier fait donc reculer l’idée chrétienne jusqu’à Cicéron.

62. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Guerre contre l’antiquité chrétienne. — La Mothe-Le Vayer. — Pascal. — Huet. — Bayle. — § VI. […] Le doute est le véritable adversaire de l’antiquité chrétienne au dix-septième siècle. […] Plusieurs parmi les meilleurs chrétiens, se laissèrent prendre aux aimables avances de son doute. […] Mais on ne fut ni l’honnête homme de la morale chrétienne, ni le prud’homme de la morale de Socrate. On fut la pire des choses, un chrétien qui se fait païen.

63. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Jules Soury. Jésus et les Évangiles » pp. 251-264

Nous autres chrétiens, M.  […] Ils ont passé sous la lance implacable des chevaliers chrétiens, qui ont aimé Jésus-Christ comme il n’a jamais été aimé depuis eux, si ce n’est par des Saints, ces Exceptions du monde, ces Stylites, placés à distance les uns des autres dans ce « désert d’hommes » de l’humanité. […] Soury, les Juifs ne vaudront pas mieux que les chrétiens. […] Soury est pour les Romains, contre les Juifs et contre les chrétiens. […] À cette heure, il est évident que sans un coup de Providence qu’on n’a pas le droit d’espérer, la société chrétienne est morte.

64. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Sur la route qu’il parcourt aujourd’hui, en effet, dans cette phase que sa plume traverse, il y a l’Église chrétienne. […] De l’expiation sur une échelle énorme sont sorties les nations païennes pour devenir des nations chrétiennes ; et quand les nations chrétiennes, à leur tour, auront sombré dans tous les vices, elles n’auront, pour se relever et se refaire, rien de meilleur, de plus puissant et de plus beau. […] Thierry est-il ou n’est-il pas chrétien ? […] Il a la bonne foi de l’histoire, mais avec un sentiment chrétien, plus profond encore, il en aurait eu la grandeur ! […] Amédée Thierry est chrétien, coupe-t-il le récit des miracles de saint Séverin par de petites interrogations philosophiques et sceptiques ?

65. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIII. L’Enfer chrétien. »

L’Enfer chrétien. Entre plusieurs différences qui distinguent l’enfer chrétien du Tartare, une surtout est remarquable : ce sont les tourments qu’éprouvent eux-mêmes les démons. […] Dans les champs Cimmériens de l’Odyssée, le vague des lieux, les ténèbres, l’incohérence des objets, la fosse où les ombres viennent boire le sang, donnent au tableau quelque chose de formidable, et qui peut-être ressemble plus à l’enfer chrétien que le Ténare de Virgile. […] À la vérité, nous n’avons point d’enfer chrétien traité d’une manière irréprochable.

66. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

On mêla le mysticisme chrétien au fantastique breton. […] Chrétien de troyes. […] Le doux Chrétien ne comprend pas ces orages intimes. […] Est-ce Chrétien qui ne comprenait pas la légende celtique ? Sont-ce les écrivains postérieurs qui y mirent comme une âme chrétienne ?

67. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Les consciences se sont livrées d’elles-mêmes au moraliste chrétien. […] La confession a livré l’homme au moraliste chrétien. […] Le moraliste chrétien est seul dans la vérité. […] Pourquoi faire tenir ce langage aux premiers chrétiens ? […] Racine est-il chrétien ?

68. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Cette chevalerie chrétienne, inaugurée dès Charlemagne, triomphant avec Godefroi de Bouillon, a ici sa dernière couronne dans saint Louis. Et notez que, tout à côté de saint Louis et ce jour-là même, l’autre chevalerie, chrétienne encore, mais déjà mondaine et profane, existe, et qu’elle a son expression jusque dans Joinville, dans le fidèle ami du roi. […] Le sort des prisonniers chrétiens est en question plus que jamais. […] Pour se mieux assurer de l’exécution du traité et aussi pour rendre courage aux chrétiens de Syrie, le roi s’en va à la ville d’Acre. […] [1re éd.] saint Louis conclut avec les Sarrasins au sujet de sa rançon et de celle des nombreux chrétiens captifs.

69. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

C’est un chrétien à genoux dans le tribunal de la pénitence, qui déplore ses fautes, et qui les découvre, afin que le médecin applique le remède sur la plaie. […] que le christianisme soit maintenant obligé de se défendre devant ses enfants, comme il se défendait autrefois devant ses bourreaux, et que l’Apologétique aux Gentils soit devenue l’Apologétique aux Chrétiens ! […] « Je ne sais (dit l’orateur, en reprochant le luxe aux femmes chrétiennes), je ne sais si des mains accoutumées aux bracelets, pourront supporter le poids des chaînes ; si des pieds ornés de bandelettes s’accoutumeront à la douleur des entraves. […] « Le style de Tertullien est de fer, disait Balzac, mais avouons qu’avec ce fer il a forgé d’excellentes armes. » Selon Lactance, surnommé le Cicéron chrétien, saint Cyprien est le premier Père éloquent de l’Église latine . […] La diction de saint Chrysostome est pure, mais laborieuse ; il fatigue son style à la manière d’Isocrate : aussi Libanius lui destinait-il sa chaire de rhétorique avant que le jeune orateur fût devenu chrétien.

70. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Ce qu’il nous importe d’examiner dans cette peinture, ce n’est pas pourquoi elle est supérieure au tableau de Galatée (supériorité trop évidente pour n’être pas reconnue de tout le monde), mais pourquoi elle doit son excellence à la religion, et, en un mot, comment elle est chrétienne. […] Son églogue n’est si touchante que parce qu’elle représente deux familles chrétiennes exilées, vivant sous les yeux du Seigneur, entre sa parole dans la Bible, et ses ouvrages dans le désert. […] On reconnaît encore le chrétien dans ces préceptes de résignation à la volonté de Dieu, d’obéissance à ses parents, de charité envers les pauvres ; en un mot, dans cette douce théologie que respire le poème de Bernardin de Saint-Pierre. […] Mais l’amante de Paul est une vierge chrétienne, et le dénouement, ridicule sous une croyance moins pure, devient ici sublime. Enfin, cette pastorale ne ressemble ni aux idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout à fait aux grandes scènes rustiques d’Hésiode, d’Homère et de la Bible ; mais elle rappelle quelque chose d’ineffable, comme la parabole du bon Pasteur, et l’on sent qu’il n’y a qu’un chrétien qui ait pu soupirer les évangéliques amours de Paul et de Virginie.

71. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

Le mot impossible n’est pas d’un chrétien ; un malade n’est jamais condamné tant que Dieu lui reste. […] Il ressort surabondamment de tous ces témoignages qu’il n’y avait plus rien du poëte, presque plus rien de l’homme de lettres dans Racine mourant : le chrétien seul, et le chrétien selon Port-Royal, survivait et chassait toute autre pensée. […] Despréaux est droit d’esprit et de cœur, plein d’équité, généreux ami ; mais la nécessité de pardonner une injure, où est un chrétien qui veut être digne de son nom, ne semble pas avoir encore fait assez d’impression sur son esprit ni sur son cœur. […] Ce qu’il y a de bien certain, c’est que si chez celui-ci, vers la fin, le poëte était tout à fait fondu dans le chrétien, il se retrouvait tout entier, toujours armé et sur le qui-vive, toujours irritable en Despréaux. […] Vuillart qui, on tant qu’ami intime de M. de Tillemont, devait savoir là-dessus le dernier mot de l’érudition chrétienne.

72. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Il se retrouvait en présence du fanatisme musulman, excité à son approche contre un chrétien et contre un Français. […] De même qu’il y a chrétiens et chrétiens, il y a musulmans et musulmans, il en est de zélés entre tous, de purement fanatiques, criant à la décadence de l’Islamisme, jaloux d’y pourvoir et de raviver l’ancienne ferveur : ce seraient gens, chez nous, à vouloir restaurer le Moyen-Age et l’Inquisition. […] « Ainsi, quoique chrétien, quoique Français, titre aggravant pour tous ceux qui croient leur indépendance menacée, j’ai voyagé, nous dit M.  […] Mais In-Salah est encore plus inabordable aux chrétiens que Timbouktou. […] Seul entre tous ses coreligionnaires, il a assez de crédit pour faire accepter un chrétien dans une ville où nul autre n’a pu pénétrer depuis.

73. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Les conférences sur les vertus chrétiennes, la charité, la chasteté, la sainteté, celles de 1846 sur Jésus-Christ se lisent encore avec un plaisir qui va parfois jusqu’à l’émotion. […] C’est à des hommes raisonnables et à des chrétiens que je me suis adressé. […] Il s’est rendu compte, en partie, des conditions faites par la misère des temps à la prédication chrétienne, et c’est à cause de cela que son Carême nous a paru intéressant. […] Supposons que la confession n’ait pas été instituée par Jésus-Christ : ou bien elle aurait été inventée et imposée, à un moment donné, par un seul homme ; ou bien elle se serait répandue peu à peu dans le monde chrétien. […] Un certain nombre de prédicateurs reviennent décidément, comme le Père Monsabré, à l’exposition pure et simple du dogme et de la morale chrétienne d’après la Somme de saint Thomas, qui est comme on sait, en grande faveur auprès de Léon XIII.

74. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

je reconnais là le chrétien, l’évêque, qui ne veut pas qu’on se serve du vice, même pour les besoins de l’État. […] Il fallait bien qu’après la part faite à la politique par l’homme qui prétendait entrer au conseil, l’archevêque et le chrétien fissent des réserves au nom de la morale chrétienne. […] On croit généralement le contraire, et Fénelon passe pour plus indulgent et plus inspiré de la charité chrétienne que Bossuet. […] Aucun moderne n’a mieux senti les grâces du paganisme que cet archevêque chrétien. […] Voici la dernière cause du froid dans le Télémaque : les païens y sont trop chrétiens.

75. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

Comment peut-on, après cela, méconnoître les avantages de la Religion Chrétienne, dont personne ne conteste la supériorité sur la Paganisme ? […] C'est ce qui a fait dire à Montesquieu, que la Religion Chrétienne force les hommes à être heureux, même dès cette vie. […] N’est-ce pas à la Morale chrétienne qu’ils en sont redevables ? […] Le mal du Chrétien n’est, aux yeux de sa foi, qu’un mal passager, & toujours propre à lui mériter des récompenses éternelles. […] Les Philosophes, pour prouver que la Religion Chrétienne fait le malheur de l’Homme, alleguent les sacrifices continuels qu’elle exige de nous.

76. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Renan a commencé par nier le Dieu des chrétiens, il finit par nier le Dieu des déistes, et, à sa place, il met la science. […] Boissier, qui croyait que le monde pouvait très bien se passer de la morale chrétienne et que le stoïcisme suffisait. […] Renan, Marc-Aurèle avait été un esprit religieux, il aurait eu l’initiative du temps qui devait suivre et il aurait ouvert son empire aux idées chrétiennes. […] Il était imbibé déjà de ces idées chrétiennes qui montaient alors comme le flot déchaîné d’une inondation et qui pénétraient de toutes parts dans sa législation et dans ses mœurs, et M.  […] Il avait éteint l’inspiration divine dans toutes les grandes physionomies chrétiennes.

77. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Léon Aubineau. La Vie du bienheureux mendiant et pèlerin Benoît-Joseph Labre » pp. 361-375

Mais il n’y a pas que les chrétiens fervents qui puissent s’intéresser à la vie prodigieuse de ce Saint. […] Aubineau de replacer le grand mendiant chrétien dans sa véritable lumière, mais je sais bien que c’est là une raison pour moi d’en parler aux Habits noirs de l’Impiété, aux messieurs de la Libre Pensée, qui admirent Diogène pour peu qu’il soit païen, cynique et porc (mais pas d’Épicure), et qu’il crache sur les tapis d’Aristippe, mais qui ne veulent plus d’un Diogène chrétien doux et pur, et qui s’agenouille noblement devant un autel. C’est le Diogène chrétien, en effet, que Benoît-Joseph Labre, non plus avec le cynisme du philosophe antique, mais avec des sentiments inconnus à toute l’Antiquité : l’humilité, la simplicité du cœur, et l’amour du Dieu qui a enseigné aux hommes la mortification et la pauvreté. […] La catholique France du roi très chrétien était devenue, ma foi ! […] Ils croyaient tous, les Sardanapale et les Héliogabale de ce temps-là, que la mortification, cette duperie des chrétiens, cette bête de mortification, était radicalement finie ; que la pauvreté, pire qu’un vice, qui est toujours bon, était bafouée et honnie à jamais.

78. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Ni les Pères de l’Église, ni les écrivains chrétiens de la première moitié du moyen âge ne songèrent à dresser une exposition systématique des dogmes chrétiens dispensant de lire la Bible avec suite. […] Le dogme chrétien s’est fait, comme toute chose, lentement, peu à peu, par une sorte de végétation intime. […] Je regrettais par moments de n’être pas protestant, afin de pouvoir être philosophe sans cesser d’être chrétien. […] que ne puis-je, comme un Herder, penser tout cela et rester ministre, prédicateur chrétien !  […] J’étais chrétien comme l’est un professeur de théologie de Halle ou de Tubingue.

79. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

Ces livres surprenants et délicieux, ne ressemblaient guères à celui qu’a publié le mari de cette chrétienne inspirée. […] Le principe chrétien, c’est la rencontre directe de l’âme avec Dieu. » Et l’effort pour se passer de Dieu, dans les idées du comte de Gasparin, — le croira-t-on jamais ? […] Pour lui, de cela seul que l’idée est chrétienne, elle n’est plus soumise à la loi qui régit les autres idées dans toutes les sphères de notre activité. […] Le grain de sénevé apporté par la main du Divin Semeur ne devait pas lever sur le sillon… Cette incroyable idée chrétienne ne devait chercher ni son accroissement, ni son organisation. […] la moralité du monde chrétien en proie aux erreurs les plus monstrueuses, — aucun de ces événements, qu’il fallait comprendre, n’a été jugé dans cette histoire au bout de la langue, et dans laquelle tout roule précipitamment et pêle-mêle, emporté par cette idée que l’Église romaine n’est pas la véritable Église, parce qu’elle a eu l’audace de vivre, de s’organiser et de devenir un gouvernement !

80. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Vincent contribua plus que personne à mettre le discours chrétien dans la voie de la sérieuse et utile simplicité : il ne put sans doute proscrire, comme il le voulait, l’éloquence ; il enseigna du moins à en faire bon usage, à la subordonner aux fins essentielles de la parole chrétienne. […] Il a pris de ce biais ces discours d’apparat, ne pouvant concevoir un discours chrétien qui ne tendit à l’édification. […] Bourdaloue est aussi grave, aussi sérieux, aussi chrétien que Bossuet : il ne lui ressemble pas du tout. […] Les qualités de Fléchier sentent la décadence, et en effet avant la fin du siècle il est sensible que l’éloquence chrétienne s’en va, du même pas que l’esprit chrétien. […] Si l’on excepte les formules traditionnelles, rien n’y sent le chrétien.

81. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Vous voyez bien que ce n’est pas comme chrétiens que les chrétiens étaient tués, mais comme factieux ; «  l’accusation était injuste ; mais elle prouvait que ce n’était pas la religion seule qui excitait le zèle des magistrats. » On raisonnait ainsi : les chrétiens peuvent adorer n’importe qui..Mais tous les chrétiens sont factieux. Donc nous persécutons tous les chrétiens, non comme chrétiens, mais comme factieux. Le raisonnement est bon, et du moment que les chrétiens sont tués non comme chrétiens, mais comme factieux, ils n’ont rien à dire et il n’y a jamais eu de persécutions contre les chrétiens. […] La vérité encore, selon Voltaire, c’est que, pendant ces fameuses persécutions des chrétiens, ce sont les chrétiens qui ont été persécuteurs. […] Grattez le libéral, vous trouvez le chrétien ; et c’est pour cela que chrétien et libéral doivent être en horreur au vrai démocrate.

82. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Dans un recueil estimé, les Annales de philosophie chrétienne, M. Bonnetty reprenant en détail les objections contre Santeul, et insistant sur les endroits par où il est vulnérable, n’a pas consacré moins de neuf articles (et il n’a pas fini encore) à ruiner son autorité comme chrétien, ou du moins comme poète et coryphée des fidèles. […] Le Tourneux n’eut que l’influence la plus morale, la plus directement chrétienne, et j’en ai pour preuve des lettres mêmes, inédites, adresséés par lui au poète devenu néophyte et un moment repentant. […] On peut trouver qu’il y a dans ces paroles un excès de crainte et de tremblement qui est le défaut de cette école chrétienne austère ; mais, bien loin d’y voir un affaiblissement du christianisme, on y verrait plutôt un redoublement. […] Un chrétien de Port-Royal, loin d’être un commencement de déiste, est un redoublement de chrétien ; loin de douter de la divinité de Jésus-Christ, il y croirait, s’il était possible, deux fois plus qu’un chrétien ordinaire.

83. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Je vous assure que leur moralité est fort supérieure à celle des chrétiens. » Il n’en est pas moins fâcheux que ces honnêtes gens, mus par le plus respectable des sentiments religieux, deviennent, à certains moments, de si surprenants massacreurs. Et puis, j’ai beau me raisonner, ces chrétiens, si peu recommandables qu’ils soient, me sont cependant plus proches que les Turcs. J’ai pu constater l’impénétrabilité réciproque (sinon par le fer et les balles) des chrétiens et des musulmans. Il doit être horrible, pour un chrétien même médiocre, d’être gouverné par des hommes qui nous sont si profondément étrangers. […] * * * À l’heure qu’il est, il n’est pas impossible qu’un boulet français tue des chrétiens en train de combattre pour des idées qui sont françaises.

84. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre IV. Des Sujets de Tableaux. »

Vérités fondamentales : 1º Les sujets antiques sont restés sous la main des peintres modernes : ainsi, avec les scènes mythologiques, ils ont de plus les scènes chrétiennes. […] Rapprochez ces sujets des sujets chrétiens, et vous en sentirez l’infériorité. […] Notre religion à nous, c’est notre histoire : c’est pour nous que tant de spectacles tragiques ont été donnés au monde : nous sommes parties dans les scènes que le pinceau nous étale, et les accords les plus moraux et les plus touchants se reproduisent dans les sujets chrétiens. […] Et ces costumes des Pères et des premiers chrétiens, costumes qui sont passés à nos Religieux, ne sont autres que la robe des anciens philosophes grecs, appelée περιϐόλαιον ou pallium.

85. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVIII. Siècle de Constantin. Panégyrique de ce prince. »

Ce droit, sous Constantin, passa aux ministres des autels ; alors les prêtres chrétiens montèrent publiquement dans les chaires, et les discours religieux succédèrent dans l’empire aux discours politiques. […] Enfin, dans cette quatrième époque, on vit naître et se développer l’éloquence chrétienne qui tenait à des idées, des principes et des objets entièrement nouveaux. […] Les orateurs chrétiens, par leurs principes même, devaient négliger l’art. […] Rome païenne en fit un Dieu, Rome chrétienne en fit un saint ; il était le bienfaiteur de l’une, il était pour l’autre un homme tout-puissant et un prince qui avait eu de grands succès. […] Nous citerons encore un autre ouvrage dans le même genre, et d’autant plus curieux, qu’il est peut-être le premier panégyrique chrétien qui ait été fait, ou du moins qu’on ait transmis jusqu’à nous : il est écrit en grec, et fut prononcé dans Constantinople pour la trentième année du règne de Constantin.

86. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

L’esprit chrétien habitait d’ailleurs dans sa famille, et l’esprit chrétien, c’est le plus pénétrant et le plus profond des moralistes. […] Bossuet, Fénelon, a-t-on dit, les deux gloires de la théologie en France, ont été philosophes ; Leibniz, un des plus grands noms de la philosophie moderne, a été chrétien. Sans doute ; mais pour les deux théologiens, la philosophie n’a été qu’une connaissance accessoire, et pour Leibniz, est-il certain qu’il n’ait pas été chrétien à la façon de Descartes, plus par le respect que par la foi ? […] Il porte au front cette tristesse où la philosophie chrétienne a reconnu le souvenir d’une chute, et qui suit nos joies de plus près que l’ombre ne suit le corps. […] Vérités, ou plutôt principes de conservation devenus si nécessaires aux peuples chrétiens, qu’il leur serait aussi impossible de s’en passer que de liberté ou d’indépendance.

87. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

En un mot, ce n’était plus le texte seul de Pascal qu’on mettait en cause, c’était l’homme même et le chrétien. […] On n’y comprenait plus rien, on n’en discutait que plus fort ; toute l’ancienne idée si grave qu’on avait eue de l’apologiste chrétien achevait de se confondre et de disparaître. […] On a dit magnifiquement que bien des pensées de Pascal n’étaient que des strophes d’un Byron chrétien : c’est d’aujourd’hui surtout que ce mot se vérifie. […] Il s’est fait chrétien en enrageant, il est mort à la peine. […] Il vous dira encore que la maladie est l’état naturel du chrétien.

88. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

La religion chrétienne, qui n’était d’abord que celle qui connaît seule l’art de consoler, deviendra de plus celle qui n’abuse jamais l’homme. […] C’est en effet par le pur esprit chrétien, par ce souffle ardent et sincère, c’est du côté de la foi qu’ils manquent ; et ce défaut, même dans leur pompe et dans leur exactitude dernière, s’y fait encore sentir. […] Abordant franchement, dans son Essai sur l’éloquence de la chaire, les causes de la décadence du genre durant le xviiie  siècle, il s’en prend encore moins au talent des orateurs chrétiens qu’à l’usage peu chrétien qu’ils ont fait de leur talent en courtisant le goût et l’esprit du jour, en s’écartant des sources directes de la doctrine et de la foi pour se jeter sur des thèmes de morale à la mode et de bienfaisance. […] L’abbé Maury n’était pas homme en effet, à cette date, à se consacrer purement au ministère de la parole chrétienne : il n’avait ni assez de foi ni assez de charité pour semer en terre si ingrate, et pour entrer en lutte avec tous les vents du siècle. […] On voit que l’abbé Maury était quelque chose de plus qu’un prédicateur chrétien, et qu’il avait de grandes prédispositions à être un orateur politique quand la Révolution commença.

89. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

Lacordaire, en sa qualité, non de prêtre, non de missionnaire de vérité, mais d’orateur et d’artiste, a donc rencontré, et parmi les moins chrétiens d’entre nous des émotions et des admirations sincères. […] indépendamment de ce que l’âme et la foi du prédicateur versent dans sa parole de chaleur, de mouvement et de vie, il y a toujours au fond de toute prédication chrétienne deux sciences immenses et formidables : la science de Dieu et la science de l’homme, la théologie et la morale. […] Du reste, il est aisé de prendre la mesure, en quelques traits, du monument (je ne retirerai pas le mot) qu’a élevé le Père Lacordaire à la gloire et au triomphe de la vérité chrétienne. […] Par exemple, les Mystiques chrétiens sont les plus grands moralistes qui aient exprimé du cœur tout ce qu’il contient d’eaux amères et qui l’aient le mieux transpercé du glaive ardent de leurs regards. […] Ce dont je le féliciterai comme d’un succès utile à la cause de l’Église, c’est d’avoir élargi la chaire chrétienne de sorte que les accents qui en viennent porteront plus loin.

90. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 303-308

Il a écrit pour des Esprits solides, pour des Chrétiens jaloux de connoître leur Religion dans son origine, dans ses progrès, dans ses vrais caracteres ; pour les ames droites qui lisent dans la vûe d’acquérir des connoissances utiles & de devenir meilleures ; pour les hommes de toutes les conditions qui n’ont ni le loisir, ni la facilité, ni le talent de puiser dans les sources & d’en écarter ce que la prévention, l’ignorance & la superstition ont pu y mêler de faux, d’excessif & d’indigne de la divinité du dogme & de la sainteté du culte. […] Ces Discours renferment la quintessence de tout ce qu’on a pensé de plus sage sur l’établissement, les progrès & les révolutions de la Religion Chrétienne. […] Nous avons encore de M. l’Abbé Fleury plusieurs Ouvrages estimés, dont les plus connus sont ceux qui ont pour titre : Mœurs des Israélites, & Mœurs des Chrétiens. […] On ne doit pas négliger de parler de son Traité du choix & de la méthode des Etudes, où il décrit la marche convenable à chaque Science en particulier ; ni de son Livre des Devoirs des Maîtres & des Domestiques, où une philosophie chrétienne prescrit aux un des regles de conduite conformes à l’ordre & à l’humanité, & aux autres des leçons propres à régler leur dépendance & à rendre leur sort plus heureux.

91. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre premier. Du Christianisme dans l’éloquence. »

Ce qui distingue l’éloquence chrétienne de l’éloquence des Grecs et des Romains, c’est cette tristesse évangélique qui en est l’âme, selon La Bruyère, cette majestueuse mélancolie dont elle se nourrit. […] Les discours des orateurs chrétiens sont des livres, ceux des orateurs de l’antiquité ne sont que des discours. […] La religion chrétienne a seule fondé cette grande école de la tombe, où s’instruit l’apôtre de l’Évangile : elle ne permet plus que l’on prodigue, comme les demi-sages de la Grèce, l’immortelle pensée de l’homme à des choses d’un moment. […] D’ailleurs, on ne manquait pas de modèles, puisqu’on avait entre les mains les chefs-d’œuvre du forum antique, et ceux de ce forum sacré, où l’orateur chrétien explique la loi éternelle.

92. (1891) Esquisses contemporaines

Or, Amiel était-il chrétien ? […] Surtout saura-t-il discerner le Christ dans le chrétien ? […] Leur vie chrétienne fut aussi féconde que leur pensée chrétienne devait être stérile. […] L’idée chrétienne. […] Le fait chrétien.

93. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VII. Des Saints. »

Il est certain que les poètes n’ont pas su tirer du merveilleux chrétien tout ce qu’il peut fournir aux Muses. […] « Ces héros pleins de bonté et de lumière pensent toujours à leur Créateur, et sont tout éclatants de la lumière qui rejaillit de la félicité dont ils jouissent en lui. » — Et plus loin, « héros vient d’un mot grec qui signifie amour, pour marquer que, pleins d’amour pour Dieu, les héros ne cherchent qu’à nous aider à passer de cette vie terrestre à une vie divine et à devenir citoyens du ciel69. » Les Pères de l’Église appellent à leur tour les saints des héros : c’est ainsi qu’ils disent que le baptême est le sacerdoce des laïques, et qu’il fait de tous les chrétiens des rois et des prêtres de Dieu 70. […] Sous le polythéisme, des sophistes ont paru quelquefois plus moraux que la religion de leur patrie : mais, parmi nous, jamais un philosophe, si sage qu’il ait été, n’a pu s’élever au-dessus de la morale chrétienne. […] Mais quel essaim de vénérables ombres, à la voix d’une Muse chrétienne, se réveille dans la caverne de Mambré ?

94. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

Le voluptueux siècle qui n’avait pas trop de sifflets pour l’ascétisme chrétien, qui cultivait la sensation et qui en écrivit la philosophie, n’a tenu compte de rien à Mahomet, pas même de cette excellente polygamie, en comparaison de laquelle le divorce est une bien petite invention. […] … Carlyle aussi avait eu intuition, dans ses Héros, — bien avant les travaux de Muir, Sprenger et Caussin de Perceval, — de la vérité de Mahomet, de la naïveté enflammée de ce mystique musulman, incompréhensible à ceux-là qui ne comprenaient rien à la mysticité chrétienne. Les rieurs qui souillaient de leurs rires polissons les extases de sainte Thérèse, continuèrent de ricaner, mais moins haut et moins malproprement, quand il s’agit de Mahomet, l’extatique ; car si pour nous il n’était pas chrétien, il l’était pour eux à demi ! […] En écartant respectueusement Celui qu’il faut laisser sur ses autels et qu’un chrétien ne peut comparer à personne, Mahomet est une des trois ou quatre figures qui dominent l’humanité et son histoire. […] Mais il est un autre point qui n’est pas seulement faible, mais qui est faux et que je demanderai à Barthélemy Saint-Hilaire la permission de signaler, non au sentiment de l’historien et du philosophe, mais à la conscience du chrétien, puisque, grâce à Dieu, Barthélemy Saint-Hilaire est maintenant chrétien.

95. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

Seulement notre critique, à nous, n’aurait-elle que deux minutes à vivre, elle ferait, pendant ces deux minutes, sa pauvre justice éphémère et rendrait hommage à un homme de talent méconnu, parce que dans le débordement de paganisme et de matérialisme universel, il est resté purement et incorruptiblement un spiritualiste et un chrétien. […] C’est un poète de grande inspiration chrétienne. […] On sortait, si on se le rappelle, de l’époque où les Méditations de M. de Lamartine et ses Harmonies, d’une valeur poétique bien autrement supérieure, étalaient à la sensibilité publique un christianisme faux et souffrant, mais n’en tenaient pas moins leurs beautés, quand il y en avait, de cette inspiration chrétienne, toute faussée et souffrante qu’elle pût être. […] Il gardait l’accent chrétien dans son charme pieux et sincère, et l’accent chrétien, quoiqu’on ne l’écoute plus, est le plus beau que puisse donner la voix des hommes. […] Cette simplicité que le poète a trouvée dans une grande délicatesse d’organisation et plus encore dans le sentiment chrétien qui est le fond de sa vie vraie et non pas uniquement de sa vie littéraire, cette simplicité communique à sa poésie quelque chose de la pénétrante grandeur des hymnes de la liturgie qu’il rappelle et le fait arriver à des effets où l’art disparaît plus profondément que dans les chœurs même de Racine.

96. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Un esprit chrétien, une pensée chrétienne, chrétienne jusqu’au bout, et avec cela peu de cette paix, l’essentielle bénédiction et la couronne du christianisme, voilà une chose étrange en apparence, naturelle toutefois. […] On n’y réussira jamais, je ne dis pas au gré des chrétiens, mais au gré du monde et du bon sens, à moins d’être ou de se faire chrétien. […] Sainte-Beuve j’ai faite aux chrétiens de Port-Royal. […] Si c’est identiquement la sagesse de tous les temps, pourquoi l’appeler chrétienne ? […] Celui que nous venons de citer a cours depuis longtemps hors des enseignements chrétiens.

97. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

Par une singularité rare en l’histoire, nous voyons bien mieux ce qui s’est passé dans le monde chrétien de l’an 50 à l’an 75, que de l’an 100 à l’an 150. […] Dans l’histoire des origines chrétiennes, on a jusqu’ici beaucoup trop négligé le Talmud. […] Ajoutons que les évangiles dont il s’agit semblent provenir de celle des branches de la famille chrétienne qui touchait le plus près à Jésus. […] Ouvrage couronné par la société de La Haye pour la défense de la religion chrétienne. […] , II, 23) citent une autre interpolation chrétienne, laquelle ne se trouve dans aucun des manuscrits de Josèphe qui sont parvenus jusqu’à nous.

98. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

A cette date où nous sommes, il n’avait rien, ou bien peu de chose, du chrétien encore ; c’est dans un voyage à Rome, où il était allé avec un de ses amis par simple curiosité, qu’il se convertit. […] Le lendemain, c’était la princesse Zénaïde Wolkonski, toute catholique et propagandiste, toute chrétienne comme l’autre était tout païen, ayant à raconter des œuvres merveilleuses, couronnées de bénédictions surnaturelles : était-ce l’âge d’or des trois premiers siècles de l’Église qui recommençait ? Je voyais aussi un vieux général polonais dévot aux chapelets et aux médailles dont il avait éprouvé et dont il préconisait maint effet ; à deux pas de là, le peintre Overbeck, dans son atelier, dévot à l’art pur chrétien. […] Est-il possible d’allier la charité, qui passe, aux yeux même des indifférents, pour faire le fond du Christianisme et pour être la plus excellente des vertus chrétienne, avec la censure énergique non-seulement des vices criants, mais des inconséquences de tout genre qu’un catholique rigide rencontre à chaque pas dans la vie du siècle ? […] est-ce chrétien au sens où le monde l’entend ?

99. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

à ceux qui tous les jours immolent les chrétiens ! […] Nous pourrions maintenant chercher dans le sujet d’Iphigénie, traité par Racine, les traits du pinceau chrétien ; mais le lecteur est sur la voie de ces études, et il peut la suivre : nous ne nous arrêterons plus que pour faire une observation. […] L’observation est bonne en soi ; mais ce que le Père Brumoy n’a pas vu, c’est que l’Iphigénie moderne est la fille chrétienne. […] La religion chrétienne est si heureusement formée, qu’elle est elle-même une sorte de poésie, puisqu’elle place les caractères dans le beau idéal : c’est ce que prouvent nos martyrs chez nos peintres, les chevaliers chez nos poètes, etc.

100. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Celui-ci, par de lointaines hérédités, par quarante ou cinquante générations d’aïeux chrétiens, par d’indéracinables souvenirs de jeunesse, par toutes les habitudes de sa civilisation, était catholique. […] Tout ce qui a été fait depuis Jésus-Christ dans la littérature et les arts est chrétien, œuvre du principe chrétien, et preuve de la vérité chrétienne. Il reconnaît des chrétiennes dans l’Andromaque et dans l’Iphigénie de Racine. […] Le Dernier Abencérage est une transposition poétique des impressions d’Espagne, qui n’avaient pu trouver place dans le cadre des Martyrs, et c’est de plus une réplique ou réduction d’une des idées fondamentales de la grande épopée : musulman et chrétienne, chrétien et païenne, au fond des deux récits est l’antithèse de deux religions. […] La tristesse pessimiste, séparée du sentiment chrétien, se retrouvera dans Vigny : sans compter qu’un chapitre du Génie du Christianisme me paraît bien lui avoir indiqué Éloa666.

101. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Voltaire a pourtant parlé de « la gravité chrétienne » au dix-septième siècle ; il a su la voir ; il ne l’a pas sentie. […] Il rend justice aux grands orateurs chrétiens ; il ne s’y plaît pas. […] Dans le récit des croisades, ce n’est pas pour les chrétiens que Voltaire penche, fussent-ils Français. […] C’est la voie chrétienne, en dépit de Voltaire. […] Le tort d’être chrétiens lui cache les beautés les plus intimes des écrivains du dix-septième siècle.

102. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Mais c’est une génération charnelle chrétienne. Ce Matthieu était chrétien. […] Il n’était aucunement chrétien. […] Il est une référence, une reportée unique du païen sur le chrétien, du plus grand païen sur le central chrétien. […] Lui aussi quel poète chrétien il eût été, mais s’il eût été chrétien.

103. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

Jules Levallois, qui n’est nullement un bouddhiste, s’il ne veut pas être un chrétien, et qui ne croit point du tout qu’un homme ait droit de se retirer dans sa forêt de bambous, ou de tout autre bois, et de s’y plonger comme les ermites indiens dans la contemplation de la nature, et d’y noyer sa pauvre volonté assoupie, comme un nénuphar dans le bleu des eaux ! […] Levallois, lequel ne croit peut-être pas inconséquemment à l’action de la Providence, mais qui croit à l’action de la nature physique, est un livre de forme très douce et très charmante, mais positivement dirigé (sans en avoir l’air) contre l’idée chrétienne, qui est la seule vraie en moralité pratique et complète. L’idée chrétienne a dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul », et elle a condamné absolument la solitude quand l’homme n’y est pas avec Dieu. […] Il a oublié que les ermites, dans toutes les religions, placent toujours Dieu, un dieu personnel, — qu’il soit faux ou vrai, mythologique ou chrétien, — dans le fond de leurs ermitages. […] Nous en avons, nous autres chrétiens, de ces saints-là, qui sont de grands hommes miraculeux, et ce sont là les vrais ermites !

104. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Au risque de détruire une loi générale, il faut restreindre cette proposition, et dire : le théâtre chrétien est sorti du culte144. […] Après que le roi païen a convoqué ses émirs et fait annoncer la guerre jusqu’aux bornes fantastiques de son mystérieux empire, le poète nous montre les chrétiens offrant leur vie à Dieu, qui par un de ses anges la reçoit et leur promet sa récompense : après la bataille, où tous périssent, l’ange bénit leur sacrifice et confirme leur gloire. Ce sont quatre ou cinq brefs couplets, deux ou trois figures à peine ébauchées — les chrétiens en chœur — un chrétien — un jeune chrétien nouveau chevalier — un ange idéalement impersonnel ; et cette gaucherie de primitif, toute sèche et raide, nous donne l’impression du grand art par la hardiesse de la simplification. […] Il survit seul à l’armée chrétienne, et en remercie le saint. […] Malheureusement le sentiment profond qui ferait la grandeur poétique d’une telle scène ne sort pas : Dieu a toutes les allures d’un bon curé de campagne, la paroissienne clabaude à propos de l’offrande et du cierge ; et dans la plus saisissante fantaisie que la foi chrétienne put créer, on croit assister simplement à une messe de village.

105. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Réginald Héber n’a pas moins d’élévation philosophique et de douceur chrétienne que Synésius. […] Chrétien fervent et convaincu, il invoque parfois le simple déisme comme un port plus facile contre tant de vices, dont il voudrait à tout prix retirer les âmes. […] L’hymne religieux peut naître dans tous les pays, et à ce titre la plupart des chants chrétiens d’Héber, inspirés par ses études, sa vocation simple, ses contemplations de la foi, avaient précédé son séjour dans l’Inde. […] Les poésies de sa jeunesse nous offrent en vers élégants quelques versions de Pindare, des bardes du Nord ou des poëtes d’Asie ; mais les grands souvenirs de la Bible et les fêtes de l’Église chrétienne sont sa plus touchante inspiration. À quinze siècles de distance, la tendresse chrétienne qui inspira l’hymne délicieux : Salvete, flores martyrum !

106. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Rollin est le disciple fervent des deux antiquités chrétienne et païenne ; ce sont les deux nourrices qui l’ont allaité. […] Pour dernier trait de ressemblance avec son lecteur, Gil Blas est chrétien et Français. […] Ne nous piquons pas d’être meilleurs chrétiens que ce grand homme. Faire des chrétiens avec des livres païens est la tâche des sociétés modernes, surtout dans notre pays qui en tient la tête. […] Rien ne diffère plus de l’éducation païenne que l’éducation chrétienne.

107. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289

Oscar de Vallée, c’est ce qui manquait absolument de christianisme à Chénier, à ce Grec de païenne imagination, muet aux choses chrétiennes. […] André Chénier, le tendre Chénier, le pur et juste Chénier, qui devint l’héroïque et intrépide Chénier, ne fut pas plus chrétien que tout son siècle. […] Certes, Chénier n’eût pas été plus intrépide contre les bourreaux de la France, qui devinrent les siens, quand il aurait été chrétien. […] Quelque grandeur qu’on ait en soi, on gagne toujours quelque chose à être chrétien… Le Christianisme ajoute au génie comme il ajoute à la vertu, et M.  […] Demandez-vous ce qu’est Charlotte Corday elle-même, la femme la plus héroïque d’un siècle incrédule, en comparaison de la moindre martyre chrétienne qui va à l’échafaud et à la mort, une croix à la main !

108. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

« Mon cœur de citoyen n’est pas inquiet, écrit le sergent Pierre de Maupeou, tué à vingt-cinq ans, mais mon cœur de chrétien l’est souvent. […] Mais c’est un chrétien à scrupules. […] Et, dans une de ses dernières lettres, le caporal Georges Groll, secrétaire de l’Union chrétienne des jeunes gens de Paris, et qui va mourir à l’ennemi près de Souchez, le 9 juin 1915, écrit à son père, M.  […] Et là encore, une minute, nous cherchions à distinguer ce jeune chrétien dans son ombre… Aujourd’hui, nous comprenons leur vie intérieure et nos parentés se révèlent. […] Ce sont des chrétiens qui chantent les psaumes en français et qui ont organisé leurs églises sur le modèle des sociétés modernes.

109. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XIII. Conclusions » pp. 271-291

Durkheim comme dans la morale chrétienne, l’individualisme reste le péché originel et indélébile qu’il faudra toujours combattre. […] Notre morale moderne, même quand elle s’intitule rationaliste et scientifique, n’est pas autre chose qu’un prolongement de la morale chrétienne, une transposition de la morale chrétienne, une théorie seulement modifiée et rajeunie des valeurs morales chrétiennes : sacrifice de l’individualité, égalité des hommes, effacement de l’individu devant la communauté ; soumission à l’autorité, autrefois l’autorité religieuse ; maintenant l’autorité sociale, le point d’aboutissement logique de cette morale est un mysticisme social, une religiosité sociale qui divinise la société et invite l’individu à s’incliner devant elle comme devant le moderne Jéhovah. […] Vigny a abandonné le point de vue chrétien. […] Nietzsche déprécie les valeurs chrétiennes et les valeurs sociales modernes qui en procèdent. […] Ibsen définit l’héroïsme non par une supériorité morale (point du vue chrétien) mais par une supériorité de force (énergie, intrépidité, intelligence).

110. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Les premiers chrétiens sont des visionnaires, vivant dans un cercle d’idées que nous qualifierions de rêveries ; mais en même temps ce sont les héros de la guerre sociale qui a abouti à l’affranchissement de la conscience et à l’établissement d’une religion d’où le culte pur, annoncé par le fondateur, finira à la longue par sortir. […] Ces déclarations si formel les préoccupèrent la famille chrétienne pendant près de soixante-dix ans. […] La foi de la première génération chrétienne s’explique ; mais la foi de la seconde génération ne s’explique plus. […] Cet effort impuissant pour fonder une société parfaite a été la source de la tension extraordinaire qui a toujours fait du vrai chrétien un athlète en lutte contre le présent. […] Ces angoisses de la conscience chrétienne se traduisent avec naïveté dans la IIe épître attribuée à saint Pierre III, 8 et suiv.

111. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XI. Mme Marie-Alexandre Dumas. Les Dauphines littéraires »

Mme Marie-Alexandre Dumas est devenue chrétienne, je le veux bien, et j’en suis aise, mais elle est chrétienne comme elle est Dumas ! […] » Ce que ne dit pas une seule fois à sa maîtresse la femme de chambre de cette mondaine coupable qu’on appelle Mme Almaviva. — Dans ce livre d’Au lit de mort, que Mme Sand n’eût certainement pas écrit, je le reconnais, dans ce livre qui affecte l’accent chrétien, mais dans lequel la langue chrétienne est mal parlée ; où l’on sent l’âme troublée, l’idée fausse, l’esprit sans forte direction et sans guide, et cette religiosité corrompue par les sensibilités romanesques et morbides de ce temps, Mme Marie-Alexandre Dumas n’invente-t-elle pas un confesseur sans sacrement, sans fonction, sans autorité ; un confesseur qui n’est pas prêtre, un confesseur-femme, — elle-même !  […] IV Tel ce livre chrétien, — d’un christianisme hostile aux prêtres, qui y sont fort malmenés dans la personne d’un abbé imbécile et ridicule, et qui remplace le confesseur par une femme en robe blanche, laquelle n’a été effleurée (sic) que par une tasse de lait depuis la sainte Eucharistie et par les lis du bouquet de la Vierge qu’elle a touchés… Est-ce assez M. 

112. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

Tous les révolutionnaires de ce temps qui, comme l’auteur de Césara, ont déclaré une guerre implacable à cette religion du passé qui s’appelle le Christianisme, ne savent pas, ne sentent pas qu’ils sont plus chrétiens qu’ils ne pensent. […] Tous ces insurgés de l’heure présente, dans un aveuglement que Dieu permet et qu’ils ont mérité, retournent, croyant faire du nouveau, l’esprit chrétien faussé contre le Christianisme. […] Il n’y a qu’avec des débris d’idées chrétiennes qu’on peut attaquer la religion chrétienne. […] Vous êtes stériles, et sans nous que vous insultez, sans nous, chrétiens, vous n’auriez pas même d’injures à nous dire.

113. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

S’il falloit d’autres preuves des sentimens de M. de Montesquieu, nous n’aurions qu’à rappeler sa mort chrétienne & ses propres paroles à Madame la Duchesse d’Alguillon : La révélation est le plus beau présent que Dieu pût faire aux Hommes. […] Il étoit si peu ennemi des principes de la Religion Chrétienne, que, dans son Esprit des Loix, il réfute ceux qui les ont combattus. « Bayle , dit-il, après avoir insulté toutes les Religions, flétrit la Religion Chrétienne ; il ose avancer que de véritables Chrétiens ne formeroient pas un Etat qui pût subsister.

114. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Aujourd’hui, je le demande, que sont devenus les anges chrétiens de leur poésie ? […] Quand les premiers chrétiens s’éloignèrent des idoles et désertèrent les temples des païens, ils n’eurent d’abord pour temples que la voûte du ciel. […] Le plus grand peintre de la nature chez les anciens, Virgile, a déjà jusqu’à un certain point l’âme chrétienne. […] Basile, qui aimait tant la nature, il y a cinq siècles où, païens et chrétiens, tout ce qui a une vie de désir se tourne avec passion vers la retraite. […] Il a devant lui des chrétiens pleins d’enthousiasme, qui veulent faire revivre le Christianisme ; et il songe à revêtir Mahomet de leurs couleurs.

115. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre premier. Caractères naturels »

L’Écriture nous apprend notre origine, nous instruit de notre nature ; les mystères chrétiens nous regardent : c’est nous qu’on voit de toutes parts ; c’est pour nous que le Fils de Dieu s’est immolé. […] Voilà donc un avantage incalculable, que les poètes auraient dû remarquer dans la religion chrétienne, au lieu de s’obstiner à la décrier. […] On ne nous accusera pas de choisir exprès des sujets médiocres dans l’antiquité, pour faire briller les sujets chrétiens.

116. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

Sans rien espérer actuellement de Rome et de ce qui y règne, nous sommes trop chrétien et catholique, sinon de foi, du moins d’affinité et de désir, pour ne pas déplorer tout ce qui augmenterait l’anarchie apparente dans ce grand corps, déjà si compromis humainement. […] Quelque chose de martial et de chevaleresque sied aussi au prêtre chrétien. […] Je l’en admire et l’en révère ; mais il y a manière pourtant d’être chrétien, en l’étant un peu différemment et en gardant dans sa veine un reste du sang des Machabées.  […] Quand le Saint-Simonisme, dans sa brusque apparition, n’aurait eu d’autre effet que d’inspirer à des intelligences chrétiennes cette émulation d’inquiétude et de recherche à l’article des souffrances profondes, nées de l’excès industriel, il n’aurait point passé sans fruit pour le monde.  […] C’est cette alternative d’ardeur et de douceur, de violence et de tendresse, qui fait le fond du caractère de l’abbé de La Mennais, et qui compose une des variétés les plus attachantes du caractère chrétien lui-même.

117. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

C’est que Montesquieu n’était pas assez chrétien. Il est mort en chrétien, c’est la vérité, affirmant, devant l’hostie que le prêtre allait lui mettre dans la bouche, que Dieu était réellement, virtuellement et substantiellement là pour lui. […] Coutume sublime, qui n’était pas particulière à la maison de Montesquieu, mais qui était la coutume des anciennes maisons chrétiennes d’un pays qui aimait les pauvres comme Jésus-Christ lui-même, et qui, en donnant un pauvre pour parrain à leurs enfants, croyaient leur donner Jésus-Christ Ainsi, nous apprend Louis Vian (qui nous apprend bien d’autres choses encore, dans cette biographie étincelante de mille détails neufs), fut baptisé Montaigne, le comte de Beauvais et Buffon. […] Le stoïcien avait traversé toute la vie dans le respect historique et social des institutions et des idées chrétiennes, mais sans aller plus loin du côté du ciel, et il retrouva peut-être, à l’heure de mourir, sur son âme, la bénédiction paternelle du mendiant qui avait répondu de lui devant Dieu. […] N’ayant été chrétien qu’à sa mort, il fut donc philosophe toute sa vie, mais un philosophe boutonné dans sa philosophie et ne donnant pas dans la déboutonnée et la scandaleuse du temps.

118. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Il est doux et il se dit chrétien. C’est au nom d’un christianisme meilleur qu’il vient poser la nécessité de corriger ce chétif symbole de Nicée, qui, décemment, ne convient plus à des chrétiens aussi distingués que nous. […] La forme de son exposition se recommande aux esprits modérés par je ne sais quelle fausse bonhomie, et jusqu’à son talent d’écrivain, trop empâté pour être mordant, — trop mollusque pour être serpent, — rien n’avertit, et tout l’assure, quand il se dit chrétien, comme la plupart des hérétiques, du reste, qui n’ont jamais manqué de se dire chrétiens pour mieux atteindre le christianisme en plein cœur ! […] En effet, pour qui sait l’embrasser et l’étreindre, ce livre, au fond, n’est autre chose qu’une mutilation et un renversement des idées chrétiennes. […] N’oublions pas que son livre n’est, avant tout et après tout, qu’un essai de cosmologie… Parti du Cosmos, pour aller au Cosmos, en passant sur le Cosmos, l’auteur s’agite, mais stérilement, pour organiser plus qu’un cimetière… Le mot de ciel est de trop dans le titre de son ouvrage, et la terre même, comme il la conçoit, n’est pas la notion chrétienne de la terre.

119. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

Christian est un livre chrétien. […] Au contraire, il remonte du côté de l’idée chrétienne. […] Le combat de la vocation religieuse contre la vocation de la mère de famille qui se révèle avec tant d’énergie dans la scène, au village, où Éliane est obligée, par les combinaisons du roman, à tenir un enfant dans ses bras, — scène magnifique, d’un contenu excessivement émouvant, et que Stendhal seul aurait pu écrire s’il avait été chrétien, — le triomphe enfin de la vocation de l’épouse, le discours de la mère Saint-Joseph qui clôt le roman dans une souveraineté de raison éclairée par la foi, et surtout, surtout, la réalité de la sœur Saint-Gatien, qui représente l’être surhumain, l’ange gardien d’Éliane, et qui s’en détache si humainement et si vite quand elle lui a préféré, pour s’appuyer, le cœur d’un homme, — trait cruel que Wey n’a pas manqué, — voilà les beautés de la troisième partie de ce livre, écrit avec une sûreté de main et une maturité de touche qui n’ont fait faute à l’auteur de Christian qu’une seule fois. […] S’il n’était pas chrétien, s’il ne s’était pas trempé dans cette source de courage et de mépris miséricordieux qu’on appelle le Christianisme, il serait peut-être misanthrope, de cette noble misanthropie d’après trente ans qu’eurent de Latouche et Chamfort, et qui ne donna pas au premier beaucoup de dignité dans la vie, et n’arracha pas le second à la plus abominable mort. […] Mais Wey, qui est chrétien, échappe par là au bronze des esprits cruels, et si son cœur se brisait jamais, ce serait à la manière des cœurs chrétiens, dont les débris n’ont jamais blessé les autres coeurs qui s’y appuient.

120. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

Telle est ma réserve de chrétien ; mais s’il a l’âme chrétienne, a-t-il l’esprit chrétien comme nous, les catholiques, les inaccessibles aux idées du temps et les fidèles ? […] Dans son livre de J’aime les Morts, on reconnaît, à plus d’un endroit, qu’il a été plongé dans l’eau divine de la vérité et qu’il en a gardé des gouttes lumineuses ruisselant jusque sur ses erreurs ; mais, il faut bien le dire, il sort souvent des influences de cette mâle éducation chrétienne. […] Pour un chrétien, resté tel, dans la fidélité du mot, il y a certainement trop de voluptés dans la mort comme Arthur de Gravillon sait la peindre. […] IV Mais à cela près de ceci, qui est grave pour le moraliste et pour le chrétien, à cela près de ceci, que je ne veux point diminuer, je n’ai plus qu’à louer dans le livre, et Arthur de Gravillon peut être sûr que son J’aime les Morts sera très aimé des vivants.

121. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Ces trois vérités qu’il veut établir sont : 1° qu’il y a un Dieu ; 2° que de toutes les religions la chrétienne est la seule vraie ; 3° qu’entre les diverses créances ou communions dites chrétiennes, la catholique romaine est la seule véritable. […] Ainsi cette innocente et blanche surséance et libre ouverture à tout est un grand préparatoire à la vraie piété, et à la recevoir comme je viens de dire, et à la conserver : car avec elle il n’y aura jamais d’hérésies et d’opinions triées, particulières, extravagantes ; jamais pyrrhonien ni académicien ne sera hérétique ; ce sont choses opposites… On ne saurait voir plus à nu toute la méthode de Charron et de son école ; et quant à l’objection qui se présente et qu’il se faisait lui-inême, qu’il reste toujours à savoir si un tel homme ainsi façonné et rompu à l’habitude sceptique, et garanti, il est vrai, des hérésies et nouveautés, sera jamais chrétien au fond et orthodoxe. […] Il a le malheur, pour un chrétien et pour un homme né depuis l’Évangile, de croire à des étages différents d’esprits, à des séparations presque absolues entre le vulgaire ou le commun des hommes pour lequel il n’a que du mépris et du dédain, les esprits moyens et médiocres qui flottent un peu au-dessus sans pouvoir assez s’en détacher, et les sages qui jouissent de la douceur suprême dans un inviolable et inaccessible retranchement. […] Et comment voulez-vous que Charron, dans sa controverse chrétienne et dans les discours religieux qu’on a de lui, ait touché au vif la fibre humaine, lorsqu’au fond il a en tel mépris ceux qu’il appelle dogmatises et qui affirment, c’est-à-dire qui n’osent se maintenir dans cet état de balance parfaite où il place le bonheur et la sagesse ? […] Qu’on veuille bien se reporter au temps : des membres du Parlement comme les Harlay, plus tard les Molé, les Lamoignon, étaient de bons et fidèles sujets, et à la fois ils étaient ou ils se croyaient un peu Romains : il y en avait qui étaient Pompéiens, c’est-à-dire pour Pompée et le parti de la république contre César, ce qui ne les empêchait pas d’être en réalité de bons royalistes ; de même jusqu’à un certain point alors, quand on était homme d’étude et de cabinet, on était stoïcien ou sceptique en philosophie, on était partisan de Sénèque ou d’Épictète ou de Cicéron (selon son goût et son humeur), et l’on était cependant chrétien dans la pratique et l’habitude, dans le cœur même un peu.

122. (1887) Discours et conférences « Appendice à la précédente conférence »

Tout ce qui s’est écrit en latin n’est pas la gloire de Rome ; tout ce qui s’est écrit en grec n’est pas œuvre hellénique ; tout ce qui s’est écrit en arabe n’est pas un produit arabe ; tout ce qui s’est fait en pays chrétien n’est pas l’effet du christianisme ; tout ce qui s’est fait en pays musulman n’est pas un fruit de l’islam. […] Il ne s’agit pas pour le chrétien d’abandonner le christianisme, ni pour le musulman d’abandonner l’islam. […] Cela est fait dans une moitié à peu près des pays chrétiens ; espérons que cela se fera pour l’islam. […] Je crois, en effets que la régénération des pays musulmans ne se fera pas par l’islam : elle se fera par l’affaiblissement de l’islam, comme du reste le grand élan des pays dits chrétiens a commencé par la destruction de l’Église tyrannique du moyen âge.

123. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 277-279

Ce n’est pas qu’il en ignore les préceptes : les Réflexions qu’il a publiées à la tête de ses Discours choisis, prouvent qu’il les connoît & qu’il en sent la nécessité ; mais les Discours qui les suivent & les Sermons que nous lui avons entendu prêcher, ne prouvent pas qu’il possede les qualités & qu’il ait rempli les devoirs d’un Orateur Chrétien véritablement éloquent. […] Aussi le Carême qu’il a débité, cette année, à la Cour, a-t-il été regardé moins comme une suite d’Instructions évangéliques & chrétiennes, que comme un Cours d’éducation & de morale cent fois rebattue dans les Livres philosophiques de ce Siecle. […] Nous n’ignorons pas que les Philosophes & leurs partisans en pensent ou en parlent bien différemment ; mais nous nous faisons gloire de manifester ce que nous pensons du mérite des Auteurs, & nous invitons celui-ci à ne point se laisser aveugler sur les qualités qui lui manquent, par les applaudissemens des Sectateurs d’une Morale ennemie de celle qu’il prêche : leur suffrage n’est propre qu’à humilier l’Orateur Evangélique & Chrétien.

124. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Ce furent eux surtout qui contribuèrent à constituer en face de la théologie chrétienne une véritable théologie galante, assignant au Dieu d’amour la place de Jésus-Christ, formant son séjour délicieux à l’image de l’Éden, édictant en son nom un Décalogue, organisant enfin tout un dogme et tout un culte, et comme une Église des amants, qui avait ses fidèles et ses hérétiques, ses saints et ses pécheurs. […] Mais l’institution monastique est l’âme de l’Église : l’idéal chrétien ne se réalise à peu près que par l’ascétisme des couvents, où s’épanouissent les saintes fleurs de pauvreté et de pureté. […] En effet, il ne peut sortir de son temps, et le temps n’est pas venu de n’être pas chrétien. […] Sa situation est celle des premiers réformateurs du xvie  siècle, de ces humanistes chrétiens qui croient servir Jésus-Christ en se servant de leur raison, et qui très sincèrement, très pieusement, espèrent la réforme de l’Église du progrès de la philosophie. […] Aimer le prochain, l’aimer activement, c’est être bon chrétien, et Dieu ne demande pas autre chose.

125. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre II. Enfance et jeunesse de Jésus. Ses premières impressions. »

Antonia Martyr remarque que les femmes juives, ailleurs dédaigneuses pour les chrétiens, sont ici pleines d’affabilité. […] Si jamais le monde resté chrétien, mais arrivé à une notion meilleure de ce qui constitue le respect des origines, veut remplacer par d’authentiques lieux saints les sanctuaires apocryphes et mesquins où s’attachait la piété des âges grossiers, c’est sur cette hauteur de Nazareth qu’il bâtira son temple. Là, au point d’apparition du christianisme et au centre d’action de son fondateur, devrait s’élever la grande église où tous les chrétiens pourraient prier. […] De là le nom de Nazaréens, longtemps appliqué aux chrétiens, et qui les désigne encore dans tous les pays musulmans. […] Les textes par lesquels on cherche à prouver que quelques-unes des opérations de statistique et de cadastre ordonnées par Auguste durent s’étendre au domaine des Hérodes, ou n’impliquent pas ce qu’on leur fait dire, ou sont d’auteurs chrétiens, qui ont emprunté cette donnée à l’Évangile de Luc.

126. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Notre critique et la leur »

à quelle loi supérieure remontait-il pour reconnaître toujours, à coup sûr, la beauté dégradée de ce monde, cet art puisqu’il a parlé des choses de l’art encore plus que des choses littéraires — qui se rêve dans le cerveau grec, mais qui se sent dans le cœur chrétien ? […] Pontmartin, à son tour, qui se croit, entre amis, un Sainte-Beuve chrétien, — qui est bien chrétien, mais qui n’est pas Sainte-Beuve, — aurait, lui, en sa qualité de chrétien, une doctrine… s’il savait fermement s’en servir. […] Pontmartin, lequel est un mixte négatif, qui n’est pas tout à fait Gustave Planche et qui n’est pas tout à fait Janin, composé de deux choses qui sont deux reflets : un peu de rose qui n’est qu’une nuance, et beaucoup de gris qui est à peine une couleur, aurait cependant, dans l’appréciation des œuvres littéraires et de leur moralité, le bénéfice des idées chrétiennes et la facile supériorité qu’elles donnent à tous les genres d’esprit, si les partis et les relations, la politique et la politesse, n’infirmaient jusqu’à sa raison.

127. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Villehardouin : chevalier et chrétien, mais positif et politique. […] Un désastre, une retraite le mettent en valeur : il sauve les débris de l’armée chrétienne après la fatale journée d’Andrinople. […] Ils mirent à tel prix leur concours, que l’armée des chrétiens, insolvable, fut à leur discrétion. […] Il prend au sérieux la croisade et son voeu : d’abord connue un engagement de vie pure et chrétienne. […] Joinville est une riche nature, dont les actes et relations de la vie chrétienne et féodale n’épuisent point l’abondance.

128. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Désiré Nisard est un chrétien. […] Il a le courage de se dire chrétien et de faire planer la morale chrétienne par-dessus la littérature. […] Il faut y renoncer, ou se faire chrétien pour les comprendre. […] Nisard n’est pas seulement un chrétien trempé dans la vigoureuse lecture des Pères, mais, de talent et de réflexion, c’est un moraliste bien plus qu’il n’est un critique, même quand il l’est le plus. […] Noble douleur, anglaise et chrétienne, dont il a fini par mourir (Voir dans les Recollections la lettre à sa sœur que la mort a interrompue, comme les stances d’André Chénier).

129. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

— et se rend coupable du crime mystérieux que l’Évangile des chrétiens déclare irrémissible. […] Visiblement, il eut, comme chrétien, autre chose à faire. […] Tout à coup, la chrétienne mal exterminée reparaît dans la gourgandine. […] Leur art, à ces contemplatifs patients et solitaires, était, au contraire, un art tout chrétien. […] Qu’y a-t-il, au fond, de plus chrétien que cela ?

130. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 17, quand ont fini les représentations somptueuses des anciens. De l’excellence de leurs chants » pp. 296-308

Je répons : nous voïons bien dans les ouvrages de saint Augustin, qui mourut l’an quatre cens trente de l’ère chrétienne, que dès son temps les théatres commençoient à se fermer dans la plûpart des villes de l’empire romain. […] Parmi les réponses aux questions des chrétiens, ouvrage attribué à S. […] Les circonstances du temps et du lieu font voir que ce passage doit s’entendre des chrétiens. […] Durant toute la nuit on y chantoit des airs profanes, et les gesticulateurs y déclamoient. " apparemment que quelque chrétien avoit mis en vers la passion de saint Cyprien, et qu’on executoit ce poëme sur son tombeau, de la même maniere qu’on executoit les pieces prophanes sur le théatre.

131. (1813) Réflexions sur le suicide

Quelles sont les lois que la religion chrétienne nous impose relativement au Suicide ? […] Le Suicide réfléchi est inconciliable avec la foi chrétienne, puisque cette foi repose principalement sur les différents devoirs de la résignation. […] Les chrétiens ont transposé le foyer de nos plus grandes satisfactions au fond de l’âme. […] En effet le plus grand exemple du sacrifice de la vie n’est-il pas la base de la croyance des chrétiens ? […] Que le malheureux ne se croie pas plus homme en étant moins Chrétien, et que l’être qui pense sache toujours où placer la véritable dignité morale de l’homme !

132. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Elle nous engage à devenir chrétiens, opposant toujours aux préceptes mauvais, la doctrine, seule et textuelle, de Jésus. […] Sans cesse Tolstoï nous montre cette question indifférente à la compréhension — à l’adoption — de la doctrine chrétienne. […] Ainsi la religion de Wagner et la religion de Tolstoï, pareillement, sont chrétiennes ; mais opposées à tous les enseignements de l’Église chrétienne. […] Dans un prestigieux chapitre, Tolstoï appelle à sa religion chrétienne les hommes de tous les cultes. […] Êtes-vous de quelque confession chrétienne ?

133. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XV. Du Purgatoire. »

On avouera du moins que le purgatoire offre aux poètes chrétiens un genre de merveilleux inconnu à l’antiquité87. […] Ma vertu, à moi chétif mortel, devient un bien commun pour tous les chrétiens ; et de même que j’ai été atteint du péché d’Adam, ma justice est passée en compte aux autres. Poètes chrétiens, les prières de vos Nisus atteindront un Euryale au-delà du tombeau ; vos riches pourront partager leur superflu avec le pauvre ; et pour le plaisir qu’ils auront eu à faire cette simple, cette agréable action, Dieu les en récompensera encore, en retirant leur père et leur mère d’un lieu de peines !

134. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Le jour où quelque personne intime, en 1824, la surprenait le plus vive contre les projets de M. de Villèle, tenant en main la brochure du comte Roy sur le 3 pour 100, s’en animant comme en connaissance de cause, et présageant par cette noble faculté d’indignation, qui était restée vierge au milieu du monde, la rupture inévitable de son éloquent ami, ce jour-là peut-être elle avait médité le matin sur l’une des Réflexions chrétiennes qu’elle s’efforçait de mûrir. […] Parmi les courtes Réflexions chrétiennes tracées de sa main, il en est sur les passions, la force, l’indulgence. […] Mais on se fera idée surtout de sa manière de moraliste chrétien et de cette subtilité tendre qui va jusqu’au dernier repli d’un sentiment, par la méditation sur l’indulgence : L’INDULGENCE. […] Il y a plusieurs manières de pardonner ; toutes sont bonnes, parce que toutes sont chrétiennes ; mais ces pardons diffèrent entre eux comme les vertus qui les ont produits. […] Le pardon de Jésus-Christ est le vrai pardon chrétien : « Ils ne savent ce qu’ils font. » Il y a, dans ces touchantes paroles, l’excuse de l’offenseur et la consolation de l’offensé, la seule consolation possible de ces douleurs morales, où le mal qu’on nous a fait n’est, pour ainsi dire, que secondaire.

135. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

C’est ce visage, qui n’est pas un masque, mais qui est maître de soi, comme la force, que Louis Teste a entrepris d’éclairer pour remuer et raviver un peu d’espérance dans les cœurs chrétiens désespérés. […] À des yeux catholiques, Léon XIII, fût-il de facultés médiocres, n’aurait pas besoin pour être dans l’avenir un grand pape d’être prédit par une biographie qui serait une promesse d’histoire, mais il n’est pas moins vrai que sa biographie, telle que la voici, en est une pour ceux qui ne sont pas chrétiens. […] … C’est peut-être le dernier combat que livrera l’Église pour la gloire du monde qu’elle a créé ou pour sa fin… Teste, qui est chrétien, et qui cherche à se faire avec des souvenirs une espérance, invoque l’Histoire à toute page de son livre, et rappelle les nombreuses et effroyables épreuves dont la Papauté est toujours sortie victorieuse. […] Ce serait ou la fin de la papauté, source religieuse de tous les pouvoirs politiques du monde, ou la fin du monde chrétien, c’est-à-dire du monde civilisé, qui disparaîtrait dans une incommensurable anarchie, pire que la Barbarie, car la Barbarie était disciplinée, et l’anarchie, c’est le chaos ! Un chrétien tremble toujours un peu devant ce grand mot : « la fin de l’Église ».

136. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

L’Institution chrétienne : rapport de la Réforme et de la Renaissance. […] Calvin et « l’Institution chrétienne » L’humanisme avec Rabelais se fait scientifique et positiviste, avec Calvin, moral et piétiste. […] Mais surtout elle l’obligea, une fois retiré à Bâle, à mettre par écrit la confession de sa nouvelle foi, arrêtée dans cet esprit avide de clarté : il rédigea en latin l’Institution chrétienne. […] Lecalvinisme, bien pris, doit être une doctrine d’humilité : il met toute l’espérance du chrétien anéanti dans la sincérité de sa foi qui, l’attachant à Dieu, l’oblige à vouloir toutes les volontés de Dieu, à aimer le joug douloureux de son Évangile. […] Il y a avant Calvin, en latin, les Loci theologici de Mélanchthon, encore abstraits et scolastiques, le Commentarius de vera et falsa religione de Zwingle, la Sommaire briefve déclaration d’aucuns lieux fort nécessaires à un chrétien de Farel : ces trois ouvrages laissent entière l’originalité de Calvin qui garde le mérite d’avoir employé une méthode rationnelle et morale.

137. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet »

L’auteur y remonte, à travers mille obscurités, jusqu’à la première lueur qu’on y voit poindre de cette doctrine chrétienne, en définitive étouffée par cette masse d’idolâtrie subsistant toujours et qui a fait de la Chine quelque chose de si abominablement exceptionnel parmi les peuples. […] Quoi qu’il en puisse être à cet égard, l’historien — qui est un critique très agile dans l’explication et le rapprochement des textes, et qui se livre à un examen fort approfondi de la fameuse inscription de Si-Ngan-Fou, attribuée par Voltaire aux jésuites avec cette moqueuse superficialité d’érudition qui distinguaitle grand perfide, — n’hésite plus quand il s’agit d’affirmer que la propagation de la loi chrétienne existait dans la Haute-Asie de 636 à 781. […] Même plus tard, quand les faits s’affermissent et se clarifient dans son récit, et prennent de ces certitudes qu’il n’est plus permis de discuter ; même au moment de ces merveilleux succès des Jésuites qui firent croire un jour à l’imagination européenne que la croix conquerrait l’Empire du Milieu, on s’enivrait trop d’une religieuse espérance… car trente-six mille chrétiens, au plus, sur trois cents millions d’âmes, n’étaient qu’une faible étincelle du feu qu’on croyait avoir allumé ! […] Aurait-elle pu devenir chrétienne ? […] Idées et influences chrétiennes, travaux des missionnaires, éducation des néophytes, la Chine rejettera de son sein tout ce qu’elle ne pourra pas y étouffer.

138. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

C’est un chrétien que Pellico, sans rien plus que le bon sens, le sens apaisé du chrétien en face de la vie, Sans le Christianisme, il serait presque acéphale, cet homme sans esprit, sans talent, sans volonté, sans passion, sans amour, du moins comme le sentent les hommes. Mais il a en lui la notion et la note chrétienne. […] Au lieu de cette conduite sage et chrétienne, je croyais que l’on pouvait professer ouvertement l’opposition, et j’avais la folie de voir sous un aspect avantageux les sociétés secrètes qui pullulaient en Italie. » Voilà, à toute page de la Correspondance, le langage de Silvio Pellico. […] Nous avons voulu dire d’un homme dont toute la supériorité est dans l’âme, et pour lequel nous avons une affection qu’il nous fallait cacher à cause de ceux qui étalaient la leur pour lui avec un intérêt perfide : maintenant que Silvio Pellico n’est plus qu’un chrétien qui baise sa croix et que renient les sociétés secrètes, nous pouvons tout haut l’admirer !

139. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

C’est un Chrétien que Pellico, sans rien plus que le bon sens, le sens apaisé du chrétien en face de la vie. […] Mais il a en lui la notion et la note chrétienne. […] Au lieu de cette conduite sage et chrétienne, je croyais que l’on pouvait professer ouvertement l’opposition, et j’avais la folie de voir sous un aspect avantageux les sociétés secrètes qui pullulaient en Italie. » Voilà à toute page de la correspondance le langage de Silvio Pellico. […] Nous avons voulu dire d’un homme dont toute la supériorité est dans l’âme, et pour lequel nous avons une affection qu’il nous fallait cacher à cause de ceux qui étalaient la leur pour lui, avec un intérêt perfide : Maintenant que Silvio Pellico n’est plus qu’un chrétien qui baise sa croix et que renient les sociétés secrètes, nous pouvons tout haut l’admirer !

140. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Le Tasse, qui traitait un sujet chrétien, a fait ces vers charmants, d’après Platon et Lucrèce5 : Sai, che la torre in mondo, ove piu versi Di sue dolcezze il luzinghier Parnasso, etc. […] Il n’a répandu quelque chaleur dans ses inventions qu’aux endroits mêmes où il cesse d’être philosophe pour devenir chrétien : aussitôt qu’il a touché à la religion, source de toute poésie, la source a abondamment coulé. […] Ne lui demandait-on pas de la poésie, un ciel chrétien, des cantiques, Jéhovah, enfin le mens divinior, la religion ? […] La Vérité du Tasse est une Muse, un Ange, je ne sais quoi jeté dans le vague, quelque chose qui n’a pas de nom, un être chrétien, et non pas la Vérité directement personnifiée, comme celle de la Henriade.

141. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre V. Suite du Père. — Lusignan. »

Voltaire lui-même ne se défend pas d’avoir cherché son succès dans la puissance de ce charme, puisqu’il écrit, en parlant de Zaïre : « Je tâcherai de jeter dans cet ouvrage tout ce que la religion chrétienne semble avoir de plus pathétique et de plus intéressant 17. » Un antique Croisé, chargé de malheur et de gloire, le vieux Lusignan, resté fidèle à sa religion au fond des cachots, supplie une jeune fille amoureuse d’écouter la voix du Dieu de ses pères : scène merveilleuse, dont le ressort gît tout entier dans la morale évangélique et dans les sentiments chrétiens : Mon Dieu ! […] — C’est ton père, c’est moi, C’est ma seule prison qui t’a ravi ta foi… Ma fille, tendre objet de mes dernières peines, Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines : C’est le sang de vingt rois, tous chrétiens comme moi ; C’est le sang des héros, défenseurs de ma loi, C’est le sang des martyrs. — Ô fille encor trop chère !

142. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé au nom de l’Académie des inscriptions et belles-lettres aux funérailles de M. .Villemain »

Expressions parfaites d’un idéal où la raison, la vertu et la beauté sont inséparables, les littératures antiques, soit sous leur forme profane, soit sous leur forme chrétienne, étaient pour lui une révélation lumineuse, où il trouvait à toute heure ce qui nourrit l’esprit et réchauffe le cœur. […] Il ne séparait pas l’antiquité chrétienne de l’antiquité profane ; le génie des Pères de l’Église trouva en lui pour la première fois un digne interprète. Cette grande école chrétienne du IVe siècle, tout imprégnée encore d’hellénisme et de philosophie, M. 

143. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre V. Ruines des monuments chrétiens. »

Ruines des monuments chrétiens. Les ruines des monuments chrétiens n’ont pas la même élégance que les ruines des monuments de Rome et de la Grèce ; mais, sous d’autres rapports, elles peuvent supporter le parallèle. […] Sacrés débris des monuments chrétiens, vous ne rappelez point, comme tant d’autres ruines, du sang, des injustices et des violences !

144. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

En un mot, l’esprit si fin et si pénétrant, si athénien et si chrétien tout ensemble, de Fénelon, jugeant le talent des autres, même lorsque ce talent était le plus solide et le mieux établi, y voyait tous les défauts qu’un goût délicat peut seul ressentir, et il les eût voulu éviter. […] Il n’y a rien dans ces lettres de Fénelon à Mme de Grammont qui paraisse excéder pour le fond ce que le bon sens délicat du directeur chrétien le plus éclairé peut conseiller et prescrire. […] La doctrine de Fénelon, dégagée de quelques subtilités d’expression et de quelques renchérissements particuliers à sa manière de sentir et d’écrire, n’est autre que la doctrine chrétienne dans sa plus spirituelle vivacité. […] Avant d’ouvrir les écrits spirituels de Fénelon ou ceux de tout autre chrétien, c’est là ce qu’il faut se dire pour ne pas être étonné de certaines expressions vives. […] Est-ce donc là être chrétien ?

145. (1908) Jean Racine pp. 1-325

C’était un galant homme, et assez mondain, un « honnête homme », au sens de ce temps-là, nullement un chrétien austère. […] Car il mêlait constamment les deux antiquités, païenne et chrétienne. […] Il y a, sous ce grave discours tout plein du dogme chrétien, une sensibilité contenue, mais profonde. […] Si Julia de Trécœur était meilleure chrétienne, et de plus de tenue, elle ne ressemblerait pas mal à Phèdre. […] Il conçut avec horreur que la notion même du péché peut devenir un élément de volupté… L’inquiétude que lui inspira sa première tragédie chrétienne acheva de faire de lui un chrétien.

146. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre II. Précurseurs et initiateurs du xviiie  siècle »

Mais que pouvaient ces libertins contre la religion chrétienne, telle que l’avaient faite dix-sept siècles de développement continu ? […] Le mouvement cartésien aboutit, avec le pieux Malebranche et ses disciples, à dresser un système hétérodoxe, et avec le juif hollandais Spinoza, qui inquiéta, épouvanta les penseurs chrétiens, à exclure totalement jusqu’à la possibilité même d’une vérité chrétienne. […] Les protestants, qui prétendaient restaurer la primitive Église, avaient été amenés à faire la part du divin et de l’humain dans le corps des traditions chrétiennes, soit contre le catholicisme romain, soit contre les sectes rivales issues également de la Réforme. […] Les Bénédictins, à force de candide soumission, élaguaient de la légende chrétienne une foule de saints apocryphes et de faux martyrs, sans inquiéter l’autorité ecclésiastique.

147. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

Les chrétiens, qui veulent, eux, imiter Jésus-Christ, n’ont pas travaillé seuls à ce succès. Les philosophes, qui n’ont pas précisément la même visée, y ont travaillé autant que les chrétiens. […] … Une pareille disposition effraie assez les esprits qui étudient les pentes du siècle, pour donner le courage de réagir contre un livre, bien plus utile à des ascètes avancés dans la voie de la perfection chrétienne qu’à des gens du monde vivant dans les réalités et les épaisseurs de ce temps. […] Seulement, si nous n’entrons pas plus avant dans ce point de vue pratique, qu’il est impossible de ne pas ouvrir quand il s’agit d’un livre chrétien, il nous reste à connaître le côté littéraire de l’Imitation comme œuvre humaine, et nous allons l’examiner. […] V Ainsi nous n’hésitons point à le répéter, de toutes les traductions qui ont été laites du livre de limitation, et elles sont nombreuses, depuis celle du chancelier de Marillac, rééditée de nos jours, et dans laquelle on a une naïveté bien inférieure à celle de la traduction du xve  siècle, jusqu’à celle que s’imposa M. de Lamennais (il était chrétien alors) pour mortifier, je crois, son génie, la meilleure, celle-là qui complète le mieux son auteur en le traduisant, est celle que MM. d’Héricault et Moland nous ressuscitent aujourd’hui ; toutes les autres ne valent pas le texte parce qu’elles veulent seulement nous le donner.

148. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Il n’y a rien de plus odieux que la morale chrétienne défendue par un croyant. […] Une telle œuvre ne serait plus l’œuvre du Pascal chrétien, du prisonnier d’Arnauld. […] On confond l’équité, qui est l’ordre, avec la justice, idée chrétienne. […] Il faut déjà ruser pour dire sa pensée, quand elle blesse la morale chrétienne. […] Suivons l’exemple du catéchisme qui débute par : « Etes-vous chrétien ? 

149. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Il est difficile de ne pas rester confondu d’étonnement, lorsqu’en ouvrant les Pensées du philosophe chrétien, on tombe sur les six chapitres où il traite de la nature de l’homme. […] Il y a un monument curieux de la philosophie chrétienne, et de la philosophie du jour : ce sont les Pensées de Pascal, commentées par les éditeurs165. […] Une seule observation suffira pour faire voir combien Pascal sophiste eût été inférieur à Pascal chrétien. […] Quel ne fût point devenu ce grand homme, s’il n’avait été chrétien !

150. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Les vierges vestales avoient leur place marquée sur le premier degré de l’amphithéatre dans les tems de la plus grande politesse des romains, et quand un homme passoit pour barbare, s’il faisoit marquer d’un fer chaud son esclave qui avoit volé le linge de table, crime pour lequel les loix condamnent à mort dans la plûpart des païs chrétiens, nos domestiques qui sont des hommes d’une condition libre. […] Les combats de gladiateurs ne cesserent à Rome qu’après que la religion chrétienne y fut devenuë la religion dominante, et que Constantin Le Grand les eut défendus par une loi expresse. […] Il a mieux aimé que les criminels échapassent souvent aux châtimens que l’interêt de la societé civile demande qu’on leur fasse subir, que de permettre qu’un innocent pût être jamais exposé à ces tourmens dont les juges se servent dans les autres païs chrétiens pour arracher aux accusez l’aveu de leurs crimes. […] L’attrait de l’émotion fait oublier les premiers principes de l’humanité aux nations les plus débonnaires, et il cache aux plus chrétiennes les maximes les plus évidentes de leur religion.

151. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Alaux. La Religion progressive » pp. 391-400

— n’est donc que la religion catholique, tout simplement, fixant le dogme mais pourtant n’y obligeant pas, et ouvrant les bras — comme une brave fille — à tous ceux qui, sans le dogme, acceptent la morale chrétienne, qu’ils soient d’ailleurs philosophes, protestants, athées ! […] Mais, enfantillage et contradiction, tout ceci a cela de bon, pourtant, qu’un philosophe, de la grande bande des philosophes qui croient au progrès et qui y travaillent, déclare, dans un livre entrepris à ce dessein, que l’humanité ne peut se passer de religion et qu’il n’y en a pas d’autre pour elle que la religion chrétienne et catholique, — aussi peu catholique et chrétienne qu’on voudra, mais encore, pourtant, catholique et chrétienne jusque dans son dernier débris, son dernier vestige et sa dernière flétrissure !

152. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre III. Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens. »

Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens. […] Cette naïveté chrétienne, dans un grand homme, est bien touchante. […] Une chose n’est bonne, une chose n’est positive qu’autant qu’elle renferme une intention morale ; or, toute métaphysique qui n’est pas théologie, comme celle des anciens et des chrétiens, toute métaphysique qui creuse un abîme entre l’homme et Dieu, qui prétend que le dernier n’étant que ténèbres, on ne doit pas s’en occuper : cette métaphysique est futile et dangereuse, parce qu’elle manque de but.

153. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

On se rappelle au plus son Mémoire sur la liberté des cultes, couronné en 1826 par la Société de la morale chrétienne. […] Mais les idées morales, religieuses, chrétiennes, eurent toujours le pas dans son esprit sur les opinions purement littéraires. […] Jouffroy ou Damiron diraient, s’ils étaient pasteurs évangéliques, et parlant à des chrétiens assemblés, non sous les voûtes d’une cathédrale, mais dans une chambre. […] Ce qui nous y frappe surtout, c’est l’esprit de lumière et de charité chrétienne infinie, qui fait que, pour des catholiques même, bien des choses y restant absentes, aucune peut-être n’est expressément contraire ni à repousser. […] Avertissement en tête des Disputations chrétiennes, 1552.

154. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Massillon et Vauvenargues ont affaibli, l’un la prédication chrétienne, l’autre la morale qui nous défend contre nos passions. […] Il y a une source d’informations où il pouvait compléter sa connaissance, l’antiquité chrétienne : il l’a volontairement négligée. Des deux antiquités, il n’a eu confiance qu’en la païenne ; la chrétienne n’a guère obtenu de lui que du respect : c’était beaucoup pour le temps ; pour un historien des sociétés humaines, c’était trop peu. […] Son temps l’a arraché à cette contemplation fugitive, et la lumière chrétienne l’a éclairé un moment sans le pénétrer. […] C’est au milieu de ses intérêts et de leurs propres combats contre ses séductions, que, soldats, gens de loi, professeurs, les uns se font chrétiens, les autres deviennent par l’élection les chefs religieux des peuples.

155. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

N’est-ce pas Guizot, le protestant rigide, qui applique à ce siècle si peu chrétien les paroles mêmes du Christ : « Il lui sera beaucoup pardonné, parce qu’il a beaucoup aimé ». […] Ainsi, pour les catholiques, le culte des saints, des reliques, de la Vierge fait partie intégrante de la piété chrétienne ; pour les protestants, la piété chrétienne consiste à bannir ces pratiques soi-disant pieuses. […] L’un de ceux-ci, un chrétien nommé Renoart, est armé d’un sapin de quinze pieds qu’il manie en guise de massue. […] La grande majorité est croyante et la morale chrétienne n’est guère battue en brèche. […] Corneille ne fait pas épouser Pauline par Sévère, une fois que Polyeucte a disparu ; elle devient chrétienne comme son époux ; elle veut le suivre jusque dans le martyre.

156. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Les trois Lettres à un jeune homme sur la Vie chrétienne, données de son vivant et par lui-même81, ne diffèrent pas notablement d’une conférence en trois points. […] Ce n’était pas seulement l’âge qui l’avait mûrie ; un nouvel élément l’avait transfigurée : j’étais chrétien. […] Mais, si chrétien qu’il fût, l’homme était demeuré ; il se remuait tout vivant dans la magie de son style, et jamais le Christianisme n’avait eu pour prophète une âme où le monde eût tant d’éclat et Jésus-Christ tant de grandeur. […] J’avoue que de grands coupables par l’esprit peuvent avoir des noms glorieux ; mais cette gloire est d’un ordre que les cœurs chrétiens ne reconnaissent pas. […] De même qu’un honnête homme évite l’entretien des femmes perdues de mœurs et des hommes déshonorés, de même un chrétien doit-il éviter la lecture des ouvrages qui n’ont fait que du mal au genre humain.

157. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre I. Objet de ce livre. — Retour de l’âge divin » pp. 357-361

. — Les premiers rois chrétiens fondèrent des ordres religieux et militaires pour combattre les infidèles. — Alors revinrent avec plus de vérité le pura et pia bella des peuples héroïques. […] Les représailles de l’antiquité, la dureté des servitudes héroïques se renouvelèrent, et durent encore entre les infidèles et les chrétiens. […] On peut dire que ces chapelles furent les asiles naturels des chrétiens ; les fidèles élevaient autour leurs habitations.

158. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à ta mort m’ont frappé : je suis devenu chrétien. […] À travers les ténèbres de cet ouvrage se glisse un rayon de la lumière chrétienne qui brilla sur mon berceau. […] C’est dans la 7e partie où, après avoir passé en revue les tombeaux chez tous les peuples anciens et modernes, j’arrive aux tombeaux chrétiens ; je parle de cette fausse sagesse qui fit transporter les cendres de nos pères hors de l’enceinte des villes, sous je ne sais quel prétexte de santé. […] Je vous avais mal cité le titre de l’ouvrage, le voici : Des beautés poétiques et morales de la religion chrétienne, et de sa supériorité sur tous les autres cultes de la terre. […] votre Dieu n’est plus qu’un tyran horrible et absurde » ; tout à côté de ces mots imprimés Chateaubriand ajoutait de sa main ; « Cette objection est insoluble et renverse de fond en comble le système chrétien.

159. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

Le vœu subit entre les mains de l’archevêque Guibert une modification dans son principe même : de conditionnel il devint absolu, c’est-à-dire qu’il gardait toujours son caractère d’absolue remise en Dieu de tous les espoirs chrétiens, mais il perdait en même temps cette apparence de marchandage qu’il contenait au début.‌ […] Les désastres que la France a subis sont le châtiment de son impiété et de son éloignement progressif de Dieu, dont on invoque la pitié, afin que le Saint-Siège puisse reconquérir son autorité et la France son calme, c’est-à-dire sa vieille foi chrétienne. […] Jamais un culte aussi bas et qui emprunte quelque peu de son caractère à certains rites efféminés de l’Asie, n’aurait pu triompher au temps de la plénitude chrétienne. […] Faut-il encore pour déjouer ce calcul en avoir pénétré le mécanisme et savoir lire dans l’âme de nos « républicains catholiques » et de nos « démocrates chrétiens ». […] Ce que le catholique entend par « le salut de la patrie », c’est sa libération spirituelle par le retour à la foi chrétienne.

160. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Mais s’il se sentait chrétien, il ne voulait pas être prêtre ; il se fit ordonner sous la pression de son directeur et de son frère, dans une angoisse profonde. […] En ceci encore il s’inspirait de Mme de Staël, lorsque, se détournant des œuvres classiques de goût antique et païen, il étudiait les œuvres romantiques du moyen âge chrétien. […] Mais peut-être est-ce surtout la révolution littéraire qui donna l’essor aux orateurs chrétiens : le goût pseudoclassique leur retranchait tout l’essentiel de la religion, le surnaturel, le mystère et l’infini, toute la poésie aussi, le pittoresque séduisant, le pathétique prestigieux. […] Du polythéisme romain considéré dans ses rapports avec la philosophie grecque et la religion chrétienne, 1833, 2 vol. in-8. […] Tableau de l’éloquence chrétienne au ive s., 1849, in-8 ; Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique, 1859, in-8.

161. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

dans ce cas, nous disons qu’il a parlé en chrétien. […] S’il y a des chrétiens peu conséquents, c’est qu’ils ne sont pas encore assez chrétiens. […] Ils sont chrétiens quatre fois l’an. […] C’était le courage chrétien dans son admirable simplicité. […] Fut-il chrétien ?

162. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

En même temps que le besoin de nous étonner à la fois par ses hardiesses et par sa distinction, des préoccupations de moraliste chrétien se trahissent de plus en plus dans l’œuvre de M.  […] En somme, on ne peut dire que ce soient les croyances chrétiennes ou spiritualistes qui créent, et conservent seules la conscience morale : on dirait plus justement que c’est la conscience qui se crée ces appuis extérieurs. […] Octave Feuillet nous conte que, si ce chimiste devient l’amant de Mme de Val-Chesnay et si, congédié brusquement par cette coquette, il avale une fiole d’opium, c’est parce qu’il n’est pas chrétien. […] Est-ce la foi des premiers chrétiens ou des jansénistes qui respire dans ce livre parfumé ? […] Feuillet est chrétien, je n’en doute pas ; mais il est surtout « bien pensant », ce qui est souvent une manière de ne pas penser.

163. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Vinet dans la nature morale de Pascal, et n’a fait voir plus sensiblement que sous le héros chrétien il y avait l’ homme . […] Il y a un Pascal dans chaque chrétien, de même qu’il y a un Montaigne dans chaque homme purement naturel. […] Vinet et à ses amis, et que les théologiens protestants ont volontiers accueillie, c’est que les Pensées de Pascal, dans l’état où les a mises la controverse récente, et ramenées plus que jamais à l’état de purs fragments grandioses et nus, sont par là même plus propres à un genre de démonstration chrétienne qui prend l’individu au vif, et peuvent devenir la base d’une apologétique véritable, tout entière fondée sur la nature humaine. […] Quelle impression profonde, intime, toute chrétienne, d’un christianisme tout réel et spirituel !

164. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

. — Nous voyons d’abord au septentrion le czar de Moscovie qui est à la vérité chrétien, mais qui commande à des hommes d’un esprit lent et paresseux. — Le kan de Tartarie, qui a réuni à son vaste empire celui de la Chine, gouverne un peuple efféminé, tels que le furent les seres des anciens. — Le négus d’Éthiopie, et les rois de Fez et de Maroc règnent sur des peuples faibles et peu nombreux. […] Les missionnaires assurent que le plus grand obstacle qu’ils aient trouvé dans ce pays à la foi chrétienne, c’est qu’on ne peut persuader aux nobles que les gens du peuple sont hommes comme eux. — L’empire de la Chine avec sa religion douce et sa culture des lettres, est très policé. — Il en est de même de l’Inde, vouée en général aux arts de la paix. — La Perse et la Turquie ont mêlé à la mollesse de l’Asie les croyances grossières de leur religion. […] L’Europe entière est soumise à la religion chrétienne, qui nous donne l’idée la plus pure et la plus parfaite de la divinité, et qui nous fait un devoir de la charité envers tout le genre humain.

165. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Certes, il n’a rien abandonné, ni des droits de l’Église ni de l’autorité du dogme, le pontife qui a écrit les mémorables Encycliques du 28 décembre 1878 sur les Erreurs modernes ; et du 11 août 1879, sur la Philosophie chrétienne ; et du 10 février 1880, sur le Mariage chrétien. […] Un de ces moyens (d’atteindre et de réaliser l’union) est d’accepter sans arrière-pensée, avec cette loyauté qui convient au chrétien, le pouvoir civil, dans la forme où, de fait, il existe. […] Supposons que le dogme chrétien, sa métaphysique et sa morale ne soient que des « adaptations » de la philosophie grecque aux exigences du texte biblique. […] II, la Renaissance chrétienne. […] Mais avant d’être protestante, je suis chrétienne ou du moins je m’efforce de l’être, et comme chrétienne je suis heureuse d’entendre une parole… défendre les droits de la vérité religieuse.

166. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

C’est ce que les lecteurs du Génie du Christianisme eurent le droit de conclure, surtout en ne voyant pas éclater, dans la vie de ce Tertullien, les vertus chrétiennes dont il faisait profession dans son livre. On le considéra comme un déclamateur éloquent et habile, au lieu de le respecter comme un chrétien converti et convaincu. […] Il avait été élevé par une mère et par des sœurs chrétiennes ; tout ce qu’il y avait de tendre dans son âme était chrétien. Ses premiers exils en Amérique, son émigration, ses misères, même en Angleterre, avaient été subis sous l’influence des sentiments chrétiens ; les grands spectacles de la solitude, du ciel, de la mer, des forêts, des fleuves, des cascades, qui l’avaient frappé dans son voyage, étaient empreints de cette couleur ; il les avait reflétés dans Atala et dans René, ses premières ébauches ; il avait pensé, il avait rêvé en chrétien ; sa haine même, si naturelle, contre les persécutions et les martyres des croyances de sa jeunesse leur avait donné quelque chose de tendre comme les souvenirs de la demeure paternelle, de sacré comme le foyer de ses pères ; tout son cœur et toute son imagination étaient restés ainsi de la religion du Christ. […] Atala était le roman de l’espérance et de l’immortalité ; c’était la séve nouvelle qu’un jeune émigré chrétien était allé chercher sous les lianes des forêts vierges, pour rajeunir une littérature épuisée en Europe et lui rendre la vitalité de la nature.

167. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

À la verte confiance de la première jeunesse, à la croyance ardente, à la virginale prière d’une âme stoïque et chrétienne, à la mystique idolâtrie pour un seul être voilé, aux pleurs faciles, aux paroles fermes, retenues et nettement dessinées dans leur contour comme un profil d’énergique adolescent, ont succédé ici un sentiment amèrement vrai du néant des choses, un inexprimable adieu à la jeunesse qui s’enfuit, aux grâces enchantées que rien ne répare ; la paternité à la place de l’amour ; des grâces nouvelles, bruyantes, enfantines, qui courent devant les yeux, mais qui aussi font monter les soucis au front et pencher tristement l’âme paternelle ; des pleurs (si l’on peut encore pleurer), des pleurs dans la voix plutôt qu’au bord des paupières, et désormais le cri des entrailles au lieu des soupirs du cœur ; plus de prière pour soi ou à peine, car on n’oserait, et d’ailleurs on ne croit plus que confusément ; des vertiges, si l’on rêve ; des abîmes, si l’on s’abandonne ; l’horizon qui s’est rembruni à mesure qu’on a gravi ; une sorte d’affaissement, même dans la résignation, qui semble donner gain de cause à la fatalité ; déjà les paroles pressées, nombreuses, qu’on dirait tomber de la bouche du vieillard assis qui raconte, et dans les tons, dans les rhythmes pourtant, mille variétés, mille fleurs, mille adresses concises et viriles à travers lesquelles les doigts se jouent comme par habitude, sans que la gravité de la plainte fondamentale en soit altérée. […] comme pour se rassurer dans les ténèbres et se fortifier contre lui-même ; vainement il montre de loin à son amie, dans le ciel sombre, la double étoile de l’Âme immortelle et de l’Éternité de Dieu ; vainement il fait agenouiller sa petite fille aînée devant le Père des hommes, et lui joint ses petites mains pour prier, et lui pose sur sa lèvre d’enfant le psaume enflammé du prophète : ni la Prière pour Tous si sublime, ni l’Aumône si chrétienne, ne peuvent couvrir l’amère réalité ; le poëte ne croit plus. […] On a déjà pu remarquer un envahissement analogue du scepticisme dans les Harmonies du plus chrétien, du plus catholique de nos poëtes, tandis qu’il n’y en avait pas trace dans les Méditations, ou du moins qu’il n’y était question du doute que pour le combattre. Mais l’organisation intime, l’âme de M. de Lamartine, est trop encline par essence au spiritualisme, au Verbe incréé, au dogme chrétien, pour que même les négligences de volonté amènent chez lui autre chose que des éclipses passagères : dans M. […] Il n’y avait donc qu’une volonté de tous les instants qui pût le diriger et le maintenir dans la première route chrétienne où sa muse de dix-neuf ans s’était lancée.

168. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Voilà ce que les psychologistes répètent d’après les chrétiens, quoique avec une sorte de timidité, et n’osant trop presser les conséquences. […] Les chrétiens nous ont donné une représentation fidèle du moi tel qu’ils l’entendaient, dans le spectacle de ces saints reclus, murés entre quatre murs sur les places publiques, et recevant par une ouverture leur pain de la pitié des passants. […] C’est ce qu’ont pensé les chrétiens, c’est ce que doivent croire les psychologistes. […] Les chrétiens en effet confisquaient autant qu’ils le pouvaient l’action au profit de la contemplation ; s’ils toléraient l’une parce qu’il le fallait bien, ils conseillaient surtout l’autre. […] L’humanité cessa de tendre à la perfection métaphysique pour laquelle elle n’était point faite ; les sciences profanes et l’industrie, marchant de concert, ruinèrent sur tous les points de la société la pratique chrétienne.

169. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre III : Le présent et l’avenir du spiritualisme »

Néanmoins, tant que ces variations et oppositions ne se manifestaient que dans les limites du dogme lui-même, c’est-à-dire sans mettre en question le fondement surnaturel du christianisme, il y avait dans l’Église protestante un fonds commun, une unité de foi, et en quelque sorte, un point fixe : la divinité du Christ, et la croyance à une révélation spéciale de Dieu ; mais le moment est arrivé où, la liberté d’examen venant à s’étendre jusqu’aux bases mêmes de la théologie dogmatique, s’est élevée la question de savoir si le christianisme est absolument lié à tel ou tel dogme, s’il lui est interdit de s’ouvrir aux lumières de la critique et de la philosophie moderne, et si rejeter le surnaturel, c’est abdiquer l’esprit chrétien. Les uns pensent qu’il n’y a pas de christianisme sans un dogme chrétien : c’est ce qu’on appelle le protestantisme orthodoxe ; les autres pensent que le christianisme consiste dans l’esprit et dans le sentiment chrétien et non dans un dogme déterminé : c’est le protestantisme libéral. […] Les spiritualistes que j’appellerai libéraux sont loin d’être animés de mauvais sentiments à l’égard des religions positives : ils respectent et ils aiment la conviction partout où ils la trouvent, et ils sont loin de renier ce qu’il y a de commun dans leurs croyances personnelles et dans les croyances chrétiennes. Peut-être même seraient-ils encore plus disposés que les autres à emprunter quelque chose, mais librement, à la métaphysique chrétienne.

170. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

L’enseignement du prêtre qu’on pouvait craindre y est remplacé par la sentimentalité d’un philosophe, chrétien encore, mais d’un christianisme qui n’est point farouche, d’un christianisme humanisé ; et le moine, le moine qui inquiète toujours les yeux purs et délicats de la Philosophie, s’y est enfin suffisamment décrassé dans les idées modernes, pour qu’il n’en reste rien absolument sur l’académicien, reluisant neuf ! […] Il y va par une voie chrétienne, je le sais, mais il n’y va pas moins que les livres qui y vont par une voie impie, que les livres de M.  […] Il y est, poussant dans cette pente les intelligences restées chrétiennes et faisant razzia d’elles, que manqueraient les livres des philosophes, s’ils étaient seuls, et les y poussant au profit du plus terrible entraînement qui ait jamais menacé le monde chrétien ! […] Mais le Père Lacordaire, moderne lui-même comme le roman, a trouvé que ce n’était pas assez que les quelques mots, rayonnants dans les placidités du divin récit, que les quelques faits qui donnent Dieu et l’homme en bloc ; il a voulu, qu’on me passe le mot, y mettre plus d’homme, et il l’a voulu pour émouvoir les âmes où il y a plus de créature humaine que de chrétienne, car ce livre — on le sent par tous ses pores, — est écrit surtout pour les femmes et pour les âmes femmes, quel que soit leur sexe.

171. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Avouant les avoir retrouvés dans l’entre-deux de ses vertus, longtemps encore après qu’elle se crut avancée dans les voies chrétiennes, elle fut peut-être, qu’on me passe le mot, quelque chose comme une Célimène en herbe ; ce n’est pas assez dire ! […] IV C’est que, pour comprendre Sainte Térèse, la suprême beauté morale de Sainte Térèse, il faut avoir au moins la notion de la beauté chrétienne. […] Peinte pour Chateaubriand et pour la société qui était redevenue chrétienne en lisant le Génie du christianisme, c’est la Sainte Térèse de ce livre rhétorico-religieux, mais ce n’est pas la Térèse de la Tradition espagnole et de l’histoire. […] Dire que c’est la vie d’une âme éprise de Dieu et de perfection, qui a monté pendant quarante ans, chaque jour, une marche du ciel, le chrétien seul nous comprendrait, le chrétien qui sait à quel prix sanglant s’achète cette lente et magnifique Assomption de l’Amour !

172. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Du Clésieux, dans son poème, est resté jusqu’à la dernière page et jusqu’à son dernier vers dans la beauté du sentiment chrétien le plus pur, et cette beauté s’ajoute à celle de l’émotion humaine qui fait palpiter tout son poème, comme un cœur vivant… IV Rien de plus simple que ce roman en vers qui pourrait bien être une histoire, et cette simplicité est si grande que la donnée du poème peut se raconter en deux mots… Le héros du livre, qui n’est pas nommé dans le poème, l’amant d’Armelle, est un Childe Harold de ce temps où toute âme un peu haute est plus ou moins Childe Harold, et n’a pas besoin d’aller au fond de toutes les coupes que nous tend le monde pour s’en détourner et revenir à la solitude, — et pour s’essuyer, comme un enfant à la robe de sa mère, de ses souillures et de ses dégoûts, à la Nature. […] … Quand une société en est là de ramollissement et de lâche mépris pour tout ce qui fut autrefois la force et la dignité des nations chrétiennes, le sentiment filial comme on le rencontre dans Armelle est bien près de n’être plus compris. […] selon ce critique, qui est chrétien pourtant et d’une noble race, fidèle aux anciennes traditions et aux anciennes mœurs, il fallait que l’amour d’Armelle mis dans la balance avec le serment fait à la mère l’emportât dans le cœur du fils, sous peine de disproportion entre le motif du sacrifice et son objet ; et, le pourra-t-on croire ? […] » Et ce n’est pas non plus sur la venue tardive du poème de du Clésieux dans la poussée des choses du temps qu’il faut exprimer des regrets, mais sur la perte de ce grand sentiment chrétien, mort comme Turenne, et qui serait nécessaire pour bien sentir cette poésie, austère et attendrie à la fois. […] Ce lamartinien a l’instinct des grandes œuvres comme il a l’instinct des beaux vers, et il l’a prouvé par des œuvres chrétiennes immenses.

173. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre III. Massillon. »

Ainsi, nous ne ferons paraître à l’appui de nos raisonnements ni Fénélon, si plein d’onction dans les méditations chrétiennes, ni Bourdaloue, force et victoire de la doctrine évangélique : nous n’appellerons à notre secours ni les savantes compositions de Fléchier, ni la brillante imagination du dernier des orateurs chrétiens, l’abbé Poulle. […] Convenez de leurs maximes, et l’univers entier retombe dans un affreux chaos ; et tout est confondu sur la terre ; et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées ; et les lois les plus inviolables de la société s’évanouissent ; et la discipline des mœurs périt ; et le gouvernement des États et des Empires n’a plus de règle ; et toute l’harmonie des corps politiques s’écroule ; et le genre humain n’est plus qu’un assemblage d’insensés, de barbares, de fourbes, de dénaturés, qui n’ont plus d’autres lois que la force, plus d’autre frein que leurs passions et la crainte de l’autorité, plus d’autre lien que l’irréligion et l’indépendance, plus d’autres dieux qu’eux-mêmes : voilà le monde des impies ; et si ce plan de république vous plaît, formez, si vous le pouvez, une société de ces hommes monstrueux : tout ce qui nous reste à vous dire, c’est que vous êtes dignes d’y occuper une place. » Que l’on compare Cicéron à Massillon, Bossuet à Démosthène, et l’on trouvera toujours entre leur éloquence les différences que nous avons indiquées ; dans les orateurs chrétiens, un ordre d’idées plus général, une connaissance du cœur humain plus profonde, une chaîne de raisonnements plus claire, enfin une éloquence religieuse et triste, ignorée de l’antiquité.

174. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Ajoutez comme fond du tableau la cour de Louis XIV, telle qu’elle se dessinait à cette heure aux yeux d’un chrétien, Mme de La Vallière pâlissante, mais non encore éclipsée, à côté de Mme de Montespan déjà radieuse ; Molière, au comble de sa faveur et de son art, et se permettant toutes les hardiesses, pourvu qu’il amusât. […] Membre d’une société qu’on accusait d’être accommodante et relâchée, il s’attache à prendre chez les adversaires ce qu’ils ont de juste, de moral, de profondément chrétien et de raisonnablement sévère ; il en ôte ce qu’ils y mettent d’excessif, et il ne leur laisse en propre que cette dureté. […] Ne le mettez pas à un si haut prix qu’ils n’aient pas de quoi l’acheter. » Bourdaloue, étudié dans le détail, offrirait le plus bel exemple de la parole chrétienne édifiante et convaincante, appliquée à tous les usages et distribuée comme le pain de chaque jour, depuis les sermons prêchés à la Cour ou sous les voûtes de Notre-Dame jusqu’aux simples exhortations pour les assemblées de charité. […] Mais il avait une trop haute idée de la parole chrétienne pour ne pas la préparer toujours à l’avance, sachant combien les termes en doivent être mesurés : il n’improvisait pas, il aimait mieux redire ses sermons, en y adaptant des portions nouvelles pour les circonstances particulières. […] C’était un homme d’un caractère doux et de si peu d’emportement contre les protestants, qu’il croyait que les gens de bien parmi eux pouvaient être sauvés : je n’ai jamais rencontré ce degré de charité chrétienne chez aucun autre théologien catholique.

175. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre II. Qu’il y a trois styles principaux dans l’Écriture. »

Mais lorsque, sous les rapports chrétiens, on vient à penser que l’histoire des Israélites est non seulement l’histoire réelle des anciens jours, mais encore la figure des temps modernes ; que chaque fait est double, et contient en lui-même une vérité historique et un mystère ; que le peuple juif est un abrégé symbolique de la race humaine, représentant, dans ses aventures, tout ce qui est arrivé et tout ce qui doit arriver dans l’univers ; que Jérusalem doit être toujours prise pour une autre cité, Sion pour une autre montagne, la Terre Promise pour une autre terre, et la vocation d’Abraham pour une autre vocation ; lorsqu’on fait réflexion que l’homme moral est aussi caché sous l’homme physique dans cette histoire ; que la chute d’Adam, le sang d’Abel, la nudité violée de Noé, et la malédiction de ce père sur un fils, se manifestent encore aujourd’hui dans l’enfantement douloureux de la femme, dans la misère et l’orgueil de l’homme, dans les flots de sang qui inondent le globe depuis le fratricide de Caïn, dans les races maudites descendues de Cham, qui habitent une des plus belles parties de la terre91 ; enfin, quand on voit le Fils promis à David venir à point nommé rétablir la vraie morale et la vraie religion, réunir les peuples, substituer le sacrifice de l’homme intérieur aux holocaustes sanglants, alors on manque de paroles, ou l’on est prêt à s’écrier avec le prophète : « Dieu est notre roi avant tous les temps. » Deus autem rex noster ante sæcula. […] De plus, comme dans l’Écriture tout a un rapport final avec la nouvelle alliance, on pourrait croire que les élégies de Job se préparaient aussi pour les jours de deuil de l’Église de Jésus-Christ : Dieu faisait composer par ses prophètes des cantiques funèbres dignes des morts chrétiens, deux mille ans avant que ces morts sacrés eussent conquis la vie éternelle. […] Tout l’esprit du christianisme est là : saint Pierre est l’Adam de la nouvelle loi ; il est le père coupable et repentant des nouveaux Israélites ; sa chute nous enseigne en outre que la religion chrétienne est une religion de miséricorde, et que Jésus-Christ a établi sa loi parmi les hommes sujets à l’erreur, moins encore pour l’innocence que pour le repentir. […] mot digne des anges, et qui est comme l’abrégé de la religion chrétienne.

176. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre III. Partie historique de la Poésie descriptive chez les Modernes. »

Jusqu’à ce moment la solitude avait été regardée comme affreuse, mais les chrétiens lui trouvèrent mille charmes. […] Flore revint avec sa corbeille, et les éternels Zéphyrs ne manquèrent pas de l’accompagner ; mais ils ne retrouvèrent dans les bois ni les naïades, ni les faunes ; et s’ils n’eussent rencontré les fées et les géants des Maures, ils couraient risque de se perdre dans cette immense solitude de la nature chrétienne. […] Mais ici se présente un autre avantage du poète chrétien : si sa religion lui donne une nature solitaire, il peut avoir encore une nature habitée.

177. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Ne vous y trompez pas, c’est la même audace à froid, la même haine de la vérité chrétienne, la même négation, le même athéisme philosophique, et j’insiste sur ce nom d’athée que je justifierai tout à l’heure et que je donne hardiment à M.  […] Ventura, c’est presque au moment où l’on annonçait les Femmes de la Révolution que paraissaient les Femmes chrétiennes du théologien-philosophe. […] Les Femmes chrétiennes, les Héroïnes historiques du Christianisme, mises en regard des Héroïnes de la Révolution, c’était là un spectacle et c’était là une leçon ! […] Les Femmes chrétiennes du P.  […] Pour les esprits qui ne passent pas leur vie à couper en quatre des fils de la Vierge avec de microscopiques instruments, il n’y a que trois femmes en nature humaine et en histoire : La femme de l’Antiquité grecque, — car la matrone romaine, qui tranche tant sur les mœurs antiques, n’est qu’une préfiguration de la femme chrétienne, — la femme de l’Évangile et la femme de la Renaissance, pire, selon nous, que la femme de l’Antiquité, pire de toute la liberté chrétienne dont la malheureuse a si indignement abusé.

178. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Il ne faut pas se laisser abuser par le dernier chapitre, une collection de réflexions et de raisonnements philosophiques, où La Bruyère mêle Platon, Descartes et Pascal dans un vague spiritualisme chrétien. […] Il y a dans ce livre un merveilleux assez froid et un mélange bien incohérent de fictions païennes et d’esprit chrétien. […] Quelle irrésistible séduction, qui fait l’idéal chrétien aimable, et ne l’abaisse pas ! […] On retrouve, dans ses idées politiques et sociales, un curieux mélange du chrétien, du grand seigneur, et du lettré enivré des Grecs. […] Chrétien, il est mû par le sentiment, plutôt que soumis à la règle ; il est personnel, indocile, téméraire, hétérodoxe.

179. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Avouant les avoir retrouvés dans l’entre-deux de ses vertus longtemps encore après qu’elle se crut avancée dans les voies chrétiennes, elle fut peut-être, qu’on me passe le mot ! […] V C’est que, pour comprendre sainte Térèse, la suprême beauté morale de sainte Térèse, il faut avoir au moins la notion de la beauté chrétienne. […] Peinte pour Chateaubriand et pour la société qui était redevenue chrétienne en lisant le Génie du Christianisme, c’est la sainte Térèse de ce livre rhétorico-religieux, mais ce n’est pas la Térèse de la Tradition espagnole et de l’Histoire. […] Dire que c’est la vie d’une âme éprise de Dieu et de perfection, qui a monté pendant quarante ans, chaque jour, une marche du ciel, le chrétien seul nous comprendrait, le chrétien qui sait à quel prix sanglant s’achète cette lente et magnifique Assomption de l’Amour !

180. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

D’économie chrétienne, il est vrai, mais cependant d’économie. […] » le livre de Champagny, qui est un chrétien, n’est point, selon nous, une réponse péremptoire à cette question mère. […] En sa qualité de chrétien, Champagny tient cette question pour résolue ; mais pourtant, puisqu’il fait un livre, c’est qu’il veut apparemment pousser ou incliner les esprits vers la solution qu’il possède et sur laquelle il est tranquille. […] Or, pour aller jusque-là, il ne faut pas seulement posséder la foi du chrétien, mais l’aperçu de l’homme d’histoire, et peut-être ne serait-il pas de trop que de monter jusqu’au génie ?

181. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Le Conte de l’Isle. Poëmes antiques. »

Lui, l’occidental et le chrétien, il chante l’Être et le Néant qu’il glorifie. Or, comme ces glorifications du Néant et de l’Être ne peuvent jamais être très variées, et qu’on ne voit pas grand’chose, quand on n’est pas fakir, dans ces deux pierres noires, il se trouve que pour nous, restés occidentaux, aux sensations nettes, à l’esprit positif et au cœur chrétien, il est (qu’il nous permette de lui dire ce mot qui n’est pas indien) souverainement ennuyeux. […] C’est un chrétien qui croit que le Christianisme, comme le Polythéisme, est une religion flambée. […] …..Tu sièges auprès de tes ÉGAUX ANTIQUES, Sous tes longs cheveux roux, dans ton ciel chaste et bleu… Voilà ce qu’il est comme chrétien et il n’est pas plus comme philosophe.

182. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Nicole, Bourdaloue, Fénelon »

Le sang de Pascal coulait à flots sous son cilice, mais Nicole vivait dans sa chemise de crin avec une peau qui ne s’écorchait pas, et là est surtout la différence de ces deux moralistes chrétiens. […] Les petits traités de morale publiés aujourd’hui sont intitulés : De la faiblesse de l’homme ; De la soumission à la volonté de Dieu ; Des diverses manières dont on tente Dieu ; Des moyens de conserver la paix avec les hommes ; De la civilité chrétienne. […] Pour notre compte, ce n’est pas là l’expression chrétienne que nous choisirions.

183. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

La Renaissance chrétienne. […] À présent, pensa Chrétien, que ferai-je ? […] Mais quand cet homme eut commencé à la balayer, la poussière se mit à voler si abondamment que Chrétien en fut presque étouffé. […] Après qu’elle l’eut fait, on la balaya et on la nettoya avec plaisir. —  Alors Chrétien dit : Que veut dire ceci ? […] Calvin, cité par Haag, II, 216, Histoire des dogmes chrétiens.

184. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIV. Parallèle de l’Enfer et du Tartare. — Entrée de l’Averne. Porte de l’Enfer du Dante. Didon. Françoise de Rimini. Tourments des coupables. »

Dans les trois per me si va, on croit entendre le glas de l’agonie du chrétien. […] On conçoit que Voltaire n’ait vu dans les feux d’un enfer chrétien que des objets burlesques ; cependant ne vaut-il pas mieux pour le poète y trouver le comte Ugolin, et matière à des vers aussi beaux, à des épisodes aussi tragiques ? […] Si l’on dit qu’un auteur grec ou romain eût pu faire un Tartare aussi formidable que l’Enfer du Dante, cela d’abord ne conclurait rien contre les moyens poétiques de la religion chrétienne, mais il suffit d’ailleurs d’avoir quelque connaissance du génie de l’antiquité, pour convenir que le ton sombre de l’Enfer du Dante ne se trouve point dans la théologie païenne, et qu’il appartient aux dogmes menaçants de notre Foi.

185. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Mais ce que nous avons vu avec bonheur, et ce que la Critique marquera comme un affermissement de l’intelligence de Méry dans une voie où cette intelligence devait s’avancer hardiment en raison même de l’élévation de sa nature, c’est la mâle et saine manière de penser sur les choses religieuses qui sont le fond de cette grande histoire, que Gibbon, malgré un talent qui approchait du génie, n’a pas su juger parce qu’il n’était pas chrétien. Méry est mieux que chrétien ; il est catholique. […] La hauteur des opinions de Méry sur les hérésies, l’influence de l’hérésie sur les Barbares, le frappant vis-à-vis de l’apostasie d’Attila et de l’apostasie de Julien, — lequel appartient exclusivement au nouvel historien de Constantinople et qui a l’inattendu d’une révélation, — son bel épisode des Croisades, son mépris pour l’esprit des Grecs rebelles et disputeurs et pour ces protestants du xvie  siècle qui renouvelèrent, à leur manière, l’esprit grec, et forcèrent les puissances chrétiennes à se détourner de la grande guerre traditionnelle de la chrétienté contre la barbarie musulmane pour brûler Rome et s’entre-déchirer entre elles au nom de la dernière hérésie sortie de la plume de Luther, enfin son jugement, d’une si noble pureté de justice, sur les grands calomniés de l’histoire, les jésuites, — puisqu’il faut dire ce nom si magnifiquement exécré, — et dont il nous raconte l’établissement et l’héroïsme, sous Murad III, à Constantinople, toutes ces choses et toutes ces pages, qui font de l’histoire de Méry une composition d’un mouvement d’idées égal pour le moins au mouvement de faits qu’elle retrace, n’ont pu être pensées et écrites que par un catholique carré de base déjà, mais qui va s’élargir encore.

186. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Casier, Jean »

Casier, Jean [Bibliographie] Harmonies chrétiennes (1886). — Poésies eucharistiques (1888). — La Mort (1890). — Au ciel (1892). — Flammes et flammèches (1894). […] Harmonies chrétiennes, Poésies eucharistiques, La Mort l’avaient déjà prouvé.

187. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gaudin, Félix »

Gaudin, Félix [Bibliographie] Poésies chrétiennes (1864). […] Félix Gaudin, auteur de Poésies chrétiennes (1864), âme honnête, éprouvée, reconnaissante, que l’injustice a atteinte, que la foi a relevée et consolée, humble acolyte en poésie, et qui, dans le pieux cortège, me fait l’effet de psalmodier ses rimes à mi-voix, en tenant à la main le livre de l’imitation, d’on la joie et la paix lui sont revenues.

188. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

… Les philosophes auraient-ils leurs expiations ou leurs pardons d’injures, comme ces misérables chrétiens qu’ils méprisent ?… ou ne serait-ce encore et toujours que la coalition, éternellement prête à se reformer, de toutes les philosophies contre la religion chrétienne ? […] Car la punition des sophistes qui vivent sur les idées chrétiennes, c’est de ne pouvoir longtemps en vivre. […] Il faut une sanction à la morale chrétienne, que seul le christianisme a trouvée, et qu’une doctrine humaine, philosophique ou naturelle, ne peut remplacer !

189. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Le monde ancien finit à cette croix qui s’élève ; le monde moderne y commence ; et ce qu’on a appelé le Moyen Âge n’est que la jeunesse du monde chrétien, qui ne finira plus sur la terre. Francis Lacombe, en nous prouvant que la fraternité chrétienne est un sentiment du Moyen Âge, nous a mis pour ainsi dire dans la main le lien qui nous attache invinciblement à cette époque, le lien que des sophistes disaient brisé, mais qui ne l’est pas. […] Point de doute, en effet, que si elles étaient appliquées universellement, la famille chrétienne, comme le catholicisme l’a maintenue, avec la pureté de sa morale et la sévérité de son dogme, ne tombât en ruines, peut-être pour ne plus se relever. […] Ils feraient, dans un temps donné, sur cette civilisation dont les doubles bases sont latines et chrétiennes, le travail du fer et du cheval d’Attila ; ils échoueraient, nous n’en doutons pas, — à moins pourtant que Dieu, qui use les races et qui frappe de mort les nations comme les individus, n’ait résolu que l’Europe périsse, — ils échoueraient, mais avant d’échouer ils auraient creusé un abîme qu’on ne comblerait peut-être plus qu’avec du sang.

190. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Mais est-il rigoureusement exact de dire que « les progrès ou les défaites de l’hérédité souveraine, essayée par les empereurs romains, étaient devenus la véritable mesure de la destinée des chrétiens ; que, sitôt que le sénat et l’empire non héréditaire emportaient la balance, le christianisme était persécuté ; que, sitôt que l’idée orientale ou royale recommençait à prévaloir, les persécutions s’arrêtaient ; que le caractère personnel des princes n’avait aucune part à ces oscillations ?  […] Je ne vois point, par exemple, pourquoi, indépendamment de toute idée d’hérédité ou de non-hérédité, la nature grossière, cruelle et superstitieuse de Galère, n’aurait pas arraché l’édit de persécution au caractère affaibli et vieilli de Dioclétien ; il ne m’est pas très-prouvé non plus que celui-ci ait eu des engagements secrets avec les chrétiens, et qu’il ait dû paraître ensuite à leur égard non-seulement un ennemi, mais un traître. […] Ils favorisèrent les missions apostoliques de Willebrod et de Winfried (saint Boniface) dans la Germanie, alors seulement devenue chrétienne. […] La révolution opérée dans les mœurs ne se fait encore sentir que par d’imperceptibles nuances ; toutefois elle apparaît évidente dans une autre partie du tableau : Gnathon l’esclave est en plein polythéisme ; Astyle, le jeune patron, s’amuse et se divertit encore aux gaietés païennes ; les amours naïves et sensuelles des deux bergers flottent entre les deux croyances ; mais Cléariste et Dionysophane, le vieux patricien et l’antique matrone, ont déjà la dignité, le calme, la grâce sévère de la famille chrétienne. En croyant les faire païens, Longus, ou l’auteur, quel qu’il soit, de Daphnis, faisait Dionysophane et Cléariste chrétiens à son insu. » Ce sont de vraies oasis que de telles pages en si grave sujet.

191. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Cette morale, que l’esprit chrétien a d’ailleurs élevée et épurée, ne prétend donner qu’un fonds de préceptes applicables à tous les temps comme à tous les pays, qui fassent faire à l’homme le meilleur usage de sa raison et rendent plus heureuse la vie présente. […] Nous irons chercher dans les ouvrages de Nicole la morale purement chrétienne. […] Pour la peine, elle n’est plus bornée, comme dans la morale philosophique, à la vie présente ; mais, en revanche, la morale chrétienne nous parle d’un pardon plus vaste que la peine, et nous promet une justice qui réformera bien des condamnations et cassera bien des absolutions de la justice humaine. […] Philosophe, écrivain satirique, moraliste chrétien, esprit mordant, libre, d’une indépendance qui ne fléchit que sous le devoir il est tour à tour sévère jusqu’à une certaine amertume et enjoué jusqu’au caprice, indifférent aujourd’hui pour ce qui l’irritait hier ; ici tranchant et dogmatique, là laissant voir ses propres doutes et s’y reposant. […] Elle consiste en seize divisions ou têtes de chapitres, qui comprennent à peu près toute la morale pratique dans une société monarchique et chrétienne.

192. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

L’Achéron, fleuve des ombres, et Caron, leur nautonier, apparaissent, on ne sait pourquoi, dans l’enfer chrétien. […] Pour qui a visité l’Italie, cela n’est pas étonnant ; le Purgatoire est la grande popularité de la religion chrétienne chez ce peuple à grandes passions et à grands repentirs. […] » On croit lire l’Imitation de Jésus-Christ, qui allait paraître bientôt après, poème moral plus chrétien et plus pathétique que celui de Dante. […] Ozanam et ses disciples devraient chercher les titres de la philosophie chrétienne du moyen âge. […] Il y a là une charmante comparaison, à propos des controverses du chrétien discutant sa soumission à l’Église.

193. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Issu d’une famille religieuse, Audin aurait pu avoir son berceau, comme les premiers chrétiens, dans des catacombes. […] Pour un chrétien, rien n’est plus chétif. […] … Ne serait-elle pas plutôt dans l’accroissement de la moralité chrétienne, que ni les lettres, ni les arts, ni les sciences n’ont jamais élevée d’un degré ? […] Depuis plusieurs années il aspirait à voir l’Orient, et en Orient, ce qui attire le plus un chrétien, la Palestine et la Judée. […] Le chrétien s’était mis en mesure avec le ciel.

194. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Elle veut porter la vue chrétienne la plus rigoureuse dans l’examen et la considération de la vieillesse ; elle n’ira point la prendre de biais, pour ainsi dire, et en essayant d’insinuer par-ci par-là des consolations tremblantes ; elle entend aborder son sujet de front et le pénétrer d’une lumière directe et certaine : ce ne sont pas des palliatifs qu’elle offre, c’est une régénération. […] » MmeSwetchine est plus qu’un spiritualiste et qu’un bon chrétien ordinaire, c’est une maîtresse dans la vie spirituelle, et elle vient nous dire, au contraire, sur tous les tons, à la fois les plus encourageants et les plus sévères : « Vieillissez ! […] Son traité, à en résumer l’esprit et les termes, est la gageure chrétienne la plus poussée que j’aie vue contre la nature. […] Elle s’attache à définir la résignation chrétienne dans les caractères qui lui sont propres, à la distinguer du fatalisme des Musulmans, du quiétisme des Hindous, à la suivre dans ses applications diverses et les plus délicates. […] Gonod, ai textuellement écrit : « Horace dit de la mort : In æternum exilium, partir pour l’éternel exil ; et le chrétien dit : S’en retourner dans la patrie éternelle.

195. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 181-190

Il fut Philosophe, mais Philosophe Chrétien ; & l’on peut dire que ses lumieres ont autant servi à la gloire de la Religion, qu’à celle de la Philosophie. […] Aussi-tôt il fit un second Ouvrage, intitulé, Conversations Chrétiennes, où il venge victorieusement sa foi & ses principes, autant que son Systême pouvoit le permettre. […] Sa conversation rouloit sur les mêmes matieres que ses Livres : seulement, pour ne pas trop effaroucher la plupart des gens, il tâchoit de la rendre un peu moins chrétienne, mais il ne relâchoit rien du philosophique : on la recherchoit beaucoup, quoique si sage & si instructive…..

196. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Il est une molécule vivante, incessamment excitée et modifiée par l’organisme social dont elle fait partie intégrante ; arrêter la molécule, la monade, au point où on la trouve, la détacher du tout, la soumettre au microscope ou au creuset expérimental, la retourner, la décomposer, la dissoudre, et conclure de là à la nature et à la destinée du tout, c’est absurde ; conclure seulement à la nature et à la destinée de la molécule, c’est encore se méprendre étrangement ; c’est supprimer d’abord, dût-on y revenir plus tard et trop tard, c’est supprimer le mode l’influence que l’individu reçoit du tout, à peu près comme Condillac faisait pour les détails organiques de sa statue, qu’il recomposait ensuite pièce à pièce sans jamais parvenir à l’animer ; c’est, comme lui, par cette suppression arbitraire, rompre l’équilibre dans les facultés du moi et se donner à observer une nature humaine qui n’est plus la véritable et complète nature ; c’est décerner d’emblée à la partie rationnelle de nous-mêmes une supériorité sur les facultés sentimentale et active, une souveraineté de contrôle qu’une vue plus générale de l’humanité dans ses phases successives ne justifierait pas ; c’est immobiliser la monade humaine, lui couper la source intarissable de vie et de perfectibilité ; c’est raisonner comme si elle n’avait jamais été modifiée, transformée et perfectionnée par l’action du tout, ou du moins comme si elle ne pouvait plus l’être ; c’est supposer gratuitement, et le lendemain du jour où l’humanité a acquis la conscience réfléchie de sa perfectibilité, que l’individu de 1830, le chrétien indifférent et sans foi, ne croyant qu’à sa raison personnelle, porte en lui, indépendamment de ce qui pourrait lui venir du dehors, indépendamment de toute conception sociale et de toute interprétation nouvelle de la nature, un avenir facile et paisible qui va découler, pour chacun, des opinions et des habitudes mi-partie chrétiennes, mi-partie philosophiques, mélangées à toutes doses. […] Jouffroy et Damiron, elle est merveilleuse à décrire jusque dans leurs moindres nuances les idées, les sentiments, les habitudes logiques de l’individu de nos jours, tel que le christianisme moins la foi, tel que le christianisme devenu philosophie l’a élaboré ; elle analyse avec beaucoup de sagacité le dernier produit intellectuel de la civilisation chrétienne, mais sans portée pour nous expliquer la formation antérieure de ce produit, sans puissance pour le féconder et le transformer. Quand elle se hasarde à des inductions sur l’avenir de l’homme, ce ne sont que des inductions sur l’avenir du moi, et ces inductions supposent toujours que la dernière grande évolution sociale est accomplie en ce monde ; c’est toujours d’après cette hypothèse que la psychologie s’enquiert des conséquences probables de destinée personnelle auxquelles l’individu est sujet, et dans cette recherche elle ne sort pas un seul instant du point de vue chrétien ; elle se pose l’âme comme substance distincte de la matière, Dieu comme un pur esprit, et l’autre vie comme n’étant pas de ce monde. […] Eux aussi ont parlé de l’activité de l’homme, mais ce n’a jamais été que de l’activité de la substance esprit, et à cette égard ils se sont montres, comme toujours, sous l’influence de la conception chrétienne, qui confond la volonté avec l’acte.

197. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Barbey d’Aurevilly. »

Ces grands airs, ces gestes immenses, ces prédilections farouches, cette superstitieuse vision de l’aristocratie, cette peur et cet amour du diable, ce catholicisme qui ne recouvre aucune vertu chrétienne, cette impertinence travaillée, ces colères, ces indignations, cet orgueil, cette façon emphatique et terrible de prendre les choses…, j’ai une peine infinie à y entrer. […] Mais, j’ai beau faire, rien ne me semble moins chrétien que le catholicisme de M. d’Aurevilly. […] Presque tous les héros des romans écrits par ce chrétien sont des athées, et qui ont du génie — et de grands cœurs. […] Par exemple, le ressouvenir des obligations de la pudeur chrétienne, encore qu’on ne se croie plus tenu par elles, nous rend plus exquis les manquements à cette pudeur. […] Cette croyance, si triomphalement affichée, à l’action du diable et à son ingérence dans les affaires humaines, peut paraître piquante, surtout quand on se rappelle le caractère si peu chrétien du catholicisme de M. d’Aurevilly.

198. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Le souvenir d’horreur que la sottise ou la méchanceté de cet homme laissa dans la tradition chrétienne a dû introduire ici quelque exagération. […] Chaque disciple y rapporta ses plus chers souvenirs, et une foule de traits touchants que chacun gardait du maître furent accumulés sur ce repas, qui devint la pierre angulaire de la piété chrétienne et le point de départ des plus fécondes institutions. […] Comme, d’ailleurs, une des idées fondamentales des premiers chrétiens était que la mort de Jésus avait été un sacrifice, remplaçant tous ceux de l’ancienne Loi, la « Cène », qu’on supposait s’être passée une fois pour toutes la veille de la Passion, devint le sacrifice par excellence, l’acte constitutif de la nouvelle alliance, le signe du sang répandu pour le salut de tous 1078. […] Il est probable que dans certaines familles chrétiennes primitives, ce dernier rite obtint une importance qu’il perdit depuis 1083. […] C’est toujours l’unité de son Église, constituée par lui ou par son esprit, qui est l’âme des symboles et des discours que la tradition chrétienne fit remonter à ce moment sacré : « Je vous donne un commandement nouveau, disait-il : c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés.

199. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Aux idées pures et spirituelles d’un dieu unique, on proposa les idées platoniciennes sur la divinité ; à un dieu en trois personnes, cette fameuse trinité de Platon ; aux anges et aux démons, la doctrine des génies créés pour remplir l’intervalle entre Dieu et l’homme ; à l’idée d’un dieu médiateur, la médiation des génies célestes ; aux prophéties et aux miracles, la théurgie, qui, à force de sacrifices et de cérémonies secrètes, prétendait dévoiler l’avenir, et opérer aussi des prodiges ; enfin, à la vie austère des chrétiens, des pratiques à peu près semblables, et des préceptes d’abstinence et de jeûnes pour se détacher de la terre, en s’élevant à Dieu. […] Passionné pour les Grecs, nourri jour et nuit de la lecture de leurs écrivains, enthousiaste d’Homère, fanatique de Platon, avide et insatiable de connaissances ; né avec ce genre d’imagination qui s’enflamme pour tout ce qui est extraordinaire ; ayant de plus une âme ardente, et cette force qui sait plus se précipiter en avant que s’arrêter ; d’ailleurs, accoutumé dès son enfance à voir dans un empereur chrétien le meurtrier de sa famille, et, dans le fond de son cœur, rendant peut-être la religion complice des crimes qu’elle condamne ; placé entre l’ambition et la crainte, inquiet sur le présent, incertain sur l’avenir ; ses goûts, son imagination, son âme, les malheurs de sa famille, les siens, tout semblait le préparer d’avance à ce changement qui éclata dans la suite. […] qu’il fut beaucoup plus philosophe dans son gouvernement, et sa conduite que dans ses idées ; que son imagination fut extrême, et que cette imagination égara souvent ses lumières ; qu’ayant renoncé à croire une révélation générale et unique, il cherchait à chaque instant une foule de petites révélations de détail ; que, fixé sur la morale par ses principes, il avait, sur tout le reste, l’inquiétude d’un homme qui manque d’un point d’appui ; qu’il porta, sans y penser, dans le paganisme même, une teinte de l’austérité chrétienne où il avait été élevé ; qu’il fut chrétien par les mœurs, platonicien par les idées, superstitieux par l’imagination, païen par le culte, grand sur le trône et à la tête des armées, faible et petit dans ses temples et dans ses mystères ; qu’il eut, en un mot, le courage d’agir, de penser, de gouverner et de combattre, mais qu’il lui manqua le courage d’ignorer ; que, malgré ses défauts, car il en eut plusieurs, les païens durent l’admirer, les chrétiens durent le plaindre ; et que, dans tout pays où la religion, cette grande base de la société et de la paix publique, sera affermie ; ses talents et ses vertus se trouvant séparés de ses erreurs, les peuples et les gens de guerre feront des vœux pour avoir à leur tête un prince qui lui ressemble.

200. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

L’invasion des Sarrasins en Espagne, en Calabre, en France, avait exercé la chevalerie à des guerres entre les musulmans et les chrétiens, champions de deux cultes opposés, qui avaient créé une espèce d’Olympe chrétien aussi peuplé de fables et de prodiges populaires que l’Olympe d’Homère. […] C’est un drame entièrement imaginaire et fantastique, qui pourrait aussi bien se jouer entre des ombres dans la lune, qu’entre des chrétiens et des musulmans dans la Palestine ; un rêve, en un mot, au lieu d’une réalité. […] « D’après la Jérusalem, on sera du moins obligé de convenir qu’on peut faire quelque chose d’excellent sur un sujet chrétien. […] « Les derniers liens qui arrêtaient son âme se brisaient l’un après l’autre : elle allait suivre l’âme de son amante, quand le hasard ou le besoin amena dans ces lieux une troupe de chrétiens. […] Sans la croire chrétienne, il ne veut pas laisser ce beau corps à la fureur des bêtes farouches : il les fait porter l’un et l’autre sur les bras de ses soldats, et marche à la tente de Tancrède.

201. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Voilà pourquoi Lamartine, Baudelaire et Verlaine, tous trois mystiques et mystiques chrétiens, semblent écrire en des idiomes différents. […] Tout serait bien si jamais un chrétien n’était exposé à rencontrer un mahométan : hélas ! […] Le monde chrétien moderne est fondé sur cet équilibre du catholicisme et du protestantisme. […] La philosophie a pris à la religion chrétienne ses dogmes : l’art lui a pris ses rites. […] L’artiste n’a pas plus le droit de se refuser à la gloire que le chrétien n’a le droit de se damner.

202. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 156

Il ne rougissoit point, dit Balzac, des vertus chrétiennes, & ne tiroit point vanité des vertus morales. Il se retira ensuite à Port-Royal, où il termina sa carriere en Philosophe chrétien.

203. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Si, comme l’a remarqué avec un reproche sévère l’auteur du Développement de la doctrine chrétienne, les historiens ecclésiastiques n’avaient pas toujours manqué à l’Angleterre, on pourrait suivre pas à pas le mouvement d’idées que nous indiquons et en marquer vivement le progrès par les hommes qui le représentèrent. […] Et le sentiment d’une position que nous appellerions fatale si le mot était plus chrétien, qui n’en a pas la pleine conscience, à l’heure qu’il est, en Angleterre ? […] En 1845, les ministres de l’Écosse, de l’Angleterre et de l’Irlande, ne se réunirent-ils pas à Liverpool pour délibérer sur les moyens d’arriver à l’union des chrétiens évangéliques de toutes les communions et de toutes les dénominations ? […] À une époque comme la nôtre, où les gouvernements bâtis sur la crainte s’écroulent sous la main des peuples devenus hommes qui veulent les remplacer par les gouvernements de l’amour, rentrer dans la grande communion chrétienne, — car les communions protestantes sont plutôt des dispersions chrétiennes que des communions, — reprendre nécessairement les sentiments de charité qu’engendre la foi catholique dans les âmes et leur faire jouer dans la politique de son avenir le rôle qu’a joué, dans celle de son passé, le sentiment d’un égoïsme inflexible, ce serait là un de ces spectacles qui ferait tomber l’imprécation de bien des lèvres et rallierait bien des cœurs. […] Il y aurait dans sa chrétienne et généreuse initiative comme une expiation de la tyrannie de Cromwell, alourdie du poids de trois siècles.

204. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Il est devenu chrétien le jour où il s’est avisé des « beautés de la religion chrétienne » (titre primitif du Génie). […] Même dans le domaine de la foi, Chateaubriand devrait bien remarquer que Racine chrétien de cœur, est beaucoup plus biblique que chrétien dans Athalie. […] Soyons français, chrétiens, modernes et nous-mêmes. […] Y a-t-il un merveilleux chrétien dont nous puissions nous servir ? […] Le merveilleux chrétien, c’est une âme chrétienne.

205. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Le dix-septième siècle À le prendre dans les œuvres les plus apparentes de sa littérature, le xviie  siècle est chrétien et monarchique. […] Le xviie  siècle est splendidement, peut-être plutôt que profondément, chrétien. […] Nos grands poètes tragiques sont chrétiens. La philosophie cartésienne, dont l’esprit est foncièrement hostile à la foi, se développe dans une forme conciliable avec les dogmes de l’Église, chez Descartes, dans une forme hétérodoxe, mais plus chrétienne encore, chez Malebranche.

206. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

nous tombe à travers le cerveau et le cœur pour y faire lever tant de sentiments et de pensées inconnues aux civilisations qui ne sont pas chrétiennes, la poésie de l’Inde n’apparaît plus que comme un paganisme grossier, un joujou pour les yeux et pour les oreilles, une fantasmagorie, une inanité. […] Parisot vante beaucoup trop pour un chrétien (car nous avons mieux que tout cela, nous, et non pas dans des poèmes aux idéalités menteuses, mais en pleine réalité, en pleine histoire), n’est guères, il faut bien en convenir, que débris épars de traditions antérieures, membres coupés d’une vérité primitive, de la grande Massacrée dont les lambeaux ont été semés dans tous les pays du monde pour qu’on sût partout qu’elle avait existé, complète, quelque parti Si donc un reflet troublé ou affaibli d’une poésie quelconque pénètre à travers l’inextricable fourré d’un poème où la plus forte attention peut s’égarer comme un éléphant dans les jungles, cette poésie n’appartient ni à la pensée de Valmiki, ni à l’esprit de sa race. […] On sent bien en elle quelque chose de dépaysé, d’étranger, quelque chose qui n’est pas de l’Inde, mais qui sert à faire mieux comprendre que sans remonter jusqu’aux chefs-d’œuvre enfantés par la civilisation chrétienne, le premier poème venu de nos climats, imprégné de Christianisme, la première vie des Saints de nos plus humbles légendes, sont plus purement et plus profondément poétiques que tous les épisodes mis ensemble de la singulière épopée que l’on nous donne pour la gloire de l’esprit humain ! […] » Cependant, tel que le voilà traduit, ce livre bizarre, c’est un événement, et non pas seulement pour l’Académie des inscriptions et belles-lettres ; car il atteste, ce que l’on commençait bien d’entrevoir, il est vrai, et ce qu’il faudra bien finir par proclamer tout haut, que les païens de toute espèce, battus par les doctrines chrétiennes, qui voulaient faire sortir de l’Inde une poésie et une philosophie pour les opposer à tout ce que le Christianisme a créé dans l’ordre du beau et du vrai parmi nous, n’ont trouvé, en somme, ni l’une ni l’autre.

207. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVI. Médecine Tessier »

Il appartient donc à ce groupe d’esprits qui pensent que la Renaissance et l’expérimentalisme de Bacon ont détourné les sciences, aussi bien que les lettres, de la voie qu’elles devaient suivre au sein d’une civilisation chrétienne, et qui sont décidés à mourir ou à ne jamais vivre dans la popularité de leur siècle, pour les y faire rentrer, si Dieu lui-même ne s’y oppose pas. […] Le Matérialisme païen qui, en renaissant, devait reparaître plus monstrueux que la première fois, puisqu’il renaissait dans une société chrétienne, est scientifiquement plus grand dans les écrits de Van Helmont et de Boërhave qu’il ne l’était, par exemple, sous la plume d’Hippocrate et les traditions de l’école de Cos. […] Sans le chrétien Napoléon, qui se mit tout à coup à faire les affaires de Dieu, et quelques esprits du plus haut parage, comme le vicomte de Bonald, qui, par parenthèse, traita Cabanis dans ses Recherches philosophiques comme plus tard M. de Maistre traita Bacon, le Matérialisme passait presque à l’état d’institution politique. […] Tessier, le retour aux idées spirituelles et chrétiennes dans l’enseignement de cette science immense, — la médecine, — ce n’est donc pas de l’invention, mais c’est mieux.

208. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « A. Dumas. La Question du Divorce » pp. 377-390

Il y a bien eu aussi, en ces derniers temps, une minute d’attention et de fermentation pour les Conférences du Père Didon ; mais l’indissolubilité du mariage naturalisée par ce moine novateur, qui met le plus qu’il peut la théologie hors de la chaire chrétienne, — ce qui a ravi, tout d’abord, les ennemis du catholicisme, — ne pouvait pas avoir la sympathique popularité du divorce. […] Seulement, pour nous qui ne voulons pas la discuter et qui savons l’histoire ; pour nous qui avons appris, en la lisant, où se trouve la politique pour les peuples, demandons-nous si la France, à cette heure, était assez chrétienne, assez historique, assez politique pour repousser cette question du divorce, qui, de ce qu’elle est posée comme elle l’est, devait incontestablement triompher ! […] On ne pouvait ni rationnellement, ni décemment, maintenir, dans une loi qui depuis plus de soixante ans se vante d’être athée, l’indissolubilité du mariage que Bonald avait replacée dans une législation redevenue momentanément chrétienne. […] Qu’ils se taisent donc et dévorent leur mépris, mais qu’ils comprennent enfin qu’où il n’y a plus de religion d’État, il n’y a plus d’indissolubilité religieuse possible ; et puisque nous n’avons su la défendre, cette religion d’État qui fit la force morale et la gloire de la France, ce n’est pas sans elle que nous sauverons le mariage chrétien.

209. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

Seulement, par une inconséquence qui nous touche et dont nous connaissons la cause, il se mêle à ces poésies, imparfaites par là au point de vue absolu de leur auteur, des cris d’âme chrétienne, malade d’infini, qui rompent l’unité de l’œuvre terrible, et que Caligula et Héliogabale n’auraient pas poussés. […] S’appelât-t-on l’auteur des Fleurs du mal, — un grand poète qui ne se croit pas chrétien et qui, dans son livre, positivement ne veut pas l’être, — on n’a pas impunément dix-huit cents ans de christianisme derrière soi. […] On a beau être un artiste redoutable, au point de vue le plus arrêté, à la volonté la plus soutenue, et s’être juré d’être athée comme Shelley, forcené comme Leopardi, impersonnel comme Shakespeare, indifférent à tout, excepté à la beauté comme Gœthe, on va quelque temps ainsi, — misérable et superbe, — comédien à l’aise dans le masque réussi de ses traits grimés ; — mais il arrive que, tout à coup, au bas d’une de ses poésies le plus amèrement calmes ou le plus cruellement sauvages, on se retrouve chrétien dans une demi-teinte inattendue, dans un dernier mot qui détonne, — mais qui détonne pour nous délicieusement dans le cœur : Ah ! […] Après Les Fleurs du mal, il n’y a plus que deux partis à prendre pour le poète qui les fit éclore : ou se brûler la cervelle… ou se faire chrétien !

210. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » p. 364

Son Année chrétienne a subi ce sort, parce qu’elle laisse transpirer des opinions que l’Auteur avoit puisées dans un commerce intime avec MM. de Port-Royal. […] Les Regles de la vie chrétienne, du même Auteur, sont également remplies de maximes solides, de sages principes.

211. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Il n’y a qu’un Dieu ; les chrétiens de France et d’Allemagne le confessent, mais il peut être conçu de plusieurs manières. […] Les protestants, de leur côté, disent que la vraie tradition de la Réforme est en France, que le salut de la France, c’est le salut du protestantisme, et le Comité protestant de propagande française, dans sa « Réponse à l’appel allemand aux chrétiens évangéliques de l’étranger », déclare : « Nous sommes résolus à marcher cœur à cœur avec nos frères d’Angleterre, et coude à coude avec nos amis d’Amérique, de la Suisse romande, de Hollande, des Pays scandinaves, ayant la certitude de représenter avec eux la tradition la plus pure de la Réforme du xvie  siècle, cette qui entend unir toujours plus étroitement à la pitié évangélique la pratique de la justice, le respect de l’indépendance d’autrui et le souci de la grande fraternité humaine ». […] Pas un chrétien français ne peut concevoir le vieux Dieu allemand.

212. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

À ses yeux, c’est le moyen providentiel qui préparait la prédication générale et rapide de la foi chrétienne. […] L’influence dont je parle, ce fut celle de la prédication et des liturgies chrétiennes. […] Mais prouvons d’abord l’extension de la langue latine parmi les chrétiens. […] Ce fut celle-là qui devait agir sur les cours chrétiennes de l’Espagne et de la Gaule méridionale. […] « Rome, je discerne bien les maux qu’on ne peut dire ; car vous faites par dérision le martyre des chrétiens ; mais en quel livre trouvez-vous, Rome, qu’on doive occire les chrétiens ?

213. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 509

Clément, [Denis-Xavier] Prédicateur du Roi, Abbé de Macheroux, né à Dijon en 1706, mort à Paris en 1771, est un des Orateurs Chrétiens de nos jours qui a le moins sacrifié au goût du siecle, & dont l’éloquence mâle & vigoureuse seroit plus propre à faire impression, si la plupart de ses Discours étoient moins diffus & moins négligés. […] Son élocution en général est simple, noble, pure, & vigoureuse : si elle étoit moins inégale ; si ses pensées étoient plus justes & plus profondes ; si son coloris répondoit toujours à la vivacité de ses sentimens, on pourroit le proposer aux Orateurs Chrétiens comme un modele ; mais il n’a ni l’éloquence convaincante de Bourdaloue, ni l’éloquence persuasive de Massillon, ni l’éloquence tendre & onctueuse de Cheminais, ni l’éloquence brillante & animée du P.

214. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rictus, Jehan (1867-1933) »

Georges Oudinot Cette première et somptueuse édition des Soliloques du pauvre, déjà connus, d’ailleurs, dans certains cabarets artistiques de Montmartre, où l’auteur lui-même les interprétait devant l’équivoque public familier, apparaît justement à l’heure des inutiles discussions de journaux sur… la charité chrétienne. Cette œuvre, très haute, dont je n’ai cité qu’un fragment (car on trouvera dans le livre bien d’autres chapitres semblables), ne peut se comparer, comme quelques critiques l’ont maladroitement fait, aux chansons de Richepin ou de Bruant ; elle est, en sa langue pittoresque, un réquisitoire heureux contre l’iniquité des Forts et des Puissants, une leçon à l’usage d’une société soi-disant chrétienne, dont la conscience semble dormir en toute sécurité au milieu d’un bourbier… [La Province nouvelle (juillet 1897).]

215. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

Je ne sais si le tableau de la vie des premiers solitaires chrétiens de la Thébaïde, si admirablement tracé par Fleury, offre une telle auréole d’idéalisme. […] Prenez le chrétien des premiers siècles ; la religion est bien toute sa vie spirituelle. […] Le premier chrétien n’avait besoin de renoncer à rien ; car sa vie était complète, sa loi était adéquate à ses besoins. […] Je puis même me dire chrétien, en ce sens que je reconnais devoir au christianisme la plupart des éléments de ma foi, à peu près comme M.  […] Nous sommes chrétiens, parce qu’il leur a plu de l’être.

216. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Il a été moderne comme il faut l’être, et pas plus, et presque chrétien. […] Presque métaphysicien et presque chrétien, voilà sa force et sa faiblesse. […] Madame d’Ivrée, madame Étienne, mademoiselle Rosa La Rose, mademoiselle de Keldren, sont des êtres ravissants, mais humains, mais mondains ; chrétiennes, oui ! […] Ce sont des cœurs vierges prêts à la tendresse ou des cœurs épris prêts aux sacrifices, d’adorables jeunes filles et d’adorables femmes mariées ; mais la chrétienne dans le sens rigoureux, et, disons le mot à scandale ! […] L’horreur de la démocratie, que doit avoir un homme qui écrit avec idolâtrie le mot de « Patriciennes » sur la première page d’un livre qu’il publie, est une garantie de christianisme chez Xavier Aubryet ; mais il est chrétien, comme ses femmes sont chrétiennes, parce que le Christianisme, cette religion de la grâce, est un charme pour lui, et non pas une vérité.

217. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Seulement, par une inconséquence qui nous touche et dont nous connaissons la cause, il se mêle à ces poésies, imparfaites par là au point de vue absolu de leur auteur, des cris d’âme chrétienne, malade d’infini, qui rompent l’unité de l’œuvre terrible, et que Caligula et Héliogabale n’auraient pas poussés. […] S’appelât-on l’auteur des Fleurs du mal, — un grand poète qui ne se croit pas chrétien et qui, dans son livre, positivement ne veut pas l’être, — on n’a pas impunément dix-huit cents ans de Christianisme derrière soi. […] Après Les Fleurs du mal, il n’y a plus que deux partis à prendre pour le poète qui les fit éclore : ou se brûler la cervelle… ou se faire chrétien ! […] Et les autres, braves gens, — les meilleurs fils du monde, — ont pris Baudelaire pour un moraliste chrétien. […] Baudelaire a trop d’esprit pour être, quand il sera moraliste, d’une autre morale que de la morale chrétienne ; mais, quoique ses conclusions contre ces drogues, aliénatrices de la liberté et de l’intelligence humaines, mais dont il nous fait un peu trop poétiquement l’histoire, soient des conclusions que le Christianisme peut avouer, ce n’est pas, voyons !

218. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Il n’a pas le sentiment chrétien. C’est, en effet, dans la profondeur du sentiment chrétien qu’était l’originalité qu’il n’a pas. […] Balzac, il est vrai, était chrétien, et il n’oubliait pas qu’il le fût. […] Jean Richepin, bien loin d’être un chrétien, était un athée, et un athée qui s’en vantait avec emphase. […] moi, chrétien, j’aurais pu, à propos de ce livre des Blasphèmes, pétrir de la morale et de l’esthétique l’une dans l’autre et confondre l’œuvre morale, que je trouve criminelle, avec l’œuvre poétique qui est belle.

219. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Quatre périodes historiques y sont plus particulièrement traitées : 1° La période de la philosophie orientale, dans laquelle les spéculations de la philosophie brahminique et chinoise sont exposées par une plume très au courant des plus récentes connaissances ; 2° la période de philosophie grecque, fort complète aussi, et embrassée avec une sérieuse intelligence des grands systèmes ; 3° la période chrétienne qui comprend les Pères des cinq premiers siècles ; 4° le moyen âge dans ses philosophes contemplatifs ou scolastiques. […] Le style de l’ouvrage est d’une belle clarté et d’une rigueur philosophique qui rappelle en certaines pages d’exposition l’auteur de la Controverse chrétienne ; et il nous a semblé que celui-ci, ami des éditeurs, pourrait bien ne pas être étranger en effet à la rédaction d’un livre modeste, et dont pourtant toute plume s’honorerait. […] Le Commonitoire de saint Vincent de Lérins est un des livres les plus cités et les plus considérables de cette époque chrétienne, et dans lequel les points importants de dogme et de doctrine sont le mieux éclaircis.

220. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Jean-Jacques Rousseau »

Dans ce monde chrétien qui l’avait dompté, une possession d’État avait été, bien avant Rousseau, octroyée à l’individualisme ; et c’est un autre homme que Rousseau, c’était Descartes, qui avait fait le coup, lorsqu’il avait mis dans sa philosophie le Cogito, ergo sum : « Je pense, donc je suis », dont il répondra devant Dieu ! […] Heureusement, saint Vincent de Paul, chassé, en 1793, par l’école de Jean-Jacques, revint, quatre ans après, avec les enfants, catéchisés et communiants, légitimés devant Dieu par la foi, l’humilité et la pratique des vertus chrétiennes. […] on reprend la Tradition chrétienne ; mais le clapier… l’ignoble clapier vit cependant toujours.

221. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

L’Europe chrétienne, en effet, eut foi dans un mythe étrange, l’un des plus singuliers parmi ceux qui présidèrent aux destins collectifs. […] C’est à partir de cette époque que la libre vie de l’intelligence a repris son cours détourné par l’effort chrétien d’annihilation cérébrale, que la nature et l’esprit de l’homme ont repris contact et renouvelé leur alliance. « Pour la première fois, l’homme entre dans l’intimité de l’univers1. » La Réforme représente le premier coup porté au dogme catholique erroné. […] Ce ne sont plus des points de dogme qu’on attaque, c’est la métaphysique chrétienne toute entière qui s’écroule sous les assauts de la pensée libre.

222. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VII. Philippe de Commines et Rollin. »

Un chrétien a éminemment les qualités qu’un ancien demande de l’historien… un bon sens pour les choses du monde et une agréable expression 173. […] Chez les anciens, il fallait être docte pour écrire ; parmi nous, un simple chrétien, livré, pour seule étude, à l’amour de Dieu, a souvent composé un admirable volume ; c’est ce qui a fait dire à saint Paul : « Celui qui, dépourvu de la charité, s’imagine être éclairé, ne sait rien.

223. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

IV Tel est pourtant le dénoûment fort peu prévu, mais non inconséquent, du livre de Georges-Alfred Lawrence, de ce livre si profondément anglais jusqu’en sa conclusion, mais dont la conclusion est bien mieux qu’anglaise, puisqu’elle est chrétienne. […] le byronien s’est brisé tout à coup, et le biblique, le Juif à la tête dure qu’il y a toujours plus ou moins au fond de tout Anglais, a disparu entièrement pour faire place au chrétien qui se trouve si peu dans l’imagination anglaise ; car, après tout, le génie du chrétien, c’est l’humilité ! […] nous signalons bien moins l’effet esthétique d’un tel dénoûment que la promesse qu’il nous fait implicitement pour l’avenir, — que la révélation ici entr’aperçue, non pas d’un grand romancier de plus dans le pays des Richardson, des Walter Scott et des Fielding, mais d’un grand romancier chrétien dans un pays littérairement hébraïque, et dont les Indiens cités par Michelet disent, avec leur sagacité ignorante et sauvage : « Les Anglais sont les Juifs de Londres qui ont fait crucifier Jésus-Christ lequel était Français. » 32.

224. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

Georges-Alfred Lawrence, de ce livre si profondément anglais jusqu’à sa concision, mais dont la conclusion est bien mieux qu’anglaise, puisqu’elle est chrétienne. […] le byronien s’est brisé tout à coup, et le biblique, le juif à la tête dure qu’il y a toujours plus ou moins au fond de tout Anglais, a disparu entièrement pour faire place au chrétien qui se trouve si peu dans l’imagination anglaise, car, après tout, le génie du chrétien, c’est l’humilité ! […] nous signalons bien moins l’effet esthétique d’un tel dénoûment que la promesse qu’il nous fait implicitement pour l’avenir, — que la révélation ici entreperçue, non pas d’un grand romancier de plus dans le pays des Richardson, des Walter Scott et des Fielding, mais d’un grand romancier chrétien dans un pays littérairement hébraïque, et dont les Indiens cités par M. 

225. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

Mais, au temps de Pascal, et dans le saint asile de Port-Royal, l’œuvre passant avant l’ouvrier, on ne croyait pas faire tort à un écrit, en le retouchant au profit des doctrines communes ou de la paix chrétienne. […] Nicole n’exagère rien, parce que toutes les blessures faites à l’homme, dans le temps qu’il était mêlé aux querelles religieuses, ont été reçues par le chrétien, qui se défie de soi et qui pardonne. […] On soupçonne donc quelque rêverie de solitaire ou quelque utopie de perfection chrétienne, et on ne s’y arrête pas. […] Dans Nicole je ne vois qu’une raison douce qui éclaircit à loisir quelques principes de morale chrétienne. […] Aussi tout est-il vrai dans ces pages où l’auteur n’est que l’interprète de l’homme et du chrétien.

226. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

Dans la dernière année et quand la maladie déjà mortelle retenait Bossuet à Paris, il l’y venait voir, passait avec lui plusieurs heures, lui lisant l’Évangile et lui en parlant : entretiens doux et graves, élevés et purs, entre ces deux chrétiens si à l’unisson ; c’est là ce qu’on aimerait à entendre et à connaître ; mais Le Dieu ne nous donne que le titre de l’entretien. […] Je sais des hommes d’étude et de lecture approfondie qui placent Fleury très haut, plus haut qu’on n’est accoutumé à le faire aujourd’hui, qui le mettent en tête du second 265 rang ; ils disent « que ce n’est sans doute qu’un écrivain estimable et du second ordre, mais que c’est un esprit de première qualité ; que ses Mœurs des israélites et des chrétiens sont un livre à peu près classique ; que son Traité du choix et de la méthode des études, dans un cadre resserré, est plein de vues originales, et très supérieur en cela à l’ouvrage plus volumineux de Rollin ; que son Histoire du droit français, son traité du Droit public de France, renferment tout ce qu’on sait de certain sur les origines féodales, et à peu près tout ce qu’il y a de vrai dans certains chapitres des plus célèbres historiens modernes, qui n’y ont mis en sus que leurs systèmes et se sont bien gardés de le citer ; que Fleury est un des écrivains français qui ont le mieux connu le Moyen Âge, bien que peut être, par amour de l’Antiquité, il l’ait un peu trop déprécié ; que cet ensemble d’écrits marqués au coin du bon sens et où tout est bien distribué, bien présenté, d’un style pur et irréprochable, sans une trace de mauvais goût, sans un seul paradoxe, atteste bien aussi la supériorité de celui qui les a conçus. » Pour moi, c’est plutôt la preuve d’un esprit très sain. […] Tant de discours amoureux, tant de descriptions galantes, une femme qui ouvre la scène par une tendresse déclarée et qui soutient ce sentiment jusqu’au bout, et le reste du même genre, lui fit dire que cet ouvrage était indigne non seulement d’un évêque, mais d’un prêtre et d’un chrétien… Voilà ce que M. de Meaux pensa de ce roman dès le commencement ; car ce fut là d’abord le caractère de ce livre à Paris et à la Cour, et on ne se le demandait que sous ce nom : le roman de M. de Cambray. » Et le dimanche 14 mars de la même année : Il paraît une nouvelle critique de Télémaque, meilleure que la précédente, où le style, le dessein et la suite de l’ouvrage, tout enfin est assez bien repris, et dont on ignore l’auteur. […] Il n’y voyait pas seulement sa religion de chrétien, il y retrouvait sa poésie d’adolescent. […] Toute sa fin est du plus humble et du plus fervent chrétien, et s’il y mêle jusqu’au bout des retours et des prises d’armes du docteur et du gardien viligant des dogmes, il a aussi, quand il est réduit à lui seul et en présence de son mal, la foi simple et comme naïve du centenier de l’Évangile, et on peut le dire à l’honneur du grand évêque, il a la foi du charbonnier.

227. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Ce sont les mêmes qui veulent nous ramener à la foi ancestrale, sans prendre garde qu’ils ont perdu l’humilité chrétienne et le véritable sens de l’Écriture. […] Ils sentent, aussi, disent-ils, passer sur eux le souffle de l’infini, mais ils ne veulent plus du Dieu local des Juifs, du Dieu limité de l’Évangile chrétien. […] « L’Art chrétien est mort le jour où un pape s’est avisé de voiler les nudités de Michel-Ange, dans le Jugement dernier. » Charles Morice, qui dit cela, ne peut souffrir l’imagerie ni les divinités en carton-pâte du style Saint-Sulpice. […] » Et Morice conclut : « Non, ce n’est plus la même Église ; les sources chrétiennes sont taries où se désaltérait jadis notre soif d’absolu. » Au même moment M.  […] Le manque de charité chrétienne est le signe tellement distinctif des panégyristes de l’Église à cette époque que le Petit Bottin des Lettres et des Arts, paru chez Giraud en 1886, en traçait le schéma suivant au mot Catholiques : Charles Buet

228. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

Ceux-ci, au dire des chrétiens, l’auraient pleinement acceptée, en s’écriant : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants 1151 !  […] Aujourd’hui encore, dans des pays qui se disent chrétiens, des pénalités sont prononcées pour des délits religieux. […] Le christianisme a été intolérant ; mais l’intolérance n’est pas un fait essentiellement chrétien. […] Mais s’il avait eu cette loi-là, comment fût-il devenu chrétien ? […] Mais, à l’époque où écrivai Tacite, la politique romaine envers les chrétiens était changée ; on les tenait pour coupables de ligue secrète contre l’État.

229. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

Hédouin voulaient tout simplement mettre bas le Christianisme, et sans le Christianisme, Sterne était impossible, il n’aurait jamais existé… D’autres que nous l’ont dit, mais il faut bien le répéter, puisqu’on ose des confusions si déplorables : Sterne est un génie chrétien par excellence. […] Malgré cet habit de ministre anglican que sa naissance lui jeta sur les épaules, c’était un chrétien de l’Évangile dans le pays de la Bible, un chrétien qui aurait dit si bien à l’Église : « Ma mère !  […] Il y a plus, c’est par le sentiment chrétien infusé en lui et gardé au milieu des libres penseurs de sa terre natale, que le compatriote de Bolingbroke et de Tindal atteignit sans y penser à cette originalité qui n’est plus l’originalité anglaise, cette superbe de l’orgueil et de la personnalité, et qui fait de lui comme un charmant étranger dans son pays. Humouriste à teintes adoucies et pures, dans une contrée où l’humour a des tons criards et je ne sais quelle hagarde ivresse, il ne doit la transparence de son sourire et la limpidité de ses larmes qu’à la chasteté du sentiment chrétien qui ne l’abandonne jamais, et, sur les limites de la passion où parfois il glisse, se rappelle encore à lui par une rougeur… Ascète adorable, qui donnerait des charmes inattendus à l’Austérité et qui s’est peint en trois traits, lui et son talent, quand il a dit : « Que faut-il à « un homme pour être heureux ?

230. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

Écoutez-le, ou plutôt écoutez son sosie, Durtal101, s’abîmer en extase devant le sanctuaire : « Elle est un résumé du ciel et de la terre ; du ciel dont elle nous montre la phalange serrée des habitants, Prophètes, Patriarches, Anges et Saints éclairant avec leurs corps diaphanes l’intérieur de l’Église, chantant la gloire de la Mère et du Fils ; de la terre, car elle prêche la montée de l’âme, l’ascension de l’homme ; elle indique nettement, en effet, aux chrétiens, l’itinéraire de la vie parfaite     Et cette allégorie de la vie mystique, décelée par l’intérieur de la Cathédrale, se complète au dehors par l’aspect suppliant de l’édifice. […] Les significations occultes, pas plus que les symboles chrétiens, ne l’ont un seul moment troublé. […] Pour le Grec, la vie est une joie ; pour le Chrétien, elle ne peut être qu’une douleur. […] L’animal humain, non chrétien par nature, possède en lui un instinct de vie et un inconscient désir d’accroissement qui durent entraver ses efforts énergiques pour parvenir à l’anéantissement, c’est-à-dire au seuil de la vie bienheureuse. […] L’individu, que le dogme chrétien avait isolé de la nature, sentit peu à peu qu’entre elle et lui existait le plus indestructible et le plus profond des liens.

231. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Mazzini, qui l’a étudié avec amour, ne consent à voir en lui qu’un chrétien et non un catholique. […] La voie droite, le vrai chemin, sont les images familières de la vie chrétienne. « Celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres », dit le Sauveur. […] On fait de lui une sorte de médiateur entre le monde païen et le monde chrétien, entre la raison et la foi. […] En ses commencements, c’était aussi l’idéal de l’Église chrétienne qui considérait le péché comme un esclavage de l’âme. […] dit Virgile, exprimant ainsi, avec une simplicité naïve, une des plus hautes doctrines de l’éthique chrétienne.

232. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Constantin prêta la massue de l’empire aux chrétiens pour pulvériser le passé. […] Excepté en Arabie, à Bagdad et en Espagne, sous les califes, nul flambeau des lettres et des sciences n’éclaira le monde chrétien jusqu’à Charlemagne. […] Le ciel païen, les héros fabuleux, l’Olympe, la terre, la mer, la guerre, les naissances et les chutes d’empires, la nature physique et la nature morale avaient été décrites et chantées par les poètes prédécesseurs de l’époque chrétienne. […] Dans les fêtes sacrées, ou même profanes, on donnait aux peuples de l’Italie, au lieu de courses olympiques ou de combats du cirque, des drames de théologie chrétienne. […] Boileau n’en parle pas dans son Art poétique, ou, s’il en parle, dans le passage où il réprouve le merveilleux chrétien en poésie, c’est avec dédain.

233. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Un chrétien ne doit pas avoir de système personnel. […] Le chrétien moderne n’est pas philosophe chrétien. […] C’est l’idée du rien qu’il faut rétablir et restaurer pour y ramener le chrétien et en faire un chrétien solide, pour y ramener le déiste et en faire un chrétien. […] Soyez chrétiens. […] C’est chrétien, ce n’est pas l’état chrétien.

234. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 334-336

Les Leçons de morale qu’elles contiennent, les regles de conduite qu’elles prescrivent, les préceptes qu’elles indiquent, les réflexions qu’elles présentent, sont propres à satisfaire non seulement le Chrétien fidele, mais encore le vrai Philosophe, autant que le Littérateur délicat. […] De pareils Ouvrages feront toujours la consolation des ames droites chrétiennes, & seront un puissant contrepoison contre les Productions désolantes de la Philosophie.

235. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre IX. Caractères sociaux. — Le Prêtre. »

Un grand prêtre, un devin, une vestale, une sibylle, voilà tout ce que l’antiquité fournissait au poète ; encore ces personnages n’étaient-ils mêlés qu’accidentellement au sujet, tandis que le prêtre chrétien peut jouer un des rôles les plus importants de l’Épopée. […] Enfin, le sacrifice antique n’est pas même banni du sujet chrétien ; car il n’y a rien de plus facile, au moyen d’un épisode, d’une comparaison ou d’un souvenir, de rappeler un sacrifice de l’ancienne loi.

236. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

vous n’êtes pas stoïque : soyez chrétien ! […] Il personnifia un moment l’interprétation royale et chrétienne de cet esprit de réforme, d’égalité et de liberté qui allait envahir le monde. […] Mais ce n’est là que l’extérieur ; ce ne sont, pour ainsi dire, que les fissures par où l’esprit chrétien va entrer à flots dans ce vieux monde. […] Albert de Broglie en suit les progrès pas à pas, et nous fait assister à cette infiltration lente, assurée, infaillible, de l’élément chrétien dans ces âmes. […] Mais il y a autre chose, et le progrès même de la religion chrétienne dans cette société qu’elle subjugue se précise par cette distinction importante.

237. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

Peut-on, en conscience, dispenser les chrétiens des commandemens de l’église ? […] Il ne fut jamais chrétien dans le cœur. […] Ils annoncent véritablement des chrétiens ; mais prouvent-ils d’une manière indubitable que ces chrétiens soient au rang des saints ou des martyrs ? […] On disoit publiquement, voilà les chrétiens des capucins, voilà les chrétiens des jésuites. […] Les chrétiens des capucins étoient, au contraire, de bons chrétiens, des chrétiens remarquables par leur modestie & par leur décence.

238. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

Pourquoi Gibbon, qui a rendu justice à l’âme des anciens, ne l’a-t-il pas également rendue à l’âme des chrétiens ? […] Dans les portraits des chrétiens, même des plus grands durant ces âges, Gibbon se contente de n’être jamais bien net ; il ne les présente point par leurs grands côtés, et, comme l’a remarqué un savant ecclésiastique de nos jours81, « son ouvrage fourmille de portraits équivoques ». […] [NdA] L’effet que font ces chapitres, l’impression générale qu’ils laissent dans l’esprit n’ont jamais été mieux rendus que dans un passage du Journal de Sismondi, à la date du 29 janvier 1799 : Les deux derniers chapitres (15e et 16e) de Gibbon, dit-il, sont l’un, sur l’établissement de la religion chrétienne, et l’autre, sur les persécutions qu’elle a éprouvées. […] Quoique cette manière de raisonner soit très blâmable, il est impossible qu’il n’en reste pas plusieurs impressions désavantageuses : 1º Que les premiers chrétiens étaient animés d’un esprit de fanatisme et d’enthousiasme autant que d’un esprit religieux. 2º Que l’on peut à peine avoir foi aux miracles, parce que l’Église dès lors jusqu’à présent n’a jamais renoncé au pouvoir d’en faire ; que les preuves sont égales pour tous les temps ; que le moment où le don des miracles a réellement cessé n’a fait aucune impression ; qu’enfin les chrétiens, en admettant les miracles du paganisme, détruisent et la foi qu’on aurait aux leurs et le caractère surnaturel des miracles. 3º Que, dès les premiers siècles, parmi les Pères de l’Église et ceux qui nous en ont transmis l’histoire, l’enthousiasme a donné lieu à des fraudes pieuses qui déguisent absolument la vérité. 4º Que les différentes sectes qui divisent le christianisme dès son commencement altérèrent les Écritures en publiant chacune de son côté des Évangiles divers. 5º Que bien des causes temporelles favorisèrent les progrès du christianisme qui furent bien plus lents qu’on ne pense. 6º Qu’il n’y eut réellement aucune persécution générale jusqu’au temps de Dioclétien ; que celle-ci même ne fit pas deux mille martyrs, et que le petit nombre de chrétiens qui avaient été persécutés auparavant l’avaient été pour des causes particulières.

239. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Tout homme qui réfléchit sur la destinée humaine et la trouve inintelligible et n’a, pour se réconforter, ni la foi chrétienne ni la naïve croyance au progrès, peut être dit pessimiste. […] Il a, ce qui est presque toujours la marque d’une éducation chrétienne, le goût de la chasteté. […] Cruelle Énigme, ce titre seul fait du livre qui le porte un roman chrétien ; car, que Thérèse trompe Hubert en l’aimant, et qu’Hubert revienne à Thérèse en la méprisant, bref, que la chair soit plus forte que l’esprit, cela n’est certes pas une « énigme » pour les disciples de Béranger ni même pour ceux du grave Lucrèce. […] Paul Bourget ne trouve les servitudes de la chair « énigmatiques » que parce qu’il les juge infâmes et avilissantes, et il ne les juge telles que parce qu’il est chrétien tout au fond du cœur. […] Elle aussi, le spectacle de la souffrance d’un autre (de son mari) l’a ramenée à une conception chrétienne de la vie.

240. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Quoique l’Évangile soit une loi indépendante de toute institution politique, une loi qui admette toute espèce de gouvernement, néanmoins on peut dire que nous n’avons point eu de législateur depuis Jésus-Christ, et que les empires chrétiens ne peuvent point en avoir d’autre. […] J’ai vu naguère la ville éternelle, la ville antique des souvenirs, la ville qu’un pauvre voyageur, venu de la Judée, seul, mais accompagné de la force de Dieu, rendit la ville des destinées nouvelles, la capitale du monde chrétien, comme elle avait été la ville des destinées anciennes, la capitale du monde païen. […] Je ne pouvais m’empêcher de remarquer ces temples chrétiens élevés sur les débris de temples païens, et atteints, à leur tour, par l’infatigable faux du temps. […] La religion, qui est éminemment conservatrice, qui ne détruit rien de ce qu’elle a fondé, a pris en vain sous sa protection sacrée ces médailles des temps qui nous ont précédés : nous n’en avons plus voulu ; et la proscription a enveloppé même les ordres militaires qui furent si longtemps, et qui auraient pu être encore, le boulevard des peuples chrétiens ; la prescription a enveloppé aussi ces ordres si dévoués qui allaient racheter les captifs dans les bagnes odieux de Tunis et d’Alger, et ceux qui allaient porter chez les nations barbares les lumières de la foi en même temps que les bienfaits de la civilisation.

241. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Voilà pourquoi les républicains impies de l’heure présente gardent, en eux et malgré eux, non seulement quelque chose de l’honneur monarchique, mais quelque chose de chrétien, qu’ils ne sont pas capables de législativement exterminer. […] Une fois plantée dans les mœurs d’une race militaire, de cette race mêlée de Gaulois et de Francs, guerrière des deux côtés, cette coutume du duel, chrétienne au début, ne s’affaiblit pas quand la France, l’ardente chrétienne du Moyen-Âge, peu à peu se déchristianisa… Devenu mondain, le duel s’exaspéra, au contraire. […] Rien de plus médité, d’une raison plus haute, plus politique et en même temps plus chrétienne dans la pensée.

242. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Née des Ursins, de race pontificale, et Montmorency par mariage, cette femme, qui ne fut jamais qu’une épouse et une veuve chrétienne, a plus attiré son délicat biographe que les gloires tapageuses d’une époque où les femmes se dessinaient, avec plus ou moins de prétentions ambitieuses, des rôles politiques et littéraires. […] tant mieux qu’elle ne s’en soit pas occupée, si nous devions retrouver dans les ombres dissipées de cette époque Marie de Montmorency, l’Artémise chrétienne, changée soudainement en Cathos ! […] Le génie chrétien de sa race assista Montmorency à son heure suprême, et lui communiqua une idéale beauté morale dont le beau superficiel ne se doutait pas ! […] Mais il a pourtant aussi sa perfection, ce livre de pureté dans le style et dans la pensée, d’attendrissement contenu, de reflets charmants et même d’intelligence chrétienne.

243. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IV. M. Henri Martin. Histoire de France » pp. 97-110

Martin l’admet très positivement en histoire et jusqu’à vouloir retrouver l’influence celtique là où elle est le moins, emportée qu’elle fut et perdue dans l’énergique torrent de la circulation chrétienne et française ! […] Il ajoute encore : « Il n’est plus permis de douter que l’idéal de la chevalerie ne soit tout celtique », et il finit par assurer « que les tendances de l’esprit celtique se retrouvent dans les manifestations de l’esprit français », conclusion qui embrasse tout et qui ne va à rien moins qu’à la plus insolente négation, et la plus hypocrite, de tous les mérites chrétiens du Moyen Âge, le temps le plus détesté par les philosophes, parce qu’il est le plus catholique de tous les temps, de ce Moyen Âge auquel on essaie de voler sa gloire, quand il est impossible de la nier ! […] Prendre à la religion chrétienne, qui nous a pétris dans le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ (qui nous a donné le sein, si nous ne sommes pas sortis de son flanc ; qui est notre nourrice, si elle n’est pas notre mère), prendre à la religion chrétienne la plus belle civilisation qui fut jamais, — la civilisation de la chevalerie, — pour la donner à une société morte, atroce et barbare ; opposer et substituer à cette monarchie faite par des évêques, comme disait Gibbon, une monarchie faite… par des druides, voilà de l’habileté profonde, car elle semble désintéressée et ne prétend être que scientifique !

244. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

Car tel est le but, sinon atteint, du moins visé, du nouvel ouvrage de M. de Rémusat Maintenir le fondement de la philosophie rationaliste, de cette philosophie qui n’est pas autre chose que le protestantisme en métaphysique, mais échapper aux conséquences panthéistiques de cette philosophie, devant lesquelles le monde, plus chrétien encore qu’il ne pense, se cabre encore avec effroi, tel est le but que s’est proposé M. de Rémusat dans sa monographie intellectuelle de Saint Anselme. […] Ce n’est pas l’instinct de la pensée chrétienne qui l’a poussé de ce côté et qui l’a fait aller d’Abailard, de l’hérétique Abailard, jusqu’à l’orthodoxe Anselme. […] Grâce à cette théocratie, que M. de Rémusat condamne dans son livre par la raison très philosophique que l’opinion de l’Europe moderne, qui a la tête déformée par les philosophes, lui est, en ce moment, hostile, l’influence du monde chrétien avait pris le monde musulman et pénétré l’Asie et l’Afrique. […] Saint Anselme était lié au grand et décisif mouvement du progrès catholique, par ce qui se nomme, entre chrétiens, la sainte vertu de l’obéissance.

245. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Nous avons déjà montré combien Voltaire eût gagné à être chrétien : il disputerait aujourd’hui la palme des Muses à Racine. […] Et c’est celui-là dont se fût d’abord souvenu un chrétien. […] Il était régulier dans ses devoirs de chrétien, et donnait l’exemple à ses domestiques.

246. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre IV. Suite des Philosophes chrétiens. — Publicistes. »

Suite des Philosophes chrétiens. — Publicistes. […] Cependant, Machiavel, Thomas Morus, Mariana, Bodin, Grotius, Puffendorf et Locke, philosophes chrétiens, s’étaient occupés de la nature des gouvernements bien avant Mably et Rousseau.

247. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 484-486

On y voit un Philosophe Chrétien, assez ferme pour ne pas craindre de mettre dans toute leur force les argumens de ses Adversaires. […] La premiere de ces Vérités est, qu’il n’y a qu’un Dieu & qu’une vraie Religion ; la seconde, que de toutes les Religions, la Chrétienne est la seule qui soit divine ; la troisieme, que de toutes les Communions du Christianisme, il n’y a que la Catholique Romaine qui soit la véritable Eglise.

248. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre premier. Que la poétique du Christianisme se divise en trois branches : Poésie, Beaux-arts, Littérature ; que les six livres de cette seconde partie traitent spécialement de la Poésie. »

Le bonheur des élus, chanté par l’Homère chrétien, nous mène naturellement à parler des effets du christianisme dans la poésie. […] Nous jetterons d’abord un coup d’œil sur les poèmes où la religion chrétienne tient la place de la mythologie, parce que l’épopée est la première des compositions poétiques.

249. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VIII. Des Anges. »

Le merveilleux chrétien, d’accord avec la raison, les sciences et l’expansion de notre âme, s’enfonce de monde en monde, d’univers en univers, dans des espaces où l’imagination effrayée frissonne et recule. […] Le poète chrétien est le seul initié au secret de ces merveilles.

250. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VI. Voltaire historien. »

Il lui est arrivé en histoire ce qui lui arrive toujours en poésie : c’est qu’en déclamant contre la religion, ses plus belles pages sont des pages chrétiennes, témoin ce portrait de saint Louis : « Louis IX, dit-il, paraissait un prince destiné à réformer l’Europe, si elle avait pu l’être, à rendre la France triomphante et policée, et à être en tout le modèle des hommes. […] C’est précisément le contraste des vertus religieuses et des vertus guerrières, de l’humilité chrétienne et de la grandeur royale, qui fait ici le dramatique et la beauté du tableau.

251. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Son œuvre entière, vue d’assez haut, n’est qu’une apologie de la religion chrétienne par le moyen de la Providence. […] Assemblons-nous, Chrétiens, pour combattre les ennemis du Dieu vivant ; renversons les remparts de ces nouveaux Samaritains. […] Cependant, cette Providence particulière est celle des chrétiens. […] La Providence des philosophes est si peu celle des chrétiens qu’elles sont, à vrai dire, la négation l’une de l’autre ! […] À plus forte raison, si nous ne sommes pas chrétiens, nous en faut-il en ce cas contre l’excès de la piété même.

252. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Dans l’exaspération de la lutte, la parole chrétienne ne pouvait garder la décence de son caractère, ni les esprits chrétiens la mansuétude de leur Évangile : les protestants glissèrent à la virulence injurieuse ; les catholiques qui ne s’étaient pas encore réformés, retenant lavulgarité facétieuse des Maillard et des Menot, se donnèrent pour rôle d’exploiter et d’exprimer les passions de la populace216. […] Il concevait la tolérance religieuse, en bon Français comme une nécessite politique, en bon chrétien comme un commandement de l’Évangile : les événements du siècle lui semblaient en donner la démonstration expérimentale, et il ne cessa de la prêcher, aux Rois, aux États, aux Parlements : c’était l’unique moyen de rétablir la paix sociale et de maintenir l’unité du royaume, disait-il quarante ans presque avant l’édit de Nantes. […] Il a tiré de Viret (Instruction chrétienne) une bonne partie de la science qui s’étale dans les Semaines. […] Du Plessis-Jlornay, Traité de l’Eglise, 1579 ; et Traité de la vérité de la religion chrétienne, 1581.

253. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

. — Les positifs : tous les vrais chrétiens et tous les vrais juifs ; « puis les philosophes ou les poètes qui affirment ou chantent l’idéal moral », MM.  […] L’auteur conclut avec logique que toutes les aspirations idéalistes et religieuses nouvelles n’ont aucun sens si elles n’ont pas un sens chrétien. […] Il serait curieux de retrouver les positions d’origine des chefs de, ce mouvement vague, falot et si réel : il y a des chrétiens, des catholiques, le parti de Mun ; il y a des philosophes, les néokantiens, les néo-thomistes ; il y a des politiques : les adversaires d’un régime républicain de nuance maçonnique ; il y a des artistes : les successeurs des naturalistes, donc leurs adversaires en esthétique, en morale, en politique, en [sociologie. — Ce pieux mouvement n’est pas sans danger. […] Il faudrait s’entendre, et nul n’eût su le faire mieux que lui, sur le mysticisme de Platon, de Plotin, de Ruysbroeck, j’ajouterai (puisqu’il a dit « des néoplatoniciens ») des néo-kantiens ; il faudrait au moins distinguer plus foncièrement le mysticisme païen du chrétien. Le mysticisme étant la méthode d’un esprit curieux de savoir, mais tournant sa curiosité sur soi-même, y cherchant une interne et intuitive lumière, — pour un païen est plutôt plastique, artistique, philosophique, pour un chrétien théologique et religieux ; celui-là apparaît dans les civilisations décadentes, celui-ci aux âges naïfs.

254. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Toutes les vertus d’humilité, de pardon, de charité, d’abnégation, de dureté pour soi-même, vertus qu’on a nommées à bon droit chrétiennes, si l’on veut dire par là qu’elles ont été vraiment prêchées par le Christ, étaient en germe dans ce premier enseignement. […] Une idée absolument neuve, l’idée d’un culte fondé sur la pureté du cœur et sur la fraternité humaine, faisait par lui son entrée dans le monde, idée tellement élevée que l’église chrétienne devait sur ce point trahir complètement ses intentions, et que, de nos jours, quelques âmes seulement sont capables de s’y prêter. […] Il n’y avait pas encore de chrétiens ; le vrai christianisme cependant était fondé, et jamais sans doute il ne fut plus parfait qu’à ce premier moment. […] On a parfois supposé que, la rédaction du Talmud étant postérieure à celle des Évangiles, des emprunts ont pu être faits par les compilateurs juifs à la morale chrétienne. […] La littérature chrétienne et la littérature juive n’ont eu avant le XIIIe siècle presque aucune influence l’une sur l’autre.

255. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Comme les personnages de ses récits, il est païen, mais on le lui pardonne, et s’il est moins innocent qu’eux, parce qu’il en sait davantage, il songe si peu à être autre chose qu’un écrivain aimable et sincère, que les chrétiens n’auront pas grand’peine à lui témoigner une sympathie plus personnelle encore que la charité. III Il y a en tout six nouvelles dans le recueil, et ce qui les relie entre elles et leur donne l’unité d’un livre, c’est précisément cet indélébile paganisme qu’elles expriment à travers les formes d’une société et d’une civilisation chrétiennes. […] Les six nouvelles qui forment les Païens innocents s’appellent : la Gloriette, — le Curé de Minerve, — le Dernier Flagellant, — l’Hercule chrétien, Jean de l’Ours, — l’Histoire de Pierre Azam, — et la Chambre des Belles Saintes, et elles sont, à notre avis, de petits chefs-d’œuvre d’expression, comme doit l’être, de rigueur, cette simple création d’une nouvelle, intaille ou relief d’une seule idée, travaillée avec les caresses de l’Amour. […] Dans sa Gloriette, dans son Curé de Minerve, dans son Hercule chrétien et dans son Histoire de Pierre Azam, ce qui le préoccupe, c’est la couleur locale et morale, et les personnages de ses récits presque légendaires ne sont guères que des figures, pour la plupart, connues, et parfois d’une physionomie fatiguée. […] » que Babou oppose une sœur, mademoiselle Bénigne, vieille chrétienne charmante, comme l’autre est païen, qui dit, quand il fait grand vent : « Les saints soufflent » ; qui, pour peindre le caractère joyeusement tonitruant de son frère, dit encore : « Dieu est bon, quoiqu’il tonne ! 

256. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Malgré les différences d’opinion, il a reçu le clergé français avec une charité vraiment chrétienne. […] que le poète chrétien est bien plus favorisé dans la solitude où Dieu se promène avec lui ! […] cela prouverait-il que la poésie descriptive n’est pas due à la religion chrétienne ? […] mot digne des anges, et qui est comme l’abrégé de la religion chrétienne. […] Quelle est cette puissance extraordinaire qui promène ces cent mille chrétiens sur ces ruines ?

257. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre III. La Phèdre de Racine. »

Nous pourrions nous contenter d’opposer à Didon la Phèdre de Racine, plus passionnée que la reine de Carthage : elle n’est en effet qu’une épouse chrétienne. […] Cette femme, qui se consolerait d’une éternité de souffrance, si elle avait joui d’un instant de bonheur, cette femme n’est pas dans le caractère antique : c’est la chrétienne réprouvée, c’est la pécheresse tombée vivante dans les mains de Dieu ; son mot est le mot du damné.

258. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Si elle est moins sévère pour la tragédie, elle l’engage dans une voie nouvelle, elle la pousse à puiser son inspiration dans la Bible, à se faire chrétienne, et c’est ainsi que Racine converti, repentant de ses œuvres profanes, compose Esther et Athalie. […] Les théories soutenues n’ont plus l’innocence du système de Descartes ; on ne pourrait plus dire des philosophes qu’ils sont des théologiens sans le savoir ; sensualisme, matérialisme les emportent à cent lieues de la doctrine chrétienne. […] Ils condamnent les ornements qui gâtent, ’suivant eux,, l’éloquence chrétienne. […] Le souci de la forme est rejeté comme indigne d’un chrétien ; tout est sacrifié à une préoccupation unique, celle du résultat moral à atteindre, de l’effet salutaire à produire sur les âmes. […] Faisons toutefois abstraction pour un instant de la multiplicité des sectes, et mettons en un bloc tous les chrétiens qui se sont détachés de l’obédience romaine depuis le xvie  siècle.

259. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Laissez, au contraire, le Pape, qui est le souverain pontife de la parole, saisir dans toute son étendue le gouvernement spirituel de la chrétienté ; que le prêtre soit en même temps citoyen de l’état et sujet du chef de l’Église ; et que le chrétien exerce ses droits politiques ou remplisse ses devoirs religieux, sans que ces deux sortes d’actes aient aucune liaison entre eux. […] Il a cru, quelques instants, pouvoir la dominer comme les législateurs des peuples païens avaient dominé les religions païennes ; il n’avait pas vu que ces législateurs ne s’étaient pas séparés de la pensée religieuse, et que, sous le christianisme, la pensée religieuse ne peut être que la pensée chrétienne elle-même. […] Or, le christianisme seul offrant l’accord de ces croyances, il ne s’agit plus que de chercher où sont les véritables traditions chrétiennes.

260. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

En Espagne, vous trouverez Ferdinand-le-Catholique, qui chassa et vainquit les rois Maures, et trompa tous les rois chrétiens ; Charles-Quint, heureux et tout-puissant, politique par lui-même, grand par ses généraux, et cette foule de héros dans tous les genres qui servaient alors l’Espagne ; Christophe Colomb, qui lui créa un nouveau monde ; Fernand Cortez qui, avec cinq cents hommes, lui soumit un empire de six cents lieues ; Antoine de Lève qui, de simple soldat, parvint à être duc et prince, et plus que cela grand homme de guerre ; Pierre de Navarre, autre soldat de fortune, célèbre par ses talents, et parce que le premier il inventa les mines ; Gonzalve de Cordoue, surnommé le grand Capitaine, mais qui put compter plus de victoires que de vertus ; le fameux duc d’Albe, qui servit Charles-Quint à Pavie, à Tunis, en Allemagne, gagna contre les protestants la bataille de Mulberg, conquit le Portugal sous Philippe II, mais qui se déshonora dans les Pays-Bas, par les dix-huit mille hommes qu’il se vantait d’avoir fait passer par la main du bourreau ; enfin, le jeune marquis Pescaire, aimable et brillant, qui contribua au gain de plusieurs batailles, fut à la fois capitaine et homme de lettres, épousa une femme célèbre par son esprit comme par sa beauté, et mourut à trente-deux ans d’une maladie très courte, peu de temps après que Charles-Quint eut été instruit que le pape lui avait proposé de se faire roi de Naples. […] À la suite de tous ces noms de guerriers ou de princes rassemblés des trois parties du monde, c’est un spectacle curieux de retrouver les noms du Dante, de Pétrarque, de Boccace, de l’Arioste, du cardinal Bibiéna, auteur de la comédie de la Calandre, jouée au Vatican sous Léon X, et du célèbre Machiavel ; sans compter cette foule innombrable de savants, presque tous Grecs ou Italiens, qui dénués, il est vrai, de ce mérite rare du génie, contribuèrent, cependant, par leurs travaux, au rétablissement des lettres, en faisant revivre les langues qui ne s’étaient conservées que chez les chrétiens de Constantinople, et la philosophie ancienne qui, depuis la chute de l’empire, n’avait été cultivée que par les musulmans arabes. […] Il est d’abord fort singulier que ce panégyriste, ayant loué près d’une centaine de princes grecs, idolâtres, musulmans et chrétiens, n’ait pas fait l’éloge d’un seul pape : il était cependant italien et évêque.

261. (1900) La culture des idées

Avaient-ils pris pour les chrétiens un sens nouveau ? […] Voilà, prise sur le fait, la déformation chrétienne d’un symbole antérieur. […] Les Sarrasins abolirent ce que les chrétiens avaient respecté. […] Bonnetty : « Traditions primitives » (Annales de philosophie chrétienne, 1839). […] Malebranche, étant oratorien, se croyait chrétien et ne l’était que de cœur.

262. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Les chrétiens sincères ne s’y trompèrent pas, la rhétorique seule le regarda et le regarde comme un monument de la langue. […] LXII Son Itinéraire eut un prodigieux succès ; c’était la gloire moissonnée à vol d’oiseau par un homme de génie sur les sites consacrés du monde : les gens de lettres y trouvaient des phrases mémorables ; les chrétiens, des dévotions exemplaires ; les savants, des textes sacrés ; tout le monde, des descriptions pittoresques achevées, et l’intérêt qui s’attachait alors aux navigations d’un homme célèbre embellies par un écrivain supérieur. […] On pourrait appliquer la poésie chrétienne aux plus sublimes définitions de Dieu, aux plus hautes vérités morales dont le christianisme est la sanction et la source, parce que tout le monde y croit ; mais on ne pouvait avec bonne foi raconter sur l’enfer ou sur le paradis les histoires imaginaires de Dante ou du Tasse que tout homme doué de quelque imagination pouvait inventer comme eux. […] Le martyre de la jeune vierge chrétienne et du héros converti amenait la catastrophe et rendait l’univers chrétien. […] « Prenez le René réel, ôtez-lui ce léger masque chrétien que M. de Chateaubriand lui a mis tout à la fin pour avoir droit de le faire entrer dans le Génie du Christianisme, revenez au pur René des Natchez, et la pièce de Lamartine pourra s’adresser à lui non moins justement qu’à lord Byron. » M. 

263. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre III. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire sacrée & ecclésiastique. » pp. 32-86

Vous commencerez, si vous me croyez, par la lecture des mœurs des Chrétiens, de l’Abbé Fleuri : tableau fidéle & agréable de l’innocence de la vie des premiers Chrétiens. […] Personne ne les a exposé avec plus de netteté que M. l’Abbé Pluquet, auteur des Mémoires pour servir à l’histoire des égaremens de l’esprit humain par rapport à la Religion Chrétienne, ou Dictionnaire des hérésies, des erreurs & des schismes ; précédé d’un discours dans lequel on recherche quelle a été la religion primitive des hommes, les changemens qu’elle a souffert jusqu’à la naissance du Christianisme ; les causes générales, les liaisons & les effets des hérésies qui ont divisé les Chrétiens, en deux vol. […] La substance des différens écrits dont nous venons de parler, a été exprimée dans le Dictionnaire historique des Auteurs ecclésiastiques, renfermant la vie des Peres & des Docteurs de l’Eglise ; des meilleurs interprêtes de l’Ecriture Sainte, Juifs & Chrétiens ; des Théologiens scholastiques, moraux, mystiques, polémiques, hétérodoxes même qui ont écrit sur des matieres non controversées ; des Canonistes & des Commentateurs des Décrétales & du corps du Droit canonique, des Historiens, Bibliographes, Biographes & Agiographes ecclésiastiques ; des Orateurs sacrés ; des Liturgistes & généralement de tous les auteurs qui ont écrit sur les matieres ecclésiastiques ; avec le catalogue de leurs principaux ouvrages ; le sommaire de ce qu’on trouve de remarquable dans ceux des Peres, pour former la chaine de la tradition ; le jugement des critiques sur la personne, le caractère, la doctrine, la méthode & le style des différens Auteurs ecclésiastiques ; & l’indication des meilleures éditions de leurs ouvrages : le tout suivi d’une table chronologique pour l’histoire de l’Eglise depuis J. […] CEtte partie de l’Histoire Ecclésiastique intéresse un si grand nombre de lecteurs par les combats que les Saints ont eu à soutenir contre leurs propres passions ou contre celles des ennemis du nom Chrétien, que plusieurs savans y ont consacré leurs veilles. […] Baillet n’étant guéres propre pour l’usage journalier, nous citerons ici celles qui sont lues ordinairement dans les familles chrétiennes.

264. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre premier. Musique. — De l’influence du Christianisme dans la musique. »

Frères de la poésie, les beaux-arts vont être maintenant l’objet de nos études : attachés aux pas de la religion chrétienne, ils la reconnurent pour leur mère aussitôt qu’elle parut au monde ; ils lui prêtèrent leurs charmes terrestres, elle leur donna sa divinité ; la musique nota ses chants, la peinture la représenta dans ses douloureux triomphes, la sculpture se plut à rêver avec elle sur les tombeaux, et l’architecture lui bâtit des temples sublimes et mystérieux comme sa pensée. […] Ajoutons que la religion chrétienne est essentiellement mélodieuse, par la seule raison qu’elle aime la solitude.

265. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VI. Architecture. — Hôtel des Invalides. »

Les yeux du voyageur viennent d’abord s’attacher sur cette flèche religieuse, dont l’aspect réveille une foule de sentiments et de souvenirs : c’est la pyramide funèbre autour de laquelle dorment les aïeux ; c’est le monument de joie où l’airain sacré annonce la vie du fidèle ; c’est là que les époux s’unissent ; c’est là que les chrétiens se prosternent au pied des autels, le faible pour prier le Dieu de force, le coupable pour implorer le Dieu de miséricorde, l’innocent pour chanter le Dieu de bonté. Un paysage paraît-il nu, triste, désert, placez-y un clocher champêtre : à l’instant tout va s’animer : les douces idées de pasteur et de troupeau, d’asile pour le voyageur, d’aumône pour le pèlerin, d’hospitalité et de fraternité chrétienne, vont naître de toutes parts.

266. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Ouvrez l’atlas, comptez ces deux cent cinquante mille Maronites, peuple innocent, religieux, cultivateur, guerrier ; groupés autour de leurs moines laboureurs, sous la protection ottomane, dans leurs milliers de couvents, de villages, de cavernes, autour de leurs cénobites, le croissant y a toujours respecté la croix, malgré les calomnies insignes et intéressées de quelques agitateurs européens, qui prêchent la guerre à ces chrétiens de la paix. […] Ne vaut-il pas mieux cent fois imposer la responsabilité de l’ordre dans le Liban aux Ottomans, qui depuis mille ans l’ont laissé chrétien, et le rendre libre et prospère en prêtant force au Grand Seigneur, libéral, quelquefois faible, jamais sciemment oppresseur ? […] La solution que propose aujourd’hui le gouvernement français à l’Europe est évidemment, à mon avis, la meilleure : l’unité des Maronites et des Druzes sous la vice-royauté héréditaire de la famille de l’émir Beschir, famille à la fois maronite, arabe, druse, chrétienne, musulmane, hébraïque, éclectique, résumant en elle toutes les religions qui se disputent la montagne, et prenant ses soldats dans chaque tribu pour imposer à toutes l’ordre, l’égalité et la paix. […] Géographie sacrée des Hébreux, géographie maritime des Phéniciens, géographie d’Alexandre qui efface les limites sous les pas de ses Grecs et de ses phalanges, de ses Ptolémée ; géographie des Romains, qui font l’Europe et qui refont une Afrique et une Asie Mineure avec Strabon ; géographie de Charlemagne, qui refait la moitié du globe chrétien avec les décombres du paganisme ; géographie de l’Angleterre, qui fait une monarchie navale et commerciale avec les pavillons de ses vaisseaux ; géographie de Napoléon, qui promène ses bataillons de Memphis à Madrid et à Moscou, conquérant tout sans rien retenir, et qui, de cette géographie napoléonienne de la conquête sans but, ne conserve pas même une île (Sainte-Hélène) pour mourir chez lui, après tant d’empires parcourus, en ne laissant partout que des traces de sang français versé pour la gloire ; géographie actuelle, qui se limite par l’équilibre des droits et des intérêts, qui élève contre l’ambition d’un seul la résistance pacifique de tous, et qui ne se dérange un moment par une ou deux batailles que pour se rétablir bien vite par la réaction naturelle de la liberté et de la paix.

267. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Leconte de Lisle a le malheur de n’être pas chrétien, il aurait pu, du moins, s’abstenir d’un titre (Dies iræ) qui rappelle à toutes les mémoires la plus sublime, la plus terrible de nos prières funèbres ; il aurait pu se souvenir que la poésie a mieux à faire qu’à enlever à la vie la croyance et l’espérance de la mort : ceci soit dit sans rien ôter au mérite de cette pièce où se traduit, d’une façon vraiment saisissante, non plus le désabusement humain dont parlait M.  […] Hésiode, songeait à cette définition du rythme dorien, lorsqu’il forgeait patiemment le métal rigide et sonore de ses vers… Il commença par être chrétien. Ses premiers poèmes, publiés à Rennes (où il étudiait le droit) aux environs de l’année 1840, dans une revue littéraire aujourd’hui introuvable, s’intitulaient, exotiquement, Issa ben Marianna, et étaient dédiés à Lamennais… Le recueil publié par lui en 1853 et intitulé : Poèmes et poésies, contient un chant très beau et vraiment chrétien : La Passion. […] Hypathie, que les chrétiens lapidèrent, jaloux de sa science et de sa beauté.

268. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Premières tentatives sur Jérusalem. »

Hérode en avait fait commencer la reconstruction l’an 20 ou 21 avant l’ère chrétienne, pour le mettre à l’unisson de ses autres édifices. […] Aussi le temple ou son emplacement n’inspirèrent-ils de sentiments pieux, dans le sein du christianisme, qu’aux chrétiens judaïsants. […] Constantin et les premiers empereurs chrétiens y laissèrent subsister les constructions païennes d’Adrien 611. […] Nicodème ne se fit pas chrétien ; il crut devoir à sa position de ne pas entrer dans un mouvement révolutionnaire, qui ne comptait pas encore de notables adhérents.

269. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

On y montrait comment l’idée chrétienne, en prêchant le renoncement à la vie immédiate, le détachement des biens terrestres, la fraternité, l’égalité entre les hommes et le mépris du savoir, en modérant par cette doctrine absolue, sans la réduire toutefois, l’énergie excessive du monde, barbare, qui sans ce frein ne fût pas parvenue à se coordonner, a rendu possible l’organisation des sociétés modernes que l’on voit fondées sur le principe de hiérarchie, qui sanctionnent le droit de propriété, qui, par l’accroissement du savoir, tendent à l’accroissement du bien-être, qui, sur tous les points et dans toutes leurs conclusions, contredisent et renient le principe chrétien, ce principe chrétien qui aida à les fonder et qui, développé avec outrance, aboutirait à les supprimer. […] C’est ainsi que la vérité chrétienne ayant réalisé en Europe l’un de ses effets indirects les plus importants, le peuplement des grands territoires occidentaux, s’effrite peu à peu parmi les consciences.

270. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

D’un autre côté, vainement l’Église lui a-t-elle appris cette charité chrétienne qui a suffi au monde depuis l’Évangile, il ne s’en est pas moins laissé mordre par la brebis enragée de la Philanthropie moderne, et comme l’école tout entière du dix-huitième siècle qu’il essaie de combattre, mais qui le tient sous elle comme un vaincu, il se préoccupe, à toute page de son livre philanthropique, du droit de chaque homme vis-à-vis de la société, et il va chercher ce droit individuel dans des notions incomplètes ou fausses, pour l’exprimer dans de nuageuses définitions que le dix-huitième siècle n’aurait certes pas repoussées ! […] Enfin, comme tous les utopistes de ce temps et de tous les temps, qui ont renversé le grand aperçu chrétien, M. l’abbé Mitraud semble prendre la société pour un état définitif, au lieu de la concevoir comme un état de passage, et alors la question devient pour lui ce qu’elle fut, par exemple, pour Fourier, Saint-Simon et tant d’autres réformateurs, c’est-à-dire — qu’elle consiste à trouver des institutions qui établissent le ciel sur la terre, — ce qu’on cherchera probablement longtemps encore, — au lieu de faire monter la terre dans le ciel, comme la Religion nous l’enseigne, et, dans son affranchissement des âmes, sait l’exécuter tous les jours ! […] Il est évident, en effet, qu’au-dessous de toute cette battologie philosophique, l’auteur de la Nature des sociétés humaines ne sait pas ce qu’on doit entendre par ce mot de société dont il se sert, et qu’il en confond la notion métaphysique avec la notion historique des différents peuples qui se sont agités sur la terre et se sont efforcés de réaliser cet idéal de société qui, pour l’incrédule, n’est qu’une ironie et pour le chrétien qu’une aspiration ? […] Pourquoi les premiers mots qui vous frappent dans un écrit, ayant la prétention d’être une solution chrétienne à la grande question du temps présent, sont-ils une définition orde et païenne de la notion de Droit : « Le Droit est la résultante des besoins de la nature » ?

271. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

Elle donc était digne d’être religieuse, d’être sainte, d’être la première des carmélites du monde chrétien. […] La Vie de Madame Térèse de Saint-Augustin les attendait… et cette petite lumière, allumée pieusement sur le tombeau de la Carmélite par une sœur inconnue de sa Communauté, se projettera, grande et forte de sa pureté seule, sur le passé de la princesse, et nous l’éclairera mieux que les récits du temps orageux et souillé où elle a vécu… Aucune des sœurs de cette fille de roi ne partagera cet avantage avec elle d’avoir un livre pur, sincère et désintéressé, inspiré par l’enthousiasme de la justice et tracé par une main à qui on puisse se fier, puisqu’elle est chrétienne, pour défendre sa mémoire outragée en racontant simplement sa vie. […] Il n’y a que des âmes chrétiennes qui puissent écrire l’histoire des âmes chrétiennes ; même les âmes le plus près du Christianisme, mais qui n’ont pas été saisies vigoureusement par son esprit, s’y trompent.

272. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 343-347

Pascal prétendoit qu’un honnête homme devoit éviter de se nommer, & même de se servir des mots de je ou de moi, & il avoit accoutumé de dire, sur ce sujet, que la piété chrétienne anéantit le moi humain, & que la civilité humaine le cache ou le supprime. […] Malebranche, c’est une effronterie, ou plutôt une espece de folie, que de se louer à tous momens, comme fait Montagne ; car ce n’est pas seulement pécher contre l’humilité chrétienne, mais c’est encore choquer la raison.

273. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IX. Du vague des passions. »

Formée pour nos misères et pour nos besoins, la religion chrétienne nous offre sans cesse le double tableau des chagrins de la terre et des joies célestes ; et, par ce moyen, elle fait dans le cœur une source de maux présents et d’espérances lointaines, d’où découlent d’inépuisables rêveries. Le chrétien se regarde toujours comme un voyageur qui passe ici-bas dans une vallée de larmes, et qui ne se repose qu’au tombeau.

274. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 23, quelques remarques sur le poëme épique, observation touchant le lieu et le tems où il faut prendre l’action » pp. 179-182

Si l’on reprend Sannazar, L’Arioste et d’autres poëtes, d’avoir mêlé mal à propos la religion chrétienne dans leurs poëmes, c’est qu’ils n’en ont point parlé avec la dignité et la décence qu’elle exige, c’est qu’ils ont allié les fables du paganisme aux veritez de notre religion. C’est qu’ils sont, comme dit Despreaux, follement idolatres en des sujets chrétiens.

275. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

On avait mis un siècle à détruire tous les ports de refuge où la société chrétienne et monarchique aurait pu s’abriter. […] Quand un grand orateur chrétien parla devant Louis XIV de ces deux hommes que nous portons en nous, le roi dit aussitôt : « Ah ! […] Il écrivait en vers, parce que sa nature l’y portait ; ses expressions et ses images étaient chrétiennes, parce que sa pensée était chrétienne comme son éducation. […] L’amour chrétien devient une prière à deux. […] Mais ce sont là des ivresses d’un moment qui font bientôt place, dans ce cœur chrétien, à un sentiment plus épuré et plus vrai.

276. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Lorsque parut l’édition donnée par le neveu de Massillon et conforme en tout aux manuscrits, elle réunit donc tous les suffrages et satisfît à un grand désir des chrétiens et des gens de goût. […] s’écrie-t-il, vous qui vîtes dans leur naissance les dérèglements des pécheurs qui m’écoutent et qui, depuis, en avez remarqué tous les progrès, vous savez que la honte de cette fille chrétienne n’a commencé que par de légères complaisances et de vains projets d’une honnête amitié : que les infidélités de cette personne engagée dans un lien honorable n’étaient d’abord que de petits empressements pour plaire, et une secrète joie d’y avoir réussi : vous savez qu’une vaine démangeaison de tout savoir et de décider sur tout, des lectures pernicieuses à la foi, pas assez redoutées, et une secrète envie de se distinguer du côté de l’esprit, ont conduit peu à peu cet incrédule au libertinage et à l’irréligion : vous savez que cet homme n’est dans le fond de la débauche et de l’endurcissement que pour avoir étouffé d’abord mille remords sur certaines actions douteuses, et s’être fait de fausses maximes pour se calmer : vous savez enfin que cette âme infidèle, après une conversion d’éclat, etc. […] Est-ce Massillon, est-ce Bernardin de Saint-Pierre plus chrétien, est-ce Chateaubriand faisant parler le père Aubry à la mourante Atala, mais dans un langage plus pur et que Fontanes aurait retouché, — lequel est-ce des trois, on pourrait le demander, qui a écrit cette belle et douce page de morale mélodieuse, cette plainte humaine qui est comme un chant ? […] On dit que le même mouvement se renouvela dans la chapelle de Versailles7, et l’on raconte que Massillon lui-même, par son geste, par son attitude abîmée, par son silence de quelques instants, s’associa à la terreur de son auditoire, et, avec une sincérité qui se confondait ici avec les bienséances, trouva jusque dans son triomphe à faire acte de chrétienne et profonde humiliation. […] Mais surtout on raconte que Rollin, alors principal du collège de Beauvais, ayant conduit un jour ses pensionnaires entendre un sermon de Massillon sur la sainteté et la ferveur des premiers chrétiens, les enfants en sortirent si touchés, qu’ils se livrèrent les jours suivants dans leur innocence à des austérités et à des mortifications qu’il fallut modérer.

277. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Ainsi, prêchant devant la reine mère en 1658 ou 1659 le Panégyrique de sainte Thérèse, Bossuet, excité peut-être par les recherches de style de la sainte espagnole, et développant à plaisir un passage de Tertullien qui dit que Jésus, avant de mourir, voulut se rassasier par la volupté de la patience, ne craindra pas d’ajouter : Ne diriez-vous pas, chrétiens, que, selon le sentiment de ce Père, toute la vie du Sauveur était un festin dont tous les mets étaient des tourments ? […] Il y a un fait qui se peut vérifier : dans cette suite des sermons de Bossuet qui ont été rangés, non pas dans l’ordre chronologique où il les a composés, mais selon l’ordre de l’année chrétienne, en commençant par la Toussaint et l’Avent et en finissant par-delà la Pentecôte, voulez-vous à coup sûr mettre la main sur un des plus beaux et des plus irréprochables, prenez l’un quelconque de ceux dont il est dit : « Prêché devant le roi ». […] Le siècle dans lequel tous deux vivaient eut le mérite de faire cette distinction, et d’apprécier chacun sans les opposer l’un à l’autre : et aujourd’hui ceux qui triomphent de cette opposition et qui écrasent si aisément Bourdaloue avec Bossuet, l’homme de talent avec l’homme de génie, parce qu’ils croient se sentir eux-mêmes de la famille des génies, oublient trop que cette éloquence chrétienne était faite pour édifier et pour nourrir encore plus que pour plaire ou pour subjuguer. […] Et d’où vient cela, chrétiens ? […] À la vérité, chrétiens, ils sont dignes d’être distingués des autres, et ils font un des plus beaux ornements du monde.

278. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Il y avait, au XVIIe siècle, un terrible et savant docteur de la maison de Navarre, Launoi : bon chrétien, mais singulier, mordant, original, paradoxal, il était un ennemi déclaré de la légende, et il faisait la guerre à quantité de saints qu’il estimait suspects. […] Un savant historien, Sismondi, très-épris dans sa jeunesse des doctrines du XVIIIe siècle, se portait d’abord, par de fréquentes sorties, à l’attaque de l’établissement chrétien ou catholique, et des diverses croyances qui s’y rattachent. […] Si c’est là en effet le dernier mot de l’incrédulité, il faudra désormais autant et plus de foi pour croire à ces conséquences dites philosophiques ou historiques, à ces conjectures écloses et nées d’un seul cerveau, qu’à nous, chrétiens, pour continuer de croire à la tradition, à l’Église, au miracle visible d’un établissement divin toujours subsistant, au majestueux triomphe où l’évidence est écrite, au consentement universel tel qu’il résulte du concert des premiers et seuls témoins… » J’abrège. […] La question religieuse, la question chrétienne ne lui a jamais été présentée sous une forme qui fût d’accord avec cette disposition du XIXe siècle, de ce siècle qui, je le répète, n’est ni croyant, ni incrédule, qui n’est ni à de Maistre, ni à Voltaire. […] Alors des esprits chagrins et sombres se seront levés et y auront passé à leur tour, abattant et dévastant tout avec rudesse autour d’eux, et, en ce temps-là, ceux qui seront plus attachés à l’esprit qu’à la lettre, plus chrétiens de cœur encore qu’orthodoxes de forme, s’écrieront : « Qu’on nous rende la Vie de Jésus de Renan !

279. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Bossuet, puis Bourdaloue, et après Bourdaloue, Massillon, prêchèrent devant Louis XIV et firent entendre, pendant cinquante ans, la parole chrétienne à ce grand auditeur, celui de tous qui goûtait le mieux la vérité des instructions, et qui mettait le plus juste prix à l’art de les administrer. […] Après Bossuet, parut, comme à propos, pour accommoder la parole chrétienne à l’attention plus forte du roi entrant dans l’âge viril, un prédicateur doué du talent de raisonnement et d’analyse au même degré que Bossuet possédait le talent de peindre. […] Cette sévérité chrétienne, plus mondaine par le tour, moins hérissée de théologie, fit incliner le cœur du roi du désenchantement des choses du dehors au mécontentement de soi-même. […] Aussi ne lit-on pas ces sermons, que Louis XIV a entendus, pour y trouver des détails de mœurs sur une époque, mais pour y voir une image de notre intérieur éclairé à jamais, dans ses profondeurs les plus reculées, par la lumière de la morale chrétienne. […] Le commerce avec l’antiquité profane le garda des deux dangers auxquels l’exposait son commerce jusque-là exclusif avec l’antiquité chrétienne, la subtilité et le mysticisme.

280. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre III. Des Ruines en général. — Qu’il y en a de deux espèces. »

De l’examen des sites des monuments chrétiens, nous passons aux effets des ruines de ces monuments. […] Nous ne saurions peindre l’émotion que nous causèrent ces chants religieux ; nous crûmes ouïr une voix du ciel qui disait : « Chrétien sans foi, pourquoi perds-tu l’espérance ?

281. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

Turquety a un public ; en Bretagne, dans le Midi, à Toulouse, beaucoup de lecteurs fervents et fidèles le désirent : pour eux, il donne à des sentiments chrétiens qu’il rajeunit, à des dogmes qu’il exprime, une mélodie qu’on aime. […] Un sentiment évangélique et chrétien les a inspirés, en effet, non sans mélange toutefois d’un certain humanitarisme moderne, d’un certain culte optimiste et confiant de la création et de la nature, qui fait songer à Jocelyn et qui l’a précédé : Ô Nature, immense Évangile Que rien ne saurait altérer ! […] Voici, par exemple, une petite pièce qui a un bouquet d’anthologie chrétienne, autant qu’en un genre tout contraire une petite épigramme de l’anthologie grecque peut sentir son Hymette et son Musée : Le pèlerin Regardant une étoile au ciel épanouie, Un jeune homme marchait ; son léger manteau bleu Diminuait toujours : ce manteau, c’est la vie, Le voyageur c’est l’âme, et l’étoile c’est Dieu, Mais les essais de vers blancs, qui terminent le volume, ne sont pas heureux ; mais on n’échappe jamais tout à fait, dans cette langue française adoptive, à des accents du premier terroir.

282. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre I. Querelle des Anciens et des Modernes »

Les sujets de ces « romans » en vers étaient presque tous tirés de l’histoire moderne, et ornés d’un « merveilleux » emprunté à la religion chrétienne. Un de ces auteurs, Desmarets de Saint-Sorlin, ayant donné son Clovis en 1657, crut nécessaire, lorsqu’il vit s’élever une école dont les maximes essentielles allaient, dans tous les genres, à suivre les anciens et à reprendre les sujets déjà traités par eux, de justifier le choix qu’il avait fait dans son poème d’un héros moderne et chrétien. […] C’est contre Desmarets que Boileau, par une malheureuse application de sa doctrine, prohiba au troisième chant de son Art Poétique l’emploi de la religion chrétienne en poésie, et, juste au moment où Milton venait d’écrire son Paradis perdu (ce que, du reste, il ignorait), nia assurément la valeur poétique de Satan.

283. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « J.-K. Huysmans »

Maintenant, avant d’être passionné, on est malade… On a même inventé des maladies d’avant la naissance, — ce qui ne me contrarie point, moi qui suis chrétien et qui crois au péché originel, mais ce qui devrait faire au moins réfléchir ceux qui le nient… Cela s’appelle l’atavisme et fait présentement le tour de la littérature. […] prenez pitié du chrétien qui doute, de l’incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s’embarque dans la nuit sous un firmament que n’éclairent plus les fanaux consolants de l’espoir !  […] Baudelaire, le satanique Baudelaire, qui mourut chrétien, doit être une des admirations de M. 

284. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Pour le cœur et l’esprit, la loi chrétienne était souveraine ; et si elle n’administrait pas le monde matériel, elle le dirigeait et le dominait. […] Cette vérité pourrait se démontrer pour toutes les périodes du développement de l’Humanité, comme pour la période chrétienne. […] Tous les prêtres chrétiens ont fait comme S.  […] Non, me crient les philosophes ; et ma raison, éclairée par eux, est obligée de convenir que le paradis des chrétiens est un monde imaginaire. […] Les Chrétiens faisaient, avec raison, descendre le pardon céleste sur le pécheur qui examinait sa conscience.

285. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre X. Machines poétiques. — Vénus dans les bois de Carthage, Raphaël au berceau d’Éden. »

Plusieurs fois les dieux en viennent aux mains dans Homère ; mais, comme nous l’avons déjà remarqué, on ne trouve rien dans l’Iliade qui soit supérieur au combat que Satan s’apprête à livrer à Michel dans le Paradis terrestre, ni à la déroute des légions foudroyées par Emmanuel : plusieurs fois les divinités païennes sauvent leurs héros favoris en les couvrant d’une nuée ; mais cette machine a été très heureusement transportée par le Tasse à la poésie chrétienne, lorsqu’il introduit Soliman dans Jérusalem. Ce char enveloppé de vapeurs, ce voyage invisible d’un enchanteur et d’un héros au travers du camp des chrétiens, cette porte secrète d’Hérode, ces souvenirs des temps antiques jetés au milieu d’une narration rapide, ce guerrier qui assiste à un conseil sans être vu, et qui se montre seulement pour déterminer Solyme aux combats, tout ce merveilleux, quoique du genre magique, est d’une excellence singulière.

286. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVIII » pp. 113-116

Aujourd’hui j’ai visité telle princesse russe, toute chrétienne, toute catholique et propagandiste, comme les autres sont tout païens. J'ai encore visité dans son atelier Overbeck, le peintre ascétique, dévot à l’art pur chrétien.

287. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 260-264

Ce nom est devenu, parmi nous, celui de l’Eloquence chrétienne, c’est-à-dire, de l’Eloquence de la raison & du sentiment. […] Le seul trait de ressemblance qui existe entre eux, est que le Prédicateur a été, parmi nous, le pere de l’Eloquence chrétienne, comme l’Auteur de Cinna l’a été de la Tragédie.

288. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre V. Caractère du vrai Dieu. »

Nous croyons n’avoir pas besoin de preuves pour montrer combien le Dieu des chrétiens est poétiquement supérieur au Jupiter antique. […] Où prendrons-nous le parallèle, et la poésie chrétienne a-t-elle assez de moyens pour s’élever à ces beautés ?

289. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Cette peinture évangélique de l’âme de l’évêque, âme chrétienne parce qu’elle est populaire, et populaire parce qu’elle est chrétienne, mon ami, est ce qu’on appelle un tableau de genre suspendu dans un vestibule pour prédisposer, par une bonne impression, les yeux, l’esprit, le cœur des lecteurs aux sentiments religieux et doux, qui sont l’édification de ce triste monde. […] VII Mais, me direz-vous, l’évêque était cependant un bon chrétien, un disciple modèle de Celui qui a dit : « Tu ne frapperas pas, même pour me défendre ! » Bonhomme, oui ; bon chrétien, je n’en sais rien. […] Ou l’évêque est chrétien selon la lettre et selon l’esprit, et alors pourquoi écoute-t-il avec complaisance et approbation les doctrines très peu chrétiennes du terroriste, et pourquoi, après l’avoir entendu se vanter du sang versé pour le peuple, ne lui propose-t-il aucune bénédiction de sa religion, et, au contraire, lui demande-t-il simplement la sienne ? […] Cela n’est pas seulement peu chrétien, cela n’est pas très probe pour celui qui est chargé d’enseigner à Digne le catéchisme de Montpellier.

290. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Il ne fallait qu’être chrétien pour y prendre goût. […] Il se croyait chrétien parce qu’il allait à la messe, et orthodoxe parce qu’il professait de croire en gros ce que croit l’Église, en méprisant comme chicanes toute cette théologie qui limite le dogme et détermine l’hérésie. Au fond, sous le chrétien sommeillait le déiste. […] Il mourut enfin le 13 mars 1711, assisté de son confesseur l’abbé Lenoir, chez qui il demeurait, et pourtant peut-être plus en philosophe qu’en chrétien. […] … Périr tant de chrétiens, martyrs d’une diphtongue… … Et, sans distinction, dans tout sein hérétique, Pleins de joie, enfoncer un poignard catholique.

291. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

N’est-il pas évident que Pascal raisonne en chrétien qui veut presser l’argument de la nécessité d’une révélation ? […] Fénélon, sage aimable, et rival de Nestor, Instruisoit Télémaque aux leçons de Mentor ; Bossuet adressoit, dans sa mâle éloquence, À l’ombre de Condé les regrets de la France, Et dans nos temples saints sa redoutable voix, Au nom seul du Seigneur faisoit trembler les Rois : Fléchier, moins énergique et non moins plein de charmes, Sur Turenne au tombeau faisoit verser des larmes ; Et lorsqu’en des instants de regrets et de deuil, Les chrétiens, de Louis entouroient le cercueil, Quand la nef des lieux saints répétoit leurs cantiques, Massillon écoutoit ces chœurs mélancoliques, Et sa voix s’animant à ce lugubre chant Faisoit tonner ces mots : Chrétiens, Dieu seul est grand. […] V, chap. 2] M. l’abbé Fleury, dans ses Mœurs des Chrétiens, pense que les anciens monastères sont bâtis sur le plan des maisons romaines, telles qu’elles sont décrites dans Vitruve et dans Palladio. […] Soumet, intitulé l’Incrédulité, entre autres imitations du Génie du christianisme, ce fragment sur les ruines des monuments chrétiens :     « Hé ! […] Le tombeau du martyr, le rocher, la retraite, Où dans un long exil vieillit l’anachorète, Tout parle à notre cœur ; et toi, signe sacré, Des chrétiens et du monde à l’envi révéré, Croix modeste, quel est ton ineffable empire ?

292. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Quant à ce qui touche le genre d’émotions auquel dut échapper difficilement une âme si ardente, et ceux qui la connaissent peuvent ajouter si tendre, je dirai seulement que, sous le voile épais de pudeur et de silence qui recouvre aux yeux même de ses plus proches ces années ensevelies, on entreverrait de loin, en le voulant bien, de grandes douleurs, comme quelque chose d’unique et de profond, puis un malheur décisif, qui du même coup brisa cette âme et la rejeta dans la vive pratique chrétienne d’où elle n’est plus sortie. […] C’en est assez, je pense, pour bien marquer le point de départ et la continuité toute logique de la carrière chrétienne de M. de La Mennais, pour expliquer en lui certaines préoccupations qui choquent et le peu de ménagement de quelques sorties. […] Au milieu d’imperfections nombreuses, et dont M. de La Mennais est le premier à convenir aujourd’hui, telles que des jugements trop acerbes, d’impraticables conseils de subordination spirituelle de l’État à l’Église, et une érudition incomplète, quoique bien vaste, et arriérée ou sans critique en quelques parties, ce grand ouvrage constitue la base monumentale, le corps résistant d’où s’élèveront et s’élèvent déjà les travaux plus avancés de la science chrétienne. […] Mais ayant en face de lui un pouvoir temporel qui se disait à tout propos très-chrétien, et un parti libéral, révolutionnaire, à qui il supposait au contraire des intentions très-antichrétiennes, il n’eut d’autre marche à suivre que d’opposer d’un côté aux champions de la souveraineté du peuple quand même la souveraineté de l’ordre d’esprit et de justice, et, d’un autre côté, de parler aux défenseurs soi-disant chrétiens de l’obéissance passive le langage catholique sur l’admissibilité des pouvoirs et la suprématie d’une seule loi. […] M. de La Mennais ne prétendait certes pas que le temps des dépositions de rois dût revenir, et s’il citait la bulle de Boniface VIII, c’était comme mementodu dogme à des absolutistes qui se disaient chrétiens ; toujours y avait-il en ceci quelque difficulté à embrasser, je ne dis pas la droiture, mais le fond et le but de sa tendance politique.

293. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Par nature, il est hostile aux associations autres que lui-même ; elles sont des rivales, elles le gênent, elles accaparent la volonté et faussent le vote de leurs membres. « Il importe, pour bien avoir l’énoncé de la volonté générale, qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’État, et que chaque citoyen n’opine que d’après lui449. » Tout ce qui rompt l’unité sociale ne vaut rien », et il vaudrait mieux pour l’État qu’il n’y eût point d’Église  Non seulement toute Eglise est suspecte, mais, si je suis chrétien, ma croyance est vue d’un mauvais œil. Selon le nouveau législateur, « rien n’est plus contraire que le christianisme à l’esprit social… : une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d’hommes. » Car « la patrie du chrétien n’est pas de ce monde ». […] Sa loi « ne prêche que servitude et dépendance… il est fait pour être esclave », et d’un esclave on ne fera jamais un citoyen. « République chrétienne, chacun de ces deux mots exclut l’autre. » Partant, si la future république me permet d’être chrétien, c’est à la condition sous-entendue que ma doctrine restera confinée dans mon esprit, sans descendre jusque dans mon cœur  Si je suis catholique, (et sur vingt-six millions de Français, vingt-cinq millions sont dans mon cas), ma condition est pire. […] Je cesse d’être propriétaire, père, chrétien, philosophe.

294. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Les mystiques chrétiens ont développé sous toutes les formes ce thème favori que Marie, symbole de la contemplation, a dès ce monde la meilleure part, et que celui qui a embrassé la vie parfaite trouve ici-bas une récompense suffisante. […] Prenons encore les trois premiers siècles de l’ère chrétienne. […] Qu’aurait dit Tacite, si on lui eût annoncé que tous ces personnages qu’il fait jouer si savamment seraient alors complètement effacés devant les chefs de ces chrétiens qu’il traite avec tant de mépris ; que le nom d’Auguste ne serait sauvé de l’oubli que parce qu’en tête des fastes de l’année chrétienne on lirait : Imperante Caesare Augusto, Christus natus est in Bethlehem Juda ; qu’on ne se souviendrait de Néron que parce que, sous son règne, souffrirent, dit-on, Pierre et Paul, maîtres futurs de Rome ; que le nom de Trajan se retrouverait encore dans quelques légendes, non pour avoir vaincu les Daces et poussé jusqu’au Tigre les limites de l’Empire, mais parce qu’un crédule évêque de Rome du VIe siècle eut un jour la fantaisie de prier pour lui ? […] Ces chrétiens leur eussent semblé une plèbe vile, ignorante et superstitieuse. Il est certain que plusieurs sectes chrétiennes justifiaient les calomnies des païens.

295. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

M. de Tocqueville, légitimiste et chrétien, a tâché de comprendre son temps, cette France nouvelle qui rejetait la légitimité et faisait la guerre à l’Église. […] Il a observé partout, dans les idées, dans les mœurs, et dans le gouvernement, la plus étrange confusion : les législateurs occupés à détruire ou neutraliser les effets de la Révolution, à restreindre la liberté, borner l’égalité ; l’autorité méprisée et redoutée, l’administration centralisée et oppressive ; le riche et le pauvre en face l’un de l’autre, se haïssant, ne croyant plus au droit, mais à la force ; les chrétiens épouvantés de la démocratie, qui est selon l’Évangile ; les libéraux hostiles à la religion, qui est essentiellement libérale ; les honnêtes gens en guerre contre la civilisation dont ils devraient diriger la marche : dans tout cela, le progrès évident, irrésistible, de l’égalité, partant de la démocratie. […] Il avait le sens des symboles, et la grandeur poétique, la plénitude morale du symbolisme chrétien l’ont saisi : à mesure que la religion du moyen âge se matérialisera, se desséchera, il pleurera cette grande ruine ; il cherchera de tous côtés les illuminés, les indépendants, les révoltés, qui ont gardé la vue de l’Idée et le contact de Dieu : il mettra en eux son amour et sa joie. Il sera toujours avec les plus effrénés chrétiens. […] Michelet assiste, avec une pitié immense, à la naissance du sentiment de la patrie dans l’âme obscure des masses populaires, pendant l’horrible guerre de Cent Ans ; il voit éclore ce sentiment dans la dévotion chrétienne et monarchique, il le voit s’incarner dans la douce voyante qui sauve la France, dans Jeanne d’Arc ; et jamais la pieuse fille n’a été mieux comprise que par ce féroce anticlérical.

296. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Ces bailliages des bords du lac, conquis par les Bernois précédemment, recouvrés depuis par le duc de Savoie, il résolut de les reconquérir définitivement à l’Église catholique et de les rattacher de tout point à la patrie, faisant œuvre à la fois de chrétien dévoué et de sujet fidèle. […] Ce qu’il disait à Mme de Chantal, il l’aurait dit également à toute âme : « Tenez voire cœur au large, ma fille ; et, pourvu que l’amour de Dieu soit votre désir, et sa gloire votre prétention, vivez toujours joyeuse et courageuse. » Si l’on ne voyait chez lui que quelques images de mauvais goût et quelques abus d’esprit, de sucre, de miel et de fleurs, on pourrait croire qu’il amollit et qu’il effémine la dévotion : en allant plus au fond et en dégageant sa pensée, les meilleurs juges ont trouvé qu’il n’en était rien, et qu’il est resté fidèle au véritable et sérieux esprit chrétien. […] Pour le chrétien, au contraire, c’est le plus grand malheur, et tout le soin de la vie entière doit être de se préparer pour cette heure suprême inconnue : Ô mon âme ! […] Les autres, ingénieuses, mais recherchées, sont empruntées aux auteurs qu’il a lus ; il veut égayer et éclairer, à l’aide d’une histoire naturelle le plus souvent fabuleuse, les vérités morales et chrétiennes qui d’elles seules se passeraient d’ornements. […] Bossuet, qui sentait si bien Rancé gravissant âprement vers les hautes cimes et les mornes sommets de l’antique pénitence, suivait également saint François de Sales dans ses riches et riantes vallées ; et, s’étendant de l’un à l’autre en esprit, il tenait en quelque sorte le milieu du royaume chrétien.

297. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Et montrant de plus, au sujet de la controverse avec Leibnitz, que Bossuet n’était entré, à aucun moment, dans l’esprit même de cet essai de conciliation chrétienne supérieure et avait prolongé, sans paraître s’en douter, un malentendu perpétuel, il se risquait à dire que cela donnait quasi raison à certains critiques délicats « qui trouvent à Bossuet l’imagination d’Homère et point d’esprit ». […] Chacun a son idéal de vie heureuse, sa maison d’Horace en perspective : pour le profond et grand chrétien, jeune ou vieillissant, il n’y avait d’autre maison que celle de mon Père. […] Malebranche aussi, tout chrétien qu’il était d’habitude et de pratique, s’est posé les grands problèmes, et a cherché à élargir l’idée un peu étroite, et trop matérielle selon lui, de la vieille métaphysique chrétienne.

298. (1864) Le roman contemporain

il doit y avoir au moins un chrétien qui se lève et qui réponde : C’est moi ! […] C’est se placer au contre-pied de la vérité que de présenter une chrétienne éclairée et fervente comme une songeuse toujours à la poursuite d’un idéal de perfection introuvable sur la terre, et qui, les chrétiens le savent bien, ne se rencontre qu’au ciel. […] Feuillet a pris l’initiative n’est plus seulement ici spiritualiste, mais chrétienne. […] Je cherche en ce moment la chrétienne et je cesse de l’apercevoir. La chrétienne est plus prudente, plus réservée, plus forte.

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