/ 2522
41. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

La jalousie naturelle à tous les hommes ne s’apaise que si vous pouvez vous excuser, pour ainsi dire, d’un succès par un devoir ; mais si vous ne couvrez pas la gloire même du prétexte de votre situation et de votre intérêt, si l’on vous croit pour unique motif le besoin de vous distinguer, vous importunerez ceux que l’ambition amène sur la même route que vous. […] Ce même esprit devait inspirer plus d’éloignement encore pour les femmes qui s’occupaient trop exclusivement de ce genre d’étude, et détournaient ainsi leurs pensées de leur premier intérêt, les sentiments du cœur. […] Si l’on voulait que le principal mobile de la république française fût l’émulation des lumières et de la philosophie, il serait très raisonnable d’encourager les femmes à cultiver leur esprit, afin que les hommes pussent s’entretenir avec elles des idées qui captiveraient leur intérêt. […] Il n’y a que ces êtres en dehors des intérêts politiques et de la carrière de l’ambition, qui versent le mépris sur toutes les actions basses, signalent l’ingratitude, et savent honorer la disgrâce quand de nobles sentiments l’ont causée. […] Néanmoins un homme distingué ayant presque toujours une carrière importante à parcourir, ses talents peuvent devenir utiles aux intérêts de ceux mêmes qui attachent le moins de prix aux charmes de la pensée.

42. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Les courtisans le louent par intérêt ; le peuple, par un sentiment qui lui fait respecter tout ce qu’il craint ; les gens à imagination par enthousiasme : alors les orateurs lui vendent leurs panégyriques, les poètes leurs vers. […] Ils l’ont peint comme un esprit souple et puissant, qui, malgré les ennemis et les rivaux, parvint aux premières places, et s’y soutint malgré les factions ; qui opposait sans cesse le génie à la haine, et l’activité aux complots ; qui, environné de ses ennemis, qu’il fallait combattre, avait en même temps les yeux ouverts sur tous les peuples ; qui saisissait d’un coup d’œil la marche des États, les intérêts des rois, les intérêts cachés des ministres, les jalousies sourdes ; qui dirigeait tous les événements par les passions ; qui, par des voies différentes, marchant toujours au même but, distribuait à son gré le mouvez ment ou le repos, calmait la France et bouleversait l’Europe ; qui, dans son grand projet de combattre l’Autriche, sut opposer la Hollande à l’Espagne, la Suède à l’Empire, l’Allemagne à l’Allemagne, et l’Italie à l’Italie ; qui, enfin, achetait partout des alliés, des généraux et des armées, et soudoyait, d’un bout de l’Europe à l’autre, la haine et l’intérêt[…] Sur l’art de négocier, et sur les intérêts politiques de l’Europe, ils conviennent qu’il montra du génie et une grande supériorité de vues : mais, dans ce genre même, ils lui reprochent une faute importante ; c’est le traité de 1635, portant partage des Pays-Bas espagnols, entre la France et la Hollande. […] Ils avouent que l’abaissement des grands était nécessaire ; mais ceux qui ont réfléchi sur l’économie politique des États, demandent si appeler tous les grands propriétaires à la cour, ce n’était pas, en se rendant très utile pour le moment, nuire par la suite à la nation et aux vrais intérêts du prince ; si ce n’était pas préparer de loin le relâchement des mœurs, les besoins du luxe, la détérioration des terres, la diminution des richesses du sol, le mépris des provinces, l’accroissement des capitales ; si ce n’était pas forcer la noblesse à dépendre de la faveur, au lieu de dépendre du devoir ; s’il n’y aurait pas eu plus de grandeur comme de vraie politique à laisser les nobles dans leurs terres, et à les contenir, à déployer sur eux une autorité qui les accoutumât à être sujets, sans les forcer à être courtisans.

43. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

Il y avait des lois, il n’en respecta aucune dès qu’il s’agissait des intérêts de sa haine ; il persécuta ceux qui les réclamaient ; il opprima les corps établis pour en être les dépositaires et les vengeurs. […] Laubardemont, conseiller d’état, et l’un de ces hommes lâches et cruels faits pour servir d’instrument au plus cruel despotisme, pour égorger l’innocence aux pieds de la fortune, pour calculer toutes les infamies par l’intérêt, et avilir le crime même aux yeux de celui qui le commande et qui le paie, Laubardemont, enivré de sang et affamé d’or, présidait à la plupart de ces tribunaux, allait prendre d’avance les ordres de la haine, les recevait avec le respect de la bassesse, se pressait d’obéir pour ne pas faire attendre la vengeance, et, après avoir immolé sa victime, venait, pour le salaire d’un meurtre, recevoir le sourire d’un ministre. […] S’il humilia les grands, ce ne fut point pour l’intérêt des peuples ; jamais ce sentiment n’entra dans son âme. […] Ce n’est pas qu’on prétende attaquer ici les qualités que peut avoir ce ministre ; on convient qu’il eut du courage, un grand caractère, cette fermeté d’âme qui en impose aux faibles, et des vues politiques sur les intérêts de l’Europe ; mais il me semble qu’il eut bien plus de caractère que de génie : il lui manqua surtout celui qui est utile aux peuples, et qui, dans un ministre, est le premier, s’il n’est le seul. […] Qu’on les adore de leur vivant, cela est juste ; c’est le contrat éternel du faible avec le puissant ; mais la postérité, sans intérêt, doit être sans espérance comme sans crainte.

44. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » p. 118

Les plus connus sont ses Mémoires & Lettres sur la Guerre de la Valteline, & un Livre sur les Intérêts des Princes. […] Dans le second, il approfondit ce que la politique a de plus obscur ; il développe, d'une maniere lumineuse, les divers intérêts de toutes les Cours de l'Europe. Si ces intérêts ont changé, il n'en est pas moins vrai que les réflexions & les vûes de l'Auteur annoncent beaucoup de pénétration, de justesse, & de solidité.

45. (1864) Études sur Shakespeare

Il n’y a là qu’une combinaison décousue, sans intérêt comme sans vérité. […] Les devoirs ne se combattent pas plus que les intérêts ; la conscience ne flotte pas plus que les affections. […] L’illusion s’enfuit, et avec elle l’intérêt ; car, ainsi que l’illusion dramatique, l’intérêt ne peut s’attacher qu’à des impressions continuées et renouvelées dans une seule et même direction. […] Et, loin de lui conserver le même intérêt, n’aurait-on pas quelque peine à l’avouer pour la même personne ? […] Qui pourrait, sans de telles circonstances, prendre intérêt à cette scène d’enfantillages maternels ?

46. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Le préjugé et l’intérêt pourraient seuls en ternir l’évidence ; mais jamais cette évidence ne manquera à une tête saine et à un cœur droit. […] On est convaincu que l’homme, surtout l’homme du peuple, est naturellement sensible, affectueux, que tout de suite il est touché par les bienfaits et disposé à les reconnaître, qu’il s’attendrit à la moindre marque d’intérêt, qu’il est capable de toutes les délicatesses. […] Des hommes demi-nus ou vêtus de peaux de bêtes sont assemblés sous un grand chêne ; au milieu d’eux, un vieillard vénérable se lève, et leur parle « le langage de la nature et de la raison » ; il leur propose de s’unir, et leur explique à quoi ils s’obligent par cet engagement mutuel ; il leur montre l’accord de l’intérêt public et de l’intérêt privé, et finit en leur faisant sentir les beautés de la vertu435. […] Ces maîtres de l’homme sont le tempérament physique, les besoins corporels, l’instinct animal, le préjugé héréditaire, l’imagination, en général la passion dominante, plus particulièrement l’intérêt personnel ou l’intérêt de famille, de caste, de parti. Nous nous tromperions gravement si nous pensions qu’ils sont bons par nature, généreux, sympathiques, ou, tout au moins, doux, maniables, prompts à se subordonner à l’intérêt social ou à l’intérêt d’autrui.

47. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Il honore l’Église, ses cardinaux, et le pape même, tant qu’ils ne traversent pas ses intérêts ; et, au prix de son respect, de ses dons, ce qu’il leur demande surtout, ce sont des pardons, des absolutions : de quoi se mettre la conscience en repos, avant de faire ou après avoir fait ses affaires. […] Il y a ici un accent, une note que ne donnent ni l’intérêt politique, ni la conviction personnelle, ni le simple esprit guerrier : il y a ici du sentiment qui mène Yvain à la fontaine merveilleuse. […] Mais que le suzerain manque à son vassal, rien aussi n’oblige le vassal à garder une loi que le suzerain n’a pas gardée : patriotisme, salut public, aucune raison ne compte, et la guerre civile éclate, même devant l’ennemi, à moins que l’intérêt réciproque des deux adversaires n’amène, ou que l’intérêt commun des autres barons n’impose un accommodement. […] Mais on peut douter qu’il les ait jamais bien conçues, et ce ne sont pas les secrets de la stratégie ni des conseils qui font l’intérêt de son livre. […] Mais surtout l’homme, et l’homme féodal ne sont pas morts en lui : la religion n’a étouffé en lui ni l’intérêt ni l’orgueil.

48. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Les intérêts incidents à l’intérêt principal que font marcher les caractères, ont besoin d’un enchaînement sage qui les lie, et qui soutienne la curiosité jusqu’aux époques où tout se termine. […] L’intérêt des représentations théâtrales est fondé sur la peinture des passions et des temps, et non sur la sagesse des maximes. […] Ce genre admet peu de développements, et n’est jamais meilleur que par l’intérêt de situations. […] On se demandera d’où naquit l’intérêt que celui-ci put exciter dans Athènes ? […] eût-il fallu sacrifier un si brillant ouvrage à l’intérêt de n’y pas souffrir ces imperfections inévitables ?

49. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Ils ont composé quelques pastorales, sous la forme de romans, qui datent du temps où les Grecs cherchaient à occuper les loisirs de la servitude ; mais avant que les femmes eussent créé des intérêts dans la vie privée, les aventures particulières captivaient peu la curiosité des hommes ; ils étaient absorbés par les occupations politiques. […] C’est à la spiritualité des idées chrétiennes, à la sombre vérité des idées philosophiques qu’il faut attribuer cet art de faire entrer, même dans la discussion d’un sujet particulier, des réflexions touchantes et générales, qui saisissent toutes les âmes, réveillent tous les souvenirs, et ramènent l’homme tout entier dans chaque intérêt de l’homme. Les anciens savaient animer les arguments nécessaires à chaque circonstance ; mais de nos jours les esprits sont tellement blasés, par la succession des siècles, sur les intérêts individuels des hommes, et peut-être même sur les intérêts instantanés des nations, que l’écrivain éloquent a besoin de remonter toujours plus haut, pour atteindre à la source des affections communes à tous les mortels. […] Un sentiment plus doux donne aux modernes le besoin du secours, de l’appui, de l’intérêt qu’ils peuvent inspirer ; ils ont fait une vertu de tout ce qui peut servir au bonheur mutuel, aux rapports consolateurs des individus entre eux.

50. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la bienfaisance. »

La multitude de peines que savent causer les hommes les plus médiocres en tous genres, conduit à penser qu’un être généreux, quelle que fut sa position, se créerait, en se consacrant uniquement à la bonté, un intérêt, un but, un gouvernement, pour ainsi dire, malgré les bornes de sa destinée. Voyez Almont, sa fortune est restreinte, mais jamais un être malheureux ne s’est adressé à lui sans que, dans cet instant, il ne se soit trouvé les moyens de venir à son aide, sans que, du moins, un secours momentané n’ait épargné à celui qui prie, le regret d’avoir imploré en vain ; il n’a point de crédit, mais on l’estime, mais son courage est connu ; il ne parle jamais que pour l’intérêt d’un autre ; il a toujours une ressource à présenter à l’infortune, et il fait plus pour elle que le ministre le plus puissant, parce qu’il y consacre sa pensée tout entière. […] Si vous rencontrez Almont, quand votre âme est découragée, sa vive attention à vos discours vous persuade que vous êtes dans une situation qui captive l’intérêt, tandis que, fatigué de votre peine, vous étiez convaincu, avant de le voir, de l’ennui qu’elle devait causer aux autres ; vous ne l’écouterez jamais sans que son attendrissement pour vos chagrins, ne vous rende l’émotion dont votre âme desséchée était devenue incapable ; enfin, vous ne causerez point avec lui, sans qu’il ne vous offre un motif de courage, et qu’ôtant à votre douleur ce qu’elle a de fixe, il n’occupe votre imagination par un différent point de vue, par une nouvelle manière de considérer votre destinée ; on peut agir sur soi par la raison, mais c’est d’un autre que vient l’espérance. […] Almont ne s’écarte jamais, en faisant beaucoup de bien, du principe inflexible qui lui défend de se permettre ce qui pourrait nuire à un autre ; en réfléchissant sur la vie, on voit la plupart des êtres se renverser, se déchirer, s’abattre, ou pour leurs intérêts, ou seulement par indifférence pour l’image, pour la pensée de la douleur qu’ils n’éprouvent pas. […] C’est sur ce fondement que tous ont intérêt au sacrifice de chacun, et qu’on retrouve, comme dans le tribut de l’impôt, le prix de son dévouement particulier dans la part de protection qu’assure l’ordre général.

51. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Quels intérêts léserait-il ? […] Il est vrai qu’il s’agissait alors d’intérêts matériels, qui étaient opposés à d’autres intérêts matériels, d’une protection douanière, par exemple, qu’on accordait aux négociants de pétrole et qui pouvait nuire, par contre, aux fabricants d’automobiles. […] Il suffit qu’ils interviennent dans un litige, où les intérêts de la pensée pure entrent en conflit avec des intérêts moraux ou matériels, pour qu’aussitôt ils faussent le sens de tout le débat. […] Ses intérêts pécuniaires comme ses intérêts intellectuels primordiaux sont totalement méconnus. […] L’intérêt des lettres avant tout !

52. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Cependant la douce et honorable hospitalité de Vienne ne suffisait pas au maréchal ; il se sentait encore des forces, de l’ardeur, une curiosité active ; pour la satisfaire, pour tâcher de donner « un nouvel intérêt à son existence », il conçut le projet d’un grand voyage à travers la Hongrie, la Russie méridionale, jusqu’en Turquie, en Syrie et en Égypte. […] L’intérêt de ces sortes de voyages est surtout relatif au temps où ils s’exécutent, et les événements qui surviennent leur ôtent de cette nouveauté et de cet à-propos qui sont leur premier mérite. […] C’est le journal instructif d’un esprit supérieur qui prend intérêt avant tout aux choses de l’administration et de l’organisation sociale, et qui tient à les faire comprendre ; mais ces remarques positives et spéciales n’absorbent pas le voyageur, et le récit perd, en avançant, toute sécheresse. […] Ce sont les obstacles médiocres, les petits intérêts et les petites passions, les difficultés que notre esprit nous représente comme susceptibles d’être vaincues, qui nous irritent : alors l’impatience est comme un redoublement d’action, une exaltation de nos facultés vers le but que l’on veut atteindre. […] Parvenu à cet âge où tout l’intérêt et les consolations de la vie sont dans les méditations sur le passé, je lui adresse un dernier souvenir.

53. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Conclusion La perfectibilité de l’espèce humaine est devenue l’objet des sourires indulgents et moqueurs de tous ceux qui regardent les occupations intellectuelles comme une sorte d’imbécillité de l’esprit, et ne considèrent que les facultés qui s’appliquent instantanément aux intérêts de la vie. […] Si vous échappez à la conquête, tous les vices néanmoins s’introduiront chez vous, parce qu’il n’existera plus parmi les hommes que le seul intérêt du plaisir, et par conséquent de la fortune. […] est-ce de l’esprit que de gouverner sa fortune selon les intérêts d’une avide personnalité ? […] Mais, dix ans après, la route de l’existence est déjà profondément tracée, les opinions qu’on a montrées ont heurté des intérêts, des passions, des sentiments, et votre âme et votre pensée n’osent plus s’abandonner en présence de tous ces juges irrités : l’imagination peut-elle résister à cette foule de souvenirs pénibles qui vous assiègent à tous les moments ? […] Les esprits froids voudraient qu’on ne leur représentât que les aperçus de la raison, sans y joindre ces mouvements, ces regrets, ces égarements de la rêverie qui n’exciteront jamais leur intérêt ; je me résigne à leur critique.

54. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

L’unité d’intérêt subsiste avec le danger des personnages qui nous ont attachés dans le cours de la pièce. […] Des brigands sont toujours plus sensibles à leurs intérêts qu’à la gloire de leur pays, et nous voyons ces premiers Romains préférer la gloire et la patrie à leurs plus chers intérêts. […] Qu’importe que l’intérêt change d’objet, pourvu qu’il reste un grand intérêt dans la pièce, celui qu’inspire le souverain du monde, cette tête sur laquelle repose le bonheur du genre humain, prête à tomber sous les coups de quelques jeunes enragés ! […] D’où vient ce tendre intérêt que Voltaire affecte de prendre à l’honneur d’un plagiaire ? […] Ainsi, tous les amis de Voltaire vont criant que la pièce est ennuyeuse, triviale, sans mouvement et sans intérêt.

55. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

Et ce n’est pas tout : comme la condition absolument imposée par madame Scarron aurait été désagréable à madame de Montespan, si elle-même n’avait eu intérêt à ce que le roi préludât, par l’ordre demandé, à la reconnaissance de ses enfants, il est présumable qu’elle avait autorisé, peut-être même excité madame Scarron à l’exiger. Mais cela prouverait qu’elle connaissait l’intérêt que le roi portait à madame Scarron et son désir de lavoir pour gouvernante de ses enfants, ne prévoyant pas sans doute qu’un jour cet intérêt irait fort au-delà de l’estime et de la bienveillance. […] Comment opposer l’intérêt de cet honneur au prince qui donne son propre honneur pour garant d’un inviolable secret ? […] Madame Scarron n’était pas plus hypocrite quand elle invoquait la religion au secours de l’honnêteté de ses mœurs que Bossuet n’était un charlatan et un mondain, quand, plus tard, voulant ramener le roi à la soumission aux lois de l’Église, il invoquait, en faveur de la foi conjugale violée parce prince, les lois de l’honneur elles intérêts de la gloire qu’il s’était acquise. […] Un directeur était un parasite, « jaloux d’obtenir le secret des familles, aimant à trouver les portes ouvertes dans les maisons des grands, à manger souvent à de bonnes tables, à se promener en carrosse dans une grande ville, et à faire de délicieuses retraites à la campagne, à voir plusieurs personnes de nom et de distinction s’intéresser à sa vie, à sa santé, et à ménager pour les autres et pour lui-même tous les intérêts humains…, couvrant tous les intérêts du soucieux et irrépréhensible prétexte du soin des âmes ».

56. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

La réflexion avait peu de prise sur la vie du roi de Suède ; elle en eût même détruit l’intérêt. […] On lui demande de l’impartialité, et on lui reproche de manquer de chaleur et d’intérêt. […] Dans tout ce qu’il a écrit, on trouve de l’intérêt et du charme. […] Mais Buffon a traité des sujets d’un intérêt moins profond et moins général. […] Il sut y répandre un intérêt doux et des sentiments exprimés avec charme et vérité.

57. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

Peu importe que le sujet soit sans intérêt ! […] L’intérêt du spectacle réside tout entier dans l’habile construction de la pièce, et les héros des comédies actuelles ne sont que de simples fantoches à qui il arrive des aventures multiples. […] Le théâtre, mettant en jeu plus d’intérêts que le livre et visant un public plus étendu, fait par la force des choses plus de bruit. […] Mais l’intérêt excessif que nous portons aux cabotins, aux cabotines et au cabotinage est évidemment une faiblesse, et bien ridicule ! […] Cet intérêt, « l’intérêt excessif que nous portons aux cabotins, aux cabotines et au cabotinage, est une faiblesse, et bien ridicule », dit J.

58. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Les jouissances du pouvoir et des intérêts politiques remportent presque toujours sur les succès purement littéraires ; et quand la forme du gouvernement appelle les talents supérieurs à l’exercice des emplois publics, c’est vers l’éloquence, l’histoire et la philosophie, c’est vers la partie de la littérature qui tient le plus immédiatement à la connaissance des hommes et des événements, que se dirigent les travaux. […] Tite-Live, Salluste, des historiens d’un ordre inférieur, Florus, Cornelius Nepos, etc., nous charment par la grandeur et la simplicité des récits, par l’éloquence des harangues qu’ils prêtent à leurs grands hommes, par l’intérêt dramatique qu’ils savent donner à leurs tableaux. […] Les anciens, qui se complaisaient dans l’admiration, qui ne cherchaient point à diminuer l’odieux du vice, ni le mérite de la vertu, avaient une qualité presque aussi nécessaire à l’intérêt de la vérité qu’à celui de la fiction ; ils étaient fidèles à l’enthousiasme comme au mépris, et souvent même les caractères étaient plus soutenus dans leurs tableaux historiques que dans leurs ouvrages d’imagination. […] Le gouvernement républicain donne aux hommes, comme aux événements, un grand caractère ; et des siècles de monarchie despotique ou de guerres féodales, n’inspirent pas autant d’intérêt que l’histoire d’une ville libre. […] C’est à ces diverses considérations qu’il faut attribuer la supériorité des anciens dans le genre de l’histoire : cette supériorité tient principalement à cet art de peindre et de raconter qui suppose le mouvement, l’intérêt, l’imagination, mais non la connaissance intime des secrets du cœur humain, ou des causes philosophiques des événements30.

59. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

si l’on n’est pas content de l’activité de son ami, si l’on croit avoir à s’en plaindre, à la perte de l’objet de ses désirs viendra bientôt se joindre le chagrin plus amer de douter du degré d’intérêt que votre ami mettait à vous seconder. Enfin, en mêlant ensemble le sentiment et les affaires, les intérêts du monde et ceux du cœur, on éprouve une sorte de peine qu’on ne veut pas démêler, parce qu’il est plus honorable de l’attribuer au sentiment seul ; mais qui se compose aussi d’une autre sorte de regrets, rendus plus douloureux par leur mélange avec les affections de l’âme. Il semble alors qu’il vaudrait mieux séparer entièrement l’amitié de tout ce qui n’est pas elle ; mais son plus grand charme serait perdu, si elle ne s’unissait pas à votre existence entière : ne sachant pas, comme l’amour, vivre d’elle-même, il faut qu’elle partage tout ce qui compose vos intérêts et vos sentiments, et c’est à la découverte, à la conservation de cet autre soi, que tant d’obstacles s’opposent. […] Il faudrait donc ou une absence totale de sentiments vifs qui, en détruisant la rivalité, amortirait aussi toute espèce d’intérêt, ou une vraie supériorité, pour effacer la trace des obstacles généraux qui séparent les femmes entre elles ; il faut trouver autant d’agréments qu’on peut s’en croire, et plus de qualités positives, pour qu’il y ait du repos dans elle, et du dévouement en soi ; alors le premier bien, sans doute, est l’amitié d’une femme. […] Enfin, deux amis d’un sexe différent, qui n’ont aucun intérêt commun, aucun sentiment absolument pareil, semblent devoir se rapprocher par cette opposition même ; mais si l’amour les captive, je ne sais quel sentiment, mêlé d’amour propre et d’égoïsme, fait trouver à un homme ou à une femme liés par l’amitié, peu de plaisir à s’entendre parler de la passion qui les occupe ; ces sortes de liens ou ne se maintiennent pas, ou cessent, alors qu’on n’aime plus l’objet dont on s’entretenait, on s’aperçoit tout à coup que lui seul vous réunissait.

60. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

L’amour et l’honneur, les plus personnelles des passions, à peine touchées par l’art antique, font dans notre monde chrétien l’intérêt fondamental de la plupart des tragédies. […] Ici, les affections de famille font taire les intérêts de la cité. […] Mais, sensible à l’héroïsme et à tout ce qui est moral et vrai, il professe pour chaque personnage pris à part une profonde estime, un sérieux intérêt et une haute admiration. […] Le conflit des idées morales cessa d’être la substance de l’intérêt tragique, et le chœur rendu par là utile ne fut plus qu’un sentencieux hors-d’œuvre. […] L’intérêt romanesque, qu’inspirent la passion et la personne des amoureux, a remplacé l’intérêt plus élevé et surtout plus solide qui s’attachait dans le théâtre antique aux droits des époux ou des parents199.

61. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

Pour mieux défendre leurs propres intérêts, ils ont défendu les intérêts des autres, et, après avoir été les représentants de leurs pareils, ils sont devenus les représentants de la nation. — Rien de semblable en France. […] Assemblées du clergé. — Elles ne servent que l’intérêt ecclésiastique. — Le clergé exempté de l’impôt. — Sollicitations de ses agents. — Son zèle contre les protestants. […] Tous les cinq ans elle se réunit, et, dans l’intervalle, deux agents choisis par elle veillent aux intérêts de l’ordre. […] À tout le moins, il a comme eux son amour-propre, ses goûts, ses parents, sa maîtresse, sa femme, ses familiers, tous solliciteurs intimes et prépondérants qu’il faut d’abord satisfaire ; la nation ne vient qu’ensuite  En effet, pendant cent ans, de 1672 à 1774, toutes les fois qu’il fait une guerre, c’est par pique de vanité, par intérêt de famille, par calcul d’intérêt privé, par condescendance pour une femme. […] Le fermier est souverain législateur dans les matières qui font l’objet de son intérêt personnel.

62. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Cet intérêt, fruit de l'art & du génie ; cet heureux tissu de fictions ; ces combinaisons d'incidens qui saisissent & captivent l'ame du Lecteur, la tiennent dans un enchantement continuel, & la conduisent au dénouement, à travers une inépuisable variété de sensations ; où les trouve-t-on dans M. de Voltaire ? […] Quiconque saura apprécier les traits de l'Art & du Génie, sera forcé de convenir, qu'un seul des Episodes de cet Ouvrage immortel, renferme plus d'invention, de conduite, d'intérêt, de mouvemens & de vraie Poésie, que la Henriade entiere, moins approchante de l'Epopée, que du genre historique. […] Qui ne s'apperçoit en effet que ses Personnages montrent trop de penchant à discourir ; qu'ils raisonnent le plus souvent, lorsqu'ils devroient agir ; que le Poëte se met indiscrétement à leur place, mal-adresse qui nuit toujours à l'illusion & affoiblit l'intérêt ? […] Au talent de séduire par une superficie agréable, il joint une attention plus essentielle encore, celle de mettre les passions dans ses intérêts. […] Dans les Lettres, dans la Philosophie, dans l'Histoire, lorsqu'il est désintéressé, le vrai échappe rarement à sa vue ; mais le plus petit intérêt l'obscurcit, l'altere, le dénature, dans son esprit.

63. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Celui qui raconte n’est point appelé par sa situation ou son intérêt à raconter de la sorte. […] En dégageant le fait que l’on a choisi de tous les faits antérieurs, on porte plus directement l’intérêt sur un objet unique. […] Quel est celui qui, lorsqu’un grand intérêt l’anime, ne prête pas en tremblant l’oreille à ce qu’il croit la voix de la destinée ? […] Le sentiment qui méconnaît un devoir ne nous paraît qu’une faute de plus ; nous pardonnerions plus facilement à l’intérêt, parce que l’intérêt met toujours dans ses transgressions plus d’habileté et plus de décence. Le sentiment brave l’opinion, et elle s’en irrite : l’intérêt cherche à la tromper en la ménageant, et, lors même qu’elle découvre la tromperie, elle sait gré à l’intérêt de cette espèce d’hommage.

64. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

En effet la solidarité humaine est limitée dans l’espace par des communautés d’intérêts, intérêts immédiats, plus forts encore que l’unité idéale ; ces intérêts résultent par exemple de la nature du sol, de ses produits, des relations personnelles, des institutions, de la langue, des souvenirs, en un mot d’un ensemble de faits acquis par l’histoire. — Quels que soient les rapports de l’individu avec le milieu où il vit, qu’ils soient d’hostilité négative, ou au contraire de sympathie agissante, ou simplement de passivité, le fait est que l’existence d’un individu est inséparable de l’existence d’un certain groupe de contiguïté. […] De tous ces groupes coexistants, celui-là est le plus important dont l’individu a le plus nettement conscience et auquel il est le plus intimement lié par ses intérêts et par ses sympathies. […] Sans doute, le principe est toujours plus vaste que les groupes actuels, mais il y a toujours aussi une limite où son efficacité s’arrête, devant les intérêts plus forts d’autres groupes. […] Si le principe coïncidait avec les intérêts du groupe, il y aurait arrêt de vie ; le groupe, c’est le passé, l’acquis ; le principe c’est l’idéal, l’avenir. […] Dès que nos intérêts économiques, politiques ou autres sont enjeu, il nous est difficile de céder à un raisonnement qui porte précisément sur ce cas particulier de nos intérêts ; la vision d’une loi très générale, aussi vieille que l’humanité et inhérente à la nature humaine, serait d’une éloquence bien plus persuasive pour les bons esprits, et donnerait à la masse elle-même cette foi en ses destinées qui lui manque depuis longtemps, et qui seule est créatrice des grandes œuvres.

65. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Si les besoins rapprochent les hommes, les intérêts les séparent, quand ils ne les arment pas les uns contre les autres ; et la société qui ne s’appuierait que sur des besoins et des intérêts, serait bientôt détruite. […] Il y a danger, comme Cicéron le remarquait, voilà près de deux mille ans, dans ces variations arbitraires de langage ; l’intérêt bien entendu n’en est pas moins l’intérêt ; et l’interprétation peut changer perpétuellement, non pas seulement d’un individu à un autre, mais dans le même individu, qui n’a pas toujours de son intérêt, même en tâchant de le bien entendre, des notions pareilles et immuables. Si l’intérêt bien entendu est autre chose que le bien, il est alors à proscrire, ou du moins à subordonner. Ainsi, l’intérêt bien entendu ne peut pas plus prétendre à dominer l’homme que l’intérêt dans son acception la plus vulgaire et la moins calculée. […] La politique ne s’est guère élevée jusqu’à présent au-dessus de l’intérêt, et elle n’a presque jamais porté ses regards dans une région plus haute.

66. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

L’impartialité nous oblige à dire que tous les conseils de Marie-Thérèse à sa fille n’étaient pas également bons ; nous distinguerons entre ceux qu’elle lui donnait sur son métier de reine, conseils sages, utiles, excellents à suivre en tout point, et ceux que la politique particulière de l’Autriche lui dictait : ces derniers conseils, soupçonnés du public, étaient parfois périlleux pour Marie-Antoinette, tendaient à la rendre impopulaire et à justifier le reproche qu’on lui faisait généralement, de sacrifier l’intérêt de la France à celui de l’Autriche. […] Les ministres de Louis XVI, M. de Vergennes, M. de Maurepas lui-même, qui n’était pas si à mépriser qu’on l’a fait, sentaient à merveille que la France n’avait nul intérêt à favoriser l’ambition de Joseph II, encore moins à l’appuyer efficacement contre ce Frédéric qu’on avait eu le tort autrefois d’abandonner et qui avait grandi sans nous et malgré nous. […] Jugez combien j’en suis affectée ; l’intérêt de nos deux maisons, mais surtout celui de nos États et de l’Europe même en dépend : qu’on ne se précipite en rien et qu’on tâche de gagner du temps pour éviter l’éclat d’une guerre, qui, une fois commencée, pourra durer et avoir des suites malheureuses pour nous tous. […] Toute ma constance m’abandonne à ce souvenir… » Elle semble avoir eu vent de la note désapprobative, et des effets qu’elle a produits, lorsqu’elle écrit le 6 avril : « Je vous suis tendrement obligée de l’intérêt que vous prenez à ma situation. […] Nos intérêts (si on veut exterminer, je me sers de ce mot, car il faut le vouloir et ne pas négliger, d’écraser les anciens préjugés entre nos États et nations) — sont les mêmes, tant par rapport à notre sainte religion qui a bien besoin qu’on se tienne unis, que par rapport à nos intérêts. (23 août 1778.) » C’est dans cette lettre qu’elle confesse qu’il y a « un peu d’humeur » entre elle et son fils, à cause de cette négociation pacifique qu’elle avait pris sur elle d’entamer.

67. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VI »

Nous aurons une soirée intéressante, mais, d’ailleurs, il faut le dire, d’un intérêt fort différent de ceux qui nous avaient tout d’abord ligués. […] Il aurait continué à prouver que « le vice interne dont souffre notre société française, c’est l’émiettement des individus, isolés, diminués aux pieds de l’État trop puissant, rendus incapables par de lointaines causes historiques et plus encore par la législation moderne, de s’associer spontanément autour d’un intérêt commun ».‌ L’intérêt de telles études, c’est qu’elles sont entendues au point de vue historique et philosophique et qu’elles n’impliquent pas chez celui qui se plaint de notre législation le naïf espoir, ni même le désir très vif de la voir modifier. […] ∾ « Commune, Département, Église, École, ce sont-là, dans une nation, à côté de l’État, les principales sociétés qui peuvent grouper des hommes autour d’un intérêt commun et les conduire vers un but marqué : d’après ces quatre exemples, on voit déjà de quelle façon, à la fin du xviiie  siècle et à la fin du xixe , nos politiques et nos législateurs ont compris l’association humaine.

68. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Les hommes, privés d’occupations fortes, se resserrent tous les jours plus dans le cercle des idées domestiques, et la pensée, le talent, le génie, tout ce qui semble des dons de la nature, ne se développe cependant que par la combinaison des sociétés ; le même nombre d’hommes divisé, séparé, sans mobile et sans but, n’offre pas un génie supérieur, une âme ardente, un caractère énergique ; tandis que dans d’autres pays, parmi les mêmes êtres, plusieurs se seraient élevés au-dessus de la classe commune, si le but avait fait naître l’intérêt, et l’intérêt l’étude, et la recherche des grands moyens et des grandes pensées. […] On pourrait opposer à leurs raisonnements, que la principale cause de la destruction de plusieurs gouvernements a été d’avoir constitué dans l’État deux intérêts opposés : on a considéré comme le chef-d’œuvre de la science des gouvernements de mesurer assez les deux actions contraires, pour que la puissance aristocratique et démocratique se balança, comme deux lutteurs qu’une égale force rend immobiles. […] Ainsi l’on a vu la république Romaine déchirée, dès qu’une guerre, un homme, ou le temps seul a rompu l’équilibre. — On dira qu’en Angleterre il y a trois intérêts, et que cette combinaison plus savante, répond de la tranquillité publique. Il n’y a jamais trois intérêts dans un tel gouvernement, les privilégiés héréditaires et ceux qui ne le sont pas, peuvent être revêtus de noms différents ; mais la division se fait toujours sur ces deux bases, l’on se sépare et l’on se rallie, d’après ces deux grands motifs d’opposition. […] Ces hommes, séparés pendant le cours de leurs magistratures, par les exercices divers du pouvoir public, se réuniraient ensuite dans la nation, parce qu’aucun intérêt contraire ne les séparerait d’une manière invincible.

69. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Sur la reprise de Bérénice au Théâtre-Français »

Il y a eu de cette agréable surprise pour plus d’un spectateur d’aujourd’hui ; à la lecture, on n’y voit guère qu’une ravissante élégie ; à la représentation, quelques-unes des qualités dramatiques se retrouvent, et l’intérêt, sans aller jamais au comble, ne languit pas. Érudits comme nous le sommes devenus et occupés de la couleur historique, il y a pour nous, dans la représentation actuelle de Bérénice, un intérêt d’étude et de souvenir. […] Elle crut qu’une victoire obtenue sur l’amour le plus vrai et le plus tendre ennoblissait le sujet, et en cela elle ne se trompait pas ; mais elle avait encore un intérêt secret à voir cette victoire représentée sur le théâtre : elle se ressouvenait des sentiments qu’elle avait eus longtemps pour Louis XIV et du goût vif de ce prince pour elle. […] Mais les allusions perpétuelles, au temps de la représentation première, et tous les genres d’intérêt venaient aboutir à ce personnage impérial de Titus et converger à son front comme les rayons du diadème. […] Cette nature d’intérêt, ce me semble, doit suffire ; on ne sent jamais d’intervalle ni de pause.

70. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

Un beaucoup plus grand nombre d’hommes se mêle aux querelles politiques, parce que dans les intérêts de ce genre, toutes les passions se joignent à l’esprit de parti, et décident à suivre l’un ou l’autre étendard ; mais le pur fanatisme, dans tous les temps, et pour quelque but que ce soit, n’existe que dans un certain nombre d’hommes, qui auraient été Catholiques ou Protestants dans le xve  siècle, et se font aujourd’hui Aristocrates ou Jacobins. […] Enfin, l’esprit de parti, doit être de toutes les passions celle qui s’oppose le plus au développement de la pensée, puisque, comme nous l’avons déjà dit, ce fanatisme ne laisse pas même le choix des moyens pour assurer sa victoire, et que son propre intérêt ne l’éclaire point, quand il est entièrement de bonne foi. L’esprit de parti arrive souvent à son but par sa constance et son intrépidité, mais jamais par ses lumières : l’esprit de parti qui calcule n’est déjà plus, c’est alors une opinion, un plan, un intérêt ; ce n’est plus la folie, l’aveuglement qui ne pourrait cesser sur un point sans entrevoir tout le reste. […] Toutes les autres passions étant égoïstes, il s’établit dans plusieurs occasions une sorte de balance entre les divers intérêts personnels. […] L’esprit de parti est la seule passion qui se fasse une vertu de la destruction de toutes les vertus, une gloire de toutes les actions qu’on chercherait à cacher, si l’intérêt personnel les faisait commettre ; et jamais l’homme n’a pu être jeté dans un état aussi redoutable, que lorsqu’un sentiment qu’il croit honnête, lui commande des crimes ; s’il est capable d’amitié, il est plus fier de la sacrifier ; s’il est sensible, il s’enorgueillit de dompter sa peine : enfin, la pitié, ce sentiment céleste, qui fait de la douleur un lien entre les hommes ; la pitié, cette vertu d’instinct, qui conserve l’espèce humaine, en préservant les individus de leurs propres fureurs, l’esprit de parti a trouvé le seul moyen de l’anéantir dans l’âme, en portant l’intérêt sur les nations entières, sur les races futures, pour le détacher des individus ; l’esprit de parti efface les traits de sympathie pour y substituer des rapports d’opinion, et présente enfin les malheurs actuels comme le moyen, comme la garantie d’un avenir immortel, d’un bonheur politique au-dessus de tous les sacrifices qu’on peut exiger pour l’obtenir.

71. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

« Loin que l’éducation ait pour objet unique ou principal l’individu et ses intérêts, elle est avant tout le moyen par lequel la société renouvelle perpétuellement les conditions de sa propre existence. […] Elslander65 définissent cette éducation en fonction des intérêts sociaux et des destinées sociales telles qu’ils les conçoivent ; ils la subordonnent à quelques grandes lois directrices de l’évolution sociale qu’il convient de favoriser et dont le tenue semble être un eudémonisme collectif où l’individu s’absorberait passivement dans l’uniformité et la médiocrité générales. […] Il peut être de l’intérêt du groupe de tenter d’uniformiser et de discipliner les intelligences par l’instruction ; mais l’intérêt social ne coïncide pas avec l’intérêt individuel. […] À ce point de vue, ceux qui ont placé leur idéal moral dans l’épanouissement égoïste de leur moi, ainsi que le conseille Nietzsche, considéreront qu’il y a un antagonisme profond entre l’intérêt de l’individu et cette culture de la personnalité. […] Or il est évident que les réactions désordonnées ne peuvent que gêner les voisins, les effrayer et en conséquence les exciter contre lui70. » — Sans doute, répondrons-nous, l’individu a intérêt à ménager son entourage ; mais toujours ménager son entourage, c’est s’annihiler soi-même, c’est en tout cas bien se sacrifier ; c’est s’interdire tout geste imprévu, toute parole sincère, toute idée neuve ; c’est proprement renoncer à être soi-même.

72. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie-Antoinette. (Notice du comte de La Marck.) » pp. 330-346

On peut, dans un sentiment élevé de compassion, s’éprendre d’un intérêt idéal pour Marie-Antoinette, vouloir la défendre sur tous les points, se constituer son avocat, son chevalier envers et contre tous, s’indigner à la seule idée des taches et des faiblesses que d’autres croient découvrir dans sa vie : c’est là un rôle de défenseur qui est respectable s’il est sincère, qui se conçoit très bien chez ceux qui avaient le culte de l’ancienne royauté, mais qui me touche bien moins chez les nouveaux venus en qui ce ne serait qu’un parti pris. […] Pour moi, je pense hardiment que l’intérêt qui s’attache à sa mémoire, que la pitié qu’excitent son malheur et la façon généreuse dont elle l’a porté, que, l’exécration que méritent ses juges et ses bourreaux, ne sauraient en rien dépendre de quelque découverte antérieure, tenant à une fragilité de femme, ni s’en trouver le moins du monde infirmés. […] Je ferai toutefois remarquer qu’il n’était nullement probable que Lauzun agît pour le compte de la cabale Choiseul, avec qui il était assez mal de tout temps ; mais les alentours de la reine avaient eu intérêt à le présenter sous ce jour pour le perdre définitivement. […] L’affaire du Collier fut le premier signal de ses malheurs, et le bandeau qui lui couvrait jusque-là les yeux se déchira, Elle commença à sortir de son hameau enchanté, et à découvrir le monde tel qu’il est quand il a intérêt à être méchant. […] Son indignation ne se contenait point contre ceux-ci : « Les lâches, après nous avoir abandonnés, s’écriait-elle, veulent exiger que seuls nous nous exposions et seuls nous servions tous leurs intérêts ».

73. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Solidarité »

Les liens nécessaires ou consentis qui vous unissent à vos camarades et à vos maîtres, vous ne les connaissez guère que par leur douceur, vous ne luttez que pour des palmes innocentes, vous n’avez pas à gagner votre pain les uns contre les autres ; vous avez, tout naturellement, des idées, des intérêts, des plaisirs communs. […] L’état d’âme que certains spectacles publics, une revue militaire, les funérailles d’un grand citoyen, propagent dans toute une multitude, cet état singulier, merveilleux, ou l’on se sent épris tous ensemble de quelque chose de supérieur à l’intérêt immédiat de chacun, tâchons de le ressusciter en nous jusque dans l’humble cours de nos occupations journalières, pour les spiritualiser. […] C’est votre devoir, et c’est votre intérêt. Vos professeurs de philosophie vous ont exposé la théorie selon laquelle la morale se confondrait avec l’intérêt bien entendu.

74. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « I. Historiographes et historiens » pp. 1-8

Il aurait fallu placer dans l’État à la même hauteur de respect, l’historiographe et le juge ; il aurait fallu assimiler, dans la considération publique, le juge des morts et des intérêts généraux et politiques, comme l’historiographe, et le juge des vivants et des intérêts privés et civils, comme le magistrat ; car l’honneur et la sécurité des sociétés reposent également sur cette double justice. De tous les intérêts sur lesquels il est besoin de fixer l’opinion des hommes, c’est, après tout, l’intérêt de nos mémoires qui importe le plus.

75. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

En 1789, tout change, tout s’élargit à la proportion des intérêts des nations, prenant la place des intérêts individuels. […] Le duc de Choiseul, le prince de Talleyrand, Napoléon lui-même, tant qu’il écouta quelque chose et quelqu’un dans ses intérêts et dans l’intérêt de la France, penchèrent donc, depuis l’agrandissement de la Prusse et de la Russie, vers l’alliance avec l’Autriche. […] L’intérêt du consul et la pensée du ministre travaillaient dans un parfait accord à cette œuvre préliminaire de toute reconstitution d’une monarchie. […] Il faut un intérêt brûlant et implacable comme le crime lui-même pour le concevoir et pour l’exécuter. Où était l’intérêt de M. de Talleyrand au meurtre d’un prince de la maison de Bourbon, contre laquelle il n’avait ni ressentiment ni haine ?

76. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

La nouveauté de cette correspondance est la duchesse de Choiseul, que l’on connaissait déjà pour son mélange de grâce et de raison d’après les témoignages unanimes des contemporains, mais pas à ce degré où la montrent au naturel cette suite de lettres vives, spirituelles, sensées, sérieuses, raisonneuses même, passionnées dès qu’il s’agit de la gloire et des intérêts de son époux. […] écrit-elle ; le roi ne frappe pas à deux fois… La terreur a gagné nos amis au point qu’il y en a qui craignent que l’intérêt public même n’aigrisse contre nous. […] Qu’on le laisse donc aller cet intérêt, il est trop flatteur pour nous en priver. […] Je suis très touché de la curiosité que vous m’avez témoignée à cet égard ; elle ne vient que de l’intérêt que vous avez pour moi, et cet intérêt sera satisfait de ma réponse ; car si vous mettiez à part les préventions favorables que vous m’accordez, vous verriez que je suis fort heureux d’être si bien traité. […] Curieuse sans intérêt, avide de nouveau sans espoir de mieux, dégoûtée sans cesser d’être agitée, Mme du Deffand écrivait un jour à Mme de Choiseul : « Que dites-vous du nouveau ministre (M. de Saint-Germain) ?

77. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Car, quoiqu’il fût très fier de sentiments et de langage, Charles-Quint, outre qu’il aimait « la vérité dans sa simplicité », avait cela du vrai politique de ne point pousser les choses à l’extrême et de ne pas substituer avant tout l’orgueil à l’intérêt. […] Son plaisir comme son triomphe était de démêler des intérêts compliqués, de débrouiller des situations épineuses, de compenser et contrebalancer des influences, de ménager des mariages et alliances considérables, d’agiter enfin des desseins profonds dont rien ne se trahissait au dehors et ne venait déranger le dédain de sa lèvre ni obscurcir la calme sécurité de son front. […] Charles était bien capable d’avoir un dernier et soudain réveil avant de mourir, et de se sacrifier pour l’intérêt des siens. […] Peut-on révoquer en doute un pareil témoignage d’un témoin oculaire qui n’a nui intérêt à mentir et qui raconte les choses si bonnement ? […] L’ouvrage est d’un médiocre intérêt.

78. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Pourquoi verrait-on dans cet heureux et ingénu penchant un intérêt étroit et un calcul ? […] Il y pose comme devoir et comme règle le respect aux conventions fondamentales de la société, aux lois (même imparfaites), la subordination et le sacrifice de l’intérêt particulier à l’intérêt de tous. […] Au contraire, le sacrifice mercenaire du bonheur public à l’intérêt propre est le sceau éternel du vice. […] Un moment il entre avec eux, il les suit dans leurs subtilités pour mieux les réduire : Mais peut-être que les vertus que j’ai peintes comme un sacrifice de notre intérêt propre à l’intérêt public, ne sont qu’un pur effet de l’amour de nous-même. […] Vauvenargues avait intérêt à ce que le milieu de l’humanité fût le plus haut possible, certain qu’il était d’y atteindre.

79. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

En y réfléchissant, il trouva que la plus simple manière de lui témoigner cet intérêt et de lui faire du bien était encore de l’épouser. […] Je ne me souciais point de richesse ; j’étais élevée de cent piques au-dessus de l’intérêt : je voulais de l’honneur. […] L’intérêt matériel et positif fut toujours secondaire à ses yeux, malgré sa position de gêne, et elle le subordonnait à cet autre intérêt moral fondé sur l’estime qu’on faisait d’elle. […] Là est son rôle et sa fonction, bien plus que dans la politique, quoiqu’elle y ait trop trempé encore toutes les fois qu’il s’agissait d’un intérêt de famille, comme dans l’agrandissement du duc du Maine. […] » Ne sont-ce pas là des plaintes d’ambitieux et d’avare, de ces plaintes pareilles à celles de l’usurier d’Horace, qui, après avoir célébré le bonheur des champs, revient vite à la ville placer son argent à gros intérêt ?

80. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

S’il est vrai, comme je le crois, que la divergence des opinions diverses qui se disputent aujourd’hui l’empire de la société commence immédiatement à l’origine de la pensée, nous allons être obligés de creuser jusque-là pour expliquer cette divergence ; car, je ne puis assez le répéter, la lutte des intérêts contraires, quelque active qu’on puisse la supposer, ne suffirait pas toute seule pour amener les résultats dont nous sommes témoins. On a beaucoup trop calomnié jusqu’à présent la nature humaine : les intérêts doivent être considérés comme effets ou comme signes, et non point comme causes. […] Ici, et j’en ai déjà prévenu plus d’une fois, je ne dois tenir aucun compte des intérêts différents qui peuvent exister : cela compliquerait la question, et n’est point de mon sujet. D’ailleurs il n’y a des intérêts changés que parce qu’il y a eu un changement d’ordre de choses ; d’ailleurs encore, ainsi qu’on a pu le voir, je suis loin d’accorder aux intérêts toute la puissance qu’on est trop disposé à leur croire : les opinions et les sentiments sont beaucoup plus désintéressés qu’on ne pense. Les idées morales ou intellectuelles mènent bien plus les hommes que les grossiers intérêts de fortune et de subsistance.

81. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXII. La comtesse Guiccioli »

Intérêt réveillé, inattendu et prodigieux ! […] — ou que la Portinari ne fût pas morte à douze ans, mais qu’elle eût vécu sur le cœur du Dante, — et supposez qu’on vînt vous dire, tout à coup, ce matin, que toutes les deux ont écrit, — l’une sur Pétrarque, l’autre sur Dante, — avec quelle violence d’intérêt ne vous jetteriez-vous pas sur le livre qu’elles auraient laissé ! […] C’est l’anonyme, mais trahi à l’oreille, dans les intérêts du bas-bleu…, — le bénéfice du voile, cette invention la plus digne de la femme, qui la révèle, en la cachant. […] il était beau, Lord Byron, — cela n’est pas douteux, — et surtout il n’était pas si noir et si diable que les sots et les hypocrites protestants l’ont fait ; mais sous la plume de celle qui a pourtant un intérêt à le trouver irrésistible, il finit par être trop beau, et on lui voudrait, au moins une des verrues que Cromwell disait à son peintre de ne pas oublier. […] … Ce livre, qui aurait dû être d’un intérêt incomparablement supérieur, n’est que d’un intérêt vulgaire.

82. (1875) Premiers lundis. Tome III « L’Ouvrier littéraire : Extrait des Papiers et Correspondance de la famille impériale »

La Société des gens de lettres est régie par un Comité qui, jusqu’ici, n’a guère eu à s’occuper que des questions d’intérêts matériels, industriels, relatifs à la littérature, et aussi des soins de bienfaisance envers les confrères nécessiteux dont elle vient à connaître le malheur. Par cela seul que ce Comité se compose de gens de lettres plus en renom, ou ayant assez de loisir pour veiller aux intérêts généraux, il offre des garanties, et il en offrirait autant que l’on pourrait désirer. […] On ne peut que tâtonner en attendant. — Et d’abord, comme dans les infortunes et les misères des gens de lettres l’amour-propre et la mauvaise honte jouent un grand rôle, comme ce sont les plus honteux et les plus fiers de tous les pauvres honteux, on voit combien un intérêt direct, un bien-fait direct, régulier, dont l’origine remonterait à l’empereur et ne remonterait qu’à lui, dont le mode de distribution aurait été réglé ou approuvé par lui, honorerait et relèverait ceux qui en seraient les objets, en même temps que tous les autres membres en ressentiraient une vraie reconnaissance. […] On nous apprend à aimer le beau, l’agréable, à avoir de la gentillesse en vers latins, en compositions latines et françaises, à priser avant tout le style, le talent, l’esprit frappé en médailles, en beaux mots, ou jaillissant en traits vifs, la passion s’épanchant du cœur en accents brûlants ou se retraçant en de nobles peintures ; et l’on veut qu’au sortir de ce régime excitant, après des succès flatteurs pour l’amour-propre et qui nous ont mis en vue entre tous nos condisciples, après nous être longtemps nourris de la fleur des choses, nous allions, du jour au lendemain, renoncer à ces charmants exercices et nous confiner à des titres de Code, à des dossiers, à des discussions d’intérêt ou d’affaires, ou nous livrer à de longues études anatomiques, à l’autopsie cadavérique ou à l’autopsie physiologique (comme l’appelle l’illustre Claude Bernard) ! […] On vit dans un temps où les journaux sont tout et où seuls, presque seuls, ils rétribuent convenablement leur homme : on est journaliste ; on l’est, fût-on romancier, car c’est en feuilletons que paraissent vos livres même, et l’on s’en aperçoit ; ils se ressentent à tout moment des coupures, des attentes et des suspensions d’intérêt du feuilleton ; ils en portent la marque et le pli.

83. (1799) Jugements sur Rousseau [posth.]

., que l’auteur a semés dans son ouvrage, me plaisent beaucoup en eux-mêmes, mais me paraissent refroidir un peu l’intérêt, parce que l’unité est pour moi la première qualité des romans : aussi quelque excellents que soient les romans anglais, je les lis avec presque autant de fatigue que de plaisir. Cependant l’intérêt, c’est-à-dire l’intérêt de la passion, m’a paru si vif dans le livre de J.  […] Peut-être serait-on fondé à lui reprocher de n’avoir pas mis assez de variété dans le genre d’intérêt qu’il inspire : c’est toujours l’expression d’un sentiment vif et violent ; il l’aurait pu montrer vif et doux, et passer de l’amour effréné à l’amour tendre, de l’amour timide à l’amour heureux. […] L’intérêt vif que J. 

84. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet »

Son histoire, qui commence par ces deux volumes d’un intérêt si animé, formera un ensemble complet des progrès successifs et des extinctions alternantes du Christianisme en Chine et au Thibet. […] Toujours donc à la Chine le Christianisme fut un grand et glorieux peut-être, et voilà le secret de l’intérêt qu’elle inspire ! […] avant tout, avant le détail du martyre et de l’héroïsme de ces missionnaires toujours prêts à mourir, avant l’ascendant de ces Jésuites qui furent si près du triomphe, et puis qui s’en trouvèrent si loin, ce qui fait, cà nos yeux, l’intérêt suprême de ce livre, c’est que le Christianisme à la Chine n’a jamais été qu’une question, — une question dont la solution se voile encore aux yeux les plus pénétrants, quand on reste dans les simples probabilités humaines de l’histoire ! […] L’intérêt de l’ouvrage que nous examinons, de ce livre si impartial et si fidèle, ne touche-t-il pas à la tristesse ? […] Blessée dans la fibre de l’intérêt matériel, la seule fibre qui soit sensible et puisse jeter du sang chez les peuples quand ils sont gangrenés jusqu’au cœur, d’indifférente elle passe ennemie, et sa haine contre nous est aussi grande que la peur que nous lui faisons.

85. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

On perd en soi-même toute émulation, et les plaisirs de la volupté deviennent le seul intérêt d’une existence sans gloire, sans honneur et sans morale ; tel on nous peint l’état des hommes du Midi sous les chefs du Bas-Empire. […] À travers toutes les folies du martyre, il resta dans quelques âmes la force des sacrifices, l’abnégation de l’intérêt personnel, et une puissance d’abstraction et de pensée, dont on vit sortir des résultats utiles pour l’esprit humain. […] Quelques hommes peuvent se livrer par goût à l’étude des idées abstraites ; mais le grand nombre n’y est jamais jeté que par un intérêt de parti. […] Tout ce qui concernait les anciens obtenait alors un égal degré d’intérêt ; on eût dit qu’il importait bien plus de savoir que de choisir. […] Mais les exploits militaires ne conservent qu’un faible intérêt par-delà l’époque de leur puissance.

86. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

quel triste sort nous offrez-vous donc sans mobile, sans intérêt et sans but ? […] D’ailleurs, on peut trouver dans la vie un intérêt, un mobile, un but, sans être la proie des mouvements passionnés ; chaque circonstance mérite une préférence sur telle autre, et toute préférence motive un souhait, une action ; mais l’objet des désirs de la passion, ce n’est pas ce qui est, mais ce qu’elle suppose, c’est une sorte de fièvre qui présente toujours un but imaginaire qu’il faut atteindre avec des moyens réels, et mettant sans cesse l’homme aux prises avec la nature des choses, lui rend indispensablement nécessaire ce qui est tout à fait impossible. […] La philosophie est en nous, et ce qui caractérise éminemment les passions, c’est le besoin des autres ; tant qu’un retour quelconque est nécessaire, un malheur est assuré ; mais l’on peut trouver dans les carrières diverses, où les passions se précipitent, quelque chose de l’intérêt qu’elles inspirent, et rien de leur malheur, si l’on domine la vie, au lieu de se laisser emporter par elle, si rien de ce qui est vous enfin ne dépend jamais ni d’un tyran au-dedans de vous-même, ni de sujets au-dehors de vous. […] Les législateurs eux-mêmes gouvernent souvent à l’aide d’idées trop générales ; ce grand principe, que l’intérêt de la minorité doit toujours céder à celui de la majorité, dépend absolument du genre de sacrifices qu’on impose à la minorité ; car, en le poussant à l’extrême, on arriverait au système de Robespierre. […] Heureuse, si j’ai pu convaincre l’intérêt personnel !

87. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

C’est une frontière indécise entre l’ordre social et l’anarchie individuelle que le commandement laisse à l’obéissance ; terrain vague, où le commandement n’a pas besoin de s’exercer, et où l’obéissance peut désobéir sans porter atteinte à l’État, c’est-à-dire à l’intérêt de tous. […] Rousseau attribue à ce mot, faisons-en beaucoup de ce qu’il y a de participation volontaire du peuple au commandement social ; moins il y a de cette révolte individuelle dans l’individu soi-disant libre, plus il est libre en effet, car il ne veut alors que ce qu’il doit vouloir, et il n’obéit qu’à ce qu’il veut dans l’intérêt de tous, qui est en réalité son premier intérêt. […] Est-ce en vertu d’un vil intérêt purement matériel et dans le but seulement d’un plus grand bien physique, que ce contrat purement brutal a été rêvé, délibéré, signé, et qu’il a pu se maintenir en se perfectionnant d’âge en âge ? […] Rousseau ; les théories matérialistes de la philosophie de l’intérêt ne peuvent aboutir qu’à la proclamation de droits aussi antisociaux, le droit de tuer ou le droit de mourir. […] Voilà la société élémentaire, elle n’est plus vil intérêt seulement, elle est déjà réciprocité, c’est-à-dire mutualité, réciprocité qui n’est que la justice des actes, moralité, devoir, vertu.

88. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Michel Chevalier, en exposant le mécanisme de certaines institutions, et le jeu compliqué des intérêts, ont montré de plus quel respect inévitable le spectacle d’un pareil développement de société inspirait à l’un des esprits les moins prévenus en faveur des expériences démocratiques. […] Il montre le reste de la société effrayé de ce spectacle, hostile à tout effort imprévu, n’appliquant ses lumières qu’à la conservation des intérêts et du bien-être, et manquant de l’énergie sagement active qui redresserait et tempérerait l’énergie aveugle. […] L’agitation même de tous les intérêts et de toutes les passions autour de chacun de ces petits centres concourt à la stabilité de l’ensemble. […] Il distingue deux espèces de centralisations : 1° celle qui comprend certains intérêts communs à toutes les parties de la nation, tels que la formation des lois générales et les rapports du peuple avec les étrangers ; 2° celle qui voudrait comprendre et organiser administrativement les intérêts spéciaux à certaines parties de la nation, tels, par exemple, que les entreprises communales.

89. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

L’intérêt de la situation que Cassagnac a si bien comprise, et qu’il faut apprendre par tous les moyens à consolider, c’est sa durée. […] Les Ambitions et les Intérêts se le partagent et le tirent à eux, de la force de tous leurs chevaux. […] Il est le journaliste toujours armé, dans la mêlée des principes et des intérêts de son temps, lui qui aurait pu être un écrivain de choses éternelles. […] Si Granier de Cassagnac, avec un génie d’écrivain qui pouvait le mener droit à la gloire, n’est allé qu’à la renommée ; s’il n’a pas laissé derrière lui un de ces livres achevés, accomplis, qui barrent le flot du temps et que le temps n’emporte pas, c’est qu’il y eut évidemment pour lui un intérêt supérieur à l’intérêt de sa personne et de sa gloire. Il y eut l’intérêt d’une cause et d’une cause sacrée, cause historique et française de la monarchie.

90. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Mais elle négligea ces vues d’intérêt, et, comme tous les exilés de la Cour, elle n’était occupée en ce moment qu’à espérer la fin prochaine du cardinal de Richelieu, d’où elle attendait le retour de la faveur. […] Tous les anciens amis de la reine sont revenus après une disgrâce plus ou moins longue : chacun d’eux compte sur la même faveur qu’autrefois, et ils ne s’aperçoivent pas d’abord que cette reine, qu’ils avaient laissée opprimée par Richelieu, sans enfants et encore Espagnole de cœur, est devenue mère, toute aux intérêts du jeune roi, et une reine toute française. […] Chacun pensait à son dessein, à son intérêt et à sa cabale. […] L’intérêt qui nous aveugle nous surprend et nous trahit dans les occasions qui nous regardent ; il nous fait agir avec plus de sentiment que de lumières, et il arrive même assez souvent qu’on a honte de ses faiblesses ; mais on ne le peut apercevoir que par la sage réflexion que chacun se doit à soi-même, et après que l’occasion de mieux faire est passée. […] c’est sa maxime quand il ne se croit pas sûr des gens : Comme il ne connaissait pas mes intentions, et qu’il jugeait de moi sur l’opinion qu’il avait de la corruption universelle du monde, il ne pouvait s’empêcher de me soupçonner de me mêler de beaucoup de choses contraires à ses intérêts.

91. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

Le malheur est que cette fausse vue, cette erreur d’observation et de jugement, combinée chez beaucoup d’hommes publics avec les intérêts et l’amour-propre, peut avoir pour conséquences pratiques d’entraver le libre et prompt développement des principes émis en lumière en juillet. […] Dans la destruction complète de l’ancien régime, trop d’intérêts et de croyances étaient blessés ; dans le triomphe des idées nouvelles, trop d’enivrement de victoire et de vengeance gagnait et débordait de jour en jour. […] A ces gens-là, tous les souvenirs historiques sont tournés en préjugés ; toute leur expérience s’est pétrifiée en fausses analogies ; les intérêts les ont achevés. […] Au reste, les conséquences des bonnes idées ne manquent pas ; assez d’esprits logiques les déduiront ; et, malgré les fausses vues, les indécisions et les intérêts qui viendront à la traverse, notre révolution pacifique d’aujourd’hui aura son cours, ainsi que l’autre révolution turbulente a eu le sien, il y a quarante ans.

92. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

Tandis que ce grand intérêt occupait toute la Cour, M. d’Aumont ne perdait pas de vue ses prétentions et le désir d’étendre et d’augmenter ses droits de gentilhomme de la chambre. […] Les rois doivent être accoutumés à voir leur gloire et leur santé être le jouet de l’intrigue et de l’intérêt de tout ce qui les entoure. […] On aura peine à croire que cet acte de piété filiale ait excité aussi peu qu’il l’a fait l’intérêt public. […] J’aurais dès lors été fort effrayé de l’état du roi si j’avais pris quelque intérêt à la conservation de ses jours. […] Soit qu’il affectât de n’y vouloir pas prendre part, soit que le si grand intérêt… (Le reste manque dans la copie.

93. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

L'intérêt particulier, quel qu'il soit, est proscrit par la morale, &, avec lui, non seulement les actions qui ont quelque vice pour principe, mais toutes celles qui n'ont pas la vertu pour objet. […] Nous ne craignons pas de le dire, nous le disons sans craindre d’être démentis par cette raison qui entend ses véritables intérêts, le joug de la Foi étoit nécessaire à la raison humaine. […] Est-ce parmi ces caracteres philosophiques, parmi ces ames enivrées d’elles-mêmes, concentrées dans leurs propres intérêts, & prêtes à tout sacrifier aux mouvemens impérieux qui les dominent ? […] Nous sommes bien éloignés de vouloir avilir nos Contemporains : mais quelle comparaison entre ces temps de grandeur & d'élévation, de franchise & de bonne foi, où la soumission religieuse contenoit les esprits, fixoit les sentimens, régloit les mœurs, & ce temps de vertige où tout paroît permis, où l'on n'est retenu par aucun frein, où l'on craint plus de manquer aux bienséances qu'à la vertu, où les rangs décident la Justice, où l'intérêt public est continuellement sacrifié à l'intérêt particulier ? […] Les hommes, dont la conduite & la conscience seront irréprochables, n’ayant aucun intérêt de douter de la Religion, étant au contraire intéressés qu’elle soit vraie, ne déclameront jamais contre ses dogmes & sa morale.

94. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Une curiosité inquiète suit le héros dans les vicissitudes de sa fortune, et l’intérêt se soutient depuis le commencement jusqu’à la fin. […] On verra quel intérêt dramatique le poëte a ajouté à ce récit déjà intéressant. […] En général, l’intérêt qu’inspire la tragédie de Cymbeline, est d’une nature douce et mélancolique plutôt que tragique. […] Hotspur n’est plus là pour donner à ces faits une vie qui leur appartienne, et l’horrible trahison de Westmoreland n’est pas de nature à fonder un intérêt dramatique. […] Le cinquième acte, il est vrai, est vide et froid, et les conversations qui le remplissent ont aussi peu de mérite poétique que d’intérêt dramatique.

95. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Armand Pommier » pp. 267-279

Armand Pommier est d’un intérêt très-passionné, et même très-haletant, tout le temps que, le livre dure, mais on se repent presque de l’avoir éprouvé à la fin, parce que cet intérêt n’est nullement justifié par la grandeur du résultat qu’on attendait. […] Mais, quand nous savons qu’il n’y en a pas, que c’est là tout simplement un monstre, impénétrable au regard du moraliste comme au scalpel du chirurgien, l’intérêt, soulevé à l’aide d’invraisemblances prodigieuses, comme un poids difficile à enlever à l’aide de cabestans faussés, l’intérêt tombe à plat…, et on s’accuse même d’être inférieur et presque puéril de l’avoir un instant éprouvé ! […] L’intérêt humain du roman a expiré, perdu dans la curiosité pathologique d’un descripteur de phénomènes inouïs, qui, s’ils contractaient un jour l’éternelle clarté de la certitude, en nous donnant (comme c’est la prétention des esprits qui les interprètent), l’abolition de toute distance, la transparence des corps et la vue immédiate des âmes, changeraient toutes les conditions des œuvres humaines, d’un seul coup, et chasseraient jusque du souvenir les littératures.

96. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Plus le prince a de réputation, plus cet intérêt augmente ; on aime à voir un homme admiré dans sa cour et sur les champs de bataille, écrire et penser dans son cabinet, et parler en philosophe aux peuples qu’il sait gouverner en roi. […] Accessible aux étrangers, sensible aux prières de ceux qui l’emploient, jaloux de plaire aux meilleurs citoyens, juste avec tous, il s’occupe également de tous les intérêts. […] Il réprime les séditions, le luxe, l’intérêt avide, source des crimes ; ou il empêche tous ces maux de naître, ou il les étouffe dès leur berceau. […] En vain ses parents, ses amis et ses proches lui demanderaient d’immoler la loi à leurs intérêts ; l’État est sa première famille. […] n’écris pas pour un homme, mais pour les hommes : attache ta réputation aux intérêts éternels du genre humain : alors la postérité reconnaissante démêlera tes écrits dans les bibliothèques ; alors ton buste sera honoré et peut-être baigné de larmes chez des peuples qui ne t’auront jamais vu, et ton génie, toujours utile, selon la belle expression d’un de nos poètes, sera contemporain de tous les âges, et citoyen de tous les lieux.

97. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Loin d’avoir abandonné le monde, l’enthousiasme, l’ardeur de l’âme, autrefois dispersés sur les intérêts nombreux de la vie publique et souvent corrompus par les mauvaises passions qui s’y mêlent, s’étaient épurés, et brillaient d’une flamme plus vive dans le foyer caché du sanctuaire. […] Seraient-elles une punition que doit encourir notre intelligence trop attentive à cet intérêt seul, et par là trop semblable à cet ange cupide que Milton nous représente, dans les cieux mêmes, devenant épris des splendeurs de l’or foulé sous ses pas, et dès lors infidèle à Dieu et déchu de sa lumière ? […] La rigueur du niveau démocratique ajoute encore à cette froide activité du bon sens aiguisée par l’intérêt personnel et le besoin d’un bien-être égal. […] Et cependant, sur cette laborieuse arène des intérêts privés, quel souffle commun de patriotisme rapproche soudainement tous les cœurs américains ! […] L’œuvre avance, au nom de la foi et de l’humanité : on s’engage à poursuivre l’abolition de l’esclavage, comme l’accomplissement même de l’Évangile ; et, malgré les résistances de l’intérêt, les raisons spécieuses de la politique, malgré la difficulté du remède accrue par l’excès du mal, on peut prédire que celle souillure sera un jour écartée du monde américain ; on peut dire au zèle de l’humanité marchant à l’ombre de la croix : In hoc signo vinces.

98. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Lue de suite, cette Histoire est d’un grave et sérieux intérêt : Il me semble, écrivait à l’auteur un critique un peu sec, mais judicieux et nullement méprisable (M.  […] Le dernier acte par où périt la république de Venise, la chute du gouvernement et l’abolition de l’État en 1797, offre un puissant intérêt. […] Daru publia en 1826 (3 volumes), eut moins de succès ; elle ne manque pourtant ni de mérite d’abord, ni d’intérêt. […] C’est moins en chroniqueur et en peintre de mœurs locales qu’il envisage son sujet qu’en publiciste : l’intérêt lent, mais réel et qui tend au dénouement, est dans la réunion finale. […] Si vous voulez être libres, soyez forts ; pour être forts, soyez unis ; pour demeurer unis, ayez de l’esprit public, c’est-à-dire préférez l’intérêt général à votre intérêt privé, et souvenez-vous qu’il n’y aurait point d’injustice, si tous les citoyens la ressentaient comme celui qui l’éprouve.

99. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Son amour pour Mme de Longueville n’est plus un amour de jeunesse, c’est une intrigue de politique autant et plus qu’un intérêt de cœur. […] Sans doute il est vrai que l’homme agit toujours en vue ou en vertu d’un principe qui est en lui et qui le pousse à chercher sa satisfaction, son intérêt et son bonheur. Mais ce bonheur et cet intérêt, où le place-t-il ? […] — Vous ne vous êtes pas bien rendu compte de vos motifs, vous ne pouvez pas être différent des autres ; l’intérêt personnel est toujours là. […] Il n’y a qu’un très petit nombre de vrais amis sur qui je compte, non par intérêt, mais par pure estime ; non pour vouloir tirer aucun parti d’eux, mais pour leur faire justice en ne me défiant point de leur cœur.

100. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Un autre ouvrage : De l’intérêt des princes et États de la chrétienté, dédié au cardinal de Richelieu, paraît n’avoir été composé qu’en 1634, dans un séjour de quelques mois à Paris. […] Ces ouvrages, très goûtés quand ils parurent, et dont le second (De l’intérêt des princes) fut même traduit en latin, sont aujourd’hui de peu de profit et peu attachants de lecture. […] Les Grisons se plaignaient de la France, de tout temps leur protectrice, qui, par un traité avec l’Espagne, avait paru consentir à cet état tel quel ; la France, de son côté, avait intérêt à ce que les Grisons redevinssent maîtres de la Valteline et reprissent les clefs du passage. […] Les Grisons, tout adonnés à leurs intérêts, n’étaient pas des alliés très solides ; les Valtelins catholiques étaient favorables aux Espagnols et aux impériaux. […] Dans l’intervalle de sa blessure à sa mort, il avait reçu une lettre du roi qui lui témoignait de l’intérêt sur sa situation.

101. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Il existait des sociétés qui pouvaient, par des allusions à leurs habitudes, à leurs intérêts, même à leurs caprices, ennoblir des tours familiers, ou proscrire des beautés simples. […] L’esprit moqueur s’attaque à quiconque met une grande importance à quelque objet que ce soit dans le monde ; il se rit de tous ceux qui sont dans le sérieux de la vie, et croient encore aux sentiments vrais et aux intérêts graves. […] L’intérêt de la progression existe toujours, puisque les préjugés ne mettent point de bornes à la carrière de la pensée ; l’esprit donc, n’ayant plus à lutter contre l’ennui, acquiert plus de simplicité, et ne risque point, pour ranimer l’attention, ces grâces maniérées que réprouve le goût naturel. […] Comment espérer que des pensées, qu’un ouvrage, puissent captiver tellement l’intérêt, que l’inconvenance du style ne détourne pas l’attention du lecteur ? […] L’affection et le respect s’attachent au caractère individuel, et l’homme qui se croit un autre lorsqu’il a été nommé à une grande place, vous indique lui-même que, s’il la perd, votre intérêt et votre considération doivent passer à son successeur.

102. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Les grands intérêts, sans doute, seront protégés, mais nulle protection n’est possible pour les petits intérêts moraux dont se compose, chez nous, le bonheur de la cité. […] Les hommes, devenus tout à coup désoccupés de grands intérêts et de nobles travaux, étaient descendus à une décadence honteuse, dans laquelle ils voulurent entraîner les femmes. […] C’est que, pour suppléer à la force puisée dans les mœurs, on a imaginé d’en créer une dans les intérêts ; et l’on n’a pu réussir, dans ce système habile, qu’en alarmant sur les intérêts : on a senti, de plus, qu’on ne pouvait espérer d’obtenir quelque faveur pour les intérêts qu’en leur ralliant les amours-propres et les vanités, car les intérêts tout seuls n’auraient pas eu la puissance d’émouvoir.

103. (1772) Éloge de Racine pp. -

J’en développerai les raisons et les preuves : je les trouverai dans l’amour-propre et les intérêts de la médiocrité ; dans cet esprit des sectes littéraires, qui, comme toutes les autres, ont leur politique et leur secret ; enfin dans le petit nombre des hommes doués de ce sens exquis qu’on appelle le goût. […] L’harmonie des vers grecs enchantait les oreilles avides et sensibles d’un peuple poëte ; ici, le mérite de la diction, si important à la lecture, si décisif pour la réputation, ne peut sur la scène ni excuser les fautes, ni remplir les vides, ni suppléer à l’intérêt devant une assemblée d’hommes où il y a peu de juges du style. […] Quel oubli de tous les intérêts et de tous les dangers ! […] Ajoutez à tous ces intérêts qui lui étaient contraires, cette disposition secrète qui, même au fond, n’est pas tout-à-fait injuste, et qui nous porte à proportionner la sévérité de notre jugement au mérite de l’homme qu’il faut juger. […] Et dans Mithridate, quel art d’ennoblir les faiblesses d’une grande ame, et de répandre de l’intérêt sur un vieillard malheureux, occupé de vengeance et de haine, allant malgré lui chercher des consolations dans l’amour qui met le comble à tous ses maux !

104. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Greuze » pp. 234-241

Chacun ici a précisément le degré d’intérêt qui convient à l’âge et au caractère. […] L’intérêt est sinon éteint, du moins presque insensible dans la vieille mère ; et cela est tout à fait dans la nature. […] Le moment qu’ils demandent est un moment commun, sans intérêt ; celui que le peintre a choisi, est particulier. […] Ah, Monsieur Greuze, que vous êtes différent de vous-même, lorsque c’est la tendresse ou l’intérêt qui guide votre pinceau.

105. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Les publicistes qui n’ont stipulé que les intérêts de la tolérance ne sont pas descendus dans le fond des choses ; ils n’ont pas vu à quel point ils favorisaient en cela l’indifférence, et par conséquent l’incrédulité. […] Mais nous ne devons plus mêler dans nos discussions les intérêts religieux avec les intérêts politiques, parce qu’ils sont devenus différents. […] Cette révolution est inévitable, parce que dès que la dissidence ne peut plus être prolongée par des intérêts politiques, la tendance naturelle doit être le retour à l’unité : nous avons déjà expliqué notre pensée à cet égard.

106. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

Si c’est un instrument que l’intérêt emploie pour parvenir à la fortune, on doit la mépriser ; si c’est la flatterie d’un esclave qui trompe un homme puissant, on doit la craindre. […] Ne l’attendez pas d’un peuple chez qui domine l’intérêt : la gloire est la monnaie des états, mais la gloire ne représente rien où l’or représente tout. […] Soit intérêt, soit justice, on a donc partout rendu des honneurs aux grands hommes ; et de là les statues, les inscriptions, les arcs de triomphe ; de là surtout l’institution des éloges, institution qui a été universelle sur la terre. […] Que l’intérêt et la crainte prodiguent l’éloge, c’est le contrat éternel du faible avec le puissant ; mais la postérité, sans espérance comme sans crainte, doit être plus libre ; elle peut aimer ou haïr, approuver ou flétrir d’après la justice et son cœur.

107. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 2. Caractère de la race. »

Race de bon sens, parce que l’intelligence, les idées la mènent, elle est inconstante et légère, parce qu’elle n’a guère de passions dont le hasard de ses raisonnements ne change l’orientation, elle paraît aventureuse et folle, quand ses déductions et ses généralisations la heurtent à l’implacable réalité des intérêts et des circonstances. […] La forme dégradée du type français, c’est l’esprit gaulois, fait de basse jalousie, d’insouciante polissonnerie et d’une inintelligence absolue de tous les intérêts supérieurs de la vie ; ou le bon sens bourgeois, terre à terre, indifférent à tout, hors les intérêts matériels, plus jouisseur que sensuel, et plus attaché au gain qu’au plaisir.

108. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

d’ailleurs l’homme de lettres saurait-il s’astreindre à mesurer ses opinions sur les intérêts d’une politique journalière ? […] Négligera-t-on le nœud, l’intérêt duquel résultent la curiosité qu’elle excite, et l’émotion qu’elle fait naître ? N’est-ce pas une des causes puissantes de ce même intérêt que les changements du sort, que les péripéties heureuses ou malheureuses, qui produisent la joie, la crainte, ou la pitié ? […] L’intérêt du ciel, défendu par les deux peuples les plus belliqueux de la terre, répandait sur l’action une influence toute merveilleuse, puisée dans le zèle de leurs cultes rivaux. […] Les Muses auraient donc intérêt à demeurer païennes, si leur culte n’était pas usé par le temps, qui en a prodigué les trésors à tant de grands génies.

109. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Cet intérêt de Bossuet pour la vie, pour les sociétés, pour l’homme en particulier, est la plus durable beauté de ses ouvrages. […] Je le comprends : c’est le plus pénétré de ce vif intérêt que lui inspirent les choses humaines. […] Ce sont autant de schismes qu’il a fallu détruire, dans l’intérêt de l’unité intellectuelle de notre pays. […] « S’il n’était pas trompé, écrivait-elle, il pourrait revenir par des raisons d’intérêt. […] Ce n’était pas mauvaise foi : il n’est pas donné à la mauvaise foi d’être si opiniâtre ; car, comme elle a pour mobile un intérêt, il suffit d’un intérêt plus grand pour la faire céder ; mais la bonne foi d’un esprit subtil et chimérique lasserait la raison du genre humain.

110. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Jamais, aux heures de tentation, on ne sacrifierait au seul besoin de cohérence logique son intérêt, sa passion, sa vanité. […] Si elle ne s’exprimait pas ainsi, elle barrerait la route au progrès d’une autre morale, qui ne vient pas directement d’elle, et qu’elle a tout intérêt à ménager. […] Un être intelligent, à la poursuite de ce qui est de son intérêt personnel, fera souvent tout autre chose que ce que réclamerait l’intérêt général. […] Ne parlons donc pas d’intérêt en général. […] Un raisonnement établira donc que la fourmi a tout intérêt à travailler pour la fourmilière, et ainsi paraîtra fondée l’obligation.

111. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Quant à l’action, vous avez pu juger, d’après l’analyse, de son entrain, de son ardeur ; de l’activité énergique avec laquelle elle met aux prises les passions et les intérêts de ses personnages. […] Quel intérêt pathétique donne Balzac à cette bataille des intérêts qui fait le fond de la vie humaine, et où les plus forts succombent souvent faute de monnaie, faute de mitraille ! […] Ne pouvait-il s’en tenir à sa première réponse, si spécieuse et si décisive : « Je puis mourir et je suis responsable de votre avenir. » Quel intérêt peut-il avoir à se poser en fripon devant une jeune fille tirée à quatre épingles dans sa vertu rigide et chagrine ? […] L’amour s’efface devant ces questions d’intérêt mitoyen débattues par plaidoiries et répliques ; il se transit, il se décolore ; on ne sait qui aime ni qui est aimé, on fait à peine attention aux amourettes de la jeune fille et de son cousin. […] L’intérêt que M. 

112. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

si l’on partageait en deux ses phrases, si l’on les séparait de leur progression, de leur intérêt, de leur mouvement, et si l’on détachait de ses écrits quelques mots, bizarres lorsqu’ils sont isolés, tout-puissants lorsqu’on les met à leur place2 ? […] Subdivisez les phrases de ce style autant que vous le voudrez, les mots qui les composent se rejoindront d’eux-mêmes, accoutumés qu’ils sont à se trouver ensemble ; mais jamais un écrivain n’exprima le sentiment qu’il éprouvait, jamais il ne développa les pensées qui lui appartenaient réellement, sans porter dans son style ce caractère d’originalité qui seul attache et captive l’intérêt et l’imagination des lecteurs. […] Enfin il faudrait composer un livre pour réfuter tout ce qu’on se permet de dire dans un temps où les intérêts personnels sont encore si fortement agités. […] Que restera-t-il donc à ceux qui mettent encore de l’intérêt aux progrès de la pensée, ou qui, se bornant même aux arts d’imagination, veulent exclure tout le reste ? […] » Je pourrais récuser une objection tirée de Virgile, puisque je l’ai cité comme le poète le plus sensible ; mais en acceptant même cette objection, je dirai que, lorsque Racine a voulu mettre Andromaque sur la scène, il a cru que la délicatesse des sentiments exigeait qu’il lui attribuât la résolution de se tuer, si elle se voyait contrainte à épouser Pirrhus ; et Virgile donne à son Andromaque deux maris depuis la mort d’Hector, Pirrhus et Hélénus, sans penser que cette circonstance puisse nuire en rien à l’intérêt qu’elle doit inspirer.

113. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

L’esprit révolutionnaire se trace une route, se fait un langage ; et si l’on voulait varier par l’éloquence même ces phrases commandées qu’exige l’intérêt du parti, l’on inquiéterait ses chefs : ils frémiraient en voyant s’introduire de nouveaux sentiments, de nouvelles pensées, qui serviraient aujourd’hui leur cause, mais qui pourraient s’indiscipliner une fois et se diriger vers un autre but. […] Encourager les hommes de lettres, c’est les placer au-dessous du pouvoir quelconque qui les récompense ; c’est considérer le génie littéraire à part du monde social et des intérêts politiques ; c’est le traiter comme le talent de la musique et de la peinture, d’un art enfin qui ne serait pas la pensée même, c’est-à-dire, le tout de l’homme. […] La république, discutant en commun un grand nombre de ses intérêts, soumettant tous les choix par l’élection à la volonté générale, la république doit nous affranchir de cette foi aveugle qu’on exigeait jadis pour les secrets de l’art du gouvernement. […] On doit propager de tous ses efforts l’instruction générale ; mais à côté du grand intérêt de l’avancement des lumières il faut laisser le but de la gloire individuelle. […] Lorsque la pensée peut être le précurseur de l’action, lorsqu’une réflexion heureuse peut à l’instant se transformer en une institution bienfaisante, quel intérêt l’homme ne prend-il pas au développement de son intelligence !

114. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVII. Romans d’histoire, d’aventures et de voyages : Gebhart, Lemaître, Radiot, Élémir Bourges, Loti » pp. 201-217

D’ailleurs, si l’intérêt de badauderie populaire est éveillé et retenu par les récits simplement mondains, évocateurs d’une vie de petits hôtels, de lampes à colonnes et de tous ces surahs, ce n’est pas trop de dire qu’il est captivé par la flatteuse confidence où les met un narrateur complaisant des gestes de personnages historiques. […] Ce n’était rien perdre de l’intérêt anecdotique de la fiction et c’était ajouter ce ragoût : l’explication imaginaire d’un mystère européen, à dessein mal voilé sous des noms supposés. […] L’intérêt des Rois est ailleurs. […] Maintenant, il est fâcheux que le prince Hermann, dont certaines tirades sont ingénieuses, soit, dans l’action, un simple serin, parce que la position fût, avec plus d’intérêt, devenue celle d’un prince valeureux qui eût employé son autocratie à organiser le socialisme, et eût abdiqué quand le dernier rouage aurait été mis en sa place. […] À l’écriture même, simple et franche, ne s’informât-on pas de l’absolue compétence de l’auteur, on s’assure que cette histoire, d’un intérêt ethnique réel et de profit, est évoquée dans une atmosphère morale et sensuelle d’incontestable exactitude.

115. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Il avait l’intérêt des lettres. Il avait l’intérêt des jardins, — une manie des riches de son époque ! Il avait l’intérêt de beaucoup de manies : il avait l’intérêt des petites boîtes, des bagues, des tableaux, des estampes, du bibelot enfin, comme on dit maintenant, et qui est devenu la manie aussi de ce pauvre vieux xixe  siècle, lequel niaise avec tous ces osselets comme Ferragus idiot avec le cochonnet, dans Balzac. Pour que le dandy pût apparaître en Walpole dans toute sa pureté, il aurait fallu que tous ces divers genres d’intérêt se détachassent de lui comme des eschares, et aucun ne s’en détacha.

116. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Ses sœurs, qui étaient fort pieuses, suivaient avec le plus tendre intérêt ses progrès dans cette nouvelle voie. […] Regardons maintenant quel est le degré d’intérêt de ces deux ordres de vérités, soit pour celui qui les enseigne, soit pour ceux auxquels il s’adresse. […] Est-il pour l’homme quelque intérêt plus grand et plus pressant ? […] Lui-même pèse toutes les preuves avec la sévérité d’un contradicteur qui aurait intérêt à les nier. […] Pourquoi donc prenons-nous un si vif intérêt aux Provinciales, et qu’y trouvons-nous qui nous soit conforme ?

117. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

Il ne contient ni ambition, ni avarice, ni intérêt : il est tout spontané et de premier mouvement. Le calcul et la réflexion en sont absents ; et dans ce total abandon à la nature, si la nature a des instincts de tendresse, de sympathie, d’amitié, l’homme sera tendre, affectueux, et capable de préférer ses sympathies à ses intérêts. […] Aucun devoir ne le retient, quand il n’aime pas : aucun intérêt, quand il aime. […] Le principal intérêt de tous ces ouvrages, c’est de nous montrer souvent à l’état brut ou mal dégrossis encore des matériaux que le bonhomme recueille de ci de là, au hasard de ses expériences et de ses rencontres, et qu’il essaie, affine, concentre peu à peu, pour en faire ensuite les éléments de ses chefs-d’œuvre. […] Ils n’ont trouvé dans les Fables que des leçons d’égoïsme, de dureté, d’intérêt, de duplicité.

118. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Les conjoints se promettent, à cet effet, d’être dorénavant « uns et communs en tous leurs désirs, actions, passions et intérêts généralement quelconques », le tout pour le plus grand bien de l’État et la conservation du roi et du royaume. […] Ils ne se font croire que quand ils se font sentir, et il est très souvent de l’intérêt et même de l’honneur de ceux entre les mains de qui ils sont, de les faire moins sentir que croire. » Les autres inconvénients des guerres civiles qu’on a soi-même allumées, Retz nous les confesse sans réserve : un des premiers articles du Contrat de mariage entre le Parlement et la Ville de Paris avait été, nous l’avons vu, que les athées et libertins fussent réprimés et punis ; mais un des plus sûrs effets de la Fronde fut précisément de déchaîner ce libertinage, mortel à tout état de choses qui prétend s’établir et se consolider. […] Et plus loin : Nous avions intérêt de ne pas étouffer les libelles ni les vaudevilles qui se faisaient contre le cardinal, mais nous n’en avions pas un moindre à supprimer ceux qui se faisaient contre la reine, et quelquefois même contre la religion et contre l’État. […] En effet, quand le pape mourait, le cardinal de Retz ne manquait pas d’aller au conclave pour y servir avec application les intérêts de Louis XIV, et, à son passage en Provence, il pouvait voir Mme de Grignan. […] Cet homme qui, comme je l’ai dit, n’avait jamais été qu’un demi-séditieux, et non un Catilina, comme l’a nommé Voltaire, et qui, jusque dans ses plus grandes révoltes, avait toujours respecté, en ce qui regardait l’autorité royale, ce qu’il appelait le « titre du sanctuaire », était devenu le plus réconcilié et le plus zélé des cardinaux français pour les intérêts de Louis XIV.

119. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Un ouvrage de M. de Rémusat est fait de tout temps pour attirer l’attention et appeler l’intérêt de ceux qui lisent : aujourd’hui il devra trouver un accueil plus empressé encore et plus favorable auprès de tous ceux qui regrettent l’éloignement d’un si aimable et si ingénieux esprit, qui en veulent à la tourmente politique de l’avoir enveloppé dans son tourbillon, et qui trouveraient certainement des accents pour invoquer les dieux après l’orage, si ce maudit point d’honneur politique ne venait à la traverse, et si l’on ne craignait de déplaire à celui même qui serait l’objet d’un vœu si innocent. […] Heureusement pour le Saint Anselme, il en est tout autrement, et les parts d’intérêt ne sont pas dans ces proportions inégales. […] Cependant, il ne faut pas croire que cette modestie véritable dût en faire un prélat complaisant, indifférent à ses droits, prompt à sacrifier les intérêts commis à sa garde. […] Homme d’Église avant tout, et peu fait au spectacle de violence et de désordre que donnait la vie des princes et des guerriers, attendons-nous à le voir soutenir avec fidélité, même avec obstination, mais sans ambition et sans calcul, la cause de la puissance spirituelle, ne sachant transiger ni sur le péché dont il deviendrait complice en le tolérant, ni sur la foi qu’il croit engagée dans les questions d’intérêt ecclésiastique. […] Il serait fastidieux de donner ici un abrégé de querelles qui n’ont d’intérêt que par leur développement même, et dont M. de Rémusat a su faire de beaux et instructifs chapitres de l’histoire au Moyen Âge.

120. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

A la sèche histoire du moyen âge, à la chronique conteuse et naïve de Joinville et de Froissart ont succédé d’abord les grandes imitations de l’antiquité, à savoir les récits oratoires et politiques ; puis on est arrivé à penser que les événements intérieurs de la vie d’un peuple ont un intérêt non moins grand que les événements plus palpables de la politique et de la guerre. […] L’histoire de la philosophie, considérée ainsi comme une partie de l’histoire en général, est donc une science incontestable et d’un intérêt universel. […] Il y a des lois d’action et de réaction, des lois d’oscillation et de progrès, qui sont dignes du plus haut intérêt, et ainsi l’histoire de la philosophie jette une grande lumière sur les lois mêmes de l’esprit humain. […] Aujourd’hui la critique religieuse a pris un intérêt supérieur et jouit d’une très-grande faveur ; mais l’histoire religieuse a été préparée et facilitée par l’histoire de la philosophie. […] Ainsi les deux histoires sont intimement liées, et il n’y a pas de raison pour que l’intérêt qui se porte vers l’une se détache de l’autre.

121. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Mais la même raison qui a dû faire tomber tous ces genres d’éloges déclames ou chantés, écrits ou parlés, ou ridicules ou ennuyeux, ou vils ou du moins très inutiles à tout le monde, excepté à celui à qui on les paie, a dû au contraire accréditer les panégyriques des grands hommes qu’on peut louer sans honte, parce qu’on les loue sans intérêt, et qui, dans des temps plus heureux, ayant servi l’humanité et l’État, offrent de grandes vertus à nos mœurs, ou de grands talents à notre faiblesse. […] Malheur à vous, si les intérêts des États, si les maux des hommes, si les remèdes à ces maux, si la vertu, si le génie, si tout ce qu’il y a de grand et de noble, vous laisse sans émotion, et si en traitant tous ces objets vous pouvez vous défendre à vous-même d’être éloquent ? […] Mais si un peuple a des mœurs frivoles et légères ; si, au lieu de cette sensibilité profonde qui arrête l’âme et la fixe sur les objets, il n’a qu’une espèce d’inquiétude active qui se répande sur tout sans s’attacher à rien ; si, à force d’être sociable, il devient tous les jours moins sensible ; si tous les caractères originaux disparaissent pour prendre une teinte uniforme et de convention ; si le besoin de plaire, la crainte d’offenser, et cette existence d’opinion qui aujourd’hui est presque la seule, étouffe ou réprime tous les mouvements de l’âme ; si on n’ose ni aimer, ni haïr, ni admirer, ni s’indigner d’après son cœur ; si chacun par devoir est élégant, poli et glacé ; si les femmes même perdent tous les jours de leur véritable empire ; si, à cette sensibilité ardente et généreuse qu’elles ont droit d’inspirer, on substitue un sentiment vil et faible ; si les événements heureux ou malheureux ne sont qu’un objet de conversation, et jamais de sentiment ; si le vide des grands intérêts rétrécit l’âme, et l’accoutume à donner un grand prix aux petites choses, que deviendra l’éloquence chez un pareil peuple ? […] Si donc, en célébrant les grands hommes, vous voulez être mis au rang des orateurs, il faut avoir parcouru une surface étendue de connaissances ; il faut avoir étudié et dans les livres et dans votre propre pensée, quelles sont les fonctions d’un général, d’un législateur, d’un ministre, d’un prince ; quelles sont les qualités qui constituent ou un grand philosophe ou un grand poète ; quels sont les intérêts et la situation politique des peuples ; le caractère ou les lumières des siècles ; l’état des arts, des sciences, des lois, du gouvernement ; leur objet et leurs principes ; les révolutions qu’ils ont éprouvées dans chaque pays ; les pas qui ont été faits dans chaque carrière ; les idées ou opposées ou semblables de plusieurs grands hommes ; ce qui n’est que système, et ce qui a été confirmé par l’expérience et le succès ; enfin tout ce qui manque à la perfection de ces grands objets, qui embrassent le plan et le système universel de la société. […] Juger de tout, apprécier la vie, peser la crainte et l’espérance, voir et l’intérêt des hommes, et l’intérêt des sociétés, s’instruire par les siècles et instruire le sien, distribuer sur la terre et la gloire et la honte, et faire ce partage comme Dieu et la conscience le feraient, voilà sa fonction.

122. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Il faut dire ici que M. de Talleyrand, tout en profitant de sa position pour augmenter sa fortune par des moyens quelquefois peu délicats, ne s’est jamais laissé engager, même par les motifs d’intérêt les plus puissants, à favoriser des plans qu’il pouvait regarder comme destructeurs pour le repos de l’Europe. […] C’est par ce motif qu’il refusa constamment son appui aux intérêts de la nationalité polonaise. […] Les esprits dont la qualité principale est le bon sens ont cela d’heureux ou de malheureux, mais d’irrésistible, que lorsqu’ils sont en présence d’actes ou de projets démesurés, imprudents, déraisonnables, rien n’y fait, ni affection ni intérêt ; un peu plus tôt, un peu plus tard, ils ne peuvent s’empêcher de désapprouver. […] C’est à une solution dans ce dernier sens que tendaient le bon esprit et la politique comme les intérêts personnels de Talleyrand. […] Il y était intéressé sans doute, mais tous y étaient intéressés comme lui, et, après tout, un bon gouvernement n’est que la garantie des intérêts.

123. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Mme de Maintenon, pourtant, lui écrivait à ce propos, en la félicitant : « Comme je ne perds jamais vos intérêts de vue, je suis ravie que vous n’ayez plus trois cents femmes à gouverner. » Ainsi elle-même, Mme de Maintenon, croyait trois cents femmes plus difficiles à gouverner que trois cents hommes. […] Retournée à Madrid toute puissante et autorisée (août 1705), elle y règne véritablement dans l’intérieur du palais, et s’attache pour l’avenir à demeurer en parfaite concorde avec la cour et le cabinet de Versailles, jusqu’à l’heure toutefois où ce cabinet se mettra en désaccord avec les intérêts mêmes de l’Espagne. […] Elle savait se servir de l’étiquette, la mettre en avant ou la modifier et la détendre selon ses intérêts. […] Cependant, oubliant nos intérêts communs, elle s’est livrée tout entière à une inimitié que j’ignorais, et n’a songé qu’à contredire ceux qui ont été chargés de nos affaires. […] Les gens comme nous doivent s’élever au-dessus des démêlés particuliers, et se conduire par rapport à leurs propres intérêts et à ceux de leurs sujets, qui sont toujours les mêmes.

124. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

si elle n’a pas la charge de veiller tant à leurs intérêts communs qu’à leurs droits individuels, et par suite la capacité tant d’édicter que de faire respecter des règles générales ? […] C’est pourquoi il n’y a pas de bonne entente d’intérêts ni de juste équilibre de droits sans la communion des sentiments et l’échange des idées. […] « Mouvement de localisation universelle197 », la féodalité avait pour longtemps morcelé les intérêts et dispersé les pouvoirs. […] Une autorité centrale a en effet tout intérêt à ne pas respecter, dans le cercle nouveau où elle fait entrer toutes les unités sociales, les distinctions collectives qui les départageaient dans les cercles partiels. […] Les guerres coloniales ne sont-elles pas faites en vue d’intérêts industriels avoués ?

125. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

L’amour de l’étude, loin de priver la vie de l’intérêt dont elle a besoin, a tous les caractères de la passion, excepté celui qui cause tous ses malheurs, la dépendance du sort et des hommes. […] L’attention qu’exige l’étude, en détournant de songer aux intérêts personnels, dispose à les mieux juger. […] L’esprit est plus agité que l’âme ; c’est lui qu’il faut nourrir, c’est lui qu’on peut animer sans danger, le mouvement dont il a besoin se trouve tout entier dans les occupations de l’étude, et à quelque degré qu’on porte l’action de cet intérêt, ce sont des jouissances qu’on augmente, mais jamais des regrets qu’on se prépare. […] L’homme passionné et l’homme stupide éprouvent par l’étude le même degré d’ennui, l’intérêt leur manque à tous les deux ; car, par des causes différentes, les idées des autres ne trouvent en eux aucune idée correspondante : l’âme fatiguée s’abandonne enfin à l’impulsion qui l’entraîne et consacre sa solitude à la pensée qui la poursuit ; mais elle ne tarde pas à se repentir de sa faiblesse ; la méditation de l’homme passionné enfante des monstres, comme celle du savant crée des prodiges.

126. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 8-23

Qu’on parcoure ses Tragédies ; la sagesse & la vérité des caracteres, la justesse & l’habileté avec laquelle il les soutient, le pathétique & la chaleur qui les vivifie, offrent sans cesse des traits qui émeuvent le Spectateur, & lui font prendre tous les degrés d’intérêt que le Poëte veut lui communiquer. […] Non seulement ses Héros conservent en général les inclinations & les intérêts que l’Histoire leur attribue, mais encore chaque passion est approfondie dans ses sources, développée avec ses diverses nuances, manifestée par le langage qui lui est propre, sans s’écarter en rien de la Nature. […] Que ces reproches soient fondés ou non, on ne pourra se dispenser d’avouer que l’amour, trop souvent introduit dans ses Tragédies, en fait languir l’intérêt aux yeux des Spectateurs, qui préferent le plaisir d’être émus par l’impétuosité des grandes passions, à celui d’être attendris par des passions plus douces. […] Une preuve que l’amour n’est pas nécessaire pour animer l’intérêt d’une Tragédie, c’est que les Grecs n’en ont point fait usage.

127. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Comme diversion à ses graves volumes d’histoire, et pour se délasser, il ne cessait, en attendant, de se nourrir des ouvrages français du jour ; il les lisait dans leur primeur et en disait son sentiment avec intérêt, avec âme. C’est ainsi qu’ayant eu communication des Mémoires, alors manuscrits, de Mme de La Rochejacquelein, revus et en partie rédigés par M. de Barante, il déclarait y avoir trouvé « la jouissance la plus vive que livre puisse jamais procurer. » Il y voyait tout ce qui constitue un morceau accompli d’histoire, « l’harmonie et la justesse d’un style partout adapté à la chose, l’art pittoresque qui met toujours et la scène et les personnages devant les yeux, l’intérêt le plus vif, le plus enthousiaste, le plus vertueux, qu’aucune période de l’histoire moderne ait jamais présenté, un intérêt qui s’attache aux personnes et qui ne se perd jamais dans les masses et les nombres abstraits, comme il arrive trop souvent. » Les Lettres de Mlle de Lespinasse, nouvellement publiées (1809), lui faisaient un effet bien différent ; c’était, pour lui, une lecture singulière qui lui laissait des impressions contradictoires, et où il se sentait quelquefois rebuté par la monotonie de la passion, souvent blessé d’un manque de délicatesse et de dignité dans la victime, mais attaché en définitive par la vérité et la profondeur de l’étude morale : « Un rapprochement, dit-il, que je faisais à chaque page augmentait pour moi l’intérêt de cette Correspondance. […] Quel manque absolu d’intérêt pour la lecture, toutes les fois que cette lecture ne se rapportait pas à la société !  […] Les femmes sont toujours gracieuses et prévenantes, cela tient à leur essence ; mais, dans les hommes, on voit diminuer avec les années l’instruction comme la politesse : leur intérêt est tout tourné sur eux-mêmes ; avancer, faire son chemin est tellement le premier mobile de leur vie, qu’on ne peut douter qu’ils n’y sacrifient tout développement de leur âme comme tout sentiment plus libéral. » Voilà ce qu’on écrivait en 1813, il y a juste cinquante ans. […] J’évitais de toutes mes forces d’être confondu avec la nation dont je parle la langue, pendant ses triomphes ; mais je sens vivement, dans ses revers, combien je lui suis attaché, combien je souffre de sa souffrance, combien je suis humilié de son humiliation… Mille intérêts communs, mille souvenirs d’enfance, mille rapports d’opinion, lient ceux qui parlent une même langue, qui possèdent une même littérature, qui défendent un même honneur national.

128. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Ce qui est certain au moins, c’est que l’intérêt des sciences est singulièrement augmenté par cette manière de les rattacher toutes à quelques idées principales. […] « Ce n’est pas sans motif cependant qu’on met tant d’importance à fonder la morale sur l’intérêt personnel : on a l’air de ne soutenir qu’une théorie, et c’est en résultat une combinaison très-ingénieuse pour établir le joug de tous les genres d’autorité. […] Le crime même a plus de grandeur, quand il tient au désordre des passions enflammées, que lorsqu’il a pour objet l’intérêt personnel : comment donc pourrait-on donner pour principe à la vertu ce qui déshonorerait même le crime ?  […] Ont-ils pu lui parler de leurs froids intérêts, de leurs misérables désirs ? […] « Mais ce soir-là toute sa vivacité de libres pensées et de verve originale, toute cette chaleur de sympathie et de bienfaisance était comme éteinte par un seul et absorbant intérêt.

129. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Un sujet maigre et peu important, une fable mal tissue et sans intérêt. […] Il est bien question ici d’intérêt ! […] On conçoit à peine aujourd’hui comment les honnêtes gens de 1736 ont pu supporter pendant vingt-deux représentations ces grossièretés dégoûtantes qui remplissent presque toute la pièce, tandis qu’il n’y a guère que deux ou trois scènes où l’intérêt se montre : encore cet intérêt n’est-il point celui qu’on exige dans une bonne comédie ; c’est l’intérêt romanesque du drame. […] Mais l’intérêt, l’intérêt, voilà le grand mot : l’intérêt est en littérature ce que l’argent est en morale ; tout le monde veut en avoir à quelque prix que ce soit ; il excuse et couvre tous les vices. […] Il n’est peut-être pas de l’intérêt de la société que ces créatures paraissent si intéressantes ; mais on sait qu’un intervalle immense sépare l’intérêt de la société de celui du théâtre.

130. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Qui ne sait que le maître du capital est le maître de l’intérêt, et que l’Europe, livrée bientôt à ce pays de tous les monopoles, en subirait à jamais la loi ? […] Il me présentait la science sous un point de vue coloré et plein d’intérêt, au lieu de la réduire à je ne sais quelle analyse anatomique et morte, qui fait de la nature un squelette. […] Je m’ennuyais ; toute cette sculpture que l’on me faisait copier me semblait froide et dénuée d’intérêt. […] Pour eux j’étais un monomane, inaccessible à toute autre idée qu’à une idée dominante, un fou négligeant ses devoirs et sacrifiant ses intérêts à la folie qui le possède. […] C’était une scène fort dramatique, et dont le silence augmentait l’intérêt.

131. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Un écrivain humoristique sera donc un homme qui tend à n’éprouver et, par conséquent, à ne rendre chacune de ses sensations, de ses idées, de ses imaginations, de ses perceptions totales ou fragmentaires, que sous forme de sentiments, d’affections, de passions, d’émotions d’aversion, de crainte, de pitié, d’intérêt, de gaieté, et qui s’émeut ainsi sans cesse et, pour des gens autrement constitués, sans raison. […] Dombey, d’une assemblée d’hommes positifs et rassis, discutant, à mots rares, leurs affaires d’intérêt ou de gloriole, d’une réception guindée dans le monde, des conciliabules d’un couple de mielleux coquins, les insinuations, les mots manifestement hostiles et moqueurs ne manquent pas de postuler l’aversion et le mépris du lecteur. […] Quand ses héros ne sont pas comiques ou n’étonnent pas le lecteur par une perfidie tellement marquée qu’elle force l’attention et, dans une certaine mesure, l’intérêt, Dickens faiblit et échoue dans l’emploi de son art particulier de délinéation conversationnelle. […] Tous les spectacles qu’il fournit à la sensualité et à l’intelligence pures, sont exclus de son intérêt. […] Les passions qu’il étudie sont des passions de second ordre et il ne lui est pas venu le désir de s’occuper des grands intérêts et des grands instincts de l’homme.

132. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

C’est un système d’organisation fédérale, mais qui a pour caractère l’abolition des divisions et par conséquent des intérêts politiques, l’établissement d’un ordre purement économique. […] Il avait inventé le nouveau spiritualisme, philosophie oratoire, libéralisme philosophique, juste et commode doctrine bien taillée sur l’intelligence et les intérêts du bourgeois français. […] Le libéralisme, en triomphant, se dépouilla de sa générosité, et se fit le défenseur des intérêts, de l’influence, des préjugés d’une classe, avec laquelle il identifia le pays. […] Guizot, il avait cet esprit de mesure et cet amour de la clarté, qui écartent les inquiétudes troublantes et les trop hautes questions : il était à l’aise dans la sphère des choses finies, matérielles et tangibles, des intérêts et des faits. […] Foy (1775-1825), général de division en 1810, député de l’Aisne en 1819, de Paris en 1824 : il se donna pour rôle principal de défendre dans leur réputation et leurs intérêts collectifs ou individuels les anciens soldats de la Révolution et de l’Empire, Discours, 2 vol. in-8, 1826.

133. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Rien ne le retient : religion, piété, intérêt public, probité, ce ne sont pour lui que des moyens. […] Et, portraits ou récits, ses Mémoires sont d’un bout à l’autre une peinture curieuse du jeu complexe des sentiments et des intérêts humains. […] Le plus souvent, même avec sa fille, Mme de Sévigné surveille son inspiration, choisit, et fait effort pour dégager les qualités de son esprit, ou l’intérêt des choses. […] Elle se mêla aussi directement aux affaires où les princes qu’elle avait élevés, ceux qu’elle aimait, avaient intérêt : de là son rôle dans celles d’Espagne. […] J’y ajouterai, pour son intérêt chronologique, le Journal de Dangeau.

134. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

J’appelle morale quoi que ce soit qui fait que l’homme préfère — préfère quelquefois ou préfère souvent — l’intérêt d’autrui à son propre intérêt. […] Si cette définition est exacte, la morale n’a pas commencé là même où nous en sommes, car le bonheur de la médiocrité, c’est de la morale, si vous voulez, mais de la morale d’intérêt bien entendu. Or, la morale d’intérêt personnel, d’intérêt bien entendu, c’est la morale de La Fontaine. […] La solidarité et la bonté, c’est déjà une morale, c’est déjà quelque chose qui nous détache de l’intérêt personnel, même bien entendu. […] En somme, c’est la morale de l’intérêt bien entendu, du véritable intérêt bien entendu, qu’a soutenue La Fontaine, et non pas une autre et presque jamais une autre.

135. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Je veux prévenir ce malheur et en avertir le peuple et les magistrats. — Vous flattez-vous de débrouiller dans une comédie des intérêts si sérieux et si compliqués ? […] Avant cela, les caractères se prononçant en des actes sans intérêt marqué, n’attachaient la curiosité que par la correction du dessin et par la vérité des couleurs. […] Elles contiennent la totalité des règles de la comédie mixte, excepté l’exacte vraisemblance et l’intérêt dont elles peuvent se passer quelquefois. […] une image de tous les hommes que l’intérêt fait mouvoir et tourner sous un même fil aussi aisément que se meuvent les pantins de la foire. […] Ces faiblesses produisent encore les ridicules éternels de l’intérêt, de l’avarice, et de la confiance aveugle à la médecine.

136. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Cette seconde partie de ses Mémoires, qui le montre s’occupant des affaires d’intérêt public et du ménage politique de la Pennsylvanie, s’étend jusqu’à l’époque de sa première mission en Angleterre (1757), lorsque, âgé déjà de cinquante et un ans, il est chargé par ses compatriotes d’aller y plaider leurs intérêts contre les descendants de Penn, qui abusaient de leurs droits. […] Ce père, simple artisan, était, au dire de son fils, un homme de grand sens et d’un esprit solide, bon juge en toute matière d’intérêt privé ou général qui demandait de la prudence. […] Il avait beaucoup réfléchi sur la manière de prendre les hommes dans leur propre intérêt, et il avait reconnu qu’il ne faut pas pour cela sembler trop certain et trop assuré de son opinion ; les hommes agréent plus aisément et consentent mieux à recevoir de vous ce qu’ils peuvent croire avoir trouvé en partie eux-mêmes. […] Il attribue à cette précaution, après son caractère reconnu d’intégrité, le crédit qu’il obtint auprès de ses compatriotes dans ses diverses propositions d’intérêt public. […] Avec cela il a soin de nous avertir que cette application au bien général se faisait sans dommage pour ses intérêts particuliers ; il ne croit nullement que la première condition pour bien faire les affaires du public soit de commencer par mal faire les siennes propres.

137. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Le futur Louis XVIII resta assez longtemps avant de le distinguer, de lui adresser la parole ; après un an ou deux seulement, lorsqu’il sut que ce jeune homme qui était de sa maison allait avoir une tragédie représentée au Théâtre-Français, Marius à Minturnes, le comte de Provence y prit intérêt, se fit donner la pièce à la dérobée, porta son pronostic, fut presque fier du succès que cependant il n’avait point prédit, et honora dès lors le jeune poète, à son lever, de quelques-unes de ces paroles perlées et de ces citations coquettes qu’il méditait toujours à l’avance et qu’il savait placer à propos. […] Cazalès y est touché avec distinction, et avec plus de légèreté que la plume d’Arnault n’en aura d’ordinaire : Les cas exceptés, dit-il, où la conversation roulait sur des questions d’intérêt public, Cazalès ne commandait pas à beaucoup près, dans un salon, l’attention qu’on ne pouvait lui refuser à la tribune. […] En ce qui est de la tragédie, par exemple, il aspirait à quelque chose qu’on peut se figurer entre Shakespeare et Corneille : Les intérêts des nations, les passions appliquées à un but politique, le développement des projets de l’homme d’État, les révolutions qui changent la face des empires, voilà, disait-il, la matière tragique. Les autres intérêts, qui s’y trouvent mêlés, les intérêts d’amour surtout, qui dominent dans les tragédies françaises, ne sont que de la comédie dans la tragédie. — Ce n’est qu’une comédie non plus, qu’un drame, si sérieux, si pathétique qu’il soit, tout y étant fondé sur les intérêts privés. […] [NdA] Je tire ce récit non des Souvenirs d’Arnault, mais de sa Vie politique et militaire de Napoléon, publiée en 2 vol. in-folio en 1822 : c’est une histoire en tableaux et faite pour les planches lithographiées ; mais le texte a de l’intérêt et un mérite de rapidité et de concision.

138. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Je ne sais si Mme de Créqui n’en fut pas attaquée un moment ; on le dirait du moins, à voir son vif intérêt pour la personne de Rousseau et pour ses écrits. […] L’horreur des abus, le mépris des distinctions héréditaires, tous ces sentiments dont les classes inférieures se sont emparées dans leur intérêt, ont dû leur premier éclat à l’enthousiasme des grands, et les élèves de Rousseau et de Voltaire les plus ardents et les plus actifs étaient plus encore les courtisans que les gens de lettres. […] En attendant la catastrophe, la société était délicieuse ; la diversité des manières de voir, la vivacité des espérances ou des inquiétudes, la nouveauté des objets d’intérêt, y imprimaient un mouvement sans exemple. […] Cette correspondance, qui n’est qu’une indication de ce qui a fui et de ce qui ne s’écrivait pas, se termine assez naturellement, dans les premiers mois de 89 et avec l’ouverture des États généraux, d’abord parce que M. de Meilhan revint à Paris, et aussi parce qu’un commerce de lettres intimes sur les intérêts de société devenait insignifiant en présence des grands événements publics. […] On lit le journal, le regard tombe sur un discours (du temps qu’il y avait des discours) ou sur un rapport concernant les chemins de fer ou tout autre matière d’intérêt public ; on en connaît l’auteur, on essaie de le lire, et il en reste quelque expression de style administratif et positif, qui ensuite se glisse par mégarde sous la plume aux endroits les plus gracieux.

139. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

pourquoi, en présence des collègues ou des rivaux politiques tout occupés de l’intérêt ou du péril du moment, ne s’être pas dit : Je pense, moi, à l’avenir, au lendemain ; je le conjure, je le prépare ; je viens de temps en temps à la tribune donner mon coup de main à la politique générale, mais mon principal souci est ailleurs, et je serai content de ma part d’action si je puis être le grand maître perpétuel, non seulement de l’Université, mais des jeunes générations survenantes ? […] Il y a, pour parler son langage, trois éléments à considérer dans la société : les idées, les intérêts, les passions. […] Les intérêts, c’est-à-dire les finances, l’industrie, les branches diverses de la fortune publique, leurs rapports, leur jeu mobile, leurs crises, le mécanisme et le thermomètre du crédit, les signes et pronostics qui en résultent à chaque instant, il les sait peu, il ne les sait guère plus que M.  […] Or, cependant entre les idées et les intérêts de la société, s’il fallait absolument choisir pour la conduite politique, on courrait risque encore de se moins tromper en sachant et en consultant préférablement les intérêts. […] Nous qui l’avions écouté et suivi comme professeur, nous assistions non sans intérêt à cette transformation.

140. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Il y a quelques années, un Russe de distinction, le prince Alexandre Labanoff, s’est mis à rechercher avec un zèle incomparable, dans les archives, dans les collections et les bibliothèques de l’Europe, toutes les pièces émanant de Marie Stuart, les plus importantes comme les moindres de ses lettres, pour les réunir et en faire un corps d’histoire, et à la fois un reliquaire authentique, ne doutant pas que l’intérêt, un intérêt sérieux et tendre, ne jaillît plus puissant du sein de la vérité même. […] Le faible Darnley s’étant ouvert de sa jalousie aux lords et seigneurs mécontents, ceux-ci, dans l’intérêt de leur politique, le poussèrent à la vengeance, et s’offrirent à le servir de l’épée. […] Elle ne devient politique, comme cela est le propre des femmes passionnées, que dans l’intérêt de sa passion même et de sa vengeance. […] Elle émeut le monde entier dans l’intérêt de son infortune et le soulève par un charme puissant. […] Ce n’est plus la femme passionnée et légère, punie pour ses fragilités et ses inconstances, c’est l’héritière légitime de la couronne d’Angleterre, qui est exposée dans son donjon aux yeux du monde, une catholique fidèle, inébranlable, et qui refuse de sacrifier sa foi à l’intérêt de son ambition et même au salut de sa vie.

141. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Il y a seulement quelques circonstances où il n’est ni contre la vérité ni contre l’intérêt de rappeler l’instant qui n’est plus ou d’annoncer l’instant qui va suivre. […] Ajoutez un troisième personnage à la scène, il subira la loi des deux premiers ; c’est un système combiné de trois intérêts. […] Peu à peu chacun se résoudra à se départir d’une portion de son intérêt, et la masse se composera. […] Que l’artiste garde cette loi des énergies et des intérêts, et de quelque étendue que soit sa toile, sa composition sera vraie partout. Le seul contraste que le goût puisse approuver, celui qui résulte de la variété des énergies et des intérêts, s’y trouvera, et il n’y en faut point d’autre.

142. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Quand on peint un héros prêt à perdre l’existence, le souvenir de ce qu’il a fait, la grandeur de son caractère, captivent tout l’intérêt. […] Ce ne sont point des personnages mythologiques, apportant leurs volontés supposées ou leur froide nature au milieu des intérêts des hommes ; c’est le merveilleux des rêves, lorsque les passions sont fortement agitées. […] Les Anglais ont, dans leur histoire, beaucoup plus de situations tragiques que les Français ; et rien ne s’oppose à ce qu’ils exercent leur talent sur ces sujets, dont l’intérêt est national. […] D’abord il est démontré que de certaines situations, seulement effrayantes, que les mauvais imitateurs de Shakespeare ont voulu représenter, ne produisent qu’une sensation physique désagréable, et aucun des plaisirs que la tragédie doit donner ; mais, de plus, il y a beaucoup de situations touchantes en elles-mêmes, et qui néanmoins exigent un jeu de théâtre, fait pour distraire l’attention, et par conséquent l’intérêt. […] Philoctète est le seul exemple d’un effet théâtral produit par elle ; et ce sont les causes héroïques de sa blessure qui permettent de fixer l’intérêt des spectateurs sur ses maux.

143. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Un discours sur les intérêts les plus importants de la société humaine, peut fatiguer l’esprit, s’il ne contient que des idées de circonstance, s’il ne présente que les rapports étroits des objets les plus importants, s’il ne ramène pas la pensée aux considérations générales qui l’intéressent. […] Une épithète trop forte peut détruire entièrement un argument vrai ; la plus légère nuance déroute entièrement l’imagination prête à vous suivre ; une obscurité de rédaction que la réflexion pénétrerait bien aisément, lasse tout à coup l’intérêt que vous inspiriez ; enfin le style exige quelques-unes des qualités nécessaires pour conduire les hommes. […] Quand une fois la puissance de la parole est admise dans les intérêts politiques, elle devient de la plus haute importance. Dans les états où la loi despotique frappe silencieusement sur les têtes, la considération appartient précisément à ce silence, qui laisse tout supposer au gré de la crainte ou de l’espoir ; mais quand le gouvernement entre avec la nation dans l’examen de ses intérêts, la noblesse et la simplicité des expressions qu’il emploie peuvent seules lui valoir la confiance nationale. […] Le lecteur ne s’aperçoit pas d’abord que ce mot est nouveau, tant il lui paraît nécessaire ; et frappé de la justesse de l’expression, de son rapport parfait avec l’idée qu’elle doit rendre, il n’est pas détourné de l’intérêt principal ni du mouvement du style, tandis qu’un mot bizarre distrairait son attention, au lieu de la captiver.

144. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Le Chevalier, dans l’intérêt de la science et des lettres, de permettre la mention de ce monument exceptionnel dans notre recueil. […] Quels sont nos droits, quels sont nos intérêts et notre politique dans la coopération sans titre et sans but que nous apportons à la destruction de cette antique, vénérable et civilisatrice unité humaine du plus vaste et du plus inoffensif empire que la terre ait jamais porté ? […] qu’est-ce que le Japon, et quelle vaine manie d’expédition, sans possessions et sans intérêt, vous pousse à aller bouleverser à coup de boulets français ces fourmilières pacifiques et industrieuses, à la voix de quelques propagandistes agitateurs du monde, qui veulent imposer des mœurs européennes à des peuples qui vivent de dogmes asiatiques ? […] Géographie sacrée des Hébreux, géographie maritime des Phéniciens, géographie d’Alexandre qui efface les limites sous les pas de ses Grecs et de ses phalanges, de ses Ptolémée ; géographie des Romains, qui font l’Europe et qui refont une Afrique et une Asie Mineure avec Strabon ; géographie de Charlemagne, qui refait la moitié du globe chrétien avec les décombres du paganisme ; géographie de l’Angleterre, qui fait une monarchie navale et commerciale avec les pavillons de ses vaisseaux ; géographie de Napoléon, qui promène ses bataillons de Memphis à Madrid et à Moscou, conquérant tout sans rien retenir, et qui, de cette géographie napoléonienne de la conquête sans but, ne conserve pas même une île (Sainte-Hélène) pour mourir chez lui, après tant d’empires parcourus, en ne laissant partout que des traces de sang français versé pour la gloire ; géographie actuelle, qui se limite par l’équilibre des droits et des intérêts, qui élève contre l’ambition d’un seul la résistance pacifique de tous, et qui ne se dérange un moment par une ou deux batailles que pour se rétablir bien vite par la réaction naturelle de la liberté et de la paix. […] Si j’étais père de famille, au lieu d’être un solitaire de l’existence entre deux générations tranchées par la mort, du passé et de l’avenir de ce globe, qui n’a plus pour moi que le tendre et triste intérêt du tombeau ; ou si j’étais un instituteur de la jeunesse, chargé de lui enseigner le plus rapidement et le plus éloquemment possible ce que tout homme doit savoir du globe et de la race à laquelle il appartient, pour être vraiment intelligent de lui-même, je suspendrais un globe terrestre au plancher de ma modeste école, et j’expliquerais, avec ce miraculeux démonstrateur de l’astronomie, le second Herschel, la place et le mouvement de notre globule au milieu des espaces et des mouvements de cette armée des astres, qui exécutent, chacun à son rang et à son heure, la divine stratégie des mondes.

145. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

L’athée, c’est l’indifférent, c’est l’homme superficiel et léger, celui qui n’a d’autre culte que l’intérêt et la jouissance. […] Au contraire, ce nuage des petits intérêts étant tombé pour le passé, il nous apparaît grave, sévère, désintéressé. […] On reproche souvent à certaines doctrines sociales de ne se préoccuper que des intérêts matériels, de supposer qu’il n’y a pour l’homme qu’une espèce de travail et qu’une espèce de nourriture et de concevoir pour tout idéal une vie commode. […] Héros de la vie désintéressée, saints, apôtres, mounis, solitaires, cénobites, ascètes de tous les siècles, poètes et philosophes sublimes qui aimâtes à n’avoir pas d’héritage ici-bas ; sages, qui avez traversé la vie ayant l’œil gauche pour la terre et l’œil droit pour le ciel, et toi surtout, divin Spinoza, qui restas pauvre et oublié pour le culte de ta pensée et pour mieux adorer l’infini, que vous avez mieux compris la vie que ceux qui la prennent comme un étroit calcul d’intérêt, comme une lutte insignifiante d’ambition ou de vanité ! […] Le siècle paraît n’obéir qu’à deux mobiles, l’intérêt et la peur.

146. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. IXe et Xe volumes »

Thiers, c’est dans un intérêt d’équité que l’histoire doit relever l’injustice de ces reproches : mais tant pis pour un gouvernement, quand on lui impute tout à crime. […] En débrouillant ces démêlés confus où tant de passions et d’intérêts se croisent, M.  […] Il faut que toute une génération disparaisse, alors il ne reste des prétentions des partis que les intérêts légitimes, et le temps peut opérer entre ces intérêts une conciliation naturelle et raisonnable.

147. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Les instruments étaient des hommes, il leur fallait en perspective un salaire humain ; mais la révolution n’était rien de tout cela ; elle n’était pas corps, elle était idée ; elle n’était pas intérêt, elle était dévouement ; elle n’était pas civile, elle était morale. Vous auriez donné, par toutes ces petites réformes, satisfaction à chacun de ces misérables intérêts purement civils ou administratifs de la France, que vous n’auriez pas apaisé la commotion de l’esprit moderne, auquel la littérature et la philosophie françaises avaient mis le feu. […] Qu’importait donc à l’Europe que la cour, le clergé, les parlements, la noblesse, le peuple se donnassent en France telle ou telle égalité, ou telle ou telle supériorité réciproque, qui ne touchait en rien aux intérêts personnels ou matériels des différents États du continent ? Les petits intérêts, purement locaux, matériels ou nationaux, n’auraient pas passé les frontières de France. Les intérêts ne les passent pas, mais l’esprit passe par-dessus les fleuves et les montagnes.

148. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Les uns et les autres étaient attirés par des motifs divers : ceux-ci par l’intérêt qu’ils portaient au gouvernement, ceux-là par le plaisir de le voir contredire, beaucoup par zèle pour la question soulevée, tous enfin par la curiosité, et, il faut le dire, par un goût tout nouveau pour la discussion éloquente des affaires publiques qui venait de se développer dans notre pays. […] Le spectacle d’hommes remarquables par le caractère, l’intelligence, le talent, pensant différemment les uns des autres, se le disant vivement, rivaux sans doute, mais rivaux pas aussi implacables que ces généraux qui, en Espagne, immolaient des armées à leurs jalousies ; occupés sans cesse des plus graves intérêts des nations, et élevés souvent par la grandeur de ces intérêts à la plus haute éloquence ; groupés autour de quelques esprits supérieurs, jamais asservis à un seul ; offrant de la sorte mille physionomies, animées, vivantes, vraies comme l’est toujours la nature en liberté ; — ce spectacle intellectuel et moral commençait à saisir et à captiver fortement la France. […] Thiers a une solution décidée, promettent aux prochains volumes un intérêt puissant.

149. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

Et pour Pascal, comme pour Voltaire, acteurs et caractères ne sont que des cadres : ce n’est pas l’intérêt dramatique qu’ils cherchent, c’est la démonstration forte d’une vérité théologique ou philosophique. […] Le inonde, en ne voulant pas prendre intérêt à elle, l’avait forcée à se prendre exclusivement sous sa protection. […] Il faut voir dans Corneille comment, dans les âmes des héros, pour produire les révolutions soudaines des nations, parmi les grands intérêts des États et les raisons de la plus sublime philosophie, peuvent trouver place et prendre rang de causes efficaces les incidents familiers de la vie réelle, les relations sociales, les affections de famille, les situations communes que créent à tous les hommes les croyances et les institutions communes de l’humanité. […] S’il vous est arrivé jamais de concevoir l’idée d’un enfantillage, d’une équipée, d’une folie, pure fantaisie de l’esprit inquiet et désœuvré, et de passer à l’exécution sans autre raison que l’idée conçue, sans entraînement, sans plaisir, mais fatalement, sans pouvoir résister ; — si vous avez repoussé parfois de toutes les forces de votre volonté une tentation vive, si vous en avez triomphé, et si vous avez succombé à l’instant précis où la tentation semblait s’évanouir de l’âme, où l’apaisement des désirs tumultueux se faisait, où la volonté, sans ennemi, désarmait ; — si vous avez cru, après une émotion vive, ou un acte important, être transformé, régénéré, naître à une vie nouvelle, et si vous vous êtes attristé bientôt de vous sentir le même et de continuer l’ancienne vie ; — si par un mouvement de générosité spontanée ou d’affection vous avez pardonné une offense, et si vous avez par orgueil persisté dans le pardon en vous efforçant de l’exercer comme une vengeance ; — si vous avez pu remarquer que les bonnes actions dont on vous louait n’avaient pas toujours de très louables motifs, que la médiocrité continue dans le bien est moins aisée que la perfection d’un moment, et qu’un grand sacrifice s’accomplit mieux par orgueil qu’un petit devoir par conscience, qu’il coûte moins de donner que de rendre, qu’on aime mieux ses obligés que ses bienfaiteurs, et ses protégés que ses protecteurs ; — si vous avez trouvé que dans toute amitié il y a celle qui aime et celle qui est aimée, et que la réciprocité parfaite est rare, que beaucoup d’amitiés ont de tout autres causes que l’amitié, et sont des ligues d’intérêts, de vanité, d’antipathie, de coquetterie ; que les ressemblances d’humeur facilitent la camaraderie, et les différences l’intimité ; — si vous avez senti qu’un grand désir n’est guère satisfait sans désenchantement, et que le plaisir possédé n’atteint jamais le plaisir rêvé ; — si vous avez parfois, dans les plus vives émotions, au milieu des plus sincères douleurs, senti le plaisir d’être un personnage et de soutenir tous les regards du public ; — si vous avez parfois brouillé votre existence pour la conformer à un rêve, si vous avez souffert d’avoir voulu jouer dans la réalité le personnage que vous désiriez être, si vous avez voulu dramatiser vos affections, et mettre dans la paisible égalité de votre cœur les agitations des livres, si vous avez agrandi votre geste, mouillé votre voix, concerté vos attitudes, débité des phrases livresques, faussé votre sentiment, votre volonté, vos actes par l’imitation d’un idéal étranger et déraisonnable ; — si enfin vous avez pu noter que vous étiez parfois content de vous, indulgent aux autres, affectueux, gai, ou rude, sévère, jaloux, colère, mélancolique, sans savoir pourquoi, sans autre cause que l’état du temps et la hauteur du baromètre ; — si tout cela, et que d’autres choses encore !

150. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Le conflit de l’intérêt social, que ce soit l’intérêt de l’État ou l’intérêt de certains groupes influents dans l’État, et le droit individuel n’est pas près de cesser. […] Il protège la catégorie sociale dans l’intérêt de laquelle il est fait et refuse sa protection ceux qui n’en font pas partie ou vivent en marge de cette catégorie.

151. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Préface. de. la premiere édition. » pp. 1-22

Les intérêts de la Société ont conduit à de nouvelles réflexions. Nier l’immortalité de l’ame, ôter tout frein aux passions, confondre les notions du bien & du mal, réduire tout à l’amour de soi-même, exterminer toutes les vertus, rompre tous les liens, attaquer les Loix, renverser les principes, ne faire, en un mot, de la vie humaine qu’un tissu de motifs arbitraires, d’intérêts personnels, d’appétits sensuels & déréglés, d’actions animales* ; la terminer par un anéantissement entier, ou préconiser un suicide aveugle qui, par foiblesse ou par désespoir, en abrege le cours : n’étoit-ce pas en insulter les membres, & leur porter les coups les plus funestes ? […] N’a-t-elle pas surchargé nos Tragédies de ces sentences parasites qui les défigurent, de ces sentimens excessifs qui en affoiblissent l’intérêt, de ces discussions pédantesques qui refroidissent l’action ? […] Il seroit inutile de leur dire, qu’en Littérateurs zélés & en bon Citoyens, nous préférons l’intérêt des Lettres & du Public, à celui de leur vanité ; qu’avec les mêmes sentimens, ils devroient être plus dociles, & ne pas s’offenser ; que tant de penchant à se révolter contre la censure, est la preuve la plus certaine d’un talent médiocre & d’une gloire usurpée ; que rien ne nous assujettit ni ne peut nous assujettir à louer ce qui ne nous paroît pas louable ; que nous leur permettons la critique de nos jugemens, sauf à y répondre, s’ils n’apportent pas de bonnes raisons : nous nous contenterons de les assurer que l’impartialité a été notre premiere regle.

152. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Eh bien, c’est cette organisation, tombée sous les combinaisons monarchiques de Richelieu et de Louis XIV, et achevée enfin par l’édit de suppression de l’économiste Turgot, que Francis Lacombe voudrait voir rétablie au xixe  siècle, tant au nom des intérêts de la démocratie qu’au nom de l’intérêt du pouvoir ! […] Dans cette vaste constitution, il sera juste de voir figurer un syndicat chargé de représenter chaque profession au sein de la société générale ; de surveiller officiellement l’éducation des apprentis dans le ressort de chaque groupe industriel ; de juger tous les différends des fabricants entre eux ou les différends des chefs d’ateliers avec les ouvriers, afin que le moindre oubli des lois de l’humanité de la part du premier envers le dernier soit frappé d’une réprobation générale et flétri par le stigmate du déshonneur ; de veiller à l’exécution de la loi constitutive librement consentie et à la distribution des secours accordés aux travailleurs pauvres et nécessiteux sur la caisse de la communauté, qu’alimenteront les versements pécuniaires et fixes de tous les associés ; de blâmer, de condamner à une amende quelconque, et même au besoin d’exclure de l’association, tel fabricant ou chef d’atelier qui, par une production mauvaise ou quelque autre délit commis, soit envers les ouvriers soit envers les acheteurs, compromettrait les intérêts moraux ou matériels de toute une industrie. » Certes ! […] On aura remplacé des réunions anarchiques où le peuple s’occupe d’idées qu’il n’entend pas, par des réunions d’ordre et de liberté où il s’occupera de ses intérêts, qu’il entend très bien.

153. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

. — Lorsque le gouvernement devint démocratique, le petit peuple de Rome, comme celui d’Athènes, ne cessait de faire des lois d’intérêt privé, incapable qu’il était de s’élever à des idées générales. Sylla, le chef du parti des nobles, après sa victoire sur Marius, chef du parti du peuple, remédia un peu au désordre par l’établissement des quæstiones perpetuæ ; mais dès qu’il eut abdiqué la dictature, les lois d’intérêt privé recommencèrent à se multiplier comme auparavant (Tacite). La multitude des lois est, comme le remarquent les politiques, la route la plus prompte qui conduise les états à la monarchie ; aussi Auguste pour l’établir en fit un grand nombre ; et les princes qui suivirent, employèrent surtout le sénat à faire des sénatus-consultes d’intérêt privé. […] Ainsi tandis que sous l’aristocratie, l’on avait observé si rigoureusement le privilegia ne irroganto, de la loi des douze tables, on fit sous la démocratie une foule de lois d’intérêt privé, et sous la monarchie les princes ne cessèrent d’accorder des privilèges.

154. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

Quoi de plus honorable, de plus digne d’intérêt que le travail assidu (fût-il un peu hâtif et lâché) d’un écrivain pauvre, vivant par là et soutenant les siens ? […] On fait bien d’appeler et de provoquer l’attention du pouvoir sur ce point ; le pouvoir a fait semblant de s’en occuper, comme il fera toujours désormais de ce qui lui sera déféré avec bruit et grand concert d’intérêts en souffrance : mais tout s’est borné à des démonstrations. […] Rien de plus légitime assurément que des gens de lettres s’associant pour s’entendre sur leurs intérêts matériels et s’y éclairer. […] Quelques auteurs entichés pourraient s’en trouver purement et simplement flattés ; de plus aguerris et de plus stricts useraient du droit de répression, requérant en justice dommages et intérêts : le plus sûr et le plus fructueux est d’amener par transaction ces journaux à payer tribut pour leur reproduction, et à s’abonner, en quelque sorte, à vous. […] Comme l’homme de lettres isolé a peu de force, de loisir, et souvent peu d’entente de ces chicanes, un agent spécial, un comité permanent, veilleront pour lui et plaideront son intérêt.

155. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Ces années furent bien brillantes encore durant tout le cours de cette ambassade, où il sut se concilier la faveur de l’illustre souveraine et servir efficacement les intérêts de la France. […] Si quelque intérêt s’attache aujourd’hui pour nous à cette négociation, il tient tout entier, on le conçoit, à la façon dont le négociateur nous la raconte, et au jeu subtil des mobiles qu’il nous fait toucher. […] La prudence exige de n’y compter qu’autant que les intérêts communs s’y trouvent, et l’expérience de tous les siècles apprend que ces liaisons de parenté sont souvent plus embarrassantes qu’utiles quand les intérêts sont naturellement opposés. »  — Un des soins de M. de Ségur dans ses notes est de rejoindre, autant que possible, la morale et la politique, et de ne plus les vouloir séparer. […] J’eus occasion de lire votre Galerie morale et politique  : bientôt un peu de calme entra dans mon sein ; je suivais avec intérêt le voyageur que vous guidez dans l’orageux passage de la vie ; j’aurais voulu l’être, ce voyageur, je le devins. […] La somme qu’il offrait était telle que le permettaient alors les ressources opulentes de la librairie et le concert merveilleux de l’intérêt public : trente billets de 1, 000 fr. le jour de la remise du manuscrit.

156. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

En ce temps-là, on était apprenti aux divisions ; en celui-ci, tout le monde y est maître. » Et ce n’est point par intérêt personnel qu’il parle, dit-il, car « j’avais assez et trop de connaissance de la jalousie qu’il (Henri IV) portait à ceux de ma condition et religion, et connais bien que nous ne fûmes jamais plus considérables qu’à présent. » Mais cet intérêt qu’il a comme religionnaire et comme l’un des grands du royaume, il le met sous ses pieds un moment et le subordonne (ce qu’il ne fera pas toujours) à sa qualité de Français : Je regrette, s’écrie-t-il, en la perte de notre invincible roi, celle de la France. […] Au lieu d’une route désormais tout ouverte pour lui de grand capitaine en plein soleil, de généreux et féal Français, sous un grand homme dont il aurait été le lieutenant illustre et le second, il va se trouver engagé par la force des choses dans une vie de faction, de lutte en tous sens, de dispute pied à pied et de chicane avec les siens et les orateurs envieux de son parti, de rébellion en face des armées et de la personne même de son roi, d’alliance continuelle avec l’étranger ; il va former et consumer ses facultés d’habile politique et d’habile guerrier dans des manœuvres où l’intérêt et l’ambition personnelle font, avec les noms sans cesse invoqués de Dieu et de conscience, le plus équivoque mélange, tellement que celui même qui s’y est livré si assidûment serait bien embarrassé peut-être à les démêler. […] Toutefois le caractère du duc de Rohan, bien que surtout formé de politique, et différant peu en cela de celui de Bouillon, semble plus fait pour embrasser les intérêts du parti en lui-même, et on entrevoit dans ses desseins, s’il avait réussi, plus de générosité et de grandeur : à mesure qu’il avance, il est plus sincère dans son rôle de grand seigneur réformé. […] Son dessein eût été d’agir militairement, de démanteler les petites places qui ne pouvaient tenir, et de fortifier les principales, Nîmes, Montpellier, Uzès ; « Nous avions, dit-il, des hommes assez suffisamment pour faire une gaillarde résistance ; mais l’imprévoyance des peuples et l’intérêt particulier des gouverneurs des places firent rejeter mon avis, dont depuis ils se sont bien repentis. » Dans ses remarques sur les Commentaires de César, admirant l’influence qu’eut Vercingétorix sur les peuples de la Gaule pour leur faire accueillir les meilleurs moyens de défense : Il a eu, dit-il, le pouvoir de faire mettre le feu à plus de vingt villes pour incommoder leurs ennemis, ce qui témoigne son bon sens… Son grand crédit est remarquable ; car, à des peuples libres, au commencement d’une guerre, avant que d’en avoir éprouvé les mauvais succès et dans l’espérance de pouvoir vaincre sans venir à des remèdes si cuisants, il leur persuade de mettre le feu à leurs maisons et à leurs biens, pour la conservation desquels se fait le plus souvent la guerre. […] Bref, après la mort de Luynes, après bien des pourparlers semblables entremêlés aux coups de main, M. de Rohan, qui voit tout le peuple las de la guerre, à qui il ne reste pas de fourrage pour nourrir huit jours sa cavalerie très diminuée, et qui n’a plus aucun espoir de secours de la part des coreligionnaires étrangers, s’abouche avec le connétable de Lesdiguières pour rédiger un traité (octobre 1622) qui sauve et maintient les points principaux nécessaires au parti, et où ses propres intérêts aussi ne sont pas tout à fait oubliés : après quoi il n’est pas seulement pardonné par le roi, il a un éclair de faveur en Cour.

157. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Aussitôt que je sus la résolution du roi d’accepter le testament, je songeai que l’intérêt de la France était principalement de détruire en Espagne le parti qui reste affectionné à l’empereur, et, par conséquent, qu’il fallait éviter d’y introduire une Allemande, à qui il serait aisé d’acquérir de nouvelles créatures et de conserver les anciennes par le crédit qu’ont ordinairement les reines dans ce royaume. […] Il me dit d’abord qu’en prenant la fille de l’empereur, ce serait peut-être le moyen d’adoucir la cour de Vienne et de conserver le repos de la chrétienté ; mais, ayant fait de sages réflexions, il convint avec moi que le premier intérêt de la cour d’Espagne était de renoncer absolument à toutes autres liaisons pour mériter davantage l’amitié et la confiance de notre roi. […] Je n’ai pas cru pouvoir vous engager à entrer dans cette affaire, madame, qu’en vous y faisant trouver un gros intérêt, car j’appréhende que vous ne soyez très lasse de vous employer pour moi. […] on mesure le chemin qu’avait parcouru dans l’intervalle cette femme capable, énergique, et qui, comme la plupart des grands ambitieux, avait eu beaucoup à user de sa souplesse dans l’intérêt de son orgueil. […] Toute femme qu’elle est (notez-le bien), elle n’a pas de nerfs, de vapeurs, ni de ces nuages qui passent ; elle n’a pas cette imagination qui grossit les objets : sur un fond de santé forte, d’humeur heureuse et peut-être d’indifférence, il y a un esprit ferme, adroit et actif, de vives qualités disponibles, dressées de bonne heure à la grande vie, au train des cours, et qui cherchent leur aliment et leur plaisir dans le démêlé des intérêts, dans le maniement des ressorts, dans l’influence et la représentation continue.

158. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Le gouvernement aristocratique offrant une carrière plus lente et plus mesurée, fixe davantage l’intérêt sur tous les genres d’avenir : les lumières philosophiques sont nécessaires à la considération dans un corps d’hommes choisis, tandis qu’il suffit des ressources de l’imagination pour émouvoir la multitude rassemblée. […] L’éloquence orageuse de la Grèce, ni l’ingénieuse flatterie de la France ne sont faites pour les gouvernements aristocratiques : ce n’est ni le peuple, ni l’individu-roi qu’il faut captiver ; c’est un corps, c’est un petit nombre, mettant en commun ses intérêts séparés. […] L’habitude de ne laisser voir aucune de leurs impressions personnelles, de porter toujours l’intérêt vers les principes philosophiques, donne de l’énergie, mais souvent aussi de la sécheresse et de l’uniformité à leur littérature. […] On n’aurait jamais pu, d’ailleurs, transporter à Rome l’intérêt que trouvaient les Grecs dans les tragédies dont le sujet était national26. […] Brutus, dans ses lettres, ne s’occupait point de l’art d’écrire : il n’avait pour but que de servir les intérêts politiques de son pays ; et cependant la lettre qu’il adresse à Cicéron, pour lui reprocher les flatteries qu’il prodiguait au jeune Octave, est peut-être ce qui a été écrit de plus beau dans la prose latine.

159. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

A mesure que la Révolution approche, l’intérêt passionné qu’on prend aux affaires publiques, aux principes, aux réformes, fait éclore de toutes parts, dans toutes les sociétés, des facultés oratoires qui se dépensent dans les conversations et dans les correspondances. […] Car le véritable intérêt des monuments de l’éloquence révolutionnaire est dans le terrible drame dont on suit jour à jour pour ainsi dire les péripéties : drame national, où s’explique une des grandes crises qu’ait traversées notre pays, drame individuel, où des caractères énergiques défendent à chaque instant leur autorité, leur honneur, leur vie. Tout cela est d’un intérêt brûlant. […] Elle se fût aussi plus facilement détachée de l’histoire : telle qu’elle est, elle a besoin d’être encadrée dans les circonstances, rapportée aux actions et aux intérêts qui lui ont donné lieu. […] Partout il porte sa netteté de conception et la vigueur de son éloquence : Beaumarchais en apprend quelque chose, lorsqu’ils représentent des intérêts opposés dans l’affaire des eaux de Paris.

160. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

La masse commence à oublier qu’il y ait jamais eu un roi, et, une fois la paix faite au-dehors et un régime doux au-dedans, le peuple n’aura plus d’intérêt à désirer un autre ordre de choses. […] Ce n’était point par un coup de main, fût-il heureux, qu’on pourrait faire face et satisfaire à tant d’intérêts et de sentiments de nouvelle espèce et de formation récente : « Les coups de main sont pernicieux tant qu’on n’a point pourvu à leur lendemain » ; et un succès partiel n’entamerait point la République, « à moins qu’en même temps et avant tout on ne frappât juste sur les esprits et les intérêts, en saisissant le point de conciliation auquel on peut espérer d’amener les volontés et les efforts ». […] celui-là a su mettre à profit l’adversité… Je ne me suis donc pas trop avancé quand j’ai dit que Mallet du Pan, s’il avait vécu jusqu’en 1830, n’eût pas manqué d’adhérer à la tentative de monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe ; et avec son rare pronostic, dès le 20 février 1796, dans une lettre où il est question de ce même duc d’Orléans, il écrivait : Si, par une conduite compatible avec les personnes, avec les préjugés et les intérêts du temps, avec la force impérieuse des circonstances, le roi (Louis XVIII) ne retourne et ne fixe vers lui ou vers sa branche cette multitude de révolutionnaires anciens et nouveaux, Royalisés à demi ou en chemin de se royaliser, vous les verrez prendre le premier roi qui s’arrangera avec eux. […] Si quelque chose doit affliger, c’est l’accès qu’on leur donne, et le tort qu’ils font à la cause de ceux qui les accueillent avec tant de légèreté ; il n’est pas un révolutionnaire qui ne doive rester tel, en apprenant de quelle indigne manière sont traités ceux qui ont défendu avec le plus de constance et de courage les intérêts de la maison de Bourbon. […] Son habileté et son bonheur seront au comble s’il parvient seulement à mettre en harmonie d’anciens préjugés avec les nouveaux, les intérêts qui précédèrent et ceux qui suivirent la Révolution : fragile mais désirable alliance de l’autorité monarchique et de la liberté, contre laquelle lutteront sans cesse les souvenirs, soit de la toute-puissance royale, soit de l’indépendance révolutionnaire… Il pressentait combien le génie français, toujours dans les extrêmes, et composé d’insouciance et d’impatience, était peu propre à cette lutte continuelle, à cet équilibre qui exige suite, vigilance, et modération jusque dans le conflit.

161. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Les lois sont faites par ceux-là mêmes qui doivent en profiter ; les fonctionnaires n’ont qu’accidentellement des intérêts contraires à ceux du public ; au fond, leurs passions et leurs besoins sont identiques. […] Ce que l’école libérale appelait le despotisme de la démocratie, c’était la violence démagogique, le gouvernement brutal et sauvage des masses ; mais Tocqueville avait en vue une autre espèce de despotisme, non pas celui de la démocratie militante, entraînée par la lutte à d’abominables violences et manifestant à la fois une sauvage grandeur : non, il croyait voir la démocratie au repos, nivelant et abaissant successivement tous les individus, s’immisçant dans tous les intérêts, imposant à tous des règles uniformes et minutieuses, traitant les hommes comme des abstractions, assujettissant la société à un mouvement mécanique, et venant à la fin se reposer dans le pouvoir illimité d’un seul. […] Toutes les fois qu’on se mêle des intérêts des hommes, on est sûr de ne pas leur plaire. Pour une place vacante, a-t-on dit, un gouvernement fait neuf mécontents et un ingrat : de même pour une faveur à accorder, pour un intérêt à régler, pour un droit à protéger. […] Il montrait qu’ils ne sont pas toujours en raison directe l’un de l’autre, que l’esprit d’égalité n’a rien à craindre, qu’il est irrésistible, qu’il trouve toujours à gagner, même dans ses défaites, que les gouvernements ont intérêt à l’encourager et à le satisfaire, que, soutenue par la passion des peuples et l’intérêt des souverains, l’égalité fera son chemin quand même et par la force des choses, qu’enfin le vrai problème ne consiste pas à chercher si l’on aura l’égalité, mais quelle sorte d’égalité on aura.

162. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Je ne crois pas qu’il songe une fois par semaine aux intérêts d’argent et de place. […] Par exemple, considérant la société à Rome, vous y distinguez la faculté très générale d’agir en corps, avec une vue d’intérêt personnel, faculté instituée en partie par des dispositions primitives102, mais principalement par cette circonstance que Rome, dès sa naissance, fut un asile, ennemi de ses voisins, composé de corps ennemis, où chacun était absorbé par la pensée de son intérêt, et obligé d’agir en corps. […] De ce groupe de dispositions morales, on peut déduire tous les détails importants de la constitution romaine ; et il se déduit lui-même de la faculté égoïste et politique que vous avez d’abord détachée. — Portez-la dans la vie privée : vous verrez naître l’esprit intéressé et légiste, l’économie, la frugalité, l’avarice, l’avidité, toutes les coutumes calculatrices qui peuvent conserver et acquérir, les formes minutieuses de transmission juridique, les habitudes de chicane, toutes les dispositions qui sont une garantie ou une arme publique et légale. — Portez-la dans les affections privées : la famille, transformée en institution politique et despotique, fondée, non sur les sentiments naturels, mais sur une communauté d’obéissance et de rites, n’est plus que la chose et la propriété du père, sorte de province léguée chaque fois par une loi en présence de l’État, employée à fournir des soldats au public. — Portez-la dans la région : la région, fondée par l’esprit positif et pratique, dépourvue de philosophie et de poésie, prend pour dieux de sèches abstractions, des fléaux vénérés par crainte, des dieux étrangers importés par intérêt, la patrie adorée par orgueil ; pour culte une terreur sourde et superstitieuse, des cérémonies minutieuses, prosaïques et sanglantes ; pour prêtres des corps organisés de laïques, simples administrateurs, nommés dans l’intérêt de l’État et soumis aux pouvoirs civils. — Portez-la dans l’art : l’art, méprisé, composé d’importations ou de dépouilles, réduit à l’utile, ne produit rien par lui-même que des œuvres politiques et pratiques, documents d’administration, pamphlets, maximes de conduite ; aidé plus tard par la culture étrangère, il n’aboutit qu’à l’éloquence, arme de forum, à la satire, arme de morale, à l’histoire, recueil oratoire de souvenirs politiques ; il ne se développe que par l’imitation, et quand le génie de Rome périt sous un esprit nouveau. — Portez-la dans la science : la science, privée de l’esprit scientifique et philosophique, réduite à des imitations, à des traductions, à des applications, n’est populaire que par la morale, corps de règles pratiques, étudiées pour un but pratique, avec les Grecs pour guides ; et sa seule invention originale est la jurisprudence, compilation de lois, qui reste un manuel de juges, tant que la philosophie grecque n’est pas venue l’organiser et le rapprocher du droit naturel. Un esprit sec et net, qui est probablement l’effet de la structure primitive du cerveau, une circonstance persévérante et puissante, qui fut la nécessité de songer à son intérêt et d’agir en corps, ont produit chez ce peuple et fortifié outre mesure la faculté égoïste et politique.

163. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

Il est d’une naissance obscure ; il le sait, il est certain que personne ne l’ignore ; mais au lieu de dédaigner cet avantage par intérêt et par raison, il n’a qu’un but dans l’existence, c’est de vous parler des grands seigneurs avec lesquels il a passé sa vie ; il les protège, de peur d’en être protégé ; il les appelle par leur nom, tandis que leurs égaux y joignent leurs titres, et se fait reconnaître subalterne par l’inquiétude même de le paraître. […] La vanité, l’orgueil donnent quelque chose de stationnaire à la pensée, qui ne permet pas de sortir du cercle le plus étroit, et cependant dans ce cercle, il y a une puissance de malheur plus grande que dans toute autre existence dont les intérêts seraient plus multipliés. […] Quand la part qu’elles ont dans les affaires naît de leur attachement pour celui qui les dirige, quand le sentiment seul dicte leurs opinions, inspire leurs démarches, elles ne s’écartent point de la route que la nature leur a tracée : elles aiment, elles sont femmes ; mais quand elles se livrent à une active personnalité, quand elles veulent ramener à elles tous les événements, et les considèrent dans le rapport de leur propre influence, de leur intérêt individuel, alors à peine sont-elles dignes des applaudissements éphémères dont les triomphes de la vanité se composent. […] Absorbées par cet intérêt, elles abjurent, plus que les guerrières du temps de la chevalerie, le caractère distinctif de leur sexe ; car il vaut mieux partager dans les combats les dangers de ce qu’on aime, que se traîner dans les luttes de l’amour propre, exiger du sentiment, des hommages pour la vanité, et puiser ainsi dans la source éternelle pour satisfaire le mouvement le plus éphémère, et le désir dont le but est le plus restreint : l’agitation que fait éprouver aux femmes une prétention plus naturelle, puisqu’elle tient de plus près à l’espoir d’être aimée ; l’agitation que fait éprouver aux femmes le besoin de plaire par les agréments de leur figure, offre aussi le tableau le plus frappant des tourments de la vanité. […] La peine se multiplie par la peine, et le but s’éloigne par l’action même du désir ; et dans ce tableau qui semblerait ne devoir rappeler que l’histoire d’un enfant, se trouvent les douleurs d’un homme, les mouvements qui conduisent au désespoir et font haïr la vie ; tant les intérêts s’accroissent par l’intensité de l’attention qu’on y attache ; tant la sensation qu’on éprouve, naît du caractère qui la reçoit bien plus que de l’objet qui la donne.

164. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface du « Roi s’amuse » (1832) »

Ces prières et ces sollicitations que son intérêt mesquine ment consulté lui conseillait peut-être, son devoir de libre écrivain les lui défendait. […] Il avait cru les haines littéraires plus tenaces encore que les haines politiques, se fondant sur ce que les premières ont leurs racines dans les amours-propres, et les secondes seulement dans les intérêts. […] C’est un homme sincère et modéré, qui a déjà livré plus d’un combat pour toute liberté et contre tout arbitraire, qui, en 1829, dans la dernière année de la restauration, a repoussé tout ce que le gouvernement d’alors lui offrait pour le dédommager de l’interdit lancé sur Marion de Lorme, et qui, un an plus tard, en 1830, la révolution de juillet étant faite, a refusé, malgré tous les conseils de son intérêt matériel, de laisser représenter cette même Marion de Lorme, tant qu’elle pourrait être une occasion d’attaque et d’insulte contre le roi tombé qui l’avait proscrite ; conduite bien simple sans doute, que tout homme d’honneur eut tenue à sa place, mais qui aurait peut-être dû le rendre inviolable désormais à toute censure, et à propos de laquelle il écrivait ceci en août 1831 : « Les succès de scandale cherché et d’allusions politiques ne lui sourient guère, il l’avoue. […] C’est la ligue des intérêts froissés du mouvement des théories. […] Ce sont la de hauts et sérieux intérêts ; et, quoique l’auteur soit obligé d’entamer cette importante affaire par un simple procès commercial au Théâtre-Français, ne pouvant attaquer directement le ministère, barricadé derrière les fins de non-recevoir du conseil d’état, il espère que sa cause sera aux yeux de tous une grande cause, le jour où il se présentera à la barre du tribunal consulaire, avec la liberté à sa droite et la propriété à sa gauche.

165. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Pour beaucoup de raisons, dont nous dirons quelques-unes, la correspondance de Stendhal, quand elle parut, dut exciter un vif intérêt de curiosité, s’il y a encore un sentiment de ce nom au service des choses de la pensée, dans ce monde matérialisé. […] Quoi qu’il ait été par les opinions et par les principes, intellectuellement Stendhal fut un homme, et c’est assez pour que la Critique s’en occupe dans un intérêt littéraire, et même dans un intérêt de moralité. […] Ainsi que tous les Tartuffes qui possèdent l’esprit de leur vice et la majorité des hommes doublés d’une idée qu’ils ne disent pas, mais qui chatoie dans leur silence comme le jais brille malgré sa noirceur, Stendhal inspire un intérêt dont on ne saurait se défendre. […] II Pour notre compte, nous avons quelquefois cherché à nous rendre raison de l’intérêt poignant qu’on éprouve en lisant Stendhal, même quand on fait le meilleur procès à son talent perverti et pervers.

166. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Pour beaucoup de raisons, dont nous dirons quelques-unes, la Correspondance de Stendhal, quand elle parut, dut exciter un vif intérêt de curiosité, s’il y a encore un sentiment de ce nom au service des choses de la pensée, dans ce monde matérialisé. […] Quoi qu’il ait été par les opinions et par les principes, intellectuellement Stendhal fut un homme, et c’est assez pour que la Critique s’en occupe dans un intérêt littéraire, et même dans un intérêt de moralité. […] Ainsi que tous les tartuffes qui possèdent l’esprit de leur vice, et la majorité des hommes doublés d’une idée qu’ils ne disent pas, mais qui chatoie dans leur silence, comme le jais brille malgré sa noirceur, Stendhal inspire un intérêt dont on ne saurait se défendre. […] II Pour notre compte, nous avons quelquefois cherché à nous rendre raison de l’intérêt poignant qu’on éprouve en lisant Stendhal, même quand on fait le meilleur procès à son talent perverti et pervers.

167. (1813) Réflexions sur le suicide

L’ennui véritable, celui des esprits actifs, c’est l’absence d’intérêt pour tout ce qui nous entoure combinée avec des facultés qui rendent cet intérêt nécessaire : c’est la soif sans la possibilité de se désaltérer. […] -C. conseille par ce passage, mais une sorte de calme qui serait utile même dans les intérêts de ce monde. […] La patte du renard ou la plume de celui qui vend son opinion à son intérêt, est une et même chose sous le rapport de la dignité morale. […] Écrivain célèbre, il aimait ces occupations intellectuelles qui remplissent toutes les heures d’un intérêt toujours croissant. […] Mais l’homme a tant de peine à se figurer la fin de son existence, qu’il associe même au tombeau les plus misérables intérêts de ce inonde.

168. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

L’Angleterre, justement irritée de l’acceptation du Hanovre, sa dépouille, par la cour de Berlin, regarde sans intérêt la lutte. […] Thiers raconte ce divorce, jette l’intérêt d’un drame de famille au milieu du drame militaire qui embrase l’Europe. […] Le gouvernement est la force des intérêts généraux de la société reliés ensemble pour le salut des sociétés contre la révolte et l’anarchie des intérêts particuliers qui cherchent sans cesse à prévaloir contre la communauté ; en d’autres termes, le gouvernement, c’est tous ; les factions, c’est l’individualité. […] Enfin la guerre, quand elle est juste et nécessaire, c’est l’héroïsme collectif des nations, c’est ce dévouement surnaturel jusqu’à la mort, dévouement qui élève, par le devoir et par l’enthousiasme de la patrie, un peuple au-dessus du vil intérêt de propre conservation pour lui faire donner la mort sans crime ou la recevoir sans peur, dans l’intérêt de cette communauté civile dont il était membre et dont il se fait le soldat. […] C’est cet égoïsme de gloire qui remplit d’une seule autorité, d’une seule personnalité, d’un seul génie, d’un seul intérêt les seize volumes de cette gigantesque histoire de Napoléon.

169. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

L’intérêt de la partie est celui du tout ; l’intérêt du corps est celui de l’âme ; l’esclave est une partie du maître ; c’est comme une partie de son corps, vivante, bien que séparée. […] La justice ici, c’est l’égalité ; et cette égalité de la justice se rapporte autant à l’intérêt général de l’État qu’à l’intérêt individuel des citoyens. […] Les gouvernements corrompus emploient ces moyens-là dans un intérêt particulier ; mais on ne les emploie pas moins dans les gouvernements d’intérêt général. […] C’est ainsi que les peuples mêmes qui tour à tour ont eu la haute direction des affaires de la Grèce, n’ont regardé qu’à leur propre constitution pour faire prédominer dans les États soumis à leur puissance, tantôt l’oligarchie, tantôt la démocratie, inquiets seulement de leurs intérêts particuliers, et pas le moins du monde des intérêts de leurs tributaires. […] « On peut, dans l’intérêt de cette démocratie, employer les moyens dont Clisthène fît usage à Athènes pour fonder le pouvoir populaire, et qu’appliquèrent aussi les démocrates de Cyrène.

170. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 386

Le seul qui soit connu par l’intérêt des matieres, est celui qui a pour titre, Causes célebres, en vingt volumes in-12. […] Richer, Avocat au Parlement de Paris, a évité l’un & l’autre excès dans l’Ouvrage qu’il a publié sous le même titre & fait sur le même plan, & où le mérite d’un style noble & précis se trouve réuni à l’intérêt des matieres.

171. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

Cet intérêt qui manquait d’abord au sujet, le talent le lui imprime, et il le crée pour ceux qui viennent après lui. […] Les témoignages d’intérêt et d’affection, durant toute sa maladie, ont été unanimes, universels ; il y était sensible ; il croyait trop à l’amitié qu’il inspirait pour s’en étonner. […] L’intérêt public, celui du monde proprement dit celui du peuple même ; on l’a vu aux funérailles de Nodier cet intérêt d’autant plus touchant ici qu’il est plus désintéressé, éclate de toutes parts ; le nom de celui qui n’a rien été, qui n’a rien pu, qui n’a exercé d’autre pouvoir que le don de plaire et de charmer, ce nom-là est en un moment dans toutes les bouches, et tous le pleurent.

172. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

L’objet, le don, le goût de l’observation psychologique s’évanouissent également ; et cette connaissance de l’homme qui avait fait l’intérêt de la tragédie au siècle précédent disparaît sans laisser de traces. […] Tout l’art des auteurs, tout l’intérêt des spectateurs se portent à peu près sur cette unique question : étant donné un sujet tragique, comment les situations tragiques seront-elles ingénieusement esquivées et réduites aux bienséances ? […] Pourquoi toutes les passions auxquelles peuvent donner lieu les relations de famille, pourquoi le fanatisme religieux, pourquoi l’ambition politique ne seraient-ils pas à leur tour les ressorts de l’intérêt dramatique ? […] Il chercha à exciter l’intérêt par des moyens sensibles, par des particularités de décor et de costume.

173. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Taine » pp. 231-243

Taine qui est, avant tout, et sera, après tout, un écrivain, un homme littéraire, et qui, s’il entendait ses intérêts, resterait dans cette plantureuse voie de la littérature ; M.  […] Pour nous, qui ne sommes ni les amis d’Hegel ni les amis de Comte, un tel homme par lui-même est d’un intérêt assez mince, pour ne pas dire un mot plus dur… En exposant sa doctrine et en la vantant outre mesure, M.  […] Et c’est là ce que j’ai voulu noter aujourd’hui, c’est cette différence entre l’intérêt de ces deux notices, dans lesquelles je me détourne du philosophe pour ne voir et n’exalter que l’écrivain. […] Taine a si bien senti, du reste le faible intérêt de sa notice sur M. 

174. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le comte de Fersen et la cour de France »

Il aura été saisi par l’intérêt poignant de cette tragédie, dans laquelle, hélas ! […] Hésitations, vantardises, reculades, hypocrisies, chapeaux mis sur l’oreille et aplatis tout à coup par la peur, prétextes pour ne pas bouger, — l’un invoquant sa guerre avec l’Autriche, l’autre sa guerre avec la Porte et la Pologne, — marchandages d’usuriers qui demandent le remboursement et les intérêts de ce que leur dévouement leur coûtera. […] Mais ces ignominies de rois qui n’avaient plus le sentiment de leur fonction, de leur devoir, de leur intérêt de souverains, — qui avaient brouillé et dissous tout cela dans leurs âmes ramollies, cessèrent bientôt d’être de grandes ignominies et finirent par tomber dans un ridicule qui les rapetissa. […] Un homme qui pesait plus que ces Majestés dégradées, Pitt, existait pourtant en Angleterre, mais l’Angleterre, la neutre Angleterre, immobile sous la carapace de ses intérêts, ne bougea pas non plus, et ce ne fut que plus tard, et grâce à l’argent de son pays, que Pitt fit cette coalition de princes possible contre l’Empereur, mais impossible pour le Roi !

175. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

Après tout, le renseignement ne manque pas aux biographies qu’il publie, et on y trouve cet intérêt de l’Histoire que rien ne peut empêcher, — même celui qui l’écrit. […] Au fond, cela pourrait bien n’être qu’un pamphlet, — un pamphlet à la portée de Rémusat, homme peu véhément de sa nature ; mais enfin l’Histoire y est, sous les arrangements et les ruses de la pensée, l’Histoire, avec l’intérêt poignant de ses événements, et malgré tous les efforts de l’historien pour en faire une impertinence. […] L’intérêt qu’on y rencontre, car il y a un intérêt, vient uniquement des hommes et des choses de ce fier pays.

176. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

Ni pour le docteur Favrot, ni pour personne, l’intérêt, le grand intérêt d’un livre sur les inhumations ne peut être là. […] II Oui l’être enterrés vivants, — être dévorés par nos morts, — deux perspectives qui écrasent tous les autres intérêts d’un livre comme celui que le docteur Favrot a voulu faire ; deux questions qu’il fallait nécessairement traiter à fond, et d’autant plus à fond que les hommes ont plus de pente à les oublier. […] … Il a été, je le reconnais, plus explicite sur la question des enterrements vivants, qu’il a exposée et qu’il a cherché à résoudre ; mais, franchement, était-ce un rapport, limpide comme l’eau, je le veux bien, mais froid comme elle, qui pouvait suffire pour traiter cette effrayante question qui convulse jusqu’à la pensée, et qu’à force de talent, d’émotion, d’éloquence, de griffe de feu dans l’éloquence, il faudrait, dans l’intérêt de sa solution absolue, attacher, comme une flamme, à nos esprits et à nos cœurs !!

177. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

L’intérêt de ces pièces, c’est l’intérêt de la surprise. […] Là où l’intérêt n’est que le plaisir de la surprise, l’effet doit être le gros rire. […] L’intérêt, c’est encore le plaisir de la surprise ; mais il s’y joint celui de la voir expliquée. […] Il y a plus d’intérêt, plus d’action, plus de passion. […] Trissotin est un de ces sots qui le sont en toutes choses, sauf sur leur intérêt.

178. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Deux gouttes d’eau peuvent devenir pour le savant deux mondes remplis d’intérêt, et d’un intérêt presque dramatique, tandis que pour l’ignorant deux mondes, deux étoiles d’Orion ou de Cassiopée, peuvent devenu deux points aussi indiscernables et indifférents que deux gouttes d’eau. […] L’intérêt scientifique doit toujours s’allier à un intérêt moral et social pour devenir un véritable intérêt esthétique. […] Loin d’exciter l’intérêt, cette insistance augmente la répulsion et enlève à l’œuvre tout caractère esthétique. […] Il faut convenir qu’il en donner de plus complexe sous peine d’enlever à Yann l’intérêt. […] Aussi avec quel art l’auteur relie Sylvestre ou vivant ou mort à ces deux héros pour parer à l’inconvénient de voir l’intérêt et l’émotion se partager !

179. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 435-436

Quoiqu’il regne dans ce Roman un ton de métaphysique contre nature, sur-tout dans une femme, & très-nuisible à l’intérêt ; quoiqu’on y trouve quelques expressions alambiquées ; quoique le dénouement en soit totalement manqué, on ne peut cependant se refuser, en le lisant, au charme séducteur qui en rend la lecture agréable & en fait oublier les defauts. […] Tel sera toujours le sort de ces Pieces où l’intérêt domine, quand elles seront réduites aux justes bornes que leur bon goût doit leur prescrire.

180. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Il va trouver de la réputation où il trouvera peu d’intérêt ; et sa mauvaise fortune fera paraître un mérite à tout le monde, que la retenue de son humeur ne laissait connaître qu’aux plus délicats. […] » Il soutenait en effet que l’intérêt était partout, était tout, inspirait tout ; il ne croyait pas à l’essence des vertus : « La vertu est un fantôme formé par nos passions, à qui on donne un nom honnête, afin de faire impunément ce qu’on veut. […] Que ceux qui, dans leur vie, se sont accoutumés à céder volontiers à des sentiments d’âcre passion ou à des calculs d’intérêt immédiat vous prêtent ces uniques mobiles, peut-on s’en étonner ou s’en plaindre ? […] Chacun, quoi qu’il fasse, y porte son intérêt le plus fin, je veux dire son idéal secret, composé du moi subtilisé, quintessencié, poussé au plus haut degré et au sublime. […] au nom de quel intérêt ?

181. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Ces motifs, tous puisés dans l’intérêt de sa cause et de sa nation, n’ont rien qui semble en désaccord avec les maximes de Frédéric et avec ses idées favorites ; en tant que philosophe et écrivain. […] Il oublia sa propre maxime : « La réputation de fourbe est aussi flétrissante pour le prince même, que désavantageuse à ses intérêts. » Mais ici l’intérêt considérable du moment et de l’avenir, l’instinct de l’accroissement naturel, l’emporta. […] Il est inconcevable qu’envisageant tout, comme il le faisait, au point de vue supérieur de l’État et de l’intérêt social, Frédéric ait considéré la religion comme un de ces terrains neutres où l’on peut se donner rendez-vous pour le passe-temps et la plaisanterie des après-dîners. […] Mais, même l’intérêt du souverain mis de côté, il répugne de voir un grand homme se salir à des plaisanteries de ce genre contre des objets respectables aux yeux du grand nombre ; c’était jusqu’à un certain point violer cette tolérance hospitalière dont il se faisait gloire, que de mépriser ainsi tout haut ce qu’il prétendait accueillir et tolérer. […] Pour donner une idée du général de Seckendorff, qui servait en même temps l’empereur et la Saxe : « Il était, dit-il, d’un intérêt sordide ; ses manières étaient grossières et rustres ; le mensonge lui était si habituel, qu’il en avait perdu l’usage de la vérité19.

182. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Peut-être à force de reprocher aux hommes leur bassesse, parviendra-t-on à les faire, rougir : mais quand on ne pourrait l’espérer, il est doux du moins de venger la vérité, que la flatterie est toujours prête à immoler à l’intérêt. […] Égarée par l’amour, et poursuivie par l’intérêt et la vengeance, elle trouva une prison dans un pays où elle avait cherché un asile, et fut décapitée par la politique barbare de cette Elisabeth, qui n’était que son égale et n’avait pas le droit d’être son juge. […] La mort d’une femme et d’une reine sur l’échafaud, tant de beauté jointe à tant d’infortune, la pitié si naturelle pour le malheur, l’attachement des Français pour une princesse élevée parmi eux, et qui avait été l’épouse d’un de leurs rois ; l’intérêt qu’on prend peut-être malgré soi à des malheurs causés par l’amour ; le nom même de la religion, car elle fut mêlée à ce grand événement ; et l’Europe, agitée alors de fanatisme, regardait presque la querelle de deux reines rivales, comme la querelle des catholiques contre les protestants : tout contribua au grand succès de cet éloge funèbre. […] La pitié et l’esprit de parti lui donnèrent des panégyristes en foule ; et ce qu’il n’est pas inutile d’observer, son malheur sembla la justifier aux yeux de la postérité, qui même aujourd’hui ne prononce pas encore son nom sans intérêt. […] Et qui, en voyant sur presque toute l’étendue de la terre, les hommes si malheureux, tant de fléaux de la nature, tant de fléaux nés des passions et du choc des intérêts, le genre humain écrasé et tremblant, éternellement froissé entre les malheurs nécessaires, et les malheurs que l’indulgence et la bonté auraient pu prévenir, peut se défendre d’un attendrissement involontaire, lorsqu’il voit s’élever un prince qui n’a d’autre passion et d’autre idée, que celle de rétablir le bonheur et la paix ?

183. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Souza, Robert de (1865-1946) »

Jean Viollis J’ai vainement cherché quelque intérêt de rythme ou de pensée dans le copieux recueil de M.  […] Thomas Braun Naïve, archaïque, enluminée, cette gaucherie d’écriture nous charme lorsqu’elle interprète les chansons de gestes de telles Histoires de France, — elle ne suffit pas à nous lasser d’autres légendes ou récits comme la Huche, l’Embaumeur et les Accordailles dont les trouvailles charmantes et les images délicieuses relèvent l’intérêt ; mais elle devient insupportable dans les descriptions d’une nature sentimentale ou même philosophique.

184. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau et M. de Voltaire. » pp. 47-58

Rousseau prend intérêt au jeune homme, ainsi que trois ou quatre dames qui se trouvoient avec lui dans une chambre dont le P.  […] Ces beautés sans nombre dont la Henriade est remplie ; caractères vrais & soutenus ; tableaux frappans des discordes civiles présentés sans partialité ; amour du bien public recommandé sans cesse ; ressors des passions humaines développés habilement ; intérêt croissant de chant en chant ; magie des vers poussée aussi loin que l’imagination peut aller : tout cela parut un crime aux yeux de Rousseau. […] Peut-être aussi que Rousseau ne cherchoit point à tendre de piège, & qu’il croyoit que l’intérêt partagé ne nuisoit point à un poëme.

185. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — E — Ernault, Louis (1865-19..) »

Ce qui fait l’intérêt d’un drame, c’est avant tout la lutte qui se déroule au cœur des hommes. Or, l’intervention du surnaturel, en général, détruit l’intérêt de cette lutte, puisqu’elle dénoue trop facilement ce qu’avait noué l’élément humain.

186. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

C’est la moralité d’un sceptique bien élevé, qui prend les idées reçues et les sentiments naturels, et qui s’en sert dans l’intérêt de ses petites combinaisons romanesques. […] Il ne les bouleverse point, il ne les secoue pas, il n’a pas l’intérêt haletant et le pathétique, mais il attendrit dans ses bons moments. […] Le vis-à-vis de la mère qui n’aime pas sa fille et de la fille qui ne se sent pas aimée par sa mère, voilà tout l’intérêt du livre, et la nuée sombre d’où doit sortir la foudre qui frappera cette mère aux mamelles de bronze, l’altière marquise de Penarvan. […] … On le voit, par cette analyse très-rapide, cette chaîne d’événements est presque vulgaire, et l’on peut dire que tout en est arrangé comme au théâtre, dans l’intérêt du dénoûment ; mais voici ce que la critique, pour être juste, est tenue d’ajouter : Tout cela n’est point taillé en grande et vraie nature, en plein drap de nature humaine.

187. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

L’orateur peint cette multitude féroce dont on se sert pour changer la destinée des empires ; il fait voir le soldat arraché de ses campagnes, les quittant par un esprit de débauche et de rapine, changeant de maîtres, s’exposant à un supplice infâme pour un léger intérêt, combattant quelquefois contre sa patrie, répandant sans remords le sang de ses concitoyens, et sur le champ de carnage attendant avec avidité le moment où il pourra de ses mains sanglantes arracher aux mourants quelques malheureuses dépouilles qui lui sont bientôt enlevées par d’autres mains. […] dit l’orateur, voudraient-ils s’avilir ainsi eux-mêmes et flétrir ce qu’ils ont tant d’intérêt d’honorer ?  […] Toute la fin respire le charme de l’amitié, et porte l’impression de cette mélancolie douce et tendre, qui quelquefois accompagne le génie, et qu’on retrouve en soi-même avec plaisir, soit dans ces moments, qui ne sont que trop communs, où l’on a à se plaindre de l’injustice des hommes ; soit lorsque blessée dans l’intérêt le plus cher, celui de l’amitié ou de l’amour, l’âme fuit dans la solitude pour aller vivre et converser avec elle-même ; soit quand la maladie et la langueur attaquant des organes faibles et délicats, mettent une espèce de voile entre nous et la nature ; ou lorsqu’après avoir perdu des personnes que l’on aimait, plein de la tendre émotion de sa douleur, on jette un regard languissant sur le monde, qui nous paraît alors désert, parce que, pour l’âme sensible, il n’y a d’êtres vivants que ceux qui lui répondent. […] Puisque la guerre durera autant que les intérêts et les passions humaines ; puisque les peuples seront toujours entre eux dans cet état sauvage de nature, où la force ne reconnaît d’autre justice que le meurtre, il importe à tous les gouvernements d’honorer la valeur.

188. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

C’est un politique expliquant tous les faits qu’il raconte par la nature des institutions, par le rôle des partis, par le conflit des intérêts et le jeu des passions, par l’éloquence des hommes d’État et la tactique des hommes de guerre. […] Le génie des individus, l’âme des peuples, font toujours, celle-ci par ses sentiments collectifs, celui-là par ses œuvres personnelles, le principal intérêt du drame ; les personnages y conservent la conscience et la liberté de leurs actes. […] En historien économiste, Sismondi a tenu compte de cet acteur muet, dont les souffrances méconnues, les intérêts foulés aux pieds éclatent de temps en temps en émeutes, en jacqueries, en révolutions avortées comme celle que tentaient les communes de Paris et de France sous la direction d’Étienne Marcel. […] Le mouvement des forces de la nature ou des idées de la logique a certes son intérêt pour la curiosité du savant et du philosophe ; il n’en a pas pour l’âme, qui cherche un drame dans l’histoire, et qui ne l’y trouve plus, si la liberté en est absente. […] Ce n’est pas seulement tout intérêt esthétique que le fatalisme enlève à l’histoire, c’est encore toute vertu morale.

189. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

L’on ne cesse point de mesurer ce qui se rapporte à soi ; mais les qualités, les charmes, les jouissances, les intérêts de ce qu’on aime, n’ont de terme que dans notre imagination. […] Rien ne fatigue l’existence, comme ces intérêts divers dont la réunion a été considérée comme un bon système de félicité, en fait de malheur on n’affaiblit pas ce qu’on divise, après la raison qui dégage de toutes les passions : ce qu’il y a de moins malheureux encore, c’est de s’abandonner entièrement à une seule ; sans doute, ainsi l’on s’expose à recevoir la mort de ses propres affections. […] On échappe au monde par des intérêts plus vifs que tous ceux qu’il peut donner ; on jouit du calme de la pensée et du mouvement du cœur ; et dans la plus profonde solitude la vie de l’âme est plus active que sur le trône des Césars. […] Quand on n’a pour but que son propre avantage, comment peut-on parvenir à se décider sur rien ; le désir échappe, pour ainsi dire, à l’examen qu’on en fait ; l’événement amène souvent un résultat si contraire à notre attente, que l’on se repent de tout ce qu’on a essayé, que l’on se lasse de son propre intérêt comme de toute autre entreprise. […] Une sorte de ridicule s’est attaché à ce qu’on appelle des sentiments romanesques, et ces pauvres esprits, qui mettent tant d’importance à tous les détails de leur amour propre, ou de leurs intérêts, se sont établis comme d’une raison supérieure à ceux dont le caractère a transporté dans un autre l’égoïsme, que la société considère assez dans l’homme qui s’occupe exclusivement de lui-même.

190. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Biré en a tiré des renseignements du plus vif intérêt. […] Quelle absence d’intérêt ! […] Là est le secret de son influence, comme aussi de l’intérêt qu’il faut bien que l’on prenne à son œuvre. […] Renan pour ne reconnaître dans le passé de l’humanité que trois histoires de « premier intérêt ». […] Renan, nous espérons que le lecteur en aura vu l’intérêt, et qu’il est considérable.

191. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Dès les premiers mots de la lecture, l’auditoire tout entier était conquis ; chacun se sentait saisi d’un intérêt sérieux et sous l’impression de cette parole qui grave, de cet accent qui creuse. […] Selon lui, les intentions quelconques, même des principaux personnages, les passions et intérêts individuels, ont leurs limites d’influence et ne sauraient contrarier ni affecter puissamment le système général de l’histoire. […] La hauteur personnelle de Louis XIV et ses ténacités d’orgueil compliquèrent toujours et traversèrent plus ou moins la vue de ses vrais intérêts comme roi ; son rare bon sens, en se mettant au service de cette passion personnelle, ne la dominait pas assez. […] C’est un intérêt du même genre, mais plus concentré, que présente l’ouvrage intitulé Antonio Perez et Philippe II, composé d’après une méthode analogue, et dont le fond repose également sur des documents officiels inédits. […] Ces chapitres, dans lesquels le drame romanesque de Perez rejoint et traverse les grands intérêts de l’histoire, et où les deux ressorts se confondent, sont d’un suprême intérêt ; et en tout, dans le cours de cette publication épisodique, M.Mignet a su combiner le genre de piquant qui tient à une destinée individuelle et aventurière, avec la gravité habituelle qu’il aime dans les conclusions.

192. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Le 28 septembre 1864, dans Saint-Martin’s Hall, un meeting réunissait à Londres des ouvriers de tous pays accourus pour défendre leur intérêt commun : l’émancipation du travail. […] Je ne prétends aucunement que les hommes d’élite doivent s’associer, comme les travailleurs, pour la défense de leurs intérêts. […] La mère dit a la servante : « Fermez cette fenêtre. » La servante obéit sans rien dire ; son intérêt, ses habitudes d’obéissance, lui interdisent toute demande d’explication. Elle obéit certes (et dans ce cas l’ordre est aisé à accomplir, il est rempli presque machinalement) ; mais croyez-vous qu’elle adhère intimement et réellement à l’ordre donné d’une voix brève, sans commentaire, qu’elle ressente personnellement la nécessité et l’intérêt de l’acte accompli, qu’elle le vive pour ainsi dire comme s’il émanait de sa propre personne ? […] Je me sens au contraire lié à cet homme qui me dit de ne pas suivre ce chemin, et qui me le dit par sympathie pour moi poussé par un intérêt commun, par un intérêt d’humanité.

193. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

À côté des corporations professionnelles et industrielles, comme celle des fabricants de toiles de Lyon ou celle des nautes de la Seine, foisonnent les groupements qui n’ont en vue, suivant la distinction du Digeste, que « l’intérêt ou le plaisir de leurs membres ». […] Trade-Unions, Gewerk-Vereine, Syndicats, ce sont là des groupements professionnels : c’est par le nombre et l’importance des associations fondées sur les intérêts de métiers que se caractérise notre civilisation actuelle, dominée par le progrès de l’industrie. […] Leur variété augmente en même temps que leur nombre : ce ne sont pas seulement des intérêts économiques, ce sont des mobiles politiques, religieux, moraux, qui suscitent de toutes parts Vereine, sectes et partis. […] L’office des grands groupements intersociaux, quelles que soient d’ailleurs leur origine et leurs fins, les intérêts ou les sentiments qu’ils servent, est d’élargir ainsi les idées sociales. […] Ainsi, à Rome, la hiérarchie primitive fondée sur la religion de la famille devait être ébranlée le jour où un fils, chargé de veiller aux intérêts de l’État, commandant le respect aux vieillards, pouvait, entouré de ses licteurs, exiger le salut même de son père.

194. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

Les pères étant rois et souverains de leurs familles, il était impossible, dans la fière égalité de ces âges barbares, qu’aucun d’entre eux cédât à un autre ; ils formèrent donc des sénats régnants, c’est-à-dire composés d’autant de rois des familles, et, sans être conduits par aucune sagesse humaine, ils se trouvèrent avoir uni leurs intérêts privés dans un intérêt commun, que l’on appela patria, sous-entendu res, c’est-à-dire intérêt des pères. […] Mais ils n’auraient eu personne à qui commander, si l’intérêt commun ne les eût décidés à satisfaire leurs clients révoltés, et à leur accorder la première loi agraire qu’il y ait eu au monde. […] Mais les souverains ne peuvent l’exercer que pour conserver l’état dans sa substance, comme dit l’École, parce qu’à sa conservation ou à sa ruine tiennent la ruine ou la conservation de tous les intérêts particuliers. […] Les hommes n’ayant encore que des idées très particulières, et ne pouvant comprendre ce que c’est que le bien commun, la Providence sut, au moyen de cette forme de gouvernement, les conduire à s’unir à leur patrie, dans le but de conserver un objet d’intérêt privé, aussi important pour eux que leur monarchie domestique ; de cette manière, sans aucun dessein, ils s’accordèrent dans cette généralité du bien social, qu’on appelle république. […] De telles guerres entraînent dans toute leur dureté les servitudes héroïques ; les vaincus sont regardés comme des hommes sans dieux, et perdent non-seulement la liberté civile, mais la liberté naturelle. — D’après toutes ces considérations, les républiques doivent être alors des aristocraties naturelles, c’est-à-dire composées d’hommes qui soient naturellement les plus courageux ; le gouvernement doit être de nature à réserver tous les honneurs civils à un petit nombre de nobles, de pères de famille, qui fassent consister le bien public dans la conservation de ce pouvoir absolu qu’ils avaient originairement sur leurs familles, et qu’ils ont maintenant dans l’état, de sorte qu’ils entendent le mot patrie dans le sens étymologique qu’on peut lui donner, l’intérêt des pères (patria, sous-entendu res).

195. (1910) Rousseau contre Molière

Ce qu’Arsinoé fait dans son intérêt à elle, Philinte le fait contre son intérêt à lui. […] N’a-t-il pas pour lui l’intérêt ? […] Dorante n’a-t-il pas pour lui l’intérêt ?  […] C’est elle qui a l’intérêt et c’est à elle que le parterre applaudit. […] C’est sur elle que se concentre tout l’intérêt.

196. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Chacun d’eux porte en soi son intérêt, et par le personnage qu’il représente, et par la façon dont il est représenté. […] Henry Lapauze ; c’est mieux, c’est un livre de renseignements précieux et d’intérêt durable sur la Russie et les Russes. […] C’est ce qui fait l’intérêt du livre de M.  […] Telles sont, sommairement indiquées, les grandes lignes de ce roman, dont le charme des détails double l’intérêt. […] Le grand-duc, étant devenu Empereur, prit un grand intérêt au sort des Condé durant la Révolution.

197. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Il ne fait rien pour un intérêt national, supérieur au sien. […] Mais il me paraît presque impossible qu’un homme placé au-dessus des autres hommes, un conducteur de peuples, n’ait jamais de vues supérieures à son intérêt personnel, du moins dans les choses où cet intérêt se confond avec l’intérêt général. […] Quel intérêt pouvait-il avoir à écrire contre sa pensée ? […] Je suis tenté de croire que c’est après, On peut parfaitement soutenir que l’amour et l’intérêt aveuglent plus que la rancune. […] Son principal intérêt vient même de cette contradiction et de ce qu’on y sent d’inévitable et de fatal.

198. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Témoin muet jusqu’à présent de cabales et de nombreuses intrigues, il était de mon devoir, de mon intérêt, comme le plus fécond des auteurs de la scène française, de défendre ce bel art dramatique que vous avez voulu complètement détruire. […] De jeunes écoliers, sous le prétexte de briser les entraves qui enchaînaient leur génie, ont rompu tous les liens qui, en resserrant l’action d’un drame, donnaient à toutes ses parties plus de mouvement, plus d’intérêt et plus de vraisemblance. […] Retiré d’un monde que je dois connaître, je ne vis plus que dans mes souvenirs ; et comme je n’ai dû mes instants de bonheur et de chagrins qu’aux péripéties de la scène française, il n’est pas étonnant que dans mon intérêt, qui est celui de tous les auteurs et des comédiens, je vous adresse paternellement de justes reproches. […] Dans votre Hernani, vous avez deux intérêts, l’un d’amour, l’autre d’ambition. […] Si les théâtres, pour un vieux peuple, sont devenus une nécessité, un besoin indispensable, il est du devoir du gouvernement de les soutenir convenablement, afin de pouvoir les diriger dans l’intérêt de la morale, des mœurs et de nos grandes institutions.

199. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Pourtant, comme il avait au fond l’esprit pratique, il ne fut pas sans reconnaître que ces soins d’intérêt, de fortune et d’avancement, qui étaient tout aux yeux de la plupart, avaient aussi quelque fondement, et qu’il ne s’agissait que de les mettre à leur place, de les réduire à leur valeur. […] Au milieu de ce qu’on regardait comme mon délire, je devins de quelque intérêt pour des gens aimant le bien ; j’en fus aimé et estimé. […] Je ne reviendrai pas sur ces tristes époques : il faudrait être un Tacite pour parler avec intérêt et puissance de ces horribles temps, et tant de gens qui ne sont pas des Tacite s’en sont constitués les historiens. […] Accusé à l’instant même par les violents de la Commune, comme plus tard par ceux du parti opposé, il dut se livrer à une apologie qui a perdu de son intérêt avec les passions qui l’avaient rendue nécessaire. […] Il s’était élevé en France une multitude d’hommes d’une éloquence forte et barbare, tels que notre fabuliste nous représente le Paysan du Danube, qui avaient bien mieux découvert que les orateurs des Assemblées nationales les voies de la persuasion et de l’entraînement, qui entraient bien plus avant dans les pensées, dans les passions, dans les préjugés, dans les intérêts imaginaires ou réels des dernières classes du peuple, qui sont les plus nombreuses.

200. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Le mobile qu’il comprend le mieux, le seul même qu’il semble admettre, c’est l’intérêt : pourtant le sentiment, la fidélité, la reconnaissance, des parties suffisantes d’honnête homme s’y mêlent ; il a bon cœur. […] Voilà bien Gourville, le plus honnête des domestiques entendus, dévoué et ne séparant point son intérêt de celui du maître qu’il sert. […] Des années se passent, et ce même Gourville, devenu l’homme du roi à l’étranger, initié dans les intérêts et les caractères des personnages les plus influents des Pays-Bas et de la Hollande, est l’un des premiers à deviner le jeune prince Guillaume d’Orange, futur roi d’Angleterre, à lui donner des conseils, à le voir venir dans sa lutte couverte contre M. de Witt et à l’y applaudir ; et plus tard, quand l’habile prince a pris le dessus et est devenu seul arbitre dans son pays, Gourville, qui le visite au passage et qui en est très caressé, sait lui tenir tête en dissimulation, ne se livrer qu’autant qu’il faut, l’écarter doucement avec badinage et respect, comme il convient à celui qui représente désormais des intérêts contraires. […] Il fit en ce temps-là, et dans l’intérêt de ceux auxquels il s’était voué, des choses fort diverses et dont quelques-unes lui paraissaient étranges à lui-même, quand il s’en ressouvenait sous le gouvernement régulier de Louis XIV. […] Au retour d’un voyage d’Espagne, qu’il avait entrepris pour les intérêts du prince de Condé, il mit à nu, dans le plus piquant détail, les habitudes de paresse, l’incurie et la pénurie financière de cette nation.

201. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Après vingt ans d’absence ou de négligence, en rentrant dans l’héritage paternel, il a à défendre ses intérêts, à regagner ce qu’il a perdu par la mauvaise foi du paysan ; ses voisins ont empiété tant qu’ils ont pu sur lui et lui ont rogné ses terres ; ses fermiers le paient mal, ses marchands de bois ne le paient pas du tout ; il chicane, il menace, il montre qu’il n’est pas homme « à se laisser manger la laine sur le dos » ; enfin, aux champs comme ailleurs, et plus qu’ailleurs, il retrouve la même espèce humaine qui obéit à ses intérêts, à ses cupidités, tant qu’elle peut et aussi longtemps qu’on la laisse faire. […] Pourtant il oublie trop que Georges le laboureur, André le vigneron, Jacques le bonhomme (comme il les appelle) n’ont rien qui les élève et les moralise, qui les détache de ces intérêts privés auxquels ils sont tous acharnés et assujettis ; qu’à un moment donné, s’il faut un effort, un dévouement, une raison supérieure d’agir, ils ne la trouveront pas, et qu’à telles gens il faut une religion politique, un souvenir ou une espérance qui soit comme l’âme de la nation, quelque chose qui, sous Henri IV, s’appelait le roi, qui plus tard s’appellera l’empereur, qui, dans l’avenir, sera je ne sais quel nom : sans quoi, à l’heure du péril, l’esprit d’union et d’unité, le mot d’ordre fera faute et la masse ne se soulèvera pas. […] Ne demandons point à Courier une théorie politique constitutionnelle un peu élevée et compliquée, qui concilie jusqu’à un certain point les souvenirs anciens avec les intérêts nouveaux, et qui cherche à donner un point d’appui social à toutes les gloires. […] Le meurtre de Courier exécuté par son propre garde Frémont, assisté, encouragé et peut-être contraint par deux ou trois autres domestiques ou charretiers de Courier, par deux surtout, lesquels avaient plus d’intérêt à sa mort que le garde, avait eu un témoin innocent et resté inconnu. […] Courier, et dont l’un était déjà mort au moment de ce second procès ; il les accusait de l’avoir poussé à l’acte, de l’y avoir conduit et d’avoir fait de lui leur instrument, eux présents sur les lieux et lui forçant la main ; il prétendait prouver qu’ils avaient à cette mort plus d’intérêt que lui.

202. (1760) Réflexions sur la poésie

Les sentiments tendres, simples et naturels, faits pour nous intéresser partout où ils se trouvent, n’ont pas besoin, pour augmenter cet intérêt, d’être attachés au nom d’Idylle ; pour remplir et pénétrer l’âme, il leur suffit d’être exprimés tels qu’ils sont ; les prairies et les moutons n’y ajoutent rien. […] Il est vrai qu’indépendamment de la versification, il y a une autre raison du refroidissement nécessaire qu’on éprouve en les lisant, c’est le peu d’intérêt qui règne (au moins pour nous) dans ces longs ouvrages ; et ce qui le prouve, c’est l’impossibilité absolue de les lire dans la meilleure traduction. […] Je n’en suis ni surpris ni offensé ; je devais m’attendre à l’intérêt qu’ils marqueraient pour leurs mauvais vers ; intérêt d’autant plus excusable, que personne ne le partage avec eux.

203. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Il est vrai que le sujet, unique et varié, de ces diverses œuvres, était la question d’histoire contemporaine qui nous passait le plus près du cœur, puisque c’était l’histoire de la France en Afrique et la destinée de sa conquête ; mais, il faut être juste, ce n’est pas le prodigieux intérêt d’un pareil sujet qui fut exclusivement la cause du succès du général Daumas. […] À cette raison de tous les temps s’ajoute une raison de circonstance plus haute que l’intérêt de l’auteur et de ses ouvrages, plus haute que l’intérêt de curiosité que nous inspire l’Algérie, et cette raison, c’est l’armée de Sébastopol qui nous la fournit. […] Lus à la lumière des batteries de Sébastopol, les livres du général Daumas prennent soudainement un intérêt immense.

204. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

Plus coupable que le public, parce qu’elle devrait le diriger et le conduire, la critique de théâtre a fait au comédien, et surtout à la comédienne, une position exceptionnelle, anarchique et folle, à ne voir même que le théâtre et les intérêts de l’art dramatique ; car, si l’on place dans le ciel le simple interprète d’une œuvre de talent ou de génie, où placera-t-on celui qui l’a faite ? […] Élevée par des maîtres sceptiques, gouvernée longtemps par des hommes de juste milieu pour qui jamais la vérité ne fut qu’un jeu d’escarpolette, tourbillon d’individualités sans le ciment qui les relierait et leur donnerait la solidité d’un monde, la société moderne, privée du profond et sympathique intérêt des doctrines communes, n’a plus que le théâtre pour toute ressource. […] … À la nécessité d’un abri où les individualités évitent la bataille et où les opinions morcelées et contraires se taisent ou s’asseoient, s’ajoute, pour faire colossale cette idolâtrie du théâtre dont chaque jour marque le progrès, l’intérêt de l’imagination, des sens et de la vanité. […] Ceux-là qui croient, avec la bêtise mystique des fakirs, que l’art est le but de la vie, nous parleront-ils des intérêts de l’art à propos des affectations artistiques des petits jeunes gens du temps actuel et de la comédie de société ?

205. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le roi René »

Vaincu dans la « piteuse et douloureuse journée de « Bulgnéville », où s’agitait, sous la lutte des intérêts féodaux, la grande question de domination posée entre la France et l’Angleterre, ayant à cette bataille combattu le dernier avec cette furie qui était le caractère de sa bravoure, blessé à trois places et au visage, il fut obligé de se rendre au duc de Bourgogne et emmené prisonnier à Dijon. […] L’honneur chevaleresque, encore la religion de ce temps et qui passait alors avant l’intérêt matériel des patries, s’était indigné, et la chrétienté tout entière, qui était l’opinion, avait poussé un terrible cri. […] Elle emporta tout de l’intérêt qu’il aurait dû inspirer, dans l’immense intérêt qu’elle inspira, et le plus grand titre à la renommée de ce malheureux roi, qui était pourtant quelqu’un par lui-même, est peut-être d’avoir eu pour fille cette femme-là !

206. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Enfin, elle est si bien parmi nous toute la philosophie, que dans le langage habituel, dans ce langage qui dit mieux la pensée d’un peuple que les livres de ses écrivains, les intérêts de la conscience et de l’esprit, lesquels sont, en définitive, nos intérêts les plus légitimes, sont traités de choses moins positives que les plus grossières matérialités. […] Modifier ingénieusement le cadre dans lequel on pose aujourd’hui la question de la misère, la traiter au point de vue du double intérêt de l’enfant et de la femme, ne change rien à la solution connue et au mot d’ordre de l’école : produire dans l’ordre matériel. […] L’association des intérêts individuels a grandi les travaux manufacturiers.

207. (1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »

Sainte-Beuve, insérés dans Le Globe à partir de l’année 1824, nous ne faisons que réaliser un projet exprimé par lui dans la dernière édition des Portraits Contemporains, peu de mois avant sa mort (1869) : « Je me propose pourtant, dit-il, si je vis, de donne dans un volume à part la suite de mes articles au Globe ; on me dit que ce ne serait pas sans intérêt, et je me suis laissé persuadera. » Mais nous ne nous sommes pas borné seulement aux articles du Globe, qui sont le point de départ et comme la préface de cette publication, et nous avons recherché dans d’autres recueils postérieurs tout ce qui, à notre connaissance, était encore épars de l’œuvre du maître. […] Une autre considération qui nous a déterminé aussi à ne rien omettre de ce qui portait la marque infaillible de l’écrivain jusque dans de simples notices bibliographiques, c’est que nous avons obtenu la certitude que nous allions rendre service à des travailleurs spéciaux : cette conviction nous est venue, à mesure que nous retrouvions quelques-unes de ces pages oubliées, en les signalant à des savants pour lesquels elles devaient être un motif d’intérêt. […] Mais leur intérêt était surtout dans leur actualité.

208. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

Pour que le génie comique se développe, il faut vivre beaucoup en société, attacher beaucoup d’importance aux succès de société, et se connaître, et se rapprocher par cette multitude d’intérêts de vanité, qui donnent lieu à tous les ridicules, comme à toutes les combinaisons de l’amour-propre. […] La grandeur du but, la force des moyens, font disparaître l’intérêt pour tout ce qui n’a pas un résultat utile. […] Mais lorsque l’opinion publique et la réputation populaire ont la première influence, l’ambition délaisse ce dont l’ambition n’a pas besoin, et l’esprit ne s’exerce point à saisir ce qui est fugitif quand il n’a point d’intérêt à le deviner.

209. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Quand les parents aiment assez profondément leurs enfants pour vivre en eux, pour faire de leur avenir leur unique espérance, pour regarder leur propre vie comme finie, et prendre pour les intérêts de leurs enfants des affections personnelles, ce que je vais dire n’existe point ; mais lorsque les parents restent dans eux-mêmes, les enfants sont à leurs yeux des successeurs, presque des rivaux, des sujets devenus indépendants, des amis, dont on ne compte que ce qu’ils ne font pas, des obligés à qui on néglige de plaire, en se fiant sur leur reconnaissance, des associés d’eux à soi, plutôt que de soi à eux ; c’est une sorte d’union dans laquelle les parents, donnant une latitude infinie à l’idée de leurs droits, veulent que vous leur teniez compte de ce vague de puissance, dont ils n’usent pas après se l’être supposé ; enfin, la plupart ont le tort habituel de se fonder toujours sur le seul obstacle qui puisse exister à l’excès de tendresse qu’on aurait pour eux, leur autorité ; et de ne pas sentir, au contraire, que dans cette relation, comme dans toutes celles où il existe d’un côté une supériorité quelconque, c’est pour celui à qui l’avantage appartient, que la dépendance du sentiment est la plus nécessaire et la plus aimable. […] Dans la seconde supposition, peut-être la plus naturelle, le sentiment maternel, accoutumé par les soins qu’il donne à la première enfance, à se passer de toute espèce de retour, fait éprouver des jouissances très vives et très pures, qui portent souvent tous les caractères de la passion, sans exposer à d’autres orages que ceux du sort, et non des mouvements intérieurs de l’âme ; mais il est si tristement prouvé que, dès que le besoin de la réciprocité commence, le bonheur des sentiments s’altère, que l’enfance est l’époque de la vie, qui inspire à la plupart des parents l’attachement le plus vif, soit que l’empire absolu qu’on exerce alors sur les enfants, les identifie avec vous-mêmes, soit que leur dépendance inspire une sorte d’intérêt, qui attache plus que les succès mêmes qu’ils ne doivent qu’à eux, soit que tout ce qu’on attend des enfants alors, étant en espérance, on possède à la fois ce qu’il y a de plus doux dans la vérité et l’illusion, le sentiment qu’on éprouve, et celui qu’on se flatte d’obtenir. […] Il est heureux, dans la route de la vie, d’avoir inventé des circonstances qui, sans le secours même du sentiment, confondent deux égoïsmes au lieu de les opposer ; il est heureux d’avoir commencé l’association d’assez bonne heure pour que les souvenirs de la jeunesse aidassent à supporter, l’un avec l’autre, la mort qui commence à la moitié de la vie ; mais indépendamment de ce qu’il est si aisé de concevoir sur la difficulté de se convenir, la multiplicité des rapports de tout genre qui dérivent des intérêts communs, offre mille occasions de se blesser, qui ne naissent pas du sentiment, mais finissent par l’altérer.

210. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 198-200

Amyot, du Perrier, Rabelais, Montagne, Charron, étoient les seuls Auteurs qu’on pût lire avec intérêt, & cet intérêt naissoit plus encore du génie particulier de ces Ecrivains, que de l’agrément de leur langage.

211. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Aussi, leur historien — qui n’a pas été séduit par ces séducteurs de la France catholique au xvie  siècle et qui le sont restés dans l’Histoire — a-t-il implacablement compté leurs fautes, et, dans sa préoccupation politique, lui qui ne se soucie que des intérêts matériels de la France, de dignité royale, d’accroissement de territoires, lui qui ne comprend ni la tyrannie de l’idée religieuse, ni les intérêts spirituels, il leur en a souvent imputé. […] Il le fait le stipendié de l’Espagne comme Dubois le fut de l’Angleterre, comme si ce chef de parti n’avait pas dix millions de dettes contractées dans l’intérêt de ce parti qui était la France ; — car la constitution politique de la France était catholique, il faut bien le rappeler à ce politique qui l’oublie ! […] Pendant tout son règne, qui fut un combat, une croisade incessante dans l’intérêt de l’Église, attaquée de partout par les mille bras du Protestantisme, il se sentait et se posait comme un second Pape devant le Pape. […] Ces royalistes d’émigrés ne furent eux-mêmes que des révolutionnaires, comme leurs ennemis, et, véritablement, ils n’inspirent ni plus d’intérêt ni plus de respect que ceux-là qui n’émigrèrent pas. […] La dernière pensée, en effet, qu’il y ait dans le cerveau des hommes, est pour l’intérêt d’une conservation dont les bêtes elles-mêmes ont l’instinct.

212. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

La composition intégrale de l’Homme qui rit, son intérêt continûment passionné, les caractères qui doivent s’y développer, y grandir et y tomber avec l’action même, le pathétique final, tout, oui ! […] — écrivant un livre tardif où je n’aperçois, au bout de quatre cents pages, poindre ni caractère original, ni beauté d’âme, ni intérêt profond de trame humaine, se livrer à des besognes inférieures de pédant et de faiseur de dictionnaire, et atteler son vigoureux génie au haquet des plus lourdes dissertations ? […] Aussi, de cet égotisme effrayant, s’il ne finissait par être écœurant, il résulte, et il doit nécessairement résulter, que l’action et l’intérêt du livre sont parfaitement nuls. […] C’est la trahir que d’inspirer, comme vient de le faire Hugo, de l’intérêt et de l’admiration pour ces choses scélérates et ces hommes scélérats, les hommes et les choses de la monarchie ! […] Le livre est intéressant en beaucoup d’endroits, et d’un intérêt souvent très pathétique et très profond.

213. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Une étude diligente de leurs idées, continuellement comparées entre elles, a donc peut-être quelque intérêt. […] Car, en monarchie, qui est, qui peut être au-dessus des intérêts individuels et n’agir que les yeux fixés sur l’intérêt de tout l’État ? […] Si l’un, par intérêt de corps, les abandonne, c’est un autre qui les revendique. […] Un magistrat nommé par le gouvernement sera dévoué au gouvernement ; un magistrat qui n’aura été nommé par personne sera un simple citoyen libre et s’inspirera de son intérêt, il est vrai, mais aussi de l’intérêt public qui ne laissera pas d’être le sien. […] Mon charlatan forme des élèves qui ont tous le même intérêt que lui.

214. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

La veuve d’Hector est chez Euripide la concubine de Pyrrhus ; elle en a un fils : Hermione, sa rivale, veut faire périr le fils et la mère dans l’absence de Pyrrhus : voilà tout l’intérêt de la pièce. […] D’ailleurs, l’effet théâtral qui en résulte, le mouvement que ce secret découvert imprime à toute l’action, le danger des personnages auxquels on prend le plus d’intérêt, tout couvre cette tache, si c’en est une. […] Dans le temps où l’on admettait le principe qu’une passion fait le destin de la vie, une déclaration devait être une circonstance importante et un incident du plus grand intérêt. […] Zarès est prudente, courageuse, zélée pour les intérêts d’un mari dont elle n’a point partagé les. […] Les apologues sont déplacés au théâtre ; la morale y doit être dans l’action générale de la pièce, et non dans des fables particulières dont il ne résulte aucun intérêt.

215. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

C’est le grand intérêt de l’homme & des Nations. […] Alors la vastitude de l’objet imprime un intérêt plus vif ; parce que tout ce qui a de la grandeur, & tout ce qui offre des images fortes, a des droits incontestables sur nous. […] Affermis sur la bâse de l’intérêt public & de la connoissance réelle de l’homme, ils dirigeront les idées Nationales ; les volontés particulieres sont entre leurs mains. […] Ayant à tracer des peintures vigoureuses sur des modèles recens, il lui est défendu de concilier l’intérêt de son art avec l’intérêt des mœurs ; il ne peut guere attaquer le vice qu’en peignant la vertu, & au-lieu de traîner par les cheveux le vice sur la scène, de montrer à découvert son front hideux, il est obligé de faire une languissante tirade de morale. […] Démosthène enflamme sa République, & la précipite, malgré ses vrais intérêts, dans une guerre fatale.

216. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

Si d’ailleurs elle joue un rôle social, elle doit servir aussi l’individu, que la société a le plus souvent intérêt à ménager. […] Chaque tabou devait être une interdiction à laquelle la société trouvait un intérêt défini. […] Il a plutôt intérêt à l’ignorer. […] Mais cette indépendance est limitée en fait : elle s’arrête au moment précis où l’intelligence irait contre son but, en lésant un intérêt vital. […] Déjà, au théâtre, la docilité du spectateur aux suggestions du dramaturge est singulièrement accrue par l’attention et l’intérêt de la société présente.

217. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LII » pp. 203-205

L'intérêt est en ce moment à la loi sur l’instruction secondaire. […] Vous aurez par les journaux la clôture de cette discussion générale (à la Chambre des pairs) qui aura été pleine de lumières, de talent, de maturité (M. de Montalembert à part) et qui a vivement excité l’intérêt public.

