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51. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

Autre chose, d’ailleurs, sont les doctrines auxquelles on n’arrive et l’on n’atteint à grand effort et à grand’peine que par quelques intelligences d’élite, et celles d’où l’on part et où l’on plonge habituellement par le milieu même et le fond d’une société tout entière. […] Et c’est cet idéal délicat de dévouement, de purification morale, d’abandon et de sacrifice continuel de soi, respirant dans les paroles et se vérifiant dans la personne et la vie du Christ, qui fait l’entière nouveauté comme la sublimité du christianisme pris à sa source. […] Il pénétrait, durant ces siècles du moyen âge, l’édifice de la société entière dans ses assises et ses fondements comme dans toutes ses fentes et ses interstices, ne faisant qu’un par bien des endroits avec elle, appuyant à la fois et appuyé. […] — L’Imprimerie Impériale, qui, dans cette affaire, est allée par le grand chemin, une fois mise hors de cause, la question générale reste entière : Quel est l’art, le style de dessin, le plus convenable à employer dans l’accompagnement et l’encadrement des textes sacrés évangéliques ? […] La lecture de ce Mémoire dans son entier est dure, hérissée de grec, de termes techniques à dévorer et à digérer ; mais on y profita.

52. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Arraché par le bruit des armes étrangères au silence des bois, aux ombrages profonds du Taygète et de l’Hémus, sous lesquels s’égarait son imagination riante et sensible, il eut un cri sublime de douleur auquel la France entière répondit comme un seul écho. […] Puis tout à coup lui apparaît l’ombre du vieux Corneille, et il se console de quitter la Ville éternelle, en pensant qu’il la retrouvera tout entière dans les œuvres de notre grand tragique. […] Dans la première et entière liberté après juillet 1830, on aurait pu avoir quelque œuvre de verve, un éclair rapide, mais l’homme a manqué. […] Les meilleurs en ont : les Mortins qui en valent la peine ne sont pas ainsi tout entiers. […] C’est donc le moment ou jamais, pour les talents purs, d’être tout entiers eux-mêmes.

53. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Peu originale en elle-même, si l’on veut dire par là qu’on pourrait avec des maximes plus anciennes la recomposer presque tout entière, la morale évangélique n’en reste pas moins la plus haute création qui soit sortie de la conscience humaine, le plus beau code de la vie parfaite qu’aucun moraliste ait tracé. […] Jésus, à ce double point de vue, est sans égal ; sa gloire reste entière et sera toujours renouvelée. […] Abr., § 23 et 24 ; De vita contemplativa, en entier. […] , LVIII entier ; Osée, VI, 6 ; Malachie, i, 40 et suiv. […] Quod Deus immut., § 1 et 2 ; De Abrahamo, § 22 ; Quis rerum divin. hæres, § 13 et suiv., 55, 58 et suiv. ; De profugis, 7 et 8 ; Quod omnis probus liber, en entier ; De vita contemplativa, en entier.

54. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

Alors que nous avions dit expressément et répété de toutes les manières que la vie sociale était tout entière faite de représentations, on nous accusa d’éliminer l’élément mental de la sociologie. […] Cependant, quelque réels que soient ces progrès, il est incontestable que les méprises et les confusions passées ne sont pas encore tout entières dissipées. […] Or elle ne peut être connue par simple observation intérieure puisqu’elle n’est tout entière en aucun de nous ; il faut donc bien trouver quelques signes extérieurs qui la rendent sensible. […] Seulement, elles nous dominent du dedans ; car elles sont tout entières en chacun de nous. […] Et nous sommes assuré qu’en lui attribuant une telle prépondérance nous restons fidèle à la tradition sociologique ; car, au fond, c’est de cette conception que la sociologie tout entière est sortie.

55. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

A-t-il su réellement le faire aussi entier, aussi parfait que possible ? […] Napoléon Ier a dit, parlant d’un de ses serviteurs, qui n’était autre que le comte Rœderer : « Je lui crois trop d’activité dans l’esprit pour être un grand administrateur, et peut-être même pour être constant dans ses affections. » Je ne me permettrai pas d’appliquer le mot tout entier à M.  […] Pasquier commençait alors ; le salon de Mme de Boigne devint véritablement le salon du chancelier : il y était lui tout entier, et avec un degré d’intérêt de plus qu’au Petit-Luxembourg. […] Malgré sa santé très-affaiblie, elle avait conservé son goût de la société, sa curiosité du spectacle politique, son entière rectitude et fermeté d’esprit. […] Elle est morte pleine de jours, avec son entière liberté d’esprit, universellement vénérée et regrettée.

56. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Les caractères poétiques, qui sont l’essence des fables, naquirent d’une impuissance naturelle des premiers hommes, incapables d’abstraire du sujet ses formes et ses propriétés ; en conséquence, nous trouvons dans ces caractères une manière de penser commandée par la nature aux nations entières, à l’époque de leur plus profonde barbarie. — C’est le propre des barbares d’agrandir et d’étendre toujours les idées particulières. […] Le langage se composait encore d’images, de comparaisons, faute de genres et d’espèces qui pussent définir les choses avec propriété ; ce langage était le produit naturel d’une nécessité, commune à des nations entières. — C’était encore une nécessité que les premières nations parlassent en vers héroïques (livre II, page 158). — 15. De telles fables, de telles pensées et de telles mœurs, un tel langage et de tels vers s’appelèrent également héroïques, furent communs à des peuples entiers, et par conséquent aux individus dont se composaient ces peuples.

57. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Pour elle, Saluce est le monde entier. […] Ce livre est sorti tout entier du cœur de l’homme qui l’a signé. […] Il nous ouvre son âme tout entière, et sa franchise ne dégénère jamais en prolixité. […] L’ingratitude n’est pas du côté de la foule, elle est tout entière du côté du poète. […] Hugo, appartient presque tout entier au Fiesque de Schiller.

58. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

J’y passais des journées entières à le voir travailler et à respirer la poussière de son génie à chaque coup de ciseau. […] Mais cette femme de marbre, la voilà tout entière. […] C’est là que je vis la beauté païenne, la fleur de la création refleurir tout entière dans son Hébé, dans son Pâris, dans ses Danseuses, dans sa Psyché. […] Sa statue de Moïse, c’est la statue de la Bible tout entière ; c’est un livre terrible fait homme ; c’est le judaïsme incarné ; Isaïe n’est pas plus prophète que Michel-Ange. […] Cette pensée n’a pas besoin de temples bâtis de main d’homme : la nature entière est le temple où elle adore.

59. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

En fait d’art original, le monde romain est au niveau des Daces et des Sarmates ; le cycle chrétien tout entier est barbare. […] La civilisation moderne tout entière en est là. […] La sincérité de ce dédain est entière. […] L’autre, au contraire, exige que le créateur se transporte tout entier à l’époque choisie et y revive exclusivement. […] Le monde civilisé tout entier lui a rendu un hommage unanime.

60. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

Je ne veux parler en ce moment que du quatrième et dernier volume récemment publié, et qui est tout entier rempli des poëtes contemporains et vivants, Lamartine ouvrant la marche et le cortège. […] Hippolyte Babou est celui dont le nom revient le plus souvent, et qui a le plus donné : je lui ai, en ce qui me concerne, une obligation si entière pour la manière indulgente dont il a parlé du poëte en moi, que je pourrais être embarrassé désormais à qualifier et à définir sa critique. […] Depuis, quelques poëtes ont tenu à faire des recueils entiers tout en sonnets, Boulay-Paty le premier, qu’il ne faut pas oublier, puis M. de Gramont, M.  […] L’autre, c’est un baptême. — Au bras qui le défend, Un nourrisson bégaye une note indécise ; Sa mère lui tendant le doux sein qu’il épuise, L’embrasse tout entier d’un regard triomphant !

61. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Henri Albert La Gardienne : En un décor de rêve, par un soir d’automne, dans une contrée septentrionale, tandis qu’à l’horizon vaporeux planent des nuées de tristesse et que le paysage tout entier s’enveloppe de silence et de grisaille, le Maître sort de la forêt mélancolique et s’approche, le front bas, de l’antique manoir de ses jeunes années. […] Il revoit le passé, et, dans cette vision rétrospective des joies d’alors, pendant que s’efface le présent, apparaît la Gardienne de son adolescence, la chimère qui jadis emplissait son âme tout entière, celle qui jamais ne se désouvint de lui-même quand il errait au plus fort de la mêlée humaine, oublieux d’espérances plus hautes : Je suis la même encor, si ton âme est la même Que celle que l’Espoir aventurait au pli De sa bannière haute, et je reste l’emblème Du passé qui résiste à travers ton oubli. […] Ceci tout entier, en de magnifiques vers de M.  […] Quand on a écrit les Poèmes anciens et romanesques, la Gardienne et ce livre : Aréthuse, beau tout entier, quand on a écrit le Vase, les Roseaux de la flûte et cette pièce : La Couronne, dans les Médailles d’argile, quand on a dressé tant de beautés souples, harmonieuses et mélancoliques, on est un grand poète ; et que d’aucuns le nient ou bien le reconnaissent, cela n’importe pas.

62. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

Il s’était tu, quand la France tout entière bavardait. […] III Elle est morte, en effet, — le cœur peut en saigner, — mais elle est morte à jamais, pour qui a le sentiment des réalités de l’Histoire… Aux yeux de ceux qui savent ce qui constitue la personnalité et l’identité d’un peuple, il faut, pour qu’il se sente toujours vivant, qu’il ait pu rester, sinon tout entier, au moins en partie, dans le principe de sa vie et de sa durée. […] C’est moins une histoire — comme le dit, du reste, son sous-titre, — qu’un Cours tout entier philosophique et critique de l’histoire moderne ; c’est une démonstration en sens contraire de tous les problèmes agités, à cette heure, par l’esprit révolutionnaire, et dont la solution dernière serait, sous le nom imposteur de progrès, de faire rétrograder la civilisation du monde… Après avoir, dans ses premières pages, comme donné le dictionnaire de la langue qu’il va parler en fixant l’origine et en déterminant la grandeur de la Monarchie française, en traitant de « la providence des dynasties inamovibles », de la propriété, du droit divin, dont il dit : « La primogéniture, le droit successif, la légitimité, le droit divin, ne sont qu’une même expression, une même vérité, une loi de raison », le métaphysicien politique aborde vaillamment l’Histoire. […] L’esprit moderne tout entier est devenu révolutionnaire.

63. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

Ajoutez les institutions particulières de chaque ville, et celles de la Grèce entière ; ces fêtes, ces jeux funèbres, ces assemblées de toutes les nations, les courses et les combats le long de l’Alphée, ces prix distribués à la force, à l’adresse, aux talents, au génie même ; des rois venant se mêler parmi les combattants, les vainqueurs proclamés par des hérauts, les acclamations des villes sur leur passage, les pères mourants de joie en embrassant leurs fils vainqueurs, et leur patrie à jamais distinguée dans la Grèce, pour avoir produit de tels citoyens. […] Supposons que, dans ce moment même, Thémistocle, vainqueur de Salamine, parût au milieu des jeux : on sait que lorsqu’il s’y montra après sa victoire, tout retentit d’acclamations et de battements de mains ; les jeux furent interrompus, et l’on oublia pendant une journée entière les combattants, pour voir et regarder un grand homme. […] En donnant leur vie pour l’État, ils ont mérité la plus honorable des sépultures : je ne parle pas de celle où reposent leurs ossements, la gloire des grands hommes n’est pas renfermée sous le marbre qui les couvre : la terre entière est leur mausolée ; leur nom vit dans toutes les âmes : c’est là que leur mémoire habite éternellement, au lieu que les tombeaux élevés de la main des hommes sont détruits par le temps. […] La mort seule fait disparaître l’envie, et donne leur place à ceux qui ont été grands. » Ce discours de Périclès, qu’il faut voir tout entier dans Thucydide, fit tant d’effet, que les mères et les femmes des guerriers coururent l’embrasser avec transport quand il descendit de la tribune, et le reconduisirent en triomphe, en chargeant sa tête de fleurs.

64. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Un relevé complet de tout ce qui s’est publié depuis 1830 concernant ces poètes, dissertations, notices, réimpressions entières ou partielles, nous mènerait trop loin, et je me bornerai à l’essentiel. […] Achille Genty, semblait s’être attaché de prédilection à Vauquelin de La Fresnaye dont il nous a rendu l’Art poétique (1862), mais qu’il n’a pu cependant faire réimprimer en entier, au grand regret de tous ceux pour qui le volume original, tout à fait rare et hors de prix, est inabordable. […] Edélestand du Méril a assigné avec une entière précision leur vraie place aux essais des Jodelle, des Grévin, et à la forme plus complète de Garnier ; M.  […] On n’a jamais vu, suivant nous, une nation tout entière, que dis-je ? un siècle tout entier, mettre autant de rapidité à oublier toutes ses origines intellectuelles, toutes les annales, toutes les gloires de sa littérature et de son art.

65. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Laissée entière sur sa tige, elle est comme la fleur virginale du devoir ; à demi cueillie et contenue, elle embaume souvent toute une vie et la pénètre, comme ferait un aromate secret. […] Ampère, il ne m’appartient pas de raconter en détail la diversité et la multiplicité des influences, ou, pour mieux dire, des aimantations successives que reçut ce noble esprit avant d’arriver à sa formation entière et à sa constitution actuelle. […] Mais, un beau jour, il s’aperçoit que la chanson peut tout tenir d’essentiel, même le grand, et le voilà qui s’y porte en entier et y triomphe. — Arrivons donc à cette histoire littéraire dans laquelle le talent, l’imagination, la sagacité et le savoir de M. […] Quelques inconvénients achètent tant d’avantages ; du moment qu’on ne choisit plus une seule route rapide et déjà ouverte, mais qu’on veut occuper l’ensemble du pays et se conformer à l’entière réalité du sujet, on a des intervalles pénibles et qui ne se peuvent supprimer. […] Ampère, dans une petite composition à part, non encore publiée, mais que plusieurs amis ont entendue, a essayé d’en recomposer une scène entière, un coin de tableau, au moment de l’incendie de Trèves par les Francs.

66. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Ses ouvrages littéraires sont nombreux, divers, nés au gré des mille circonstances : ses œuvres dites complètes ne les renferment pas tout entiers. […] La littérature du xviiie  siècle avait été presque en entier consacrée à établir dans l’opinion les droits des peuples, à retrouver et à promulguer les titres du genre humain. […] Si quelque intérêt s’attache aujourd’hui pour nous à cette négociation, il tient tout entier, on le conçoit, à la façon dont le négociateur nous la raconte, et au jeu subtil des mobiles qu’il nous fait toucher. […] Dans une Lettre à mes enfants et à mes petits-enfants, placée en tête du manuscrit de cette Histoire tout entier écrit de la main de madame de Ségur, on lit ces paroles touchantes : Paris, ce  1er décembre 1817. […] Je ne sais si je m’abuse, mais un tel trait bien simple, si on l’omettait quand on en a connaissance, ferait faute au portrait du moraliste, et l’on n’aurait pas tout entier devant les yeux l’auteur de l’Essai sur la Bienveillance.

67. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Avec Mirabeau, au contraire, tout sort des proportions ordinaires ; sa personne entière est taillée sur un autre patron. […] Et il s’écrie avec le regret naturel aux hommes capables qui, si haute qu’on prenne leur mesure, sentent qu’ils ne l’ont pas donnée tout entière : « Eh quoi ! […] Mais l’histoire avait droit de réclamer une communication pleine et entière, sans réticence. […] Mirabeau montre que cet homme soi-disant nécessaire, en paralysant tout, perd tout, et qu’il laisse descendre petit à petit la monarchie et la société avec elle, jusqu’à une entière désorganisation. […] Sa politique est tout entière à susciter une telle fermentation chez les voisins, qu’on lui laisse la faculté d’étendre sur tout le royaume l’influence de la Courtille.

68. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

L’analyse de la pièce est tout entière dans l’analyse des personnages. […] Est-ce la vie entière du roi ? […] Le rôle de la passion appartiendrait tout entier à miss Rumley. […] N’est-ce pas l’arsenal entier du répertoire qui a fait la renommée de M.  […] En Angleterre, l’école des lacs tout entière était chrétienne.

69. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

Sa, vigueur native, consumée ailleurs et transformée, s’est portée tout entière et s’est concentrée désormais dans les fibres seules du cerveau. […] Une vie entière d’étude, accompagnée de lumière et de poésie, l’avait porté dans les pures et paisibles régions de l’intelligence ; mais jamais on ne sent mieux la vérité des mots qui lui sont attribués, que lorsqu’on touche à ces questions qui nous lancent dans la double immensité du temps et de l’espace. […] Ces âmes intègres et entières ont des sensibilités plus entières aussi ; elles ont, à leur manière, des religions de famille, et, quand le destin les frappe, elles reçoivent le coup en plein, sans subterfuge, sans consolation. […] Dans quatre ou cinq ans au plus, le public possédera l’ouvrage tout entier. […] Le plus convaincu et le moins empressé des hommes, loin de prétendre imposer son opinion, il ne l’expose même pas et n’en dit mot, à moins qu’on ne la lui demande ; mais alors rien au monde ne l’empêchera de vous la dire entière et sincère.

70. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Si la discussion était interrompue par l’arrivée d’un message du Conseil des Cinq-Cents ou du Directoire, il suffisait que je lui en fisse tout bas la lecture une seule fois pour qu’il répétât tout haut, en s’adressant à l’Assemblée, la résolution tout entière, quelque nombreux qu’en fussent les articles, sans en déranger la série, sans changer aucune expression. […] Il a dans la mémoire quantité de maximes, de définitions, des parties tout écrites de science et de morale sociale, des paragraphes entiers qu’il reprend et qu’il replace à l’occasion sans presque y rien changer. […] Il eût à prononcer au Conseil des Anciens un rapport concernant le divorce, et il y traçait une théorie du mariage qui se retrouve en entier et littéralement, sauf de légères variantes, dans son Discours préliminaire sur le projet de Code civil. […] L’État dans lequel ils prennent un asile forcé en répond au monde entier. […] Ce discours tout entier est semé et comme tissu de vérités et de beautés morales du premier ordre.

71. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Non, il n’est pas vrai que l’histoire comprenne la tâche entière de la poésie ; M.  […] Aussi ne prétend-elle pas comprendre dans ses tableaux la conscience humaine tout entière. […] Il assiste à la gloire de son ami avec un entier désintéressement. […] La société lui appartient tout entière ; législation, gouvernement, magistrature, tout relève de son génie. […] Il voit la vérité face à face, pure, entière et splendide.

72. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Quelquefois il semble ne promettre la résurrection qu’aux justes 806, le châtiment des impies consistant à mourir tout entiers et à rester dans le néant 807. […] Act., II, 47 ; III, 49 et suiv. ; I Cor., XV, 23-24, 52 ; I Thess., III, 13 ; IV, 14 et suiv. ; V, 23 ; II Thess., II, 8 ; I Tim., VI, 14 ; II Tim., IV, 1 ; Tit., II, 13 ; Épître de Jacques, V, 3, 8 ; Épître de Jude, 18 ; IIme de Pierre, III entier ; l’Apocalypse tout entière, et en particulier I, 1 ; II, 5, 16 ; III, 11 ; XI, 44 ; XXII, 6, 7,12, 20. […] Matth., X, 23 ; XXIV-XXV entiers, et surtout XXIV, 29, 34 ; Marc, XIII, 30 ; Luc, XIII, 35 ; XXI, 28 et suiv. […] VII, entier ; XII, 45-46 ; XIV, 46 ; Act., XXIII, 6, 8 ; Jos., Ant., XVIII, I, 3 ; B.

73. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

Reste enfin le cerveau, expression dont on se sert souvent assez improprement pour désigner l’encéphale tout entier. […] Je comprends que l’on compare un organe au reste du corps lorsque les fonctions de cet organe ont précisément rapport au corps tout entier : par exemple, le système musculaire ayant pour fonction de mouvoir le corps, si l’on veut en mesurer la force, il faut évidemment comparer le poids des muscles au poids du corps, car c’est dans cette relation même que consiste leur fonction. […] Une autre méthode consiste à comparer le poids du cerveau, non plus au corps tout entier, mais au reste de l’encéphale, par exemple au cervelet ou à la moelle allongée ; mêmes incertitudes, mêmes contradictions que pour les cas précédents. […] Enfin on propose de peser non-seulement le cerveau, mais le système nerveux tout entier, la moelle, les nerfs sensoriels, les nerfs moteurs et les nerfs sensitifs ; mais qui pourrait faire un pareil travail ? […] Au contraire, l’avantage est tout entier du côté des premiers ; or on ne conteste pas qu’ils ne soient très inférieurs aux autres en intelligence.

74. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

« Des soixante-dix mille Prussiens qui avaient paru sur ce champ de bataille, il n’y avait pas un seul corps qui fût entier, pas un seul qui se retirât en ordre. […] Elle frémit tout entière après Iéna, plus encore qu’après Austerlitz, car après Austerlitz la confiance dans l’armée prussienne restait du moins aux ennemis de la France. Après Iéna, le continent entier semblait appartenir à l’armée française. […] Le corps d’armée d’Augereau reste presque tout entier dans la neige, écrasé par les batteries russes. […] Il ne discute plus, il impose à la Russie, devenue sa complice, et à la Prusse vaincue, des traités qui lui livrent le continent tout entier, à l’exception de ce qui reste à l’Autriche.

75. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

Je trouve dans ce dernier type une scélératesse trop entière, trop explicite, trop crue. […] Sans doute, en quittant Marseille, il savait l’Orient tout entier. […] Elle veut relier le genre humain tout entier en une seule famille. […] Il était possible d’enfermer le drame entier dans le champ de la conscience. […] C’est dans le livre entier les seules pages littéralement historiques.

76. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Auguste Vacquerie  »

Et toute la terre est présentement convaincue qu’il n’y a que Vacquerie  dans un livre où Victor Hugo est seul tout entier. II Car il y est véritablement tout entier ! […] … Je ne puis malheureusement tout citer de ce nouveau livre pour prouver qu’il n’est pas de Vacquerie ; mais qu’on me permette de citer encore, de l’auteur des Djinns vacquerisé, cette pièce entière. […] ce n’est plus là le petit bout d’oreille du lion, mais la griffe du lion Hugo tout entière, griffant, griffant les mots, les riens, le rien ; ce sont les rugissements du lion Hugo que j’entends dans ce turlututu sublime !

77. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Dans la philosophie de la Grèce et de Rome, les humanistes s’étaient formellement engagés à nous montrer le christianisme tout entier ! Mais ils n’ont oublié qu’un point : c’est de nous dire pourquoi, si le christianisme était déjà tout entier dans l’hellénisme, il n’en est pas sorti. […] Berthelot : De combien, dans le monde entier, depuis quarante ou cinquante ans, les « progrès de la science » ont-ils enflé les budgets de la guerre ? […] Elle n’en a pas moins défrayé des articles entiers ! […] Et si non, qui ne voit que la question subsiste tout entière et qu’elle est, comme nous disions, la seule : « Était-il ou n’était-il pas Dieu ? 

78. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

La nature entière se réveille ; de nouvelles feuilles, de nouvelles fleurs poussent à vue d’œil. […] Tout à coup l’horizon entier se couvre de ténèbres qui montent et finissent par obscurcir le soleil. […] Le christianisme tout entier se concentre dans son chef-d’œuvre. […] Quand une des cinq portes de ce portique s’ouvre, l’édifice apparaît tout entier. […] Après un an de séjour à Rome, j’y allais encore passer des heures entières avec plaisir.

79. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Henri IV, qui savait que « le jugement, l’invention, l’ordre et le ménage » étaient des conditions essentielles à un grand maître, songea à Rosny, et le lui dit, en paraissant regretter que, destiné dans un temps très prochain à la direction absolue de ses finances, il ne pût cumuler les deux charges, dont chacune méritait bien un homme tout entier. […] Cette charge de grand maître ne lui fut pas donnée encore pour le moment, et il commença par se livrer tout entier aux finances. […] Même, après tout ce que j’ai extrait déjà, j’avance peu avec lui, et je ne puis espérer de l’embrasser tout entier dans son importance. […] Il est entré dans la charge en homme âpre et entier, et qui ne veut rien céder : il s’y comporte en galant homme, en sujet dévoué et fidèle. […] Ces conversations du roi et de son ministre dans la grande allée du jardin de l’Arsenal, à l’extrémité de laquelle était l’espèce de balcon d’où l’on voyait tout Paris, ou dans les grandes halles du côté de la Bastille, entre des rangées de cent canons, durant des heures entières d’horloge, sont reproduites d’une manière substantielle.

80. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Les plus rigoureux partisans de l’entière fidélité seraient eux-mêmes de cet avis assurément, s’ils avaient affaire à des reliques non refroidies. […] Cousin s’était toujours posé on défenseur et admirateur de Maine de Biran ; une entière fidélité eût ressemblé ici à de l’ingratitude. […] À cet égard, nous ferons avec une entière franchise notre déclaration de principes. […] est-ce bien la peine de faire intervenir Dieu et de prendre à témoin la société tout entière, la postérité et le genre humain, pour se donner le droit de rétablir, au profit d’une édition plus complète et qu’on veut autoriser, quatre ou cinq passages, quelques-uns lestes en effet et assez indécents, qu’un peu de réflexion ou un bon conseil eussent très probablement fait retrancher à l’auteur, s’il avait eu le temps de consulter ou de se relire ? […] Dauban est bonne dans son ensemble et doit être suivie dans la généralité de l’usage, à la condition toutefois qu’on y mettra un correctif : c’est que lorsqu’on est appelé à publier les écrits inédits d’un auteur mort d’hier, les considérations les plus respectables peuvent déterminer celui qui en est l’éditeur non pas à altérer (il ne le faut jamais), mais à affaiblir ou mieux à ajourner en quelque point l’expression entière des pensées ou des jugements.

81. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Le cœur et la pensée de Pétrarque ne cessèrent pas un seul jour d’appartenir tout entiers à Laure de Noves. […] Indulgente ou sévère, je vous bénis, car toute ma vie est en vous et je vous appartiens tout entier. […] Or, le caractère de ces doctrines se retrouve tout entier dans l’amour chanté par Tibulle. […] Peut-être ne vois-je pas entière la beauté dont je parle, peut-être n’arrive-t-elle pas entière jusqu’à nous ; je crois que celui qui l’a créée la savoure tout entière ; elle cache son essence profonde ; l’œil qui s’aventure à travers ses flots éprouve sa clairvoyance ; elle se livre selon l’ardeur du regard qui la contemple. […] Il n’aime que les discussions générales qui s’adressent au monde entier, et qui n’éclairent personne.

82. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

Nous sommes donc ici sur un terrain solide ; car il s’agit d’un ouvrage écrit tout entier de la même main et de la plus parfaite unité. […] Tout cela est grave, et, pour moi, je n’ose être assuré que le quatrième évangile ait été écrit tout entier de la plume d’un ancien pêcheur galiléen. […] Le livre a été, de la sorte, composé tout entier fort près des lieux mêmes où Jésus naquit et se développa. […] Sa gloire ne consiste pas à être relégué hors de l’histoire ; on lui rend un culte plus vrai en montrant que l’histoire entière est incompréhensible sans lui. […] VI, 20 et suiv. ; 24 et suiv. ; XII, 13 et suiv. ; XVI entier ; XXII, 35 ; Actes, II, 44-45 ; V, 1 et suiv.

83. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Dans son Éloge de Gaubius, médecin et professeur de Leyde, il nous le montre survivant à ses autres collègues contemporains, et, jusque dans les chaires voisines de la sienne, n’étant plus entouré que de disciples, réunissant enfin toutes les jouissances d’une vieillesse robuste, savante et respectée ; et il continue par cette réflexion pleine de charme : Il est donc dans les différents âges de la vie des consolations et des récompenses pour ces hommes courageux qui se dévouent tout entiers au travail et à l’étude. […] Par exemple, dans l’Éloge de M. de Montigny, amateur des sciences et des arts et administrateur éclairé, il nous le fait voir dans sa jeunesse tout près d’entrer dans une compagnie célèbre3 qui façonnait tous ses membres à son usage, mais contrarié heureusement dans son désir et se félicitant plus tard d’avoir échappé au danger des sectes, dont le grand inconvénient, dit Vicq d’Azyr, est « de ne voir dans le monde entier que deux partis, l’un pour lequel on ose tout, et le parti opposé contre lequel on se permet tout ». […] Faut-il maintenant s’étonner qu’à la mort de Buffon, l’Académie française, ou plutôt la société parisienne tout entière qui allait entendre les éloges de Vieq d’Azyr comme elle allait applaudir au Lycée les leçons de La Harpe, aient désigné d’une commune voix l’éloquent médecin pour succéder au roi des naturalistes et pour le célébrer ? […] Il y est apprécié à sa hauteur comme savant : « Pour savoir tout ce que vaut M. de Buffon, il faut, messieurs, l’avoir lu tout entier. » On a dit de nos jours que Buffon n’avait été apprécié à ce titre de savant et non plus seulement d’écrivain que depuis une quinzaine d’années. […] Ce sol s’est soulevé tout entier contre les tyrans.

84. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

Mais il n’est que juste, au moment où son dix-septième volume paraît, de le saluer au moins d’un hommage, pour le sentiment patriotique profond dont ces pages sont tout entières animées. […] Enfin, parti le 25 janvier au matin de Paris, il arrive le même jour à Châlons-sur-Marne, où il a appelé ses maréchaux : les renforts ne sont pas prêts encore, il n’apporte que lui-même, mais lui tout entier, lui redevenu soldat, plus actif, plus confiant que jamais, plus fertile en combinaisons et en ressources, ayant comme laissé à Paris tous les soucis amers, serein de visage et l’étoile au front, et, pour tout dire, le général de l’armée d’Italie. […] Ce n’est plus en Italie pourtant, si l’on a retrouvé tout entier le jeune général d’Italie, c’est en France que l’on combat, sur un sol plus cher encore, plus sacré et tout palpitant : et c’est ce qui fait que même ces dernières journées de gloire sont déchirantes, en ce que l’on sent qu’elles sont fugitives et qu’elles vont finir. […] Et s’il est arrivé que, lui sorti de la scène politique, la France n’ait point dépéri ; que cet être collectif, cet être idéal et redoutable qu’on appelait la coalition, et qui est demeuré pendant tant d’années un grand spectre dans l’imagination des gouvernants, ait été conjuré enfin par un enchanteur habile et puissant ; que la France soit redevenue elle-même tout entière sur les champs de bataille anciens et nouveaux et dans les conseils de l’Europe ; si, à cette heure même où nous écrivons, une province, une de ses pertes, est recouvrée par elle et lui est acquise, moins à titre d’accroissement que de compensation bien due, et aussi comme un gage manifeste de sa pleine et haute liberté d’action, on est sûr qu’en cela du moins le cœur de l’historien du Consulat et de l’Empire se réjouit ; que si une tristesse passe sur son front, c’est celle d’une noble envie et de n’avoir pu, à son heure, contribuer pour sa part à quelque résultat de cet ordre, selon son vœu de tous les temps ; mais la joie généreuse du citoyen et du bon Français l’emporte. […] En lisant cette belle histoire qui sans doute a ses défauts, ses redites et ses longueurs, mais où rien n’est oublié ; où toutes les sources contemporaines se sont versées dans un plein et vaste courant ; où se déploie, sous air de facilité, une si grande puissance de travail ; où tout est naturel, — naturellement pensé —, naturellement dit ; si magnifique partout de clarté et d’étendue, et qui offre dans le détail des touches de la plus heureuse finesse ; où le style même, auquel ni l’historien ni le lecteur ne songent, a par endroits des veines rapides et comme des venues d’autant plus charmantes ; — en achevant de lire cette histoire, à laquelle il ne manque plus qu’un ou deux volumes de complément et de surcroît, je dirai encore ce que diront à distance tous ceux qui la liront : c’est que, quelque regret qu’ait droit d’avoir l’historien dans l’ordre de ses convictions politiques, la postérité trouvera qu’il n’eût pu employer les années fécondes de son entière maturité à rien de mieux qu’à édifier un tel monument.

85. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

Racine fils, en effet, si utile et si abondant, n’a pas apporté en bien des points l’entière exactitude qu’on recherche et qu’on aime aujourd’hui. […] M. le Prince101 lui avait envoyé pour cela, deux ou trois jours auparavant, un mulet chargé de gibier et de venaison ; il y avait un jeune sanglier tout entier. […] Puis il terminait en disant (car il avait eu depuis peu des soupçons sur la fidélité de la poste, et il avait craint que quelque curieux ou malveillant ne s’immisçât pour intercepter la correspondance) : « Après de telles réflexions que vous faites, monsieur, et que vous me mettez en voie de faire aussi, voyez si je n’ai pas grand sujet de désirer que vos lettres me viennent en leur entier et que Dieu continue de me faire par vous, jusqu’à la fin de votre vie ou de la mienne, le bien qu’il a daigné me faire durant près de trente ans par feu monsieur votre frère, mon très-honoré père en Jésus-Christ et mon très-libéral bienfaiteur104.… » J’abrège un peu, car il le faut, mais j’ai toujours quelque regret, je l’avoue, à ne pas laisser les phrases de ces dignes gens dans toute leur longueur, afin de mieux respecter aussi l’intégrité de leurs sentiments. […] Dans cette Épître, il y avait un couplet ou une tirade entière à la louange de M. de Louvois, « mais d’une louange si bien tournée, dit un contemporain, qu’elle était encore plus à la gloire du Roi qu’à celle de son ministre. » Voici cette strophe, toute prosaïque d’ailleurs ; je la donne pour ce qu’elle vaut : Avec tant de secret, d’activité, d’adresse, Un si grand dessein s’est conduit, Que la Nymphe qui vole et qui parle sans cesse N’en a pu répandre le bruit : Utile et glorieux ouvrage De ce ministre habile, infatigable et sage, Que le plus grand des rois de sa main a formé, Que ni difficulté ni travail ne rebute, Et qui, soit qu’il conseille ou soit qu’il exécute, De l’esprit de Louis est toujours animé Il fallait être bien avisé pour voir là dedans rien qui pût effaroucher Louis XIV. […] Pour repérer cette petite lâcheté, Dangeau, qui était de l’Académie, crut devoir, à quelques jours de là, y faire lire l’Epître entière, en séance publique, le jour de la réception de Fontenelle (5 mai 1691) : ce fut l’abbé de La Vau qui se chargea de cette lecture.

86. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

L’histoire nous ouvre une carrière immense : c’est presque un monde tout entier à découvrir et à explorer. […] Homère fait dire à Alcinoüs ces mots, qui sont une poétique tout entière : « Les dieux ont permis la ruine d’Ilion et la mort d’un grand nombre de héros, afin que la poésie en tirât des leçons utiles aux siècles à venir. » Proposez encore des prix pour l’utilité des croisades ! […] Un sujet ancien transporté dans nos conceptions modernes doit changer tout entier de sphère d’idées et de sentiments ; mais il faut que dans la nouvelle sphère où il est introduit il y arrive avec les mêmes proportions et la même harmonie d’ensemble. […] Les règles que je prescris ici devraient être longuement développées : ce serait la matière d’un livre tout entier. […] Le nu s’applique seulement aux sujets mythologiques ; ce que vous voyez, ce sont des êtres au-dessus de l’homme, qui doivent être encore l’homme tout entier, mais l’homme idéalisé par l’apothéose.

87. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

, il entr’ouvrit ses volets fermés, il ouvrit ses poudreux tiroirs, et deux volumes, l’un de 950 pages environ, l’autre de 500, écrits tout entiers de la main du Père Guerrier, déroulèrent en lignes serrées à l’avide lecteur une foule de lettres d’Arnauld, de Saci, de Nicole, de Domat, etc., etc., surtout de Pascal et de sa famille. […] Jamais la pensée brusque et haute ne s’était dressée jusqu’ici dans cette entière beauté d’attitude ; le ciseau bien souvent n’a fait qu’attaquer le marbre, mais le torse est là debout qui jaillit déjà pour ainsi dire, majestueux et plutôt brisé qu’inachevé. […] Il avait écrit d’abord avec plus de hardiesse : « Il faut avoir ces trois qualités : Pyrrhonien, Géomètre, Chrétien soumis ; et elles s’accordent et se tempèrent, en doutant où il faut, en assurant où il faut, en se soumettant où il faut. » Ce mot-là le résume tout entier en ses divers aspects : pyrrhonisme et géométrie, ce sont pour lui des méthodes. […] En résultat, grâce à cette édition qui fixe le texte et coupe court aux conjectures, on a droit de dire, si je ne me trompe, que nous avons reconquis le premier Pascal, mais nous le possédons aujourd’hui par des raisons plus entières et plus profondes. […] N’oubliez pas, en jugeant l’édition première, cet autre inconvénient pour elle d’avoir été faite par un Comité ; les Comités peuvent être bons pour les lois, mais non pour les éditions où le goût a surtout part. « Il n’y a point d’ouvrage si accompli, a dit La Bruyère, qui ne fondît tout entier au milieu de la critique, si son auteur voulait en croire tous les censeurs, qui ôtent chacun l’endroit qui leur plaît le moins. » Les Pensées de Pascal n’ont pas fondu, dira-t-on, tant elles étaient solides !

88. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Dès les premiers mots de la lecture, l’auditoire tout entier était conquis ; chacun se sentait saisi d’un intérêt sérieux et sous l’impression de cette parole qui grave, de cet accent qui creuse. […] On n’avait pas eu jusque-là dans un livre la révolution tout entière résumée à l’usage de la génération qui ne l’avait ni vue ni faite, mais qui en était fille, qui l’aimait, qui en profitait et qui l’aurait elle-même recommencée, si elle eût été à refaire. […] Bossuet, jugeant les révolutions des empires, pensait comme De Maistre ; lui aussi, il n’envisage des factions, des nations entières, que comme un seul homme sous le souffle d’en haut ; il les fait marcher et chanceler devant lui comme une femme ivre. […] Il avait poussé assez avant ce grand travail, lorsque les événements politiques de 1829-1830 le vinrent distraire et appliquer tout entier avec ses amis à l’entreprise du National. […] Dans la collection des Documents historiques ; il y a jusqu’ici quatre volumes in-4° publiés (1835-1842) : l’ouvrage entier en aura probablement huit.

89. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Du moment, d’ailleurs, qu’il y a production d’une richesse dans la société, il y a un possesseur, et il est juste que la richesse produite ne se trompe point, qu’elle n’aille point presque entière à qui l’a moins méritée. […] La France donna alors le magnifique spectacle d’une nation tout entière qui cherche de bonne foi le vrai et le juste, et ne reconnaît en toute chose d’autorité que la raison. […] Il résulte même un bien de ce contact des lettres et des affaires : le corps entier des auteurs reçoit de proche en proche, comme dans une chaîne électrique, un mouvement salutaire. […] L’industrie, reine de notre époque, a ses fêtes splendides, ses triomphes universels où elle convie le monde entier et l’amène. […] Presque tous ne lèguent à la postérité qu’un petit livre ; mais derrière ce livre est une vie tout entière de pensée et de passion.

90. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Action et rêve se combinent ; il combat pour l’amour et rêve de liberté plus entière, il lutte pour la liberté et rêve d’amour plus chaleureux, avec les mêmes paroles ardentes et bouillonnantes où s’enfle et tourbillonne un plein souffle de nature. […] C’est pour s’être mêlé à la vie tout entière, la plus humble, la plus diverse, pour l’avoir comme imprégnée d’une saveur nouvelle, tout en poursuivant, par-delà les formes actuelles, le désir le plus forcené d’une plus riche réalité de nous-mêmes, que cet Anglais, honni et méconnu de son temps, doit être considéré comme l’un des rénovateurs les plus puissants du sens de la vie. […] Feuilles et fleurs, tige et racine, la plante entière, humaine ou végétale, participant à la même beauté, c’est-à-dire à la même vie ; n’est-ce pas là, ce me semble, centupler la beauté de la fleur elle-même, que de la sentir liée à la beauté de la racine, à l’incalculable splendeur des moindres folioles ? […] Grandir, ce n’est pas s’isoler devant la splendeur d’une création du cerveau, c’est se relier à la splendeur du tout vivant par le sentiment de l’entière beauté de toutes ses formes. […] Ne voyez-vous donc pas que la vie tout entière brille au-dessus de vous, autour de vous, brille même à travers vous, malgré votre mépris et votre puéril orgueil ?

91. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Elle nous le montre au plus beau moment du voyage, à son plus haut soleil du matin, au midi de l’été et de la journée, dans la fleur entière d’un talent et d’un cœur déjà épanouis. […] Que ma maison tout entière en soit pleine ! […] Ainsi, pour faire cette confidence qui va être si franche et si entière, la jeune femme attend que sa servante s’en soit allée, bien que celle-ci elle-même soit au fait de tout. […] Le Myndien me tient tout entière possédée ; mais va guetter vers la palestre de Timagète, car c’est là qu’il fréquente, c’est là qu’il lui est doux de passer le temps. […] « Tout entière je devins plus froide que la neige ; du front la sueur me découlait à l’égal des rosées humides ; je ne pouvais plus parler, pas même autant que dans le sommeil les petits enfants bégaient en vagissant vers leur mère.

92. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

C’est même la seule œuvre de Wagner qui ait été conçue et exécutée en entier durant cette période. […] En inventant le Todestrank, le philtre de mort, Wagner a transfiguré la légende entière. […] Je me contenterai donc de mentionner que, parmi les choses essentielles, le roi Marke et le troisième acte en entier sont de tous points la création du maître. […] Seulement cette vie violente, enfiévrée, est tout entière d’émotions ; à peine un mince à ce sentiment logique la relie-t-elle au monde de la pensée. […] Des phrases entières telles que celle (page 132) que M. 

93. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Le 6 décembre il annonce à Liszt qu’il termine l’esquisse de la première scène du premier acte ; en mi-janvier 1857 il termine l’esquisse du premier acte en entier. […] On verra que l’œuvre presque entière du maître est contemporaine de l’Anneau du Nibelung. […] Cette conviction a été exprimée par Wagner : dans sa vie entière, dans ses écrits, dans son « Festspielhaus » de Bayreuth. […] Schuré, sans embarrasser ses pages de citations, se laisse souvent pendant des chapitres entiers inspirer ligne par ligne par les écrits de Wagner. […] Une telle biographie serait, je le répète, d’une importance générale infinie pour Wagner et pour l’art tout entier.

94. (1842) Discours sur l’esprit positif

Ainsi rapportées, non à l’univers, mais à l’homme, ou plutôt à l’Humanité, nos connaissances réelles tendent, au contraire, avec une évidente spontanéité, vers une entière systématisation, aussi bien scientifique que logique. […] Sans un tel obstacle, en effet, qui ne peut cesser que par l’entière désuétude de l’esprit théologique, le spectacle journalier de l’ordre réel aurait déjà déterminé une adhésion universelle au principe fondamental de la philosophie positive. […] De plus en plus livrés à cette inévitable tendance, les savants proprement dits sont ordinairement conduits, dans notre siècle, à une insurmontable aversion contre toute idée générale, et à l’entière impossibilité d’apprécier réellement aucune conception philosophique. […] Ce grand résultat ne pourrait être suffisamment obtenu si cet enseignement continu restait destiné à une seule classe quelconque, même très étendue : on doit, sous peine d’avortement, y avoir toujours en vue l’entière universalité des intelligences. […] À la majeure partie de ceux qui, la reçoivent, elle n’inspire guère désormais qu’un dégoût presque insurmontable de tout travail intellectuel pour le cours entier de leur carrière : mais ses dangers deviennent beaucoup plus graves chez ceux qui s’y sont plus spécialement livrés.

95. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Mais lorsque ce désir ne se comprit pas lui-même et rejeta le Sauveur loin de lui, l’action du salut fut donnée au monde entier. […] Oui, l’œuvre entier de Wagner, compris comme un grand drame, démontre ce fait miraculeux : que le cœur de l’homme retrouve en lui-même le Dieu, le conçoit, croit en lui, et par l’amour est introduit à la vie d’une humanité idéale. […] Or pour les spectateurs la compréhension de la musique est souvent rendue ou difficile ou tout à fait impossible, s’ils ne peuvent se faire une idée claire du drame qui tout d’abord s’offre à eux, s’ils ne comprennent pas les paroles par lesquelles les personnes du drame unissent dans leur sphère le cœur musical à la tête dramatique, pour former l’entier organisme artistique. […] En lui Richard Wagner rencontre pour la première fois un entier dévouement. […] Grâce à cet incomparable chef d’orchestre, la musique de Wagner s’est révélée tout entière, de sa vague pénombre à ses sonores éblouissements.

96. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — I »

On ne saurait donc le considérer comme une maladie sans considérer, du même coup, comme une maladie la vie phénoménale tout entière, c’est-à-dire la vie telle qu’elle nous est donnée. […] Il nous faut aller jusqu’à conclure qu’il y a identité entre connaître les choses et les connaître autres qu’elfes ne sontet que cette seconde définition de la connaissance implique la connaissance tout entière, selon son mode unique.

97. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Sismondi est né à Genève, il est Italien de race et aussi un peu de tempérament, il ne vient à Paris que tard et en passant ; et pourtant, à travers bien des interpositions et des obstacles, il nous aime : non-seulement il écrit ses ouvrages en français, mais toute la seconde moitié de sa vie sera consacrée à écrire l’Histoire des Français dans la plus copieuse compilation qui ait été faite ; mais dans son premier ouvrage de jeunesse, publié en 1801, et tout entier relatif à l’Italie, il ne se sépare pas de notre nation, de celle à laquelle il avait alors l’honneur d’appartenir ; il dit nous. […] La montagne est étincelante ; si l’on abaisse les regards sur quelque vallon, il forme un lac de lumière ; la terre entière paraît électrisée et pétillé de toutes parts. » « L’hiver, auquel la neige est inconnue, présente aussi ses beautés : le gazon conserve sa verdure ; il est même émaillé de fleurs dont quelques-unes mériteraient une place dans les jardins, comme différentes anémones, toutes les espèces de narcisses, les jacinthes, les ellébores, etc. […] Dans une explication des Géorgiques de Virgile, il mériterait d’être cité et allégué tout entier en commentaire. […] Né comme par miracle hors de son siècle, il appartenait tout entier à des temps qui ne sont plus, et il avait été donné à l’Italie comme un monument de ce qu’avaient été ses enfants, comme un gage de ce qu’ils pouvaient être encore. […] Ses amis, quelques personnes chères à son cœur, et qui seules peuvent l’entendre tout entier, y sont irrévocablement fixées.

98. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Jeune, dans les intervalles de son métier d’homme de loi, il faisait en français des vers un peu comme en faisait en latin le chancelier de L’Hôpital (lesquels vers, en général, ne sont pas trop bons ni très poétiques) ; et, à propos de L’Hôpital, il n’avait garde d’oublier le passage où l’illustre chancelier, dans le récit de son voyage à Nice, a célébré le territoire de Brignoles et surtout les excellentes prunes « dont la renommée est répandue dans le monde entier ». […] L’entière innocence des Templiers et l’entière perversité des Templiers est également incroyable. […] Dès 1814, il était entré tout entier dans les voies de l’érudition, où l’attendait sa vraie gloire. […] Ainsi la langue du midi de la France, celle des Provençaux, celle de Brignoles, aurait commencé par être la mère du vieux français tout entier, la mère aussi du catalan, de l’espagnol, de l’italien, du portugais, au lieu d’être tout simplement une sœur un peu plus tôt formée si l’on veut, et plus précocement dotée, mais nullement investie de cette dignité génératrice et maternelle. […] Le Moniteur du 29 novembre 1807, en insérant en entier le discours de Raynouard, semble indiquer que le pouvoir d’alors ne prit pour lui que la louange, et il eut raison.

99. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Cependant, à moins de l’avoir sans cesse présente à la mémoire, on risque de n’entrevoir qu’obscurément ou même de ne pouvoir en aucune façon comprendre l’économie entière de la nature, avec tous ses phénomènes de distribution, de rareté, d’abondance, d’extinction et de variation. […] C’est une généralisation de la loi de Malthus, appliquée au règne organique tout entier, mais avec une force décuple, car en ce cas il ne peut exister aucun moyen artificiel d’accroître les subsistances, ni aucune abstention prudente dans les mariages. […] La seule différence entre les organismes qui produisent annuellement des œufs ou des graines par milliers, et ceux qui n’en produisent qu’un petit nombre, c’est que les plus lents reproducteurs auraient besoin de quelques années de plus pour peupler une contrée entière, si étendue qu’elle fût, les circonstances étant favorables. […] Nous aurions pu croire, au contraire, qu’une plante pouvait exister seule où les conditions de vie lui étaient assez favorables pour que beaucoup puissent exister ensemble afin de sauver ainsi l’espèce d’entière destruction. […] De là on peut inférer comme probable que, si le genre entier des Bourdons s’éteignait en Angleterre, la Pensée et le Trèfle rouge y deviendraient très rares ou disparaîtraient totalement.

100. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

En effet, au second volume du Conservateur littéraire, journal que le jeune écrivain, aidé de ses frères et de quelques amis, rédigeait dès 1819, on trouve, comme faisant partie d’un ouvrage inédit intitulé les Contes sous la Tente, la première édition de cette nouvelle que l’auteur ne publia qu’en 1825, remaniée et récrite presque en entier. […] Sans être de l’école d’Escobar ou de Machiavel, on pourrait, je crois, qualifier ces scrupules de gloriole hors de saison et de préjugé formaliste : c’est un travers naïf de l’entière et puritaine bonne foi de la jeunesse. […] Ainsi des autres caractères ; les poëtes adolescents, encore entiers, n’imaginent pas d’autre nature humaine que celle-là, double en général, et absolue, excessive dans chaque sens. Notre bon Corneille, qui avait l’âme naïve et pas mal entière aussi, n’a guère vu différemment en la plupart de ses créations.

101. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Et si vous y joignez cette autre variété florissante, les jugeurs, les solennels, les hommes-tribunaux, les Perrins-Dandins, presque aussi communs que les Georges, pris assez subtilement à la petite trappe de l’impartialité, vous avez l’opinion tout entière, ou au moins ses forces les plus vives, et c’est le cas présent pour M.  […] Comte le philosophe escamote littéralement, dans son système de philosophie positive, qui n’est que le vide positif, — d’abord Dieu et tout l’ordre surnaturel ; ensuite la métaphysique tout entière et le monde d’abstractions et d’explications qu’elle traîne à sa suite ; enfin, les causes finales et les causes premières ! […] Comte le philosophe, n’étant, à bien le prendre tout entier, qu’un physicien ! […] qui du moins avait une philosophie tout entière, derrière sa philosophie de l’histoire, tandis que M. 

102. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

C’est le célèbre Addisson, à qui sa patrie & le monde entier ont l’obligation de la découverte d’un trésor caché. […] L’Europe entière avoit à trembler pour la constitution des états. […] Il se vantoit de faire tomber les fers du monde entier.

103. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Dans cent années, cette multitude se sera abîmée dans la fosse — tout entière. […] Cette production démesurée ne saurait, semble-t-il, s’étreindre dans une formule qui l’explique tout entière. […] Il s’en allait tout entier dans ses mots. […] Sous cet amas de faits une idée s’agite, et ce dénombrement tout entier n’est qu’une preuve.‌ […] J’en donnerai comme exemple deux principaux, l’un qui s’applique à l’ouvrage tout entier de M. 

104. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés »

Ces ressemblances, bien qu’en étroite connexion avec la vie entière de ces divers êtres, sont regardées simplement comme des caractères analogiques ou d’adaptation. […] C’est ce qu’on exprime en rangeant la série entière des formes connues sous différents genres, familles, sections ou ordres. […] Il y a des groupes entiers d’animaux et certains représentants d’autres groupes, chez lesquels l’embryon, à aucune époque de sa vie, ne diffère considérablement de l’adulte. […] On peut étendre cette manière de voir à des familles ou même à des classes entières. […] Nous avons vu que telle est la loi de développement chez des groupes entiers d’animaux, tels que les Céphalopodes et les Araignées.

105. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Elle se résignait sans doute, car elle était débonnaire et soumise ; elle demandait à l’étude des consolations, elle passait des journées entières plongée dans ses lectures. […] Né comme par miracle hors de son siècle, il appartenait tout entier à des temps qui ne sont plus, et il avait été donné à l’Italie comme un monument de ce qu’avaient été ses enfants, comme un gage de ce qu’ils pouvaient être encore. […] Je me flatte qu’elle sera entière, et que, si la France a été juste pour elle, l’Italie sera reconnaissante […] Voilà ma pensée tout entière… Ai-je raison ? […] Elle mourut tout entière.

106. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Tout lui parut à reconstruire, depuis les bâtiments, où le marteau ne laissa d’entier que les murs, jusqu’au plan des études, que M.  […] Il était sa maison tout entière. […] Non assurément ; si ses espérances avaient été réalisées, c’est le monde entier qui eût été changé de fond en comble et on ne s’aperçoit pas d’un tel changement. […] Malgré plus d’un trouble, je m’y retrouvais tout entier, tel que mes premiers maîtres m’avaient fait. […] Durant quatre ans, une terrible lutte m’occupa tout entier, jusqu’à ce que ce mot, que je repoussai longtemps comme une obsession diabolique : « Cela n’est pas vrai ! 

107. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre premier. Que la poétique du Christianisme se divise en trois branches : Poésie, Beaux-arts, Littérature ; que les six livres de cette seconde partie traitent spécialement de la Poésie. »

Aristote, il est vrai, a prétendu que le poème épique est tout entier dans la tragédie : mais ne pourrait-on pas croire, au contraire, que c’est le drame qui est tout entier dans l’épopée ?

108. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Ce principe de protection des intérêts utiles à tous qui s’applique à une commune, s’appliquerait-il donc avec moins de droit à un continent tout entier à protéger dans son indépendance ? […] L’honneur de ces deux noms appartient tout entier à l’esprit de l’Angleterre et de l’Écosse ; la France elle-même réclame Audubon. […] Enfant, j’avais voulu la posséder tout entière ; homme fait, le même désir, la même ivresse vivaient dans mon cœur. […] Quand les instruments du charpentier et du maçon se reposent et se taisent, l’incendie dévore des forêts tout entières ; et la civilisation s’annonce par des ravages. […] Cette bouffée de vent dont la colonne occupait environ un quart de mille emporta des maisons, souleva des toitures, força des troupeaux entiers d’émigrer violemment à travers les airs.

109. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

le drame musical existe en Allemagne, et nous laisserions tout entière à un pays que nous aimons peu une gloire où nous pouvons avoir part ? […] Il avait été baptisé et élevé dans le Catholicisme ; mais telle était la disposition de son âme, que l’Esprit entier de Protestantisme allemand vivait en lui. […] Et dans ce monde, était contenu aussi le doute de l’homme Beethoven, et c’est pour cela qu’il nous l’exprime immédiatement, — non comme l’objet d’une réflexion, — lorsqu’il apporte devant nous l’expression du monde entier. […] Fantin a rendu le sens profond de la scène, et de ce drame entier, la Goetterdaemmerung, où le jeune Siegfried, avec la joie de sa force, nous donne aussi comme l’angoisse du fait cruel, si prochain. […] Enfin, la synthèse voit l’intellect et l’émotionnel se rejoindre et fusionner en une oeuvre pleine et entière.

110. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

Je pense, en un mot, qu’une civilisation commune appartient à l’espèce humaine tout entière dans toutes les parties du globe. […] Nous proclamons hautement notre entière adhésion à ces vues simples et fécondes qui dérivent de la méthode d’observation bien entendue. […] A cette question, Kant répond avec l’esprit de son siècle entier que toutes nos connaissances présupposent l’expérience. […] L’idée de la nécessité ne se forme pas par morceaux et en détail, elle s’introduit pleine et entière dans l’intelligence. […] Autant valent et cet instrument et ces fondemens, autant, plus tard, vaudra l’édifice entier.

111. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

L’entière liberté du langage lui paraissait évidemment une condition absolue de la liberté de la pensée. […] Jamais rencontre plus opportune, ou convenance plus entière. […] Et c’est enfin l’œuvre de Bayle presque entière qu’ils ont refondue dans la leur. […] Mais qui ne voit que c’était également s’arroger le domaine entier de la pensée ? […] Déjà, sous le nom de « préjugés », c’est la « tradition » à peu près tout entière que l’on commence d’attaquer.

112. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

mais sous ce rocher que voilà, je chanterai te tenant entre mes bras, regardant nos troupeaux confondus, et devant nous la mer de Sicile. » Voilà le cadre entier dans sa simple et harmonieuse bordure. […] Indépendamment du cercle entier des saisons qui se déroulent sous nos yeux dans ce tableau varié de l’idylle, et où chaque saison, y compris l’hiver, passe tour à tour en offrant les scènes qui lui sont propres, des incidents romanesques ou mythologiques viennent retarder ou exciter la marche légère de l’action. […] C’est en effet toute une éducation du goût, dans ces matières de l’art antique, qu’il avait fallu se faire et se donner depuis Huet jusqu’à Goethe, on passant par Lessing, Winckelmann et autres initiateurs : les impressions des diverses branches de l’art se complètent ainsi et s’achèvent, mais ce n’est pas l’affaire d’un jour. — Eckermann, selon son usage, reprenant la pensée de Goethe au point où elle s’arrêtait, et la lui renvoyant avec de légères variantes, lui répondit (toujours pendant ce même dîner) : « La mesure dans laquelle se renferme l’œuvre entière m’a paru excellente ; c’est à peine si on rencontre une allusion à des objets étrangers qui nous feraient sortir de cet heureux cercle. On ne voit agir, en fait de divinités, que Pan et les Nymphes : on n’en nomme guère d’autres, et on voit en même temps que ces divinités suffisent aux besoins des bergers. » — « Et cependant, ajoutait Goethe, obéissant a la suggestion de son interlocuteur et continuant la pensée d’Eckermann ou plutôt la sienne propre, cependant, avec toute cette mesure, là se développe un monde tout entier : nous voyons des bergers de toute nature, des laboureurs, des jardiniers, des vendangeurs, des mariniers, des voleurs, des soldats, de nobles citadins, des grands seigneurs et des esclaves. » C’est tout ce dialogue qui manque, pour le dire en passant, dans la page de préface ajoutée à ta présente édition, où elle fait d’ailleurs une si digne et si magistrale figure. […] Goethe y voit encore et surtout le paysage, la beauté des lignes environnantes, les contours : j’y vois pourtant d’autres choses moins belles ; j’ai Gnathon qui me dégoûte ; j’ai surtout ces parents qui remplissent le quatrième livre tout entier, ces parents honorables, réputés honnêtes gens dans leur cité, qui ont cependant exposé leurs enfants de gaîté de cœur, les uns parce qu’ils en avaient déjà assez (ils en conviennent) et qu’ils estimaient leur famille assez nombreuse, un autre parce que, disait-il, il était alors sans fortune ; ils les ont exposés, celui-ci comptant sur un passant plus humain que lui, les autres n’y comptant même pas ; ces infanticides qui, s’ils ne sont plus à la carthaginoise et sanglants, sont anodins et à la grecque, m’indignent, m’affligent du moins, m’avertissent que j’ai affaire, malgré toutes les Nymphes et toutes les Grâces, à un niveau de civilisation inférieure et dure.

113. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Notre récit fait les prémisses, le précepte est la conclusion, et le conte tout entier n’est qu’un sermon. […] Les constructions variées ont imité la variété de la pensée ; quand elle s’est rompue, la phrase s’est rompue avec elle, et le chant des mots sonores a noté par ses inflexions visibles les ondulations invisibles du sentiment. — Ainsi répandu dans l’oeuvre entière, le mouvement se communique au poëte. […] Nul caractère ne s’y montre en même temps tout entier : le temps en éparpille les parties, et ne dévoile jamais à la fois qu’un seul coin du tableau ; aujourd’hui un sentiment, demain, un autre. […] Je ne puis reconnaître du premier coup d’oeil quel est le naturel tout entier du Loup, quel mélange d’inquiétude, de violence, de sottise et de poltronnerie, compose sa physionomie. […] Elles sont venues d’elles-mêmes se placer sur sa toile, et le reste, qui méritait de périr, a péri ; le personnage est ici tout entier, et non plus épars entre hier, aujourd’hui et demain ; ses traits, qui, désunis, languissaient, une fois réunis, saisissent.

114. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Pourtant, j’ai peine à croire que Buffon n’ait pas aussi songé par contraste, dans ce même endroit, au Discours sur l’histoire universelle de Bossuet, ce sujet en effet si vaste et si un, et que le grand orateur a su tout entier renfermer dans un seul discours. […] un Homère avant tout, le père du monde classique, mais qui lui-même est encore moins certainement un individu simple et bien distinct que l’expression vaste et vivante d’une époque tout entière et d’une civilisation à demi barbare. […] accueilleraient les plus ingénieux modernes, les La Rochefoucauld et les La Bruyère, lesquels se diraient en les écoutant : « Ils savaient tout ce que nous savons, et, en rajeunissant l’expérience, nous n’avons rien trouvé. » Sur la colline la plus en vue et de la pente la plus accessible, Virgile entouré de Ménandre, de Tibulle, de Térence, de Fénelon, se livrerait avec eux à des entretiens d’un grand charme et d’un enchantement sacré : son doux visage serait éclairé du rayon et coloré de pudeur, comme ce jour où, entrant au théâtre de Rome dans le moment qu’on venait d’y réciter ses vers, il vit le peuple se lever tout entier devant lui par un mouvement unanime, et lui rendre les mêmes hommages qu’à Auguste lui-même. […] Et, malgré tout, ces demi-dieux une fois honorés, ne voyez-vous point là-bas une foule nombreuse et familière d’esprits excellents qui va suivre de préférence les Cervantès, les Molière toujours, les peintres pratiques de la vie, ces amis indulgents et qui sont encore les premiers des bienfaiteurs, qui prennent l’homme entier avec le rire, lui versent l’expérience dans la gaieté, et savent les moyens puissants d’une joie sensée cordiale et légitime ? […] Le Moyen Âge, croyez-le bien, et Dante occuperaient des hauteurs consacrées : aux pieds du chantre du paradis, l’Italie se déroulerait presque tout entière comme un jardin ; Boccace et l’Arioste s’y joueraient, et le Tasse retrouverait la plaine d’orangers de Sorrente.

115. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

De ce fait, la faculté tout entière de se concevoir autre semblait frappée de discrédit. […] De la sorte l’humanité historique tout entière parvient à composer un seul et même être, un être dont la jeunesse est illimitée puisqu’elle se retrempe dans la jeunesse individuelle de chaque génération naissante, un être aussi dont la mémoire et l’expérience vont s’enrichissant sans cesse. Par le pouvoir de la notion chaque individu se conçoit d’une façon supérieure autre qu’il n’est, il voit se refléter dans sa conscience individuelle l’image abstraite de la pensée humaine tout entière. […] Car il va se montrer impuissant à atteindre le modèle qu’il s’est proposé, et son énergie employée tout entière en un vain effort va se dissiper. […] Aussi importe-t-il de confesser ici que si l’on a pu montrer, dans la première partie de cette étude les quelques déviations subies, du fait de ce formidable phénomène de suggestion, par quelques activités originales, on ne saurait mettre ce dommage en ligne de compte avec l’extraordinaire enrichissement qui fut réalisé par la Renaissance au bénéfice de l’humanité tout entière Si le pouvoir de se concevoir autre, de s’appliquer les bienfaits de notions et d’une culture que l’on n’a pas soi-même inventées, s’exerce en cette circonstance au détriment de quelques variétés humaines particulières, il faut proclamer qu’il se montre ici, avant tout, le moyen même du phénomène humain, sans lequel ces variétés n’existeraient point.

116. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Redonnel, Paul (1860-1935) »

Aujourd’hui, mieux regardée et mieux comprise, c’est l’œuvre entière que j’aime en sa beauté diverse et savante, en la haute signification de son ensemble. […] Dois-je m’aventurer imprudemment à la poursuite d’un motif fragmentaire des Chansons éternelles, alors qu’il me suffît d’ouvrir mes oreilles de bonne volonté pour saisir la symphonie entière, avec tout ce qu’elle a de grand et de puissant et tout ce qu’elle peut avoir d’incohérences et de heurts, nécessaires sans doute à l’élan qui entraîne l’homme et l’œuvre ?

117. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Quelle plus belle occasion pourtant de le connaître presque tout entier que la traduction de ses Œuvres, due à la plume élégante et consciencieuse de M.  […] Charles que de l’original lui-même, auquel une intelligence amie a bien voulu m’ouvrir un entier et facile accès. […] Le corps auquel il appartenait guerroya, puis séjourna dans les Flandres et dans le Brabant ; le jeune soldat en sut profiter pour visiter les riches galeries de peinture dont la Belgique est remplie, et sa vocation allait se diriger tout entière de ce côté. […] Si l’on s’est trompé dans le dessein de l’ensemble, te travail entier est perdu ; si dans un vaste sujet on ne se trouve pas toujours pleinement maître des idées que l’on vient à traiter, alors de place en place se voit une tache, et l’on reçoit des blâmes. […] Émile Délerot, qui a fait une traduction complète de ces Entretiens, a bien voulu la mettre à mon entière disposition, avec des notes précises et intéressantes. — Sa traduction a paru depuis dans la Bibliothèque-Charpentier. 

118. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Elle passe des heures entières avec M. de Louvois et avec madame de Thianges… L’habitude lui a attaché le roi. […] Le roi s’entretient des heures entières avec la reine. […] Je n’ai pas eu le dessein d’écrire la vie entière de madame de Maintenon, et de la suivre dans son existence politique. […] Ce triomphe de madame de Maintenon fut celui de sa société tout entière. […] La Chaise, ni les jésuites, ni le clergé tout entier ne seraient parvenus à la faire épouser si elle n’eût charmé le roi ; et il était fort possible que sans leur secours elle réussît par l’art uni à ses charmes.

119. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Réduit à des sensations toutes passives, s’il en pouvait exister de telles, je ne me distinguerais plus de rien et me perdrais tout entier dans l’univers. […] Si cette liberté est chimérique, il n’est nullement chimérique de dire que nos actions sont des mouvements ayant leurs principaux antécédents dans notre moi, dans la réaction nerveuse et cérébrale de notre organisme entier, manifestée sur un point particulier. […] Toutes les scènes intérieures qui nous paraissent et sont, en effet, si diversifiées, empruntent leur diversité aux sensations de mille sortes qui viennent se combiner avec le déploiement de notre volonté ; mais, encore un coup, ce déploiement en lui-même est toujours continu et toujours général ; nous voulons et agissons tout entiers, et les réactions tranchées contre les obstacles ne sont encore que les continuations de notre vouloir antérieur combiné avec des sensations nouvelles. […] De ce que je ne puis ouvrir la porte A qui est fermée, tandis que je puis ouvrir la porte B qui est ouverte, en résulte-t-il que ma force provienne tout entière de la porte A ? […] C’est cette continuité même du vouloir qui fait croire à son absence ; le tapage des sensations concomitantes et plus ou moins discordantes étouffe le reste, et le phénomène tout entier paraît un simple déploiement de sensations passives.

120. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

J’appelle maladie l’état du vivant, né homme, dont toutes les facultés humaines sont comprimées, l’être entier meurtri, et j’appelle santé, l’état du vivant dont les puissances s’épanouissent harmonieusement et librement. […] Nous n’avons pas ici à extraire de l’œuvre le personnage qui nous intéresse, puisqu’il est l’œuvre toute entière. […] Il y a là toute l’âpre révélation de ce que peut contenir un cœur d’homme dont l’Église s’est d’abord emparée, qui s’est donné tout entier à elle comme à la vérité suprême de ce monde, et qui peu à peu reconnaît son erreur, touche du doigt le mensonge surgissant de toute part sous l’apparente vérité, qui enfin, après s’être déchiré aux parois de la tombe où il s’est enseveli, s’en évade. […] Reconnaître que l’on s’est voué tout entier et pour toujours à un mensonge ! […] Ce dilemme, le voici : ou bien le prêtre est sincère et donne de bonne foi son adhésion pleine et entière au dogme intégral dont l’Église lui impose la croyance, et dans ce cas, il fait preuve, tout en demeurant respectable, de la déraison la plus indéniable, puisqu’il est actuellement impossible de ne pas considérer le dogme comme un tissu d’inepties, de monstruosités et de mensonges, puisque valeur intellectuelle et croyance dogmatique se nient ; ou bien, il n’a pas foi dans le dogme, et dans ce cas, il ne peut être qu’un imposteur, puisqu’il fait profession d’enseigner ce qu’il sait être l’erreur.

121. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Les vieillards de Troie ne pouvaient trouver mauvais que les peuples se fussent armés pour la querelle de la beauté : et Homère faisait sortir de cette pensée une poésie tout entière. […] Quelle raison pour refuser au premier des évêques, au successeur du prince des apôtres, quelle raison pour lui refuser l’empire entier de la religion, qui lui appartint toujours, pour le lui refuser maintenant que cet empire est devenu si distinct de tous les autres ? […] Je l’ai dit, et je le redis avec la plus entière conviction, sans le christianisme, sans les idées morales que le christianisme a mises dans le monde, le despotisme finissait inévitablement par s’acclimater dans la vieille Europe.

122. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Le chœur ne doit jamais être que l’organe, le représentant du peuple entier ; tout ce qu’il dit doit être une espèce de retentissement sombre et imposant du sentiment général. […] Il n’y a pas, dans les trois tragédies de Schiller, une seule scène que j’aie conservée en entier. […] Les Allemands, dans les leurs, peignent une vie entière et un caractère entier. […] Elle est calme, parce que sa résolution ne peut être ébranlée ; elle est confiante, parce qu’elle ne peut s’être trompée sur le cœur de son amant ; elle a quelque chose de solennel, parce que l’on sent qu’il y a en elle quelque chose d’irrévocable ; elle est franche, parce que son amour n’est pas une partie de sa vie, mais sa vie entière. […] On prévoit même que s’il la refuse elle ne se croira pas coupable de lui résister : son amour l’occupe et l’absorbe tout entière ; elle n’existe que pour le sentiment qui remplit toute son âme.

123. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Zola est tout entier dans le matérialisme comme toute la force du matérialisme est en lui. […] Le spiritualisme par la voix de ses disciples tient ce langage : « Vous nous affirmez que le monde n’est pas tout entier dans nos insipides fadaises, que le monde est plus rude et plus varié. […] Il ne comprend pas que la physique et la métaphysique — cette dernière, véritable et organique, j’entends — ne sont en rien dissociées par les découvertes scientifiques, qu’elles ne sont au fond qu’une seule et même chose entrevue de deux points différents, se rattachant, comme l’univers entier, au principe d’unité, au principe moniste dont nous avons parlé. […] Il est semblable à celui qui, lassé d’entendre sans cesse chanter sur tous les tons les plus fades la beauté précieuse et délicate, la beauté suprême de la fleur, déclarerait brutalement que, pour lui, la beauté réside toute entière dans l’écorce rugueuse. […] Cet article était écrit avant le procès intenté à Emile Zola au cours d’une récente et retentissante affaire judiciaire, et par conséquent cette phrase ne contient aucune allusion aux nouvelles sympathies que lui attira, parmi la jeunesse comme parmi le monde entier, la belle et significative énergie de sa conduite.

124. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Nous le saurions même beaucoup mieux qu’elle, car cette soi-disant âme consciente n’éclaire qu’une petite partie de la danse intracérébrale, elle n’est que l’ensemble des feux follets qui voltigent au-dessus de tels ou tels groupements privilégiés d’atomes, au lieu que nous assisterions à tous les groupements de tous les atomes, à la danse intracérébrale tout entière. […] C’est pourquoi il suffira d’une légère modification de la substance cérébrale pour que l’esprit tout entier paraisse atteint. […] Non, il est probable que c’est le cerveau tout entier qui est atteint, de même que c’est la corde tendue tout entière qui se détend, et non pas telle ou telle de ses parties, quand le nœud a été mal fait. Mais, de même qu’il suffit d’un très faible relâchement de l’amarre pour que le bateau se mette à danser sur la vague, ainsi une modification même légère de la substance cérébrale tout entière pourra faire que l’esprit, perdant contact avec l’ensemble des choses matérielles auxquelles il est ordinairement appuyé, sente la réalité se dérober sous lui, titube, et soit pris de vertige. […] Or, je crois bien que notre vie intérieure tout entière est quelque chose comme une phrase unique entamée dès le premier éveil de la conscience, phrase semée de virgules, mais nulle part coupée par des points.

125. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « APPENDICE. — LEOPARDI, page 363. » pp. 472-473

Pour moi, l’année entière, Dans sa succession muable et régulière, Ne m’offre tour à tour que diverses beautés, Toutes en leur saison. — Au déclin des étés, Ce feuillage, là-bas, dont la frange étincelle, Et qui, plus jaunissant, rend la forêt plus belle Quand un soleil oblique y prolonge ses feux ; Tout ce voile enrichi ne présage à tes yeux Que l’hiver, — l’hiver morne, aride. […] Alors, ami blessé, ton cœur serait guéri ; Chaque vivant objet, que la trame déploie, Te rendrait un écho d’harmonie et de joie ; Et soumis, adorant, tu sentirais partout Dieu présent et visible, et tout entier dans tout !

126. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre II. Pourquoi il faut préférer la méthode inductive » pp. 13-14

Pourquoi il faut préférer la méthode inductive Nous voici donc ramenés au plan de cette histoire qui doit embrasser l’évolution d’une littérature entière. […] C’est même, si l’on veut, l’idéal pour une science de pouvoir se tirer tout entière de deux ou trois principes féconds, comme le sont les axiomes qui servent de base à la géométrie.

127. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

La poésie des choses, suivant le mot d’Alfred de Musset, est faite tout entière de « crainte et de charme », de trouble et de désir. […] Autour d’elles se groupent des fragments entiers de notre existence : elles sont la vie en raccourci. […] Qui sait si, renaissant aujourd’hui, un Goethe n’aimerait pas mieux se consacrer tout entier aux sciences naturelles ? […] En cet atome il avait aperçu, comme Pascal dans le ciron, un raccourci de la terre entière, des cieux et des mondes. […] Vergalo et qui semble authentique, lui a donné absolution entière pour ses hiatus.

128. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Dans le présent recueil notre poésie reprend son cours naturel historique, trop souvent brisé ; car elle a eu sa perte du Rhône ; elle l’a eue, par malheur, plus d’une fois et sans jamais en sortir tout entière. […] qu’il y ait eu dans l’ensemble de l’œuvre, et par suite même de cette division à l’infini, bien des noms surfaits, des auteurs enflés et poussés trop haut, je le sais trop bien, et un critique qui est obligé, comme je l’ai été souvent, d’embrasser dans toute son étendue le cadre entier de notre littérature, sent plus vivement qu’un autre ces disproportions, qui choquent moins quand on prend chaque sujet isolément. […] Mais au xive  siècle on a, pour se consoler de ce faux triomphe allégorique, une autre allégorie bien supérieure, la vraie satire transparente, emblématique à peine et toute parlante, sous le couvert du Roman de Renart, dont les meilleures branches et les plus légères remontent au xiiie siècle, mais dont l’entier accomplissement et le couronnement hardi appartiennent au siècle suivant. […] Celui-ci n’a pas vécu assez pour connaître le vrai, le grand et royal Malherbe, pour assister à son entier développement et à son triomphe. […] Rien n’est plus propre à nous faire comprendre ce qu’aurait été la poésie française, si elle avait su échapper au trop de politesse du xviie  siècle, et si, avant de tant chercher à se clarifier au risque de s’affaiblir, elle avait pu arriver, dans un tel génie, ou dans des génies tournés vers d’autres genres, à son entière maturité.

129. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre IV : Règles relatives à la constitution des types sociaux »

Pour les autres, elles peuvent être calculées une fois pour toutes et pour le genre humain tout entier. […] L’espèce, en effet, n’est que le résumé des individus ; comment donc la constituer, si l’on ne commence pas par décrire chacun d’eux et par le décrire tout entier ? […] Mais elle perd cet avantage si ces types n’ont été constitués qu’après que tous les individus ont été passés en revue et analysés tout entiers. […] Quand la horde devient ainsi un segment social au lieu d’être la société tout entière, elle change de nom, elle s’appelle le clan ; mais elle garde les mêmes traits constitutifs.

130. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Selon Spencer, cette excitation du système musculaire serait proportionnelle à l’intensité du sentiment, quelle qu’en tut d’ailleurs la nature : une forte joie comme une forte douleur met en branle le corps entier. […] En même temps se dessine l’effort de la réaction défensive : le corps entier se détourne, les bras sont projetés en avant comme pour repousser l’objet effrayant. […] Dès lors, il ne peut y avoir irritation d’une partie sans que cette irritation se propage par contagion à toutes les autres : c’est le germe de la sensation diffuse, répandue dans le corps entier. […] Enfin, toutes les parties ayant le pouvoir de réagir et une tendance à leur propre conservation, l’irritation entraîne toujours une réaction motrice du corps entier : c’est le germe de l’appétit diffus, du vouloir-vivre, inhérent au tout. […] Quand votre voix est tremblante d’émotion, votre corps tout entier tremble en ses moindres cellules, comme le vent qui passe sur la forêt fait frissonner toutes les feuilles des arbres.

131. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « V » pp. 19-21

Le vendredi 7 avril, le soir, chez madame Récamier. mademoiselle Rachel a récité : 1° quelques scènes de Bérénice ; 2° le premier acte presque entier de Judith ; — Bérénice assez bien, mais pour Judith, succès complet d’actrice et d’acteur. […] — Pour Lucrèce, je l’ai entendue tout entière, mercredi matin, 12, chez madame d’Agoult.

132. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre IV. Effet pittoresque des ruines. — Ruines de Palmyre, d’Égypte, etc. »

Les ruines, considérées sous les rapports du paysage, sont plus pittoresques dans un tableau, que le monument frais et entier. […] Les flots de l’Égée, qui viennent expirer sous de croulants portiques, Philomèle qui se plaint, Alcyon qui gémit, Cadmus qui roule ses anneaux autour d’un autel, le cygne qui fait son nid dans le sein de quelque Léda, mille accidents, produits comme par les Grâces, enchantent ces poétiques débris : on dirait qu’un souffle divin anime encore la poussière des temples d’Apollon et des Muses ; et le paysage entier, baigné par la mer, ressemble à un tableau d’Apelles, consacré à Neptune et suspendu à ses rivages210.

133. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

Même chose arriva à une tragédie de Roméo et Juliette, que je développai pourtant tout entière, mais avec effort et non sans me reprendre. […] « Pendant l’été précédent, que j’avais tout entier passé à Florence, comme je l’ai dit, j’y avais souvent rencontré, sans la chercher, une belle et très aimable dame. […] Et certes je ne me trompai pas, puisque, après dix années entières, à l’heure où j’écris ces enfantillages, désormais, hélas ! […] Son père, son frère le cardinal, eussent essayé en vain de le rappeler au sentiment de lui-même ; il passait des années entières sans leur donner signe de vie. […] Il faut citer cette lettre tout entière, avec ses incorrections de style et son orthographe ; on y verra ce que la société italienne pensait de cette singulière aventure.

134. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Si je la niais, l’histoire du genre humain tout entier serait là devant moi, comme elle est là devant les progressistes indéfinis, pour me donner le triste démenti des réalités aux imaginations. […] Le monde entier n’est composé que de deux mots : progrès et décadence. […] Les sensations n’y parlent pas en vous, elles y chantent ; elles y parcourent en une heure la gamme entière de toute une vie ! […] Je pense comme Montaigne : Je veux l’homme tout entier. […] Pour la première fois de ma vie, j’eus le sentiment de la gloire, et je crus que la vie entière était assez bien employée à mériter un tel tombeau.

135. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Feuillet de Conches font déjà connaître et dont la publication plus entière deviendra possible avec les années, formera un livre qui se placera tout naturellement à côté du recueil des lettres du Poussin, celui de tous les peintres de qui Léopold Robert relevait le plus, et dont il écrivait à un ami : J’ai été enchanté de me rapprocher autant avec vous pour ce que vous me dites du Poussin. […] Installés au milieu de cette population, qui n’était pas tout entière enfermée au château Saint-Ange, ils y virent avant tout d’admirables modèles qui leur offraient la nature un peu sauvage, avec un caractère unique de grandiose et de dignité, surtout dans les femmes. […] Il est vrai peut-être qu’il n’a pas eu l’occasion de voir dans son temps, comme nous dans le nôtre, des réunions entières de ce peuple singulier… Je n’oserais communiquer à quelqu’un d’autre qu’à vous ces remarques qui pourraient paraître présomptueuses ; mais, comme je vous le disais tout à l’heure, je ne peux m’empêcher de trouver les œuvres du Créateur bien autrement sublimes que toutes les représentations que les créatures les plus heureusement douées en peuvent faire. […] Ne lui demandez pas la théorie à l’origine, ni les grandes considérations sur les arts, toute ces choses qu’on a surtout à Paris et par lesquelles trop souvent on commence ; lui, comme ces pieux ouvriers d’autrefois, penchés sur leur toile tout le jour, il ne raisonne pas tant, ou du moins il ne raisonne que sur la toile présente et sur le sujet qui l’occupe dans le moment ; il s’y absorbe tout entier. […] Marcotte que cette âme d’élite, scrupuleuse, toujours inquiète du mieux et diversement souffrante, se montrera, se développera tout entière ; il semble qu’il y ait dans la familiarité de la camaraderie quelque chose qui lui aille moins qu’une certaine retenue extérieure compatible avec l’expression intime de la sensibilité.

136. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Pour payer sa dette entière à l’archéologie, il manquait à l’auteur un siège, je veux dire un siège en règle ; bon gré mal gré, il en a fait un. […] L’Antiquité, au contraire, ne comporte pas, de notre part, le roman historique proprement dit, qui suppose l’entière familiarité et l’affinité avec le sujet. […] On ne peut recomposer la civilisation antique de cet air d’aisance et la ressusciter tout entière ; on sent toujours l’effort ou le jeu, la marqueterie. […] Mais encore une fois, je le maintiens, l’art ne saurait être totalement indépendant de la sympathie, et portant tout entier sur des monstres. […] Le paysage du livre est vrai, car l’auteur l’a vu de ses yeux et il est peintre ; les monuments et les édifices sont plus que douteux et incertains, car ils sont refaits en entier d’imagination, les vestiges insignifiants qu’on a cru récemment retrouver n’v pouvant aider en rien : mais ce qu’on peut affirmer plus à coup sûr encore et de toute la force de son bon sens, c’est que ce n’est pas ainsi qu’en aucun temps et en aucun lieu, les hommes se sont comportés et que les choses se sont passées.

137. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Même quand arrivent chez nous ces peuples tout entiers, nous ne ressentons aucune crainte, et on a vu de belles femmes embrasser les hommes et les chevaux. […] Nous passions des jours entiers ensemble. […] L’Allemagne entière pleura à l’envi son grand homme. […] Goethe s’enferme pendant des années entières dans l’ombre de ses méditations pour y trouver le mot de Dieu que les hommes ne comprennent pas tout entier encore, parce qu’il n’en dit que la moitié ; l’autre moitié, mystique et réparatrice, il passe vingt-cinq années de son âge mûr et de sa vieillesse à la trouver, et il n’en donne qu’une partie avant de mourir. […] Le duc de Weimar meurt après cinquante ans d’amitié, mais sa femme et son fils survivent, et la faveur du grand homme revit tout entière en eux jusqu’à son dernier jour.

138. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

Nous sommes cependant exposés à attribuer faussement aux lois de corrélation des particularités de structure communes à des groupes entiers d’espèces, et qui, en réalité, sont dues à l’hérédité. […] De même certaines corrélations qu’on peut constater dans des ordres entiers ne sont apparemment dues qu’à la manière dont la sélection naturelle peut agir. […] Ainsi, l’aile de la Chauve-Souris est d’une structure très anormale dans la classe entière des Mammifères ; mais la règle ci-dessus ne lui est pas applicable, parce qu’il existe un groupe entier de Chauves-Souris pourvues d’ailes analogues. […] Parmi nos races domestiques, si quelque organe, ou l’animal tout entier est négligé, et que le principe de sélection cesse d’être appliqué, cet organe, tel par exemple que la crête chez les volailles Dorking, ou même la race tout entière cesse de présenter une presque uniformité de caractères. […] Quand un organe est bien développé, il tend peut-être à absorber la nourriture des organes voisins ; et la nature épargne sans cesse sur chaque partie de l’organisation tout entière, toutes les fois qu’elle peut le faire sans nuire à l’individu.

139. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « La poésie »

L’idée était si juste et si opportune qu’elle a aussitôt porté fruit et porté coup ; elle a eu l’honneur, dès le premier jour, de soulever les colères de ceux qui possédaient autrefois et dominaient l’entier domaine de l’intelligence humaine et qui, jusque dans leur décadence, quand presque tout leur échappe, voudraient tout garder. […] Paul Albert le présente aujourd’hui à ses jeunes auditrices dans tout son mouvement vrai, dans toute l’étendue de son développement et de sa croissance : on a l’arbre entier dans ses principaux rameaux. […] La comédie tout entière fait défaut ; l’élégie nécessairement est absente.

140. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

Comme le jugement qu’on doit porter sur de telles circonstances dépend d’un petit nombre d’idées simples et promptement aperçues, le temps qu’on y donne par-delà, est tout entier rempli par les illusions de l’imagination et du cœur. […] L’esprit est plus agité que l’âme ; c’est lui qu’il faut nourrir, c’est lui qu’on peut animer sans danger, le mouvement dont il a besoin se trouve tout entier dans les occupations de l’étude, et à quelque degré qu’on porte l’action de cet intérêt, ce sont des jouissances qu’on augmente, mais jamais des regrets qu’on se prépare. […] Je relis sans cesse quelques pages d’un livre intitulé : La Chaumière indienne ; je ne sais rien de plus profond en moralité sensible que le tableau de la situation du Paria, de cet homme, d’une race maudite, abandonné de l’univers entier, errant la nuit dans les tombeaux, faisant horreur à ses semblables sans l’avoir mérité par aucune faute ; enfin, le rebut de ce monde, où l’a jeté le don de la vie.

141. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racine, et Pradon. » pp. 334-348

Etant enfant, il passoit les journées entières à l’étude des auteurs Grecs. […] Mais, ce qui surprend, c’est que Pradon ait été trois mois entiers à faire une pièce aussi négligée, & qu’elle ait eu le moindre partisan après celle de Racine. […] On gâta des scènes entières.

142. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre IV. Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé. Observations sur la comédie et la tragédie » pp. 264-267

Ces deux caractères, ouvrages d’une nation tout entière, devaient nécessairement présenter dans leur conception une heureuse uniformité ; c’est dans cette uniformité, d’accord avec le sens commun d’une nation entière, que consiste toute la convenance, toute la grâce d’une fable.

143. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Combien connaissent un drame entier du Maître : où est l’écrivain qui a lu Ses écrits théoriques ? […] En effet l’artiste n’est rien autre chose que l’homme en qui les conflits, dont le champ est l’humanité toute entière, se manifestent avec le plus de force. […] Sa musique était à exprimer, pleinement, une action entière, pénétrée de noble émotion et de hautes douleurs. […] Qui pourrait entendre cette œuvre musicale admirable sans être, persuadé de ce que la musique de l’Ouverture enferme, déjà, le drame entier ? […] On s’étonnera que ce texte fondateur du wagnérisme en littérature ne figure pas ici dans son entier.

144. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Quant à la définition scientifique, qui, elle, peut tenir tout entière dans les douze syllabes d’un alexandrin, elle est un véritable non-sens en poésie : à quoi bon donner une règle à ce qui est la règle même ? […] Ces chercheurs étaient grands : ils se jetaient sans crainte Au travers de la nuit sans guide ni sentier ; Ignorant la prière, ils usaient de contrainte, Et, pressant l’inconnu d’une superbe étreinte, Pour penser dignement l’embrassaient tout entier. […] L’homme, dont le cœur seul, dans l’univers, a conçu la justice, disparaîtra, et la terre disparaîtra à son tour, et le ciel entier, avec ses étoiles, s’abîmera dans l’éternelle nuit. […] Voilà, sans doute, en un vivant symbole, le rêve de la Nature entière, sous la lourde nécessité de la faiM.  […] L’être lui-même n’est-il, tout entier, qu’un regard lent à s’ébaucher, lent à s’ouvrir à la lumière, à la vraie lumière, celle qui, gagnant de proche en proche, imprégnerait de sa clarté tout ce qu’il y a d’aveugle, et pénétrerait toute nuit, à l’infini ?

145. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Celui qui concevra la tragédie de Mahomet comme l’histoire, reproduira un des plus beaux phénomènes de l’esprit humain, une foi sincère dans une âme héroïque, bravant le martyre et s’élevant par le martyre à l’empire d’un continent entier. […] Aussi, pendant cette retraite auprès de madame du Châtelet, qui dura près de vingt ans, sa renommée rayonna de là sur le monde entier. […] Dieu sans limites dans son attention comme dans sa providence est tout entier dans chaque parcelle de sa création, comme il est tout entier dans le tout ; il n’y a pour lui ni nombre, ni grandeur, ni petitesse, ni ensemble, ni détail, ni fatigue d’esprit pour tout créer, tout voir, tout gouverner ; chaque atome est un monde aussi important pour lui que tous les mondes, la proportion des choses n’est pas dans les choses, elle est en lui seul. […] La France entière se précipita sur ses pas. […] Un peuple entier le reconduisit jusqu’à sa maison, et assourdit pendant toute une nuit les deux rives de la Seine de ses applaudissements.

146. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Après un extraordinaire début, où il a rempli un programme entier des œuvres les plus belles et les plus ignorées de Beethoven, M.  […] Je cite le texte presque en entier, car le lecteur y trouvera, en outre du détail de l’Or amoncelé, la première idée de la malédiction jetée par AIberich sur son anneau. […] Liège eut son tour peu de temps après (28 mars 1855), tandis qu’Anvers voyait représenter en entier, par une troupe allemande, le même opéra de Tannhaeuser (13 mars 1855). […] » Le théâtre, au contraire, exerce une influence directe et immédiate, et est le seul art qui soit accessible au peuple en entier […] Ces fragments ne se prêtent point à l’analyse, mais valentía peine d’être lus en entier.

147. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

XV Si la révolution, comme on le dit, avait eu pour cause principale et pour but légitime un intérêt purement français, comment s’expliquerait cet intérêt passionné, et pour ainsi dire personnel, qu’elle inspirait dans ses premiers symptômes à l’Europe entière et même jusqu’à Constantinople, et jusqu’aux Indes orientales ? […] Non, mais ils furent saisis tout entiers du vertige universel de l’espérance d’une ère nouvelle, dont le crépuscule apparaissait tout à coup sur l’horizon de la France. […] L’Assemblée Constituante fut une sorte de Sinaï des peuples ; Mirabeau en fut la voix ; l’univers entier en fut l’auditoire. […] Démosthène et Cicéron ne parlaient que pour eux, de leurs affaires ou de leur nation : nous parlions pour l’humanité tout entière ; notre affaire était l’affaire de la raison générale, la cause de l’homme et de l’esprit humain. […] Le plus grand danger pour la république n’est pas dans l’institution, il est dans son nom ; et la peur que ce nom inspirait avant 1848, elle la doit tout entière à la Convention.

148. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Le genre humain tout entier marche à grands pas vers sa destruction ; il est dans le travail de l’agonie, et, comme un malheureux blessé à mort, il se débat et se roule dans son propre sang. » Qu’il y ait quelques amères vérités mêlées et broyées dans cette peinture apocalyptique, on ne le saurait nier ; mais comment faire le départ du vrai et du chimérique ? […] en ce moment même, je ne le sens que trop, si ma volonté tout entière n’était pas entre les mains de mon père bien-aimé, si ses conseils ne me soutenaient pas, si je n’étais pas complètement résolu à obéir sans hésiter à ses ordres salutaires, oui, en ce moment même je retomberais dans mes premières incertitudes et dans l’abîme sans fond d’où sa main charitable m’a retiré. […] Il semble que sa piété, ses vertus, son âme tout entière, se communiquent à tout ce qui l’entoure : c’est un ange sur la terre… » C’est seulement quand l’abbé Carron se décide à revenir en France que M. de La Mennais y rentre lui-même. […] Il ne vous l’a pas dit, c’est mon secret, et il n’est pas, avec toute sa pénétration, capable de me deviner en entier. […] Comment et par quel secret revirement l’enfant docile et soumis d’hier est-il redevenu subitement l’esprit amer et mâle, le Breton farouche et indompté, l’homme entier et naturel ?

149. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Songez donc qu’à moins d’un mensonge sacrilège, qui ne doit guère se rencontrer, tout prêtre, quelles qu’aient pu être ensuite ses faiblesses, a accompli, le jour où il s’est couché tout de son long au pied de l’évêque qui le consacrait, la plus entière immolation de soi que l’on puisse imaginer ; qu’il s’est élevé, à cette heure-là, au plus haut degré de dignité morale, et qu’il a été proprement un héros, ne fût-ce qu’un instant. […] … Réfléchissez combien un tel état d’esprit est extraordinaire et comme il doit modifier l’être tout entier. […] Mais le premier effet de la foi et de la profession de l’abbé Courbezon, c’est le dévouement complet, l’abandon entier de sa personne. […] L’Église ne demande pas toujours au prêtre le sacrifice de son être tout entier ; mais elle peut toujours le lui demander, et surtout elle le lui demande dès qu’il paraît vouloir se reprendre. […] Il a peu connu les autres, et la vie moderne passerait presque tout entière entre ses pastorales et ses drames cléricaux.

150. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

C’est donc sous l’invocation souveraine et après s’être agenouillé qu’il prend la plume ; c’est dans une pensée de recueillement et de piété qu’il entreprend ce compte rendu quotidien, continué pendant dix-sept ans entiers, et qui ne cessera que seize jours avant sa mort. […] Je suivrai donc ton conseil, ô mon cher docteur, et je ne me hasarderai point à ce qu’on puisse penser que j’ai écourté ma vie par mon inconstance : et certes la vie entière est si courte qu’elle nous interdit d’entamer les longues espérances. S’il n’en était ainsi, et si quelque raison plausible pouvait me décider à faire le transfuge, tu sais, ô mon Dieu, quelles études me seraient le plus à cœur : car il y a longtemps qu’un violent désir m’a saisi de m’adonner tout entier à ces lettres dans lesquelles seules toute vérité est contenue, et qui seules immortalisent ceux qui s’y vouent et les unissent à Dieu. […] Force m’est bien, écrira de là Casaubon à de Thou, de renoncer une fois pour toutes à tout ce que j’avais élaboré jusqu’à ce jour pour l’utilité des amis des lettres, à ces chers travaux auxquels le monde me croit un peu propre, et par lesquels j’ai mérité votre estime à vous-même, très illustre et très docte président ; il faut bien qu’ici je m’applique avant tout à satisfaire à la volonté du maître : et comme son esprit royal est tout entier aux controverses théologiques du jour, il y a nécessité que nous qui lui appartenons et sommes de sa suite nous entrions dans les mêmes études, dans les mêmes inquiétudes que lui. […] — Pour connaître avec une entière précision les faits de la vie de Casaubon et voir au juste la place qu’il tient entre les réformés, on doit lire aussi l’article qui le concerne, au tome ii de la France protestante de MM. 

151. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

on ne prétend rien ôter que de faux, on ne veut y remettre que la vérité de la physionomie et l’entière ressemblance.. […] Je suis celui qui console encore ; car tous mes vieux amis sont bien découragés : seul, j’entrevois un ciel pur, et je le montre du doigt à ceux qui gémissent. » Il est là tout entier, par ce côté qui dépasse Horace, et qui nous le montre dans l’exercice de sa philosophie modérée et moyenne légèrement christianisée. Il est encore tout entier dans cette lettre à un jeune homme triste, souffrant, entravé dans ses goûts, et à qui il dit pour le consoler : « Ne vous laissez pas aller aux longues et secrètes douleurs : Dieu le défend à notre nature… J’ai connu tout cela, Monsieur, voilà pourquoi je me permets de vous en parler. […] Il n’y a que la peur des ovations qui merévèle que, malgré tout mon bon sens, je suis, comme beaucoup dont je me moque, atteint de cette vanité ridicule qui vous fait penser que le monde entier a les yeux sur vous. » Il obéissait, en quittant Paris, puis Passy, à des mobiles divers : l’économie d’abord, le dégoût que lui inspiraient les sottises des partis, à commencer par celui qui le revendiquait comme sien, la fatigue et l’ennui des visites ; tantôt il en avait besoin, et tantôt il les craignait. […] Pourquoi donc reculer devant l’expression entière de la nature humaine dans sa vérité ?

152. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Mais, enfin, on est en présence de la masse entière qui couvre le plancher. […]  » Et voilà notre homme enfermé, dévorant tout ce grimoire sans en rien passer, car il s’agit d’un seul nom propre qui peut vous mettre sur la voie ; et si, après une journée tout entière employée à cette chasse d’un nouveau genre, l’érudit sort tout poudreux, plus couvert de toiles d’araignée que Gabriel Naudé à Rome au sortir de chez les bouquinistes, mais tenant en main l’acte qu’il désirait, qu’il avait flairé et dénoncé à l’avance, quelle joie, quel triomphe ! […] Devenu seul et entier possesseur de l’office, le père Poquelin a évidemment en vue de le céder un jour à son fils, qui prête serment comme survivancier, dès le mois de décembre de cette année 1637. […] Si je voulais suivre, par exemple, la jeunesse entière de Molière durant ses courses en province et dans ces douze années d’apprentissage, je n’aurais qu’à me confier à M.  […] Pour comble d’à-propos, la France, participant tout entière à cette ébullition fantasque (la Fronde) qui avait commencé à Paris, s’étalait palpitante sous le regard curieux qui l’étudiait.

153. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Rome entière, avec ses grandeurs et ses bassesses, avec sa liberté et sa servitude, avec ses noblesses et ses abjections, avec ses vertus et ses forfaits, s’est résumée dans ce seul homme. […] « Aujourd’hui, toi et moi, nous nous parlons avec la plus entière franchise ; mais les autres s’adressent plus à notre puissance qu’à nous-mêmes, car persuader à un prince ce qu’il doit faire est une grande tâche : une approbation servile ne prouve aucune affection. […] Descendre ou naître des princes est un hasard qui ne nous rend digne d’aucune estime ; dans l’adoption, le choix est entier et le jugement libre, et, si l’on veut bien choisir, l’opinion publique vous éclaire. […] « Souviens-toi que tu vas commander ici à des hommes aussi incapables de supporter une entière liberté qu’une entière servitude. » L’invention d’une telle éloquence dans l’historien ne suppose-t-elle pas dans Tacite toutes les qualités d’homme d’État, de philosophe, de politique consommé, de vieillard expérimenté des choses et des caractères, et enfin d’orateur d’État, qualités que l’historien prête au vieux Galba ?

154. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Jeune homme sous la Restauration, il l’a traversée, il l’a vue tout entière comme on est le mieux placé peut-être pour voir les choses en observateur artiste, c’est-à-dire d’en bas, dans la foule, dans la souffrance et les luttes, avec ces convoitises immenses du talent et de la nature qui font que les objets défendus ont été mille fois devinés, imaginés, pénétrés, avant d’être possédés enfin et connus ; il a senti la Restauration en amant. […] La clef de son immense succès était tout entière dans ce premier petit chef-d’œuvre32. […] La personne de l’écrivain, son organisation tout entière s’engage et s’accuse elle-même jusque dans ses œuvres ; il ne les écrit pas seulement avec sa pure pensée, mais avec son sang et ses muscles. […] L’Europe tout entière lui était comme un parc où il n’avait qu’à se promener pour y rencontrer des amis, des admirateurs, des hospitalités empressées et somptueuses. […] Elle s’en prend surtout à la société, et déprime des classes entières, pour faire valoir quand même des individus, qui restent encore, malgré tout, à demi abstraits.

155. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Tout en rendant justice à ses belles et saines parties, nous ne le fîmes point avec plénitude ni en nous associant de cœur à l’esprit même de l’homme : Boileau, personnage et autorité, est bien plus considérable que son œuvre, et il faut de loin un certain effort pour le ressaisir tout entier. […] Il était dans sa vingt et unième année quand il perdit son père qui lui laissa quelque fortune, assez pour être indépendant des clients ou des libraires, et, son génie dès lors l’emportant, il se donna tout entier aux lettres, à la poésie, et, entre tous les genres de poésie, à la satire. […] Ce chef-d’œuvre de satire est celle qu’il adresse à son Esprit, sujet favori encore, toujours le même, rimes, métier d’auteur, portrait de sa propre verve ; il s’y peint tout entier avec plus de développement que jamais, avec un feu qui grave merveilleusement sa figure, et qui fait de lui dans l’avenir le type vivant du critique. […] Il faudrait relire ici en entier l’Épître à Racine après Phèdre (1677), qui est le triomphe le plus magnifique et le plus inaltéré de ce sentiment de justice, chef-d’œuvre de la poésie critique, où elle sait être tour à tour et à la fois étincelante, échauffante, harmonieuse, attendrissante et fraternelle. […] il récita ce dernier vers d’un ton si léger et rapide, qu’Arnauld, naïf et vif, et qui se laissait faire aisément, de plus assez novice à l’effet des beaux vers français, se leva brusquement de son siège et fit deux ou trois tours de chambre comme pour courir après ce moment qui fuyait. — De même, Boileau récitait si bien au père La Chaise son Épître théologique sur l’Amour de Dieu, qu’il enlevait (ce qui était plus délicat) son approbation entière.

156. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Ce volume est tout entier inspiré par les douleurs de l’exil, par les joies du retour, joies si mêlées et si altérées encore. […] C’est surtout dans son second recueil intitulé : Station poétique à l’abbaye de Haute-Combe, dont deux seules livraisons parurent de son vivant et qui ne fut publié en entier qu’après sa mort (1847), c’est dans cette suite de journées et de veilles funèbres que se déroule tout l’orage intérieur, l’abîme et la profondeur des souffrances et des agonies auxquelles il était en proie. […] qui jamais a su ta douleur tout entière, L’amertume des pleurs tombés de ta paupière, L’ampleur de la blessure en ton cœur ulcéré, Ô Job de la pensée, ô grand désespéré ! […] J’ai voulu tout aimer et je suis malheureux, Car j’ai de mes tourments multiplié les causes ; D’innombrables liens frêles et douloureux Dans l’univers entier vont de mon âme aux choses.

157. (1842) Essai sur Adolphe

S’il avait choisi de bonne heure une route simple et droite ; si, au lieu de promener sa rêverie sur le monde entier qu’il ne peut embrasser, il avait mesuré son regard à son bras ; s’il s’était dit chaque jour en s’éveillant : Voilà ce que je peux, voilà ce que je voudrai ; s’il avait marqué sa place au-dessous de Newton, de Condé ou de Saint-Preux ; s’il avait préféré délibérément la science, l’action ou l’amour ; s’il avait épié d’un œil vigilant le premier éveil de ses facultés, s’il avait démêlé nettement sa destinée, s’il avait marché d’un pas sûr et persévérant vers la paix sereine de l’intelligence, l’énergique ardeur de la volonté ou le bonheur aveugle et crédule, il ne serait pas vain, il ne dédaignerait pas. […] Ellénore a déjà aimé ; elle a déjà connu toutes les angoisses et tous les égarements de la passion ; elle s’est isolée du monde entier, pour assurer le bonheur de celui qu’elle a préféré. […] Elle avait joué hardiment sa vie entière sur un coup de dé ; elle avait gagné. […] La vie entière est changée, et ne peut revenir à ses premières émotions sans d’horribles tortures.

158. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

On cite un vers des Géorgiques qui est tout entier emprunté à Parthénius par son élève reconnaissant. […] Je ne sais si tous ces exemples, et celui d’Euphorion en particulier, le tendre et gracieux poëte (car j’aime à le croire gracieux et tendre), de ce poëte tout entier enseveli, ne m’ont point un peu trop frappé l’imagination, mais je voudrais bien être le docteur Néophobus 138 pour oser lancer d’un air d’exagération certaines petites vérités. […] Le pire qui nous puisse arriver, c’est que nous serons tous plus ou moins immortels, et bien loin que quelques-uns d’un peu intéressants se perdent tout entiers, dignes et moins dignes nous vivrons tous avec part au soleil et presque ex æquo.

159. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Ils y voyaient même une Philosophie tout entière, la Philosophie de l’Église et du Moyen Âge. […] Ozanam, en écrivant son livre, avait plutôt pour but de découronner le Dante que de le couronner, et il le découronne pour planter son laurier sur la tête du Moyen Âge tout entier, — du Moyen Âge qui n’a pas besoin de cela ! […] Quelle que soit la grandeur du maître en poésie qu’il a devant lui, le jeune homme obscur a dit avec une virilité prématurée ce qui lui semblait le vrai sur le Dante tout entier, auteur et homme, et bien loin de le mesurer avec le mètre enflammé de ceux qui en font un génie complexe et presque universel, et un double grand homme aussi auguste par la force du caractère que par la force de la pensée, le critique à ses premières armes a dédaigné ces exagérations, ces italianismes de l’enthousiasme, et il n’a vu dans l’auteur de la Divine Comédie qu’un poète à la manière des plus grands, mais, notez-le bien !

160. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Roger de Beauvoir »

Je voudrais pouvoir citer la pièce tout entière ; un tel poète, de cette fraîcheur d’accent, ne peut pas être, ne peut jamais devenir ce dévergondé cynique qui montrait à la vie, son bourreau, ce que les polissons de Naples montrent au Vésuve pour le narguer ! […] Sa Muse d’alors, je la comparai à une Madeleine qui n’avait encore que les yeux sur le Crucifix, et je lui promis que si elle s’y couchait le cœur tout entier, il deviendrait, lui, le Canova de la poésie du xixe  siècle. […] Aujourd’hui, c’est le bras tout entier qui frappe ; mais ce bras tout-puissant n’a rien fait jaillir de ce torrent que j’attendais !

161. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre premier. Nécessité d’une histoire d’ensemble » pp. 9-11

Il faudra presque une vie entière pour connaître à fond une époque. […] Une œuvre littéraire peut être comparée à une fleur ; la fleur dépend du rameau ; le rameau se rattache à une branche ; la branche se relie à un tronc ; nous sommes contraints, pour nous expliquer la fleur, de considérer l’arbre tout entier et le sol même où il a grandi.

162. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VII. Le Bovarysme essentiel de l’existence phénoménale »

La matière et le monde extérieur tout entier ne devraient-ils pas leur origine à cette même fantaisie intellectuelle par laquelle les premières sociétés humaines confèrent la divinité à des idoles taillées dans le bois par la hache de leurs artisans, idoles auxquelles elles attribuent un pouvoir souverain et auxquelles elles se soumettent ? Vers quelque solution que l’on incline, il reste toujours que le moi psychologique, pour se connaître, se conçoit nécessairement autre qu’il n’est, que cette fausse conception de lui-même entraîne une fausse conception des choses et frappe la connaissance tout entière d’une tare sans remède.

163. (1911) Études pp. 9-261

Il faut qu’elle trouve place, entière et vivante. […] Il est tout entier de front ; il ressemble à l’une de ces phrases pleines de division, où s’exprimait l’hésitation du désir. […] Point de jugements, mais une entière fidélité. […] L’âme y prend de la violence, je ne sais quel élan sans limites ; elle se déplie tout entière, elle connaît son étendue. […] Je tiens en moi mon être tout entier, nu et violent comme un animal.

164. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Le monde entier alors fut l’immense carrière ouverte aux pas de l’imagination humaine. […] Un Consul opérera les mêmes prodiges ; car il veut qu’un sénat timide et consterné se lève tout entier autour de lui contre le féroce Catilina. […] Il possédait si bien la force et l’étendue de ce genre d’éloquence, qu’on eût dit un moment que lui seul était le cœur d’un peuple tout entier. […] Il attaquait donc Voltaire tout entier en attaquant sa raison, fondement de ses talents, et sans laquelle il n’eut été qu’un futile versificateur. […] Vous croyez qu’il est facile de s’imaginer qu’un mois entier s’est écoulé comme un seul jour dans l’intervalle des actes.

165. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Elle repose tout entière sur la distinction des formes diverses sous lesquelles se présente à nous la vérité. […] Les principes universels et nécessaires sont sortis entiers de notre analyse. […] La nature entière ne nous fournira pas l’idée de la perfection, car tous les êtres de la nature sont imparfaits. […] On perdrait les écrits de Port-Royal qu’on retrouverait Port-Royal tout entier dans Champagne. […] L’idée du bien est la morale tout entière.

166. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

En somme, ce sont des spéculatifs qui aiment à voyager sur les sommets des choses, à parcourir en trois pas, comme les dieux d’Homère, une vaste région nouvelle, à embrasser le monde entier d’un seul regard. […] Il se détache tout entier nettement dans l’air limpide25. […] Presque tous les temples de la Grèce seraient encore entiers si la brutalité ou le fanatisme de l’homme n’étaient intervenus pour les détruire. […] Voilà donc le corps vivant tout entier et sans voile, admiré, glorifié, étalé sans scandale, aux regards de tous, sur son piédestal. […] L’horizon de l’homme s’est élargi et s’élargit tous les jours davantage ; la Méditerranée tout entière a été explorée ; on connaît la Sicile et l’Égypte sur lesquelles Homère n’avait que des contes.

167. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Celui qui affronte un jugement public doit se laisser connaître tout entier. […] Quand l’âme s’est retirée de ces monuments avec la religion qui les avait enfantés, l’Égypte tout entière est restée muette. […] C’est à l’être tout entier et non pas seulement à l’intelligence que s’adresse la poésie. […] Le poète n’écrit plus sous la seule dictée de la tradition, mais lui garde une entière déférence. […] Aussi est-il impossible de juger parmi eux un nom de quelque importance, sans être amené à faire le procès au siècle tout entier.

168. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IV : Sélection naturelle »

On peut dire qu’à l’état de domesticité l’organisation tout entière devient en quelque sorte plastique. […] Elle peut agir, sur chaque organe interne, sur la moindre différence d’organisation ou sur le mécanisme vital tout entier. […] Comment ses productions ne seraient-elles pas imparfaites en comparaison de celles que la nature peut perfectionner pendant des périodes géologiques tout entières ? […] On a vu des Saumons combattre pendant des jours entiers. […] Si bien que des champs entiers de Trèfle rouge offriraient en vain une abondante récolte de nectar à notre Abeille domestique.

169. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Depuis la Révolution française, la société entière est en fermentation. […] Aussi est-ce avec une entière confiance qu’il faut réclamer la liberté illimitée. […] Pour les uns, en effet, l’œuvre est tout entière produite par le travail mécanique du cerveau. […] Tant que le poète garde en lui son poème, il est sujet et objet, il se comprend sans doute tout entier ; en tout cas, il est seul juge de son œuvre. […] Des œuvres littéraires entières sont comme une élaboration de ce mode d’expression nouveau.

170. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Après de telles secousses, la société tout entière fait comme un homme qui a éprouvé de grands malheurs et qui n’aspire plus qu’au repos, aux douceurs d’une vie commode, et, s’il se peut, agréablement amusée. […] Ce qui a pu nuire ainsi à l’entier développement extérieur et à l’effet solennel de l’ensemble aura tourné plus sûrement au profit de la distinction exquise, de la connaissance infinie et de l’agrément. […] Véritable usurpateur des forces de la société, il s’en arrogea l’emploi pour s’en approprier le bénéfice, espèce de grand monopole qu’il voulut étendre sur l’Europe entière. […] La chute du ministère Villèle avait rouvert le champ à la presse libre ; l’avènement du ministère Polignac l’arma tout entière. […] Après cela, le drame d’Abélard est plus complet, plus vaste, et donne seul l’idée entière de M. de Rémusat, auteur et homme.

171. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Pour moi je préfère les faits, les faits de conscience, aux divagations abstraites, et j’aime mieux dire ceci : quand j’ai la sensation d’une belle chose, il arrive parfois que cette sensation intéresse, captive mon être tout entier. […] Mais puisqu’il s’agit de donner ici un suffrage : c’est vers Victor Hugo — le père Hugo — que va ma dévotion, et toute entière. […] Alphonse de Lamartine personnifie bien, en lui seul, et surtout, l’âme élégiaque de 1830, et que la grave et désespérante philosophie pessimiste se retrouve toute entière en telles œuvres de M.  […] Nulle corde n’a manqué à la lyre de celui qui, à la veille de mourir, put, devant la France entière, être salué, à l’antique façon romaine, du nom vénérable de Père ! […] c’est un peu abuser d’un siècle que de le verser ainsi, en une fois, tout entier, dans la poche d’un grand homme, et puis dire : « N’en parlons plus !

172. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

A la société elle se donnerait par surcroît, mais à une société qui serait alors l’humanité entière, aimée dans l’amour de ce qui en est le principe. […] Et pourtant il ne faudrait pas tirer parti de ce contraste pour déprécier des religions qui, nées du mysticisme, ont généralisé l’usage de ses formules sans pouvoir pénétrer l’humanité entière de la totalité de son esprit. […] Celle-ci s’est entrebâillée de plus en plus largement, mais ne l’a jamais laissé passer tout entier. […] Comment ne serait-il pas humble, alors qu’il a pu constater dans des entretiens silencieux, seul à seul, avec une émotion où son âme se sentait fondre tout entière, ce qu’on pourrait appeler l’humilité divine ? […] À un Dieu qui tranchait sans doute sur tous les autres par sa justice en même temps que par sa puissance, mais dont la puissance s’exerçait en faveur de son peuple et dont la justice concernait avant tout ses sujets, succéda un Dieu d’amour, et qui aimait l’humanité entière.

173. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alexandre Dumas. Mademoiselle de Belle-Isle. »

Aujourd’hui il se retrouve lui seul et lui-même tout entier, à son vrai point naturel ; il ressaisit le genre de son talent dans la direction la plus ouverte et la plus sûre. […] Le succès de l’air tout entier dépendait de la manière dont on prendrait l’intonation. […] A entendre nos espérances d’alors, il semblait que, pour l’entier triomphe d’un genre plus vrai et des jeunes talents qui s’y sentaient appelés, il ne manquât qu’un peu de liberté à la scène et de laisser-faire.

174. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Mais la religion, dans l’acception générale, suppose une inébranlable foi, et lorsqu’on a reçu du ciel cette profonde conviction, elle suffit à la vie et la remplit toute entière ; c’est sous ce rapport que l’influence de la religion est véritablement puissante, et c’est sous ce même rapport qu’on doit la considérer comme un don aussi indépendant de soi, que la beauté, le génie, ou tout autre avantage qu’on tient de la nature, et qu’aucun effort ne peut obtenir. […] Cet homme cependant, qui manqua de la force nécessaire pour préserver son pouvoir, et fit douter de son courage, tant qu’il en eut besoin pour repousser ses ennemis ; cet homme, dont l’esprit naturellement incertain et timide, ne sut ni croire à ses propres idées, ni même adopter en entier celle d’un autre ; cet homme s’est montré tout à coup capable de la plus étonnante des résolutions, celle de souffrir et de mourir. […] À travers tant de dangers, il persista à ne prendre pour guide que les maximes d’une piété superstitieuse ; mais c’est à l’époque où la religion seule triomphe encore, c’est à l’instant où le malheur est sans espoir, que la puissance de la foi se développa toute entière dans la conduite de Louis ; la force inébranlable de cette conviction ne permit plus d’apercevoir dans son âme l’ombre d’une faiblesse ; l’héroïsme de la philosophie fut contraint à se prosterner devant sa simple résignation ; il reçut passivement tous les arrêts du malheur, et se montra cependant sensible pour ce qu’il aimait, comme si les facultés de sa vie avaient doublé à l’instant de sa mort, il compta, sans frémir, tous les pas qui le menèrent du trône à l’échafaud, et dans l’instant terrible où lui fut encore prononcé cette sublime expression : Fils de Saint Louis, montez au Ciel.

175. (1890) L’avenir de la science « I »

Le christianisme, aidé par les instincts des races celtiques et germaniques, n’a-t-il pas élevé à la dignité d’un sentiment esthétique et moral un fait où l’antiquité tout entière, Platon à peine excepté, n’avait vu qu’une jouissance ? […] Il y a là une éducation spéciale et une habileté pratique qui, pour passer au rang d’habitude irréfléchie et spontanée, exigent une vie entière d’exercice. […] Puis, quand il se voit dans l’impossibilité de réaliser cet idéal multiple, quand il voit cette vie si courte, si partagée, si fatalement incomplète, quand il songe que des côtés entiers de sa riche et féconde nature resteront à jamais ensevelis dans l’ombre, c’est un retour d’une amertume sans pareille.

176. (1890) L’avenir de la science « IX »

La psychologie, que l’on s’est habitué à considérer comme la philosophie tout entière, n’est après tout qu’une science comme une autre ; peut-être n’est-ce même pas celle qui fournit les résultats les plus philosophiques. […] Puis, quand chacune des séries d’études devint assez étendue pour absorber des vies entières et présenter un côté de la vie universelle, chaque branche devint une science indépendante et laissa le tronc commun appauvri par ces retranchements successifs. […] Une conséquence de cette méthode fragmentaire et partielle de la science moderne a été de bannir de la philosophie la cosmologie, qui, à l’origine, la constituait presque tout entière.

177. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Cette comparaison nous accoutumait à sentir des nuances d’idées, bientôt même des catégories entières d’idées, que soit notre langue maternelle, soit les autres langues acquises étaient inhabiles à rendre. […] Ancillon a dit : « Rien ne prouve davantage qu’originairement et dans le principe, les existences et la réalité sont données à l’homme que de voir la métaphysique tout entière, en quelque sorte, déposée dans les langues, à l’insu de ceux qui les ont créées et perfectionnées. […] Ancillon professent tous les deux la même doctrine, sous le rapport qu’ils voient l’un et l’autre la métaphysique tout entière déposée dans les langues ; sous le rapport qu’ils pensent l’un et l’autre que les termes qui expriment les notions primitives, les faits et les rapports primitifs, ont proprement occasionné et amené les recherches métaphysiques ; sous le rapport enfin que les philosophes qui sont partis de ces termes, c’est-à-dire les partisans de la philosophie expérimentale, comme M. de Bonald et M. 

178. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

et vous, soyez à jamais honorées et glorieuses, ò gorges de Thessalie, où la Perse tout entière et le destin furent de bien moindre force qu’une poignée d’âmes héroïques et généreuses ! […] Voilà que loin de toi, quand le plus beau de notre âge nous sourit, inconnus du monde entier, nous mourons pour cette nation qui te tue. » — « Et leur plainte, ajoute le poëte, ne fut entendue que du désert boréal et des forêts sifflantes. […] Quant au cri de Brutus, il le considère volontiers comme le dernier soupir de l’antiquité tout entière, au moment où va expirer l’âge de l’imagination. […] Il résulterait de ces témoignages poétiques que Leopardi n’a connu de ce sentiment orageux que la première, la plus pure, la plus douloureuse moitié, mais aussi la plus divine, et qu’il n’a jamais été mis à l’épreuve d’un entier bonheur. […] Il y a, dans la manière de penser et de sentir des anciens, de telles différences dès qu’on les compare à nous, qu’il faut, si l’on ne veut leur faire injustice, les connaître tout entiers.

179. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

La dignité de son travail est entière, et il n’a rien à demander à ses amis que leur amitié. […] est-ce cet Alexandre sur qui la terre entière a les yeux ? […] Depuis Pascal jusqu’à Buffon, nous avons dans Aristote l’arbre encyclopédique tout entier. […] « Il a beau interdire tous plaisirs à ses guerriers, il n’en prétend pas moins que le devoir du législateur est de rendre heureux l’État tout entier ; mais l’État tout entier ne saurait être heureux, quand la plupart ou quelques-uns de ses membres, sinon tous, sont privés de bonheur. […] Quand on est en mesure de le pouvoir, on applique ce principe politique à des États, à des peuples entiers.

180. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

C’est trop vif, trop sincère, trop plein surtout de noms propres, pour pouvoir être donné en entier. […] Vous me dites de lui des choses qui s’accordent fort bien avec l’idée que j’en ai, et qui me confirment dans une opinion que j’ai de tous les hommes, c’est qu’il n’y a pas de confiance entière possible à réaliser : les gens qu’on estime, on les craint, et on risque d’en être abandonné et méprisé en se montrant à eux tel qu’on est ; les gens qu’on n’estime pas comprendraient mieux, mais ils trahissent. […] Jouffroy s’est dit : L’idée n’est jamais venue à aucun homme de manger de la chair humaine. — Pourtant il y a des peuplades entières qui en mangent, et qui n’en sont peut-être pas plus mal avec Dieu pour cela.  […] Ici l’on va voir comment, dans l’intimité, George Sand allait au-devant des critiques, les acceptait ou les discutait avec une entière bonne foi et une absence complète d’amour-propre. […] J’en ferai bien mon profit, et je l’ai déjà fait pour le plus important ; j’ai retranché toute la partie champêtre, et j’ai abordé tout de suite la Cavalcanti : de cette manière, le conte se passe tout entier dans ce monde de fantaisie où je l’avais conduit maladroitement.

181. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

On sent courir à tout moment la vague pensée, on effleure le sujet interdit, mais au même moment on l’esquive : on est chatouillé et rassuré à la fois ; on se donne une entière licence avec une sorte de sécurité ; car, notons-le bien, c’est encore un novice qui badine, et non un page : le Chérubin dont l’enjouement a dicté ces gaietés d’un jour ne sera jamais l’amant de sa marraine ; que dis-je ? […] le brillant tout entier a péri, la fleur du pastel est dès longtemps enlevée, et on ne distingue plus rien de la poussière première à ces ailes fanées du papillon. […] L’observation fine de Gresset venait de prendre sur le fait un travers, un vice particulier à ce moment de société auquel il assistait ; son talent redevenu net, vif, élégant, et à la fois enhardi, avait mis l’odieux objet dans une entière lumière ; sa conscience d’honnête homme l’avait flétri. […] Duméril, et qui s’est égaré on ne sait comment, se rouvrirait aujourd’hui tout entier ; quand on en verrait sortir cette suite du Vert-Vert dont M. de Cayrol porte encore le deuil et dont il a tenté de nous donner en vers la complète restitution, on n’aurait guère à changer d’avis ; on y serait de plus en plus confirmé, je le crains. […] Je sais bien qu’autre chose est l’entière retraite de la campagne, autre chose la ville de province41, surtout l’Académie de l’endroit ; et Gresset, par le genre de vie anodin qu’il adopta, se soumit à la plus redoutable, à la plus assoupissante des épreuves.

182. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Nous lui dirons mieux la vérité toute entière. […] Le silence n’en est pas troublé. » « Le martin-pêcheur, dit-elle encore, rase l’eau de son aile ; éclair bleuissant, il en suit le cours. » Le livre entier est de ce style, de ce pinceau, sans défaillance. […] Dans l’auteur des Horizons prochains et des Horizons célestes, la chose sèche, arrêtée, définie, ergoteuse, qui est la protestante, se fond et se perd de plus en plus en ce dissolvant de feu qui est l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, et nous espérons bien qu’elle s’y consumera tout entière. […] Par cela même que ce cœur qui aima ne comprend pas un paradis sans l’éternité de ses affections terrestres, il ne le comprend pas sans mémoire, sans identité personnelle, sans tout ce qui constitue l’âme entière. […] Ne sera-t-elle pas tentée par cette grande et mystérieuse possession du corps et du sang de Notre-Seigneur par le moi, et, pour parler comme elle, le moi tout entier !

183. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

La littérature ne fait pas acception de parti ; je suis sorti tout entier de la politique, et la France m’apprend assez à n’y rentrer jamais. […] Que de traits encore il faudrait ajouter pour crayonner en entier la belle doctrine du Chou-king ! […] Un volume entier ne suffirait pas pour les citer. […] L’empire tout entier n’a été qu’une vaste école ; les emplois publics n’ont été que les rangs décernés dans une académie. […] Cependant le lettré rebelle a osé me proposer de me reconnaître coupable aux yeux de tout l’empire, et de nommer publiquement une autre impératrice, en réparation de ma faute et pour l’entière satisfaction de mes sujets.

184. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Elle gouverne l’homme précisément parce qu’elle ne vient pas de lui ; et quand il veut étudier en elle les voies de Dieu, il en reconnaît avec une entière évidence la puissance et la douceur. « Dans le monde matériel tout entier, quelque beau, quelque régulier qu’il soit, l’observation la plus attentive ne rencontre rien qui puisse nous donner la moindre idée de la loi morale. […] « Arrivée là, la science morale a épuisé la meilleure part de son domaine ; elle a rempli sa tâche presque entière. […] Ce serait exagérer que de croire que le vice tout entier vient du corps, et que l’âme n’a pas ses passions propres qui la ruinent, quand elles sont mauvaises, comme celles que le corps lui suggère. […] Il parcourt la nature entière pour démontrer que le principe qui sent et pense en nous, est le même qui nourrit notre corps et qui fait végéter la plante.

185. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Et d’abord, si, comme le prétend Cousin, c’est de la connaissance de la nature humaine tout entière que doit se déduire la science des lois les plus générales de l’histoire, pourquoi, dans cette nature humaine, ne tenir compte que de la raison ? […] Selon lui, le caractère dominant de l’enfance, chez l’individu comme chez la race tout entière, c’est un débordement de vie joyeuse et sensitive qui trouve son expression dans l’art. […] Tout autres sont les forces qui constituent les individus vivans, plantes ou animaux, et peuvent se transmettre entières ou graduellement affaiblies des ancêtres aux descendans, et ces énergies morales et intellectuelles qui produisent les formes variées de l’existence des nations. […] Et plus sont nombreux les hommes de génie et de vertu, plus grossit le trésor, plus s’augmente la somme de force vive au sein de la nation tout entière. […] Il avait certainement disséqué beaucoup d’animaux ; au témoignage de Pline, il avait même écrit un livre tout entier sur l’anatomie du caméléon.

186. (1883) Le roman naturaliste

L’intrigue, à chaque pas, est en danger, non seulement de se ralentir, mais de rompre, et de s’égrener tout entière. […] comme au plus léger contact de la plus légère impression, vous la sentez qui vibre tout entière ! […] Alors, en effet, comme dans Germinie Lacerteux, le cas devenait pathologique, au sens entier du mot. […] Mais, de cette ironie féconde, que je doute qu’on trouvât un exemple dans l’œuvre entière de Flaubert. […] Il ne faut ni l’accepter tout entière, ni la rejeter tout à fait.

187. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Un jour il témoigna un ardent désir de repos, d’un entier éloignement du monde, au déclin de sa vie. […] L’étendue, la pesanteur, la température du globe entier de la terre se déterminent facilement. […] Des légendes isolées se retrouvant sur des points très divers du globe, sans communication apparente, sont en contradiction avec la première hypothèse, et font descendre le genre humain tout entier d’un couple unique. […] Et de la sorte, enracinée dans les profondeurs de la nature humaine, commandée en même temps par ses instincts les plus sublimes, cette union bienveillante et fraternelle de l’espèce entière devient une des grandes idées qui président à l’histoire de l’humanité. […] On est surpris, dans un poème lyrique aussi court, de voir le monde entier, la terre et le ciel, peints en quelques traits.

188. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Quatre sujets étaient proposés, dont les titres seuls témoignaient de cet esprit de bon accueil et d’entière ouverture qui devait présider à l’examen. […] En fait, la condition de l’homme de lettres a changé ; le nombre est de plus en plus grand de ceux qui, ne pouvant s’assujettir à ce qui fait l’objet de la plupart des ambitions, à ce qu’on appelle une place, sont prêts à se confier tout entiers, eux et les leurs, à leur plume, à leur plume seule. […] Du moment, d’ailleurs, qu’il y a production d’une richesse dans la société, il y a un possesseur, et il est juste que la richesse produite ne se trompe point, qu’elle n’aille point presque entière à qui l’a moins méritée. […] Ce passage éloquent et tout semé d’images poétiques a enlevé les suffrages du jury : qu’il enlève aussi les vôtres, messieurs ; car la pièce entière ne pouvant vous être lu, comme va l’être tout à l’heure la première, je demande au moins à vous en dire le plus bel endroit :     Cherchez l’or, dit l’enfant qui souffre ;     Au travail, joug prématuré,     Je meurs ; — ni le beau ciel doré Ni le bel arbre vert ne viennent, à ce gouffre.

189. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Campagnes de la Révolution Française. Dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795) »

Encore une belle figure, un grand portrait militaire de plus, que nous possédons, et cette fois non de profil et à demi, mais en pied et tout entier, grâce au travail de M.  […] Ricardos, militaire éclairé et ouvert aux considérations politiques, avait compris, à la résistance acharnée des Français les jours mêmes de revers, et à l’alternative des gains et des pertes, que « derrière ces bataillons informes était une grande nation, armée tout entière pour son indépendance : « Ces sans-culottes de Peyrestortes et de Cerdagne, ces insurgés en guenilles, écrasés à Trouillas, mais non vaincus, c’était donc autre chose que ce qu’avait si dédaigneusement annoncé l’Émigration ! […] Elle donna presque une entière satisfaction au vieux général qui, dans une saillie d’orgueil peu ordinaire aux accusés, osait réclamer d’elle, non seulement réintégration, mais récompense, et qui lui demandait dans le style emphatique, mais sincère, du temps, « de le tirer du séjour des Mânes, en déclarant qu’il avait bien mérité de la patrie. […] Un jour que ces vaillants hommes demandaient qu’on les conduisît au canon, un bataillon entier était, littéralement, pieds nus ; on hésitait à l’employer.

190. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Il ne fit d’ailleurs que traverser l’Allemagne du centre, et, en arrivant à Varsovie, il se trouva transporté sur une terre qui tressaillait de joie au nom de France, et au sein d’une nation qui n’attendait que le signal pour se dévouer tout entière à la cause de Napoléon, inséparable alors de la sienne. […] On s’étonne, quand on a vu l’abbé de Pradt dans son entier développement, et à travers ses frasques diverses, comment il put être choisi pour une telle mission de haute confiance et d’entière latitude, dans l’esprit de laquelle il n’entra jamais40. […] I. le prince Napoléon, et reposant tout entiers sur les pièces d’État et de famille les plus authentiques, dont on produit les plus importantes à l’appui du récit, à la suite de chaque livre, deviennent une des sources nouvelles et essentielles de l’histoire de ce temps.

191. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

J’ai regret à tout ce que le passé garde dans ses abîmes ; je voudrais qu’il nous restât tout entier. […] Qu’il s’y livre désormais tout entier ; mais maintenant, assuré qu’il est de toutes ses épreuves et confiant à bon droit en sa trempe, il n’a plus peut-être à tant combiner ses coups, à tant se jouer dans les raccourcis. […] Et la rouge Sabine et l’Italie entière Éblouiront mes yeux avides de lumière. […] Je ne puis que citer la pièce tout entière, parfaite de style, de ton et de pensée : LETTRE A UN CHANTEUR DE TRÉGUIER.

192. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Gloire, ambition, fanatisme, votre enthousiasme a des intervalles, le sentiment seul enivre chaque instant, rien ne lasse de s’aimer ; rien ne fatigue dans cette inépuisable source d’idées et d’émotions heureuses ; et tant qu’on ne voit, qu’on n’éprouve rien que par un autre, l’univers entier est lui sous des formes différentes, le printemps, la nature, le ciel, ce sont les lieux qu’il a parcourus ; les plaisirs du monde, c’est ce qu’il a dit, ce qui lui a plu, les amusements qu’il a partagés, ses propres succès à soi-même, c’est la louange qu’il a entendue, et l’impression que le suffrage de tous, a pu produire sur le jugement d’un seul. […] C’est assez pour diriger le cours entier de la destinée, plus de vague, plus de découragement, c’est la seule jouissance de l’âme qui la remplisse en entier, s’agrandisse avec elle, et se proportionnant à nos facultés, nous assure l’exercice et la jouissance de toutes. […] cette douleur, sans bornes, est la moins redoutable de toutes : comment survivre à l’objet dont on était aimé, à l’objet qu’on avait choisi pour l’appui de sa vie, à celui qui faisait éprouver l’amour tel qu’il anime un caractère tout entier créé pour le ressentir ?

193. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

Le cerveau n’étant jamais tout d’un coup changé dans sa masse entière, il reste toujours dans l’état nouveau quelque chose de l’ancien. […] Notre moi n’est pas tout renfermé dans notre individualité ; l’idée de la société dont nous sommes membres, avec toutes les tendances qui s’y rattachent, est partie intégrante de notre moi total ; elle constitue une sphère ayant le même centre que celle de l’individualité, mais s’étendant à la société entière. […] Nous n’irons cependant pas jusqu’à dire avec un disciple de Kant, Riehl, que le moi intellectuel soit tout entier un produit des relations sociales, car ces relations ne peuvent que développer ce qui était déjà en germe dans les individus : le logique n’est pas tout entier de l’historique ; mais ce qui est vrai, c’est que Kant projette dans un monde de noumènes un complexus de tendances à la fois logiques et sympathiques, qui lui paraît ainsi une sorte de moi intemporel et rationnel, quand ce moi est au contraire le produit du temps, des relations sociales, enfin de cette sorte de quintessence d’actions et réactions collectives qu’on appelle le langage.

194. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Il semble que tout d’un coup on se soit trouvé des ailes ; sur ces ailes nouvelles, on s’élance à travers l’histoire et la nature ; on touche à tout, on ne doute de rien, on croit à sa force, on n’est point inquiété par la réflexion, on n’est pas attristé par l’expérience ; on se porte et on s’élance tout entier, de tout son cœur et de toute sa force, à la conquête de la vérité. […] Il est orateur : en attendant que le génie oratoire l’envahisse tout entier et lui façonne sa métaphysique, il se contente d’être le plus grand et le plus admirable des professeurs. […] J’ai lu Hégel, tous les jours, pendant une année entière, en province ; il est probable que je ne retrouverai jamais des impressions égales à celles qu’il m’a données. […] Peu à peu la vue perce les nuages ; on entrevoit des ouvertures lumineuses ; le brouillard s’évapore ; devant les yeux se déroulent des perspectives infinies ; des continents entiers s’étalent embrassés d’un coup d’œil ; et l’on se croirait arrivé au sommet de la science et au point de vue du monde, si là-bas, sur un coin de la table, on n’apercevait un volume de Voltaire posé sur un volume de Condillac. 

195. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Jouffroy.] » pp. 532-533

Ces répétitions avaient lieu le plus souvent en l’absence de l’abbé et nous laissaient par conséquent pleine et entière liberté ; on en usait pour causer de tout autre chose que de la grammaire et du latin, et souvent pour composer des vers, Dieu sait quels vers ! […] C’est là que j’appris la triste nouvelle de la capitulation de Paris et de la chute de Napoléon, qui me semblait entraîner celle de la France entière.

196. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVI » pp. 188-192

La satire et la comédie se rangent du côté de la cour ; la littérature tout entière se consacre à la célébrer. […] Ces personnes auront à répondre à la France entière du dépôt qui leur sera confié ; et le monarque est en quelque sorte chargé de lui répondre de leur convenance.

197. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Guicciardini décrit ainsi son règne : « Depuis dix siècles entiers, l’Italie n’avait pas éprouvé un seul moment de prospérité égale à celle dont elle jouit à cette époque. […] Semblable à ces moments de calme qui précèdent les ravages de la tempête, à peine on avait commencé à en goûter les douceurs, qu’elles s’évanouirent sans retour, l’édifice de la félicité publique, élevé par les travaux de Laurent et conservé par ses soins assidus, ne demeura ferme et entier que pendant le peu de temps qu’il vécut encore ; mais, à sa mort, on le vit s’abîmer comme ces palais enchantés que créa l’art de la magie, et il entraîna pour un temps dans sa ruine les descendants mêmes de son fondateur. […] Politien, à son retour, traduisit Homère tout entier. […] « Ne pensez pas, écrivait Politien à un de ses amis, qu’aucun des savants qui composent notre société, même ceux qui ont consacré leur vie tout entière à l’étude, puisse prétendre à quelque supériorité sur Laurent de Médicis, dans tout ce qui tient à la subtilité de la discussion et à la solidité du jugement, ou dans l’art d’exprimer ses pensées avec autant de facilité que d’élégance. […] Appliquez-vous donc, je vous en conjure, à obtenir, soit par des prières, soit à prix d’argent, tout ce que vous pourrez trouver qui ait quelque mérite : si vous pouvez vous procurer une figure entière, triumphatum est ! 

198. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Donnez aux provinces leurs libertés entières, faites-en des états fédérés dans l’État, et vous verrez aussitôt surgir une France nouvelle débarrassée à tout jamais des parasites qui la rongent, une France consciente d’elle-même, de sa valeur propre, des différentes faces de son génie, dans laquelle tous les éléments qui la composent auront la même fierté, et non ce lâche désir, cette attitude de chien battu qu’ils prennent en face de Paris, en face de la centralisation la plus monstrueuse que l’on ait jamais vue. […] Ils abusent des « avec », des « de », ce dernier mis à la place de « par », l’autre supprimant des lambeaux entiers de phrases. […] Pour un peu, je voudrais que l’Université tout entière, accompagnée par l’Académie et précédée par le Ministre, fît une démarche auprès de chaque bureau téléphonique, afin que les demoiselles consentissent à ne plus dire : « On vous cause », mais plus modestement : « On vous parle. » Autant, je le sais, prêcher dans le désert. […] C’est en latin qu’on a traduit le Discours de la méthode, lorsqu’il s’est agi de vulgariser, de répandre dans le monde entier les idées cartésiennes. […] C’est une preuve concrète de l’extrême facilité qu’aurait un Office international d’humanisme, fondation sur laquelle j’appelle toute votre attention, à rendre facilement accessibles à la masse des travailleurs répandue dans le monde entier tous les ouvrages intéressants qui paraissent chaque jour dans les divers idiomes de l’humanité, parfois dans des littératures, récemment réveillées mais peu accessibles (polonais, tchèque, magyar, roumain, etc.).

199. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Quand pourront les neuf Sœurs, loin des cours et des villes M’occuper tout entier, et m’apprendra des cieux, Les divers mouvements inconnus à nos yeux, Les dons et les vertus de ces clartés errantes Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes ? […] Invoque des neuf Sœurs la troupe tout entière : Tente tout, au hasard de gâter la matière : On le souffre, excepté tes Contes d’autrefois. » J’ai presque envie, Iris, de suivre cette voix. […] Le voilà peint tout entier, du moins pour ce côté d’inconstance légère, d’inconstance aimable, de la nécessité où il était de varier ses plaisirs intellectuels et de varier les aspects de sa sensibilité, de jouir précisément de tous les aspects divers d’une sensibilité, du reste infiniment délicate et infiniment ployable à tous les événements et à toutes les impressions. […] Nos noms unis perceront l’ombre noire ; Vous régnerez longtemps dans la mémoire Après avoir régné jusques ici Dans les esprits, dans les cœurs même aussi… Philis, vous seriez la première, Vous auriez eu mon âme tout entière, Si de mes vœux j’eusse pu présumer. […] Lecture, ici, de l’Homme et la Couleuvre en entier.

200. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IX. L’antinomie politique » pp. 193-207

Lorsque l’autorité commet de pareils actes, il importe peu de quelle source elle se dise émanée, qu’elle se dise individu ou nation ; elle serait la nation entière, moins le citoyen qu’elle opprime, qu’elle n’en serait pas plus légitime. » L’idéologie démocratique tend à résorber toutes les libertés dans la liberté dite politique. […] L’esprit jacobin, c’est la mainmise de la cité sur l’individu tout entier ; c’est l’effort pour réduire toutes les libertés à la liberté politique. […] Enfin, pour terminer par le troisième et dernier point que nous avons indiqué au début de ce chapitre, nous remarquerons que la pratique politique en vigueur dans la démocratie (suffrage universel, parlementarisme, action des partis, des ligues, des comités, etc.) tend tout entière et aboutit à asservir les individus à des groupes, à des mots d’ordre de groupe, à des influences collectives et anonymes.

201. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

La musique, dans ce premier âge, fut une doctrine tout entière ; c’était l’ensemble même des lois sociales. […] Une telle législation ne pouvait être qu’incomplète et insuffisante, parce qu’elle tenait à un état transitoire ; parce que, depuis longtemps, l’unité manque aux directions de la société ; parce que enfin aucun des pouvoirs ne possédait en entier le dépôt des traditions sociales. […] Il faut faire attention que les placer dans les voies de la nécessité, c’est y placer la société tout entière, prétention en même temps absurde et immorale.

202. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jules Girard » pp. 327-340

Non qu’en beaucoup de points il ne mérite de l’être… Je me hâte de le dire d’abord, pour éviter le cri et le cabre ment de ces esprits qui avalent un homme en bloc et qui prennent toute gloire pour une hostie, dans chaque partie de laquelle il y a un Dieu tout entier. […] Cette sévérité qui simplifie est le caractère principal de son œuvre tout entière. […] Comment est-il possible de juger un homme, si on ne se sépare pas de lui dans une atmosphère quelconque, — si on ne se place pas plus haut que lui pour l’embrasser mieux et le voir tout entier ?

203. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

Mais, ni parmi les insurgés contre la mort, ni parmi les cabrés devant le Sphinx qui ne répond que dans la tombe, je n’en vois aucun de la convulsion prolongée, de la profondeur dans la conscience du mal de mourir plus épouvanté et plus épouvantant que ce phtisique de vingt-cinq ans, jetant sa phtisie contre toute consolation humaine et divine, enfermant le monde entier dans les [crevasses de son poumon, et, de cet abîme de purulence qui le dévore, envoyant ses crachats empoisonnés jusqu’à Dieu ! […] Âme cramponnée à la vie comme le chêne est attaché à la terre, sensibilité qui n’a rien de panthéistique, et pour qui l’univers tout entier a moins d’importance que les battements de son propre cœur ! […] je l’ai cherché — mais sans le trouver — dans la deux cent quarante-sixième page de ce volume, que je ne puis m’empêcher de citer tout entière : « Enfonçons.

204. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Henri Cantel »

— Gœthe, qui s’était jeté là dedans comme Sapho avec sa lyre, comme le pêcheur de sa ballade dans les bras de cette sirène qui ne le rendit point ; Gœthe enfin, tout entier, avec sa résolution d’un homme de génie qui se suicide dans un système, et qui ne chicane point, avec une puérilité lâche, l’arme qui lui sert à se tuer ! […] D’un autre côté, malgré sa jeunesse, l’auteur d’Impressions et Visions ne s’est pas donné à l’antiquité tout entier. […] Or, ne pas se donner tout entier quand on se donne, c’est manquer de foi, de ferveur et de décision, c’est économiser à même soi… Cela ne vaut pas mieux en littérature qu’en amour.

205. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

L’intensité toute seule est aussi efficace : ainsi une femme, en un clin d’œil, voit la toilette entière d’une rivale. […] On a établi depuis que les mouvements de l’estomac et du tube intestinal tout entier sont sujets à l’inhibition. […] Nous n’avons pas à étudier en entier cet état extraordinaire de l’esprit. […] C’est un état, d’idéation intense et circonscrit ; la  vie entière est ramassée dans le cerveau pensant, où une représentation unique absorbe tout. […] Opéré de sa tumeur adénoïde, il apprit en une semaine l’alphabet tout entier.

206. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Cette amère gaieté est celle d’un homme furieux ou désespéré qui, de parti pris, et justement à cause de la violence de sa passion, la contiendrait et s’obligerait à rire, mais qu’un tressaillement soudain révélerait à la fin tout entier. […] Sitôt que vous voulez penser, vous avez devant vous un objet entier et distinct, c’est-à-dire un ensemble de détails liés entre eux et séparés de leurs alentours. […] Ils ont appliqué l’art de Macaulay à l’exégèse, et si l’érudition allemande pouvait tout entière repasser par ce creuset, sa solidité serait double, et aussi son prix. […] La connaissance d’un sentiment héroïque donne ainsi la connaissance d’un âge tout entier. […] Ces épicuriens embrassaient dans leurs sympathies l’humanité tout entière.

207. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

. — Ainsi pour Vous déjà (car nous voyons sous nos yeux s’accomplir le mystérieux phénomène), ô le plus charmant et le plus ardent des poètes de cet âge, Vous que je n’ai pas hésité à saluer du nom de génie quand vous n’aviez que dix-huit ans, mais qui, dans vos brillants écrits, n’avez pas tenu en entier toutes vos promesses ; qui, au milieu d’admirables éclats de passion, de jets ravissants d’élégance et de grâce, avez semé tant de disparates, de taches et d’incohérences, avez laissé tomber tant de lambeaux décousus ! […] Campaux, surtout en un siècle où le sentiment de patrie était encore si peu commun ; il y avait un Français dans ce vagabond qui n’avait ni feu ni lieu. » Admirons moins : il faut bien que Villon, puisqu’il nous occupe, ait eu quelque chose en lui et qu’il soit quelquefois sorti de sa vie de taverne et de crapule ; sans quoi nous l’y laisserions tout entier. […] Il dut cependant quitter Paris, et pendant quatre ans entiers il mena une vie errante et en France et aux frontières de France : l’idée de suicide lui traversa un instant l’esprit. […] Il était préoccupé de l’idée de la mort : il avait de bonnes raisons pour cela, des raisons très particulières, sans compter que le Moyen Âge tout entier en avait l’imagination frappée. […] Laissons-nous faire à la poésie ; relisons, redisons-nous tout haut la pièce entière… Heureux celui qui a su ainsi trouver un accent pour une situation immortelle et toujours renouvelée de la nature humaine !

208. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Laboulaye, l’estimable introducteur et commentateur, qui se plaît à retrouver dans ces écrits ses principes et sa propre doctrine, est un homme de l’école américaine, à prendre le mot dans le meilleur sens ; il est sincèrement d’avis que la liberté en tout, le laisser dire, le laisser faire, le laisser passer, est chose efficace et salutaire ; qu’en matière de religion, d’enseignement, de presse, d’industrie et de commerce, en tout, la liberté la plus entière amènerait les résultats en définitive les meilleurs, et que le bien l’emporterait sur le mal ; il pense que cela est également vrai chez toute nation civilisée et à tous les moments. […] Laboulaye ne paraît pas douter que si la liberté la plus entière d’association et de propagande était laissée à toutes les communions, à toutes les sectes anciennes ou nouvelles, ce serait la doctrine chrétienne, évangélique et noblement spiritualiste des Channing, des Vinet, des Tocqueville, qui l’emporterait en fin de compte et qui prendrait le dessus : et ainsi du reste, dans toutes les branches de l’activité humaine. […] Le charme ou l’influence de Mme de Staël le tenait dès lors tout entier, et décida de la ligne qu’il suivit. […] Avant le 18 fructidor, dans sa brochure des Réactions politiques, il a tracé des journaux et des journalistes du temps un portrait si peu flatté, que ce n’est pas à nous, journalistes, de le citer ici65 ; on ne manqua pas de le lui rappeler plus d’une fois, sous la Restauration, lorsqu’il demandait la popularité à ces mêmes journaux et qu’il plaidait pour l’entière liberté de la presse : « L’orateur qui descend de la tribune, disait-il à la Chambre des députés, le 9 février 1822, en répondant à M.  […] L’homme qui pourrait nous parler de M. de Constant, comme il l’appelle, en toute connaissance de cause, avec une entière fidélité et une bienveillance suffisante de souvenirs, et en le replaçant dans son cadre à l’époque de sa meilleure verve de salon, serait M. de Barante.

209. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Ce contraste du roi le plus sombre et le plus despotique, maître de tant de royaumes, et du cœur républicain le plus brûlant, le plus épanoui, le plus vaste, battant pour toute l’humanité et enveloppant dans son amour le monde entier, avec toutes les races futures, visant à réaliser au plus tôt le bonheur de l’espèce ou par le fils, le royal héritier de tant de sceptres, ou directement par le père même dès qu’il se flatte d’avoir action et prise sur lui, ce contraste une fois admis amenait des scènes d’un grand effet et d’une beauté morale saisissante, toujours à la condition de se laisser enfermer dans le cercle magique du poète. […] Et pourtant il est heureux pour Sophocle et Euripide, et pour l’honneur entier de leurs tragédies, que la légende ait régné dans l’antiquité sans partage, et nous ne pouvons savoir toute la gravité de l’échec qu’auraient subi leurs héros si l’on avait retrouvé au temps d’Aristote la correspondance d’Oreste et si l’on avait publié les papiers de Simancas de la famille d’Agamemnon. […] Plus tard, il y aura des chapitres tout entiers consacrés à la révolte des Pays-Bas et aux causes qui amenèrent cette révolution : ce sont des chapitres d’histoire où l’auteur intervient à peine et où, parlant le moins possible en son nom, il ne vous fait marcher avec lui que sur des extraits enchâssés, tirés des documents originaux : méthode des plus solides et des plus sûres. […] Ce portrait, qui se compose tout entier de mots et de traits originaux rapportés, me donne au plus haut degré le sentiment de la vérité et de l’équité historique, et ceux qui ont une fois goûté à ce genre sobre et sain sont guéris à jamais du clinquant, du flambant, du faux enthousiaste, du faux pittoresque, du faux lyrique. […] Ces personnages historiques célèbres et tout entiers en lumière que vous prétendez faire agir et parler à votre guise, ces Charles-Quint, ces Louis XIV, ces Richelieu en pied et debout, nous savons comment ils parlaient et surtout comment ils ne parlaient pas.

210. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Heureux ceux qui ne sont d’abord qu’une tête dans la foule, quand il est donné à cette tête de circuler librement dans cette foule, d’en visiter les replis et de la refléter tout entière ! […] Encore leurs figures pourraient-elles être intéressantes malgré l’insignifiance du rôle qu’ils ont joué, si l’auteur pouvait marquer leurs traits avec une liberté entière. […] Deux de ces portraits, l’un de Poilly, l’autre de Nanteuil, sont des merveilles d’exécution et sont aussi, on le sent bien, d’une entière fidélité. […] Henriquel Dupont, une gravure adoucie et affadie qui lui arrondit les joues, qui lui donne un menton, qui lui façonne une bouche aimable, qui l’enjolive et l’éteint, qui le passe tout entier à la pierre ponce et qui, finalement, le fait ressembler à Mlle Bartet : bref, un portrait flatté, souriant, convenable, à l’usage de la famille. […] D’abord elle est dirigée tout entière en vue du premier rôle qu’il doit jouer, et cette idée lui a toujours été présente, en sorte que sa fierté même a pu être intéressée à se plier aux rudes programmes qu’on lui imposait.

211. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Mais c’est elle-même qui, en 1835, deux ans après la mort de Goethe, a publié cette Correspondance qui nous la fait connaître tout entière, et qui nous permet, qui nous oblige d’en parler si à notre aise et si hardiment. […] Cette année, je ne me sens pas aussi bien que l’année dernière ; quelquefois je te désire avec une certaine frayeur, et je reste des heures entières à penser à Wolfgang (prénom de Goethe), quand il était enfant et qu’il se roulait à mes pieds ; puis, comme il savait si bien jouer avec son frère Jacques, et lui raconter des histoires ! […] Elle voudrait se donner tout entière en esprit, mais qu’on se donnât aussi en retour : « Peut-on recevoir un présent sans se donner, soi aussi, en présent ? […] Ce qui ne se donne pas tout entier et pour toujours, peut-on l’appeler un don ?  […] Elle demande peu, mais que ce peu soit au moins tout entier de lui : « Tu m’as dans mes lettres, dit-elle ; mais moi, t’ai-je dans les tiennes ? 

212. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

» La ville entière partage ce fétichisme. […] Je suis resté bien souvent une heure entière en contemplation devant cette figure froide et ratatinée, coupée en deux par un nez droit à l’arête aiguë où chevauchait une paire de lunettes dont les branches allaient se perdre dans les pattes d’oie des tempes. […] De temps en temps un rire sec, imitant le bruit d’un morceau de bois qu’on casse, faisait de sa physionomie tout entière une grimace. […] — J’ai vu. » Son corps tout entier n’était plus qu’un frisson. […] La cité de Clémence Isaure est tout entière bâtie en briques, mais bien mal à propos.

213. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

La création tout entière est une manifestation de la parole divine, divine, pensée de Dieu écrite. […] Ainsi toutes les sociétés humaines, le genre humain tout entier, depuis l’origine des choses jusqu’à la fin, ne forment par la parole qu’un seul être collectif uni à Dieu. […] La parole est donc l’homme tout entier ; et dans la langue d’un peuple on doit trouver la raison des mœurs et des institutions de ce peuple. […] Voltaire, au reste, est bien loin d’avoir embrassé tout entier le sujet de la Henriade. […] Ainsi donc, si le cycle épique de la haute antiquité nous fût parvenu entier, et qu’il eût été continué par les poètes des âges postérieurs ; si les modernes eussent conçu l’épopée dans toute son étendue, et eussent fait un cycle épique, éclairé par la révélation, nous aurions la vraie histoire du genre humain.

214. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Je crois que cet appétit de la solitude mentale et du plaisir jalousement individuel, — ce mode d’embrasser la vie qui consiste à la savourer avec art et toute entière en soi-même, — peut facilement se ramener à une cause unique. […] Celui même qui a dressé dans son cerveau, avec des assises dans l’être entier, un autel au dieu des voluptés secrètes, contemplant sa propre image que des rides précoces lui interdisent seules de comparer à l’éclatante beauté d’un Narcisse, s’adresse à lui-même ces paroles dans la mystérieuse solitude de son être : « Restons de plus en plus en nous-mêmes, d’essence toujours plus rare et sans cesse plus précieuse ; ne troublons pas ce qui doit rester pur, pour dominer les vains fantômes illusoires des réalités et l’immense troupeau des apparences. […] Je ne crois pas qu’il existe dans le monde entier une seule œuvre d’art, de premier ordre et d’incontestable grandeur, qui soit sortie de l’un des exemplaires de cette race inféconde. […] L’être entier, d’abord illuminé par une espérance de joie sexuelle, s’obscurcit bientôt lorsque cette joie lui est refusée. […] Entraîné par le courant de mon idée néo-païenne du sexe, et profondément pénétré de l’importance du jeu normal de cet élément au point de vue de la vie toute entière, j’avais négligé d’étendre suffisamment ma thèse jusqu’à ses contingences.

215. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Chez les républicains, l’éloquence était un spectacle ; les citoyens demeuraient des jours entiers à écouter leurs orateurs, avides des émotions qu’ils recevaient, et impatients d’être agités. […] si Philippe était mort, demain vous feriez un autre Philippe. » C’est dans la chambre des communes, c’est devant cinq cents hommes assemblés qu’un orateur anglais, dans une séance qui avait duré un jour entier, et où l’on proposait de remettre une affaire importante au lendemain, s’écria : « Non ; je veux savoir aujourd’hui, et avant de me retirer, si je me coucherai ce soir citoyen libre d’Angleterre, ou esclave des tyrans qui veulent m’opprimer. » C’est dans la même chambre qu’un orateur voulant décider la nation à la guerre, après une journée entière de débats, le soir, à la lueur sombre des flambeaux qui éclairaient la salle, peignit le fantôme effrayant d’une domination étrangère, qui voulait, disait-il, remplir l’Europe, et après s’être étendu dans le continent, allait traverser les mers, allait aborder sur leur rivage, et apparaître tout à coup au milieu d’eux, traînant après lui la tyrannie, la servitude et les chaînes. […] L’orateur républicain use de sa force tout entière ; l’orateur d’une monarchie est toujours occupé d’arrêter la sienne. […] Qu’on se représente une de ces fêtes, telle qu’on en donnait quelquefois dans la Grèce et dans Rome ; ces fêtes, ou, après des victoires, cent mille citoyens étaient assemblés, où tous les temples étaient ouverts, où les autels et les statues des dieux étaient couronnés de fleurs, où la poésie, la musique, la danse, les chefs-d’œuvre de tous les arts, les représentations dramatiques de toute espèce étaient prodiguées, et où la renommée et la gloire, en présence d’une nation entière, attendaient les talents.

216. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VI. Exordes. — Péroraisons. — Transitions. »

Quand on domine une matière et qu’on lui donne sa forme, on se trouve appliquer ces préceptes dans ce qu’ils ont de juste et d’utile : il n’y a pas lieu de pousser plus loin le scrupule et de se piquer là-dessus d’une exactitude entière et littérale. […] On ne trouverait au reste la plupart du temps que des transitions plates, ou de fausses transitions, qui ne lient pas les choses, mais les phrases : comme sont toutes ces formules banales de rapprochement, de comparaison et d’opposition, qui s’appliquent à tout, pareilles aux crochets dont on raccommode les assiettes cassées ; porcelaine fine ou terre grossière, cela mord partout ; peu importe l’objet, pourvu qu’il ne soit pas entier.

217. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

L’édifice ne serait jamais construit, qu’il n’importerait guère : la création de l’artiste est entière et parfaite sur le papier ; il pouvait, s’il voulait, indiquer la dimension de chaque pierre. […] Ce chapitre, « de l’Expression », est tout entier à lire ainsi que le précédent, « de l’Action ».

218. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

Ce sont des journées entières passées ensemble, des soirées où nous nous attardions, oublieux de l’heure et de la dernière gondole de Versailles ; ce sont les lentes et successives retrouvailles d’un passé, revenant à Gavarni au coin de son feu, ou au détour d’une allée de son jardin, — une biographie, pour ainsi dire parlée, — où la parole du causeur, de l’homme qui se raconte, est notée avec la fidélité d’un sténographe. Le fils de Gavarni, Pierre Gavarni, que nous ne saurions trop remercier, a complété notre travail sur la vie de son père, par la communication entière de ses papiers.

219. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Le poème de l’Invention, qui nous est parvenu tout entier, offre l’alliance heureuse de l’imagination et de la raison. […] Elle s’accuse elle-même avec une entière franchise, et se proclame indigne de l’homme qu’elle a quitté. […] Dès les premières pages, le lecteur pressent que Manon tient dans ses mains la destinée entière de des Grieux. […] Quant à Quasimodo, qui régit le livre entier, c’est une transformation de Han d’Islande et d’Habibrah, transformation puissante, mais fidèle au type que M.  […] Le roi est tout entier à sa passion et semble avoir oublié les avertissements de Célestin III, dont il ne dit pas un mot.

220. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Le Dix-Huitième Siècle tout entier peut, sous un certain aspect, se résumer dans une idée. […] Nous sommes arrivés à une de ces époques de renouvellement où, après la destruction d’un ordre social tout entier, un nouvel ordre social commence. […] Ainsi l’homme tout entier était rempli ; tous les problèmes que son esprit pouvait soulever avaient leur solution ; toutes les maladies de son âme, leur remède. […] Il est évident qu’en un siècle et demi le mal a été sans cesse croissant ; il semble aujourd’hui envahir la nation tout entière. […] Si vous voulez condamner la formule tout entière, à la bonne heure.

221. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

C’est l’apogée de son génie ; il le répandait, comme la fontaine de Vaucluse répand ses eaux, sur tous les sujets et avec une intarissable abondance ; sa vie était tout entière dans sa pensée. […] Cincinnatus, Curius, Fabrice, Régulus, après avoir subjugué des nations entières et mené des rois en triomphe, n’étaient pas si riches que moi. […] Reconnu sous le déguisement qu’il avait revêtu pour s’évader du Capitole, il fut percé de mille coups de poignard et traîné aux fourches patibulaires, où la ville entière outragea son cadavre. […] » Boccace, de retour à Florence, envoya à Pétrarque le poème de Dante, copié tout entier de sa main. […] Son âme s’échappe tout entière par ses yeux et se répand comme une atmosphère de flamme autour des traits de cette charmante apparition.

222. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Si le génie dramatique s’y entrevoit à peine, le grand écrivain en vers s’y révèle déjà tout entier. […] C’était peu de soutenir celui du Menteur, dont les meilleurs endroits se rapprochent du ton de la tragédie : le langage de la vie familière était tout entier à créer. […] Quant à l’Alceste du Misanthrope, si ce n’est pas là Molière tout entier, quoi de plus probable que, déjà trompé, mais toujours épris et plein de pardons, il ait peint dans Alceste ses emportements et son indulgence ? […] Et l’univers entier ne peut rien voir d’égal Aux superbes dehors du Palais-Cardinal. Tonte une ville entière, avec pompe bâtie, Semble d’un vieux fossé par miracle sortie.

223. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Les poètes dramatiques ne sont pas seuls dans leurs œuvres, ils n’existent tout entiers que par leurs acteurs ; ils dépendent ainsi du temps où ils vivent et ne peuvent naître qu’à la consommation des nations policées. […] Il passait des journées entières enfoncé dans les forêts qui entourent le monastère de Port-Royal, ces volumes à la main. […] L’étude attentive de ces premières poésies révèle le Racine futur tout entier, un fils de l’antiquité, non un fils de son siècle, un homme de renaissance, non de création, original plus tard, mais original seulement par la perfection. […] Peut-on dire qu’avec ces trois causes d’infériorité relative dans le cadre même de son œuvre, le poète épique, qui peint et qui chante la nature entière et l’homme tout entier, n’est pas supérieur, non pas en génie, mais en genre et en charme au poète de théâtre ? […] Le prologue, récité devant le roi et sa cour par une des jeunes élèves de Saint-Cyr, respire tout entier la religieuse nouveauté de ce style.

224. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Deux grosses passions avaient en lui subjugué toutes les autresi : l’une était celle de s’instruire, et l’autre de se distinguer… Vicq d’Azyr avait gardé, même au milieu de ses succès académiques, un vif sentiment de ces premiers cours qu’il avait professés dans sa jeunesse et dans lesquels il s’était épanoui tout entier : « C’est un bel art, disait-il, que celui de l’enseignement. […] La diffamation alors ne l’effrayait pas ; il la méprisait avec ce courage facile que donne la jeunesse, et qui se fondait sur une confiance encore entière dans l’opinion des honnêtes gens. […] Les professeurs doivent, en effet, posséder tout entière la science qu’ils enseignent ; mais ils n’ont point à veiller à ses progrès. […] Les collèges et les académies occupent donc le cercle entier de la vie humaine, où ils se touchent sans se confondre, parce que leur objet est différent.

225. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Il y eut dès lors dans la jeunesse toute une école choisie, une génération éparse d’admirateurs qui se répétaient le nom du Guérin, qui se ralliaient à cette jeune mémoire, l’honoraient en secret avec ferveur, et aspiraient au moment où l’œuvre pleine leur serait livrée, où l’âme entière leur serait découverte. […] J’en ai vu des touffes entières recouvertes d’un seul bloc de neige ; toutes ces fleurs riantes, ainsi voilées et se penchant les unes sur les autres, semblaient un groupe de jeunes filles surprises par une ondée et se mettant à l’abri sous un tablier blanc. […] La nature est tout entière aux soins de son immense maternité. […] L’hôte de La Chênaie ne se fait pas illusion sur ces magnificences et ces beautés silvestres, bocagères, qui sont toujours si près, là-bas, de redevenir sèches et revêches ; La Chênaie, la Bretagne tout entière « lui fait l’effet, dit-il, d’une vieille bien ridée, bien chenue, redevenue par la baguette des fées jeune fille de seize ans et des plus gracieuses. » Mais sous la jeune fille gracieuse, la vieille, à de certains jours, reparaît.

226. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Des sentiments de famille naturels et purs, une facilité de talent non combattue, bientôt l’émotion rapide, mobile, du plaisir et de la rêverie, c’est là le fonds entier de sa jeunesse, ce sont les caractères qui, en simples et légers délinéaments, pour ainsi dire, vont passer de l’âme de Millevoye dans sa poésie. […] Il publia ces essais de 1801 à 1804156, et ne vécut plus que de la vie littéraire, et aussi de la vie du monde, tout entier au moment et au Caprice. […] Il aimait tendrement sa mère ; quand elle venait à Paris, elle l’avait tout entier. […] En général, beaucoup de ces romances de Millevoye, de ces élégies de son premier livre où il est tout entier, et j’oserai dire sa jolie pièce du Déjeuner même, me font l’effet de ce que pouvaient être plusieurs des premiers vers de Lamartine, de ces vers légers qu’à une certaine époque il a brûlés, dit-on.

227. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Pour mériter le nom de passion, il faut qu’il absorbe toutes les autres affections de l’âme, et ses plaisirs comme ses peines n’appartiennent qu’au développement entier de sa puissance. […] On ne trouvera peut-être pas que ce siècle donne encore l’idée d’aucun progrès en ce genre ; mais il faut dans l’effet actuel voir la cause future, pour juger un événement tout entier. […] Une idée peut se composer des réflexions de plusieurs ; un sentiment sort tout entier de l’âme qui l’éprouve ; la multitude, qui l’adopte, a pour opinion l’injustice d’un homme exercée par l’audace de tous ; par cette audace qui se fonde et sur la force, et plus encore sur l’impossibilité d’être atteint par aucun genre de responsabilité individuelle. […] Celui dont la renommée parcourait le monde entier, ne voit autour de lui qu’un vaste oubli ; un amant n’a de larmes à verser que sur les traces de ce qu’il aime ; tous les pas d’hommes retracent, à celui qui jadis occupait l’univers, l’ingratitude et l’abandon.

228. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Les enfants reçoivent la vie goutte à goutte, ils ne lient point ensemble les trois temps de l’existence ; le désir unit bien pour eux le jour avec le lendemain, mais le présent n’est point dévoré par l’attente, chaque heure prend sa part de jouissance dans leur petite vie : chaque heure a un sort tout entier indépendamment de celle qui la précède ou de celle qui la suit, leur intérêt ne s’affaiblit point cependant par cette subdivision ; il renait à chaque instant, parce que la passion n’a point détruit tous les germes des pensées légères, toutes les nuances des sentiments passionnés, tout ce qui n’est pas elle enfin, et qu’elle anéantit. […] Le législateur prend les hommes en masse, le moraliste un à un ; le législateur doit s’occuper de la nature des choses, le moraliste de la diversité des sensations ; enfin, le législateur doit toujours examiner les hommes sous le point de vue de leurs relations entre eux, et le moraliste considérant chaque individu comme un ensemble moral tout entier, un composé de plaisirs et de peines, de passions et de raison, voit l’homme sous différentes formes, mais toujours dans son rapport avec lui-même. […] L’homme est tout entier dans chaque homme. […] Ce n’est pas le nombre des individus, mais les douleurs qu’il faut compter ; et si l’on pouvait supposer la possibilité de faire souffrir un innocent, pendant plusieurs siècles, il serait atroce de l’exiger pour le salut même d’une nation entière ; mais ces alternatives effrayantes n’existent point dans la réalité.

229. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Elle se livre vraiment tout entière. […] Mais avec Fédora, nous avons retrouvé la vraie Sarah, l’unique et la toute-puissante, celle qui ne se contente pas de chanter, mais qui vit et vibre tout entière. […] Tantôt elle déroule des phrases et des tirades entières sur une seule note, sans une inflexion, reprenant certaines phrases à l’octave supérieure. […] Vous n’aurez peut-être pas été une des femmes les plus raisonnables de ce siècle, mais vous aurez plus vécu que des multitudes entières, et vous aurez été une des apparitions les plus gracieuses qui aient jamais voltigé, pour la consolation des hommes, sur la surface changeante de ce monde de phénomènes.

230. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Marie Stuart a succombé de sa personne et dans celle de ses descendants ; Charles Ier sous la hache, Jacques II par l’exil, ont continué et accru son héritage de fautes, d’imprudences et de calamités : la race entière a été retranchée et a paru mériter de l’être. […] C’est en ce même moment que, sous main, elle faisait don du royaume tout entier par un acte de bon plaisir et de pleine puissance. […] Marie Stuart mit bientôt le comble à sa passion désordonnée et à son désir en épousant ce même Bothwell et en révoltant par là contre elle le peuple entier, dont la moralité, tout fanatisé qu’il était, ne se dépravait pas du moins et était plus droite que celle des seigneurs. […] Elle émeut le monde entier dans l’intérêt de son infortune et le soulève par un charme puissant.

231. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Pour ce, que l’on me permette de feuiller (en disant là, des noms, quant à la première partie) les pages de mon Traité du Verbe : tel qu’après deux éditions progressives et scientifiquement avérantes, écrit en mars 88, il est édité en préface par l’éditeur de mon Œuvre entière, à Bruxelles : et que cet article soit commentaire à ce Traité du Verbe. […]   Et, le poème est certes une instrumentation véritable : avec, élus par l’importance des idées directrices, son leit-motiv, et ses motifs secondaires, passant et repassant, rappelés entiers ou fragmentés, en les mêmes ou diverses mesures, etc… C’est un poème un : et cette instrumentation et cet ordre grandissent du poème au livre, du livre aux livres et à l’Œuvre entière : c’est ainsi l’Œuvre-une voulue, tant par la pensée que par l’expression. […] C’est au mois de mars 1888, qu’il me fut donné, sûr de ma pensée, à vingt-cinq ans (l’âge des autres dit plus haut, il m’est permis de dire le mien), d’écrire en son intégralité mon Traité du Verbe, en argument à mon Œuvre entière — édition où sont développées mes présentes méthode de Philosophie évolutive et manière d’art, l’Instrumentation poétique.

232. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

On dirait que d’un amour extrême, Violent, effréné (car c’est ainsi qu’on aime), Ton cœur depuis trois mois s’occupait tout entier. […] Par pièce, nous entendons le poème dramatique tout entier ; et nous comprenons les tragédies, les comédies, les opéras, même les opéras comiques, sous le nom générique de pièces de théâtre. […] Cela fait, on divise son sujet par actes et les actes par scènes, de manière que chaque acte, quelque grandes situations qu’il amène, en fasse attendre encore de plus grandes, et laisse toujours le spectateur dans l’inquiétude de ce qui doit arriver jusqu’à l’entier dénouement. […] Selon le même Aristote, il faut dresser tout le plan de son sujet, le mettre par écrit le plus exactement qu’on le peut, et le faire passer tout entier sous ses yeux ; car en voyant ainsi nous-mêmes très clairement toutes ses parties, comme si nous étions mêlés dans l’action, nous trouverons bien sûrement ce qui sied, et nous remarquerons jusqu’aux moindres défauts et jusqu’aux moindres contrariétés qui pourraient nous être échappées.

233. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Kahn et Vielé-Griffin, parmi bien d’autres, demandent l’entier rejet de règles imposant aux vers un nombre déterminé de pieds. […] Cet inconvénient ne se produirait pas si le poème entier était composé dans ce même rythme de 3 + 5 + 4. […] De ce qui précède, on peut donc inférer qu’à l’origine la loi de la succession des rimes a été dictée par la musique, et ce qui porte à croire cette assertion, c’est la phrase de Joachim du Bellay : « Il y en a qui fort superstitieusement entremeslent les vers masculins avec les vers féminins… afin que plus facilement on les peust chanter sans varier la musique pour la diversité des mesures qui se trouveroient en la fin des vers. » Ronsard, qu’on ne peut jamais trop consulter, s’exprime ainsi sur la rime dans son Art poétique : « La Ryme n’est autre chose qu’une consonance et cadance de syllabes, tombantes sur la fin des vers, laquelle je veulx que tu observes tant aux masculins qu’aux féminins, de deux entières et parfaictes syllabes, ou pour le moins d’une aux masculins pourveu qu’elle soit résonante et d’un son entier et parfaict. » Mais nulle part, il ne promulgue une règle à suivre sur l’alternance des rimes.

234. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

Mais cette conviction si entière rend le style trop conforme à elle-même. […] Il y a tel défaut de goût, tel point de sentiment gâté, qui comme une petite odeur pernicieuse gagne l’œuvre entière, et en corrompt tout le plaisir. […] On s’y met tout entier ; on s’en exagère la valeur dans le moment même, on en mesure l’importance au bruit, et si cela mène à mieux faire, il n’y a pas grand mal après tout.

235. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Préface »

L’ordre naturel de ce livre, qui n’est autre que l’ordre même des périodes diverses de ma vie, amène une sorte de, contraste entre les récits de Bretagne et ceux du séminaire, ces derniers étant tout entiers remplis par une lutte sombre, pleine de raisonnements et d’âpre scolastique, tandis que les souvenirs de mes premières années ne présentent guère que des impressions de sensibilité enfantine, de candeur, d’innocence et d’amour. […] Richelieu et Louis XIV regardaient comme un devoir de pensionner les gens de mérite du monde entier ; combien ils eussent mieux fait, si le temps l’eut permis, de laisser les gens de mérite tranquilles, sans les pensionner ni les gêner ! […] Notre pauvre pays est toujours sous la menace de la rupture d’un anévrisme, et l’Europe entière est travaillée de quelque mal profond.

236. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les traductions. » pp. 125-144

Le comte de Roscommont, dans son poëme sur la manière de traduire, reproche aux traducteurs de notre nation d’être d’ennuyeux & froids paraphrastes ; « un trait, dit-il, une pensée, que nous renfermons dans une ligne, suffiroit à un François pour briller dans des pages entières. » Les circonlocutions & les paraphrases sont des défauts communs à tous les traducteurs. […] « Quelle oreille, ajoute l’abbé Desfontaines, insatiable de musique, pourroit écouter, jusqu’au bout, un opéra tout entier sur la même mesure, & dont chaque mesure seroit constamment composée de quatre notes égales. » A l’égard des petites pièces, comme les églogues, les idylles, les élégies, les épigrammes, &c. il convient que cette raison n’est pas valable. […] On a vu un traducteur, homme de mérite, être deux jours entiers à rendre une seule phrase de son original.

237. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire de la Révolution »

Or, si c’est là, sans aucune exagération, sa seule philosophie, si son histoire tout entière est contenue dans de telles prémisses, il est facile d’en conclure cette terrible abréviation des soixante années qui valent peut-être deux siècles ordinaires, tant elles ont influé sur le cours des choses et du monde ! […] C’est un peintre tapageur de coloris, plus qu’original, profond, nuancé et fondu, comme doit l’être un grand peintre, mais c’est un peintre, comme le prouvent certaines fresques de son livre, un peu galopées sur le mur, mais vivantes, et par exemple ce fameux repas des gardes du corps que je voudrais tout entier citer : « Le roi prêta sa magnifique salle du théâtre. […] … Gagnant de salle en salle, de galerie en galerie, cette émotion étrange déborde, arrive aux postes extérieurs et se répand bientôt comme une alarme sur la ville entière. » Certainement, voilà qui est enlevé, d’un très beau mouvement, très gradué, très puissant, qui vous saisit et vous fait merveilleusement comprendre l’ivresse de ce dernier banquet, la veille du martyre — Ôtez le riant chasseur, qui est trop riant et rappelle trop Capefigue, et la divinité mythologique, qui rappelle trop les dessus-de-porte d’Arsène Houssaye, et vous avez une vraie page d’une sensibilité contagieuse.

238. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Des villes entières furent consumées, sans qu’il en restât de trace ; d’autres ne conservèrent pas un seul habitant. […] Qu’on imagine un pays couvert autrefois de villes florissantes, mais renversées par des secousses et des tremblements de terre, et un peuple entier assoupi sur ces ruines, au bout de mille ans s’éveillant tout à coup comme par enchantement, ouvrant les yeux, parcourant les ruines d’un pas incertain, et fouillant à l’envi dans les décombres, pour en arracher ou imiter tout ce qui a pu échapper au temps : tels parurent les Européens dans cette époque. […] Mais cette adoption factice, et qui ne sera jamais entière, ne peut avoir l’effet de la réalité.

239. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le théâtre annamite »

On dirait des mains qui sont en train de repousser, comme les pattes des crustacés, et qui n’ont pas encore atteint leur entier développement. […] Que j’aie connu et embrassé de ma sympathie la planète entière, ou seulement une portion de l’humanité et un petit morceau du sol, cela n’est-il pas exactement la même chose, en comparaison de cet infini de temps et d’espace qui échappe à nos prises ?

240. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

mais, pour nous secourir, Est-ce ainsi qu’à nos yeux Hector devoit s’offrir, Quand à ses longs travaux Troie entière succombe ! […] Quel Hector paraît au premier moment devant Énée, quel il se montre à la fin : mais la pompe, mais l’éclat emprunté de Jésabel, Pour réparer des ans l’irréparable outrage, suivi tout à coup, non d’une forme entière, mais ………………… De lambeaux affreux Que des chiens dévorants se disputoient entre eux, est une sorte de changement d’état, de péripétie, qui donne au songe de Racine une beauté qui manque à celui de Virgile.

241. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Bathild Bouniol »

Notre poète, au contraire, avec cette heureuse idée d’une Croisade contre les mœurs contemporaines, a fait poser devant lui une société tout entière, et l’a saisie par tous ses vices et tous ses ridicules, comme le terrible chêne saisit par les cheveux Absalon ! […] Le genre du talent de Bouniol est là tout entier, dans ces quelques vers où de la vulgarité du détail sort tout à coup la grandeur de la réflexion, comme dans la vie.

242. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

La démocratie tout entière prit part à la polémique. […] Ce sera une édifiante histoire qu’un tel récit, consacré tout entier à l’apologie du travail et de la volonté. […] Et c’est dans une fresque immense, où se meut une armée entière, le piétinement de la déroute, la lugubre cohue d’un grand peuple en armes, livré par ses chefs à la boucherie et à la mort. […] Mais admettons que votre éthique ne puisse se hausser jusqu’aux problèmes qui intéressent l’humanité tout entière. […] Car de même qu’un tableau, qu’un paysage situé dans telle lumière, il convient, devant un livre, de varier ses points de vue, si l’on veut jouir d’une entière révélation.

243. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Le sang se meut donc plus lentement, et le cerveau tout entier reçoit, en conséquence, moins de nourriture. […] Ce qui se repose dans l’hypnotisme, ce qui s’est en quelque sorte replié sur soi pour dormir, ce n’est pas la volonté tout entière, ni toute l’attention, mais le pouvoir de résistance et de direction. […] Dans l’état de monoïdéisme, de même que la conscience est réduite tout entière à une sensation, de même le monde extérieur est tout entier réduit à une image. […] L’hypnotisé reprend sur sa vie végétative l’empire que lui avait fait perdre l’habitude d’être tout entier à la vie de relation. […] De plus, le cerveau n’étant jamais tout d’un coup changé dans sa masse entière, il reste toujours dans l’état nouveau quelque chose de l’ancien.

244. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

En fait, « ma perception » tout entière s’évanouit. […] les lignes de force émises dans tous les sens par tous les centres dirigent sur chaque centre les influences du monde matériel tout entier. […] Si le psychologue dédaigne une idée aussi simple, aussi rapprochée du réel, c’est que le processus intracérébral, cette minime partie de la perception, lui paraît être l’équivalent de la perception entière. […] Le psychologue part en effet de son corps, et comme les impressions reçues à la périphérie de ce corps lui semblent suffire à la reconstitution de l’univers matériel tout entier, c’est à son corps qu’il réduit d’abord l’univers. […] Il semble donc qu’elles aient renoncé à l’action individuelle pour concourir, en qualité de sentinelles avancées, aux évolutions du corps tout entier.

245. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Notre littérature du moyen âge, par exemple, peut être remplacée tout entière fort avantageusement par une analyse bien faite. […] Il faut que l’idée divine qui inspire l’artiste soit assez puissante pour posséder son âme tout entière et lui faire oublier, au moins par instants, sa personnalité. […] mais qui n’en mourront pas moins tout entiers, parlent de lui avec un rire dédaigneux. […] Des provinces entières de la littérature et de l’art restent inaccessibles à la foule des esprits, et d’abord presque toute l’antiquité classique. […] Euphorion, mort deux fois, puisque Gallus, son imitateur latin, en qui il put espérer revivre, comme Ménandre revit chez Térence, a, lui aussi, péri tout entier ?

246. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Ces trois espèces, caractérisées par leurs dénominations, comprennent pour nous le genre épique tout entier. […] Le sujet qu’ils exposent est expressément limité ; et ce sujet entier, vous le trouvez complètement rempli quand vous arrivez au septième livre du poème. […] Il renverse hommes, maisons, arbres, barrières ; il arrache les rochers, les ponts ; il assomme, il tue tout, et écrase, seul et nu, des troupes entières. […] et qu’ils signalent bien l’esprit vivifiant de la mythologie, qui, multipliant les existences passionnées, met nos sentiments en commerce avec la nature entière. […] ou ne l’a-t-elle que sur un seul, qui peut sur le monde ce qu’elle peut sur lui, et qui force la nature entière à subir l’ascendant qu’il subit lui-même ? 

247. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Le grand art consiste à saisir et à rendre l’esprit des choses, c’est-à-dire ce qui relie l’individu au tout et chaque portion de l’instant à la durée entière. […] Il est sans doute moins abstrait et nous fait vibrer tout entiers, mais par cela même on peut dire qu’il est moins sensuel et recherche moins pour elle-même la pure jouissance de la sensation. […] la pensée est le produit du corps entier… Et nous continuerions à dévider les cheveux emmêlés de la raison pure ! […] Ce qui est certain, c’est que, pour l’écrivain par exemple, telle ou telle époque de sa vie vient se suspendre tout entière à tel ou tel ouvrage qu’il composait pendant cette époque. […] La destinée humaine tout entière est aussi présente dans toutes les descriptions saillantes de Chateaubriand, de Victor Hugo, de Flaubert, de Zola.

248. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Et ce miracle s’opère plus ou moins complètement, non pas sur quelques individus isolés, mais sur des foules entières. […] Et puis vous dirai-je ma pensée tout entière ? […] Au lieu d’en prendre une et de s’y tenir, il a fait défiler la galerie entière des fantômes de sa rêverie. […] Illuminé par l’approche du ciel, le brave hidalgo reconnut, nous dit Cervantes, la folie de sa vie tout entière. […] En effet, la faculté de compréhension d’hommes ainsi doués doit nécessairement embrasser l’univers entier.

249. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

La terre entière devrait être trop cultivée, devrait être aménagée comme la maison de l’homme. […] Elle a tout entière pour objet la répression, la compression et suppression des passions. […] Mais il est en trop petite quantité dans l’humanité pour la gouverner jamais tout entière. […] écrasez cette philosophie destructive qui a ravagé la France, qui ravagerait le monde entier, si l’on n’arrêtait enfin ses progrès. […] L’humanité entière a cru à des erreurs non seulement ridicules, mais monstrueuses, elle a cru à l’astrologie, à l’alchimie et à la sorcellerie ; sachons du reste reconnaître qu’elle y croit encore ; l’humanité a été tout entière polythéiste, tout entière, y compris le peuple de Dieu, et ne soyons pas trop sûrs qu’elle ne le soit plus.

250. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Béranger] » pp. 333-338

Il est venu un jour où ce drapeau s’est relevé ; mais il s’est relevé sans l’aigle : on n’eut point le drapeau tout entier. […] Il savait tout ce que les sages et les prudents pouvaient dire, et il se le disait même aussi ; mais le poète en lui ressentait un regret ; et quand vinrent peu à peu, et successivement, d’honorables journées militaires pour ce régime politique auquel il assistait, ce n’était pas pour lui, poète patriote, une joie entière, inspiratrice ; car ce n’était point là ce qui pouvait s’appeler une revanche en plein soleil de cette journée néfaste de laquelle il avait dit : Son nom jamais n’attristera mes vers !

251. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

[Appendice] Des trois ou quatre morceaux de Fléchier que contient le manuscrit de la Bibliothèque impériale, je donnerai ici le second en entier pour les curieux. […] Tel la prêche les jours entiers Sur les doux plaisirs de la vie, Et tel autre lui sacrifie Toutes les belles de Poitiers.

252. (1874) Premiers lundis. Tome I « Bonaparte et les Grecs, par Madame Louise SW.-Belloc. »

Qu’il n’y ait eu ni Russes ni Autrichiens, qu’on supprime et la Révolution français, et Bonaparte, et l’Europe entière, hormis les Turcs, les Grecs n’auraient pas moins eu tendance éternelle à une régénération qui eût éclaté tôt ou tard. […] L’ouvrage entier lui-même ressemble à une conversation animée et entraînante ; il a les mérites et les défauts d’une improvisation arrachée par l’indignation et l’enthousiasme.

253. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bergerat, Émile (1845-1923) »

Il n’y lit pas long feu ; les injustices le crispaient ; puis, il avait déjà la mauvaise habitude de dire sa pensée tout entière. […] Je vais maintenant vous dire le vrai, le grand défaut de ce drame, celui qui est en quelque sorte répandu dans l’œuvre tout entière, et qui m’en a gâté le plaisir ; il n’est pas clair.

254. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Signoret, Emmanuel (1872-1900) »

Il a confiance en son rythme au point d’y enclore, de mille ingénieuses correspondances, son âme tout entière, telle qu’elle s’éveille aux souffles de la nature et de l’amour. […] La poésie le possède tout entier.

255. (1813) Réflexions sur le suicide

. — D’abord le régulateur, qui détermine le résultat de cette balance, est tout entier en nous-mêmes : le même genre de vie, qui réduit l’un au désespoir, comblerait de joie l’homme placé dans une Sphère d’espérances moins élevée. […] Il faut s’élever à une grande hauteur pour adopter ce mot dans son entier ; mais toujours est-il vrai qu’on doit avoir pour le Sort un genre de respect. […] Un frissonnement intérieur obscurcit la nature entière, quand le cœur avec lequel se confondait notre existence, repose glacé dans le tombeau. […] Il existe par cette puissance, il doit renaître par elle et tout est subordonné à ce principe d’action auquel se rapporte en entier l’exercice de la liberté. […] Si notre âme survit à la mort, le sentiment qui la remplissait tout entière, de quelque nature qu’il soit, n’en fera-t-il plus partie ?

256. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Dans une large poitrine humaine tous les sentiments pathétiques peuvent battre à l’unisson, et le cercle entier de l’Olympe siéger pacifiquement180.  […] Les héros d’Eschyle et de Sophocle débordant du Dieu qui les anime, pénétrés en tous sens du sentiment énergique et profond de leur droit, sont possédés, emportés tout entiers parleur passion unique. […] Pénétrés de la conscience de leur propre mérite, ils n’ont garde de se confiner tout entiers dans l’étroitesse de leur rôle de gueux, de fripons ou de débauchés. […] que ne peut-il faire résonner dans la nature entière la trompette de la révolte ? […] Le mode tout entier de cette civilisation n’a pas permis un véritable développement de la poésie dramatique.

257. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

L’opinion d’Aristote sur la distinction de l’âme et du corps ne nous apparaîtra donc point avec une entière netteté. […] Et s’ils en ont une, pourquoi l’a-t-on oubliée dans des systèmes qui ont la prétention d’expliquer l’âme tout entière ? […] De la simple puissance, elle la fait passer à la réalité entière et complète. […] Sans doute la nature et la réalité ne changent pas ; et le génie, quand il applique sa puissance à les observer, peut d’un premier effort les pénétrer et les comprendre tout entières. […] À cette époque même, livré tout entier à l’enseignement d’une nombreuse école, il ne paraît pas qu’il ait pu donner à cette publication tous les soins nécessaires.

258. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

. — D’abord, le compositeur doit vivre son œuvre, entière, avant qu’il ne l’exprime ; ensuite, il doit, avec le contre-point, savoir la grammaire française, et l’orthographe. […] Il doit avoir pour objet une communication immédiate, et publique des émotions, et pour moyen l’union entière et libre des trois arts aujourd’hui séparés. […] L’œuvre d’art idéale fondée sur l’esprit allemand, s’adresse d’abord aux Allemands, puis au monde entier. […] Mais Wagner n’est pas un musicien, il est un dramaturge, voulant produire la vie entière, non telle ou telle émotion. […] Monod… Encore une fois, c’est le livre entier qu’il faut lire, et, nous en sommes persuadés, tout le monde le lira.

259. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Le poème, dans sa forme primitive, La Mort de Siegfried, date de 1848, ainsi que certains fragments musicaux ; et puisque c’est ce poème qui a suggéré toute la Tétralogie et que les fragments musicaux, quoique fort courts, ont acquis une importance thématique dans le Ring entier, on peut affirmer que l’idée de la Goetterdaemmerung est restée vivante en Wagner. […] Ce drame entier n’est qu’un dénoûment, Wotan, le centre de l’action psychologique, a disparu dès le début, les Nornes nous apprennent qu’il attend, silencieux, la Fin ; avec lui disparaît l’élément réfléchissant, la Pensée ; il ne reste que les émotions, la Passion, — ce que la musique exprime. […] La Fontaine, il faut remarquer qu’il l’a appliqué avec une entière honnêteté. […] Puis le théâtre même fut impuissant à produire l’illusion de la vie : ces acteurs, hommes d’une réalité, jouant les rôles d’une réalité différente, c’était encore un intermédiaire trop dense, empêchant l’entière vie. […] Quelques-uns même, — et c’est la gloire de Flaubert22 — ont pris un personnage unique : le roman entier est la série des sensations perçues par lui seul.

260. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Il vous semblera que la sensation d’effort, tout entière localisée dans votre main, passe successivement par des grandeurs croissantes. […] Seulement, la sensation qui y était localisée d’abord a envahi votre bras, remonté jusqu’à l’épaule ; finalement, l’autre bras se raidit, les deux jambes l’imitent, la respiration s’arrête ; c’est le corps qui donne tout entier. […] Examinez avec soin une personne qui soulève des poids de plus en plus lourds : la contraction musculaire gagne peu à peu son corps tout entier. […] Souvent le corps entier tremble. […] Mais par cela seul que l’on considère ΔS comme une quantité et S comme une somme, on admet le postulat fondamental de l’opération entière.

261. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Le passé, lié tout entier à la cause de la religion, y conservait son empire. […] ) Ils s’étaient dispersés dans la vaste forêt qui couvrait la terre, tout entiers aux besoins physiques, farouches, sans loi, sans Dieu. […] Comment dans un état de civilisation aussi avancé que le nôtre, lorsque les esprits ont acquis par l’usage des langues, de l’écriture et du calcul, une habitude invincible d’abstraction, nous replacer dans l’imagination de ces premiers hommes plongés tout entiers dans les sens, et comme ensevelis dans la matière ? […] Cependant on peut insister : en supposant qu’un peuple entier ait été poète, comment put-il inventer les artifices du style, ces épisodes, ces tours heureux, ce nombre poétique.... […] La jurisprudence, la science de ce droit divin, ne pouvait être que la connaissance des rites religieux ; la justice était tout entière dans l’observation de certaines pratiques, de certaines cérémonies.

262. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

J’ai nommé Victorin Fabre, et cet écrivain honorable, qui s’annonçait avec tant de promesses, que tant de bons juges désignaient sans hésiter à la gloire, et qui s’est éteint tout entier oublié, mérite bien un mot de moi. […] Le comte Louis de Narbonne l’avait pris en grande amitié ; chez lui, chez la princesse de Vaudemont, dans ce monde, le jeune écolier qu’on savait si docte, qu’on trouvait de propos si étourdi et si piquant, était fort goûté et n’avait qu’à recueillir des succès dus tout entiers à l’esprit. […] On peut dire à certains égards qu’il y a deux littératures, comme dans les antiques écoles il y avait deux doctrines : une littérature officielle, écrite, conventionnelle, professée, cicéronienne, admirative ; l’autre orale, en causeries du coin du feu, anecdotique, moqueuse, irrévérente, corrigeant et souvent défaisant la première, mourant quelquefois presque en entier avec les contemporains. […] Le vif et le mordant de ce rare esprit, sa liberté tout entière ne se déploie ou que dans le tête-à-tête, ou que devant tous. […] La salle entière se leva, la statue de Fénelon dénonçait l’idole.

263. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Lorsque Ulysse déguisé en mendiant arrive chez le fidèle Eumée, celui-ci traite son hôte avec honneur ; il lui sert le dos tout entier d’un porc succulent, lui présente la coupe toute pleine, et Ulysse, moitié ruse, moitié gaieté, et comme animé d’une pointe de vin, se met à raconter avec verve certaine aventure à demi mensongère où figure Ulysse lui-même : « Écoute maintenant, Eumée, s’écrie-t-il, écoutez vous tous, compagnons, je vais parler en me vantant, car le vin me le commande, le vin qui égare, qui ordonne même au plus sage de chanter, qui excite au rire délicieux et à la danse, et qui jette en avant des paroles qu’il serait mieux de retenir… » Et cela dit, le malin conteur pousse sa pointe et, comme entre deux vins, il risque son histoire, qui a bien son grain d’humour et dans laquelle il joue avec son propre secret. […] Désaugiers l’était, si jamais on le fut, et tout ce qu’il a fait en ce genre a été tellement lancé d’un jet, qu’on ne peut guère y adapter d’autres airs ; rhythme et pensée, la chose légère est née tout entière avec le chant. […] On y trouve tout entier le chantre original et populaire de cette époque, dont nous avons défini l’esprit au dedans. […] Avec Désaugiers, le naturel est tout grand ouvert ; on rit rien que pour rire ; on sent une sécurité complète résultant de l’entière cordialité. […] Les chansons de Désaugiers, plus rares sous la Restauration, furent trop souvent de circonstance : les fêtes du roi, le baptême du duc de Bordeaux, le sacre de Reims, obtenaient de lui sans effort des couplets sincères, mais que la France entière ne répétait pas.

264. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

que de l’ingratitude Un peuple tout entier peut se faire une étude, L’établir pour son culte, et de Dieux bienfaisants Blasphémer de concert les augustes présents. […] Le poëte se proposait de clore le morceau des sens par le développement de cette idée : « Si quelques individus, quelques générations, quelques peuples, donnent dans un vice ou dans une erreur, cela n’empêche que l’âme et le jugement du genre humain tout entier ne soient portés à la vertu et à la vérité, comme le bois d’un arc, quoique courbé et plié un moment, n’en a pas moins un désir invincible d’être droit et ne s’en redresse pas moins dès qu’il le peut. […] » Ce vers final, qui est toute la devise, un peu fastueuse, de la philosophie du xviiie  siècle, exprime aussi l’entière inspiration de l’Hermès. […] Mais voici quelques projets plus esquissés sur lesquels nous l’entendrons lui-même : « Il ne sera pas impossible de parler quelque part de ces mendiants charlatans qui demandaient pour la Mère des Dieux, et aussi de ceux qui, à Rhodes, mendiaient pour la corneille et pour l’hirondelle ; et traduire les deux jolies chansons qu’ils disaient en demandant cette aumône et qu’Athénée a conservées. » Il était si en quête de ces gracieuses chansons, de ces noëls de l’antiquité, qu’il en allait chercher d’analogues jusque dans la poésie chinoise, à peine connue de son temps ; il regrette qu’un missionnaire habile n’ait pas traduit en entier le Chi-King, le livre des vers, ou du moins ce qui en reste. […] Mais c’est assez de fragments : donnons une pièce inédite entière, une perle retrouvée, la jeune Locrienne, vrai pendant de la jeune Tarentine.

265. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Relisez-le, de grâce, et vous verrez si l’âme triste, généreuse et insoumise du XIXe siècle n’y est pas tout entière. […] Le songeur qui condamne l’Être universel lui oppose son être particulier et prend davantage conscience de lui-même. « Moi seul, se dit-il, moi seul, passif, mais conscient et irréductible, contre le monde entier. » C’est par là qu’on se console, du moins dans notre Occident. […] Leur vie même, qui les exerçait tout entiers, était comme une œuvre d’art dont ils s’enchantaient. […] Il les verrait plutôt du même regard que ce corbeau positiviste, soixante fois centenaire, qui raconte ses aventures à l’abbé Sérapion : Seigneur, dit le corbeau, vous parlez comme un homme Sûr de se réveiller après le dernier somme ; Mais j’ai vu force rois et des peuples entiers Qui n’allaient point de vie à trépas volontiers. […] C’est qu’on subit l’impression du livre entier et qu’on est ainsi tenté de retrouver sa philosophie même dans les tableaux d’où elle est peut-être absente.

266. (1904) En méthode à l’œuvre

S’appuyant sur la science, d’une Métaphysique à une Éthique va sa « Philosophie évolutive » d’où l’Œuvre entière découlera répondant à son concept, que : « toute œuvre poétique n’a de valeur eue si elle se prolonge en suggestion des lois qui ordonnent et unissent l’être total du monde, évoluant selon de mêmes rythmes ». […] Or, l’entière suggestion dont nous parlons, et qui pour les persuasions ou les saillies en vertige de l’Idée, tient au sens idéographique des mots mais en même temps à leur phonétisme, ne peut naître que si la langue est traitée en son origine phonétique retrouvée et arrivant à une Musique des mots : matière, d’identique qualité, de la pensée qui agit et possède. […] *** Nous nous sentons ainsi au terme des seuls développements dont nous avons voulu élargir le texte des Principes, — auquel il nous plut de garder un sens et une atmosphère ainsi que rares, et la sensation de vertige qui émane de l’Essence…   De l’entier développement toute la poétique mouvance, maintenant l’épandra en dramatique diaprure des natures et des êtres l’Œuvre qui prit âme en mon esprit en même temps que la Méthode, dont (au titre générique de Œuvre) elle sort. […]   Mais encore, pour l’entière assimilation, est-il nécessaire que ne viennent pas en éléments étrangers à nos vues instrumentales, mais qu’elles leur soient précisément indispensables, les lettres-Consonnes. […] Nous l’élidons si nous devons le réduire à sa plus simple expression, mais d’autre part lui donnons toutes ses tonalités délicates, si, au singulier ou au pluriel, il se trouve, précédé d’une voyelle, — terminer un mot que va suivre une lettre-consonne… Il sied de n’éteindre de lueurs de la diaprure phonétique, et nulle vague douce de la mer entière des durées harmonieuses.

267. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

À cet égard, et pour cette seule raison, dès que la science est conçue comme un système de rapports, la science, d’âge en âge, est donc perpétuellement, et en un certain sens, tout entière à refaire. Mais elle l’est encore, et surtout, pour cette autre raison, qu’aucune découverte ne saurait s’accomplir en un point du système qui n’ait sa répercussion sur le système tout entier. […] Je ne connais qu’un seul résultat à la science, c’est de résoudre l’énigme, c’est de dire définitivement à l’homme le mot des choses, c’est de l’expliquer à lui-même, c’est de lui donner, au nom de la seule autorité légitime, qui est la nature humaine tout entière, le symbole que les religions lui donnaient tout fait et qu’il ne peut plus accepter. » Il y revient, en un autre endroit, de peur sans doute qu’on ne l’ait pas compris, et il ajoute : « Que reste-t-il, si vous enlevez à la science son but philosophique ? […] Mais ces rapports ne sont pas « constans », et ils ne sont pas « nécessaires. » Il arrive, dit-on, fréquemment, que le rapport soit le même entre la longueur de la tête humaine, par exemple, et la longueur du buste ou du corps tout entier. […] et, d’abord, de la reconnaissance ou de l’aveu que le positivisme en a dû faire, — dont nous avons même vu, sous le nom d’Agnosticisme, sortir une doctrine entière, — quelles sont les conséquences qui ont suivi ?

268. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

La Fontaine touriste est tout entier contenu dans cet ouvrage qu’on a appelé après coup le Voyage en Limousin et qui, simplement, est constitué par des lettres de La Fontaine à Mlle de La Fontaine, sa femme. […] Comme la ville va en montant [très exact], on la découvre quasi tout entière. […] Seulement, je ne crois pas qu’il faille en vouloir beaucoup à La Fontaine parce que ce n’est pas tout à fait sa faute s’il a traversé la Beauce tout entière en causant avec sa voisine la comtesse, ou pseudo-comtesse, dont nous allons faire la connaissance tout à l’heure. […] (Rappelez-vous sa méditation devant la cellule de Fouquet, que je n’avais pas besoin de vous citer aujourd’hui puisque je vous l’ai déjà citée tout entière en faisant sa biographie.) […] Il se peint presque tout entier dans ce volume, même, comme je vous l’ai dit, même avec ses lacunes.

269. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Nous avons dit dans les axiomes, que l’homme ignorant se prenait lui-même pour règle de l’univers ; dans les exemples cités ci-dessus, il se fait de lui-même un univers entier. […] La synecdoque fut employée ensuite, à mesure que l’on s’éleva des particularités aux généralités, ou que l’on réunit les parties pour composer leurs entiers. […] De même le toit pour la maison entière, parce qu’aux premiers temps on se contentait d’un abri pour toute habitation. […] La langue latine a aussi laissé des exemples nombreux de ces compositions formées de mots entiers ; et les poètes, en continuant à se servir de ces mots composés, n’ont fait qu’user de leur droit. […] La topique est l’art qui conduit l’esprit dans sa première opération, qui lui enseigne les aspects divers (les lieux, τόποι) que nous devons épuiser, en les observant successivement, pour connaître dans son entier l’objet que nous examinons.

270. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Nisard pour reconnaître ici plus et mieux qu’un auteur, pour sentir l’homme et son cœur tout entier dans cette page. […] C’est à cause de cette rigoureuse recherche d’exactitude que je me permettrai de remarquer qu’en appréciant si bien André Chénier et en rendant à ce jeune et nouveau classique la part entière qui lui est due, il l’a un peu trop appareillé, en tout, et même pour la destinée, avec cet autre charmant poète de nos jours, Alfred de Musset. […] Goethe l’a vu et l’a exprimé avec sa supériorité de critique et de naturaliste : « Lorsqu’une famille s’est fait remarquer, dit-il, durant quelques générations par des mérites et des succès divers, elle finit souvent par produire dans le nombre de ses rejetons un individu qui réunit les défauts et les qualités de tous ses ancêtres, en sorte qu’il représente à lui seul sa famille entière.

271. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

Mais ce malheur de la patrie, a été assez glorieux, assez couronné d’héroïsme, pour qu’on ne se lasse pas de le considérer, de l’examiner en tous sens jusqu’à ce qu’on en ait l’intelligence tout entière. […] On s’en aperçut dès le premier jour, dès les premières heures, lorsque l’armée entière s’étant ébranlée à trois heures du matin, Vandamme, une des têtes de colonne les plus importantes, se trouva en retard et manqua au rendez-vous faute d’avoir été prévenu. […] Ce phénomène de guerre des plus singuliers est expliqué par l’historien à l’entière et triste satisfaction du lecteur.

272. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

La force vitale et le moi, voilà donc la dualité de l’homme ; mais l’homme véritable gît tout entier dans le moi. […] Mais l’homme étant tout entier dans l’âme, celle-ci doit gouverner en souveraine ; elle doit dans tous les cas douteux se sacrifier l’autre. […] L’amour, qui s’était développé en l’homme sous l’égide de la force victorieuse du mal, délaissa cette force qui se complaisait dans son triomphe incomplet, et se mit tout entier du côté de l’esprit.

273. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

Le Japon vu par l’extérieur, le Japon-bibelot n’est-il pas tout entier dans ce quadro divertissant : Le samouraï. […] Mais, quand l’astre royal dans les flots se noya, D’un seul coup, la montagne entière flamboya De la base au sommet, et les ombres des Andes, Gagnant Caxamalca, s’allongèrent plus grandes… …………………… Mais l’ombre couvrit tout de son aile. […] Alors, formidable, enflammée D’un haut pressentiment, tout entière, l’armée, Brandissant ses drapeaux sur l’occident vermeil, Salua d’un grand cri la chute du Soleil.

274. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Alors que les autres revues ne représentent qu’une part de l’effort littéraire contemporain, la Plume résume cet effort considérable en son entier. […] La France entière s’est fait ici brillamment représenter. […] C’est bien le monde entier qui communie dans cette fête fraternelle, puisque voici à côté de l’Athénien Jean Moréas, le Portugais Enrique Carillo, le Finlandais Leclercq, l’Américain Stuart Merrill, le Belge Camille Lemonnier, et Louis Dumur, citoyen suisse, avec son inséparable princesse Nadedja, délicieuse fleur russe cueillie aux bords de la Néva.

275. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

Le grand mouvement ombrien du XIIIe siècle, qui est, entre tous les essais de fondation religieuse, celui qui ressemble le plus au mouvement galiléen, se passa tout entier au nom de la pauvreté. […] Matth., IX, 10 et suiv. ; Luc, XV entier. […] X, 30 et suiv. ; XV entier ; XVII, 16 et suiv. ; XIX, 2 et suiv. ; XXIII, 39-43), a composé ce récit avec les traits d’une autre histoire, celle de l’onction des pieds, qui eut lieu à Béthanie quelques jours avant la mort de Jésus.

276. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Ce prince avoit auparavant entretenu avec lui, quinze ans entiers, un commerce de lettres ; commerce philosophique d’esprit, de goût, de vers & de prose ; commerce sans exemple entre un souverain & un particulier. […] L’Europe entière s’occupa de lui & de sa disgrace : il fit même l’entretien du peuple. […] Il a dédommagé, & dédommage encore autant qu’il peut, par des lettres fréquentes & pleines d’estime, celui dont les écrits font si fréquemment son éloge, celui qui, tout entier à la philosophie, désabusé des grands & des rois, préfère l’indépendance & le repos à toutes les cours.

277. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

N’apparaît-il pas comme évident que cette abdication et ce séjour furent une victoire, — une silencieuse victoire que le vaincu n’a, certes, pas proclamée, — mais une victoire de l’Espagne tout entière sur l’empereur catholique qui, à Worms, avait trébuché ? […] Le duc d’Albe, en qui bat le cœur tout entier de l’Espagne, a honte de sa victoire et ne l’achève pas. […] Même après Yuste, ce sacrifice à l’opinion religieuse de l’Espagne, il ne fallut rien moins que l’Inquisition, c’est-à-dire l’Espagne tout entière sous sa forme la plus concentrée, pour rappeler les devoirs de la Majesté Catholique aux passions invétérées du vieil Empereur.

278. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Il nous apprend que ce peuple, vanté pour ses vertus par des philosophes qui n’en avaient pas, fut peut-être autant que les Richelieu, les de Gesvres et les d’Épernon, tous ces abominables pourrisseurs du Roi, dans les vices de ce jeune souverain qui commença son règne de débauche par la timidité avec les femmes, comme Néron commença le sien par la clémence… Dans ce temps, qui ne fut pas long, il est vrai, d’une sagesse qui n’était que de l’embarras rougissant et honteux, le peuple tout entier de la France d’alors s’impatientait et se moquait de cette sagesse. Louis XV, dégoûté de Marie Lecsinska, aimée (si on peut prostituer ce mot sacré) comme la femelle l’est, une minute, de son mâle, et laissée là, sans que cette vertueuse Maladroite de l’amour conjugal ait eu la puissance de le retenir et de le captiver, Louis XV, — il faut bien dire le mot, — l’empêtré Louis XV, malgré sa beauté et la royauté qui s’ajoutait à cette beauté pour la rendre irrésistible, fit attendre un moment le règne des maîtresses, et c’est alors qu’on vit la France tout entière lutter presque de proxénétisme empressé avec les grands seigneurs et les valets de cour qui le poussaient à l’adultère ! […] Ulysse se bouchait les oreilles au chant des sirènes ; mais avec quoi se boucher l’imagination tout entière, l’imagination qui les voit et qui les entend quand elles ne sont plus et qu’il faut les peindre, et, après les avoir peintes, les juger et les condamner ?

279. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Édouard Gourdon et Antoine Gandon » pp. 79-94

Il est tout entier dans la figure de Jean Gigon, type du soldat français en ces dernières années12, et qui n’est plus du tout, quoiqu’il y ait identité de cette bravoure qui est venue des Gaulois à nous et qui s’appelle la furie française, qui n’est plus du tout la figure connue des soldats français des autres temps. […] Le duel, cette chose du Moyen Âge, qui n’est pas encore sortie de nos mœurs quoique nous en ayons chassé le Moyen Âge tout entier, mais qui n’en est pas sortie pour la même raison de vanité qui nous en a fait chasser tout le reste ; le duel, pour Jean Gigon, n’a pas de remords. […] Prenez-le comme il est là, assis sur ce banc, qui est probablement le banc de pierre du corps de garde, son képi posé près de lui avec ses deux simples contre-épaulettes, sa large poitrine, qui n’a pour toute décoration que son pauvre cœur intrépide, et son sabre, entre ses deux jambes écartées, sur lequel il s’appuie comme sur un ami sans avoir besoin de le regarder : il est, en vérité, à sa façon, aussi simple que M. de Turenne, ce soldat d’hier mort aujourd’hui tout entier, mais dans l’ombre du drapeau, qui vaut presque la gloire !

280. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Elle était contenue tout entière dans la formule féconde de M.  […] Il passe tout entier dans les phrases de son auteur préféré. […] Pourrai-je faire un livre où je me donnerai « tout entier ? […] Pas tout entière pourtant. […] L’entière bonne foi a de ces aventures.

281. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Ceux qui ont voulu, comme de Maistre ou de Bonald, la rétablir en son entier, du moins ont été très logiques. […] Ils l’ont tout entière rétablie sur le surnaturel et sur le providentiel. […] On pourrait presque avancer que c’est sa méthode tout entière. […] De Maistre a achevé son œuvre ; elle est complète, mais il faut bien la lire tout entière. […] Elle se retrouve bien tout entière dans ces théories nouvelles.

282. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Qu’est-ce l’Amérique tout entière auprès d’un rayon de cette gloire infinie dont brille en Italie une ville de second ou de troisième ordre, Florence, Pise, Sienne, Pérouse ? […] Ce n’étaient ni les lectures précoces, ni les mauvais exemples, ni les relations pernicieuses dont l’influence peut être fatale à quelques individualités débiles, mais non des générations entières. […] Le poète est là tout entier, tel qu’on pouvait déjà l’entrevoir dans les publications antérieures, mais infiniment mieux dessiné, marqué de traits beaucoup plus énergiques et beaucoup plus nets. […] Si l’existence soulève dans son cœur l’angoisse et le dégoût, il ne songe pas qu’à lui-même : il la hait et la maudit en soi, quand il la contemple répandue sur l’univers entier, comme un mal rongeur, hideux, et fatalement inguérissable. […] Il eût signé sans doute avec entier acquiescement le mot célèbre de M. 

283. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

George Sand va tout entière du côté de la passion, Stendhal tout entier du côté de l’analyse. […] Leurs vers ne les exprimaient pas tout entiers. […] Son œuvre tout entière n’est qu’un immense roman à idées. […] Dieu sait s’il les aimait, pourtant, s’il se donnait à elles tout entier ! […] Nos armées sont intactes, le pays tout entier est debout.

284. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Il vit peu dans le monde, ou du moins il n’y donne qu’une partie extérieure de lui-même et ce qui est de représentation, il s’isole le reste du temps ; il passe des journées entières dans les forêts, au spectacle de la nature, et dans cette tour qui était son cabinet de travail. […] Buffon, avec un dédain superbe, commença le premier à attaquer Linné sur ses méthodes artificielles, et, même lorsqu’il en fut venu à reconnaître par expérience la nécessité des classifications, il ne lui rendit jamais pleine et entière justice : « Buffon antagoniste de Linné, que toujours il avait combattu, nous dit Linné lui-même dans des fragments de Mémoires, est obligé, bon gré mal gré (nolens, volens), de faire arranger les plantes du Jardin du roi d’après le système sexuel. » Buffon, en ce point, ne céda pas si aisément que le croyait Linné ; il ne consentit jamais, nous dit Blainville, à laisser entrer dans le jardin de botanique la méthode et la nomenclature de Linné, enseignes déployées ; « il permit seulement d’inscrire les noms donnés par Linné, mais à condition (chose incroyable si le génie n’était humain !) […] En relisant l’article du « Chien », à propos des espèces, soit animales, soit végétales, que l’homme s’est appropriées tout entières, et qu’il a transformées par l’art à force de les travailler, j’y trouve ce beau passage sur le blé, cette plante tout humaine : Le blé, par exemple, est une plante que l’homme a changée au point qu’elle n’existe nulle part dans l’état de nature : on voit bien qu’il a quelque rapport avec l’ivraie, avec les gramens, les chiendents et quelques autres herbes des prairies, mais on ignore à laquelle de ces herbes on doit le rapporter ; et comme il se renouvelle tous les ans, et que, servant de nourriture à l’homme, il est de toutes les plantes celle qu’il a le plus travaillée, il est aussi de toutes celle dont la nature est le plus altérée. […] [NdA] Chez Garnier frères, 6, rue des Saints-Pères. — L’édition entière sera de 12 volumes grand in-8º.

285. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Si pour lui, dans l’ordre intellectuel, le vrai est tout entier d’un côté et le faux de l’autre, dans l’ordre moral le bien absolu, à ses yeux, est également tout d’un côté, et le mal du côté opposé ; à droite les bons, à gauche les méchants ; les agneaux séparés des boucs, pas de mélange ! […] Il se répand lui-même, il se livre tout entier et se découvre ; il est tout dans son glaive, dans la pointe de son glaive, et n’a point de bouclier. […] J’ai besoin d’air, de mouvement, defoi, d’amour, de tout ce qu’on cherche vainement au milieude ces vieilles ruines… Le Pape est pieux et voudrait lebien ; mais, étranger au monde, il ignore complètement etl’état de l’Église et l’état de la société. » Ses lettres de cette date sont tout entières à lire dans le volume ; elles exhalent des cris d’aigle et de prophète. […] Aujourd’hui qu’il est couché dans le tombeau et que l’idée entière de l’homme plane et surnage, rendons-lui son nom véritable : c’est le soldat de l’avenir, le soldat démocratique croyant et fervent, sans paix ni trêve, ne connaissant que le cri En avant !

286. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Considérez notre littérature depuis le Moyen-Age, rappelez-vous l’esprit et la licence des fabliaux, l’audace satirique et cynique du Roman de Renart, du Roman de la Rose dans sa seconde partie, la poésie si mêlée de cet enfant des ruisseaux de Paris, Villon, la farce friponne de Patelin, les gausseries de Louis XI, les saletés splendides de Rabelais, les aveux effrontément naïfs de Régnier ; écoutez dans le déshabillé Henri IV, ce roi si français (et vous aurez bientôt un Journal de médecin domestique, qui vous le rendra tout entier, ce diable à quatre, dans son libertinage habituel) ; lisez La Fontaine dans une moitié de son œuvre ; à tout cela je dis qu’il a fallu pour pendant et contrepoids, pour former au complet la langue, le génie et la littérature que nous savons, l’héroïsme trop tôt perdu de certains grands poëmes chevaleresques, Villehardouin, le premier historien épique, la veine et l’orgueil du sang français qui court et se transmet en vaillants récits de Roland à Du Guesclin, la grandeur de cœur qui a inspiré le Combat des Trente ; il a fallu bien plus tard que Malherbe contrebalançât par la noblesse et la fierté de ses odes sa propre gaudriole à lui-même et le grivois de ses propos journaliers, que Corneille nous apprît la magnanimité romaine et l’emphase espagnole et les naturalisât dans son siècle, que Bossuet nous donnât dans son œuvre épiscopale majestueuse, et pourtant si française, la contrepartie de La Fontaine ; et si nous descendons le fleuve au siècle suivant, le même parallélisme, le même antagonisme nécessaire s’y dessine dans toute la longueur de son cours : nous opposons, nous avons besoin d’opposer à Chaulieu Montesquieu, à Piron Buffon, à Voltaire Jean-Jacques ; si nous osions fouiller jusque dans la Terreur, nous aurions en face de Camille Desmoulins, qui badine et gambade jusque sous la lanterne et sous le couteau, Saint-Just, lui, qui ne rit jamais ; nous avons contre Béranger Lamartine et Royer-Collard, deux contre un ; et croyez que ce n’est pas trop, à tout instant, de tous ces contrepoids pour corriger en France et pour tempérer l’esprit gaulois dont tout le monde est si aisément complice ; sans quoi nous verserions, nous abonderions dans un seul sens, nous nous abandonnerions à cœur-joie, nous nous gaudirions ; nous serions, selon les temps et les moments, selon les degrés et les qualités des esprits (car il y a des degrés), nous serions tour à tour — et ne l’avons-nous pas été en effet ? […] Renan est de cette race des hautes intelligences ; c’est une intelligence aristocratique, royale au sens de Platon, et même qui est restée un peu sacerdotale et sacrée de tour et d’intention jusque dans son entière émancipation philosophique. […] Renan lui-même, si complexe et si fuyant quand on le presse et qu’on veut l’embrasser tout entier, ce serait moins un article de critique qu’il conviendrait de faire sur lui comme en ce moment, qu’un petit dialogue à la manière de Platon. […] un professeur savant, respectueux, éloquent, mais d’une éloquence appropriée, qui ne fait en rien appel aux passions et qui ne s’adresse, qu’à l’entendement, ne pourrait obtenir, même de ceux qui se portent comme futurs contradicteurs, cette patience d’une heure entière d’horloge, ce silence indispensable pour être bien compris !

287. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Les abjurations ne se faisaient plus une à une ; des Corps et des Communautés entières se convertissaient par délibération et par des résultats de leurs assemblées, tant la crainte avait fait d’impression sur les esprits, ou plutôt, comme l’événement l’a bien fait voir, tant ils comptaient peu tenir ce qu’ils, promettaient avec tant de facilité !  […] Il n’est pas gêné d’outre-passer les ordres de la Cour ou même de les supprimer, pour peu qu’ils puissent ralentir sa marche : « M. de Torcy m’a envoyé, au mois de juillet, un arrêt du Conseil portant rétablissement d’un ministre pour baptiser les enfants de la Religion prétendue réformée, mais je n’ai pas jugé à propos de l’exécuter. » À quoi bon songer à baptiser des nouveau-nés, quand on est en train, de supprimer d’emblée tout le peuple dissident, d’abolir la secte tout entière ? […] Le Béarnais a l’esprit léger, et l’on peut dire qu’avec la même ; facilité, que la reine Jeanne les avait pervertis, ils sont revenus à la religion, de leurs pères. » Il y a des assemblées de gentilshommes, des villes entières qui demandent le temps de la réflexion, un répit d’une quinzaine, d’une huitaine de jours ; Foucault le leur refuse et les fait capituler à heure dite, montre en main : « La ville d’Orthez a été la dernière à se convertir. […] Son caractère ests on degré de mérite sont très-bien appréciés, et avec une entière impartialité, dans l’article que lui ont consacré MM. 

288. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Mauvais goût, faux jugements, faux sens pour justifier leurs préférences, c’est un système entier d’erreurs et de chimères où l’on se précipite tète baissée, et tout cela pour ne pas démordre d’une estime conçue et nourrie sur la parole d’autrui, avant que nous ayons pu nous-mêmes étudier et apprécier ces œuvres si vantées. » Ah ! […] Elle s’applique aux Anciens et à tous ceux des grands poètes qui sont déjà, à quelques égards, ou qui seront un jour eux-mêmes des Anciens, à tous ceux qui ne sont plus nos contemporains et vers lesquels on ne revient qu’en remontant à force de rames le courant du passé : « Les œuvres des grands poètes, dit-il, demandent qu’on les approche au début avec une foi entière en leur excellence ; le lecteur doit être convaincu que, s’il ne les admire point pleinement, c’est sa faute et non la leur. […] Mais aussi, que le présent, que l’avenir le plus prochain, ne nous possèdent point tout entiers ; que l’orgueil et l’abondance de la vie ne nous enivrent pas ; que le passé, là où il a offert de parfaits modèles et exemplaires, ne cesse d’être considéré de nous et compris. […] Les problèmes en art, en science, en industrie, en tout ce qui est de la guerre ou de la paix, se posent pour nous tout autrement : nous avons l’étendue, la multitude, l’océan, tous les océans devant nous, des nations vastes, le genre humain tout entier : nous sondons l’infini du ciel ; nous avons la clef des choses, nous avons Descartes, et Newton, et Laplace ; nous avons nos calculs et nos méthodes, nos instruments en tout genre, poudre à canon, lunettes, vapeur, analyse chimique, électricité : Prométhée n’a cessé de marcher et de dérober les dieux.

289. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

En littérature nous avons éprouvé cela pour Dante, Shakspeare, Gœthe : par combien d’explications intermédiaires et partielles n’a-t-on pas dû passer et procéder avant de s’élever à une vue pleine et entière ! […] Or, si jamais d’aussi cruelles épreuves nous étaient réservées, il n’y avait pas de honte à nous l’avouer, nos périls seraient immenses : ce ne serait plus seulement notre grandeur, nos récentes conquêtes qui seraient remises en question, mais la Révolution tout entière et notre nationalité même. […] La France le lui eût-elle pardonné alors, et ne fut-elle pas sa complice dans cette paix, grosse de périls futurs, qu’il dicta moins encore en son propre nom qu’au nom de la nation personnifiée tout entière en lui ? […] L’Europe entière lui est ennemie : il réorganisera l’Europe sur de nouveaux fondements.

290. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

Chargé d’inspecter les hommes et les approvisionnements destinés à cette expédition aventureuse, Malouet pouvait dire : « C’était un spectacle déplorable, même pour mon inexpérience, que celui de cette multitude d’insensés de toutes les classes qui comptaient tous sur une fortune rapide, et parmi lesquels, indépendamment des travailleurs paysans, on comptait des capitalistes, des jeunes gens bien élevés, des familles entières d’artisans, de bourgeois, de gentilshommes, une foule d’employés civils et militaires, enfin une troupe de comédiens, de musiciens, destinés à l’amusement de la nouvelle colonie. […] L’histoire de Malouet, à cette époque et depuis, se compose presque tout entière des abus, des iniquités dont il est témoin, contre lesquelles il lutte, même quand il en est en partie l’instrument ; des bons conseils qu’il donne et qu’on ne suit pas ; des utiles réformes qu’il propose, qu’il consigne dans des rapports et qui restent la plupart sur le papier. […] Il est permis, d’après son récit même, de conjecturer que cet esprit juste et modéré, ce caractère honnête et droit de Malouet, n’étaient pourtant pas toujours accompagnés d’une adresse pratique et d’une insinuation suffisantes ; que la modération même de ses vues et les raisons combinées qu’il y introduisait n’étaient propres à réussir qu’à demi auprès d’esprits entiers, prévenus en faveur d’idées absolues, ou intéressés à des systèmes contraires. […] Chabanon était un créole spirituel et d’une jolie figure, qui unissait des études sérieuses à des talents d’agrément, helléniste et bon violon, lisant en grec Homère, que Suard n’avait jamais pu lire en entier, même en français ; homme de société et sensible, d’un tour romanesque, qui ressentit et inspira de vives tendresses et des sympathies délicates ; qui fut cher à d’Alembert et à Chamfort.

291. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Quoique Cicéron soit mort sous le triumvirat d’Octave, son génie appartient en entier à la république ; et quoique Ovide, Virgile, Horace, soient nés pendant que la république subsistait encore, leurs écrits portent le caractère de l’influence monarchique. […] Le caractère romain ne s’est montré tout entier que pendant le temps qu’a duré la république. […] Une autorité de raison, une majesté de caractère singulièrement imposante, garantit à chaque phrase, à chaque mot son acception toute entière. […] Sans doute Salluste et Cicéron même n’étaient pas les plus grands caractères de l’époque où ils ont vécu : mais des écrivains d’un tel talent se pénétraient de l’esprit d’un si beau siècle ; et Rome vit tout entière dans leurs écrits.

292. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

Un tel peuple vit au jour le jour ; il songe à se défendre, à exister ; il est tout entier occupé de son établissement ; il est trop au présent pour s’inquiéter de connaître le passé. […] Et même, à certains endroits où saint Bernard subtilise, le traducteur se contente, faute de comprendre le sens, de transporter les mots latins tout entiers dans la traduction après en avoir légèrement francisé l’orthographe. […] Tous ces écrivains, poètes et prosateurs, sont tout entiers au présent. […] Tout entiers occupés d’eux-mêmes et du moment présent, les jeunes peuples, comme les jeunes gens, sont railleurs et enthousiastes.

293. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Notre vie entière, nos sentiments, nos idées, notre conduite font saillir continuellement cette discorde, révèlent cette incohérence, cette scission de notre moi. […] Tous les autres : nos ancêtres et nos contemporains, et nos descendants, ceux que nous aimons, ceux que nous croyons indifférents, et ceux que nous haïssons, notre patrie et toutes les patries, tous les groupes sociaux, et l’humanité entière, ou du moins le germe de l’humanité. […] Il apaise l’instinct puissant où l’égoïsme et l’altruisme se sont amalgamés, il correspond au désir le plus fort, il contente l’individu qui l’accomplit parce qu’il satisfait ce qu’il y a de plus fort en lui, une personne aimée, une race entière, en un mot : les autres. […] Ce que veut la société, ce n’est pas que telle ni telle personne, mais que la société entière se réalise en nous et par nous.

294. (1886) De la littérature comparée

Cependant, le développement des études historiques, en favorisant la connaissance des milieux et la comparaison entre les époques, attira bientôt l’attention sur le phénomène, longtemps négligé des variations du goût : on remarqua qu’un siècle ne ratifie pas toujours les jugements du siècle précédent ; que telle tragédie portée aux nues à son apparition peut cependant tomber dans un oubli définitif ; que des gloires illustres entre toutes s’éclipsent pendant des périodes entières et ne reparaissent ensuite dans leur éclat que sous l’influence de circonstances qu’il est possible de déterminer ; que les poètes préférés d’une nation demeurent souvent incompris par la nation voisine. […] Comment ce mot de beauté, que je viens d’employer, peut-il s’appliquer également aux tragédies de Sophocle, d’un dessin si net, d’un plan si parfait, et aux drames informes que des confréries représentaient pendant des journées entières sur des tréteaux dressés en plein vent ? […] La Renaissance n’est autre chose que la fin provisoire de cette civilisation et son remplacement par une autre, dont les racines, pour être plus éloignées, étaient moins profondes, mais qui gardait l’avantage d’avoir atteint, dans une période antérieure, son entière floraison. […] La même différence se rencontre entre Homère et Dante, entre Sophocle et Shakespeare ; de plus en plus, l’art devient une confidence, celle d’une âme individuelle, qui, s’exprime et se rend visible tout entière à l’assemblée dispersée, indéfinie des autres âmes. » Mais M. 

295. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Se considérant comme un simple membre de la grande société européenne tout entière en péril, il était plus libre que Jomini lui-même ne le put être en portant ailleurs l’habileté de sa science militaire et de sa tactique, car, lui Mallet, il n’avait jamais été à proprement parler au service de la France. […] Le grand corps social, qui s’est senti si près d’une destruction entière, aspire donc en toute hâte à une guérison, mais à une guérison quelconque, à une guérison plâtrée : qu’on la lui offre, et il s’en contentera. […] Il faut lire en entier sa lettre en réponse à cet envoyé, qui ne lui en sut aucun mauvais gré ; elle est toute à l’adresse de cette incurable et intolérante émigration : Rien au reste, disait en terminant Mallet, ne m’est plus indifférent que ces commérages. […] Il ne reste d’autre bien que l’indépendance, il faut s’en servir à se soulager. » Je n’analyserai pas l’avant-propos et l’introduction, qui mériteraient d’être lus en entier.

296. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Les regrets d’un gouvernement fait pour apprécier, autant que d’autres, les plus éminentes qualités de l’esprit, s’associent aux regrets que la France entière témoignera bientôt, en apprenant qu’un des plus illustres représentants de son intelligence et de son goût s’est condamné, avant le temps, à quitter la chaire qu’il avait consacrée. […] Il fait remarquer qu’en donnant ses Maximes, La Rochefoucauld a gravé son propre portrait : Et le portrait, ajoute-t-il magnifiquement, est aussi celui de l’homme de son temps, tel que La Rochefoucauld l’avait vu, et même de l’humanité tout entière. […] Mais il y a tel instant où, du fond de cette vanité, de cet égoïsme, de cette petitesse, de ces misères, de cette boue dont nous sommes faits, sort tout à coup un je ne sais quoi, un cri du cœur, un mouvement instinctif et irréfléchi, quelquefois même une résolution, qui ne se rapporte pas à nous, mais à un autre, mais à une idée, à notre père et à notre mère, à notre ami, à la patrie, à Dieu, à l’humanité malheureuse, et cela seul trahit en nous quelque chose de désintéressé, un reste ou un commencement de grandeur, qui, bien cultivé, peut se répandre dans l’âme et dans la vie tout entière, soutenir ou réparer nos défaillances, et protester du moins contre les vices qui nous entraînent et contre les fautes qui nous échappent. […] [NdA] Ainsi, dans l’article de la Revue des deux mondes du 15 mai 1852, on est tout surpris de relire des passages entiers qui étaient dans l’article du Journal des savants du mois de mars précédent.

297. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

» quoi que ce fût, on croyait voir. » Le lendemain, à la réflexion, c’était autre chose ; l’admiration seule restait entière, et on allait à un autre cours. […] Sa philosophie n’était point spéculative, mais pratique ; de son cerveau, elle descendait dans son cœur, puis dans tout son être, et l’engageait tout entier. […] « C’étaient des journées, des nuits entières de méditations dans ma chambre ; c’était une concentration d’attention si exclusive et si prolongée sur les faits intérieurs, où je cherchais, la solution des questions, que je perdais tout sentiment des choses du dehors, et que, quand j’y rentrais pour boire et manger, il me semblait que je sortais du monde des réalités et passais dans celui des illusions et des fantômes. » Personne n’est plus capable de passion que les hommes intérieurs ; on l’a bien vu chez les puritains d’Angleterre. […] Il y a des philosophes qui croiraient se discréditer en avouant que leur science a des obscurités et que leur vue a des bornes ; ils auraient honte de fléchir sous un doute, ou de rester courts devant une objection ; ils goûtent l’admiration aussi vivement que les coquettes ; pour la garder entière, ils simulent des explications, comme elles achètent de fausses dents.

298. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Ainsi accaparé, il a supprimé la philosophie philosophique, laissant entières les objections anciennes, répétant les démonstrations anciennes, effaçant les questions de science, réduisant la science à une machine oratoire d’éducation et de gouvernement. […] Pour la première fois, la science des méthodes et des vues d’ensemble demeurait nulle, laissant les sciences particulières marcher à leur gré et toutes seules, rattachée tout entière à la morale, commentaire du Vicaire savoyard, demandant à la religion place à côté d’elle, et réduite à lui offrir respectueusement un secours suspect94. […] On finit par faire des avances au clergé, présenter la philosophie comme l’alliée affectueuse et indispensable de la religion, offrir le dieu de l’éclectisme comme une base « qui peut porter la trinité chrétienne », et l’éclectisme tout entier comme une foi préparatoire « qui laisse au christianisme la place de ses dogmes, et toutes ses prises sur l’humanité99. » Il eût été bien difficile de ne pas réussir avec tant d’adresse, avec tant de soin pour séduire, amuser, entraîner et ménager les esprits, avec tant de précautions pour suivre ou devancer leur marche. […] Si nous redevenons critiques, douteurs, amateurs d’exactitude, exigeants en matière de démonstration, nous examinerons de nouveau les raisonnements qui depuis trente ans passent pour bons, et nous les traiterons comme au dix-huitième siècle on traita ceux de Malebranche, de Leibnitz, de Descartes, avec cette différence qu’aujourd’hui le scepticisme est usé, que la pleine destruction ennuie, que les progrès de l’expérience ont amassé depuis cinquante ans des moitiés de science et des sciences entières, prouvées et solides, utiles pour bâtir la route, et des lumières grandioses, quoique fumeuses, érigées en Allemagne pour nous indiquer le but.

299. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

On voit ainsi que, dans la ligne droite tracée à partir d’un point, le tracé entier, c’est-à-dire la ligne droite elle-même, étant déterminé uniquement et complètement par son rapport avec un seul second point, tous ses caractères, quels qu’ils soient, connus ou inconnus, dérivent uniquement et complètement du rapport qu’il a avec ce seul second point. […] Puisque le tracé entier est complètement et uniquement déterminé par son rapport avec le second point et dérive de là tous ses caractères, chacune de ses portions constituantes est uniquement et complètement déterminée par le même rapport et dérive aussi de là tous ses caractères, sauf un, qui est la propriété d’être telle portion et non telle autre, située à tel ou à tel endroit de la ligne, au commencement, à la fin ou au milieu. […] Par conséquent, deux droites qui ont deux points communs coïncident dans toute leur étendue, à quelque distance qu’on les prolonge ; ou encore, deux points suffisent à déterminer complètement dans une ligne droite, non seulement le tracé qui les réunit, mais encore le tracé tout entier prolongé des deux côtés aussi loin que l’on voudra. […] Soit une droite inflexible AB ; supposons qu’elle remonte tout entière et de façon à rester toujours parallèle à sa première position ; au bout d’un certain temps elle devient A′B′ parallèle à AB, et nous convenons que ce laps de temps est une seconde. […] Ce sont ceux qui concernent, non plus telle durée comparée à telle durée, tel espace comparé à tel espace, mais la durée tout entière et l’espace tout entier.

300. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Il y faudrait le volume tout entier. […] Non, son esprit est tout à lui et tient à sa nature entière. […] Elle sombre tout entière dans l’ennui. […] Mais leur pessimisme à eux se ressent, comme leur œuvre entière, de leur nature de collectionneurs et de contemplateurs. […] Le talent descriptif lui paraissait tenir tout entier dans le choix du détail évocateur.

301. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Tout en prenant leur part du mouvement de la Renaissance, aucun pays, aucune littérature, n’ont su mieux préserver leur entière originalité. […] Et nous discernerions alors moins clairement les trois ou quatre thèses fondamentales auxquelles on peut réduire la doctrine entière. […] En ce sens, on peut dire que la « philosophie » de Molière, c’est Molière lui-même, et je vais essayer de montrer qu’à la bien entendre, c’est Molière tout entier. […] Je ne parle point de Rousseau : Rousseau vient d’ailleurs ; mais Voltaire et Diderot y sont bien tout entiers. […] On peut diviser l’œuvre entière de Voltaire en trois parts d’inégal volume, d’inégale importance, et d’inégal intérêt.

302. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — Préface (1859) »

Ils n’en peuvent donner l’idée exacte et complète, mais ils contiennent une lueur de l’œuvre entière. […] Le lecteur trouvera certainement juste d’attendre, pour les apprécier définitivement, que la Légende des Siècles ait paru en entier.

303. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

Heureusement ce petit journal, qui s’intitulait Éphèmèrides comme celui de Casaubon, a été presque tout entier brûlé, et par lui-même ; il n’en est resté qu’un cahier, choisi comme à plaisir12. […] savoir le grec, ce n’est pas comme on pourrait se l’imaginer, comprendre le sens des auteurs, de certains auteurs, en gros, vaille que vaille (ce qui est déjà beaucoup), et les traduire à peu près ; savoir le grec, c’est la chose du monde la plus rare, la plus difficile, — j’en puis parler pour l’avoir tenté maintes fois et y avoir toujours échoué ; — c’est comprendre non pas seulement les mots, mais toutes les formes de la langue la plus complète, la plus savante, la plus nuancée, en distinguer les dialectes, les âges, en sentir le ton et l’accent, — cette accentuation variable et mobile, sans l’entente de laquelle on reste plus ou moins barbare ; — c’est avoir la tête assez ferme pour saisir chez des auteurs tels qu’un Thucydide le jeu de groupes entiers d’expressions qui n’en font qu’une seule dans la phrase et qui se comportent et se gouvernent comme un seul mot ; c’est, tout en embrassant l’ensemble du discours, jouir à chaque instant de ces contrastes continuels et de ces ingénieuses symétries qui en opposent et en balancent les membres ; c’est ne pas rester indifférent non plus à l’intention, à la signification légère de cette quantité de particules intraduisibles, mais non pas insaisissables, qui parsèment le dialogue et qui lui donnent avec un air de laisser aller toute sa finesse, son ironie et sa grâce ; c’est chez les lyriques, dans les chœurs des tragédies ou dans les odes de Pindare, deviner et suivre le fil délié d’une pensée sous des métaphores continues les plus imprévues et les plus diverses, sous des figures à dépayser les imaginations les plus hardies ; c’est, entre toutes les délicatesses des rhythmes, démêler ceux qui, au premier coup d’œil, semblent les mêmes, et qui pourtant diffèrent ; c’est reconnaître, par exemple, à la simple oreille, dans l’hexamètre pastoral de Théocrite autre chose, une autre allure, une autre légèreté que dans l’hexamètre plus grave des poètes épiques… Que vous dirais-je encore ? […] A propos de l’Électre de Sophocle, il rencontre un vers qui est tout entier ou presque tout entier en monosyllabes : sur ce, il remarque et note tous les vers qu’il connaît, composés également de monosyllabes : « Racine, dans Phèdre : Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur. […] Mais, par une raison contraire, elle n’est point offensée de nos monosyllabes français, parce qu’elle y est accoutumée, et que non-seulement il n’y a point de rudesse à en joindre plusieurs ensemble, mais il y a même de la douceur, puisque l’on en fait des vers tout entiers, et que celui de M. de Malherbe qu’on allègue pour cela est un des plus doux et des plus coulants qu’il ait jamais faits.

304. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Que de fois, dans le doute, il a remporté chez lui les dossiers, les a repassés tout entiers une dernière fois, de peur de ne pas être assez juste ! […] Cette année, Messieurs, l’Académie n’a pas d’action d’éclat à célébrer et à couronner ; elle a mieux, si j’ose dire : elle a des existences, des vies tout entières dévouées au bien à récompenser et à raconter devant vous. […] Plus d’une fois elle a porté la peine de son zèle et de ses pieux excès : après s’être dévouée à soigner des familles entières dans une épidémie de fièvre typhoïde qui sévit dans la contrée en 1839, elle tomba malade elle-même et faillit succomber : D’autres fois, après avoir surmonté toutes ses nausées auprès de certains malades, après avoir fait l’impossible en constance, en patience, en refoulement de toutes les délicatesses, la nature à la fin se révolte et se revanche ; il y a un lendemain ; et le devoir accompli, le malade soigné, le mort enseveli, la courageuse infirmière est demeurée des huit jours entiers le cœur soulevé, rassasié, sans pouvoir prendre presque aucune nourriture : elle a eu le contrecoup de son dévouement. […] Les faits particuliers qui nous sont attestés et qui nous donnent la mesure de son zèle au bien ne sauraient se reproduire ici : enfants nouveau-nés, trouvés sous des portes cochères, et qu’on va déposer d’abord chez Mme Navier ; — jeunes filles de dix ans, abandonnées par d’indignes parents, quelle recueille, qu’elle instruit, quelle ne laisse qu’après les avoir mises en lieu sûr ; — quelquefois des familles entières qu’elle entreprend de sauver de la détresse, et dont elle place les différents membres ; — des orphelins même qu’on lui envoie de province, comme si ce gouffre de Paris ne lui suffisait pas : — on admire, rien qu’à y jeter les yeux et à l’entrevoir un moment, cette série d’œuvres continuelles et cachées, ce courant salutaire et pur à côté d’autres qui le sont moins ou qui sont tout à fait contraires : c’est ainsi, selon une juste remarque, qu’au sein des sociétés humaines subsiste et se renouvelle incessamment cette dose de bien nécessaire à l’équilibre moral du monde.

305. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Lorsqu’on entre dans la première période de la jeunesse, on aperçoit devant soi la vie entière, comme un ensemble complet de malheurs ou d’infortunes, qui peut devenir votre partage. […] Ce n’est pas qu’il n’y ait quelques vérités qui méritent la conviction entière de l’homme ; mais soyez assuré qu’elles sont en très-petit nombre. […] A ces esprits, si distingués d’ailleurs, il manque, pour connaître tout l’homme et toute la société, d’être allé jusqu’aux dernières limites, d’avoir fait le tour entier des vérités ou des réalités. […] Cependant vous seriez infidèle à la Providence si vous vous arrêtiez ; le prix n’en sera pas dans le retentissement de votre nom (vanitas vanitatum), il sera tout entier dans l’action que vous exercerez sur de nobles esprits… » Un jour, M.  […] Je sais qu’il y a de vos amis qui craignaient pour vous l’ennui et l’espèce de vide qu’éprouvent ceux qui quittent la vie active : quant à moi, je n’ai jamais conçu ces inquiétudes ; j’ai eu plus de confiance dans la force si entière de votre esprit.

306. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Qu’ils sont rares ceux qui, dans l’ordre de la pensée, se fixent à temps et adhèrent sans réserve à la vérité reconnue par eux perpétuelle, universelle et sainte ; qui, non contents de la reconnaître, s’y emploient tout entiers, y versent leurs facultés, leurs dons naturels : riches leur or, pauvres leur denier, passionnés leurs passions ; orgueilleux s’y prosternent, voluptueux s’y sèvrent, nonchalants s’y aiguillonnent, artistes s’y disciplinent et s’y oublient ; qui deviennent ici-bas une volonté humble et forte, croyante et active, aussi libre qu’il est possible dans nos entraves, une volonté animant de son unité souveraine la doctrine, les affections et les mœurs ; véritables hommes selon l’esprit ; sublimes et encourageants modèles ! […] Vers huit ou neuf ans, cette perpétuelle activité se tourna en entier du côté de l’étude, de la lecture et de la piété. […] Ceci devint plus sérieux alors ; sa première communion en fut retardée, et il ne la fit qu’après son entier retour à la foi, c’est-à-dire à vingt-deux ans environ. […] Pour ceux qui cherchent dans les moindres détails des traits de caractère, ajoutons que M. de La Mennais, quand il était dans le monde, avait une passion extrême pour faire des armes, et qu’il donnait souvent à l’escrime des journées entières : ce sera un symbole de polémique future, si l’on veut. […] Pendant les intervalles de la controverse vigoureuse à laquelle on l’aurait cru tout employé, serein et libre, retiré de ce monde politique actif où le Conservateur l’avait vu un instant mêlé et d’où tant d’intrigues hideuses l’avaient fait fuir, entouré de quelques pieux disciples, sous les chênes druidiques de La Chênaie, seul débris d’une fortune en ruine, il composait les premières parties d’un grand ouvrage de philosophie religieuse qui n’est pas fini, mais qui promet d’embrasser par une méthode toute rationnelle l’ordre entier des connaissances humaines, à partir de la plus simple notion de l’être : le but dernier de l’auteur, dans cette conception encyclopédique, est de rejoindre d’aussi près que possible les vérités primordiales d’ailleurs imposées, et de prouver à l’orgueilleuse raison elle-même qu’en poussant avec ses seules ressources elle n’a rien de mieux à faire que d’y aboutir.

307. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Si je ne puis l’être tout-à-fait, il faut du moins que je sois muet ; car, voyez-vous, il faut être régulier avec les réguliers, comme j’ai été loup avec vous et avec les autres loups vos compères. » Mais ses habitudes naturellement chastes et réservées prévalurent, quand il ne fut plus entraîné par des compagnons de plaisir ; et quelques mois après, il répondait fort sérieusement à une insinuation railleuse de l’abbé Le Vasseur que, Dieu merci, sa liberté était sauve encore, et que, s’il quittait le pays, il remporterait son cœur aussi sain et aussi entier qu’il l’avait apporté ; et là-dessus il raconte un danger récent auquel sa faiblesse a heureusement échappé. […] Animé par la jeunesse et l’amour de la gloire, aiguillonné à la fois par ses admirateurs et ses envieux, il se livra tout entier au développement de son génie. […] A y regarder de près, ce sont, entre les traditions contradictoires, des efforts de conciliation ingénieux, mais peu faits pour éclairer : Racine admet d’une part la version de Plutarque, qui suppose que Thésée, au lieu de descendre aux enfers, avait été simplement retenu prisonnier par un roi d’Épire dont il avait voulu ravir la femme pour son ami Pirithoüs, et d’autre part il fait dire à Phèdre, sur la foi de la rumeur fabuleuse : Je l’aime, non point tel que l’ont vu les Enfers… Dans Euripide, Vénus apparaît en personne et se venge ; dans Racine, Vénus tout entière à sa proie attachée n’est qu’une admirable métaphore. […] La vie de retraite, de ménage et d’étude, qu’il mena pendant les douze années de sa maturité la plus entière, semblerait confirmer notre conjecture. […] Il est vrai que ce gracieux épisode de la Bible s’encadre entre deux événements étranges, dont Racine se garde de dire un seul mot, à savoir le somptueux festin d’Assuérus, qui dura cent quatre-vingts jours, et le massacre que firent les Juifs de leurs ennemis, et qui dura deux jours entiers, sur la prière formelle de la Juive Esther.

308. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Le philosophe veut rendre durable la volonté passagère de la réflexion ; l’art social tend à perpétuer l’action de la sagesse ; enfin ce qui est grand se retrouve dans ce qui est petit, avec la même exactitude de proportions : l’univers tout entier se peint dans chacune de ses parties, et plus il paraît l’œuvre d’une seule idée, plus il inspire d’admiration. […] Nul homme, dans ce mouvement terrible, n’achève ce qu’il a commencé ; nul homme ne peut se flatter de diriger une impulsion dont la nature des choses s’empare ; et cet Anglais qui voulut descendre dans sa barque la chute du Rhin à Schaffhouse, était moins insensé que l’ambitieux qui croirait pouvoir se conduire avec succès à travers une révolution tout entière. […] n’êtes-vous pas heureux qu’une nation tout entière se soit placée à l’avant-garde de l’espèce humaine pour affronter tous les préjugés, pour essayer tous les principes ? […] Il y a de l’avantage à se proposer pour but de son travail sur soi, la plus parfaite indépendance philosophique ; les essais même inutiles, laissent encore après eux des traces salutaires ; agissant à la fois sur son être tout entier, on ne craint pas, comme dans les expériences sur les nations, de disjoindre, de séparer, d’opposer l’un à l’autre toutes les parties diverses du corps politique. […] Il semble qu’on ne s’est jamais assez mis à la disposition de ceux qu’on aime, qu’on ne leur a jamais assez prouvé qu’on ne pouvait exister sans eux ; que l’occupation, les services de tous les jours ne satisfont pas assez au gré de la chaleur de l’âme, le besoin qu’on a de se dévouer, de se livrer en entier aux autres ; on se fait un avenir tout composé des liens qu’on a formés.

309. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Toute la littérature classique porte l’empreinte de ce talent ; il n’y a pas de genre où il ne pénètre et n’introduise les qualités d’un bon discours  Il domine dans les genres qui, par eux-mêmes, ne sont qu’à demi littéraires, mais qui, grâce à lui, le deviennent, et il transforme en belles œuvres d’art des écrits que leur matière semblait reléguer parmi les livres de science, parmi les instruments d’action, parmi les documents d’histoire, traités philosophiques, exposés de doctrine, sermons, polémique, dissertations et démonstrations, dictionnaires mêmes, depuis Descartes jusqu’à Condillac, depuis Bossuet jusqu’à Buffon et Voltaire, depuis Pascal jusqu’à Rousseau et Beaumarchais, bref la prose presque tout entière, même les dépêches officielles et la correspondance diplomatique, même les correspondances intimes, et, depuis Mme de Sévigné jusqu’à Mme du Deffand, tant de lettres parfaites échappées à la plume de femmes qui n’y songeaient pas  Il domine dans les genres qui, par eux-mêmes, sont littéraires, mais qui reçoivent de lui un tour oratoire. […] Quand j’ai lu la série des romanciers anglais, Defoe, Richardson, Fielding, Smollett, Sterne et Goldsmith, jusqu’à Miss Burney et Miss Austen, je connais l’Angleterre du dix-huitième siècle ; j’ai vu des clergymen, des gentilshommes de campagne, des fermiers, des aubergistes, des marins, des gens de toute condition, haute et basse ; je sais le détail des fortunes et des carrières, ce qu’on gagne, ce qu’on dépense, comment l’on voyage, ce qu’on mange et ce qu’on boit ; j’ai en mains une file de biographies circonstanciées et précises, un tableau complet, à mille scènes, de la société tout entière, le plus ample amas de renseignements pour me guider quand je voudrai faire l’histoire de ce monde évanoui. […] Pour eux, l’écorce est l’arbre entier, et, l’opération faite, ils s’éloignent avec l’épiderme sec et mort, sans plus jamais revenir au tronc. […] J’ai vu les lettres décliner et tomber enfin dans une décadence presque entière. […] I.) — « Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entresuivent de même. » (Descartes, Discours de la méthode, I, 142.) — Au dix-septième siècle, on construit a priori avec des idées, au dix-huitième siècle avec des sensations, mais toujours par le même procédé, qui est celui des mathématiques et qui s’étale tout entier dans l’Éthique de Spinosa.

310. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Son oraison funèbre eût été belle encore ; elle eût été tout entière dans ces paroles qu’un étranger de grand mérite (lord Shelburne, depuis marquis de Lansdowne) avait pu dire, en revenant de le visiter quelques années auparavant : J’ai vu pour la première fois de ma vie ce que je ne croyais pas qui puisse exister : c’est un homme dont l’âme est absolument exempte de crainte et d’espérance, et cependant est pleine de vie et de chaleur. […] L’occasion, qui nous révèle tout entier aux autres et à nous-même, l’alla chercher dans la tempête civile et le trouva tout préparé ; il vit celui qu’il avait appelé son maître, seul, sans défense, dans un cachot, et il s’avança en lui tendant les bras. […] Le travail de mon Année littéraire ne me permet pas de faire de petites brochures détachées ; mon ouvrage m’occupe tout entier et ne me laisse point le temps de faire autre chose. […] À cela, monsieur, voulez-vous que je vous réponde avec une confiance entière et que je vous ouvre mon cœur ? […] Qu’ils écrivent contre moi tant qu’ils voudront ; je suis bien sûr qu’avec un seul trait je ferai plus de tort à leur petite existence littéraire qu’ils ne pourront me nuire avec des pages entières de l’Encyclopédie.

311. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Je reste des journées entières chez moi : je lis, j’écris pour les affaires de M. de Monnier. […] Mirabeau profite de cette insistance de la marquise au sujet de Belinde pour lui fournir la preuve la plus satisfaisante qu’il n’est point amoureux de celle-ci : « C’est, dit-il, que je le suis d’une autre. » Là-dessus questions, raillerie, curiosité coquette et imprudente, déclaration moins qu’à demi voilée, impatience et curiosité nouvelle, puis l’entière déclaration au bout, telle qu’on la prévoit : Il faut vous contenter, dit enfin Mirabeau qu’on a amené où il a voulu. […] Si loin que Mme de Monnier eût poussé la faiblesse avec M. de Montperreux, il n’y avait point eu de sa part faute entière et irréparable. […] La singulière place d’honneur, pourtant, qu’il s’était choisie, en entendant de la sorte la vie privée, et en ne l’embrassant ainsi que pour la consumer tout entière et la ravager ! […] Ce Dialogue se passe tout entier à combattre les scrupules de Sophie, à réfuter philosophiquement ses idées sur le devoir, sur la pudeur.

312. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Or ce que nous affirmons de l’assimilation et de l’invention, nous devons l’affirmer de la pensée tout entière ; car toute pensée, simple concept ou jugement, a été dans l’âme une première fois avant d’y devenir habituelle et familière, et, cette première fois, elle a été assimilée ou inventée ; elle est venue du dehors par le moyen des mots, ou bien nous l’avons trouvée par notre propre réflexion, en nous aidant, pour la chercher et pour chercher son expression, des notions et des mots déjà connus. […] Lorsqu’une pensée nouvelle surgit dans notre esprit, elle ne peut avoir, puisqu’elle est nouvelle, d’expression toute faite dans notre mémoire ; il faut donc, après avoir trouvé l’idée, trouver une formule qui l’exprime exactement dans son entier et dans sa nuance propre, sans en négliger ni en fausser aucun élément. […] Des analyses qui précèdent détachons, avant d’aller plus loin, un point important : l’expression primitive d’une pensée peut être non seulement inexacte, équivoque, obscure, mais encore incomplète ; il arrive souvent qu’une partie de l’idée reste tout d’abord sans expression ; or cette partie, nous sommes libres de l’envisager comme une idée entière [ch. […] Tels sont les enfants ; tels sont en général les ignorants ; et le plus grand savant, en face d’un problème nouveau, est momentanément un ignorant ; il tâtonne, il cherche, il reste quelquefois des années entières sans trouver la vraie formule de sa pensée ; parfois il y renonce. […] Voici le passage entier : Il est certains esprits dont les sombres pensées Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ; Le jour de la raison ne le saurait percer.

313. (1904) Zangwill pp. 7-90

Mirbeau découvrait que Napoléon était le dernier des imbéciles, ce grand romantique rentier révolutionnaire ne faisait que suivre les leçons de ses anciens professeurs d’histoire ; ainsi, continuait l’historien Pierre Deloire, ainsi le professeur d’histoire, étant le roi, l’empereur, le général, tenait le monde entier sur ses genoux, et il pouvait, dans le chef-lieu de son arrondissement, mépriser le sous-préfet et les sous-lieutenants d’artillerie, qui ne sont que les subordonnés de l’empereur et des généraux ; il se payait ainsi des idées que le sous-préfet manifestait sur la supériorité de la hiérarchie administrative, et les sous-lieutenants sur la supériorité de la hiérarchie militaire. […] « On imagine donc (sans doute hors de notre planète) la possibilité d’êtres auprès desquels l’homme serait presque aussi peu de chose qu’est l’animal relativement à l’homme ; une époque où la science remplacerait les animaux existants par des mécanismes plus élevés, comme nous voyons que la chimie a remplacé des séries entières de corps de la nature par des séries bien plus parfaites. […] « Car le génie n’est rien qu’une puissance développée, et nulle puissance ne peut se développer tout entière, sinon dans le pays où elle se rencontre naturellement et chez tous, où l’éducation la nourrit, où l’exemple la fortifie, où le caractère la soutient, où le public la provoque. […] Si cet esprit est une forme littéraire et gouverne un âge entier, l’écrivain est un Racine. […] L’artiste seul prend cette promenade pour domaine, la prend tout entière, et se trouve muni, pour la reproduire, d’instruments que nul ne possède ; en sorte que sa copie est la plus fidèle, en même temps qu’elle est la plus complète.

314. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Les sensations entièrement nouvelles que j’y trouvai, les visions que j’y eus d’un monde divin, étranger à nos froides et mélancoliques contrées, m’absorbèrent tout entier. […] Le monde entier alors me parut barbare. […] Il y a eu un peuple d’aristocrates, un public tout entier composé de connaisseurs, une démocratie qui a saisi des nuances d’art tellement fines que nos raffinés les aperçoivent à peine. […] Si l’on ne tombait pas juste, on craignait une peste, quelque engloutissement de ville, un pays tout entier changé en marais, tel ou tel de ces fléaux dont il disposait de son vivant. […] Lambeau par lambeau, le corps y passa tout entier ; la balance ne remuait pas encore.

315. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Alors Parsifal oublie sa chaumière natale, sa mère, le monde entier pour une seule pensée : revoir les chevaliers et se faire chevalier lui-même. […] Là, où elle se trouve à un degré supérieur, elle rend le cœur si grand, qu’il embrasse le monde entier, de façon qu’il contient maintenant le Tout, que rien n’est plus en dehors de lui, puisque tous les êtres s’identifient avec lui. […] Wagner n’eut jamais d’emploi ; sa vie entière fut consacrée aux études philologiques et de littérature, et il fit preuve, par le nombre de sujets qu’il a traités, de cette universalité qui, plus tard, caractérisa le génie de son neveu. […] La Volonté est l’essence intime de la Nature, et comme telle est partout présente, toute et entière. […] Il y dirige à partir de 1885, ce qui lui vaut une réputation de grand wagnérien dans l’Europe entière.

316. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

Pour avoir une idée de l’élévation, de la sainteté des sentiments qui animaient cette société conjugale des Indes primitives, il faudrait lire en entier cette admirable apostrophe de l’épouse à l’époux : « Il ne faut pas te lamenter ainsi, lui dit-elle, comme un homme de caste vulgaire. […] Parcourons le poème ; le voici : Le héros primitif, Douchmanta, régnait sur l’Inde tout entière. […] Dans ses bonds précipités, il vole plutôt qu’il n’effleure la terre… Lâche les rênes tout entières !  […] Puisse le ciel t’accorder un fils doué de toutes les vertus, un fils digne de régner un jour sur le monde entier ! […] … ce sourire dérobé, sur lequel on vous faisait prendre aussitôt le change d’une manière si adroite, n’est-ce pas là la preuve d’un amour qui, retenu par la plus aimable pudeur, s’il n’ose se dévoiler en entier, se laisse cependant deviner en partie ?

317. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Cette science est née le jour où la psychologie a embrassé l’homme tout entier dans ses observations et ses expériences, où, comprenant enfin que la vie humaine est une résultante fort complexe, elle a cherché les rapports de l’être sentant, pensant, voulant, avec l’organisme, avec la nature extérieure, avec la société dont il fait partie. […] C’est lui qui fait que l’histoire du genre humain est nécessairement un tout, c’est-à-dire une chaîne de traditions depuis le premier anneau jusqu’au dernier. » Nul n’a exprimé avec plus de force que Herder cette fatalité naturelle qui serait la loi du développement des individus, des sociétés et de l’humanité tout entière. […] Henri Martin, n’est-elle pas aussi tout entière dans la vive et brillante histoire de France de M.  […] Pour aimer l’action, pour s’y mettre tout entier, l’homme a besoin de croire à un résultat de cette action ; il entend faire une œuvre efficace dans la mesure de ses facultés et de ses forces ; il lui répugne d’imiter ces moines du désert qui, travaillant pour obéir à la règle, arrosaient tout le jour un bâton planté dans le sable. […] Dans l’histoire des guerres de religion qui ont désolé la France au xvie  siècle, si l’on se rend bien compte du fanatisme des sectes religieuses, des passions populaires, des intérêts politiques engagés dans la lutte, on parvient à comprendre comment la Saint-Barthélemy n’est point sortie tout entière du cabinet d’une Catherine de Médicis, abusant de la signature d’un Charles IX.

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