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54. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

Présenté au jeune roi, qui n’avait que six ans plus que lui, La Fare entrait dans le nouveau régime quand tout commençait et sous l’œil du maître ; il n’avait qu’à y tourner son esprit avec quelque suite pour se concilier la faveur : « J’oserais même dire que le roi eut plutôt de l’inclination que de l’éloignement pour moi ; mais j’ai reconnu dans la suite que cette impression était légère, bien que j’avoue sincèrement que j’ai contribué moi-même à l’effacer. » Doué d’un esprit fin et libre, d’un jugement élevé et pénétrant, il aima mieux être indépendant qu’attentif et flatteur, et ce n’est pas ce qu’on peut lui reprocher ; mais il devint évident par la suite qu’il prit souvent pour de l’indépendance ce qui n’était que le désir détourné de se retirer de la presse et de chercher ses aises. […] Il établit bien d’abord qu’il n’aspire point à améliorer la condition de l’homme ou la morale de la vie ; il estime que chacun a en soi, c’est-à-dire dans son tempérament, les principes du bien et du mal qu’il fait, et que les conseils de la philosophie servent de peu : « Celui-là seul est capable d’en profiter, dit-il, dont les dispositions se trouvent heureusement conformes à ces préceptes ; et l’homme qui a des dispositions contraires agit contre la raison avec plus de plaisir que l’autre n’en a de lui obéir. » Ce qu’il veut faire, c’est donc de présenter un tableau de la vie telle qu’elle est, telle qu’il l’a vue et observée : « Tous les livres ne sont que trop pleins d’idées ; il est question de présenter des objets réels, où chacun puisse se reconnaître et reconnaître les autres. » Les premiers chapitres des Mémoires de La Fare, et qui semblent ne s’y rattacher qu’à peine, tant il prend les choses de loin et dans leurs principes, sont toute sa philosophie et sa théorie physique et morale. […] En attendant il se console de ne plus servir, de ne plus prendre sa part dans le drame public qui se continue, moyennant cette réflexion que « bien que depuis trente ans il se soit fait de grandes choses en ce royaume, il ne s’y est point fait de grands hommes ni pour la guerre, ni pour le ministère : non que les talents naturels aient manqué dans tout le monde, mais parce que la Cour ne les a ni reconnus ni employés… ». […] Il nous a nommé lui-même sa passion favorite et l’a ouvertement célébrée dans des stances à Chaulieu Sur la paresse ; il attribue à cette enchanteresse plus de mérite qu’on ne peut lui en reconnaître quand on sait quelle fut son influence sur sa vie : Pour avoir secoué le joug de quelque vice, Qu’avec peu de raison l’homme s’enorgueillit ! […] Pour moi, par une longue et triste expérience, De cette illusion j’ai reconnu l’abus ; Je sais, sans me flatter d’une vaine apparence, Que c’est à mes défauts que je dois mes vertus.

55. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

On reconnaît le vrai génie à ce qu’il est assez large pour vivre au-delà du réel, et assez logique pour ne jamais errer à côté du possible. […] En d’autres termes, la série des œuvres populaires d’un groupe donné écrit l’histoire intellectuelle de ce groupe ; une littérature exprime une nation non parce que celle-ci l’a produite, mais parce que celle-ci l’a adoptée et admirée, s’y est complu et s’y est reconnue. […] Hennequin n’a fait que la part des admirations par reconnaissance de soi-même en autrui, par imitation. « L’admiration, dit-il, est formée en partie par l’adhésion, par la reconnaissance de soi-même en autrui ; or, évidemment on ne peut se reconnaître en deux types, et mieux l’on s’est reconnu en un, moins on peut se reconnaître en d’autres36. » Mais, répondrons-nous, l’admiration comme l’affection se plaît quelquefois aux contrastes ; elle va au nouveau, à ce qui nous sort de nous-mêmes. […] Si on ne se reconnaît pas tout entier dans « deux types », on peut reconnaître une partie de soi dans le premier et l’autre dans le second, l’« ange » dans tel type et la « bête » dans tel autre. […] , M. de Quatrefages reconnaît explicitement cette tendance (Unité de l’espèce humaine, p. 214).

56. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Il y a reconnu le signe même de l’évidence ; or, l’évidence étant le caractère du vrai, et notre raison seule pouvant recevoir et juger l’évidence, voilà la raison établie juge suprême du vrai et du faux. […] Voilà donc les deux natures parfaitement distinctes, et la même évidence qui fait reconnaître à Descartes l’existence du corps lui révèle l’existence de l’âme. […] L’influence de Descartes fut celle d’un homme de génie qui avait appris à chacun sa véritable nature, et, avec l’art de reconnaître et de posséder son esprit, l’art d’en faire le meilleur emploi. […] Je reconnais là pour la première fois le goût, ce sentiment de la langue de chaque sujet, commun aux écrivains du dix-septième siècle, Descartes en tête, lesquels n’étonnent guère moins par ce qu’ils rejettent de leurs discours que par ce qu’ils y reçoivent. […] Mais le premier type pur qui en a été frappé, et auquel il faudra revenir toujours pour en reconnaître les véritables traits, nous le devons à Descartes.

57. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Cette image, qui n’est jamais externée, qui rarement est reconnue, qui n’a d’ordinaire ni un objet extérieur ni un objet passé [ch. […] Qu’on ne s’étonne pas du rapprochement que nous faisons ici : nous avons déjà montré qu’externer et reconnaître sont deux faits de la même famille ; une relation analogue existe entre reconnaître et comprendre ; comprendre, n’est-ce pas reconnaître le sens des mots ? et reconnaître, n’est-ce pas comprendre qu’un état de conscience a un certain genre de signification, qu’il signifie, bien que présent, un état passé ? […] Inversement, il arrive parfois qu’un nom propre dit devant nous ne nous rappelle rien au premier moment ; puis nous reconnaissons de qui l’on a parlé ; nous reconnaissons, c’est-à-dire nous comprenons. […] Tous les exemples peuvent être réduits à ceux-là, et je fais alors comme un peintre qui, voulant représenter la figure d’un ami absent, retouche son dessin jusqu’à ce qu’il ait trouvé l’expression du visage qu’il reconnaît aussitôt. » (Législation primitive, chap. 

58. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Michelet est une puissance établie : j’y ai résisté assez longtemps, malgré ma vieille amitié pour l’homme, je capitule ; je la reconnais enfin, cette puissance, et je demande seulement de ne pas la discuter. […] L’historien reconnaît, en effet, ses bonnes intentions, sa tendre pitié pour le peuple et toutes ses vertus chrétiennes, mais il marque en même temps les étroitesses et les limites d’esprit de ce vénérable enfant, et il trouve, pour peindre le contraste de cette manière d’être individuelle avec les vertus publiques et les lumières étendues si nécessaires à un souverain, des expressions qui se fixent dans la mémoire et des couleurs qui demeurent dans les yeux. […] Il reconnut aussitôt à quel point la matière sur laquelle il allait avoir à travailler était bouillante et rebelle, d’autant plus, dangereuse qu’elle était pleine d’esprit et comme pétrie de salpêtre et de feu. […] Il est manifeste que c’est le même enfant, car on reconnaît d’abord le même air de tête ; mais il n’a autour de lui que des masques grotesques et hideux, des reptiles venimeux, comme des vipères et des serpents, des insectes, des hiboux, enfin des harpies sales, qui répandent de l’ordure de tous côtés, et qui déchirent tout avec leurs ongles crochus. […] Fénelon avait reconnu dans l’âme de son élève un coin propice à la culture virgilienne, et il s’en empara.

59. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Ils se sont montrez sur tant de théatres, que tout homme un peu lettré les reconnoît d’abord à leurs attributs. […] Ils les caracterisent à leur mode et ils leur donnent les attributs qu’ils croïent les plus propres à les faire reconnoître. […] On reconnoît les seigneurs et les femmes de condition qui l’accompagnerent ou qui la reçurent. […] Il ne sçauroit entrer dans cette composition qu’un petit nombre de figures, et les figures ne sçauroient être trop faciles à reconnoître. […] Ce char renverse dans sa course les figures étonnées des villes et des fleuves, qui formoient la frontiere des hollandois, et chaque figure se reconnoît d’abord ou par l’écu de ses armes ou par ses autres attributs.

60. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

C’était se méprendre singulièrement sur le sens et la portée de cette assimilation, dont l’objet n’est pas de ravaler les formes supérieures de l’être aux formes inférieures, mais, au contraire, de revendiquer pour les premières un degré de réalité au moins égal à celui que tout le monde reconnaît aux secondes. […] Ce que nous nous proposions était, non d’anticiper par une vue philosophique les conclusions de la science, mais simplement d’indiquer à quels signes extérieurs il est possible de reconnaître les faits dont elle doit traiter, afin que le savant sache les apercevoir là où ils sont et ne les confonde pas avec d’autres. […] Et c’est ce que nous avons reconnu nous-même être parfois nécessaire en sociologie ; car il y a des cas où le caractère de contrainte n’est pas facilement reconnaissable (voir p. 19). […] Pour qu’on puisse les utiliser, il faut que l’étude des faits sociaux ait été déjà poussée assez loin et, par suite, qu’on ait découvert quelque autre moyen préalable de les reconnaître là où ils sont. […] En vain des expériences répétées lui ont appris que cette toute-puissance, dans l’illusion de laquelle il s’entretient avec complaisance, a toujours été pour lui une cause de faiblesse ; que son empire sur les choses n’a réellement commencé qu’à partir du moment où il reconnut qu’elles ont une nature propre, et où il se résigna à apprendre d’elles ce qu’elles sont.

61. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

Elle est matière à recherches scientifiques : car il s’agit, non pas d’apprécier d’après notre goût personnel la valeur des qualités dont nous avons pu reconnaître l’existence, mais d’en découvrir l’origine. […] Si, en effet, on a reconnu dans les écrits d’un homme un style éclatant, riche en comparaisons et en métaphores, une grande fertilité de combinaisons dramatiques, une habileté remarquable à dresser en pied un être vivant ou à brosser un paysage à grands traits, déclarer après cela que cet homme est doué d’une forte imagination, c’est au fond répéter la même chose en d’autres termes. […] Qui n’est obligé de reconnaître qu’une œuvre, tout en étant le produit direct des aptitudes de l’auteur, est encore déterminée par d’autres causes, dont la recherche est précisément la fonction de l’histoire ? […] à tous les artistes, lorsqu’il s’écrie12 : Quand je vous livre mon poème, Mon cœur ne le reconnaît plus. […] On est arrivé ainsi à reléguer au rang des fables quantité de légendes qui ne peuvent plus trouver place dans le tissu serré des événements reconnus pour vrais ; puis, d’antiques mensonges une fois écartés, l’on s’est trouvé en présence d’un bon nombre de notions importantes.

62. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

Ceux qui ont vendu Joseph, les propres frères de cet homme puissant, retournent vers lui sans le reconnaître, et lui amènent le jeune Benjamin qu’il avait demandé. […] Ulysse, caché chez Eumée, se fait reconnaître à Télémaque ; il sort de la maison du pasteur, dépouille ses haillons, et, reprenant sa beauté par un coup de la baguette de Minerve, il rentre pompeusement vêtu. […] » Joseph ne pouvant plus se retenir, et parce qu’il était environné de plusieurs personnes, il commanda que l’on fît sortir tout le monde, afin que nul étranger ne fût présent, lorsqu’il se ferait reconnaître de ses frères. […] Ulysse se faisant reconnaître sous ses haillons à quelque marque naturelle, eût été plus touchant. […] Il ne faut pas oublier le chien qui court annoncer à de vieux parents le retour d’un fils chéri ; et cet autre chien qui, resté fidèle parmi des serviteurs ingrats, accomplit ses destinées, dès qu’il a reconnu son maître sous les lambeaux de l’infortune.

63. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 15, le pouvoir de l’air sur le corps humain prouvé par le caractere des nations » pp. 252-276

Quintilien dit qu’on reconnoît la patrie d’un homme au son de sa voix, comme on connoît l’alliage d’un cuivre au son qu’il rend. […] Ne reconnoît-on pas les castillans dans le portrait que Justin fait des iberiens. […] On reconnoît encore en nous la plûpart des traits que Cesar, Florus et les anciens historiens leur attribuent. […] Quoique l’Allemagne soit aujourd’hui dans un état bien different de celui où elle étoit quand Tacite la décrivit, quoiqu’elle soit remplie de villes, au lieu qu’il n’y avoit que des villages dans l’ancienne Germanie, quoique les marais et la plûpart des forêts de la Germanie aïent été changez en prairies et en terres labourables, enfin quoique la maniere de vivre et de s’habiller des germains, soient differentes par cette raison en bien des choses de la maniere de vivre et de s’habiller des allemands, on reconnoît néanmoins le génie et le caractere d’esprit des anciens germains dans les allemands d’aujourd’hui. […] Le sep de vigne transplanté de Champagne en Brie, y donne bien-tôt un vin où l’on ne reconnoît plus les qualitez de la liqueur qu’il donnoit dans son premier terroir.

64. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

Le bon sens que je vous demande, c’est la droiture de l’esprit, l’amour du vrai et le discernement pour le reconnaître. […] Viennet la déclarera admirable pour la même raison ; ils auront tort l’un et l’autre, et avec moins de préjugés, ils reconnaîtraient qu’elle n’est ni très bonne ni très mauvaise. […] Pénétré de leur mérite, il n’exigera pas que tous leur ressemblent ; mais à travers les variétés de langues, de mœurs et de génie, il reconnaîtra plus sûrement la beauté éternelle dont leurs ouvrages exposent à notre étude le portrait le plus achevé. […] L’amour-propre y trouve son compte ; on se plaît à se reconnaître un fonds d’idées que la lecture fait découvrir. […] L’esprit perd son ressort, l’imagination se fane, et quand on veut faire appel à son génie, on reconnaît avec douleur que le génie est mort ou bien malade.

65. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

À ce titre seul, nous avions reconnu le problème du temps présent, la chimère dit siècle, comme disait saint Bernard, — car les littératures font beaucoup de théories sociales, lorsque les peuples ont relâché ou brisé tous les liens sociaux, absolument comme on écrit des poétiques, lorsque le temps des poëmes épiques est passé, — et il était curieux de savoir comment le prêtre avait remué, à son tour, le problème vainement agité si longtemps par les philosophes. […] Ceux pour qui elle n’a pas le même timbre que pour nous ont bien reconnu l’homme qui s’annonçait ainsi, et tel est le secret de leur accueil et de leurs éloges ! […] Selon nous, à défaut d’autres marques, cela seul eût prouvé qu’ils le reconnaissaient pour un des leurs, c’est-à-dire pour un philosophe, malgré sa foi et son titre de prêtre — et ils avaient raison, du reste, car, malgré tout cela, il en est un ! […] Mitraud, nous le reconnaissons, en a une très déliée et très forte contre les sophistes contemporains. Ce qui lui manque, c’est donc le plus important, c’est l’intuition, l’observation, le principe net et subjuguant qui empêche de se méprendre sur la pensée d’un livre et d’un homme, et à la lueur duquel les amis se reconnaissent, — et les ennemis aussi, malgré la ruse de guerre de leurs perfides applaudissements !

66. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Plus souvent, il conserve simplement, au mépris de la logique reconnue, les espoirs de l’au-delà et les humbles joies de la terre. […] Le jour où je reconnaîtrai en toi une gêne, ce jour-là tu seras condamné sans pitié ni colère ». […] Il n’est plus la contrepartie volontairement acceptée d’un droit qui nous est reconnu, non, il existe indépendamment de tout pacte. […] À voir les faits sans parti pris on reconnaît qu’il s’en produit continuellement. […] Non seulement il a le devoir de la subir, mais c’est un « droit » qu’on lui reconnaît.

67. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Vous reconnaissez la manière dont les Allemands ont conduit la leur. […] Encore ici reconnaissez que ce sont des beautés irréductibles les unes aux autres. […] À y réfléchir, on reconnaît qu’elle lèse d’abord la librairie française. […] Ils l’ont reconnue et pratiquée, cette solidarité, pendant la guerre. […] Ne pas reconnaître la réalité, c’est proprement s’anéantir.

68. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — I »

C’est par ce moyen que vous pourrez reconnaître si une religion et une philosophie sont une véritable religion, une véritable philosophie. […] Habitué à certaines formes du passé dans lesquelles il reconnaît le caractère religieux, il ne peut se décider à admettre comme religion toute pensée qui ne se manifeste pas sous une de ces formes. Il ressemble, sous ce rapport, aux païens, qui ont toujours nié au christianisme naissant qu’il fût une religion, parce qu’il n’apparaissait sous aucune des formes reconnues. […] Ainsi il reconnaît dans l’histoire deux grandes divisions.

69. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Il suffit de lire de suite à la table des matières les titres de quelques chapitre8 pour reconnaître que les Essais de Montaigne forment un assemblage des plus lâches et comme invertébré où l’idée dominante apparaît et disparaît presque au hasard. […] On a bien vite reconnu si la rime est riche ou pauvre, si la césure est régulière ou vagabonde. […] Le ton peut être ainsi reconnu pour véhément, léger, ironique, tranchant, familier, solennel, etc. […] On reconnaîtra, je suppose, à Lamartine un style fluide et musical, tout aussi bien que l’on convient que le fer est ductile et sonore.

70. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

Il n’y a pas que les peuples qui haïssent la supériorité au nom de l’insolente égalité humaine, et qui adorent la médiocrité parce qu’ils se reconnaissent en elle… Les chefs de gouvernement sont parfois peuple par ce côté-là ! […] C’étaient assurément, l’un et l’autre, des hommes de religion et de monarchie, comme il en faudrait beaucoup aux princes, et jamais, il faut le reconnaître, l’amitié qui les unit ne prit sa source dans des natures plus profondément nobles et qui réfléchissent mieux en elles toutes les qualités accumulées de leur race. […] On n’y reconnaît pas la plume qui écrivit ce magnifique Essai sur le socialisme, qui fît croire un jour que Donoso Cortès avait du génie ! […] La Critique n’aura plus sur sa tête l’insupportable poids de ces productions sans signification et sans portée, comme, par exemple, ces Deux Diplomates, qui, par eux-mêmes, étaient, l’un beaucoup et l’autre quelque chose, et qui, victimes d’une fonction inutile, avec toutes leurs facultés, qu’il faut reconnaître, n’ont rien fait !

71. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

M. de Maistre ne reconnaît pas seulement le doigt de la Providence lorsqu’il la voit venger les bons et châtier les méchants, mais il salue et reconnaît encore ce doigt visible jusque dans le triomphe du mal et des méchants. […] « Les minutes des empires, dit-il magnifiquement, sont des années de l’homme… Quand je songe que la postérité dira peut-être : Cet ouragan ne dura que trente ans, je ne puis m’empêcher de frémir. » Au reste, pour caractériser Bonaparte et l’espèce de mission providentielle temporaire qu’il lui reconnaît, M. de Maistre ne trouve jamais que de hautes et belles paroles. […] Il ne lui reconnaît pas la marque royale dans le sens où il la conçoit ; il le trouve un homme rare, extraordinaire, épuisant volontiers à son sujet toutes les épithètes et ne lui refusant que celle de grand, « laquelle, dit-il, suppose une moralité qui lui manque ». Mais s’il fallait prononcer entre les deux erreurs, entre l’opinion de ceux qui le considèrent comme dès lors établi légitimement à l’état de dynastie, et ceux qui ne veulent voir en lui qu’un aventurier coupable, M. de Maistre trouverait que la plus fausse des deux opinions est encore la dernière : Un usurpateur qu’on arrête aujourd’hui pour le pendre demain, ne peut être comparé à un homme extraordinaire qui possède les trois quarts de l’Europe, qui s’est fait reconnaître par tous les souverains, qui a mêlé son sang à celui de trois ou quatre maisons souveraines, et qui a pris plus de capitales en quinze ans que les plus grands capitaines n’ont pris de villes en leur vie. […] Il avait tenu entre ses mains, à Milan, le livre des Considérations sur la France, et il avait pu y reconnaître en quelques minutes un esprit de race supérieure, et tel qu’il les aimait.

72. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

Chacun se reconnaît dans son image et l’intérêt qui s’attache à l’événement n’a aucun besoin de rien feindre pour être touché. […] Lorsque je rencontrai la tante et Catherine, qui m’attendaient sous la voûte de la mairie, elles me reconnurent à peine. […] Au bout de quelques instants, m’étant retourné, je vis une jeune femme pâle assise près de l’âtre, les mains croisées sur les genoux, et je reconnus Catherine. Je reconnus aussi la chambre où je venais passer de si beaux dimanches, avant de partir pour la guerre. […] » Alors, elle, tournant la tête, s’écria : « Joseph… tu me reconnais ?

73. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

Aucun de ces aveugles opérés ne sut, du premier coup, interpréter ses nouvelles sensations, décider de la situation, de la forme, de la grandeur des objets, les reconnaître. […] Elle ne reconnaissait aucune couleur. […] « Au bout de six mois, neuf mois, la sensibilité avait beaucoup augmenté, mais l’animal ne reconnaissait pas encore l’endroit où on le pinçait. […] À deux mois et demi, elle reconnaissait manifestement la direction de certains sons ; par exemple, entendant la voix de sa grand’mère, elle tournait la tête vers elle. […] Mais elle ne savait pas faire cela pour tous les objets. — Visiblement, ce qu’elle a distingué, noté dans sa mémoire, et reconnu d’abord, ce sont les voix et les visages.

74. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

C’est cet homme dont parle Pascal, qui était jeune au temps de l’antiquité, qui a pris des années depuis Pascal, qui se reconnaît dans les pensées d’un homme né trois mille ans avant lui, sous un autre ciel, dans une autre forme de société, avec d’autres dieux. […] une société quelconque d’hommes, réunis par le lien le plus grossier, ne peut pas être un seul jour sans avoir des idées générales, et sans que chacun reconnaisse confusément l’humanité dans ce qu’il voit en lui de commun avec tous. […] Ce peuple aura une littérature le jour où il reconnaîtra en lui l’humanité elle-même par la comparaison du passé, du présent et de l’avenir. […] Que la philosophie moderne ait constaté, dans les écrits des scolastiques, des notions ou des traditions fécondes, et que la théologie proprement, dite se reconnaisse dans les écrits des théologiens, je ne suis guère moins incompétent pour le nier que pour l’assurer. […] Nous en avons toutefois reconnu de naïves ébauches dans les premiers monuments de notre langue.

75. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Introduction »

Je regrette vivement que le manque d’espace me prive du plaisir de reconnaître le généreux concours que m’ont prêté un grand nombre de naturalistes dont quelques-uns me sont personnellement inconnus. […] Je n’ai point été déçu dans mon attente : dans ce cas, comme dans tous ceux qui présentent quelque perplexité, j’ai toujours dû reconnaître que l’étude des variations survenues à l’état domestique, quelque incomplète qu’elle soit, est toujours notre meilleur et notre plus sûr guide. […] Je suis pleinement convaincu que les espèces ne sont pas immuables, mais que toutes celles qui appartiennent à ce qu’on appelle le même genre, sont la postérité directe de quelque autre espèce généralement éteinte, de la même manière que les variétés reconnues d’une espèce quelconque descendent en droite ligne de cette espèce.

76. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

Avant que j’aie reconnu la différence ou la ressemblance, elles ne sont nullement représentées dans mon esprit : ces idées, quand elles m’apparaissent, sont quelque chose « d’absolument nouveau »93. […] Cette impression est facile à reconnaître, quoique impossible à définir, comme toute impression, et elle nous devient d’autant plus familière que notre vie entière est une série de changements ou de transitions plus ou moins brusques provoquant attention et appétition. […] Pour qu’il y ait perception de la ressemblance, il est nécessaire que, sous les deux différences annulées, il y ait dans la conscience un certain état semblable qu’elle retrouve et reconnaît, une pédale continue sous les accords changeants de la conscience. […] Au lieu de reconnaître simplement des objets semblables, il reconnaîtra encore le sentiment même qu’il a de la ressemblance, et il lui donnera un nom. […] Comment reconnaissons-nous que nos idées ressemblent aux réalités, ou du moins que leurs rapports ressemblent aux rapports des réalités ?

77. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

La philosophie de l’unité ne reconnaît ni l’une ni l’autre. […] La morale théologique, il faut le reconnaître, a une vertu singulière que n’a point la morale de la conscience. […] Pourtant on s’accorde à reconnaître que la conscience est l’attribut essentiel et caractéristique de l’être humain. […] C’est parce qu’il se reconnaît une force, une cause, qu’il retrouve un monde peuplé de forces et de causes réelles. […] Il a pour objet un Dieu qui, à part les attributs que lui reconnaît la raison, est l’idéal de notre nature.

78. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VI. Les localisations cérébrales »

Il faut reconnaître cependant qu’il a contribué à donner dans la science une place au principe des localisations, et que, sans avoir lui-même rien découvert, il a provoqué les recherches de ce côté ; il a attiré l’attention sur la complexité de l’organe cérébral, et l’exagération même de ses vues sur le rôle des circonvolutions a été pour quelque chose dans les études plus exactes et plus profondes qui ont été faites depuis. […] Que l’on accepte ou non cette doctrine, on est bien obligé de reconnaître que nos inclinations et nos passions sont plus ou moins liées à l’organisme. […] L’influence de l’hérédité sur les penchants est incontestable, et la religion elle-même reconnaît cette hérédité et innéité des mauvais instincts, puisque c’est principalement sur cette donnée qu’elle fonde la doctrine du péché originel. […] Le docteur Castle n’hésite pas à lui donner raison sur les points les plus importants ; il reconnaît qu’une bonne organologie suppose préalablement une psychologie bien faite, et que la psychologie elle-même ne peut se faire sans l’observation de la conscience. […] La seconde faute des phrénologues est d’avoir compliqué leur hypothèse physiologique de ce qu’ils appelaient la crânioscopie, qui consistait, comme on sait, à reconnaître et à mesurer les facultés de l’âme par l’inspection extérieure du crâne.

79. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Ils nous refuseraient volontiers le droit dont ils usent, et ne consentiraient point à dire qu’après tout chaque peuple a des sentiments qui lui sont propres, sa manière de concevoir le beau et de reconnaître la nature. […] Il faut bien qu’elle s’éveille, elle reconnaît son époux, lui tend les bras, et lui dit naturellement will you come to bed, mylord ? […] On avait reconnu qu’aucun fait ne se présente dans l’histoire, tel en tous ses détails, que la scène tragique le réclame. […] Si dans la solitude et les ténèbres, l’assassin reconnaît, entend celui que sa main a frappé, partagerai-je son illusion, moi qui ne suis que le témoin et non le complice de son forfait ? […] Il a fallu aux classiques comme aux romantiques une longue expérience pour reconnaître que l’amour, dès qu’on l’admet sur la scène, doit l’envahir toute entière, et subordonner tous les intérêts aux siens ; qu’il ne souffre autour de lui l’ambition et la politique que pour les employer à le servir.

80. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Toutes ces impressions d’une âme sympathique avec l’esprit nouveau des temps, cette croyance à une philosophie plus réelle et plus humaine, cette liberté morale reconquise, cette spontanéité reconnue, cette confiance accordée aux facultés les plus glorieuses et les plus désintéressées de notre être, toutes ces qualités et ces vues de madame de Staël, en passant dans les livres d’art qu’elle composa, leur donnèrent un tour unique, une originalité vraiment moderne, des trésors de chaleur, d’émotion et de vie, une portée immense quoique parfois hors de mesure avec la réalité. […] Ballanche, le jeune homme, qui, plein de nobles et de sincères affections, repousse d’abord le temps présent, comme incomplet et aride, qui résiste aux destinées sociales encore incertaines, et se réfugie de désespoir dans un passé chimérique ; ce jeune homme, type fidèle de bien des âmes tendres de notre âge, finit par se réconcilier avec cette société nouvelle mieux comprise, et par reconnaître, à la voix du vieillard initiateur, c’est-à-dire à la voix de la philosophie et de l’expérience, que nous sommes dans une ère de crise et de renouvellement, que ce présent qui le choque, c’est une démolition qui s’achève, une ruine qui devient plus ruine encore ; que le passé finit de mourir, et que cette harmonie qu’il regrette dans les idées et dans les choses ne peut se retrouver qu’en avançant. […] Grâce à eux, à leurs théories et à leurs travaux, l’art, qui ne se mêla pas encore au mouvement général de la société, acquit du moins, pendant cette retraite en commun, une conscience distincte et profonde de sa personnalité ; il s’éprouva lui-même, reconnut sa valeur, et trempa son instrument. […] Mais ce qu’il serait injuste de contester, c’est le développement mémorable de l’art durant ces dernières années, son affranchissement de tout servage, sa royauté intérieure bien établie et reconnue, ses conquêtes heureuses sur plusieurs points non jusque-là touchés de la réalité et de la vie, son interprétation intime de la nature, et son vol d’aigle au-dessus des plus hautes sommités de l’histoire.

81. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

Il a cité le portrait anonyme dont tout le monde, dans le temps, reconnut le modèle ; ce portrait d’une touche si ferme, si sobre et si majestueusement sévère… Il a cité l’ironique compte rendu de la première représentation de L’Écossaise, dans lequel Fréron prit dans sa main, juste comme une balance, la fange qu’on lui jetait à la figure, et pesa ce paquet de fange qui pesait trop peu pour le blesser ! […] C’est bien là une figure celtique, avec son front étroit et dur, renflé aux tempes, le profil coupant et recourbé, cette maxillaire en saillie, — l’assise solide d’un visage qui n’exprime que la force, — tout cela porté sur de hautes épaules comme en ont les hommes faits pour la guerre, et vous reconnaissez la race opiniâtre qui ne sait pas reculer, la race héroïque qui va de Beaumanoir, du combat des Trente, jusqu’à ce Georges Cadoudal qui mourut pour avoir voulu le renouveler ! […] Français comme Corneille et Racine, Fréron eut presque exclusivement la Critique française, mais pour être dans la tradition nationale du xviie  siècle et de ses mœurs, il n’en voyait pas moins, par-dessus la frontière, les qualités de l’esprit d’une race différente de la sienne, et il l’a bien prouvé pour les Anglais, à qui il reconnaît « ces cris du cœur qui pour lui sont l’expression la plus certaine du génie ». […] C’est encore de Fréron, ce trait : « Quand un vrai génie apparaît dans le monde, on le reconnaît à cette marque : tous les sots se soulèvent contre lui. » À ce compte, Fréron en est un.

82. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

Sous une fable brillante et populaire, il vient de reconnaître des événements de la vie réelle. […] Il l’avait étudiée dans son propre cœur, où ses maîtres de Port-Royal lui avaient appris à lire sans complaisance ; il l’avait reconnue dans la fatalité du théâtre antique. […] Plus d’un y reconnaît une femme aimée, la tendresse immense d’une mère, l’esprit de domination d’une épouse. […] Dans ce songe, elle s’est vue poignardée par un enfant ; au temple, elle reconnaît cet enfant dans Joas. […] Le plus grand nombre, fort heureusement, la reconnaît et l’adore.

83. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Je dis que l’esprit scientifique se reconnaît dans ces romans. […] Nous ne créons pas cette constitution, nous la reconnaissons. […] Ils reconnaissent, très jeunes, le bienfait de la tâche subie docilement. […] » Cet orgueil était légitime, et à défaut du large public, les connaisseurs l’avaient dès longtemps reconnu. […] La prose se reconnaît partout sous le rythme sans élan, — une prose minutieuse et analytique, exacte et nuancée.

84. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

. — Des qualités de corps et d’esprit de ce prince, et comment on reconnaît son image dans les écrits contemporains. — Des rapports de Louis XIV avec les écrivains. — § III. […] Cette image de grandeur que Louis XIV a comme imprimée à Versailles, je la reconnais dans tous les écrits qui ont paru sous son règne. […] Le cœur et l’esprit s’y étaient assez développés pour offrir à l’observateur ces traits généraux auxquels l’humanité se reconnaît dans tous les temps. […] Dans la part que le poète a faite à la passion de l’amour, dans ces créations de rôles de femmes, on reconnaît la séduction des exemples du roi ; dans les héros du poète, chez qui la grandeur est toujours accompagnée du naturel, on reconnaît la personne même de Louis XIV. […] Ceux qu’il avait omis ou dédaigné de prendre à partie n’eurent pas de peine à reconnaître qu’ils étaient exclus d’une poétique qui faisait aux appelés des conditions si difficiles.

85. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

En ses plus sombres moments, il reconnaît « qu’il y a peut-être autant de vérités parmi les hommes que d’erreurs, autant de bonnes qualités que de mauvaises, autant de plaisirs que de peines : mais nous n’accusons que nos maux ». […] Il revient en maint endroit, d’une manière détournée, sur ce qu’il y a d’étroit et de gênant dans une existence privée pour « un particulier qui a l’esprit naturellement grand. » On reconnaît à ces retours et à ces regrets mal étouffés l’homme qui, même en se vouant aux lettres, ne pouvait s’empêcher de penser que le cardinal de Richelieu était encore au-dessus de Milton. […] Les esprits pesants, les sophistes ne reconnaissent pas la philosophie lorsque l’éloquence la rend populaire, et qu’elle ose peindre le vrai avec des traits fiers et hardis. […] Au reste, pour se figurer la ligne de hardiesse et à la fois de modération qu’eût affectionnée et suivie Vauvenargues dans des circonstances différentes et dans les conjonctures publiques qui ont éclaté depuis, il me semble que nous n’avons qu’à le considérer en un autre lui-même, et à le reconnaître dans André Chénier. […] Il a reconnu les vices et les défauts des hommes, mais il les a reconnus avec douleur, sans cette joie maligne qui ressemble à une satisfaction et à une absolution qu’on se donne en secret, de même qu’il a maintenu les grandes lignes, les parties saines et fortes de la nature, sans cet air de jactance par lequel on semble s’exalter en soi et s’applaudir.

86. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Quand on dépouille sa personne de toutes ces drôleries anecdotiques qui sont le régal des esprits légers, et qu’on va droit à l’homme et au caractère, on s’arrête avec admiration, avec respect ; on reconnaît dès le premier instant, et à chaque pas qu’on fait avec lui ; un supérieur et un maître, ferme, sensé, pratique, actif et infatigable, inventif au fur et à mesure des besoins, pénétrant, jamais dupe, trompant le moins possible, constant dans toutes les fortunes, dominant ses affections particulières et ses passions par le sentiment patriotique et par le zèle pour la grandeur et l’utilité de sa nation ; amoureux de la gloire en la jugeant ; soigneux avec vigilance et jaloux de l’amélioration, de l’honneur et du bien-être des populations qui lui sont confiées, alors même qu’il estime peu les hommes. […] J’ai dit que le type qu’il se propose ; l’homme dont il fait dater à bon droit la grandeur de sa maison, est Frédéric-Guillaume, dit le Grand Électeur, celui qui prit en main le Brandebourg, au sortir de cette désastreuse guerre de Trente Ans « qui avait fait de l’électorat un désert affreux, où l’on ne reconnaissait les villages que par des monceaux de cendres qui empêchaient l’herbe d’y croître ». […] Tout à côté des mesures et des calculs dictés par une hardiesse prévoyante, il reconnaît ce qu’il doit à « l’occasion, cette mère des grands événements », et il est soigneux de faire en toute rencontre la part de la fortune : Ce qui contribua le plus à cette conquête, dit-il, c’était une armée qui s’était formée pendant vingt-deux ans par une admirable discipline ; et supérieure au reste du militaire de l’Europe (remarquez l’hommage à son père) ; des généraux vrais citoyens, des ministres sages et incorruptibles, et enfin un certain bonheur qui accompagne souvent la jeunesse et se refuse à l’âge avancé. […] C’est là qu’on reconnaît vraiment le philosophe et le stoïcien dans le guerrier. […] On reconnaît là un ressouvenir de Lucrèce en quelques-uns de ses plus beaux vers : « Usque adeo res humanas vis abdita quaedam… » Napoléon, entreprenant la campagne de 1812, écrivait à l’empereur Alexandre : « J’ai compris que le sort en était jeté, et que cette Providence invisible, dont je reconnais les droits et l’empire, avait décidé de cette affaire comme de tant d’autres. » C’est la même pensée ; mais il y a dans l’expression de Napoléon un éclair de plus, il y a comme un reflet mystérieux rapporté du Thabor, et que la pensée de Frédéric n’a jamais.

87. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Je puis, comme homme, n’avoir qu’une médiocre moralité ; cela ne m’empêche pas de reconnaître la valeur morale là où elle est. […] Comment expliquer alors qu’il puisse exister un système de valeurs objectives, reconnues par tous les hommes, au moins par tous les hommes d’une même civilisation ? […] Une idole est une chose très sainte et la sainteté est la valeur la plus élevée que les hommes aient jamais reconnue. […] Les hommes sont inégaux en force physique comme en talents ; et cependant nous tendons à leur reconnaître à tous une égale valeur morale. […] Or, en fait, elle est, de plus, le foyer d’une vie morale interne dont on n’a pas toujours reconnu la puissance et l’originalité.

88. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Cependant ils n’ont point de symbole arrêté ; ils n’ont encore que quelques idées vagues et incohérentes qu’ils s’efforcent de donner pour des opinions réduites en système, et quelques mots de ralliement qu’ils ne sont pas sûrs de comprendre, mais au moyen desquels ils se reconnaissent dans la foule. […] N’y aurait-il pas lieu de croire, enfin, que la querelle du romantisme est une simple dispute de mots, un pur malentendu, qui cesserait du moment que les esprits justes et sincères, de part et d’autre, après être tombés d’accord sur les principes qui semblent les diviser, seraient forcés de reconnaître la vanité des paroles qui les abusent ? […] Ce ne peut pas être là une découverte du romantisme : c’est simplement un résultat des faits, reconnu et adopté par la raison. […] Les genres ont été reconnus et fixés ; on ne peut en changer la nature, ni en augmenter le nombre : on les confond, on les accouple monstrueusement, et l’on croit en avoir créé de nouveaux. […] Du reste, quel Français, ami des lettres et de la gloire de son pays, ne s’empresserait de reconnaître que, parmi nos jeunes écrivains, parmi ceux-là mêmes que l’indiscrétion d’autrui ou leur propre faiblesse a, si je puis parler ainsi, affublés d’un sobriquet étranger, il en est plusieurs qui ont donné des preuves du talent le plus élevé, le plus brillant et le plus varié ?

89. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Pour qu’un corps constitué naisse de leur agglomération, il ne suffit pas qu’ils entrent en relations, a fortiori qu’ils se juxtaposent, il faut encore que leurs relations soient définies et réglées par une certaine communauté d’obligations reconnues, de sentiments approuvés, d’intérêts sentis. […] Toutefois il faut reconnaître que ce parallélisme est loin d’être toujours et partout aussi évident, et qu’au contraire il semble se rencontrer, dans les sociétés modernes, plus d’un cas singulièrement défavorable à notre thèse. […] « Le moujik, écrivait Herzen à Michelet, n’a connu de droits et ne s’est reconnu de devoirs que vis-à-vis de sa commune. » Entre la commune, petite démocratie patriarcale, et l’Empire, vaste autocratie bureaucratique, il n’y a pas de véritable contact212. […] Si les Droits sont si divers au moyen âge c’est que chaque pays ou chaque classe s’est fait sa loi ou plutôt sa coutume ; mais lorsqu’il est reconnu que le roi seul est « fontaine et mer de tout droit », alors la diversité s’efface, les privatæ leges sont menacées216. […] Tocqueville reconnaît, à l’encontre de Spencer, que la démocratie ne va guère sans la centralisation ; mais il rappelle aussi que la liberté peut perdre, à cette centralisation, tout ce que l’égalité peut gagner. — Par là se trouverait levée toute contradiction entre notre thèse et celle de Spencer : il peut être vrai à la fois que les sociétés unifiées, comme il le prétend, oppriment les individus, et, comme nous le prétendons, les égalisent, — puisqu’il est vrai peut-être qu’elles les oppriment pour les égaliser.

90. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Le monde, par raison et par mode, s’affranchissait de la tradition ancienne et ne reconnaissait que l’usage actuel : ainsi tout terme suranné était absolument proscrit ; il ne restait plus à la disposition de l’individu à qui il plaisait de l’utiliser. […] Comme Malherbe aussi, il ne reconnaît qu’un critérium en fait d’élocution : l’usage. Rien de plus rationnel, dès qu’on ne voit dans une langue qu’un système de signes ; la qualité essentielle d’un signe, c’est d’être reconnu par ceux qui l’emploient. […] L’exact Vaugelas lui-même reconnaissait — non sans regret — qu’on avait perdu la moitié du langage d’Amyot.

91. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXIV. Conférence sur la conférence » pp. 291-305

Comment, n’allant presque jamais au théâtre, depuis qu’après un an d’expérience quotidienne, poursuivie par devoir ou plutôt par métier, en 1888, je reconnus dès 1889 que, plus ça changeait plus c’était la même chose, que, si aux reprises du Courrier de Lyon, le régisseur, je suppose, a l’attention gracieuse de rafraîchir les scènes les plus défraîchies, pour les vaudevilles d’usage courant on néglige même ce soin ingénu, qu’on change, il est vrai sur l’affiche Boucheron en Burani, et dans la pièce Molinchart en Dupotard, mais que ces corrections nominales ne font différer en rien les produits nouveaux de l’invariable étalon déposé dans les prisons où le Palais-Royal fait travailler, — comment, avec ce parti pris évident d’indifférence aux manifestations, dramatiques, viens-je, en personnage de prologue, improviser sur cette scène mon petit solo de rhétorique ? […] Tout de même ai-je redouté que, dépourvu cette fois de l’autorité triple de l’âge, du torse et du talent, le joueur de parallèle ne parût d’une impertinence un peu vive, et, m’humiliant, j’ai reconnu qu’il fallait, pour risquer de si joyeux paradoxes, une réputation plus avérée de robuste bon sens. […] Ce n’est pas ce que nous concevons le mieux qui nous doit intéresser davantage, il ne faut pas chercher à nous reconnaître dans ces drames ; nous risquerions d’y reconnaître du même coup, en leur influence, le fils de Dumas père, quand ce ne serait pas le père de Dumas fils.

92. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

Après avoir dit que la philosophie n’est pas faite pour les masses, on reconnaît cependant que la philosophie peut suffire à quelques-uns, et ce sont les philosophes de profession ; or je me retourne de ce côté et je dis qu’elle ne peut pas suffire même à ceux-là. […] Or, dans la pratique, il faut bien reconnaître que les apologistes chrétiens ont raison de dire que le déisme abstrait n’est pas sensiblement différent de l’athéisme. […] Peu importe d’ailleurs le nom que l’on donnerait à une telle religion, pourvu que l’on reconnaisse que c’est une religion ? […] Malheureusement, il faut le reconnaître, cette forme de christianisme qu’ont admise et rêvée les plus grands esprits, a peu de chances de succès dans notre pays.

93. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

« C’était Fantine, difficile à reconnaître. […] Mais, il faut ici le reconnaître M.  […] « — Vous ne me reconnaissez pas ? […] ceux-ci ne me reconnaissent pas ! Je voudrais que Javert fût ici ; il me reconnaîtrait, lui !

94. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

« Je ne veux pas, disait-il, en servant le public, nuire aux particuliers que j’honore. » S’il lui faut critiquer un vivant, il altère le passage où se trouve la faute, afin qu’on ne reconnaisse pas qui l’a faite. […] J’ai d’autant plus de plaisir à reconnaître la part qu’il prit à un travail utile et durable, et à trouver quelque endroit où le nom de Chapelain ne soit pas ridicule, que j’aurai plus tard à louer Boileau de la guerre qu’il lui fit dans l’intérêt de la poésie. […] On reconnaît là la superstition d’alors pour Cicéron et pour Quintilien, grands précepteurs de langue parlée, mais qui ne font pas, que je sache, à la langue écrite une obligation si étroite de cette complaisance pour l’oreille. […] Rien n’y paraît propre à l’auteur, si ce n’est peut-être une certaine douceur, de même qu’on pourrait reconnaître la marque d’Arnauld à une certaine impétuosité de style. […] Il faut une langue individuelle, et comme le don n’en a été accordé qu’à des personnes extraordinairement douées, ces personnes impriment à leurs écrits une marque qui les fait reconnaître de loin, y attire le lecteur.

95. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

Une impression qui dure constamment, sans variations, cesse de nous affecter ; mais s’il s’en produit une autre et que cette première impression revienne ensuite, alors nous le reconnaissons, nous avons conscience d’une ressemblance. C’est grâce à ce pouvoir de reconnaître le semblable dans le dissemblable, que se produit ce que nous appelons idées générales, principes. […] Ainsi dans les études d’embryologie, on reconnaît le même être à travers les différentes phases de son évolution. […] Oken dans la feuille reconnaît la plante. […] On se demande, sans doute, pourquoi l’auteur n’a point reconnu un mode particulier d’association par contraste ?

96. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

les professionnels, — de s’élever à la compréhension esthétique de l’œuvre, de reconnaître le sens intime des créations vraiment neuves. […] Quand chacun de nous se reconnaît et se retrouve dans l’œuvre d’art, c’est que celle-ci est vraie, et dès lors, elle créera l’émotion esthétique. […] Quiconque étudiera consciencieusement et sans préjugés les œuvres de Wagner devra reconnaître ce fait. […] Mais cette impossibilité ne doit pas nous empêcher de reconnaître le caractère spécifiquement musical du génie de Wagner. […] Le passage est à citer : « À quoi reconnaît-on toute décadence littéraire ?

97. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre IV. L’espace et ses trois dimensions. »

Grâce à ces définitions, on saura toujours reconnaître combien un continu physique quelconque a de dimensions. […] Nous reconnaîtrons qu’il en a six. […] Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, et bien que je sois porté à en préférer d’autres notablement plus compliquées, il est certain que nous sommes avertis de quelque façon qu’il y a quelque chose de commun entre ces sensations a + a′ et b + b′, sans quoi nous n’aurions aucun moyen de reconnaître que l’objet B a pris la place de l’objet A. […] Pour reconnaître si B occupe à l’instant β, le point occupé par A à l’instant α, je puis me servir d’une foule de critères différents ; dans l’un intervient mon œil, dans l’autre mon premier doigt, dans l’autre mon second doigt, etc. […] Les moyens dont nous disposons jusqu’ici nous permettent de reconnaître que M et M′ ne sont pas distincts dans deux cas : 1° si Σ est identique à Σ′  ; 2° si Σ′ = Σ + S + S′, S et S′ étant inverses l’une de l’autre.

98. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

A côté de cela, il y a, dans Clymène, des vers élégiaques qui sont tout à fait heureux et que je ne veux pas vous priver de connaître ou de reconnaître. […] Mais, le plus souvent, je le reconnais, ce n’est pas ainsi. […] Vous savez que cela a été imité ensuite dans un poème dont je ne veux pas dire le nom et que, par conséquent, vous reconnaîtrez tout de suite, dans un long poème de Voltaire. […] Voilà une idée qui n’est pas ordinaire, qui n’est pas très fréquente, je crois avant La Fontaine, qui est touchante, il faut le reconnaître, quelque austérité que l’on puisse affecter. La forme est exquise, et c’est (malheureusement que je le reconnais) toute une littérature qui sortira de ce vers-là : la littérature de la réhabilitation de la courtisane.

99. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

Dégénérés de leur ancien génie et de leurs propres lois, ils aimèrent, en apprenant la langue et les sciences des Grecs, à y reconnaître la trace d’eux-mêmes et l’altération continue de leur ancienne histoire. […] dans le chant du Pæan, on reconnaissait dans ces termes étrangers à l’idiome grec l’alleluia des Hébreux. […] Un d’eux a cru voir dans la République de Platon plusieurs traits distinctifs de la Cité judaïque, comme il reconnaît l’empreinte des prophètes hébreux dans l’idée que le sage Athénien se fait de Dieu et du bonheur des justes. […] Platon même n’a-t-il pas reconnu que les Grecs avaient emprunté des barbares ce qui pour lui désignait tout l’Orient, la plupart des noms ? […] Mais, loin dans l’antiquité, avant ces merveilles de la muse attique, contemporaines et toutes voisines des grandeurs du génie dorien dans Thèbes et dans Syracuse, ne peut-on pas reconnaître, à travers les obscurités et les défigurements du langage, une forme de poésie enracinée dans le cœur d’un peuple, et toute inspirée de ses périls et de ses délivrances ?

100. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

« Une grande tristesse me saisit le cœur à cet aspect, dit le Dante, car je reconnus là en suspens des âmes d’une grande nature et d’une haute vertu ! » Virgile, l’une d’entre ces âmes, est reconnu par ses pareils Gloire au souverain poète ! […] « “Mais, dis-moi : au temps de tes doux soupirs, à quoi l’amour vous accorda-t-il de reconnaître que vous vous aimiez ? […] Ils sont dans ce second regard du père, après la troisième nuit, qui interroge avec terreur le visage de ses fils, et qui reconnaît sur ces quatre suaires vivants de sa passion l’empreinte de son propre visage. […] Dante la rencontre ; elle le reconnaît.

101. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

Je ne suis pas de marbre, je suis d’argile, je le reconnais. […] Mirabeau se reconnaît seul au milieu de ces débris. […] Je reconnais que j’avais été, non pas coupable, mais téméraire et malheureux dans ce regard jeté sur l’intérieur de cette jeune reine. […] Ceux même qui l’ont conçue ne la reconnaissent plus et la désavouent. […] C’est ce que l’Histoire des Girondins fait, on le reconnaîtra à toutes ses pages.

102. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

On s’accorde à y reconnaître des périodes brillantes et des moments crépusculaires, où les artistes tâtonnent et cherchent une voie nouvelle sans la trouver. […] Pour les adeptes de l’école nouvelle, non moins commode et expéditive que l’autre, le seul principe a été de n’en reconnaître aucun. […] Sans être d’accord sur leur valeur relative, on en reconnaît un certain nombre qui valent la peine d’être interrogés. […] Comment reconnaître que telle œuvre est supérieure au point de vue de la beauté sensorielle ? […] A quels signes la reconnaîtrons-nous pour belle ?

103. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Mme de La Tour avait une amie intime dont on ignore le nom ; ces deux femmes, en lisant le roman nouveau, crurent se reconnaître, l’une dans le personnage de Claire, l’autre dans celui de Julie : elles se récrièrent d’étonnement et de plaisir. […] Ce qui décide des grands succès pour les ouvrages d’imagination, c’est lorsque la création de l’auteur est telle, qu’une foule de contemporains, à la lecture, croient aussitôt s’y reconnaître : ils s’y reconnaissent d’abord par quelques traits essentiels qui les touchent, et ils finissent par s’y modeler pour le reste. […] Elle ne se nomma point, il ne la reconnut pas. […] « En la lisant, écrivait Rousseau, le cœur m’a battu, et j’ai reconnu ma chère Marianne. » Mais cette reconnaissance lui passa vite, et déjà son cœur était trop envahi par le soupçon pour accueillir longtemps rien de doux. […] Son amour était celui de l’idéale beauté, du fantôme auquel lui-même prêtait, vie et flamme : c’était ce fantôme seul, tiré de son sein, et formé d’un ardent nuage, qu’il aimait, qu’il embrassait sans cesse, à qui il donnait chaque matin ses baisers de feu, sur qui il plaçait, en les rassemblant, ses rares souvenirs de bonheur ; et quand il se présenta une femme réelle qui eut l’orgueil de lui montrer l’objet terrestre de son idéal et de lui dire : Je suis Julie, il ne daigna point la reconnaître ; il lui en voulut presque d’avoir espéré se substituer à l’objet du divin songe.

104. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

il était né bon et juste, et Dieu lui avait donné assez pour être un bon roi, et peut-être même un assez grand roi… Qu’il y eût dans Louis XIV un premier fonds de bonté, de douceur, d’humanité, qui disparut trop souvent dans l’idolâtrie du rang suprême, Saint-Simon le reconnaît et, même en s’en étonnant, nous l’atteste ; Mme de Motteville nous le fait remarquer comme un caractère naturel du roi enfant, et plus d’une parole de Louis XIV, dans les pages sincères de sa jeunesse, nous le confirmera. […] Partout où il eût été, on l’eût distingué d’abord et reconnu comme on reconnaît « la reine parmi les abeilles ». […] Ayant reconnu « que cette liberté, cette douceur, et pour ainsi dire cette facilité de la monarchie, avait passé les justes bornes durant sa minorité et dans les troubles de l’État, et qu’elle était devenue licence, confusion, désordre », il crut devoir retrancher de cet excès en s’attachant toutefois à conserver à la monarchie son caractère humain et affectueux, à maintenir auprès de lui les personnes de qualité dans une familiarité honnête, et à rester en communication avec les peuples par des plaisirs et des spectacles conformes à leur génie. […] La pensée religieuse qui s’y joint dans son esprit ajoute plutôt qu’elle n’ôte à ce que cette maxime royale a de politiquement remarquable ; et c’est en ces parties qu’on reconnaît chez lui le véritable homme de talent dans cet art difficile de régner : La sagesse, dit-il, veut qu’en certaines rencontres on donne beaucoup au hasard ; la raison elle-même conseille alors de suivre je ne sais quels mouvements ou instincts aveugles, au-dessus de la raison, et qui semblent venir du ciel, connus à tous les hommes, et plus dignes de considération en ceux qu’il a lui-même placés aux premiers rangs. […] Et quand on lui eut nommé M. d’Andilly : « J’en suis bien aise, répliqua-t-il, mais cela ne me convient nullement. » Il prit les lettres, les déchira, et les jetant à Brienne : « Refaites-en d’autres où je parle en roi et non pas en janséniste. » — C’est cette note royale que Louis XIV donna ensuite aux Périgny et aux Pellisson, et qu’ils s’appliquèrent à observer dans les rédactions qu’il leur confia ; c’est cette marque qu’il importe aujourd’hui de retrouver avant tout et de reconnaître, sans se mettre à exalter plus que de raison tel ou tel secrétaire.

105. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

L’esprit français, à l’état d’archétype comme dans Platon, est censé présider en personne à cette Histoire ; selon qu’il se reconnaît plus ou moins dans tel ou tel écrivain qui passe, il l’approuve ou le condamne, il l’élève ou le rabaisse. Ceux que naturellement il préfère, sont ceux en qui il se reconnaît plus ressemblant. […] Lamotte a-t-il, à ce point, deux façons de dire et deux langues qu’on puisse reconnaître ? […] Nisard pour reconnaître ici plus et mieux qu’un auteur, pour sentir l’homme et son cœur tout entier dans cette page.

106. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre V. Le théâtre des Gelosi (suite) » pp. 81-102

Les amoureux reconnaissent la justesse de cette réflexion et se réconcilient. […] Il reconnaît que Silvia est d’une naissance honorable, qu’elle est fille d’un riche marchand milanais, et qu’il l’a aimée. […] Moi, je le laisserai ou je mourrai. » De même, lorsque le capitaine revient à Silvia, ils n’ont d’autres paroles à échanger entre eux que celles que prêtent à leurs personnages les auteurs des Ingannati : Regardez, messer Spavente, reconnaissez votre page, celui qui s’est fait votre serviteur si fidèle, si dévoué ; celle qui vous a aimé d’un amour si brave et si constant. […] Est-il possible que j’aie été à ce point aveugle et que je ne l’aie pas reconnue ?

107. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre III : Théorie psychologique de la matière et de l’esprit. »

Enfin, nous ne reconnaissons pas seulement des groupes fixes, mais aussi un ordre fixe dans nos sensations, un ordre de succession qui, quand l’expérience le confirme, donne naissance aux idées de cause et d’effet. […] L’auteur, qui se plaint de la façon dont sa doctrine a été reçue par ceux « dont les opinions étaient déjà faites », reconnaît que le jugement le moins défavorable a été celui des partisans de Berkeley ou de tout autre idéaliste. […] Comme tel, je reconnais au Moi, — à mon propre esprit, — une réalité différente de cette existence réelle comme possibilité permanente, qui est la seule que je reconnaisse à la matière. » Il serait injuste, après avoir lu ce qui précède, de confondre cette doctrine avec celle de Hume.

108. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

C’est d’abord un fait reconnu par les médecins les plus judicieux et les plus éclairés que l’anatomie pathologique, dans les maladies cérébrales, est pleine de pièges, de mystères, de contradictions. […] Esquirol reconnaît quatre espèces de folies : la monomanie ou délire partiel avec prédominance de gaieté, la mélancolie ou délire partiel avec prédominance de tristesse, la manie ou délire général avec excitation, la démence ou délire général avec dépression de toutes les facultés. […] Appelez ce désordre comme il vous plaira, je l’appelle une maladie, et si vous reconnaissez l’âme comme le principe qui pense et qui sent, je ne vois pas ce qui empêche de dire que l’âme est malade lorsqu’elle pense et sent d’une manière absurde40. […] On ne peut admettre une pareille conséquence, et il faut reconnaître qu’il y a des liaisons immédiates entre les faits moraux.

109. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

Quant à la seconde, il ne lui fixait aucun siège spécial, et lui-même reconnaissait que sur ce point ses travaux laissaient beaucoup à désirer63. […] Maintenant il faut reconnaître que depuis, un certain nombre de faits sont venus confirmer l’hypothèse de M.  […] Or, il faut reconnaître que les présomptions heureuses sont ici beaucoup plus nombreuses que dans les cas précédents. […] S’il est juste de reconnaître que la théorie des localisations n’a pas dit encore son dernier mot, il est permis d’affirmer qu’elle n’a produit encore aucun résultat démonstratif et scientifiquement concluant.

110. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Ils reconnaîtront un jour qu’ils exagéraient. […] Reconnaissons ce qu’il peut y avoir de générosité et de désintéressement dans leurs intransigeances. […] Et, pareillement, si la philosophie positiviste place sur terre le paradis (paradis douteux jusqu’à présent) et semble, par la négation métaphysique, laisser-libre cours à tous les instincts, l’observation lui fait bientôt reconnaître que le bonheur de tous ne peut être procuré que par un peu du sacrifice volontaire de chacun.

111. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Ghéon a reconnu que je possédais de grands dons de style. […] Il l’a reconnu. […] Il en reconnut la faiblesse.

112. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre II. Comment les nations parcourent de nouveau la carrière qu’elles ont fournie, conformément à la nature éternelle des fiefs. Que l’ancien droit politique des romains se renouvela dans le droit féodal. (Retour de l’âge héroïque.) » pp. 362-370

L’homme lige est, selon la définition des feudistes, celui qui doit reconnaître pour amis et pour ennemis tous les amis et ennemis de son seigneur. […] En effet, dès qu’une fois les plébéiens ont reconnu qu’ils sont égaux en nature aux nobles, ils ne se résignent point à leur être inférieurs sous le rapport des droits politiques, et ils obtiennent cette égalité dans l’état populaire, ou sous la monarchie. […] … Il faut plutôt que Bodin, et avec lui tous les politiques, tous les jurisconsultes, reconnaissent cette loi royale, fondée en nature sur un principe éternel ; c’est que la puissance libre d’un état, par cela même qu’elle est libre, doit en quelque sorte se réaliser.

113. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LII » pp. 203-205

Leur droit y est reconnu, et ils se contenteront de cette part qui leur est faite en toute connaissance de cause. […] Déjà à la Chambre des pairs, dans une discussion précédente à propos des fonds secrets, M. de Montalembert, de retour de l’île de Madère, avait incidemment soulevé cette question de liberté d’enseignement, et il l’avait fait avec tout le talent qu’on ne peut s’empêcher de reconnaître à cette parole arrogante et élégante.

114. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Bachelier  » pp. 147-148

Ils sont habillés comme jamais des enfants ne l’ont été ; tout cela a un air de mascarade qui fait fort mal avec [l’]air de paysage et de bergerie ; et puis des chèvres, des brebis, des chiens, des animaux, qu’on ne reconnaît point. […] Si vous causiez un instant avec lui, vous croiriez qu’elle va s’échapper et se mettre en liberté ; mais bientôt vous reconnaîtriez que les liens sont au-dessus des efforts, et qu’il faudra que cela se remue toute la vie, sans se dresser et partir.

115. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

Leur esprit politique consiste à ne reconnaître en général que des chefs élus par eux, à laisser une autorité presque arbitraire aux supériorités physiques ou morales, de sorte qu’on y voit tantôt l’anarchie de la faiblesse, quand le chef a peu de force, tantôt le despotisme d’un guerrier habile et heureux. […] Ils reconnurent qu’il appartient à l’homme d’être le juge et non le disciple passif de la nature : ils posèrent des problèmes physiques à priori, et, pour résoudre ces problèmes, ils entreprirent des expériences qu’ils dirigèrent d’après les principes que leur suggéra la raison. […] Ils ont reconnu que la raison ne conçoit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans, qu’elle doit prendre les devans avec ses propres principes, et forcer la nature de répondre à ses questions, au lieu de se laisser conduire par elle comme à la lisière. […] Où manquent ces caractères, il est aisé de reconnaître les connaissances à posteriori. […] Pour marquer plus fortement encore la différence de ces deux jugemens et les caractères auxquels on peut reconnaître chacun d’eux, liant leur impose aussi d’autres noms également significatifs.

116. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Vous reconnaîtrez qu’elles ne peuvent être de simples copies. […] Cela se reconnaît au premier coup d’œil. […] Ils seront plus vite tracés, plus vite reconnus. […] Je ne devrai reconnaître ses œuvres qu’à leur perfection. […] Ce que nous reconnaissons en elle, c’est ce qu’au fond nous voulions être.

117. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Jeu assez difficile, il faut le reconnaître, mais qui s’apprend enfin. […] Et ce qui ferait reconnaître encore (si on ne le savait) qu’il a été écrit par une femme, c’est l’aimable étourderie avec laquelle elle pille souvent, sans le savoir, les classiques du genre et invente de nouveau ce qui a été dit longtemps avant elle. […] À certains moments, ils se précipitent d’un tel train qu’on n’entend plus que leur bruit sans en concevoir le sens ; c’est assurément un défaut que mon parti pris d’extase ne saurait m’empêcher de reconnaître. […] Vous allez vous montrer là-bas à des hommes de peu d’art et de peu de littérature, qui vous comprendront mal, qui vous regarderont du même œil qu’on regarde un veau à cinq pattes, qui verront en vous l’être extravagant et bruyant, non l’artiste infiniment séduisante, et qui ne reconnaîtront que vous avez du talent que parce qu’ils payeront fort cher pour vous entendre. […] Et si vous avez le temps de vous reconnaître avant de vous enfoncer dans l’éternelle nuit, bénissez, comme M. 

118. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Tel, moins contaminé, reconnaîtra qu’il est plus modeste, plus pieux, de s’humilier, de s’avouer borné, c’est-à-dire limité à la conscience de soi-même, de ne pas prêcher par conséquent sa petite religion (ce qui est d’un orgueil inouï, quand fait défaut toute révélation), et, même pour soi, de ne pas sacrifier d’un cœur léger la rectitude de son intelligence au vagabondage de sa sensibilité ; il ne conclura pas, comme M.  […] S’il est vrai que le siècle va au socialisme, et qu’impuissants matériellement à l’orienter nous ne devons que reconnaître avec le plus de clairvoyance l’itinéraire prochain, l’enquête stricte à laquelle s’est livré M. de Wyzewa nous est à tous d’un intérêt personnel. […] À cette heure il reconnaît qu’on ne saurait égaler Racine. […] Ils reconnaissent aussi que tout phénomène justifie une loi, ce que M.  […] Toute la différence de son point de vue à celui du savant et même du vulgaire est que où l’on reconnaît : 1º des faits inexpliqués expérimentalement perçus ; 2º des lois qu’on peut dégager de l’apparence de ces faits, — le symboliste, intervertissant, discerne : 1º les vérités intuitivement sues ; 2º les faits, expressions concrètes de ces vérités, ou symboles.

119. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

On sait le prix qu’il attachait à ses travaux de naturaliste, de physicien ou de chimiste : dans l’un des entretiens avec Eckermann, il déclare qu’il donnerait tout son œuvre pour sa seule théorie des couleurs qui, depuis, a été reconnue fausse. […] Ils s’accordent sur quelques signes auxquels ils se reconnaissent ; à la vue de ces signes ils se prêtent main-forte. […] À ce geste, qui relève de l’ankylose et de l’orthopédie, des snobs se reconnurent et en s’agréant se dispensèrent, le réconfort de leur estime mutuelle. […] Molière a merveilleusement fait voir cette puérilité du moyen lorsqu’il le montre dans ses Précieuses employé du premier coup avec succès par des laquais : Mascarille et Jodelet ont à peine prononcé quelques phrases de charabia que Cathos et Madelon les reconnaissent comme des leurs, tiennent pour de grands esprits ces faux petits-maîtres et prennent meilleure opinion d’elles-mêmes parce qu’elles ont su leur plaire. […] Le snobisme a tout prendre est un Bovarysme triomphant, c’est l’ensemble des moyens employés par un être pour s’opposer il l’apparition, dans le champ de sa conscience, de son être véritable, pour y faire figurer sans cesse un personnage plus beau en lequel il se reconnaît.

120. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

» À ce mot il est reconnu et sauvé. […] Il est reconnu par sa sœur ; mais cette reconnaissance ne pouvait-elle se faire autrement ? […] Dans Mérope et dans Iphigénie en Tauride, le crime est reconnu avant d’être commis ; Mérope reconnaît son fils Égiste sur le point de l’immoler. Iphigénie reconnaît de même Oreste son frère, au moment où elle va le sacrifier.

121. (1904) Zangwill pp. 7-90

Les humanités polythéistes et mythologues, ayant, même dans l’ordre de la divinité, excellemment, éminemment le sens du parfait, du fini, de la limite, l’avaient en particulier dans l’ordre de l’humanité ; a jouter ai-je que ces humanités étaient généralement intelligentes, et qu’elles ne vivaient point sur des contrariétés intérieures sans les avoir enregistrées ; dans ces humanités l’homme était reconnu limité aux limites humaines ; et l’historien demeurait un homme. Les humanités panthéistes et généralement théistes avaient, dans l’ordre de la divinité, excellemment, éminemment le sens de l’infini, de l’absolu, du tout ; mais justement parce qu’elles avaient le sens du tout comme tout, elles avaient le sens de la modeste humanité comme étant à sa place particulière dans ce tout ; elles connaissaient les limitations de l’humanité ; elles référaient, comparaient incessamment l’humanité au reste ; et au tout ; ajouterai-je que ces humanités étaient généralement profondes, et qu’elles ne vivaient point sur des contrariétés intérieures sans les avoir connues par les profondes voies de l’instinct ; dans ces humanités l’homme était reconnu partie et limité aux limites humaines ; l’historien demeurait un homme. […] Quand l’homme se trouvait en présence de dieux avoués, qualifiés, reconnus, et pour ainsi dire notifiés, il pouvait nettement demeurer un homme ; justement parce que Dieu se nommait Dieu, l’homme pouvait se nommer homme ; que ce fussent des dieux humains ou surhumains, un Dieu Tout ou un Dieu personnel, Dieu étant mis à sa place de Dieu, notre homme pouvait demeurer à sa place d’homme ; par une ironie vraiment nouvelle, c’est justement à l’âge où l’homme croit s’être émancipé, à l’âge où l’homme croit s’être débarrassé de tous les dieux que lui-même il ne se tient plus à sa place d’homme et qu’au contraire il s’embarrasse de tous les anciens Dieux ; mangeurs de bon Dieu, c’est la formule populaire de nos démagogues anticatholiques ; ils ont eux-mêmes absorbé beaucoup plus de bons Dieux, et de mauvais Dieux, qu’ils ne le croient. […] Le processus de la civilisation est reconnu dans ses lois générales. […] Quel historien contemporain, quel petit-fils, quel petit-neveu du vieil homme ne reculera de saisissement devant de telles affirmations, devant de telles présomptions, devant cet admirable et tranquille orgueil, devant ces certitudes et ces limitations ; une humanité Dieu, si parfaitement emplie de sa mémoire totale qu’elle n’a plus rien à connaître désormais ; une humanité Dieu, arrêtée comme un Dieu dans la contemplation de sa totale connaissance, ayant si complètement, si parfaitement épuisé le détail du réel qu’elle est arrivée au bout, et qu’elle s’y tient ; qui au besoin, parmi les historiens du temps présent, ne désavouera les ambitions de l’aïeul et qui ne les traitera de chimères et d’imaginations feintes ; qui ne les reniera, car nous n’avons pas toujours le courage d’avouer nos aïeux, de déclarer nos origines, et de qui nous sommes nés, et d’où nous descendons ; les jeunes gens d’aujourd’hui ne reconnaissent pas toujours les grands ancêtres ; ce ne sont point les pères qui ne reconnaissent pas leurs fils, mais les fils qui ne reconnaissent pas leurs pères ; et comme nos politiciens bourgeois ne reconnaissent pas volontiers leurs grands ancêtres de la révolution française, ainsi nos modestes historiens ne reconnaissent pas toujours leurs grands ancêtres de la révolution mentale moderne, les innovateurs des méthodes historiques, les créateurs du monde intellectuel moderne ; et puis, depuis le temps des grands vieux, nous avons reçu de rudes avertissements ; pour deux raisons, l’une recouvrant l’autre, nul aujourd’hui n’avancerait que toute l’histoire du monde est sur le point d’aboutir, nul aujourd’hui, de tous les historiens, ne souscrirait aux anticipations aventurées, aux grandes ambitions pleines de Renan.

122. (1898) Essai sur Goethe

Vous allez, je crois, le reconnaître mieux encore. […] On reconnaîtra que le sujet choisi réalisait à peu près ces conditions. […] On reconnaît la mise en scène des dernières pages de Werther. […] Hermann Grimm, ils se seraient considérés l’un l’autre avec l’effroi de l’homme qui reconnaît son double. […] On reconnaîtra que cela est immédiatement au-dessous de rien.

123. (1914) Une année de critique

J’ai vite quitté ces mauvaises dispositions et reconnu combien M.  […] S’il faut reconnaître à Jules Renard un ancêtre littéraire, c’est celui-là. […] Reconnaissons ici le trait caractéristique du véritable romancier. […] Cela m’incline à reconnaître qu’il est marqué du signe sacré. […] Nous y reconnaissons plutôt le signe que l’analyse fut insuffisante.

124. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il reconnaît et constate un esprit d’amélioration générale et de raison moyenne qui gagne sensiblement. […] En parlant des premiers écrits de Rousseau, sa sympathie aussitôt se déclare ; il lui reconnaît, à travers ses exagérations, noblesse, élévation, éloquence, et, qui plus est, d’être un bon politique. […] Il a dit du maréchal de Saxe, sous le titre de Génie, esprit : On n’a jamais si bien reconnu les effets de l’esprit et du génie qu’à l’occasion du maréchal de Saxe ; il n’avait point l’esprit de la guerre, mais il en avait le génie. […] La matière est riche, la mine est profonde ; je n’ai fait que la sonder en quelques points et la reconnaître. […] Il ne la juge pas trop mal ni trop défavorablement ; sauf sa dévotion qu’il ne lui passe pas, il lui reconnaît des qualités solides, même de la bonté : « Enfin nous composerions bien, dil-il en concluant, pour ne voir jamais à la Cour d’autres reines ni d’autres favorites que faites comme celle-ci. » 2.

125. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Rappelons-nous que Flaubert refusait d’en médire : il reconnaissait en Despréaux un artiste, un maître qui avait égalé son exécution à son intention. […] On est revenu aujourd’hui de leur confusion, et l’on reconnaît que leur distinction est fondée en raison. […] Et c’est la nature reconnue dans leurs œuvres, qui nous ravit. […] Le siècle y reconnut son goût, un peu parce qu’il n’y remarqua que ce qui était adéquat à son goût. […] De là l’autorité qu’ils lui ont reconnue.

126. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Les paupières ont beau être closes, l’œil distingue encore la lumière de l’ombre et reconnaît même, jusqu’à un certain point, la nature de la lumière. […] Mais c’est un passé que nous pouvons ne pas reconnaître. […] Et parmi les âmes, il en est qui se reconnaissent davantage dans tels ou tels corps. […] Je reconnais d’ailleurs que les fonctions supérieures de l’intelligence se relâchent pendant le sommeil, et que, même si elle n’y est pas encouragée par le jeu incohérent des images, la faculté de raisonner s’amuse parfois alors à contrefaire le raisonnement normal. […] À l’état de veille, le souvenir visuel qui nous sert à interpréter la sensation visuelle est obligé de se poser exactement sur elle ; il en suit donc le déroulement, il occupe le même temps ; bref, la perception reconnue des événements extérieurs dure juste autant qu’eux.

127. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

Tous ceux qui faisaient partie de ces deux tiers, « véritables comédiens ambulants qui changèrent de nom et d’habit en même temps que de rôle »,lui paraissent « indignes non-seulement de gouverner, mais encore de vivre. » Il reconnaît pourtant qu’en voyant meilleure compagnie ils se sont amendés sous quelques rapports, et que, pour tout dire, « ils ont fait à peu près comme ces malheureuses femmes, qui, ramassées dans les carrefours et dans les prisons de la capitale, sont envoyées dans les colonies Étrangères, où, quoique leur jeunesse se soit écoulée dans le désordre, elles adoptent une nouvelle vie, redeviennent honnêtes, et, grâce à de nouvelles habitudes, dans une position nouvelle, sont encore des membres tolérables de la société. » Le rapprochement n’a rien de flatteur ni de délicat ; mais l’illustre baronnet n’y regarde pas de si près ; il a même tant d’affection pour ces sortes d’images, que plus tard l’arrangement du premier consul avec ses ministres lui semblera « pareil aux mariages contractés par les colons espagnols ou les boucaniers avec les malheureuses créatures envoyées pour peupler les colonies », et qu’il trouvera les moyens en un endroit de comparer, je ne sais trop pour quelle raison, M. de Talleyrand à une vivandière. […] Si, de l’anecdote des ânes, nous passons à la bataille des pyramides, nous reconnaîtrons mieux encore l’intention dénigrante et jalouse qui a dominé l’historien : « Bonaparte fit ses dispositions ; il étendit sa ligne vers la droite, de manière à la mettre hors de la portée du canon, et à n’avoir à soutenir que le choc de la  cavalerie. […] Entendu de cette façon, il nous semble que le talent fécond, brillant et pittoresque de Walter Scott, abordant le genre austère de l’histoire, a bien pu s’égarer, comme il l’a fait, à la merci de passions mesquines et de préjugés aveugles ; égarement miraculeux et de tout point incompréhensible, si l’on reconnaît à l’auteur cette intelligence profonde des époques et ce sens historique pénétrant dont on l’a jusqu’ici trop libéralement doué.

128. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

J’y reconnais la gaieté satirique de nos pères : rien n’y manque, ni le trait qui déchire, ni le jeu de mots qui assaisonne le sens, ni la pointe pour les goûts un peu grossiers. […] L’homme se reconnaît dans les hommes d’autrefois ; il agrandit sa vie en la reculant par-delà le jour où il est né, en la prolongeant par-delà les jours qu’il lui est donné de vivre. […] C’est le doute académique qui ne reconnaît que le vraisemblable, et qui, pour les points où il faut se décider immédiatement, se détermine par la coutume. C’est un goût égal pour les choses les plus contradictoires, plutôt qu’une défiance systématique ou inquiète des choses reconnues pour vraies. […] Parmi des vues d’une justesse admirable qui font de Montaigne un grand écrivain de tous les temps, il en est plus d’une où l’on reconnaît l’écrivain marqué des imperfections du sien.

129. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Dirons-nous que la santé, consistant dans un heureux développement des forces vitales, se reconnaît à la parfaite adaptation de l’organisme avec son milieu, et appellerons-nous, au contraire, maladie tout ce qui trouble cette adaptation ? […] Mais une telle preuve suppose le problème déjà résolu ; car elle n’est possible que si l’on a déterminé au préalable en quoi consiste l’état normal et, par conséquent, si l’on sait à quel signe il peut être reconnu. […] Au lieu de prétendre déterminer d’emblée les rapports de l’état normal et de son contraire avec les forces vitales, cherchons simplement quelque signe extérieur, immédiatement perceptible, mais objectif, qui nous permette de reconnaître l’un de l’autre ces deux ordres de faits. […] Une fois qu’on sait reconnaître les espèces sociales les unes des autres — nous traitons plus loin la question — il est toujours possible de trouver quelle est la forme la plus générale que présente un phénomène dans une espèce déterminée. […] S’ils expliquent cette morbidité de manières différentes, ils sont unanimes à la reconnaître.

130. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Sur le velours, à côté des gantelets et de l’armet, sont posées une statuette de Pallas et une grenade dont la tige porte encore sa feuille aiguë et sa fleur ardente. » À la magnificence du style, à ces phrases picturales, pleines, tombantes et retenues comme les plis d’une tenture, vous reconnaissez d’Annunzio. […] Peu d’hommes l’examineront sans y reconnaître quelque chose d’eux-mêmes, et sans deviner la sincérité profondément humaine du reste. […] Et vous ne reconnaissez pas au contraire la passion ordinaire, l’ardente et la déraisonnable, la violente et la folle, précisément à ce caractère de cruauté qui semble inséparable d’elle et qu’on dirait être sa punition nécessaire ? […] Mais, dès qu’il pénètre dans l’intimité de son sujet, qu’il étudie Rubens ou Rembrandt, ou Ruysdael, ou le vieil Otto Vœnius, ou Paul Potter, ou Hobbema, vous ne reconnaissez plus Fromentin. […] Tôt ou tard il reconnaîtra, en vos Maîtres d’autrefois, un chef-d’œuvre, et si vous le permettez, comme le livre est un peu gros, un peu dur, un peu spécial, pour se reposer sans vous quitter, il relira Dominique.

131. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Avant-propos » pp. 1-5

Ainsi je ne sçaurois esperer d’être approuvé, si je ne parviens point à faire reconnoître au lecteur dans mon livre ce qui se passe en lui-même, en un mot les mouvemens les plus intimes de son coeur. On n’hesite gueres à rejetter comme un miroir infidele le miroir où l’on ne se reconnoît pas.

132. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Tous les jours, elle allait chez sa grand’mère, qui lui donnait une pastille ; elle sait très bien reconnaître la boîte, insister en la montrant du doigt pour qu’on l’ouvre. […] … Les premiers objets que l’enfant ait reconnus sont ma figure, jointe au son de ma voix, et presque en même temps celle de la femme de chambre. […] Mais la première chose inanimée qu’on lui ait vu nettement reconnaître, c’est la porte de l’appartement sur l’escalier. […] Pendant des mois entiers, ç’a été pour lui un plaisir extrême et toujours neuf de reconnaître de loin et de nommer vingt fois de suite le bateau. 2º Lune. Comme sa sœur et aussi pendant des mois entiers, il était charmé de voir la lune sous toutes ses formes et à tous les points du ciel, de la reconnaître et de la nommer.

133. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

Bornons-nous pour le moment à mettre sur la représentation simple, développable en images multiples, un nom qui la fasse reconnaître — nous dirons, en faisant appel au grec, que c’est un schéma dynamique. […] Qu’est-ce que reconnaître un objet usuel sinon savoir s’en servir ? […] Mais à quel signe reconnaît-on la difficulté du travail ? […] On s’accorde à reconnaître que l’effort donne à la représentation une clarté et une distinction supérieures. […] Puisqu’il faudra toujours finir par reconnaître cette différence, pourquoi ne pas commencer par là ?

134. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Morell reconnaît devoir à Herbart ou à ses disciples, Drobisch, Waitz et Volkmann, la doctrine de l’élaboration des idées, de leur action et réaction, de leur transformation de l’état conscient à l’état inconscient, et vice versa, de leur fusion par la loi de ressemblance, de leur combinaison en groupes, en séries, etc. […] Au reste, les critiques anglais, et Bain à leur tête, viennent de reconnaître en lui « un psychologiste d’un ordre peu commun » ; et nous nous associons pleinement à leur jugement : « que ses traités sont des plus suggestifs que l’École de l’expérience ait publiés en Angleterre, dans ces dernières années. » Signalons encore M.  […] Elle reconnaît à l’esprit une spontanéité propre qui élabore et transforme les matériaux venant du dehors ; mais cette spontanéité a sa racine dans l’organisme, en particulier dans la constitution du système nerveux. […] Ils combattent les cérébralistes (Bain), qui s’appuient sur la corrélation des forces, en disant que les théories cérébrales n’expliquent pas du tout le fait de conscience ; qu’expliquer la conscience par le mécanisme, c’est expliquer ce qu’on connaît peu par ce qu’on ne connaît pas. — Ils combattent l’Associationisme en disant « que son πρώτον φενβδος c’est de ne pas reconnaître l’activité de l’esprit dans la connaissance  » ; que la théorie de l’Association n’explique bien que les processus inférieurs de l’esprit ; que dans sa théorie du raisonnement Stuart Mill est obligé d’ajouter à l’Association et « the exspectation concerning the uniformity of nature » et que Bain resorts to emotional nature to explain belief , etc., etc.

135. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

C’était là son objet unique, comme le reconnaîtront ceux de ses lecteurs qui voudront bien feuilleter les premières pages de ce premier volume. […] Il les relut, et il reconnut que, par leur réalité même, elles étaient le point d’appui incontestable et naturel de ses conclusions dans la question rhénane ; que la familiarité de certains détails, que la minutie de certaines peintures, que la personnalité de certaines impressions, étaient une évidence de plus ; que toutes ces choses vraies s’ajouteraient comme des contre-forts à la chose utile ; que, sous un certain rapport, le voyage du rêveur, empreint de caprice, et peut-être pour quelques esprits chagrins entaché de poésie, pourrait nuire à l’autorité du penseur ; mais que, d’un autre côté, en étant plus sévère, on risquait d’être moins efficace ; que l’objet de cette publication, malheureusement trop insuffisante, était de résoudre amicalement une question de haine ; et que, dans tous les cas, du moment où la pensée de l’écrivain, même la plus intime et la plus voilée, serait loyalement livrée aux lecteurs, quel que fût le résultat, lors même qu’ils n’adhéreraient pas aux conclusions du livre, à coup sûr ils croiraient aux convictions de l’auteur. — Ceci déjà serait un grand pas ; l’avenir se chargerait peut-être du reste. […] Ils n’ont d’autre objet la plupart du temps que d’éviter les redites, ou d’épargner à des tiers, à des indifférents, à des inconnus rencontrés, tantôt un blâme, tantôt une indiscrétion, tantôt l’ennui de se reconnaître. […] Il suffit d’examiner la date où ces lignes ont été écrites pour reconnaître que, s’il y avait à cette époque-là quelque chose dans l’esprit de l’auteur, c’était peut-être une prévision, ce n’était pas, à coup sûr, et ce ne pouvait être une application.

136. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Aussi, une fois que l’assemblée s’est séparée, que ces influences sociales ont cessé d’agir sur nous et que nous nous retrouvons seul avec nous-même, les sentiments par lesquels nous avons passé nous font l’effet de quelque chose d’étranger où nous ne nous reconnaissons plus. […] C’est ce qui est surtout évident de ces croyances et de ces pratiques qui nous sont transmises toutes faites par les générations antérieures ; nous les recevons et les adoptons parce que, étant à la fois une œuvre collective et une œuvre séculaire, elles sont investies d’une particulière autorité que l’éducation nous a appris à reconnaître et à respecter. […] Un fait social se reconnaît au pouvoir de coercition externe qu’il exerce ou est susceptible d’exercer sur les individus ; et la présence de ce pouvoir se reconnaît à son tour soit à l’existence de quelque sanction déterminée, soit à la résistance que le fait oppose à toute entreprise individuelle qui tend à lui faire violence.

137. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Je voudrais seulement démontrer qu’au cours des siècles, le trésor des choses auxquelles nous reconnaissons de la beauté s’enrichit, et que le caractère de beauté qui, à l’origine ou chez les peuples enfants, n’est attribué qu’à quelques spécialités, — une belle femme, une belle arme, un beau bijou, — tend invariablement à s’universaliser, jusqu’à s’appliquer au tout, en d’autres termes, que notre compréhension du monde va s’élargissant.‌ […] De cette erreur est sorti le jugement qui reconnaissait comme beaux un nombre très restreint d’objets, et comme laids tous les autres. […] L’ensemble chez eux n’est jamais harmonique, et si nous ne cachons pas notre admiration devant certains fragments, nous sommes contraints de reconnaître que l’œuvre n’est pas essentiellement nouvelle, qu’elle ne répond pas à notre conception de l’art d’aujourd’hui.‌ […] Vous reconnaissez en même temps de quel frappant caractère esthétique elle est empreinte.

138. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

En admettant que les espèces sont seulement des variétés fortement tranchées et permanentes et que chaque espèce a existé d’abord comme variété, nous pouvons comprendre pourquoi aucune ligne de démarcation n’est possible entre les espèces, qu’on suppose communément avoir été formées par autant d’actes créateurs, et les variétés, qu’on reconnaît avoir été produites par des lois secondaires. […] Mais la principale cause de notre mauvais vouloir à reconnaître qu’une espèce a donné naissance à d’autres espèces distinctes, c’est que nous répugnons toujours à admettre tout grand changement dont nous ne voyons pas les degrés intermédiaires. […] Plus tard, nous serons obligés de reconnaître que la seule distinction possible entre les espèces et les variétés bien tranchées consiste seulement en ce que l’on sait ou l’on croit les unes actuellement reliées par des degrés intermédiaires et que les autres l’ont été à une époque antérieure. […] On reconnaîtra que chaque grande formation fossilifère a dû dépendre d’un rare concours de circonstances et que les intervalles d’inactivité entre les étages successifs ont été d’une immense durée. […] On reconnaîtra plus tard que toute l’histoire du monde, telle que nous la connaissons aujourd’hui, quoique, d’une longueur incalculable pour notre esprit, n’est cependant qu’une fraction insignifiante du cours des temps, en comparaison des âges écoulés depuis que la première créature, le progéniteur d’innombrables descendants vivants et détruits, a été créé.

139. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

On reconnaît dans les chefs et les soldats des guerres médiques les fils des héros de l’Iliade ; c’est une histoire tout épique, une chronique héroïque mêlée d’anecdotes qui en redoublent l’effet moral. […] La science de l’histoire, comme la science de la nature, se reconnaît à une tendance certaine et précise, la préoccupation de la recherche des lois qui régissent la succession ou la combinaison des faits. […] Littré qu’on ne trouve parfois trop enclin à reconnaître l’autorité des faits en dépit des réclamations de sa raison si ferme et de sa conscience si difficile. […] Mais, quand l’historien l’a reconnue et constatée, doit-il la saluer avec admiration et la proposer à l’estime et à la sympathie de la conscience ? […] L’ordre se reconnaît à de tout autres caractères : à la vérité des principes, à la justice des actes, à la beauté et à la bonté des œuvres.

140. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Aussi ses rapports personnels avec Gœthe, tout en étant bons et parfaitement convenables, s’en trouvaient quelquefois un peu gênés : « Tieck, disait Gœthe à ce propos, est un talent d’une haute signification (très-significatif, c’était encore un des mots favoris de Gœthe), et personne ne peut mieux que moi reconnaître ses mérites extraordinaires ; mais si on veut l’élever au-dessus de lui-même et l’égaler à moi, on se trompe. […] Gœthe reconnaissait toutefois à Chateaubriand un grand talent et une initiative rhétorico-poétique dont l’impulsion et l’empreinte se retrouvaient assez visibles chez les jeunes poëtes venus depuis. […] Aussi, quand ils nous louent, ce n’est jamais qu’ils reconnaissent nos mérites, mais c’est seulement parce que nos idées viennent augmenter les forces de leur parti. » Il fut bientôt amené à réformer ce jugement et à le rétracter peu à peu : « Il ne faut pas, disait-il moins d’un an après (11 juin 1825), prononcer de jugement sur l’époque actuelle de la littérature française. […] Mais, si on l’interrogeait sur les vrais talents, sur Béranger, sur Mérimée, auteur dès lors du théâtre de Clara Gazul, Gœthe faisait aussitôt la distinction, et il reconnaissait en eux la vraie marque, l’originalité : « Je les excepte, disait-il : ce sont de vrais talents qui ont leur base en eux-mêmes et qui se maintiennent indépendants de la manière de penser du jour. » Avoir sa base et son fondement en soi, c’était la chose qu’il estimait le plus ; il a parlé quelque part de ces faux talents, qui n’en ont que le semblant et le premier jet : « Nous vivons dans un temps, disait-il, où il y a tant de culture répandue qu’elle s’est, pour ainsi dire, mêlée à l’atmosphère qu’un jeune homme respire. […] Cousin, Villemain, Guizot, alors dans tout l’éclat de leur enseignement, il avait les jugements les mieux fondés et les plus équitables ; il reconnaissait l’éminent mérite de tous les trois, mais il accordait particulièrement au dernier.

141. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Le 29 et le 30, dans la soirée, des attroupements plus nombreux, poussant des cris menaçants, se portèrent vers les bureaux de La Presse où M. de Girardin, entouré de quelques rédacteurs, se tenait à son poste avec ce « courage tranquille et toujours prêt » qu’il faut lui reconnaître, il reçut plus d’une députation qu’on introduisit, et qu’il parvint à calmer, à retourner même en sa faveur par la netteté et la lucidité de ses explications. […] Cabarrus ne put s’empêcher de dire à l’oreille de M. de Girardin : « Ils ne t’ont pas reconnu. » M. de Girardin lui dit : « Ce n’est pas mon affaire, présente-moi à eux… » M.  […] Le système auquel M. de Girardin a donné une netteté ingénieuse d’expression et une précision voisine de l’algèbre, et qu’il porte sur quelques points tels que le mariage 68 au-delà de ce qu’on avait exprimé encore, n’est pas nouveau d’ailleurs dans son principe ni dans la plupart de ses développements ; et lui-même reconnaît des pères et des maîtres dans les publicistes de l’école économiste ou économique, promoteurs d’un gouvernement réduit et à bon marché, Dupont de Nemours, Daunou, Tracy… et surtout Turgot. […] Sans doute, et je le reconnais avec lui, il est très-vrai en général que le lieu commun règne jusqu’au jour où il est convaincu d’avoir fait son temps et où on le détrône : on est tout étonné alors d’avoir été si longtemps dupe d’un mot, d’un préjugé. […] ici nous sommes prêts à reconnaître, nonobstant toutes les exceptions flagrantes, une tendance générale de la société et de la civilisation vers l’ordre d’idées pacifiques et économiques prêchées par M. de Girardin ; et c’est ce qui a fait dire de lui à M. de Lamartine en une parole heureuse et magnifique comme toutes ses paroles : « Chez Girardin le paradoxe, c’est la vérité vue à distance. » Mais à quelle distance ?

142. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre IV »

Jusque dans ces dernières années, le petit pays dont je vous parle était, en grande partie, peuplé par de pauvres hères au teint blafard, à l’aspect souffreteux, au corps émacié, au visage d’une pâleur caractéristique et dont les téguments étaient empâtés d’une bouffissure spéciale ; on les aurait reconnus entre mille ; il suffisait de les avoir vus une fois… »   « Pour les questions qui se rattachent à l’histoire pathologique de la lèpre, la contagion encore si controversée… l’impuissance presque absolue des moyens thérapeutiques contre cette bizarre maladie, etc., toutes ces notions ont été puisées, vous devez le penser, aux bonnes sources. […] Nous le reconnaissons volontiers. […] quand il se trouve, au bout de six semaines, en présence de sa femme, il ne la reconnaît seulement pas. […] Sans doute, il y en a chez lesquels la mémoire et toutes les facultés sont tellement abolies qu’ils ne peuvent plus reconnaître même les personnes qu’ils ont le mieux connues et le mieux aimés, ce sont les déments. […] Chose bien remarquable et qui à elle seule ferait reconnaître la fiction, le romancier est venu échouer sur le même écueil que les simulateurs ; eux aussi, afin de faire mieux croire qu’ils sont fous, multiplient les extravagances de toutes sortes dans leurs propos et dans leurs actes, sans se douter qu’ils se rendent coupables de dissonnances révélatrices et qu’il leur suffit d’afficher, au même moment, des formes de folie qui, chez les vrais malades, s’excluent mutuellement, pour montrer que chez eux la folie n’existe pas.

143. (1890) L’avenir de la science « XVI »

La pensée, en s’appliquant plus attentivement aux objets, reconnaît leur complexité et la nécessité de les étudier partie par partie. […] Le défaut du développement intellectuel de l’Allemagne, c’est l’abus de la réflexion, je veux dire l’application, faite avec conscience et délibération, à la production spontanée des lois reconnues dans les phases antérieures de la pensée. Le grand résultat de la critique historique du XIXe siècle, appliquée à l’histoire de l’esprit humain, est d’avoir reconnu le flux nécessaire des systèmes, d’avoir entrevu quelques-unes des lois d’après lesquelles ils se superposent, et la manière dont ils oscillent sans cesse vers la vérité, lorsqu’ils suivent leur cours naturel. […] On a tort de reprocher à la science de se reposer ainsi dans la diversité ; mais la science aurait tort, de son côté, si elle ne faisait ses réserves et ne reconnaissait cette diversité provisoire comme devant disparaître un jour devant une investigation plus profonde de la nature. […] Sans accepter dans toute son étendue le reproche que l’Allemagne adresse à notre patrie, de n’entendre absolument rien en religion ni en métaphysique, je 342] reconnais que le sens religieux est très faible en France, et c’est précisément pour cela que nous tenons plus que d’autres en religion à d’étroites formules excluant tout idéal.

144. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Cette terre est située au milieu d’un groupe ou d’un nœud confus de montagnes noires dont j’aperçois et dont je reconnais encore les gorges sombres avec l’émotion des jeunes souvenirs, quand je passe en chemin de fer à la station alors inconnue de Mâlins. […] Ne reconnaissez-vous pas la femme de charge qui tient les clefs de l’office ? […] À ce geste Ménélas reconnaît le fils d’Ulysse. » — « N’est-ce pas, nous dit notre mère, le geste de la pauvre orpheline du village à qui je demandais, l’autre jour, des nouvelles de sa mère dont j’ignorais la mort ? […] Les chiens, qui n’avaient pas connu Ulysse, parti avant leur naissance, le reconnaissent et le flattent. […] Nous fondîmes en larmes quand la chaste Pénélope, ne se fiant pas à ses yeux, exige, avant de reconnaître son époux et son roi, qu’il lui décrive le lit conjugal, renfermé dans les appartements secrets, et que lui seul peut connaître, s’il est véritablement Ulysse.

145. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Je reconnais dans les plans de gouvernement de Fénelon, à l’époque des désastres de Ramillies et de Malplaquet, la tradition du chimérique des idéologues de 1814. […] Vous le reconnaîtrez dans ce désir d’une perfection impossible, dans cette prodigieuse multiplicité de prescriptions qui n’enfantent que les vains efforts et les scrupules. […] je reconnais là le chrétien, l’évêque, qui ne veut pas qu’on se serve du vice, même pour les besoins de l’État. […] A cette double marque on reconnaît les écrivains des époques de décadence. […] Parce qu’il s’y est reconnu.

146. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Au lieu de voir en son auteur un chercheur de scandales, il faut donc reconnaître en lui un artiste sincère et convaincu, qui vit la vie de ses personnages, qui, pendant qu’il les crée, ne les quitte jamais, parle comme eux. […] Ainsi, dans une autre époque, les marquis de Louis XIV voulaient rosser Molière, parce qu’ils se reconnaissaient dans ses satires. […] Il est et restera un miroir ; chacun de nous peut aller se regarder en lui et se reconnaître. […] Goujet la reconnaît, et l’on apprend avec stupéfaction que cette malheureuse est Gervaise ! […] Généralement, pourtant, ce drame tant décrié a eu l’étrange avantage de gagner la cause du roman ; on a reconnu que le livre pouvait étudier les plaies sociales ; on reconnaîtra bien une fois que le théâtre a les mêmes droits.

147. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVIII »

En revanche, si je reconnais avoir été trop sévère pour les clichés et les phrases toutes faites, je persiste néanmoins à penser qu’un style où il n’y aurait que cela ne serait pas un bon style.‌ […] M. de Gourmont lui-même reconnaît que ma tentative a du bon.

148. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 23-38

C’est à ces traits qu’on reconnoît le vrai Poëte. […] On y reconnoît par-tout, à la vérité, le même caractere de génie, comme on reconnoît la touche de Rubens à chacun de ses tableaux ; mais chaque objet y est traité avec les couleurs qui lui sont propres.

149. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

Rochefort a d’autres dons que je lui reconnais. […] Or, elle l’est… Quant à moi, je lui reconnais toutes les qualités de la plaisanterie anglaise la plus formidable, — et la sécheresse aristocratique (mon Dieu, oui ! […] elle en a peut-être d’autant plus qu’elle tranche davantage sur notre plaisanterie française, et qu’en France on aime l’accent, le ton, l’air étranger… Acéré d’ailleurs, et acéré avant tout, aiguisé sur les quatre côtés de sa lame, dès les premiers mots qu’écrivit le talent vibrant de Rochefort, quand il débuta dans la Chronique, on reconnut le petit sifflement de l’acier ou de la cravache dans la main qui les prend et qui sait s’en servir.

150. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Puis, concevez-vous la société sans aucune base reconnue ? […] J’obéissais au roi, et le roi s’appelait fils aîné de l’Église, tenait son pouvoir de ses pères, et reconnaissait le tenir de Dieu. […] Ceux-là reconnaissaient une religion que je reconnaissais aussi. […] Mais, je le reconnais, la poésie de la parole est venue fleurir dans vos ruines ; elle est venue, seule, célébrer des funérailles. […] Il suffit de rentrer en soi-même dans le silence des passions, pour reconnaître qu’il n’y a dans ce triste tableau de l’époque où nous vivons ni exagération ni mensonge.

151. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Ce sont là de graves inconvénients que bien des gens reconnaissent, et auxquels le remède semble facile. […] La législation de 1808, qui nous régit encore, n’a reconnu en matière criminelle que trois cas de révision. […] La solidarité qui lie les fils au père, on ne la reconnaît, pas ! […] On ne reconnaît ni Molière ni Corneille sous ces travestissements immondes. […] J’ai eu de la peine à le reconnaître, je 1 avoue, tel que M. 

152. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Mais le danger auquel il s’expose ne peut empêcher un homme de faire ce qu’il a reconnu comme son devoir. […] L’impossibilité de reconnaître l’objet plus soupçonné que perçu remplit de trouble et d’angoisse. […] A des degrés modérés naissent les obsessions, que la conscience reconnaît comme maladives. […] Et reconnaître et rendre cette forme idéale, continue-t-il, est la grande tâche du peintre. […] Edmond Haraucourt reconnaît clairement le but visé par les symbolistes : « Il y a un parti de mécontents et de gens pressés.

153. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Ces chefs-d’œuvre de la Grèce, en éloquence et en poésie, ne sont-ils pas reconnus de toutes les nations comme les types invariables de la perfection de l’art ? […]Reconnaître les genres qui peuvent rentrer les uns dans les autres, et devenir meilleurs par leur alliance. […] La traduction de Boileau reproduit les indications que Longin a données pour reconnaître le sublime. […] Néanmoins nous n’hésitons pas à reconnaître, d’un sentiment unanime, la supériorité des deux premiers genres traités par les auteurs les plus célèbres. […] Je n’aurais pas besoin de vous dire, s’il en était question ici, qu’elle ne reconnaît aucun prétexte qui autorise les crimes.

154. (1902) Le critique mort jeune

Tardera-t-on beaucoup à reconnaître, avec les amis des pensées ingénieuses et des styles délicats, que M.  […] Faguet, plaisamment, reconnaît de bonne grâce à son système. […] Reconnaissez celui-ci, qu’il aie plus durement traité : « C’est un parti très honnête. […] Le paysagiste et le psychologue que nous avons reconnus chez Maurice Barrès s’y expriment avec une perfection particulière. […] Après cela je ne me refuse pas à reconnaître à M. 

155. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Ils avaient reconnu la Charte ! […] Il reconnaît qu’il y en a de plus ou moins significatives. […] Ou mieux, reconnaissons qu’à leur manière, ils en servent une. […] Et tous reconnaissent pour un de leurs maîtres préférés, qui ? […] Mais est-il si difficile de reconnaître cette sincérité ?

156. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Il reconnaît une beauté coupable et dépravante en regard de la beauté purifiante et saine. […] L’auteur le reconnaît lui-même, et s’en fait gloire. […] A l’analyse on reconnaît que ce don en suppose plusieurs autres, et qu’il entraîne avec lui tout un cortège de facultés. […] Ceux qui n’ont pas reconnu chez M.  […] Nous y reconnaissons le haut-le-coeur de l’artiste devant les déformations et les trivialités.

157. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Pourquoi ne pas reconnaître plutôt que toute une portion de la jeunesse contemporaine traverse une crise ? […] On y reconnaît la grande mélancolie de la solitude de l’âme. […] Le moraliste reconnaît là l’œuvre du vice. […] Taine, pouvaient reconnaître leur théorie de l’âme humaine mise en œuvre avec une précision parfaite. […] Ni Joseph de Maistre ni Bonaparte ne reconnaîtraient en lui un fidèle.

158. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

On finit pourtant par être forcé d’y reconnaître un vrai sérieux. […] Dans son livre, le spiritualiste et le matérialiste se rencontrent, se heurtent sans se reconnaître. […] Qui ne s’est reconnu, vingt fois, cent fois, en parcourant ces pages peu flatteuses ! […] Un examen attentif fait reconnaître bien plus de substance dans le fond des pensées de ce dernier. […] Dans notre patriotisme, par exemple, que d’occasions de reconnaître un égoïsme raffiné !

159. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — II »

Si, après avoir mis en lumière l’universalité et la fatalité du mensonge bovaryque, on s’est gardé ici de formuler une évaluation pessimiste de la vie et de ses conditions, il faut reconnaître que cette même constatation de fait serait de nature à motiver un autre jugement chez l’immense foule des hommes qui vivent et assurent par leur confiance et leur ardeur les progrès de la vie. […] Il faut donc reconnaître que l’on touche ici, avec l’aspiration à la vérité, à une nouvelle croyance bovaryque d’une force extraordinaire et qui jouit dans l’esprit des hommes d’un caractère sacré.

160. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Si, au contraire, vous reconnaissez dans les sensations un rapport vague mais, significatif, à telle région plus ou moins large de l’étendue, c’est donc qu’elles ont déjà quelque chose d’extensif, et alors à quoi sert votre forme à priori ? […] C’est précisément au caractère spécifique des représentations qu’on reconnaît ce qui est acquis a posteriori, ce qui ne peut se concevoir que par expérience. […] Il faudra toujours en venir à reconnaître que, outre la sensation de couleur bleue, il y a encore un complexus de sensations particulier et distinctif qui varie selon la place des points bleus et qui nous force à mettre les uns à droite, les autres à gauche. […] Le mouvement peut avoir la vitesse d’un éclair, et il se manifeste toujours par une impression immédiate, facile à reconnaître quand on l’a connue une première fois. […] « L’enfant, naturellement, n’avait pas pu la reconnaître, mais, l’ayant touchée, elle avait dit : « C’est une main » ; et depuis, toutes les fois qu’on lui montrait une main, elle la reconnaissait tout de suite sans le secours du tact.

161. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Ce qui est poésie dans la nature physique ou morale, et ce qui n’est pas poésie, se fait reconnaître à des caractères que l’homme ne saurait définir avec précision, mais qu’il sent au premier regard et à la première impression, si la nature l’a fait poète ou simplement poétique. […] Si un navire en perdition apparaît et disparaît tour à tour sur la cime ou dans la profondeur de ses lames, on pense aux périls des hommes embarqués sur ce bâtiment, on voit d’avance les cadavres que le flot roulera le lendemain sur la grève, et que les femmes et les mères des naufragés viendront découvrir sous les algues, tremblant de reconnaître un époux, un père ou un fils. — Émotion ! […] On y reconnaît la source où la mythologie grecque puisa, en l’altérant, la fable de Proserpine. […] On reconnaît à ces fables le génie divers des philosophes ou des poètes qui les inventèrent et les firent accepter aux peuples : les Grecs, peuplades insulaires ou maritimes, faisant naître la déesse de la vie du sein des flots, les Indiens, peuples agricoles, la faisant naître du champ labouré. […] Dans son bonheur, il ne reconnaît plus d’ennemi.

162. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Plus tard je me trouvai une ou deux fois assis à côté de lui aux séances d’élection de l’Académie française ; je reconnus la même figure, mais alanguie par la souffrance et un peu assombrie par les années ; elles comptent doubles pour les hommes de plaisir. […] Puis enfin ce fut une grande estime pour l’artiste, même parmi les hommes sérieux, quand ils eurent le sang-froid et l’impartialité nécessaires pour reconnaître l’admirable doigté de cet instrumentiste, de ce guitariste si l’on veut, sur les touches neuves et capricieuses de son fragile instrument. […] Il faut reconnaître de plus que l’absence de ces trois conditions qui n’ont pas empêché la Fontaine d’être ce qu’on appelle immortel, mais qui l’ont empêché d’être moral, il faut reconnaître, disons-nous, que l’absence totale de ces trois conditions de l’homme a porté un préjudice immense au poète ; il faut reconnaître que l’absence de ces trois qualités donne à l’ensemble des œuvres de Musset quelque chose de vide, de creux, de léger dans la main, d’incohérent, de sardonique, d’éternellement jeune, et par conséquent de souvent puéril et de quelquefois licencieux qui ne satisfait pas la raison, qui ne vivifie pas le cœur autant que ses œuvres séduisent et caressent l’esprit. Enfin il faut reconnaître qu’il y a dans ces éternels enjouements, dans cette folle ironie des choses graves : amour, beauté, religion, chasteté des mœurs, dévouement à ses opinions, quelque chose qui fait une impression pénible même à l’imagination. […] Tu ne reconnaissais pour philosophe que Stendal et pour maître que Musset, et tu te targuais d’avance tous les matins des œuvres inouïes que tu couvais sur ton oreiller inspirateur entre une nuit d’orgie et une aurore de paresse !

163. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Viens, reconnais la place où ta vie était neuve, N’as-tu point de douceur, dis-moi, pauvre âme veuve, À remuer ici la cendre des jours morts ? […] Il grimpait jusqu’à la fenêtre, Il s’arrondissait en arceau ; Il semble encor nous reconnaître Comme un chien gardien d’un berceau. […] Les murs semblent reconnaître et appeler l’homme, comme l’homme reconnaît et embrasse les murs. […] Maintenant plus qu’octogénaire, il paraissait tout à fait aveugle, car il tenait une de ses mains en entonnoir sur ses yeux fixés vers le soleil, comme pour y concentrer quelque sentiment de ses rayons ; de l’autre main il palpait une à une les pierres amoncelées du petit mur à hauteur d’appui qui bordait le sentier, comme pour reconnaître la place où il se trouvait sur le chemin. […] Par exemple, quand ils m’ont une fois parlé, je les reconnais toujours au son de leur voix : la voix, c’est comme une personne dans mon oreille.

164. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

J’ai prévu même que la liberté du théâtre qui devait être un inévitable effet des événements de juillet, en enlevant tout frein à ceux qui ne reconnaissaient déjà plus les lois du savoir et de l’expérience, aiderait à violer bientôt celles de la décence et de la morale. […] J’en reviens, Monsieur, au talent poétique que je me plais à vous reconnaître dans tout autre genre que celui du théâtre ; mais comme je crois que si vous avez échoué sur la scène, c’est que vous êtes parti d’un faux principe, je crois de même que du moment où vous voudrez l’abandonner et revenir à la raison de nos pères, vous retirerez un grand avantage de votre conversion. […] Dans le cours de toute ma vie, je suis certain de n’avoir nui à aucun de mes confrères, et les succès que je puis avoir obtenus sont reconnus par eux bien légitimes. […] Au reste, Monsieur, honneur à vous qui avez acquis une telle puissance sur les comédiens, qu’ils ont reconnu publiquement qu’on pouvait par arrêt de la Cour les forcer à rejouer une pièce tombée par arrêt du public. […] Maret, maintenant duc de Bassano ; et il fut reconnu par les premiers personnages qui gouvernaient l’État, que ma pièce, dont le but était très moral, ne pouvait blesser aucun des partis qui troublaient encore la France.

165. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Au fond de toute autorité légitime, on doit retrouver son consentement ou son vote, et, dans le citoyen le plus humble, les plus hauts pouvoirs publics sont obligés de reconnaître un des membres de leur souverain. […] On est convaincu que l’homme, surtout l’homme du peuple, est naturellement sensible, affectueux, que tout de suite il est touché par les bienfaits et disposé à les reconnaître, qu’il s’attendrit à la moindre marque d’intérêt, qu’il est capable de toutes les délicatesses. […] Le nouveau contrat n’est point un pacte historique, comme la Déclaration des Droits de 1688 en Angleterre, comme la Fédération de 1579 en Hollande, conclu entre des hommes réels et vivants, admettant des situations acquises, des groupes formés et des institutions établies, rédigé pour reconnaître, préciser, garantir et compléter un droit antérieur. […] Par ces jeux, dès la première adolescence, ils sont déjà démocrates, puisque, les prix étant décernés, non par l’arbitraire des maîtres, mais par les acclamations des spectateurs, ils s’habituent à reconnaître pour souveraine la souveraine légitime, qui est la décision du peuple assemblé. […] Sans pouvoir obliger personne à les croire, il faut bannir de l’État quiconque ne les croit pas ; il faut le bannir non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir »  Prenez garde que cette profession de foi n’est point une cérémonie vaine : une inquisition nouvelle en va surveiller la sincérité. « Si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes : il a menti devant les lois. » — Je le disais bien, nous sommes au couvent.

166. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Si on éprouve de la difficulté à le croire, c’est que l’œil contribuant à produire notre notion actuelle de l’étendue, en altère beaucoup le caractère, et nous empêche de reconnaître que la notion d’étendue a été successive à l’origine. […] Les associations simultanées (ou synchroniques) prédominent chez les personnes douées d’une vive sensibilité organique ; parce que c’est un fait reconnu que toutes les sensations ou idées éprouvées, sous une impression vive, s’associent étroitement entre elles. […] Mill ne reconnaît que des causes empiriques. […] Mais dire qu’un cas de succession est nécessaire, inconditionnel, en d’autres termes, invariable dans tous les changements possibles de circonstances, n’est-ce pas reconnaître dans la causation un élément de croyance non dérivé de l’expérience ? […] Cela fait, ses déductions doivent être reconnues comme loi de conduite et on doit s’y conformer, sans estimation directe. » L’auteur que nous citons éclaircit la doctrine par une comparaison : l’astronomie a parcouru deux périodes ; l’une empirique, chez les anciens, où les phénomènes étaient prédits en gros et approximativement ; l’autre rationnelle, chez les modernes, où la loi de gravitation a permis des déterminations rigoureuses et vraiment scientifiques.

167. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

Baronnette sort de sa cachette, retrouve son ombrelle en loques, reconnaît que les ongles d’une femme du monde ont passé par là, et se pique au jeu. […] En tête, à cheval, le chef de bataillon et deux capitaines ; il reconnaît son père et ses frères, et, à un balcon du quai, sa mère agitant son mouchoir. — « Le lendemain, dans la cour du Louvre, le commandant de Thommeray assistait à l’appel de son bataillon. […] La justice est intervenue et elle a reconnu le bon droit de la femme, en lui confiant l’éducation de ses deux enfants. […] Quoi qu’il en soit, le père se fait reconnaître de son fils, avoue ses torts en les atténuant, et se déclare prêt à les réparer en rentrant dans sa famille réconciliée par un pardon réciproque. […] Merson se fera naturaliser : aussitôt reconnu citoyen du canton de Vaud, il divorcera, et madame Merson pourra se remarier légalement avec M. 

168. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

à quel signe se reconnaît-elle ? […] Sans doute il eût reconnu facilement que cette égalité n’est pas immobile, qu’elle est au contraire en progrès : c’est même ce progrès continu et insensible, ce nivellement lent des classes sociales, cette diffusion du bien-être et des lumières, c’est cet ensemble de faits qu’il appelle d’un seul mot l’égalité des conditions. […] M. de Tocqueville, dans une lettre à M. de Corcelles, se plaint « de ce que certains esprits voient dans la liberté illimitée de philosopher contre lecatholicisme une compensation suffisante à la perte des autres libertés. » J’avoue que c’est là un vilain sentiment ; mais, sans soutenir que cette liberté puisse tenir lieu de toutes les autres, au moins faut-il reconnaître que c’est une liberté, par conséquent une limite à la toute-puissance de l’État. […] Si Tocqueville a exagéré une pensée qui lui était chère, il faut reconnaître en même temps qu’il avait le sentiment le plus juste, lorsqu’il demandait à la religion et à l’Église de s’unir à la liberté au lieu de la combattre, et à la liberté de respecter la religion et l’Église au nom de ses principes mêmes ; mais il est plus facile de réconcilier les idées que les intérêts et les passions. Si nous essayons de résumer cette analyse de l’œuvre accomplie par M. de Tocqueville comme publiciste et comme philosophe, nous reconnaissons qu’il a rendu à la politique un incontestable service en lui restituant son caractère de science, qu’elle avait perdu presque entièrement dans notre siècle.

169. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Ici, nous sommes bien en présence d’une œuvre d’art, d’un art à mon avis inférieur, parce qu’il est exceptionnel et fermé, mais qu’on ne peut pas, de bonne foi, ne pas reconnaître. […] Et c’est pourquoi encore je ne puis pas lui reconnaître un droit à l’épithète de populaire, c’est-à-dire de fraternel. […] Au temps où parurent les Misérables, Louis Veuillot, après avoir fait les réserves les plus légitimes, les plus nécessaires, reconnaissait, dans le roman de Hugo, ce qu’il appelle « un souffle de justice, un souffle de foi chrétienne, et catholique par conséquent, souffle court et mêlé, mais brûlant, parfois sublime ». […] C’est l’enfance, l’âge mûr, parfois l’existence entière du héros qui passe sous nos yeux, longues périodes où il y a des chances pour que chaque lecteur reconnaisse quelque trait de sa propre histoire. […] Aimez ceux dont vous aurez à parler, car c’est la condition essentielle pour qu’ils se reconnaissent et vous suivent.

170. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

En continuant les Mémoires et en y revenant à diverses reprises, selon qu’ils se remplacent les uns les autres et qu’ils se succèdent, ils sont les premiers à reconnaître qu’ils ont excédé le dessein primitif et qu’ils se sont laissé aller à des digressions, à des prolixités involontaires. […] Or, combien que j’y reconnaisse une partie de ses défauts, et que je sois contraint de lui tenir quelquefois la main haute quand je suis en mauvaise humeur, qu’il me lâche ou qu’il s’échappe en ses fantaisies, néanmoins je ne laisse pas de l’aimer, d’en endurer, de l’estimer et de m’en bien et utilement servir, pource que d’ailleurs je reconnais que véritablement il aime ma personne, qu’il a intérêt que je vive, et désire avec passion la gloire, l’honneur et la grandeur de moi et de mon royaume ; aussi qu’il n’a rien de malin dans le cœur, a l’esprit fort industrieux et fertile en expédients, est grand ménager de mon bien ; homme fort laborieux et diligent, qui essaye de ne rien ignorer et de se rendre capable de toutes sortes d’affaires, de paix et de guerre ; qui écrit et parle assez bien, d’un style qui me plaît, pource qu’il sent son soldat et son homme d’État : bref, il faut que je vous confesse que, nonobstant toutes ses bizarreries et promptitudes, je ne trouve personne qui me console si puissamment que lui en tous mes chagrins, ennuis et fâcheries. […] Il lui reproche de manquer de vue, de conseil, et, dans de telles circonstances, de n’avoir songé qu’à sa situation privée, à ses charges et aux dédommagements qu’il pouvait exiger en se retirant : « Il est vrai, dit Richelieu, qu’on n’avait autre intention que de lui faire un pont d’or, que les grandes âmes souvent méprisent, lorsqu’en leur retraite ils peuvent eux-mêmes s’en faire un de gloire. » Richelieu eut aussi, mais par nécessité seulement, ses heures et ses années de souplesse où, bon gré mal gré, la gloire fut subordonnée à d’autres soins : quand il fut au complet et qu’il put donner toute sa mesure, reconnaissons qu’il eut autrement de généreux orgueil et de grandeur d’âme. […] Henri IV mort, Sully manque de chef ; personnage considérable, homme d’État puissant, mais, somme toute, secondaire, il s’est plu lui-même à reconnaître que, dans tout ce qu’il a exécuté et imaginé de bien, il y avait du fait de Henri IV autant et plus que du sien propre ; cet aveu l’honore, mais il a du vrai.

171. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Quand il revint en France, sur la fin de l’été de 1851, il était riche d’observations, plein de sujets, plus que jamais rompu à la science du dessinateur, capable d’oser et d’entreprendre en dehors même du champ aimable et si varié qu’on lui avait reconnu jusque là pour son domaine. […] Mais ce n’est pas tout que ce désaccord qui saute aux yeux : il faut aussi qu’il y ait du rapport ; il faut qu’après avoir souri à première vue du contraste et du changement, à la réflexion on reconnaisse et l’on se rende compte ; qu’après s’être écrié : « Ce n’est pas possible !  […] Gavarni entend si bien la physionomie humaine qu’il nous fait d’abord reconnaître la nation au visage. […] » Et à la manière dont il dit cela, on reconnaît une bouche qui a parlé allemand toute sa vie. De même, dans la mélancolie et le spleen final de Childe-Harold et d’Oswald, à ces longues figures aristocratiques plus allongées que de coutume, on reconnaît sensiblement un lord invalide à sa manière, et pas un autre.

172. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Barbey d’Aurevilly a qualifiée de dangereuse et d’immorale. ) Mais, il faut le reconnaître aussi, l’apologétique de Lacordaire n’était pas d’une extrême solidité. […] Et s’il s’agit de la révélation considérée comme un fait historique, j’ai rencontré des ecclésiastiques qui reconnaissaient que pour un esprit muni de critique et non prévenu par la grâce, il peut y avoir, à la rigueur, autant de raisons de rejeter ce fait que de l’admettre. […] Sa vie a des échos dans notre vie ; à la peinture de nos misères il reconnaît sa propre misère. […] Je voudrais pouvoir offrir à ceux qui redoutent la curiosité du prêtre dix ou douze heures de confessionnal : j’espère qu’au bout de ce temps il me demanderaient grâce et reconnaîtraient qu’il faut un sentiment moins trivial que la curiosité pour retenir le prêtre enchaîné aux fastidieuses redites de la conscience humaine. […] N’est-ce pas que je crois reconnaître dans ce signe une sorte de sacrement par lequel votre cœur vient chercher mon cœur ?

173. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Il reconnaîtrait lui-même, si on le pressait un peu, que les académiciens ne sont pas tous des imbéciles, des intrigants, ni des invalides. […] Mais je reconnais à M. Daudet (et c’est singulier d’avoir à dire une chose si simple) le droit d’éprouver ces sentiments ; je le lui reconnais avec entrain, et je suis enchanté qu’il les ait éprouvés, puisqu’il en a fait ce livre, et qu’il a su répondre si crânement, à travers deux siècles et demi, aux Sentiments de l’Académie sur le Cid par les Sentiments de Tartarin sur l’Académie. […] Ainsi tout s’arrange, dès qu’on reconnaît au Romanichel qui vit toujours secrètement dans la peau de l’ancien Petit Chose le droit d’être un Romanichel. […] Il n’est pas non plus difficile de reconnaître que l’histoire du fils se rattache à celle du père par un effet de contraste.

174. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Je reconnus que le moment de parler était arrivé, et que les vieux temps allaient revenir. » Il se rendit donc à la cour de Ghaznin, où il eut quelque peine encore à se faire remarquer du sultan ; il y parvint enfin et réussit à le charmer. […] Cependant le sultan Mahmoud avait reconnu son injustice, et il envoyait au poète les cent mille pièces d’or qu’il lui devait, avec une robe d’honneur et des paroles d’excuse. […] Voltaire n’avait pas lu assurément Ferdousi, mais il a eu la même idée, celle d’un père, dans un combat, aux prises avec son fils, et le tuant avant de le reconnaître. […] L’enfant, sentant sa force, alla fièrement demander à sa mère le nom de son père, et quand il le sut, il n’eut plus de cesse qu’il n’eût assemblé une armée pour aller combattre les Iraniens et se faire reconnaître du glorieux Roustem à ses exploits et sa bravoure. […] Toutes ces ruses de Roustem (et j’en supprime encore) tournent contre lui ; il finit par plonger un poignard dans la poitrine de son fils, et ne le reconnaît que dans l’instant suprême.

175. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Le Grand Condé l’avait reconnu au premier mot pour être de la famille. […] En sortant ils rencontrèrent l’abbé Cotin sur l’escalier, mais qui ne reconnut pas le bailli. […] Saluons et reconnaissons aujourd’hui la noble et forte harmonie du Grand Siècle. Sans Boileau, et sans Louis XIV qui reconnaissait Boileau comme son contrôleur général du Parnasse, que serait-il arrivé ? […] Il m’a toujours semblé que ceux alors qui étaient les plus ardents à invoquer l’autorité de Boileau, n’étaient pas ceux qu’il aurait le plus sûrement reconnus pour siens.

176. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

Deux idées ne sont donc vraiment contiguës que quand elles se sont produites simultanément ou en succession immédiate dans notre conscience ; et deux idées sont similaires quand elles produisent dans notre conscience des effets qu’elle reconnaît semblables. […] Et il en est ainsi même quand une idée en suggère une autre que nous reconnaissons ensuite lui être semblable. […] Ainsi s’établissent entre les voies nerveuses, comme entre les voies ferrées, des bifurcations analogues à celles où l’aiguilleur détermine la marche des trains ; la succession des idées, même de celles que nous reconnaissons ensuite pour similaires, est provoquée par la rencontre, au point de bifurcation, de deux trains d’images dans des régions continués du cerveau. […] Il obéirait, sans le remarquer, au courant qui l’entraîne ; il arriverait à telle conséquence, mais sans savoir pourquoi : il associerait des impressions similaires sans les reconnaître similaires, contiguës sans les reconnaître contiguës.

177. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Il n’a pas cette haute position de génie reconnu qui autorise le nom d’homme et fait fondre le nom de la femme dans celui-là… Si nous disons Monsieur Daniel Stern, nous sommes ridicule. […] Son histoire commencée en 1581, ne va que jusqu’en 1625, après la mort de Barneveldt ; et cette histoire que je viens de lire n’a changé en rien mon opinion sur Mme Stern en particulier, ni sur son sexe en général, à, qui je ne reconnais pas le droit, démontré par la puissance, d’écrire l’histoire. […] Tout de suite on la reconnaîtrait. On reconnaîtrait le bas-bleu, — le bas-bleu savant, — qui ne tient pas à être artiste ; qui trouve qu’il y a mieux que l’art, c’est la pensée philosophique, et qui croit l’avoir au fond de son creux, comme on a une perle au fond d’une cruche. On reconnaîtrait le bas-bleu, qui s’est beaucoup savonné au courant des Revues germaniques, et qui, trempé dans ces lavoirs, y a perdu de son azur primitif, pour y avoir séjourné trop longtemps.

178. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

comment donnerez-vous de l’enthousiasme aux hommes qui ne craignent ni n’espèrent rien de la renommée, et ne reconnaissent plus entre eux les mêmes principes pour juges des mêmes actions. […] Les barrières imposées par des convenances respectables servent, comme je l’ai dit, aux succès mêmes de l’éloquence ; mais lorsque, par condescendance pour l’injustice ou l’égoïsme, l’on est obligé de réprimer les mouvements d’une âme élevée, lorsque ce sont non seulement les faits et leur application qu’il faut éviter, mais jusqu’aux considérations générales qui pourraient offrir à la pensée tout l’ensemble des idées vraies, toute l’énergie des sentiments honnêtes, aucun homme soumis à de telles contraintes ne peut être éloquent, et l’orateur encore estimable, qui doit parler dans de telles circonstances, choisira naturellement les phrases usées, celles sur lesquelles l’expérience des passions a été déjà faite, celles qui, reconnues inoffensives, passent à travers toutes les fureurs sans les exciter. […] Pourra-t-elle encore reconnaître l’accent de la vérité ? […] Cette élévation n’ôte rien à la vivacité des sentiments, à cette ardeur si nécessaire à l’éloquence, à cette ardeur qui seule lui donne un accent, une énergie irrésistibles, un caractère de domination que les hommes reconnaissent souvent malgré eux, que souvent ils contestent, mais dont ils ne peuvent jamais se défendre.

179. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

En considérant l’insuffisance de son objet, on serait tenté d’en douter ; mais en observant la violence des mouvements qu’elle inspire, on y reconnaît tous les caractères des passions, et l’on retrouve tous les malheurs qu’elles entraînent, dans la dépendance servile où ce sentiment vous met du cercle qui vous entoure. […] La vanité règne quelquefois à l’insu même du caractère qu’elle gouverne ; jamais du moins sa puissance n’est publiquement reconnue par celui qui s’y soumet : il voudrait qu’on le crût supérieur aux succès qu’il obtient, comme à ceux qui lui sont refusés ; mais le public, dédaignant son but, et remarquant ses efforts, déprise la possession, en rendant amère la perte. […] Il est d’une naissance obscure ; il le sait, il est certain que personne ne l’ignore ; mais au lieu de dédaigner cet avantage par intérêt et par raison, il n’a qu’un but dans l’existence, c’est de vous parler des grands seigneurs avec lesquels il a passé sa vie ; il les protège, de peur d’en être protégé ; il les appelle par leur nom, tandis que leurs égaux y joignent leurs titres, et se fait reconnaître subalterne par l’inquiétude même de le paraître. […] Enfin, en France, on est entouré d’hommes, qui tous se disent le centre de cet immense tourbillon ; on est entouré d’hommes, qui tous auraient préservé la France de ses malheurs, si on les avait nommés aux premières places du gouvernement, mais qui tous, par le même sentiment, se refusent à se confier à la supériorité, à reconnaître l’ascendant du génie ou de la vertu.

180. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Brunetière, dans un remarquable morceau1, a fait voir que les lieux communs étaient la condition même de la pensée et le fondement de l’invention en littérature ; que tous les chefs-d’œuvre étaient bâtis sur des lieux communs, qui ne sont au fond que les vérités universelles, éternellement vraies et reconnues pour telles. […] Leur goût se développerait et s’affinerait, à faire ainsi la part du tempérament de l’artiste et du génie de son siècle, à reconnaître la couleur et la forme accidentelles que peut prendre une vérité universelle. […] Dans cette continuelle opposition, votre personnalité se formera, se reconnaîtra, votre esprit s’habituera à tenir tête aux pensées d’autrui, à chercher les raisons de ses jugements, à débrouiller la masse confuse de ses sentiments, à secouer le joug de la chose écrite. […] Vous nierez que la sympathie, l’admiration dont on ne peut se défendre pour Alceste aillent contre le but de l’auteur, et vous reconnaîtrez au contraire que c’est un des plus merveilleux effets du génie de Molière, d’avoir su unir dans un même caractère la sympathie et le ridicule, comme il a su associer dans don Juan la souveraine grâce et l’odieux.

181. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Et, à m’analyser moi-même, je reconnais que, sauf les rares satisfactions de malignité à découvrir des défaillances chez un camarade de lettres, agrément de mes lectures a toujours coïncidé avec la reconnaissance de leur valeur. […] Que la sévérité n’est, en aucune façon, le dénigrement ; et que, s’il convient de faire bonne guerre aux défauts, il n’est que juste de reconnaître et de signaler les qualités. […] Il s’agit de reconnaître que le critique peut être sévère sans malveillance. […] Me voici disposé à reconnaître demain, s’il le faut, qu’un livre de Barrès ou de Renard ou de Capus est déplorable.

182. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

Après avoir constaté le développement considérable que prend le rôle de cette dernière dans les civilisations plus avancées, il ajoute : « Il faut reconnaître que l’individu n’aurait pu prendre cette place dans le développement de la poésie s’il n’avait joué quelque rôle dès l’origine et si la masse avait eu, comme le voulait Grimm, une sorte de faculté créatrice42. » M.  […] Si l’on essaye de caractériser ce subjectivisme esthétique, on pourra y reconnaître les traits suivants : d’abord une tendance irrationaliste qui a pour formule esthétique l’impressionnisme. […] L’ancienne critique dogmatique, telle que la concevaient Boileau, La Harpe, Nisard ou Brunetière, la critique qui fixait des étalons moraux, sociaux, littéraires et qui reconnaissait aux œuvres plus ou moins de valeur suivant qu’elles se conformaient plus ou moins à ces étalons semble de plus en plus abandonnée. […] D’après Nietzsche, la beauté est le signe auquel se reconnaissent les nobles exemplaires humains, à un degré supérieur ces « superbes plantes tropicales, ces êtres d’élite qui pourront s’élever jusqu’à une tâche plus noble et jusqu’à une existence plus noble, semblables à cette plante grimpante d’Asie, ivre de soleil — on la nomme Sipo-matador — qui enserre un chêne de ses lianes multiples, tant qu’enfin, bien au-dessus de lui, mais appuyée sur ses branches, elle puisse développer sa couronne dans l’air libre, étalant son bonheur aux regards de tous » (Par-delà le Bien et le Mal).

183. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

» Et il relut les passages suivants : L’harmonie admirable qui règne sur la terre et dans les cieux force la raison à reconnaître une intelligence suprême qui a tout disposé avec une souveraine sagesse. […] Il ne veut point admettre une simple capacité passive parmi les facultés ou puissances efficaces, et ne reconnaît de facultés que celles qui correspondent aux différentes classes d’actions. […] Le lecteur y reconnaît l’œuvre d’un esprit très-fin, très-délicat, très-conséquent et très-net. […] C’est à cette direction imprimée aux sciences positives qu’on reconnaît les grandes découvertes philosophiques ; le centre déplacé, tout le reste s’ébranle.

184. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

En somme, le système de crédit public de Jefferson ne diffère pas de ce précepte privé, qu’il donne à l’un de ses petits-fils encore enfant : « Ne dépensez jamais votre argent avant de l’avoir dans vos mains. » Quelque médiocre valeur qu’on attribue à cette doctrine prudente d’économie domestique, appliquée au gouvernement d’un grand État, il faut reconnaître qu’elle était à la fois possible et sage pour les États-Unis d’Amérique, et qu’elle a porté ses fruits. […] Dans une lettre de février 1815, adressée à M. de La Fayette, on voit en abrégé toute l’opinion de Jefferson sur les événements de notre Révolution, avec les changements qu’y avait apportés l’expérience ; il y rétracte son ancienne idée d’un accommodement possible en 89 ; il croit reconnaître, avec M. de La Fayette, que la France de 91 était mûre pour la constitution qu’on lui avait faite, si on n’avait voulu la pousser encore plus avant, au-delà de la monarchie. […] Une foule de pensées justes et d’observations frappantes ressortent de cette Correspondance et augmentent le trésor du lecteur : « Je ne crois pas avec les La Rochefoucauld et les Montaigne que les quatorze quinzièmes des hommes soient des fripons : je crois que cette proportion doit être singulièrement restreinte en faveur de l’honnêteté commune ; mais j’ai toujours reconnu que les fripons abondent à la surface, et je ne crois pas que la proportion soit trop forte pour les classes supérieures et pour ceux qui, s’élevant au-dessus d’une multitude ignorante et abrutie, trouvent toujours moyen de se nicher dans les positions où il y a du pouvoir et du profit à acquérir. » L’expression, en maint endroit, s’anime de bonhomie et de grâce : « Cela, dit-il, en parlant de l’incandescence politique, cela peut convenir aux jeunes gens, pour qui les passions sont des jouissances ; la tranquillité est le lait des vieillards. » Le portrait que Jefferson a tracé de Washington est digne de tous deux : la beauté morale reluit dans ces lignes calmes et précises, dans cette touche solide.

185. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

Le bel Enfantin de la salle Taitbout ne se reconnaîtrait plus et ne pourrait maintenant fasciner personne ; mais quant à la Religion qu’il enseigne, elle sort du silence, qu’elle a gardé si longtemps, absolument la même qu’elle y était entrée. […] Autrefois, celui qu’on lui reconnaissait était dans sa figure, qui ne lui avait pas coûté un sou, comme dit Sterne, et qui lui avait procuré cette sublime fonction d’hiérophante saint-simonien qui ouvrait irrésistiblement les bras, en disant à la femme libre et à la chair qui se sentait : « Venez à nous !  […] Enfantin a-t-il intérieurement reconnu son maître ?

186. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Il reconnaissait les exigences d’une formule d’art. […] Imaginez-le riche d’une richesse héritée, noble d’une noblesse reconnue, sa destinée se redresse du coup. […] Je ne reconnais qu’un mot d’ordre ici-bas : Vive la vie ! […] Comme vous, je reconnais volontiers que la forme poétique est rebelle aux exigences du théâtre moderne. […] Ceux qui le connaissent l’ont déjà reconnu.

187. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre III. Partie historique de la Peinture chez les Modernes. »

L’école chrétienne a cherché un autre maître ; elle le reconnaît dans cet Artiste qui, pétrissant un peu de limon entre ses mains puissantes, prononça ces paroles : Faisons l’homme à notre image. […] Caché dans le souterrain de l’église de Saint-Jean-Baptiste, le Religieux peignit avec ses doigts mutilés le grand saint dont il était le suppliant128, digne sans doute de devenir le patron des peintres et d’être reconnu de cette famille sublime que le souffle de l’esprit ravit au-dessus des hommes.

188. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

Ils se sont reconnus et aimés dans cette âme double. […] On s’y reconnaît à peine aujourd’hui. […] Reconnaissez-vous les petites amies de Paulette, monsieur le journaliste, ces idéales jeunes filles, dont M.  […] MM. de La Vie parisienne s’y reconnaîtront aisément. […] » Ce qu’il faut reconnaître à M. 

189. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Revenons maintenant à la fonction du signe ; nous allons voir que cette fonction semble appartenir, en droit, à tous les états de conscience, sans condition d’intensité ; aussi doit-on se demander pourquoi, en fait, le sens commun ne reconnaît comme signes que les états les plus forts. […] Si quelqu’un a été le héros involontaire d’une semblable scène, il reconnaîtra sans peine dans notre analyse ce qui s’est alors passé en lui. […] Dans son ensemble, l’idée remémorée est reconnue pour être celle qui vient d’être présente à la conscience ; mais, par cela même qu’aucun de ses éléments, tout à l’heure, n’était distinct, nous ne les reconnaissons pas, si maintenant ils nous apparaissent, comme ayant été tout à l’heure explicitement contenus dans l’idée et conscients avec elle ; s’il s’agit d’éléments vraiment spécifiques, nous jugeons qu’ils font légitimement partie de l’idée, ou, si l’on veut, qu’ils en font partie de toute éternité ; nous ne jugeons pas qu’ils en faisaient partie lors de sa dernière apparition dans la conscience. […] Si, ensuite, nous parvenons à l’apercevoir et si nous fixons sur lui notre attention, le reconnaissons-nous ? […] Entre les onomatopées primitives et directes et les imitations savantes, n’y a-t-il pas lieu de reconnaître des phénomènes intermédiaires ?

190. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

A toutes les époques, il est vrai, et sans doute chez tous les peuples, le sens commun en a reconnu, sinon l’importance, du moins la réalité : un certain nombre d’expressions courantes — nous aurons l’occasion de les citer dans la suite de ce travail [ch. […] Il ne l’a pas reconnue davantage dans les phénomènes attribués par Socrate à son démon : là pourtant, elle se présentait avec un éclat et une originalité bien propres à attirer l’attention d’un philosophe. […] On s’explique ainsi comment ni Damiron ni Maine de Biran n’ont su reconnaître l’exactitude empirique du point de départ de Bonald. […] — Si Cardaillac, après avoir reconnu que la parole intérieure est constante en l’absence de la parole extérieure, la disait nécessaire dans les mêmes limites, l’inexactitude serait sans gravité. […] Et pourtant il a reconnu que la constance ne serait pas une preuve suffisante de la nécessité.

191. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Tout cela, on le reconnaîtra sans peine, est très haut — si haut que le vulgaire n’y saurait atteindre. […] On reconnaîtra que la situation était embarrassante. […] voilà le fait brutal dont il faut loyalement reconnaître la certitude. […] Et l’on reconnaîtra pourtant qu’ils n’enferment qu’une très petite partie de la réalité. […] On reconnaîtra donc que ce groupe, malgré les apparences, est assez homogène.

192. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alexandre Dumas. Mademoiselle de Belle-Isle. »

Si l’on a une vraie veine, l’important est de la développer et de la pousser un peu haut sans doute, mais avant tout de la reconnaître et de la suivre. […] Si l’invraisemblance n’avait pas eu lieu, si le duc de Richelieu avait reconnu, dès le second pas dans l’ombre, qu’il était mystifié, le troisième acte devenait tout différent, ou plutôt il n’y avait plus de troisième acte, mais seulement une dernière scène comique, un changement de tableau. […] Le moment où, écrivant au roi pour son compte, elle laisse reconnaître au duc son écriture, et répond à ses étonnements, sans cesser d’écrire, par ce brusque : Vous ne devinez pas !

193. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Il a fait de très beaux vers, remarquables par l’éclat et la sonorité… M. de Régnier a ce don de l’expression imagée et chantante où on reconnaît le poète. […] Presque personne n’eut l’élémentaire bonne foi de reconnaître que son talent est beaucoup moins simple que ne l’ont déclaré des critiques ineptes ou malveillants. […] Quand on a écrit les Poèmes anciens et romanesques, la Gardienne et ce livre : Aréthuse, beau tout entier, quand on a écrit le Vase, les Roseaux de la flûte et cette pièce : La Couronne, dans les Médailles d’argile, quand on a dressé tant de beautés souples, harmonieuses et mélancoliques, on est un grand poète ; et que d’aucuns le nient ou bien le reconnaissent, cela n’importe pas.

194. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Elle est reconnue. […] Comment le reconnaître dans cette dernière histoire, sans marquants détails personnels sur personne, et où les portraits ne sont que des lieux communs en grisaille ; dans ce livre à dix mille pieds au-dessus du niveau de la mer… et des faits, qui a la fatuité de renfermer en un demi-volume toute l’Histoire de France, depuis Mérovée jusqu’à François Ier ! […] Toute cette glace empilée n’abolit pas le goût du breuvage, facile à reconnaître, que Ranke nous a versé.

195. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

Encore une fois, tel fut alors le mérite de l’Académie, et nous voulons le reconnaître, car il y a un autre mérite que nous lui aurions souhaité et qui lui manqua… Après cet éclair de bon sens, rare à l’époque où il brilla, et qui lui fit mettre au concours une question historique dont elle discernait très bien la portée, elle retomba bientôt sous la paralysie des préjugés ambiants et l’empire de cette philosophie dont elle repoussait les dernières conséquences, il est vrai, mais dont elle acceptait les premières, comme si la roue de l’inflexible logique, une fois en branle, s’arrêtait ! […] « Bizarre manie, — dit l’auteur quelque part, — que de supposer toujours un miracle quand il s’agit de reconnaître une vertu !  […] La critique, qui exigera davantage, sera bien obligée de reconnaître que le Remède au paupérisme a pour tout mérite une consciencieuse vulgarité, et on n’expliquera son succès qu’en disant qu’il est une de ces œuvres qui reposent une Académie lasse de penser, comme madame Grant, d’apathique et de somnolente mémoire, reposait le prince de Talleyrand.

196. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

Je n’en sais qu’une seule chose, c’est qu’il est juge quelque part et que, dans ce livre de juge, je reconnais l’impartialité et l’austérité de la justice. […] En d’autres termes, il a voulu savoir si le comte de Chambord avait en lui l’esprit séculaire et chrétien de l’ancienne monarchie française, et si son éducation, ses idées et ses actes, qui ne sont encore que des paroles et des déclarations brillantes de loyauté, ne brillent pas trop aussi de cet esprit moderne inquiétant pour sa politique dans l’avenir, au cas où la France le reconnaîtrait un jour pour son roi moins pour une loyauté à laquelle elle ne se fierait peut-être pas, si elle était seule, que pour cet esprit moderne qui s’appelle, par duperie ou par trahison, « le libéralisme », mais qui n’est au fond que l’esprit même de la révolution… Recherche douloureuse, dans laquelle l’auteur du livre que voici a tenu le flambeau d’une main ferme ! Il n’a rien omis de toutes les diverses déclarations du comte de Chambord, à ses amis en particulier et à tous les Français en masse, depuis 1848 jusqu’en 1879, et il a opposé au Syllabus, dont le prince reconnaît verbalement l’autorité souveraine, des opinions et des déclarations qui en sont la négation explicite ; et non seulement il a cité en détail ces paroles, qui sont déjà des actes, mais il a prouvé qu’avec l’éducation que le dernier des rois de France a reçue il devait nécessairement les prononcer.

197. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Armand Hayem »

Armand Hayem, sans cesser d’être lui-même, et avec une habileté volontaire ou involontaire, avait étamé un miroir de la plus belle eau dans lequel messieurs des Sciences morales et politiques auraient pu se reconnaître, et dans lequel pourtant ces vieux Narcisses, à la vue trop basse, ne se sont pas reconnus. […] Sur la question à feu, en ce moment, de l’égalité entre les deux sexes, — ce ridicule préjugé physiologique et psychologique des femmes-hommes et des hommes-femmes de ce temps, — l’auteur de l’Être social (page 162) reconnaît que le jour n’est pas venu où le droit des femmes à la virilité triomphera.

198. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

un malheur si rare, parce qu’il avait, comme homme, les qualités que Boileau reconnaissait en Chapelain, est-ce une raison pour que la Critique ne porte pas un regard calme sur les œuvres qu’il a laissées, et ne demande pas à ces œuvres la justification des regrets exprimés par ceux-là qui ne disaient pas grand’chose de M.  […] Puisqu’on l’a nommé l’Henri Heine aussi bien que le Sterne du Pays Latin et que son latin, il l’apprit beaucoup dans ces deux hommes qu’il nous a vulgarisés et débraillés, je reconnais encore mieux le Heine que le Sterne, quoique cet Heine-là soit encore plus Alfred de Musset ! […] On y trouve des manières de parler comme celles-ci : Vous la reconnaîtrez à ses cheveux ardents Comme un soleil du soir qui se couche dedans   La pourpre et l’or d’un ciel d’orage.

199. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Levallois est Normand ; à cette finesse, on le reconnaîtrait. […] … Le Normand a été attiré par la plus grande gloire littéraire normande ; car lord Byron, qui se disait Normand avec orgueil, est une gloire anglaise, — mais à travers laquelle, comme à travers la langue dans laquelle il écrivit, se reconnaît l’identité de race, de cette forte race, de poésie profonde, qui va de Rollon à Corneille. […] Jules Levallois, reconnaissons-le !

200. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Je ne reconnais pas, il est vrai, sur ce talent, nouveau pour moi, les influences qui devraient y être, les traces de l’amour, toujours plus ou moins ineffaçables. […] Il a, — nous le reconnaissons, — une langue correcte et nette, du moins quand il parle en son nom, car il est parfois incorrect, nous dit-il, pour être plus réel, lorsqu’il fait parler ses personnages. […] On peut y reconnaître la dernière lie de cet esprit gaulois, déjà entaché de grossièreté vulgaire dans son plus beau temps, de cet esprit sensé et ironique qui s’étend, croit-il, à la pratique de la vie, et dont Molière fut la coupe pleine et Béranger la dernière gouttelette, car La Fontaine eut beau être Gaulois, il aima l’idéal, le divin bonhomme, et plus que Louis Tieck, il a du bleu autour de la pensée.

201. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Parvenus à cette hauteur, nous avons perdu terre, et il importe de bien reconnaître où nous en sommes ; c’est-à-dire qu’il faut reconnaître la nature de ces trois idées qui nous ont paru le fond même de la raison. […] Rentrez un moment en vous-mêmes, et vous reconnaîtrez que le moi que vous êtes est un moi limité de toutes parts par des objets étrangers. […] Une négation vaincue, essayée et reconnue impuissante, ne peut renfermer autre chose que ce que renfermait l’affirmation première. […] L’État y sera le règne de la loi absolue, fixe, immuable : à peine s’il reconnaîtra des individus. […] La philosophie moderne, en respectant l’Église, ne reconnaît que l’autorité de la raison.

202. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

C’est un bonheur de sentir profondément ce qui est beau ; c’est un honneur de savoir le reconnaître. […] Il est environné de beautés différentes, et il doit faire un ouvrage un : car telle est la loi reconnue de l’art. […] Les mêmes qui servent à le reconnaître et à le sentir. […] Ils ne le peuvent, et par là ils reconnaissent la supériorité de la parole et de la poésie. […] Tous ces noms, avec leur sens bien reconnu, sont dans toutes les langues, et constituent un fait certain et universel.

203. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

James reconnaît lui-même que l’explication n’est pas donnée. […] Quand nous reconnaissons un objet en le revoyant, par exemple une personne, il y a alternance et rythme entre deux actes : le premier acte est la séparation de l’image-souvenir d’avec la perception actuelle. […] Il faut bien toujours en venir à reconnaître, sous les représentations mêmes, quelque chose qui distingue les successives des coexistantes et, parmi les successives, la première de la seconde, la seconde de la troisième. […] En vain dira-t-on que l’on compare une sensation avec un souvenir ; si, au moment même où je revois la mer, je n’avais pas une autre image de la mer dans un autre cadre, je ne m’apercevrais pas que je vois la mer pour la seconde fois et que je la reconnais. […] Il n’accomplit pas l’opération scientifique qui consiste à comparer ces séries, a reconnaître qu’elles forment une série unique et que de même, objectivement, le cours du temps est continu, uniforme, identique pour tous les êtres.

204. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

… Mais le tonnerre s’est fait entendre, ses terribles effets sont remarqués ; les géants effrayés reconnaissent la première fois une puissance supérieure, et la nomment Jupiter ; ainsi dans les traditions de tous les peuples, Jupiter terrasse les géants. […] c’est que chaque tribu retrouvait en lui son caractère, c’est que la Grèce s’y reconnaissait, c’est qu’elle était elle-même Homère. — Pourquoi des opinions si diverses sur le temps où il vécut ? […] Enfin ses forces diminuant tous les jours, il resta quatorze mois sans parler et sans reconnaître ses propres enfants. […] « Celle du second conduit à reconnaître pour principe physique l’idée éternelle qui tire d’elle-même et crée la matière. […] J’ai dédié l’ouvrage au seigneur cardinal, parce que je l’avais promis. » L’amitié d’un simple gentilhomme, nommé Pietro Belli, fut plus utile à Vico, qui reconnut ses bienfaits en mettant une préface à sa traduction de la Siphilis de Frascator.

205. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Qu’elle se borne à relever les hauteurs, à reconnaître les signes, et à constater. […] Depuis les cinq ou six dernières années, cette disposition est manifeste dans le monde, et n’a fait que se confirmer à chaque occasion, en maint exemple grand ou petit ; mais, si elle a ses motifs que je viens de dire, ses avantages relatifs, son bon sens rapide et ses délicatesses, la disposition d’esprit que nous reconnaissons ici et que nous saluons à son heure manque pourtant trop essentiellement de doctrine, d’inspiration à soi, d’originalité et de fécondité, pour devenir le ton d’un siècle, à moins que ce siècle ne soit prédestiné avant le temps aux douces vertus négatives et au régime du déclin. […] Les services que ces hommes éclairés ont rendus en politique peuvent être reconnus, mais sont incontestablement moindres que ceux qu’ils auraient rendus à la société en restant maîtres du poste des idées, et en y ralliant par la presse ceux qui survenaient à l’aventure. […] Aux œuvres, aux hommes qui se produisent et qui ont le don de l’amuser, de le fixer un instant, il est empressé, accueillant, facile ; il offre d’abord tout ce qu’il peut offrir, une sorte d’égalité distinguée : il vous accepte, vous êtes en circulation et reconnu auprès de lui, après quoi il ne demande guère plus rien. […] Quand on ne connaissait Dante que par son vieux masque chagrin, on avait peine à y reconnaître, ce maître du sourire.

206. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Au fait, je ne connais point deux nations plus antipathiques de génie, de mœurs, de vices et de vertus, que les Anglais et les Français, avec cette différence que les premiers reconnaissent généreusement plusieurs qualités dans les derniers, tandis que ceux-ci refusent toute vertu aux autres. […] Ces sylvains solitaires veulent bien le souffrir dans leur république, à laquelle il paye un léger tribut ; tâchant ainsi de reconnaître, autant qu’il est en lui, l’hospitalité qu’on lui a donnée. […] « À l’aspect attendrissant du convolvulus, qui entoure de ses fleurs pâles quelque aune décrépit, il croit voir une jeune fille presser de ses bras d’albâtre son vieux père mourant ; l’ulex épineux, couvert de ses papillons d’or, qui présente un asile assuré aux petits des oiseaux, lui montre une puissance protectrice du faible ; dans les thyms et le calamens, qui embellissent généreusement un sol ingrat de leur verdure parfumée, il reconnaît le symbole de l’amour de la patrie. […] Ginguené, ambassadeur de la République sous le Directoire, le reconnut à peine du haut de son importance mal évanouie. […] Ces deux caractères semblèrent se reconnaître en se rencontrant ; ces deux cœurs s’attachèrent avec la force d’une révélation.

207. (1890) La fin d’un art. Conclusions esthétiques sur le théâtre pp. 7-26

Reconnaissons dès lors que la Tosca est supérieure au Cid, et Les Femmes collantes à Amphitryon, car on ne s’est jamais esclaffé à Molière comme à Gandillot, jamais désolé à Corneille comme à Sardou. […] Aussi bien cette émancipation était-elle faite depuis quelque temps en d’autres genres ; on s’était décidé à reconnaître que l’art d’agrément n’est pas synonyme de grand art ; on avait concédé que le roman littéraire n’est pas écrit « pour l’amusement des jeunes demoiselles en chemin de fer ». […] — Par contre, si, évoquant le vieux sens mythologique et liturgique, on veut désigner par ce vocable une faculté mystérieuse, une force semi-divine, un don accordé à quelques élus qu’on peut nommer et compter, je demanderai, de bonne foi, sur qui est descendue cette grâce et à quelle auréole on la reconnaît. […] Or, il est trop clair, nous ne pouvons reconnaître de génie qu’aux artistes de la première de ces catégories ; l’étymologie et la raison sont ici d’accord : le génie, c’est la faculté de créer. […] On le reconnaît volontiers : mais il est plaisant d’entendre toutes les mauvaises raisons qu’on avance.

208. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XX. La fin du théâtre » pp. 241-268

Reconnaissons dès lors que La Tosca est supérieure au Cid, et Les Femmes collantes à Amphitryon, car on ne s’est jamais esclaffé à Molière comme à Gandillot, jamais désolé à Corneille comme à Sardou. […] Aussi bien cette émancipation était-elle faite depuis quelque temps en d’autres genres ; on s’était décidé à reconnaître que l’art d’agrément n’est pas synonyme de grand art ; on avait concédé que le roman littéraire n’est pas écrit « pour l’amusement des jeunes demoiselles en chemin de fer ». […] — Par contre, si, évoquant le vieux sens mythologique et liturgique, on veut désigner par ce vocable une faculté mystérieuse, une force semi-divine, un don accordé à quelques élus qu’on peut nommer et compter, je demanderai, de bonne foi, sur qui est descendue cette grâce et à quelle auréole on la reconnaît. […] Or, il est trop clair, nous ne pouvons reconnaître de génie qu’aux artistes de la première de ces catégories ; l’étymologie et la raison sont ici d’accord : le génie, c’est la faculté de créer. […] On le reconnaît volontiers mais il est plaisant d’entendre toutes les mauvaises raisons qu’on avance.

209. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Il avait beaucoup réfléchi sur la manière de prendre les hommes dans leur propre intérêt, et il avait reconnu qu’il ne faut pas pour cela sembler trop certain et trop assuré de son opinion ; les hommes agréent plus aisément et consentent mieux à recevoir de vous ce qu’ils peuvent croire avoir trouvé en partie eux-mêmes. […] Il attribue à cette précaution, après son caractère reconnu d’intégrité, le crédit qu’il obtint auprès de ses compatriotes dans ses diverses propositions d’intérêt public. […] Il entra chez un des deux imprimeurs de la ville, et reconnut bientôt que ces deux imprimeurs entendaient peu leur métier. […] Pendant qu’il cause agréablement avec Helvétius, survient la nouvelle Mme Helvétius apportant le café qu’elle vient de préparer : À l’instant, continue l’enjoué vieillard, je l’ai reconnue pour Mme Franklin, mon ancienne amie américaine. […] Plus tard, dans les relations diplomatiques, lord Shelburne, traitant avec Franklin, observait que son caractère principal en affaires était « de ne point s’embarrasser de faire naître les événements, mais seulement de bien profiter de ceux qui arrivaient » ; et il lui reconnaissait la science de la médecine expectative.

210. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Ou bien il faut reconnaître qu’il y a un genre de beautés dont l’ordre et la règle ne sont pas le principe, ou il faut condamner les Pensées de Pascal comme une œuvre déréglée où quelques beautés sublimes ne compensent pas le dangereux exemple d’une raison fière et solitaire, qui dans l’obéissance même a tous les caractères de la révolte, et, tout en se soumettant, ne veut se soumettre qu’à sa manière et ne servir que comme un roi vaincu. […] , que ces grands interprètes nous donnent un vrai Corneille, un vrai Racine dans toute leur noblesse et leur simplicité, que cette poésie si profonde et si délicate, si mâle et si savante, trouve une expression digne d’elle ; et, malgré nos préjugés, malgré les corruptions de notre goût, malgré quelques défauts inséparables du génie humain, nous nous reconnaîtrons dans le Cid, dans Chimène, dans Polyeucte ou dans Andromaque, dans Auguste et dans Agrippine ; nous y reconnaîtrons nos passions ou nos vertus embellies et agrandies, et nous applaudirons encore à cette image idéale de nous-mêmes, comme si ces immortelles créations étaient nées d’hier. […] Cependant il reconnaît que Bossuet s’est trompé sur deux points : « Il s’est trompé quand il a cru le protestantisme incompatible avec de grandes sociétés réglées et prospères ; il s’est trompé quand il a vu l’idéal des gouvernements dans la royauté absolue tempérée par des lois fondamentales. » Mais ce ne sont pas là deux petites erreurs, à ce qu’il me semble, et je ne crois pas qu’on puisse dire que celui qui les a commises soit toujours tombé sur le vrai. […] Ne saisissant pas l’origine historique et tout humaine du spectacle qu’il avait devant les yeux, Bossuet n’en vit que la beauté idéale, et crut y reconnaître une œuvre divine.

211. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Que ce soit maintenant une grande difficulté de réunir toutes ces parcelles de vérité, d’en faire un faisceau, de les lier, et de se donner ainsi un credo absolu avec tous ses avantages et tous ses inconvénients, je le reconnais ; mais en revanche n’est-ce donc rien que cet amour de la vérité qui ne nous permet pas de la méconnaître partout où elle se manifeste à quelque degré ? […] On doit reconnaître que, malgré les critiques dont l’éclectisme a été l’objet, cette partie de cette méthode a définitivement triomphé. […] Rien de plus simple, pour peu qu’on ait l’esprit droit, le caractère bien fait et une solide éducation philosophique, que de reconnaître la vérité partout où elle se présente, que de rendre justice successivement à Descartes et à Locke, à Spinoza et à Kant. […] Par exemple, il n’est personne aujourd’hui qui ne reconnaisse que Hegel a trop sacrifié l’expérience, qu’il a trop exagéré la puissance de la méthode a priori. […] Le bon sens se contente de comprendre et de recueillir, sans en faire un système, les vérités découvertes par les hommes de génie : il fait la part à chaque système, à chaque point de vue, il les concilie comme il peut ; souvent même il renonce à les concilier, parce qu’il reconnaît que cela lui est impossible ; il ne sacrifie point pour cela une vérité à une autre, car il sait que ce qui ne se concilie pas pour nous peut se concilier dans la nature des choses.

212. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

“C’est lui rendre justice, dit l’Abbé Desfontaines, que de reconnoître qu’il posséde Aristote, Hermogene, Ciceron, Quintilien ; qu’il entend la matiere qu’il traite ; qu’il entend la matiere qu’il traite ; que les principes de ses grands maîtres sont bien expliqués, & qu’il y a de la dialectique dans ce qu’il a écrit sur l’art oratoire, où l’imagination a tant de part. […] Il observe, entr’autres, que l’auteur s’attache à décrier ce qu’il a fait briller par-tout ; le bel esprit qu’il est plus aisé de censurer que d’éviter : mais dans les défauts même de Fénélon, on reconnoît toujours sa belle ame. […] Mais si l’on reconnoît des Orateurs, formés par l’étude ou par l’exercice, il faut reconnoître des regles, & dès-lors, la Rhétorique est un art utile, puisqu’elle rend à faciliter l’énonciation, ou l’usage de parler de la maniere la plus propre à persuader, à convaincre, ou à se faire écouter agréablement.” […] L’ouvrage du Pere de Foix est encore mieux écrit, plus solide, plus approfondi ; on y reconnoît l’homme d’esprit, le savant poli, & versé dans la littérature sacrée & profane.

213. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

Fauriel, le perfectionne et le précise sur quelques points, et auquel il n’a manqué que plus de patience pour donner à son arbre le temps de prendre racine, à son drapeau le temps d’être reconnu. […] Ampère, mais plus hardis ou plus affermis que ces derniers, parce qu’ils venaient plus tard et sur un terrain mieux préparé, ont commencé à reconnaître et à établir assez positivement des lois. […] quand règne la langue de la Cour, et que l’urbanité est maîtresse, les patois sont comme des parents pauvres que l’on consigne à la porte, que l’on fait chasser par ses gens, s’ils osent passer le seuil, et que l’on ne reconnaît plus. […] Fallot avait reconnu que les caractères distinctifs du dialecte de telle province se retrouvaient, avec quelques différences secondaires, dans les dialectes de plusieurs autres ; il a fait de celui-là une espèce de type auquel il a rapporté les autres. […] Ampère pour avoir tenté de reconnaître et d’établir des règles de syntaxe qui eussent tiré la vieille langue de cette condition irrégulière propre aux patois.

214. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Pour que l’image fasse son effet normal, c’est-à-dire soit reconnue comme intérieure, il faut qu’elle subisse le contrepoids d’une sensation ; ce contrepoids manquant, elle paraîtra extérieure. […] Il allait sur l’eau en boitant de la façon tout à fait particulière à laquelle auparavant on le reconnaissait, car une de ses jambes était plus courte que l’autre. […] Je regardais tour à tour avec l’œil nu et avec la lunette d’approche ; je le reconnaissais très bien avec la lunette, mais je ne pouvais le distinguer avec l’œil nu. […] Au premier instant, à l’état normal, les deux plateaux sont sur la même ligne ; mais tout de suite le premier, plus pesant, emporte l’autre, et nos images sont reconnues comme intérieures. […] Un individu qui avait des hallucinations de l’ouïe avait remarqué qu’il pouvait lui-même provoquer les voix ; il disait ensuite que cela l’aidait en partie à reconnaître son erreur… M. 

215. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Le mérite du miel se reconnaît aisément au goût : car les différents miels ont plus ou moins de douceur, de même qu’ils ont plus ou moins de consistance. […] Les cerfs jettent leur bois dans des lieux où l’on ne pénètre pas aisément et qui sont difficiles à reconnaître. […] Elle gouverne l’homme précisément parce qu’elle ne vient pas de lui ; et quand il veut étudier en elle les voies de Dieu, il en reconnaît avec une entière évidence la puissance et la douceur. […] Mais il doit craindre de l’offenser, en violant la loi dont il reconnaît lui-même toute l’équité. […] Que de progrès n’a-t-elle point à faire, pour que la science reconnaisse en elle sa fille légitime !

216. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

À la fin du deuxième jour, j’examinai l’état des choses, et reconnus que l’extérieur d’un vaste nid sphérique s’en allait terminé, et que tous les matériaux provenaient du vieux chaume, quoiqu’il fût tout noir et à moitié pourri. […] Je l’examinai et reconnus qu’il contenait un embryon d’oiseau en partie desséché, et dont les vertèbres adhéraient entièrement à la coquille, ce qui avait dû causer sa mort. […] Ayant pris un certain nombre de ces oiseaux sur le nid, je reconnus avec plaisir deux de ceux qui portaient à la patte le petit fil d’argent. […] Le plus grand monarque reconnaît son empire, et tous, autour de lui, depuis ses plus humbles serviteurs jusqu’aux nobles orgueilleux qui environnent son trône, subissent à certains moments la toute-puissance de ce sentiment. […] Un observateur pourra reconnaître ce moment, en voyant les parents passer et repasser au-dessus de l’extrémité du tuyau sans y entrer.

217. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Plus le théâtre a l’air d’un appartement, mieux le spectateur s’y reconnaît. […] Elle croyait y réussir par la création de caractères où nous pouvions nous reconnaître. […] Ce serait hasard qu’il ne s’y reconnût pas. […] Nul ne se reconnaît de Sosie. […] On fait même à la comédie sérieuse de Diderot l’honneur d’y reconnaître les origines du drame.

218. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

L’ermite était absent ; sa fille adoptive, la belle Sacountala, sort à la voix de l’étranger ; elle reconnaît le roi. […] De quel transport n’est-il pas lui-même saisi lorsqu’il reconnaît dans ces innocentes créatures sa vivante image ? […] Non, on me reconnaîtrait pour être le roi ; il vaut mieux que je me présente sous l’aspect d’un voyageur demandant l’hospitalité. […] Un d’eux reconnut dans le héros le fils du roi, roi lui-même. […] Il lui a juré de la reconnaître partout à la vue de ce signe.

219. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Veuillot, non pas seulement le journaliste de verve et d’assaut, l’observateur et le portraitiste à bâtons rompus, mais l’homme des longues tactiques, le stratégiste qui a pu se tromper à son point de vue, et qui, je crois, s’est trompé en effet, mais qui avait un plan suivi, étendu et plus raisonné qu’on ne serait tenté de le lui reconnaître. […] Je pourrais ajouter, si ce n’était ici une digression, qu’il y en a un troisième, celui qu’on rencontre par hasard dans le monde, doux, poli, non tranchant, modeste dans son langage, d’un coup d’œil et d’un ton de voix affectueux, presque caressant ; il est impossible de l’avoir rencontré quelquefois et d’avoir causé avec lui sans avoir reconnu dans cet ogre tant détesté, et qui a tout fait pour l’être, l’homme doué de bien des qualités civiles et sociales. […] Et ne reconnaissez-vous pas, pour peu que vous ayez vu le régime des dix-huit ans, cet aide de camp du roi, député, ce ministériel pur et chevaleresque ? […] Celui-là, il se fâche, il a le hoquet, mais du moins ilparle ; il y en a qui, en s’efforçant de parler, ne réussissent qu’à suer sang et eau et à défaillir ; celui-ci, parexemple, que vous ne sauriez reconnaître, car il n’a quebien rarement donné : « Orateur prompt à se cabrer aumoindre bruit, sujet à voir ses pensées s’enfuir commeune volée d’oiseaux qu’un geste effarouche, et qui faitrage contre lui-même, mais en vain, d’être si malaguerri.

220. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Prouvant que le soi-disant progrès de la civilisation a pour résultat l’amalgame des races, Gobineau reconnaît qu’on fait fausse route si l’on cherche dans les qualités d’une race la cause du développement de l’esprit démocratique ; mais il regarde cet esprit comme résultant de cet amalgame lui-même. […] Retenant ce fait que les divisions de races sont loin de correspondre aux divisions de nations, et rejetant par suite la confusion de la race « historique » avec la race « biologique », ils se font forts de reconnaître les éléments anthropologiquement différents, jusque dans les sociétés où ils sont actuellement mêlés, et d’établir, en comparant par exemple les indices céphaliques aux situations sociales, aux caractères, aux idées mêmes, que ces différents phénomènes varient en fonction de caractères anatomiques. […] Du moment d’ailleurs où l’on reconnaîtra que des formes sociales existent, qui ne varient pas comme varient les individus qu’elles encadrent, il faudra bien reconnaître que la permanence de ces formes impose aux actions des individus, même de génie, certaines limites.

221. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Peu à peu il éprouvera de l’horreur pour ses anciennes opinions ; quand il relira ses propres livres, il ne voudra pas les reconnaître, il ne pourra se persuader qu’il ait professé une philosophie si « détestable. » Il supprimera sans le dire une phrase décisive ; il interprétera les autres comme il pourra ; il se réfugiera derrière l’obscurité des termes ; il fera croire au public qu’entre ses deux philosophies, il n’y a qu’une différence de style. […] On la reconnaît en ce qu’elle est « l’alliée naturelle de toutes les bonnes causes. […] Tout s’y tient, tout s’accorde pour définir le génie de l’auteur ; tout indique la domination définitive de la faculté maîtresse que nous avons reconnue dans les beautés et dans les défauts de son style, dans ses goûts et dans son impuissance d’historien et de peintre, et que nous reconnaissons dans le but, comme dans toutes les parties de sa philosophie, dans sa théorie de la certitude, de la raison, de la Divinité, de la justice et de l’art.

222. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XII. Demain »

La plupart possèdent cette intelligence rudimentaire qui suffit à faire vite reconnaître que les avantages vont aux apparences non aux réalités, aux diplômes non à la science, à l’intrigue non au talent. […] Stoïcisme enrichi d’idéalisme, il ne reconnaît que deux biens : la fermeté inébranlable du vouloir, la souplesse infiniment mouvante et continûment créatrice de la pensée vraiment libre.

223. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « De la peinture. A propos d’une lettre de M. J.-F. Raffaëlli » pp. 230-235

« Certes, je reconnais l’importance qu’il convient de donner à l’hallucination comme facteur de la civilisation à une époque où l’illusion religieuse vient à nous faire défaut ; je reconnais aussi que toute œuvre d’art résulté d’une hallucination.

224. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XII. L’homme touffu »

Aïssata ne reconnut pas en ce captif son frère Daouda ; mais lui l’avait reconnue dès en entrant dans sa case.

225. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Il reconnut la vérité du principe qu’il avait déjà suivi précédemment dans ses recherches : de ne considérer les faits isolés que comme une partie de la chaîne des grandes causes et des grands effets généraux qui sont en rapports intimes et découlent les uns des autres, dans les seuls laboratoires de la nature ; il reconnut qu’il faut trouver le fil conducteur dans cette sorte de labyrinthe d’une variété infinie, et que, partant, il ne faut pas regarder avec indifférence le fait isolé et ce qui nous paraît petit, mais plutôt apprendre à voir le grand dans le petit, le tout dans la partie. […] Les vérités géométriques sont des vérités de dernier ordre, des axiomes de fait qui n’ont besoin que de l’œil matériel pour être aperçus, mais que l’œil intellectuel, la raison, ne peut reconnaître. […] Une bienveillance inexprimable brillait sur sa physionomie, quand il reconnaissait dans une personne étrangère un homme d’esprit. […] Mais là où il avait reconnu le bon et le vrai, il s’y sentait porté à encourager, à conseiller, à venir en aide, et, des points les plus éloignés de l’univers, se concentrèrent auprès de lui les demandes, les confidences, les sollicitations de secours, non-seulement pour des intérêts scientifiques, mais pour une foule d’intérêts publics. […] Le roi de Prusse n’hésita pas à reconnaître la république et à se déclarer au moins neutre.

226. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Crébillon a ce désordre intéressant auquel certaines théories complaisantes reconnaissent le signe et comme la fatalité du génie. […] Nous ne sommes assurément ni si passionnés, ni si peu maîtres de nous que certains de leurs personnages ; mais, en revanche, ceux-ci ne sont pas si transformés par la passion que nous ne reconnaissions en eux des frères en faiblesse et en misère. […] Aux sentiments comme au langage, je reconnais la race cornélienne. […] Ce ne sont pas là de vieilles connaissances, comme les personnages de Corneille et de Racine, ou ceux de ce Shakspeare, le père de tant d’immortels enfants en qui les derniers lecteurs de ses drames reconnaîtront des frères et des amis. […] Les pièces de Ducis intéressent par tout ce qui s’y est répandu de ce cœur si chaud, de cette âme si naïvement éprise du grand et du bon, de cette bonhomie originale où l’on a reconnu un peu de La Fontaine, un peu du grand Corneille.

227. (1932) Le clavecin de Diderot

Au sortir de sa classe de philosophie, le premier freluquet venu opposera, continuera d’opposer, toute sa vie, le subjectif et l’objectif, ce qui lui permet de se reconnaître tabernacle de quelques principes éternels. […] En effet, une nation dont la morale n’a cessé d’obéir au grand principe : un sou est un sou, comment n’aimerait-elle point à se rappeler qu’en un temps reconnu pour celui où s’exprima le mieux son génie, le peintre officiel des passions, admis à la cour du Grand Roi, dans la théorie des princesses, les unes, larmoyantes, les autres vindicatives, mais toutes uniformément chargées de falbalas, jamais ne reconnut par la bouche de leurs majestueux amants, que des objets de désir. […] Ses droits, affirme-t-on, lui ont été reconnus. […] Ce légionnaire qui, parmi les putains entassées au pied de la croix, ne pouvait manquer de reconnaître la croupe experte de Marie-Magdeleine, ainsi ne fera point à Jésus, l’hommage de la moindre petite sécrétion prostatique. […] Le porteur de conflits leur a spontanément reconnu de pathétiques lettres de noblesse.

228. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

« Il leva les yeux, et reconnut cette malheureuse enfant qui était venue un matin chez lui, l’aînée des filles Thénardier, Éponine ; il savait maintenant comment elle se nommait. […] Dans tout ce qui a été raconté plus haut, le lecteur a sans doute moins tardé encore que Thénardier à reconnaître Jean Valjean. […] Elle ne la reconnaissait plus. […] me reconnaissez-vous un peu ? […] On y reconnaît le génie du bien idéalisant son type.

229. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Car, dans ces œuvres, il faut connaître les originaux, pour les reconnaître, et elles n’ont d’intérêt que si l’on brise la forme d’art, qui cache la vérité au lieu de la traduire. […] Il faut lui montrer son idée du Romain et son idée du Français, si on veut qu’il reconnaisse des Romains et des Français, et de plus des hommessous ces deux apparences. […] Si Achille est fier, violent, rancunier, tant mieux : À ces petits défauts marqués dans sa peinture, L’esprit avec plaisir reconnaît la nature. […] Il faut traduire son observation, conformer son imitation, de façon que non seulement on en reconnaisse l’éternel modèle, mais qu’encore cette reconnaissance soit  un plaisir. […] Au reste, on ne fait plus de difficulté de le reconnaître aujourd’hui ; et depuis que l’effervescence romantique s’est calmée, et que la liberté de l’art est assurée, nous ne trouvons plus grand intérêt à réclamer ni à pratiquer le mélange des genres.

230. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Quant aux diverses parties de l’œuvre poétique, il vous sera facile de les reconnaître, à savoir : la proposition, le nœud, le dénouement, l’imprévu, la difficulté, le retard, la péripétie au moment où tout est perdu… où tout est sauvé. […] Bouchardy, qui est dans son genre un géant aux pieds d’argile, et l’on se demande comment il a fait pour reconnaître, lui-même, au fond des cinq actes où ils s’agitent et se débattent en poussant leurs gloussements, les divers personnages de Christophe le Suédois ? […] Et moi, cependant, témoin des pressentiments égrillards de la petite Agnès, vous ne voulez pas que je m’attriste quand je viens à reconnaître, dans cette enfant qui débite en rougissant tout l’esprit de Molière, la même petite fille que j’ai rencontrée si souvent, suspendue au bras de sa mère et se promenant sous les orangers des Tuileries ? […] Ces grands hommes, l’honneur de l’esprit humain, reconnaissaient très volontiers les devoirs de la critique ; ils étaient, avant tout, de véritables hommes de lettres, et ils prouvaient, par leur exemple, que cette qualité d’homme de lettres est la plus grande et la plus honorable dont se puisse décorer un galant homme. […] Mademoiselle Duparc, envieuse et jalouse, c’était la prude Arsinoé ; mademoiselle de Brie, indulgente et dévouée, sera plus tard la sage Éliante ; mademoiselle Molière, vive, agaçante, coquette, est déjà Célimène, et le Misanthrope, ne le reconnaissez-vous pas dans Molière ?

231. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Édouard Rod »

Aux inquiétudes qu’il a senties le père reconnaît qu’il aime son enfant. […] (Et tout ce récit, je dois le reconnaître, est un pur chef-d’œuvre.) […] Et je me figure que l’origine de ce mouvement, c’est, quoi qu’on en dise, cette curiosité même qui est la marque éminente de notre temps : car on arrive assez vite à reconnaître que la curiosité intellectuelle et sentimentale ne suffit pas pour vivre pleinement, et c’est là une constatation qui a des conséquences.

232. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

On reconnoît si le poëte a choisi un objet touchant et s’il l’a bien imité ; comme on reconnoît sans raisonner si le peintre a peint une belle personne, ou si celui qui a fait le portrait de notre ami l’a fait ressemblant. […] Mais c’est ce qu’on reconnoît mieux en jugeant par l’impression que fait l’ouvrage qu’en jugeant de cet ouvrage sur les dissertations des critiques, qui conviennent rarement touchant l’importance de chaque regle.

233. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

L’administration ne le crut pas, et le travail de la cathédrale d’Albi, accompli avec une si grande aisance dans la puissance de l’exécution, fit la preuve de ce que pourrait être Daly en dehors de ses travaux d’érudition et de critique, en dehors de cette supériorité que des génies en maçonnerie lui reconnaissent, pour n’avoir pas à lui reconnaître l’autre. […] Or, ce mérite absolu, qui appartient en propre au continuateur du chef-d’œuvre, la critique doit d’autant plus le reconnaître et le signaler dans Daly que c’était le seul des mérites qu’il pouvait avoir sur lequel elle n’avait pas complètement sa sécurité… Pourquoi ne dirions-nous pas ce que nous pensons ?

234. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVI. Médecine Tessier »

Il en reconnaît la grandeur, quand la plupart des médecins modernes, métaphysiciens pourtant, mais malgré eux, et aveugles, l’insultent et la repoussent, comme un piège, plein de trahison, que l’esprit humain se tend à lui-même. […] Comme le voyageur de la Fable, craignant que le vent ne fût pas pour lui, il serra son manteau autour de sa personne et si bien, qu’à moins de le regarder de fort près, on ne pouvait le reconnaître. […] Hippocrate, en effet, ce vieillard divin, — car l’Histoire, pour honorer ce grand observateur, n’a trouvé rien de mieux que de l’appeler comme le vieil Homère — avait reconnu l’immutabilité des maladies, quand il s’écriait avec le pressentiment d’une révélation : « Il y a là quelque chose de Dieu (quid divinum) », et quand aussi Démocrite, tenant de plus près la vérité, écrivait ce mot singulier : « L’homme tout entier est une maladie », comme s’il eût deviné ce dogme de la Chute, après lequel il n’y a plus rien à l’horizon de l’Histoire ni à l’horizon de l’esprit humain !

235. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

Pour la première fois, il a pu reconnaître que les douze religieux de la Mission bénédictine avaient plus avancé en quatre années la fondation sociale de l’Australie, que lui-même, appuyé de son Église officielle, ne l’avait fait à partir de l’établissement de la colonie, c’est-à-dire en quarante-six ans. […] Et les signaler d’autant plus que, ces faits, les Anglais ont déjà commencé de les reconnaître avec une bonne foi plus forte que les préjugés et une fermeté d’intelligence très digne d’une nation politique, qu’on nous permette le mot ! […] On ne saurait trop le répéter : cette force immense de fondation sociale que l’Angleterre reconnaît aujourd’hui comme l’apanage de l’Église romaine, est ailleurs que dans la conception de quelques cerveaux qui ont vu un peu plus juste et un peu plus loin que les autres hommes, ou dans des règlements de ménage que le temps pouvait, à son aise, emporter.

236. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « La Bible Illustrée. Par Gustave Doré »

est un artiste d’une rare vaillance ; mais, si grande qu’elle soit, sa vaillance peut être inférieure à son audace… Je n’ai pas besoin de revenir aujourd’hui sur une personnalité dont les mérites incontestables ont été reconnus et mis en relief à la lumière électrique de tant d’articles de journaux, un peu éblouissants je crois. […] Or, encore, sans l’inspiration directe du Saint-Esprit, reconnue et attestée par l’Église, toute interprétation de la Bible n’est plus qu’une interprétation individuelle, par conséquent plus ou moins protestante, et alors il n’y a plus là que la question du génie humain à examiner. […] Eh bien, je me plais à le reconnaître, il y a là un nombre donné de choses ineffaçablement frappantes, qui s’imposent au souvenir quand la vision qu’on en a eue n’est plus !

237. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Cependant je ne puis me refuser à reconnaître que M.  […] Le seul mérite réel que je reconnaisse dans ce livre c’est le sentiment et la peinture du malheur. […] L’Académie, dans cette occasion, n’a pas fait preuve de goût, mais elle a reconnu implicitement que M.  […] Il ne consent pas à reconnaître l’égalité fraternelle dans laquelle il vivait avec son interprète. […] Il renonce aux aventures et ne se décide pas au départ avant d’avoir reconnu la route où il va marcher.

238. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Taine sur la force de la race, il faut reconnaître qu’elles sont parfaitement justifiées par le sujet qu’il a choisi. […] Elle reconnut le comte Scarnafigi et lui dit : “Ah ! […] Il reconnaît avec joie que ses forces sont encore tout entières et qu’elles mèneront l’œuvre à bonne fin. […] Mais, cette réserve faite, il faut reconnaître que Sterne se montre dans ses lettres un très tendre père. […] Ce mérite reconnu, nous nous permettrons de dire, en dépit de M. 

239. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Il ne reconnut jamais pour vertus que les énergies ni pour devoirs que les passions. […] Comment ne pas le reconnaître ? […] Le Florentin reconnut Anaxagore, Thalès, Empédocle, Héraclite et Zénon. […] Mais il n’est pas impossible de reconnaître, avec M.  […] Elle reconnaît aussitôt celui qu’elle attendait, son rêve.

240. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

et pourquoi, dans ce tableau de la fin d’un siècle ou du commencement d’une décadence, ne veut-on décidément reconnaître que le seul personnage du traitant ? […] qui vous eût reconnue dans l’aimable et placide grand’mère de Nohant ? […] Ils y reconnaissaient quelque chose de ce qu’ils attendaient. […] Reconnaître les individualités morales, tel est l’objet de Marivaux, et les reconnaître à travers leur visage, telle est sa prétention. […] Celui-ci donc, sous le masque de M. de B…, le premier rival de des Grieux, après avoir hésité longtemps s’il reconnaîtrait M. 

241. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

Dès 1800 et vers les premières années de cette renaissance, quelques hommes de talent et de goût revinrent également au grand règne, mais par un sentiment prompt et vif d’admiration pour les chefs-d’œuvre, par l’adoption reconnue salutaire des doctrines, par l’attrait du beau langage et de l’éloquence ; les Fontanes, les Joubert, les Bausset obéirent à cet esprit et s’en firent les organes. […] Je l’aime pour en tirer des sons, des accords, de l’harmonie… Le militaire est une franc-maçonnerie ; il y a entre eux tous une certaine intelligence qui fait qu’ils se reconnaissent partout sans se méprendre, qu’ils se recherchent et s’entendent ; et moi je suis le grand maître de leurs loges… Il n’est rien à la guerre que je ne puisse faire par moi-même. […] Je n’ai pas à développer tous les mérites et les perfections que Roederer reconnaît en Louis XII ; il en fait je ne sais quel type accompli, il semble, en vérité, que du moment que Bonaparte, premier consul, ne s’était point tenu dans sa forme première et avait brisé le cadre où il s’était plu d’abord à l’enfermer, Roederer s’était, de regret, rejeté en arrière, et qu’il avait cherché loin des régions historiques brillantes, loin de la sphère de l’admiration et de la gloire, et, comme il dit, « dans l’obscure profondeur d’un gouvernement utile », un héros d’un nouveau genre, pour se consoler et se dédommager de celui qu’il n’avait pu fixer. […] Il y a d’ailleurs, indépendamment de toute conjecture, une idée vraie et neuve dans son livre, c’est de ressaisir à distance l’histoire de la conversation, d’en noter l’empire en France, de reconnaître et de suivre à côté de la littérature régulière cette collaboration insensible des femmes, à laquelle on avait trop peu songé jusque-là. […] I, p. 312, 391-396) : il finit pourtant par reconnaître qu’à un certain moment « le mauvais coucheur » se montra « très radouci et presque bonhomme » ; et pendant huit jours que Roederer passa chez lui à Düsseldorf en 1811, ils apprirent réciproquement à se mieux connaître.

242. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

L’impossible aussi pour ceux qui de nos jours posent en principe qu’on ne sait pas écrire en français, et surtout de ces choses de morale et de société, depuis Louis XIV, ce serait de leur faire reconnaître que Senac de Meilhan est un moraliste et un écrivain des plus distingués, qui a de très grandes qualités, de belles parties, et plus que de la finesse, je veux dire de la largeur, de l’élévation, de l’essor. […] Si Mme de Créqui avait pu lire L’Émigré et si l’on avait osé en introduire en France un exemplaire à son adresse, elle eût reconnu son ami à chaque page et se fût écriée : « C’est bien lui. » L’action du roman est censée se passer en 1793. […] Dès qu'elle est née et produite, il la reconnaît comme une puissance sans arrêt et une sorte de fatalité irrésistible. […] Une fois qu’elle a cours et qu’elle est ouverte, il reconnaît et il proclame tout ce qu’elle contient de nouveau, d’irrévocable et d’irrésistible. […] Ce même homme qui vient de nous dire que la Révolution a été purement accidentelle dans son explosion, reconnaît qu’une fois enfantée, elle ouvre une ère entièrement nouvelle : La Révolution deviendra une époque nationale, comme la captivité de Babylone chez les juifs, et l’an de l’Hégire chez les arabes et les Turcs ; et une infinité de familles dateront de ce temps une illustration méritée par des services éclatants, ou un attachement héroïque à la monarchie, qui les rapprocheront des anciennes maisons.

243. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Reconnaissons-le de bonne foi, ajoutait-il d’un air de renoncement vraiment comique et avec plus de pesanteur encore que de malice, reconnaissons-le sans honte et sans confusion, sa peinture n’est que médiocre et ne possède guère que des qualités négatives. » Puis, évoquant, selon son habitude, les plus grandes œuvres de la peinture, les toiles les plus diverses consacrées par l’admiration, l’oracle tout bouffi déclarait ne trouver que là sa haute satisfaction et sa joie. […] Alfred de Musset, par exemple, un des talents aussi que cet intègre Gustave Planche n’a jamais pu se décider à louer et à reconnaître, Alfred de Musset a écrit, sur le Salon de 1836, des pages très-fines et bonnes encore à relire ; il y rend aux toiles d’Horace une justice gracieuse qui est une revanche des insultes de tout à l’heure. […] Les autres membres de la famille, comme je vous l’ai déjà dit, ne sont pas mal non plus ; en entendant le vieux Carle parler de son père Joseph, on éprouve du respect pour ces gens-là, et je prétends, moi, qu’ils sont nobles. » — Et c’est ainsi qu’une vive nature d’artiste sympathise avec ses semblables, les reconnaît à travers les diversités de genre et de langue, les salue, les aime, les fait revivre… et l’on est à cent lieues du cuistre, de l’être immonde, arrogant et dur. […] Les lecteurs familiers avec ces questions auront reconnu M. 

244. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Philippe II, ayant besoin d’argent, avait décidé de convoquer les cortès de Castille, et en même temps il voulut que les représentants de la nation reconnussent pour son futur héritier le prince des Asturies, ce don Carlos déjà si compromis de santé morale et physique. […] Les cortès d’Aragon, de Valence et de Catalogne, étant, après bien des retards, convoqués à Monzon, le roi avait dessein d’y faire reconnaître son fils pour héritier de la monarchie, de même qu’il l’avait déjà présenté pour tel aux cortès de Castille. Mais don Carlos, pour s’être livré aux excès et dérèglements qui lui étaient habituels, surtout dans le manger, retomba malade et ne put se rendre à Monzon ; les cortès ne voulurent pas reconnaître le prince par procuration. […] Un tel prince, héritier reconnu du trône, était un scandale pour tous et un danger. […] Dans toutes ces lettres une pensée revient et se marque en termes exprès : c’est que ce n’est pas pour une offense ni pour une faute particulière, ni dans un but de châtiment, de correction et d’amendement, que le prince est enfermé, et qu’il ne l’est point, par conséquent, pour un temps limité : « Cette affaire a un autre principe et d’autres racines. » Ce principe, c’est la raison d’État qui frappe un héritier reconnu pour incapable, inepte et indigne, pour incurable, et qui l’interdit à jamais, si elle ne le retranche.

245. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

En vain tous les citoyens s’abstiennent d’interrompre les travaux de l’Assemblée, quand ils n’ont rien à lui demander : elle sentait, chacun sentait comme elle, que vous pouviez être excepté ; qu’elle pouvait donner quelques instants à votre conversation ; et il y eût eu à vous de la noblesse et de la dignité à vous reconnaître ce droit et à savoir en user. […] La révision des décrets nous en donnera les moyens, si le côté droit veut y prendre part sans humeur, sans enflammer le côté gauche par une opposition absolue, si enfin vous voulez reconnaître franchement les points principaux de la Constitution. […] Il ne cesse d’indiquer comme terme et solution de la crise révolutionnaire et de la lutte à main armée en Europe « une monarchie constitutionnelle en France » ; mais il reconnaît en même temps tout ce qui en éloigne et en sépare. […] J’allai avec eux trouver l’évêque, et je me gardai bien de reconnaître le droit qu’il s’était attribué de mettre obstacle à la rentrée des émigrés en France. […] Comment un homme qui a vécu si longtemps chez les Anglais, et à qui je dois supposer des relations très étendues dans ce pays, au lieu de reconnaître tous les bienfaits dont je l’ai comblé, de prendre leçon de tout ce qu’il a vu depuis trente ans, au lieu de marcher droit, se mêle-t-il de pratiques et de menées qui ne le regardent pas ?

246. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Sans entrer dans le fond du débat, et en laissant aux maîtres le soin, s’il y a lieu, de relever le gant, il faut reconnaître que toute cette forme de discussion est de bonne guerre, de bonne et légitime méthode. […] Sur tous ces points, on l’a sans peine reconnu, M. de Saint-Priest se présente comme opposant, et s’inscrit en appel contre des portions notables de la doctrine historique de M. […] La France a longtemps été monarchique ; elle a toujours assez et, trop aimé, sauf les intervalles, aller à un seul, obéir à quelqu’un ; et cette idée, qui trouverait ses retours jusque dans le triomphe de la démocratie, vaut bien la peine qu’en temps régulier, et même à travers l’apparente défaveur, on s’y arrête encore : l’observer à loisir et la reconnaître, c’est le bon moyen d’en moins abuser. […] « En consultant le roman comme peinture de mœurs, on reconnaît dans Daphnis et Chloé des traces sensibles de la période païenne. […] sOn aura successivement reconnu M.

247. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIII. Retour de Molière à Paris » pp. 225-264

Il faut le reconnaître : c’étaient là des imitations, et l’on pourrait presque dire des traductions libres du théâtre italien. […] On reconnaît la scène iv du premier acte du Dépit amoureux et les contradictions du malheureux Mascarille. […] Il n’en faut d’autre preuve que la profonde sensation que fit la petite pièce, et l’originalité saisissante et hardie que le public lui reconnut. […] C’est bien possible, mais ce canevas, tel que Cailhava l’a traduit, est certainement d’une date plus récente que la comédie de Molière : cela se reconnaît aux seuls noms des personnages. […] Mais il convenait de reconnaître la part considérable que l’art antérieur de l’Italie occupe dans les commencements de sa carrière, pour montrer combien cet art avait contribué à son éducation dramatique.

248. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre III. La notion d’espace. »

Et en effet, pour que nous puissions appliquer à un continu la règle que j’ai exposée plus haut et par laquelle on peut reconnaître le nombre de ses dimensions, nous devons nous appuyer sur ce fait que deux éléments de ce continu tantôt peuvent et tantôt ne peuvent pas être discernés. […] Il faut bien que nous ayons quelque moyen de reconnaître que ces deux sensations, qualitativement différentes, ont quelque chose de commun. Or, d’après les considérations exposées dans le paragraphe précédent, nous n’avons pu le reconnaître que par les mouvements de l’œil et les observations auxquelles ils ont donné lieu. Si l’œil était immobile, ou si nous n’avions pas conscience de ses mouvements, nous n’aurions pu reconnaître que ces deux sensations de qualité différente avaient quelque chose de commun ; nous n’aurions pu en dégager ce qui leur donne un caractère géométrique. […] Et pourtant le plus souvent on dit que l’œil nous donne le sentiment d’une troisième dimension, et nous permet dans une certaine mesure de reconnaître la distance des objets.

249. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Une génération nouvelle venait de naître aux lettres, qui reconnaissait en ces deux poètes les devanciers de ses principaux désirs d’art. […] Oui, je veux même reconnaître en eux, tout de suite, l’excès de cette tendance intéressante en elle-même, qui, plus d’une fois, par manque d’expérience, par maladresse, par bravade, les conduisit souvent à la bizarrerie, à l’obscurité, au jargon. […] Au lieu d’imposer sa pensée, le poète, pour ainsi dire, la propose, la présente, l’offre, non pas directement et d’une façon positive, mais figurée et voilée, de manière qu’il soit nécessaire de la reconnaître et de la pénétrer. […] Beaucoup n’ont pas voulu reconnaître dans cette harmonieuse et sibylline apparition l’Antique Muse méconnue. […] J’en connais les défauts et je les reconnais.

250. (1890) L’avenir de la science « II »

Régler sa vie conformément à la raison, éviter l’erreur, ne point s’engager dans des entreprises inexécutables, se procurer une existence douce et assurée, reconnaître la simplicité des lois de l’univers et arriver à quelques vues de théologie naturelle, voilà pour les Anglais qui pensent le but souverain de la science. […] Après avoir marché de longs siècles dans la nuit de l’enfance, sans conscience d’elle-même et par la seule force de son ressort, est venu le grand moment où elle a pris, comme l’individu, possession d’elle-même, où elle s’est reconnue, où elle s’est sentie comme unité vivante ; moment à jamais mémorable, que nous ne voyons pas, parce qu’il est trop près de nous, mais qui constituera, ce me semble, aux yeux de l’avenir, une révolution comparable à celle qui a marqué une nouvelle ère dans l’histoire de tous les peuples. […] Le vrai, c’est qu’avec les éternels principes de sa nature l’homme peut réformer l’édifice politique et social ; il le peut, puisqu’il l’a incontestablement fait, puisqu’il n’est personne qui ne reconnaisse la société actuelle mieux organisée à certains égards que celle du passé. […] Sans embrasser aucun système de réforme sociale, un esprit élevé et pénétrant ne peut se refuser à reconnaître que la question même de cette réforme n’est pas d’une autre nature que celle de la réforme politique, dont la légitimité est, j’espère, incontestée. […] Si je me disculpais ici de panthéisme, j’aurais l’air de le faire par condescendance pour une timidité soupçonneuse et de reconnaître à quelqu’un le droit d’exiger des protestations d’orthodoxie ; je ne le ferai donc pas.

251. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

à la différence d’une portion de l’école libérale d’alors, il est bien loin de le répudier ; il en reconnaît tous les services et, selon lui, tous les bienfaits : Nous profitons de ses guerres ; nous sommes régis en grande partie par ses institutions. […] Le poète, à la lecture du premier article de Carrel sur les représentations d’Hernani, lui avait écrit une lettre explicative, et dans laquelle il lui rappelait les singulières prétentions des soi-disant classiques du jour ; Carrel y répondit par une lettre non moins développée qui commençait en ces termes : « Je suis pour les classiques, il est vrai, monsieur, mais les classiques que je me fais honneur de reconnaître pour tels sont morts depuis longtemps. » Dans la critique de l’Othello de M. de Vigny, il se faisait fort de prouver « que toute la langue qu’il faut pour traduire Shakespeare est dans Corneille, Racine et Molière ». […] pourquoi n’en pas reconnaître l’accent et dans les grands poètes du temps, dans ceux qui ont fait les Méditations et Les Feuilles d’automne, et même dans les moindres ? […] Il est un point très décisif qu’il reconnut ensuite, mais dont il laissa passer alors le moment, et qui devait trancher le caractère de l’institution de Juillet, c’était de savoir si, au lendemain des journées, et après l’acceptation du pouvoir par le duc d’Orléans, on ferait, sous le coup même de l’impression de ces journées, et avec une loi électorale plus ou moins élargie, des élections nouvelles, si on donnerait à une situation, toute nouvelle en effet, une Chambre de même origine, ou bien si l’on continuerait de gouverner avec la Chambre antérieure et déjà un peu dépassée des 221. Carrel a reconnu plus tard qu’à son point de vue, le nœud de la question était là ; mais lorsqu’il était temps de le faire, et avant que l’impression des événements de Juillet se fût détournée et altérée, il ne proposa rien de tel.

252. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

. — Eléments de l’émotion artistique. 1° Plaisir intellectuel de reconnaître les objets par la mémoire ; 2° Plaisir de sympathiser avec l’artiste ; 3° Plaisir de sympathiser avec les êtres représentés par l’artiste. — Rôle de l’expression […] L’émotion esthétique est la plus immatérielle et la plus intellectuelle, des émotions humaines ; les organes à l’aide desquels elle se produit surtout, sont les yeux et les oreilles : préservés de tout contact direct avec les objets, de tout choc, ils n’ont pas à craindre d’être violemment déchirés et désagrégés : une vibration légère comme le rayon ou l’onde sonore qui la produit, une excitation qui peut s’arrêter à telles fibres isolées sans mettre en mouvement la masse des nerfs optiques et auditifs, c’est assez pour provoquer dans ces sens un changement d’état saisissable : ils sont donc très propres à ces délicates distinctions intellectuelles qui sont l’une des marques auxquelles nous reconnaissons les sentiments esthétiques. […] Sans exclure entièrement de l’émotion esthétique l’activité et même la finalité, nous avons cependant reconnu que cette émotion est le sentiment d’une solidarité déjà existante, soit commencée, soit achevée, et non d’une solidarité à établir ; elle est l’harmonie sentie et non l’harmonie voulue, cherchée avec effort ; elle est la sympathie sociale déjà maîtresse de notre cœur, le retentissement en nous de la vie collective, universelle. […] Le premier élément est le plaisir intellectuel de reconnaître les objets par la mémoire. […] Une œuvre d’art est toujours par quelque côté un portrait, et dans ce portrait, en y regardant bien, nous reconnaissons quelque chose de nous.

253. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

S’il s’efforce par hasard de suivre un moment l’exemple du vulgaire, pour une action usuelle dont il reconnaît temporairement la nécessité, c’est au prix d’efforts inouïs qu’il pourra dompter son habitude de s’approcher des choses de la vie par la route la plus longue, la plus ténébreuse et la plus compliquée ; et même sil y parvient, sa jouissance sera médiocre. […] C’est d’un malentendu que naissent presque toutes les discussions, et je reconnais une fois de plus, ici, la vérité de cette observation. […] Panizza, après avoir rappelé la vieille opinion des Jésuites et des Théologiens « que le sperme viril non utilisé profite au cerveau », et après avoir reconnu que cette opinion était insoutenable de nos jours, ajoute : « Il ne s’agit pas d’une transmigration, mais d’une propagation nerveuse vers le cerveau, de l’excitation causée par l’inhibition sexuelle ». […] Nous ne nous en servirons pas, persuadé qu’un examen plus attentif lui ferait reconnaître le bien-fondé de notre observation. […] Je reconnais pleinement qu’il y a de nombreuses exceptions à la commune loi sexuelle et que si nui ne peut y échapper, beaucoup peuvent y obéir à leur façon.

254. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

Ruine irréparable : « il était prêtre, et il ne croyait plus. » Pourtant, il ne se reconnaît pas le droit de violer son serment. « Du moment qu’on l’avait châtré, il voulait rester à part, dans sa fierté douloureuse. » D’ailleurs, s’il n’a pu vaincre la raison en lui, il est resté maître de sa chair. […] Il y a là toute l’âpre révélation de ce que peut contenir un cœur d’homme dont l’Église s’est d’abord emparée, qui s’est donné tout entier à elle comme à la vérité suprême de ce monde, et qui peu à peu reconnaît son erreur, touche du doigt le mensonge surgissant de toute part sous l’apparente vérité, qui enfin, après s’être déchiré aux parois de la tombe où il s’est enseveli, s’en évade. […] Reconnaître que l’on s’est voué tout entier et pour toujours à un mensonge ! Reconnaître que l’« erreur » est précisément la vérité ! […] L’un des plus grands bienfaits du protestantisme est d’avoir rétabli le mariage du prêtre, parce qu’il a reconnu par là que la condition première de la supériorité morale est de vivre normalement.

255. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

Nous nous y reconnaissons toujours, et nous ne savons ce que chaque lambeau, chaque signe rappellent. […] Cette langue personnelle doit se réduire à la langue commune ; nos idées, nos sentiments doivent revêtir dans notre esprit les formes qui les feront reconnaître de tous les esprits.

256. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIII. Beau trio » pp. 164-169

Mais il est si facile d’attribuer à l’envie froide et moite les sévérités des écrivains indépendants… Ce bavardage, pour le principe, et une fois pour toutes, et cette fois presque vain hors-d’œuvre : en l’occurrence, je dois reconnaître dans la Petite Paroisse un roman plutôt amusant. […] Il faut reconnaître toutefois, chez M. 

257. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 23-32

Helvétius, c’est pour reconnoître ses bienfaits, que j’ai composé un Livre d’athéisme & rimé des ordures. […] Le soi-disant ne se borne point à des injures calomnieuses : il me donne des avis admirables ; il m’apprend des anecdotes impies sur quelques Auteurs ; il fait des sorties tout-à-fait touchantes contre les gens d’Eglise ; il passe en revue plusieurs articles des Trois Siecles, pour avoir occasion de se déchaîner contre les bons Ecrivains qui ne sont pas Philosophes, & d’élever à la sublimité du génie ceux qui sont reconnus pour tels.

258. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre troisième. »

On reconnaît l’imposteur à la caricature : les fripons déliés l’évitent soigneusement : et voilà ce qui rend le monde si dangereux et si difficile à connaître. […] Racine n’a point reconnu cette règle de d’Olivet.

259. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Ce qu’il nous importe d’examiner dans cette peinture, ce n’est pas pourquoi elle est supérieure au tableau de Galatée (supériorité trop évidente pour n’être pas reconnue de tout le monde), mais pourquoi elle doit son excellence à la religion, et, en un mot, comment elle est chrétienne. […] On reconnaît encore le chrétien dans ces préceptes de résignation à la volonté de Dieu, d’obéissance à ses parents, de charité envers les pauvres ; en un mot, dans cette douce théologie que respire le poème de Bernardin de Saint-Pierre.

260. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Taraval » pp. 282-283

Ce vieillard, c’est Jupiter, je le reconnais à l’oiseau porte-foudre qu’il a sous ses pieds. […] Ce jeune homme, c’est Mercure, je le reconnais aux ailes dont il est coëffé ; ou plutôt c’est un paysan ignoble, quelque satellite déguisé qui les lui a volées.

261. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Enfin le cliché véritable, comme je l’ai expliqué antérieurement, se reconnaît à ceci : l’image qu’il détient en est à mi-chemin de l’abstraction au moment où, déjà fanée, cette image n’est pas encore assez nulle pour passer inaperçue et se ranger parmi les signes qui n’ont de vie et de mouvement qu’à la volonté de l’intelligence. […] Ce qu’il y voit, moi je ne le vois pas, et d’autres ne le verront pas davantage, et c’est précisément le côté faible du système. »‌ Je reconnais volontiers avoir été un peu sévère sur cette question.

262. (1908) Après le naturalisme

Aussi on n’en reconnaît pas immédiatement pour cause ce principe si néfaste. […] Reconnaissons qu’il y a bien de leur faute. […] Les résultats, quant à la fonction, en étaient admirables et on n’avait pas attendu pour le reconnaître. […] Nous devons bien le reconnaître, en effet, la littérature vit essentiellement d’idées. […] Une œuvre d’art n’est pas, nous l’avons reconnu déjà, une thèse vulgarisatrice.

263. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

— nous ne reconnaissons là que du bavardage et du bruit, c’est la forme vide du mystère. […] Estaunié la reconnaît de loin, mais ne s’en occupe pas. […] Des copains reconnurent Bob, l’appelèrent, il monta avec eux et l’homme du génie. […] Il est vrai qu’un Anglais verra la continuité là où un étranger la reconnaît mal. […] L’écrivain s’ingénie à reconnaître et à révéler les tares, les faiblesses, les sottises de l’homme de plaisir.

264. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

On doit reconnaître aussi à Balzac le don de la vérité profonde, qui fut celui de Shakespeare et de Molière. […] Ils étaient trop intelligents pour ne pas en reconnaître l’excellence. […] Chez Paul de Saint-Victor se reconnaît pareillement le désir d’une prose claire et serrée, même dans sa plus ardente éloquence. […] Pasteur, lui, reconnaissait ce domaine inaccessible et indéniable du mystère. […] Or ne s’accorde-t-on pas à reconnaître, dans cette forte race montagnarde, une solidité d’esprit singulière ?

265. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Il y a vingt ans, on a commencé à lui reconnaître quelque talent musical : des éclairs, illuminant de loin en loin des ténèbres profondes. […] La musique de Wagner fut reconnue de la musique, quand, aux concerts, on eut entendu, beaucoup de fois, la Marche de Tannhaeuser. […] On peut même reconnaître que, dans tout le développement ultérieur de son génie, Beethoven conserve plus de rapports avec Haydn qu’avec Mozart. […] L’un des siffleurs, qui est l’âme de la « protestation » a loyalement reconnu que ce n’est pas l’œuvre qu’il sifflait, mais seulement l’intolérance des partisans de Wagner ! […] Le quatrième degré serait de reconnaître en lui le dramaturge, héritier des maîtres classiques.

266. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

On ne reconnaîtrait plus si bien l’homme de toutes les autorités qui soient sur la terre, — qui fit de l’autorité une religion, et qui eut la religion de l’autorité. […] Michelet, lequel, de son propre aveu, ne reconnaît d’autre Dieu que la Révolution et que sa justice ! […] Plus élevé que Jean-Jacques, je le reconnais, et pourtant ayant du Jean-Jacques au fond de son âme (hélas ! […] La plupart des portraits qu’il contient et qui passent sous nos yeux, nous les avons vus déjà dans d’autres panneaux, et il est aisé de les reconnaître. […] Sans doute, il faut le reconnaître, tout n’est pas dans le livre de M. 

267. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Entré à l’École normale au sortir d’études brillantes et où le tour bien français de son talent se marquait déjà, moins latin d’abord et bien moins grec que d’autres, il en vint sans trop d’effort, au bout d’un an, à être le premier de sa volée, comme on disait autrefois, et l’un des princes, unanimement reconnus, de sa génération de jeunesse. […] C’est plaisir de les gêner ; ils s’en tirent toujours, ils ne s’en trouvent que mieux ; et, comme il l’a reconnu lui-même, « la difficulté ajoute quelque chose à l’art 20. » Cependant chaque genre a ses écueils, et quelquefois, au point de vue du goût, M.  […] Après avoir exposé à merveille et dans un parfait tableau les libertés de la presse anglaise et les avoir expliquées par le caractère du public à qui elle s’adresse, il reconnaît les différences de notre esprit, à nous, et de nos tendances françaises ; et cependant ses conclusions n’admettent guère, sur cet article capital, de différence de régime d’un pays à l’autre. […] Son symbole parlementaire, en effet, son Credo politique, et qu’il expose en toute occasion, serait que la France fût régie à peu près comme l’Angleterre ; et dans le détail cependant, sur le chapitre de la presse, par exemple, qui est un article bien essentiel de ce Credo, il a lui-même établi et reconnu la différence profonde d’esprit des deux peuples.

268. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

J’ai emporté de cette première leçon une impression pénible ; j’ai reconnu une fois de plus qu’il suffit de quelques malveillants obstinés pour tenir en échec la bonne volonté du grand nombre. […] Viollet-Le-Duc s’avance jusqu’à penser que l’édifice romain, en général, n’aurait guère plus de beauté, ne ferait guère plus d’effet, si on le suppose complètement restauré, et qu’il gagne plutôt peut-être à la ruine, puisque c’est par là encore que s’atteste le mieux son double caractère dominant, solidité et grandeur ; mais il maintient que ce serait le contraire pour les Grecs qui, eux, tenaient si grand compte dans tout ce qu’ils édifiaient des circonstances environnantes et des accessoires : « Le Romain est peu sensible au contour, à la forme apparente de l’œuvre d’art : ses monuments composent souvent une silhouette peu attrayante ; il faut se figurer la masse restaurée des grands monuments qui appartiennent à son génie pour reconnaître que, la dimension mise de côté, cette masse devait former des lignes, des contours qui sont bien éloignés de l’élégance grecque. […] monsieur Beulé, homme de mérite et de talent comme vous l’êtes, et à qui il ne doit pas coûter d’en reconnaître chez les autres, convenez que ce n’est pas trop mal pour un de ces « architectes diocésains », que vous accusiez l’autre jour de n’avoir d’yeux que pour le Moyen-Âge. […] Viollet-Le-Duc se sépare des architectes classiques proprement dits, à le suivre dans les fines et savantes explications qu’il a données de l’architecture française des XIIe et XIIIe siècles, sa grande et principale étude, son vrai domaine royal, si je puis ainsi parler, et à y reconnaître avec lui, sous des formes si différentes à l’œil, et si grandioses à leur tour ou si charmantes, quelque chose de ces mêmes principes et de ce libre génie dont l’art s’est inspiré et s’inspira toujours aux époques d’invention heureuse et de florissante originalité ; tellement qu’à ne voir que l’esprit, il y a plus de rapport véritable entre les grands artistes de la Grèce et nos vieux maîtres laïques bâtisseurs de cathédrales, qu’entre ces mêmes Phidias ou Ictinus d’immortelle mémoire et les disciples savants, réguliers, formalistes, qui croient les continuer aujourd’hui.

269. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

Il ne reconnaissait pas le passage des Panoramas. […] Il est arrivé à ne distinguer que difficilement les poids avec lesquels il fait de la gymnastique, à ne reconnaître qu’avec un effort les gros des moyens, les moyens des petits. » « L’attention, cette prise de possession intelligentielle de ce qui se passe autour de nous, cette opération si simple, si facile, si alerte, si inconsciente de la santé des facultés cérébrales, l’attention, il n’en est plus le maître. […] Fou d’inquiétude, je lui demandai s’il ne me reconnaissait pas. […] Trousseau en exprima l’intérêt, même au point de vue médical pur, dans les pages savoureuses qui ouvrent le recueil de ses magistrales cliniques : « Que les nosologies soient utiles à celui qui commence l’étude de la médecine, j’y consens au même titre qu’une clef analytique est assez bonne, au même titre que le système si faux de Linné peut être fort utile à celui qui essaie l’étude de la botanique ; mais, Messieurs, si vous connaissez assez pour pouvoir reconnaître, permettez-moi cette espèce de jeu de mots, hâtez-vous d’oublier la nosologie, restez au lit du malade, cherchant sa maladie comme le naturaliste étudie la plante en elle-même dans tous ses éléments.

270. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Un esprit commun, qui n’a qu’une première vue, peut en être choqué, et quelque déclamateur vulgaire y verra des injures contre la nature humaine, mais quiconque sait lire au fond de son cœur, sans crainte d’y apercevoir, sur les indications si sûres de la philosophie chrétienne, ce fond de corruption où sont les tentations et tout le prix de l’innocence, reconnaîtra dans les plus sévères de ces maximes un avertissement menaçant donné par un des penseurs qui ont le mieux connu ce fond. […] Certaines vérités sont saisies à la première vue : nous y étions préparés, nous dépendions d’elles depuis longtemps, et nous vivions à notre insu sous leur empire ; un esprit supérieur nous en avertit, nous les reconnaissons. […] C’était inévitable : les juges de l’ouvrage en avaient fourni la matière ; aucun ne se voulait reconnaître à cette image si disgracieuse de l’amour-propre. […] Celles-ci surtout veulent être méditées plutôt avec la résolution de nous y reconnaître au besoin, qu’avec le puéril parti pris de les contredire.

271. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Il n’y a pas de recette pour faire des classiques ; ce point doit être enfin reconnu évident. […] Bien avant Boileau, même avant Racine, ne sont-ils pas aujourd’hui unanimement reconnus les plus féconds et les plus riches pour les traits d’une morale universelle ? […] Cet hommage rendu à ce qu’il suffit d’apercevoir et de reconnaître, nous ne sortirions plus de nos horizons, et l’œil s’y complairait en mille spectacles agréables où augustes, s’y réjouirait en mille rencontres variées et pleines de surprise, mais dont la confusion apparente ne serait jamais sans accord et sans harmonie. […] En général, les nations diverses y auraient chacune un coin réservé, mais les auteurs se plairaient à en sortir, et ils iraient en se promenant reconnaître, là où l’on s’y attendrait le moins, des frères ou des maîtres.

272. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

J’ai vu représenter le commencement d’Athalie de la façon suivante : Abner apparaît à gauche, Joad apparaît à droite, reconnaît de loin Abner, lui fait un geste qui veut dire : « Ah ! […] Il doit avoir un style à lui et qui se reconnaîtra toujours quand il fait parler le personnage qui le représente, ou toutes les fois, dans quelque rôle que ce soit, qu’il fait dire à quelqu’un ce qu’il dirait en effet lui-même. […] Encore que ce soit l’essentielle qualité du dramatiste de se transformer en les personnages les plus différents et de vivre en eux ; encore que le dramatiste ne soit rien s’il n’est pas objectif, cependant le subjectif reste et c’est à l’accent que le subjectif se reconnaît. […] On voit qu’une des plus vives jouissances de réflexion dans la lecture des poètes dramatiques est de reconnaître ce qu’ils mettent eux-mêmes dans leurs œuvres.

273. (1890) L’avenir de la science « VI »

Les meilleurs juges reconnaissent que, de toutes les branches des études philologiques, l’Orient, l’Inde surtout, peuvent offrir pour l’histoire de l’esprit humain les plus précieuses données. […] Reconnaissons d’abord que l’enthousiasme de la science est beaucoup plus rare et plus difficile dans un siècle comme le nôtre, où toutes les branches de la connaissance humaine ont fait d’incontestables progrès, qu’à une époque où toutes les sciences étaient en voie de création. […] Ces aperçus sont, je le reconnais, le but principal qu’il faut se proposer dans la recherche ; mais, quelle que soit l’excellence avec laquelle ils sont proposés, n’est-il pas vrai que les cours, qui attirent à juste titre un grand nombre d’auditeurs et qui exercent la plus puissante influence sur la culture des esprits, ne contribuent qu’assez peu à répandre l’esprit scientifique ?

274. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

Cette filiation est reconnue par tous les critiques » — « Tous les critiques, réplique-t-on, cela veut dire un critique copié par un autre. » J’admire ce dédain, M. de Gourmont pense-t-il qu’une opinion soit moins bonne parce que des gens compétents la partagent, et qu’on a plus de chance d’avoir raison lorsqu’on n’est d’accord avec personne ? […] De bons juges me rassurent à cet égard :‌ « Il faut bien le reconnaître, dit aimablement M.  […] Que Fénelon soit parfait écrivain dans beaucoup de ses ouvrages, c’est une chose que nous avons reconnue nous-même.

275. (1757) Réflexions sur le goût

Le goût, quoique peu commun, n’est point arbitraire ; cette vérité est également reconnue de ceux qui réduisent le goût à sentir, et de ceux qui veulent le contraindre à raisonner. […] Il n’accordera sur ce point ni tout à la nature ni tout à l’opinion ; il reconnaîtra, que comme la musique a un effet général sur tous les peuples, quoique la musique des uns ne plaise pas toujours aux autres, de même tous les peuples sont sensibles à l’harmonie poétique, quoique leur poésie soit fort différente. […] il en est au contraire le plus ferme appui, puisque cet esprit consiste à remonter en tout aux vrais principes, à reconnaître que chaque art a sa nature propre, chaque situation de l’âme son caractère, chaque chose son coloris ; en un mot à ne point confondre les limites de chaque genre.

276. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire de la Révolution »

Sans doute un homme est ce qu’il est, et la critique, qui examine l’Histoire des soixante ans d’un point de vue exclusivement littéraire, n’a pas la prétention de carrer la tête de Castille et de la lui faire autre qu’il ne l’a, mais, fataliste, — par parti pris ou par cette adhésion de l’esprit à laquelle Malebranche, ce pauvre diable de génie qui faisait là une pauvre diablesse de définition, reconnaissait la vérité et aurait pu tout aussi bien reconnaître l’erreur, — mais, fataliste, puisqu’il l’est, pourquoi Hippolyte Castille n’a-t-il pas le style de sa pensée ? […] — l’auteur des Soixante ans est un homme que la politique et le fait et le fatum n’ont pas desséché, et s’il faut bien le reconnaître pour un matérialiste en histoire, il faut du moins convenir que c’est un matérialiste dont le sang est chaud et bat parfois pour la justice.

277. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

La plupart des portraits qu’il contient et qui passent sous nos yeux, nous les avons vus déjà dans d’autres panneaux, et il est aisé de les reconnaître. […] Sans doute, il faut le reconnaître, tout n’est pas dans le livre de Michelet de la même pureté de poison. […] Elle avait bien des défauts et nous les reconnaissons… Pédante si l’on veut, quelquefois sans grâce et précieuse, esprit faux en philosophie, bas-bleu à ravir l’Angleterre de l’éclat enragé de son indigo, madame de Staël, par la distinction de sa pensée, par la subtilité de son observation sociale, par son style brillant d’aperçus, par ses goûts, ses préoccupations, ses passions même, tendait vers la plus haute aristocratie, vers la civilisation la plus raffinée.

278. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Jules Soury. Jésus et les Évangiles » pp. 251-264

Ici, je reconnais ce que j’appelle : le signe Renan. […] Dans un autre endroit de son livre, l’auteur de Jésus et les Évangiles, qui nie la divinité du Christ en raison abjecte de sa folie, reconnaît qu’il est thaumaturge, et s’il est thaumaturge, il fait des miracles, et s’il fait des miracles, nous voilà en plein monde surnaturel et bien près de la Divinité. […] IV Cependant, on est obligé de le reconnaître, malgré ces faiblesses de sceptiques embarrassés qui sont le fond des sciences humaines, M. 

279. (1874) Premiers lundis. Tome I « Œuvres de Rabaut-Saint-Étienne. précédées d’une notice sur sa vie, par M. Collin de Plancy. »

Rabaut consacra à sa mémoire un touchant Hommage, dans lequel La Harpe daigna reconnaître la véritable éloquence. […] On y reconnaît aussi certaines vues développées ensuite par Dupuis, dans la conversation duquel Rabaut avait puisé des lumières.

280. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bornier, Henri de (1825-1901) »

Il faut bien reconnaître qu’en effet elles ne s’y retrouvent pas. […] Il faut même dire que, jusqu’à la fin, Mahomet est comme partagé entre ses trois rôles sans réussir à s’y reconnaître lui-même très distinctement.

281. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

Ils reconnaissaient chez ceux qu’ils avaient jusqu’alors tenus pour des inférieurs et dont ils suspectaient les doctrines, une admirable profusion intérieure, l’absolue prodigalité de soi. […] Les convives de cet immense banquet se virent, s’écoutèrent, se reconnurent et se justifièrent.

282. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Le cerveau de l’hypnotisé conserve l’idée de l’hypnotiseur et reconnaît son action à des signes subtils, qui échappent à tout autre, par une impression dont il ne saurait lui-même rendre compte. […] Le même sujet, que son père endormait aussi, reconnaissait l’action de M.  […] Elle ne veut pas la voir, ni surtout reconnaître qu’elle la voit, tout comme il y a des gens qui se refusent à l’évidence. […] De même, pour reconnaître une personne, il faut faire une série de synthèses, qui rattachent certains souvenirs à l’ensemble des sensations actuelles. […] Au lieu d’être affaiblie, comme le croit Wundt, la perception de l’objet désigné comme absent serait très nette, mais exclue de l’ensemble des perceptions avouées et reconnues telles.

283. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Cet état, qui est celui de la plupart des esprits, qui, s’il n’est pas la non-croyance absolue, est un état d’examen plus ou moins libre, plus ou moins raisonné et approfondi, avec tous ses résultats et ses conséquences, cet état, je l’ose dire, est tout à fait légal depuis 1789 : il a droit à être reconnu, à être respecté. […] Quand un nombre suffisant d’hommes et d’esprits sont arrivés à penser sur un point donné d’une certaine manière ; quand le groupe est devenu assez nombreux, assez considérable, bon gré, mal gré, on compte avec lui, on le reconnaît, on le respecte, ne pouvant l’exterminer, ni l’écraser, ni le proscrire, comme on faisait autrefois. […] Il est rédigé comme si la philosophie néo-platonicienne ou éclectique était unique et universellement reconnue, comme s’il n’y avait pas d’autre théorie qui explique par d’autres raisons et qui assoie sur un principe différent l’autorité des lois pénales65. […] Dumas n’a pas entendu la parole que je viens de prononcer ; je reconnais M.  […] Ce parti convoite aujourd’hui renseignement de la jeunesse, tout l’enseignement : là même où il n’est pas et où il n’a pas pied, il prétend en dicter les règles, en circonscrire la portée, en resserrer les limites, les imposer en dehors de lui-même aux hommes qui ne relèvent en rien de sa juridiction, qui ne reconnaissent en rien sa compétence.

284. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

On le reconnaît aujourd’hui, trop tard, mais son ombre en sourit là-haut. […] C’est là que je vis de loin un Bédouin assis sur une peau d’ours ; et, sans m’étonner de reconnaître sous ce costume lady Stanhope, j’allai directement à elle. […] Elle m’en expliqua l’usage : l’un servait à assujettir son turban, et l’autre à cacher sa figure, quand elle ne voulait pas être reconnue. […] Quelques arcs et deux carquois remplis de flèches étaient suspendus aux murs ; sur un côté du divan paraissait un grand tableau représentant un cheval libre franchissant un torrent, et, derrière le cadre, je reconnus un portrait de Bonaparte presque entièrement dérobé à la vue. […] Au milieu de toutes ces idolâtries, je n’osais me créer une divinité ; mais aujourd’hui ma croyance est fixée, et, à force de bienfaits versés sur mes semblables, je veux mériter les bienfaits de ce Dieu, seul et tout-puissant, dont mon âme tout entière reconnaît l’existence.

285. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Nous reconnaîtrons qu’elle se caractérisait par l’allure particulière que prenait notre pensée. […] On peut même la reconnaître à ce signe, que seule elle comporte une contemplation prolongée. […] Je suis le premier à le reconnaître. […] Il le faut reconnaître pourtant. […] Nous avons reconnu que les deux thèses étaient exagérées.

286. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Ce sont là, on voudra bien le reconnaître, les meilleures garanties extérieures pour les juger littérairement. […] Devenue vieille et châtelaine de Nohant, l’auteur d’Indiana voulut bien reconnaître que la Fortune avait souri à sa carrière. […] Qui ne reconnaîtrait à cette attitude le meilleur trait de la mentalité latine ? […] Comment y demeurerait-il insensible, lui surtout qui ne saurait manquer de reconnaître en celles qu’il va juger tout un groupe de jeunes initiées ? […] Nul plus que nous ne les saurait admettre, à une condition pourtant : c’est qu’on leur reconnaisse un contrepoids nécessaire.

287. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

… oui, je te reconnais là, et quand on fera des tableaux où il n’y aura ni pieds, ni mains, ni tête à peindre, tu seras sûr alors d’être le plus habile. […] Étienne eut une occasion de reconnaître l’admirable modestie et l’envie constante de bien faire qui distinguaient ce grand artiste de tous les peintres de son temps. […] Heureusement encore ces bourrades de soldats firent croire à la populace que nous faisions parti d’elle-même, mais quelques-uns nous reconnurent. […] Là, je fus reconnu dans la foule par un de mes modèles. […] David, quoique fier d’un élève dont il reconnaissait les qualités très-réelles, ne s’abusait cependant pas sur ses défauts.

288. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

On a voulu reconnaître tour à tour sous ses traits, MM.  […] Pourra-t-elle le reconnaître ? […] Tu ne le reconnais pas ? […] » et il s’est tu, car il ne veut pas qu’on le reconnaisse et qu’on le dénonce. […] Elle se reconnaît au plaisir qu’ils trouvent à construire de longues périodes, lourdes, embrouillées.

289. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Victor Cousin découvrait dans Pascal des sublimités qu’on a reconnu être des fautes du copiste. […] Elle a sa figure propre, elle a son esprit particulier, qu’il est difficile de reconnaître. […] Il reconnaîtra son sang. […] Mais c’est la fille, comme de raison, qui reconnaît ses torts et confesse ses erreurs. […] Ulysse la reconnaît et pleure.

290. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Pourtant Mallarmé lui-même, reconnaissons-le, contribue à présenter son labeur sous ce jour. […] La totale arabesque, qui les relie, à de vertigineuses sautes en un effroi que reconnue ; et d’anxieux accords. […] On reconnaît presque les termes du bouffon. […] Reconnais-toi ! […] On reconnaît la boutique d’orfèvre où, pour les Parnassiens, tenait le monde.

291. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Sa parole passionnée la décide à le reconnaître pour le véritable Tsar et il envahit la Russie à la tête d’une armée nombreuse. […] Toutefois, il n’est que juste de reconnaître, tout d’abord, que M.  […] Wyke Bayliss, il faut reconnaître que ses vues sur l’art sont au dernier point banales et vieillottes. […] Il faut reconnaître qu’il en est ainsi. […] Une bonne partie de l’œuvre est inégale, peu soutenue, il faut le reconnaître.

292. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemercier, Népomucène Louis (1771-1840) »

De Pongerville On reconnaîtra que Lemercier possédait une partie des éminentes qualités du grand écrivain, mais qu’il lui manquait le sentiment exquis, le gout qui en dirige l’emploi ; il méconnut trop souvent la précision harmonieuse du langage, la beauté des formes qui donnent la vie et la durée aux créations idéales. […] Il refusait cependant de la reconnaître.

293. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

Le troisième et le quatrième étaient autant d’artifices salutaires que permettait la Providence, afin qu’il se formât des philosophes capables de la comprendre et de la reconnaître pour ce qu’elle est, un attribut du vrai Dieu. […] Les Latins tirèrent de là l’usage d’appeler professeurs de sagesse ceux qui professaient l’astrologie judiciaire. — Ensuite la sagesse fut attribuée aux hommes célèbres pour avoir donné des avis utiles au genre humain ; tels furent les sept sages de la Grèce. — Plus tard la sagesse passa dans l’opinion aux hommes qui ordonnent et gouvernent sagement les états, dans l’intérêt des nations. — Plus tard encore le mot sagesse vint à signifier la science naturelle des choses divines, c’est-à-dire la métaphysique, qui cherchant à connaître l’intelligence de l’homme par la contemplation de Dieu, doit tenir Dieu pour le régulateur de tout bien, puisqu’elle le reconnaît pour la source de toute vérité41. — Enfin la sagesse parmi les Hébreux et ensuite parmi les Chrétiens a désigné la science des vérités éternelles révélées par Dieu ; science qui, considérée chez les Toscans comme science du vrai bien et du vrai mal, reçut peut-être pour cette cause son premier nom, science de la divinité.

294. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Souday perdrait son grec à tenter de s’y reconnaître. […] Vous avez reconnu au passage, et salué avec plaisir la vieille théorie évidente sur la poésie créatrice de rapports nouveaux. […] Laissons l’analyse intellectuelle, ne quittons pas le domaine propre de la création poétique : on l’a toujours reconnue surtout dans les relations nouvelles suscitées par les images. […] D’où ce composé paradoxal que tout poème nous présente, ce mélange de pur et d’impur, où la prose et la poésie ont également le droit de se reconnaître. […] Aucun admirateur de l’une ne semblait pouvoir reconnaître les prouesses de l’autre.

295. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Il reconnut le Tasse, qu’il avait vu et cultivé à Ferrare, dans l’étranger agenouillé au pied d’une colonne. […] Dieu fasse que vous reconnaissiez pleinement votre erreur, et que cela vous soit une leçon pour l’avenir ! […] Les ouvrages des anciens se font reconnaître, nous dirons presque, à leur sang. […] Il sent trembler sa main, tandis qu’il détache le casque et qu’il découvre le visage du guerrier inconnu : il la voit, il la reconnaît ; il reste sans voix et sans mouvement : ô fatale vue ! […] « Le chef reconnaît le héros à ses armes : il accourt ; il reconnaît aussi Clorinde, et son cœur est percé de douleur.

296. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Êtes-vous prêts à vous reconnaître esclaves, vous, prétendus hommes libres, qui n’avez jamais, depuis quelque temps, sur vos lèvres que le nom glorifié de vos tyrans ? […] Le droit public moderne reconnaît parfaitement le droit à tout peuple de faire des révolutions chez lui et d’y changer, selon ses volontés libres, la forme de son gouvernement intérieur : c’est ce qu’on appelle liberté, souveraineté du peuple, gouvernement de soi-même ; mais aucun droit public, ni antique ni moderne, ne reconnaît à un peuple constitué dans ses limites par les traités, par les congrès, par les conventions avec les autres États de l’Europe, le droit d’envahir, sans être en guerre, d’autres États voisins, de les ravir à leur souveraineté propre, théocratique, monarchique ou républicaine, et de se les annexer sans le consentement du souverain, du peuple, de l’Europe entière, rassemblée en congrès pour veiller à la constitution générale des sociétés. Le droit public européen, qui reconnaît toute souveraineté du peuple dans l’intérieur de ses limites nationales, ne reconnaît pas de même au peuple le droit de changer sa condition nationale à l’extérieur, c’est-à-dire le droit de se détacher du groupe national dont il fait partie pour aller accroître par une annexion, fût-elle volontaire ou capricieuse, le poids et la force d’une autre souveraineté voisine dont elle change ainsi la constitution européenne au détriment de l’Europe entière et au grand danger des nations limitrophes. […] Cette confédération, sous le protectorat de la France et de l’Europe, n’a besoin que de se proclamer pour être reconnue.

297. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Et, en même temps, il en a tenu note avec une curiosité que ne rebutait point la difficulté de se reconnaître soi-même dans ces ténèbres de la volonté et de l’humeur, de se saisir dans cette mobilité, et que n’effarouchait pas la honte de se trouver des faiblesses. […] Les grands écrivains le reconnaissent pour leur glorieux prédécesseur. […] Outre cette complaisance de l’esprit de doute par laquelle Montaigne se fait tant d’amis, surtout dans notre France, un attrait plus innocent peut-être nous le fait aimer : c’est que chacun de nous s’y reconnaît. […] Ce que Pascal, homme de génie, voit simultanément en Montaigne et en lui, et presque plus tôt en lui qu’en Montaigne, le moi humain, nous, la foule des esprits capables de se perfectionner par la culture, nous le voyons aussi, avec son aide et par son indication, charmés de nous estimer davantage dans le même temps que nous nous reconnaissons. […] Nous nous piquons de reconnaître notre personne dans la personne qui s’appelait Montaigne, dans ce portrait qu’il se garde bien de faire en une fois, de peur d’omettre certains traits et d’en forcer d’autres, mais qu’il a comme répandu dans tout le cours de son ouvrage.

298. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

Je voudrais voir introduire la même réforme dans notre physiologie du système nerveux, je voudrais voir reconnaître que, malgré les diversités, tous les centres nerveux, en tant que centres, ont des propriétés et des lois en commun. […] La doctrine qui reconnaît au cordon spinal des fonctions sensitives, n’est point neuve. […] La spontanéité et le choix sont deux signes palpables, auxquels nous reconnaissons la présence de la sensation et de la volition. […] Parmi les physiologistes, on reconnaît aussi que toute sensation est accompagnée d’un processus nerveux. […] Je reconnais, dit l’auteur, que le passage du mouvement à la sensation, que la transformation de l’un en l’autre est inintelligible.

299. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Espinas, d’ailleurs, finit par reconnaître que l’évolution, ici, suppose un finalisme immanent ; mais, avec Spencer, il considère ce finalisme comme une simple « expression » du mécanisme, et il le rattache, en dernière analyse, à la loi de « la persistance de la force ». […] En même temps que l’origine appétitive des instincts, qui vient d’être mise en lumière, il faut reconnaître leur origine mécanique. […] La larve, devenant insecte parfait, a beau se métamorphoser, elle conserve l’image de cette proie dont elle a vécu pendant son état larvaire ; elle la reconnaît, elle a une préférence pour elle, qui va même jusqu’à un « exclusivisme absolu ». […] Quand ces principes surgissent dans la pensée, nous les reconnaissons, ils nous sont familiers ; par une illusion facile, nous croyons que ces principes ont dû plus ou moins obscurément inspirer l’acte, alors même qu’en réalité la suggestion serait venue du dehors. […] Il n’est donc pas étonnant que, dans une volition, on ne reconnaisse pas toujours complètement ni les motifs, ni les mobiles, ni même le caractère de l’individu, car il y a là une synthèse mentale bien plus délicate que les synthèses chimiques ou vitales.

300. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

La princesse, mariée en Italie en 1840 avec la qualité de Française et les droits qui lui avaient été, comme telle, reconnus et pleinement rendus par le gouvernement français d’alors (disons-le à son éloge), put revenir en France dans le courant de l’année 1844. […] Un ancien ami avec qui elle se croyait brouillée et qu’elle savait blessé, mortifié et à jamais éloigné par la politique, avait passé près d’elle, près de sa voiture, n’avait point paru la reconnaître, et, l’instant d’après, en descendant, elle l’avait trouvé qui l’attendait pour lui prendre et lui serrer cordialement la main. […] [NdA] Deux jurys pourraient chercher à se reconnaître : celui de Nantes et celui de Metz.

301. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

Ney, à peine arrivé et immédiatement mis à la tête de son corps d’armée, crut avoir, besoin de quelques heures pour se reconnaître, pour prendre idée des troupes qu’il commandait : la lenteur à attaquer dans la soirée du 15 pouvait se réparer aisément le lendemain. […] Napoléon prêt à monter à cheval pour aller reconnaître la plaine de Fleurus, destinée à la bataille du jour, recommandait expressément à Ney par une lettre détaillée d’occuper fortement les Quatre-Bras, de se porter même un peu en avant, et cependant de n’engager pas trop la cavalerie légère de la garde ni même les cuirassiers de Valmy, de tenir une de ses divisions à droite, afin d’être en état de se rabattre au besoin sur Fleurus et d’aider au succès définitif de la journée. […] Car, avant de rétrograder vers Ney, et lorsqu’il était en marche sur Bry, vers cinq heures, aperçu de loin par Vandamme et mal reconnu par l’un des officiers de ce dernier général, il avait donné des inquiétudes aux nôtres à un moment décisif, et avait contribué à suspendre un mouvement victorieux jusqu’à ce qu’on fut revenu d’une première erreur ; on y perdit près de deux heures bien précieuses.

302. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

« Oui, je le remarque avec peine, avec regret pour la France, l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres a laissé vivre et mourir, sans se l’associer, ce savant homme si essentiel, dont la perte est reconnue aujourd’hui, par tous ceux qui ont droit d’avoir un avis en ces matières, comme immense et presque irréparable. […] La justice de l’Empereur se plut à reconnaître ses services en cette occasion, qui en résumait tant d’autres, et à l’en récompenser par des marques de bonté qui ont rejailli sur son excellente veuve. […] Je m’empresse de reconnaître que j’en ai très-souvent profité, et plût au Ciel que je pusse en profiter encore !

303. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Il aura beau dire que les épigraphes ne sont choisies qu’après sa pièce composée, et comme un simple enjolivement du titre, je reconnais souvent, dans le cours même du poëme, la traduction des vers et des pensées que m’avait offerts la petite préface anthologique. […] Ce poëte distingué, et qui ne put jamais complétement percer, avait eu dans sa vie des phases successives où l’on reconnaîtrait à peine le même homme. […] Ce n’était pas modestie vraie ou fausse de sa part, car il reconnaissait assez haut dans la conversation sa valeur et ses supériorités : on peut dire qu’il avait l’orgueil de son œuvre et l’insouciance du succès.

304. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

On y reconnaît, à chaque phrase du narrateur, le Fléchier tel qu’il s’est retracé lui-même dans un portrait déjà connu, adressé, selon toute apparence, à mademoiselle Des Houlières43, portrait à la mode du temps, dans le goût un peu flatté des ruelles et des bergeries, tout peint et comme peigné par lui de charmantes caresses. […] Pourtant on arrive à Clermont ; on y est reçu avec force harangues et comparaisons tirées de la lune et du soleil ; tandis que Messieurs s’installent, qu’échevins et échevines défilent en cérémonie, et qu’on se promène un peu pour reconnaître la ville, M. […] Nau, le plus actif des conseillers, il est croqué à se faire reconnaître entre mille : toujours en avant, toujours en arrêt, un Perrin Dandin au criminel, qui menace tout le monde de la question, et qui danse si bien les bourrées : « Enfin on faisoit peur de M.

305. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Jouffroy se place seul, en présence de lui-même ; abstraction faite des cinq sens extérieurs, attentif à sa conscience intérieure ; il pense, il veut, il se sent ; et partout où il se sent il dit moi ; de sorte que, comme il y a en nous un certain nombre de fonctions dont nous n’avons pas conscience, le moi ne s’y reconnaît pas ; il ne se sent pas sécréter la bile dans le foie, l’urine dans le rein ; par conséquent, informé d’ailleurs, grâce à l’observation sensible, que ces fonctions s’accomplissent dans le corps, il les rapporte à d’autres forces qu’à lui, à des forces distinctes qui résident, l’une dans le rein, l’autre dans le foie, l’autre dans l’estomac ou le poumon, et dont il désigne l’ensemble sous le nom de force vitale. […] Ils font d’abord abstraction des sens extérieurs et ne s’en tiennent qu’aux sens intérieurs : et parmi les sens intérieurs, ils font aussitôt abstraction de tous ces sens lointains, épars, obscurs bien que réels, qui président sourdement, et dans la profondeur des organes, à la nutrition de l’individu et aux fonctions reproductives ; ils oublient le murmure confus, continuel et fondamental de tous ces sens intimes qu’unit une seule et même vie ; ils ne s’adressent qu’à un ou deux sens cérébraux, plus particulièrement affectés à la conscience distincte et à la réflexion ; et réfugiés là dedans, dédaigneux du reste, alta mentis ab arce, ils n’entendent plus, ils ne sentent plus, ils ne reconnaissent plus tout leur être. […] Les philosophes, moins humbles, ont insisté sur l’idée du château-fort ; ils ont affecté au moi, tel qu’ils croient le concevoir, une sorte de sérénité insouciante et la dédaigneuse immobilité d’une sentinelle qui se repose sur ses armes ; au haut de leur doctrine escarpée ils lui ont donné un air de confiance et de contemplation, mais en ne s’en tenant pas à l’apparence, en s’approchant de plus près, en mettant le doigt à travers le créneau, on reconnaît que ce mot imposant et vanté n’est rien qu’une froide pierre, une vaine statue.

306. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Mais deux ou trois savants véreux, qui se croient quelque chose pour avoir débuté dans les bagages de l’armée d’Égypte ou pour avoir paperassé avec les travaux d’autrui, entravent tout éclaircissement, et donneraient gain de cause, s’ils l’osaient, au fripon sur l’honnête homme, plutôt que de reconnaître qu’ils ont été dupes, et de se rétracter. […] Si nous nous plaisons en effet à reconnaître chez M.  […] Maurize, et nous reconnaîtrons de grand cœur que la doctrine qu’il professe si ardemment, recèle un contingent de vérités dont c’est un devoir d’essayer le triage.

307. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Reconnais ta petitesse et ton insignifiance. […] L’étude des cas de conscience conduit à individualiser la morale, à reconnaître qu’il y a autant de morales que d’individus, bien plus que le devoir varie avec les situations où l’individu se trouve engagé. […] L’art social reconnaîtra-t-il à des pensées nettement antisociales ou jugées telles le droit de s’exprimer (par exemple au pessimisme asocial ou antisocial, à l’immoralisme) ?

308. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Il reconnaît lui-même qu’il se livre, proie ivre, au hasard. […] Leur ridicule ne se révèle qu’avec le temps et, leur ridicule reconnu, elles tombent dans l’oubli. […] Jude reconnaît facilement qu’il est permis de « défaire ce qu’on a fait par ignorance » et que le mariage, ignoble troc prostitueur ou pacte grotesque par lequel on promet de ne pas changer de goût, est la plus vaine et la plus immorale des formalités.

309. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Laujon avait donné l’édition complète de ses œuvres ; on y reconnaît un esprit fin, un travail facile, une aimable négligence. […] Églé et l’Amoureux de quinze ans sont deux tableaux d’un dessin pur et gracieux ; et cependant, lorsque l’auteur se livre à des compositions dramatiques, on voit que c’est encore la muse de la chanson qui l’inspire ; elle veut essayer un ton plus grave, des manières plus imposantes, mais elle se trahit à la naïveté de son langage, à la délicatesse de ses formes, et l’œil le moins clairvoyant reconnaît Érato sous le masque de Thalie. […] si tu revivais parmi nous, divin Molière, tu les reconnaîtrais encore !

310. (1760) Réflexions sur la poésie

Eu un mot, voici, ce me semble, la loi rigoureuse, mais juste, que notre siècle impose aux poètes ; il ne reconnaît plus pour bon en vers que ce qu’il trouverait excellent en prose. […] Par la même raison, quoiqu’on reconnaisse tout le mérite de la poésie d’image, quoique dans la jeunesse, où tout est frappant et nouveau, on préfère cette poésie à toute autre, on lui préfère dans un âge plus avancé la poésie de sentiment, et celle qui exprime avec noblesse des vérités utiles. […] Mais je ne m’attendais pas, je l’avoue, à celui qu’ils prennent au latin des Psaumes : ils m’accusent d’impiété, pour avoir osé dire que ce latin est à demi barbare ; je croyais la chose incontestable, et même généralement reconnue par ceux qui avec raison respectent le plus dans ces poésies sacrées le fond des choses.

311. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

Là je ne reconnais plus la poésie cosaque sur laquelle j’avais compté. Je ne reconnais plus la fille de la race d’Ivan le Terrible, — cette fille qui s’annonçait si bien, — qui (dit-elle) aurait tué un jour, aussi simplement qu’on avale un verre d’eau, un de ses frères, si on n’avait pas oublié les pistolets des fontes de la selle, — parce qu’en sautant une rivière, il avait pu voir qu’elle avait eu peur… Quelle débâcle de caractère quand il s’agit d’un livre ! […] Excepté une chasse aux loups, racontée presque avec la rapidité du traîneau sur lequel la dame est montée et avec des nerfs auxquels je reconnais la vraie femme, je n’aurais pas, littérairement, le moindre détail cosaque à me mettre sous la dent ; et encore le petit cochon de lait que je n’y mets pas, et qu’en cette chasse où les chasseurs sont chassés, on traîne au bout d’un cordon, derrière le traîneau, pour exciter les loups, qui finissent par le dévorer, ce petit cochon me gâte cette scène cosaque, avec son petit air français.

312. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Ainsi, disons-le tout d’abord, malgré des qualités qui recommanderaient encore, sans nul doute, un esprit inférieur à Macaulay, nous n’avons pu reconnaître dans ces deux volumes le talent agrandi de l’écrivain qui, en 1827, 1828, 1832, 1835, écrivait sur Machiavel, Dryden, la Guerre de la succession, par lord Mahon, l’Histoire de la Révolution de 1688, par Mackintosh, ces articles abondants et lumineux qui resteront comme des modèles de critique élevée et vivante. […] Nous avons rencontré et pleinement reconnu dans cette histoire le whig des premiers jours, devenu plus que jamais l’homme de la cause ; le whig avec ses préoccupations, ses passions, ses erreurs, et, pourquoi ne le dirions-nous pas ? […] Quoique, dans le premier volume de son ouvrage, Macaulay ébauche en traits rapides une histoire générale de l’Angleterre, depuis la Bretagne sous les Romains jusqu’à l’avènement de Jacques II, qui est pour lui le grand événement, l’événement décisif dans l’histoire d’Angleterre ; quoique sa préoccupation de whig soit telle qu’il ne veuille pas reconnaître comme monarchie anglaise la monarchie normande de Guillaume le Conquérant, et qu’il place l’origine de la vraie monarchie d’Angleterre à la fière extorsion de la Grande Charte, pour lui, cette histoire si confuse et si indistincte ne doit apparaître nettement, sans luttes, sans tiraillements, régulière et devenue enfin ce qu’elle doit être, qu’à la chute du dernier Stuart et à l’écroulement de cette monarchie de droit divin qui ne fut pas uniquement, comme il voudrait nous le faire croire, une chimère ou une réalité incessamment repoussée.

313. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

On y reconnaît la plume d’un homme fait pour mieux que pour écrire des biographies, si réussies qu’elles soient, et très capable de lutter contre les grands sujets historiques et leurs excitantes difficultés. […] « Richelieu — dit Renée — fut jaloux, ingrat, vindicatif, implacable. » Cela est vrai souvent, mais ce n’est pas ici, et il fallait le reconnaître. Renée ne le reconnaît pas : « La raison d’État — nous dit-il — n’avait pas toujours été une religion pour Richelieu… Sa foi datait de son entrée au ministère. » Mais un homme aussi apte et aussi accoutumé aux choses de l’Histoire que l’auteur de Madame de Montmorency ne sait-il donc pas à quel point la Fonction ouvre, élargit et élève le regard, et que de ce sommet de la Fonction on voit ce qu’on ne voyait pas encore du bas de la vie ?

314. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

pour n’avoir pas à reconnaître, en Madame Geoffrin, de l’amour, M. de Mouy aime mieux l’accuser d’amour-propre. […] Pour moi, il m’est impossible de ne pas reconnaître ce sentiment sous les respects adressés au Roi et les tendresses maternelles de la femme âgée à l’homme moins âgé qu’elle, et j’estime même que, tout redouté qu’il soit de M. de Mouy, c’est là un sentiment qui l’honore, cette femme, bien loin de la déconsidérer ! […] … M. de Mouy n’en convient pas et n’en conviendra jamais ; mais Fontenelle, qui à vue d’œil reconnaissait les femmes par lesquelles l’amour avait passé, Fontenelle, comme moi, l’aurait dit et en aurait juré.

315. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

» M. de Rémusat, plus ou moins hégélien, avait pu lire dans Hegel : « Anselme, dans son célèbre argument de l’existence de Dieu, montra, le premier, la pensée dans son opposition à l’être, et chercha à en prouver l’identité. » Après un pareil hommage rendu par le grand théoricien de l’identité de la pensée et de l’être, qui semblait reconnaître dans le Saint métaphysicien une paternité éloignée, comment ne pas se préoccuper de cet homme qui, quoique saint, avait été philosophe, et qui, par Descartes, touchait à Hegel ? […] Il est évident qu’un tel homme n’admet ni ancêtres, ni prédécesseurs ; mais il n’est pas moins évident non plus que si la parenté n’est pas reconnue par la volonté, elle subsiste dans la pensée, car, si elle n’y était pas, croyez-le bien, les philosophes modernes, plus ou moins issus de Descartes, auraient laissé bien tranquille dans sa niche de Saint, le grand Anselme de Cantorbéry, et ne lui auraient pas fait cette gloire posthume qu’ils se sont mis à lui faire, moins pour lui encore que pour eux ! […] Il faut être assez impartial pour le reconnaître.

316. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Là où les réputations s’acceptent, comme là où elles s’arrangent, il fut universellement reconnu et convenu que M.  […] Le comte, un Don Quichotte en frac souffre beaucoup dans son sentiment paternel de l’impossibilité où il est de reconnaître son enfant qui est adultérin, mais la Chermidy en souffre, elle ! […] « Elle vit (c’est un rêve de Germaine) une autre « femme, dont il lui fut impossible de reconnaître la figure.

317. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Prosper Mérimée, dont le talent est incontestable, n’a pas été, cependant, assez maîtrisé par ce talent que je lui reconnais, pour ne pas désirer de s’en faire un autre à côté. […] … La planche avait-elle reconnu le bois dont elle aussi était faite, et se changea-t-elle en battoir pour mieux applaudir ? […] Il est évident, en effet, que l’imagination de l’auteur de Carmen et de la Chronique de Charles IX se reconnaît, quoique affaiblie, dans les sujets qui l’ont attiré, et qui sont, à coup sûr, les sujets les plus romanesques de l’histoire.

318. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

On pourrait plutôt reconnaître dans le langage de ces chants une sorte de piété panthéiste analogue à celle qui, dans des temps plus reculés, et chez des ancêtres oubliés de la race grecque, avait inspiré quelques accents des Védas. […] La critique verbale y reconnut la langue et la diction des autres hymnes réputés les plus anciens. […] Rendez-vous fort au plus vite, en chassant loin de vous la plainte efféminée. » On le voit, avec la mobilité du génie grec, cet Archiloque, banni de Sparte pour avoir plaisanté du courage, savait l’inspirer par ses vers et s’en armait contre le mépris excité par ses fautes47 : « Ô mon âme, dit-il, battue de maux intolérables, souffre avec fermeté ; et, la poitrine jetée au-devant des ennemis, repousse-les, en restant inflexible sous leurs coups : victorieuse, ne t’enorgueillis pas ; et vaincue, ne demeure pas dans l’ombre à pleurer ; mais, dans le bonheur et dans les revers, triomphe ou afflige-toi modérément ; puis reconnais quel courant fatal entraîne les hommes. » Le poëte capable de ces mâles et sévères accents pouvait redire les hauts faits.

319. (1927) Des romantiques à nous

Les ayant faites, je n’hésite pas à reconnaître les incontestables avantages que M.  […] Debussy, dans un article justement sévère pour un de ses opéras, Les Barbares, le reconnaîtra : « M.  […] Et je reconnais que cette vitalité et cette espèce d’abstraction sont deux caractères que la logique ne concilie pas facilement. […] L’Europe s’y pouvait reconnaître. […] Thème où Beethoven eût reconnu sa plus certaine postérité.

320. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Il faut le reconnaître cependant, il n’a pas songé à eux en dressant sa liste. […] Aucune qualité de Shakespeare n’est relevée ou seulement reconnue. […] Qui diable me reconnaîtra en Glocester ? […] Elle seule eût pu se reconnaître. […] Ils finissent par se reconnaître les uns les autres, deux par deux, et par reconnaître aussi que le mieux est de laisser faire les choses et de s’abandonner à la bonne loi naturelle.

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