218. (1823) Racine et Shakspeare « Préface » pp. 5-7

Les règnes de Charles VI, de Charles VII, du noble François Ier, doivent être féconds pour nous en tragédies nationales d’un intérêt profond et durable. […] Si, ne consultant qu’une juste défiance de ses forces, l’auteur eût entouré ses observations de l’appareil inattaquable de ces formes dubitatives et élégantes, qui conviennent si bien à tout homme qui a le malheur de ne pas admirer tout ce qu’admirent les gens en possession de l’opinion publique, sans doute alors les intérêts de sa modestie eussent été parfaitement à couvert, mais il eût parlé bien plus longtemps, et par le temps qui court, il faut se presser, surtout lorsqu’il s’agit de bagatelles littéraires.

219. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 392-394

Aucun de nos Biographes n’a porté plus loin le talent de traiter ce genre d’Histoire & de répandre de l’intérêt sur les plus petits détails. […] En un mot, les actions des plus Grands Hommes acquierent, sous sa plume, un nouveau degré d’intérêt & d’admiration.

220. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Si je ne les ai pas connues, il y a apparence qu’elles ne sont pas dans la nature ; et, si je les ai connues, cela ne démontre pas qu’elles y sont : mais on en doit conclure que j’ai travaillé pour exciter de l’intérêt, et non pour observer des unités. La raison de cela est que l’on pardonne tout à l’intérêt, et rien aux règles. […] Par malheur, l’intérêt dans Le Jeune d’Olban ne répond pas à la théorie. […] Les développements en seraient du plus vif intérêt ; le rôle du capitaine Birk, animé du jeu original de Préville, captiverait, échaufferait ; et je garantirais presque la réussite d’une pareille entreprise. […] N’est-ce pas celle qui garantit à une portion malheureuse de l’humanité les soins les plus prévenants, la condescendance la plus attentive, en un mot, ce tendre intérêt si supérieur à la simple compassion ? 

221. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Les Mémoires de Franklin sont d’une lecture pleine d’intérêt pour tous ceux qui ont eu les débuts laborieux, qui ont éprouvé de bonne heure les difficultés des choses et le peu de générosité des hommes, qui ne se sont pourtant ni aigris ni posés en misanthropes et en vertueux méconnus, ni gâtés non plus et laissés aller à la corruption intéressée et à l’intrigue, qui se sont également préservés du mal de Jean-Jacques et du vice de Figaro, mais qui, sages, prudents, avisés, partant d’un gain pénible et loyal, mettant avec précaution, et avec hardiesse quand il le faut, un pied devant l’autre, sont devenus, à divers degrés, des membres utiles, honorables, ou même considérables, de la grande association humaine ; pour ceux-là et pour ceux que les mêmes circonstances attendent, ces Mémoires sont d’une observation toujours applicable et d’une vérité qui sera toujours sentie. […] Penn, le colonisateur et le législateur de la Pennsylvanie, dans les chartes et conventions fondamentales qu’il avait ou obtenues de la Couronne, ou octroyées à son tour à la population émigrante, avait su très bien stipuler ses intérêts particuliers et ceux de sa famille en même temps que les libertés religieuses et civiles des colons. […] L’intérêt de la Pennsylvanie était alors, en effet, que la Couronne intervînt plus directement qu’elle ne faisait dans l’administration coloniale, et qu’elle affranchît le pays de cette espèce de petite féodalité qui renaissait au profit d’une famille. […] Il est dans l’Assemblée le chef de l’opposition, c’est-à-dire qu’il continue d’y parler pour les intérêts de la population contre les privilèges des propriétaires, fils de Penn, représentés par le gouverneur. […] Pour l’intérêt de sa cause, et par un procédé qui tenait plus du citoyen que du gentilhomme, il crut, un jour, devoir envoyer à ses amis de Boston des lettres confidentielles qu’on lui avait remises avec assez de mystère, et qui prouvaient que les mesures violentes adoptées par l’Angleterre étaient conseillées par quelques hommes même de l’Amérique, notamment par le gouverneur de l’État de Massachusetts Hutchinson, et par le lieutenant gouverneur Olivier.

222. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Outre les principales règles de l’art dramatique, qu’on peut voir ci-après aux mots action, intrigue, intérêt, unité, et autres, on sait qu’il y a un art plus caché et plus délicat, qui règle en quelque façon tous les pas qu’on doit faire, et qui n’abandonne rien aux caprices du génie même. […] Quel intérêt il annonce ! […] La majesté sombre et terrible du sujet, tout le rôle d’Oroès, le style et le grand intérêt, la leçon terrible donnée aux rois et même à tous les hommes : voilà l’artifice théâtral dont le poète se sert pour triompher de tant d’obstacles. […] Il ne le fait paraître que dans les moments où sa présence peut jeter de l’intérêt ou de l’effroi : c’est pour se plaindre à Messala, complice de Titus, des emportements de son fils ; c’est pour faire partir Tullie, dans le moment que son fils allait promettre de lui tout sacrifier ; c’est pour le charger du soin de défendre Rome, quand ce fils malheureux vient de la trahir. […] En conséquence, on distribue les scènes de chaque acte, faisant venir pour chacune les personnages qui y sont nécessaires ; observant qu’aucun ne s’y montre sans raison, n’y parle que conformément à sa dignité, à son caractère, n’y dise que ce qui est convenable et qui tend à augmenter l’intérêt de l’action.

223. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Ohnet a le don de l’intérêt, et son livre se lit aisément, ce qui n’est pas le cas de tous. […] Non pas ; dans le seul intérêt de notre conscience, par devoir envers nous-mêmes ; je dirai le mot brutal : par propreté pour notre âme. […] Larroumet y attachait un triple intérêt et par les hautes fonctions qu’il a occupées, et par son titre d’académicien, et par l’ouvrage qui lui a servi de textes. […] Suit un morceau de haut intérêt littéraire, « ce que La Fontaine doit aux autres et notamment au prince duc de Bourgogne ». […] Pour le reste, je renvoie au livre, qui offre, de plus, l’intérêt de nombreux dessins de M. 

224. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Or, quels que soient ces motifs, il faudra qu’ils rentrent dans les deux sphères générales de l’intérêt et de l’affection. […] Tous les systèmes, à commencer par celui de l’intérêt, présentent toujours quelque côté vrai. […] À l’intérêt ? […] Je ne dis pas qu’on n’ait jamais méprisé les richesses ; mais c’est lorsque leur poursuite se trouvait incompatible avec quelque autre avantage auquel on attachait plus de prix ; un intérêt chassait un autre intérêt. […] Selon l’idée qu’on lui attribue, la vertu ne serait qu’un nom arbitraire donné à l’intérêt ; l’intérêt serait le véritable et unique principe de toutes les actions humaines ; le principe moral n’aurait jamais résidé dans l’âme humaine, ou en aurait disparu.

225. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Et chaque incident augmente l’intérêt ; chaque épisode agrandit la scène. […] Mais elle présentait à Goethe un intérêt plus spécial. […] Dans cette vie monotone, d’où viendra cependant l’intérêt ? […] Il a seulement reconnu en lui « de la race » ; il prend, à le former, le même genre d’intérêt qu’à dresser un cheval farouche. […] L’histoire de la littérature werthérienne en France, avant Mme de Staël, a son intérêt.

226. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Préface »

Grâce au concours bienveillant de M. le Gouverneur Clozel, que l’on trouve toujours disposé à favoriser toutes les publications d’ethnographie et de linguistique soudanaises, cette bibliothèque s’enrichit aujourd’hui d’une nouvelle série, due à M. l’administrateur Equilbecq, série dont le présent volume ne forme que le début et dont l’importance ni l’intérêt n’échapperont à personne. […] Mais il ne s’est pas contenté de moissonner : il a voulu tirer parti de sa récolte et il nous présente aujourd’hui une étude d’ensemble sur la littérature populaire du Soudan que tout le monde lira avec le plus vif intérêt et que les folkloristes en particulier salueront avec le plus vif plaisir.

227. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

J’ai souvent aimé à me figurer, moyennant quelques images qui parlent aux yeux, ces degrés successifs d’approximation, en quelque sorte décroissante, par où passe inévitablement l’histoire, toujours refaite à l’usage et dans l’intérêt des vivants. […] L’élément, l’intérêt démocratique, celui des communes, ou de ce qui devait un jour s’appeler de ce nom, dominait en général ; la monarchie et l’Église avaient un peu le dessous. […] Les prétoriens étaient, en leurs mains, l’instrument de cet intérêt domestique et de ces essais d’hérédité. […] Les monastères de l’école de Colomban étant, par un revirement assez naturel, devenus hostile à l’intérêt des évêques, il les favorisa contre ceux-ci, rallia les populations, et rendit à l’ensemble de la souveraineté franke un reste de consistance et même de splendeur qui ne tint pas après lui. […] Le tableau de Rome féodale arrête le regard par l’intérêt extrême de la peinture.

228. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Le Paris politique, alors en pleine bigarrure, offrait un curieux spectacle ; il en ressentit d’abord l’intérêt. […] Aussi ne faut-il pas accorder, je le crois, à sa très-ingénieuse préface une portée plus grande que celle à laquelle il a prétendu : « Dès longtemps, dit-il, la période qu’embrassent les quatre règnes de cette dynastie (les Ducs de Bourgogne de la maison de Valois) m’a semblé du plus grand intérêt. […] Il sembla donc à M. de Barante que, par une construction artistement faite de ces scènes originales et en se dérobant soi-même historien, il était possible de produire dans l’esprit du lecteur, à l’occasion des aventures retracées de ces âges et avec l’intérêt d’amusement qui s’y mêlerait, une connaissance effective et insensiblement raisonnée, un jugement gradué et fidèle. […] Un critique historique distingué et modeste17, qui a pu, dans le Globe, entretenir le public jusqu’à six fois, et toujours avec intérêt, des livraisons successives des Ducs de Bourgogne, s’est appliqué à faire ressortir ce qui résultait des divers tableaux en conséquences politiques et en déductions morales sur le caractère des hommes et des temps ; il s’est plu à ajouter au fur et à mesure cette pointe de conclusion que le narrateur précisément se retranchait. […] Intérêts de commerce et d’échange, intérêts politiques, tout les liait ; la Franche-Comté de Bourgogne était devenue presque la seconde patrie des Suisses.

229. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Lamoureux se soient fait jour en quelconques injustices pour le musicien, que je n’aie pas sacrifié mon antipathie et ma répulsion, entièrement, à l’intérêt de la cause wagnérienne38. […] On jugera suffisamment évident que la publication des quelques pages que je viens d’écrire, doit être mortelle aux intérêts de la Revue Wagnérienne comme aux miens. […] Oui, celui qui — en vue de tels bas intérêts de succès ou d’argent, — essaie de grimacer, en un prétendu ouvrage d’Art, une foi fictive, se trahit lui-même et ne produit qu’une œuvre morte. […] Mes collègues ont été d’avis qu’il ne leur appartenait pas d’entrer, même indirectement, dans un débat qui n’est pas de leur compétence, le Syndicat ayant été institué pour défendre les intérêts généraux de la presse parisienne. […] Cette séance, si vraiment curieuse et d’un si réel intérêt wagnérien, a obtenu le succès le plus sincère.

230. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

. — La volonté du roi, lui ai-je répondu, mon devoir, ma reconnaissance et l’intérêt de mes proches. […] Dès 1677, les remontrances de l’assemblée du clergé, ou les jésuites avaient de puissants amis, les sollicitations de la cour de Rome, provoquées par les intrigues de la société, les conseils du chancelier Le Tellier et du marquis de Louvois son fils, tous deux ennemis de Colbert, qui protégeait les protestants comme des sujets utiles, enfin l’intérêt particulier de Louvois, ministre de la guerre, qui était atterré, dit Saint-Simon, par le poids d’un armistice de vingt années, à peine commencées, et qui voulait rendre ses troupes nécessaires par la persécution des huguenots, (elles furent les causes des dragonnades de 1683 et 1684. […] Là, sa vertu éclate avec tous ses autres mérites ; là, nul soupçon d’intérêt personnel ne peut l’atteindre ; là fut même le pénible sacrifice de ses sentiments, s’il est vrai, comme on n’en peut douter et comme le disait sa clairvoyante rivale, qu’elle aimât ce roi dont elle remettait la reine en possession, et que les désirs qu’elle reconduisit vers la couche conjugale, s’étaient allumés ou éveillés pour elle. […] Elle devait être féconde en jouissances nouvelles cette amitié vive qui, par une conversation animée, sans chicane et sans contrainte, multipliait sans cesse et variait à l’infini ses épanchements vers l’objet aimé, les lui offrait toujours avec intérêt et toujours à propos, provoquait les siens, lui communiquait une vie nouvelle, une existence inconnue, créait en lui un autre homme, avec des facultés jusque-là ignorées de lui-même, l’introduisait dans ce pays nouveau dont parle madame de Sévigné, où avec d’autres yeux il voyait d’autres choses et d’autres hommes, l’introduisait dans son propre cœur où il n’était jamais descendu, l’apprenait à s’étudier et à se connaître, lui donnait une conscience pénétrée du besoin de sa propre estime, une conscience qui lui rendit bon témoignage de lui et de son amie. […] En se défendant par l’intérêt de l’honneur, auquel le roi pouvait opposer la promesse du secret, elle l’aurait rebuté ; en se défendant par la religion, par un devoir et par un intérêt commun ; en se défendant par un devoir qu’elle représentait comme pénible à son cœur, et comme assez contraire à son inclination pour laisser au roi l’espérance d’en obtenir l’oubli dans un moment propice, elle parvenait à la solution habile de cette grande difficulté de renvoyer le roi toujours affligé, jamais désespéré ; en prolongeant son désir, elle en faisait une passion vive et profonde.

231. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

De l’autre côté, il y avait des intérêts civils, patriotiques aussi, mais surtout positifs, des idées longtemps étouffées et qui voulaient renaître ; idées en travail, intérêts en souffrance, lassitude profonde et besoin de paix, chez quelques-uns d’anciens sentiments qui se réveillaient, c’était tout un ensemble d’opinion déjà puissante et mal définie ; mais surtout, à ces premiers jours de 1814, et en face d’une religion militaire qui épuisait ses derniers miracles, il y avait une raison. […] Pour ceux qui ont examiné, il est certain qu’aucune pensée de calcul étroit ni d’intérêt particulier n’entra dans ses résolutions. […] Pendant les journées qui suivirent, Marmont était des plus vifs à défendre les intérêts de l’armée, le maintien des couleurs nationales qui représentaient pour lui tout un ordre de sentiments patriotiques et modernes. […] Qu’il nous suffise de dire que lorsqu’un des officiers longtemps attaché au maréchal, le colonel Fabvier, se plaignit vivement de cette qualification dans une note écrite qui fut mise sous les yeux de Napoléon, l’Empereur répondit alors au général Drouot qui s’en était chargé : « Calmez Fabvier ; ce que j’ai dit, j’ai dû le dire dans l’intérêt de ma politique. […] Tel, on le voit, tel vivait le duc de Raguse pendant la seconde moitié de la Restauration, oubliant peu à peu ses disgrâces, très aimé de ses amis, absous et plus qu’absous de tous ceux qui rapprochaient, et qui lisaient à nu dans cette nature vive, mobile, sincère, intelligente, bien française, un peu glorieuse, mais pleine de générosité et même de candeur (le mot est d’un bon juge, et je le reproduis) ; piquant d’ailleurs de parole, pénétrant dans ses jugements, parlant des hommes avec moquerie ou enthousiasme, des choses avec intérêt, avec feu et imagination, parfaitement séduisant en un mot, comme quelqu’un qui n’est pas toujours froidement raisonnable.

232. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Ici Voltaire, tandis qu’il mène en Suisse une vie de grand seigneur et d’homme en apparence tout occupé des seuls plaisirs de l’esprit, se montre, dans ses lettres à d’Alembert, l’organisateur ardent de tout ce qui est du ressort et de l’intérêt de la cause commune. […] Ce moment est décisif dans la vie de Voltaire, et signale en effet son véritable avènement à la monarchie littéraire universelle : il règne et régnera durant les vingt années qui lui restent encore à vivre ; mais nous n’avons aujourd’hui qu’à le suivre dans sa relation avec le président de Brosses avec qui il est entré en affaires d’intérêts. […] À peine entré en possession, Voltaire commence, sous tous les prétextes, à recourir au Président et à le harceler : il est curieux de voir, dans cette suite de lettres, comme les intérêts de l’humanité et du genre humain interviennent et sont toujours invoqués à côté des intérêts particuliers les plus minces. […] Jamais esprit ne s’est transformé plus habilement, et ne s’est retourné plus vite à vue d’œil selon son intérêt. […] Notez que ces calomnies secrètes et dites à l’oreille de tant de gens n’empêchèrent pas, cinq ans après, Voltaire renouant avec M. de Brosses, devenu alors premier président du parlement de Bourgogne, de lui écrire au sujet de quelque affaire qu’il lui recommandait (novembre 1776) : « Pour moi, à l’âge où je suis, je n’ai d’autre intérêt que celui de mourir dans vos bonnes grâces. » Littérairement, de Brosses eut une fois à juger Voltaire ; c’est à la fin de sa Vie de Salluste, et il le fit avec équité, sans qu’on y puisse découvrir trace de ressentiment.

233. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Et puis où est l’intérêt de toute cette composition ? […] On n’a d’autre intérêt à les regarder que celui qu’on prend à l’accoutrement bizarre d’un étranger qui passe dans la rue ou qui se montre pour la première fois au palais-royal ou aux tuileries ; quelque bien ajustées que soient vos figures, si elles l’étaient à la française, on les passerait avec dédain. […] Quoi qu’il en soit, la dormeuse est sans grâce et sans intérêt. […] Tout le charme, tout l’intérêt sera détruit, et l’on daignera à peine s’y arrêter. […] On dirait que de grands événemens, de grandes actions ne soient pas faits pour un peuple aussi bizarrement vêtu, et que les hommes dont l’habit est si ginguet ne puissent avoir de grands intérêts à démêler.

234. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Il serait peut-être curieux de chercher comment l’éloquence, perdue depuis tant de siècles, après avoir régné à Athènes, à Rome et dans Byzance, reparut au bout de douze cents ans chez les descendants des Celtes, et dans un pays où il n’y avait ni liberté à venger, ni intérêts d’état à défendre. […] Trop au-dessous de ces grands intérêts, on voulait cependant les égaler ; on voulait mettre de petites choses modernes au niveau de ces grandes choses antiques qui nous étonnent par leur hauteur, et dont la distance augmente encore le respect qu’elles nous inspirent. […] quels sont les grands intérêts qu’il a à défendre ? […] De ce mélange de chocs et de réflexions, de grands intérêts et de sentiments que ces intérêts font naître, se forme peu à peu chez un peuple un assemblage d’idées, qui tantôt se développent rapidement, et tantôt germent avec lenteur ; mais rien ne contribue tant à cette activité générale des esprits que les troubles civils et les agitations intérieures d’un pays : c’est alors que la nature est dans toute sa force, ou qu’elle tend à y parvenir ; alors elle a l’énergie des grandes passions, qui ne peuvent naître que dans l’état violent des sociétés, et elle n’est point assujettie à ce frein que les sociétés reçoivent des lois, et qui, pour le bien général, comprimant tout, affaiblit tout. […] Tout le monde était occupé de cet intérêt sacré.

235. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Il faudrait s’étonner, plutôt, si cette défection n’avait pas eu lieu… Rapetti, en nous la racontant, a fait l’histoire vraie de ce jour qui perdit l’Empereur, mais il l’a refaite avec l’histoire faussée, sophistiquée, pervertie par l’intérêt du coupable, et, pour la refaire et la ramener au vrai, il n’a pas eu besoin de révéler des faits inconnus et de se retirer derrière des négations inattendues. […] Et il l’a frappé au nom de quelque chose de plus haut, de plus grand, de plus saint que l’intérêt de l’histoire et même que l’intérêt de l’Empire et de la patrie.

236. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

Partout les intérêts religieux se mêlaient aux intérêts politiques et les crimes aux grandes actions ; tel était l’esprit de ce temps ; et parmi ces dangers, ces espérances, ces craintes, il dut naître une foule d’âmes extraordinaires dans tous les rangs, qui se développèrent, pour ainsi dire, avec leur siècle, et qui en reçurent le mouvement, ou qui donnèrent le leur. […] Enfin, pour connaître l’esprit de ce temps-là, il ne sera pas inutile d’observer que Paul Jove loue avec transport ce Pic de La Mirandole, l’homme de l’Europe, et peut-être du monde, qui à son âge eût entassé dans sa tête le plus de mots et le moins d’idées ; qu’il n’ose point blâmer ouvertement ce Jérôme Savonarole, enthousiaste et fourbe, qui déclamant en chaire contre les Médicis, faisait des prophéties et des cabales, et voulait, dans Florence, jouer à la fois le rôle de Brutus et d’un homme inspiré ; qu’enfin il loue Machiavel de très bonne foi, et ne pense pas même à s’étonner de ses principes : car le machiavélisme qui n’existe plus sans doute, et qu’une politique éclairée et sage a dû bannir pour jamais, né dans ces siècles orageux, du choc de mille intérêts et de l’excès de toutes les ambitions joint à la faiblesse de chaque pouvoir, fait uniquement pour des âmes qui suppléaient à la force par la ruse, et aux talents par les crimes, était, pendant quelque temps, devenu en Europe la maladie des meilleurs esprits, à peu près comme certaines pestes qui, nées dans un climat, ont fait le tour du monde, et n’ont disparu qu’après avoir ravagé le globe.

237. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Nouveau venu alors dans l’Académie, admis depuis peu à partager l’intérêt de ses séances, je me faisais reflet parfois de regarder de très gros poissons rouges s’agitant et tournant dans un trop petit bassin. […] C’est proprement un prix d’encouragement à un jeune écrivain peu favorisé de la fortune et qui mérite de l’intérêt par son talent. […] Cette dernière latitude est heureuse et permettra à l’Académie, au lieu de soutenir et de favoriser un genre faible et qui semble usé, de provoquer d’utiles travaux d’un intérêt actuel et bien vivant. […] On verrait, en additionnant tous ces chiffres, en faisant le compte total de ces dons généreux, de quelle somme considérable l’Académie dispose chaque année dans l’intérêt des Lettres sérieuses, et combien elle est mieux placée, à tous égards, et mieux munie pour cet emploi élevé que le ministre même de l’Instruction publique. […] Pourquoi, deux ou trois fois l’an, des rapports spéciaux et succincts, confiés à deux ou trois de ses plus jeunes membres, ne lui permettraient-ils pas de connaître, à point nommé, le mouvement et le courant des esprits, le degré d’importance et d’intérêt des productions en vogue ?

238. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Par là leurs intérêts sont un peu sauvegardés. […] Peut-être y-a-t-il quelque intérêt à la regarder en face, au moins de temps en temps. […] La morale convenue ne tient guère compte que de l’harmonie des intérêts et recommande comme vertu, en se trompant d’ailleurs, ce qui lui paraît s’y conformer. […] Il saura que, quoi qu’il fasse, et même s’il ne fait rien, il blessera des intérêts et froissera des sentiments, il souffrira et fera souffrir. […] Mais cet idéal-là est trop loin de nous et trop opposé aux désirs actuellement visibles de l’humanité pour qu’il y ait intérêt à le développer.

239. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Quand les sociétés n’ont plus la flamme qui crée les grandes œuvres et l’intérêt palpitant qui s’y attache longtemps avec une passion, qui est au génie ce qu’un cœur tendre est à un grand cœur, l’amour de l’archéologie, ce touche-à-tout des vieillards redevenus enfants, s’empare de ces esprits qui baissent, et on joue aux bagatelles de l’histoire, aux curiosités, aux minuties. […] Si donc on veut de cette femme un ensemble, si on la tire du demi-jour des mémoires et du profil fuyant qu’elle y découpe, c’est apparemment dans un intérêt, sinon d’histoire, au moins d’imagination et de nature humaine ; c’est pour lui faire tomber la lumière d’aplomb et de face sur la tête et sur le visage, et il faut alors que le peintre crée, par sa peinture, l’intérêt que son modèle n’a pas ! […] Si on disait qu’un tel ouvrage est ennuyeux, malgré les noms célèbres qui étoilent faiblement d’une lueur d’intérêt, bientôt éteinte, les pages sans relief qui s’y multiplient, on aurait l’air de ne traduire qu’une sensation personnelle, et on dirait une vérité. […] Son premier ressort, c’était l’amour, ou plutôt c’étaient la galanterie et l’intérêt de celui qu’elle aimait (il faudrait ceux de l’aveu même de M.  […] Cousin trouvera toujours bien, à ce niveau d’intérêt et de moralité, des femmes plus ou moins charmantes, dont il continuera de nous vanter les vices… ou même les vertus !

240. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Haïssables autant que jamais, dangereuses comme au premier jour, car la passion, éternelle comme l’homme, s’empare de l’erreur et s’en fait une arme dans la brutalité de ses desseins, elles ne sont plus cependant, ainsi qu’elles l’étaient autrefois, nécessaires de cette nécessité providentielle dont parle l’Évangile quand il dit ces graves paroles citées par saint Augustin : « Il faut qu’il y ait des hérésies (oportet hæreses esse), parce que ce sont les hérésies qui forcent la vérité à des démonstrations nouvelles. » Au contraire, ces filles de l’orgueil semblent avoir terminé le travail de contradiction que Dieu impose quelquefois à l’homme révolté dans l’intérêt de la vérité méconnue. […] En effet, qu’on lise avec attention le fameux traité (One tract more), on verra que l’Église anglo-catholique se pose comme indépendante des temps et des lieux, et qu’elle n’accepte que sous toute réserve les liens flottants des intérêts nationaux ou d’un gouvernement politique. […] Il était ainsi châtié pour des sentiments trop catholiques… Cependant, dans ce sermon célèbre, il ne prenait qu’une de ces situations de milieu qui sont parfois opportunes dans des négociations d’intérêt, mais toujours mauvaises quand il s’agit de vérité. […] … Après l’intérêt sacré de la conscience, — le plus haut intérêt pour les peuples comme pour les individus, — on peut parler de l’intérêt politique à une nation qui entend la puissance et qui n’a pas dit le dernier mot de ses destinées. […] L’intérêt politique a dévoré la sympathie religieuse ; mais, en la dévorant, il s’est presque dévoré lui-même.

241. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Un retour sur nous-mêmes est toujours le grand mobile de l’intérêt que nous prenons à la situation d’autrui. […] Les Romans de Madame Daunoi furent accueillis parcequ’elle sut y jetter de l’intérêt ; à cela près, ils sont écrits d’un style un peu trop languissant. […] Le sombre de ses tableaux en fait presque l’intérêt. […] D’ailleurs, on trouve dans plusieurs des lettres de Rosalide cet intérêt du cœur qui, dans tous les cas, facilite les leçons qu’on veut donner à l’esprit. […] De longues dissertations viennent trop fréquemment intercepter l’intérêt.

242. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

La société cependant y gagne en intérêt, en noble emploi des loisirs ; et, en effet, quand elle n’est pas pour les personnes un accident, un lieu de passage et quelquefois de contrainte, mais un séjour habituel et nécessaire, il faut bien en tirer tout le parti possible, même y penser et y réfléchir tout haut, sans quoi on courrait risque de ne pas trouver le temps de réfléchir. […] On ne pense pas seulement tout haut, on étudie tout haut ; la manière s’y aiguise en clarté, en rapidité, en intérêt ; elle marque moins en originalité et en profondeur. […] Cette lecture fait passer sous les yeux un long roman par lettres, développé, sensé, régulier, d’un intérêt lent et croissant, avec des caractères étudiés et suivis, avec des situations prolongées et compliquées, parfaitement définies et menées à fin. […] Auprès des princes, l’intérêt personnel est tellement éveillé, les mauvaises passions humaines sont si fréquemment en jeu, que, s’il nous fallait agir d’après nos sensations réelles et nos vraies émotions, nous donnerions à qui nous observe un triste spectacle. […] Il est de l’intérêt et de la politique du ministre qu’on le croie, et qu’Alphonse au moins s’y prête.

243. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Résumons-nous : la physionomie littéraire de la France actuelle est caractérisée par trois grands traits : l’histoire, la philosophie, la haute poésie ; les premiers talents de prose et de vers de l’époque sont renfermés dans cette triple et large barrière ; et ces trois objets occupent presqu’exclusivement l’intérêt et la curiosité d’une jeunesse avide d’instruction et d’émotions. […] Casimir de la Vigne, œuvre essentiellement philosophique, qui peut-être n’a pas cet intérêt vulgaire que cherche d’abord la foule, mais qui frappe tous les esprits distingués par des situations fraîches, des caractères créés et par un style de poète. […] Nous pouvons affirmer que le ton, la couleur, toute la poésie du poète allemand a passé dans l’œuvre du poète français ; c’est une tragédie d’un intérêt puissant et d’une exécution parfaite. […] Si le nom de Pichat, si l’intérêt de l’art sont peu de chose pour le comité, du moins devrait-il comprendre son propre intérêt ; mais non, Guillaume Tell a eu son triomphe sur tous les théâtres ; l’Opéra qui est si habilement dirigé maintenant, lui en prépare un qui effacera tous les autres ; et la Comédie Française ne se réveille point de son apathie ! […] J’ai conservé la forme lyrique des romances, en ayant soin de varier continuellement les rhythmes comme les tons ; et j’ai tâché de coordonner tous ces matériaux de manière à présenter un intérêt suivi, une espèce d’action dramatique ayant son exposition, son nœud et sa catastrophe.

244. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Dans les choses tout à fait essentielles à l’État, si un accident imprévu cause une ruine, si une des poutres qui soutiennent l’édifice s’écroule, il vient un moment où le besoin absolu qui se fait sentir à tous peut amener une réparation ; mais dans l’ordre délicat, en ce qui touche les intérêts de l’esprit, les ruines une fois faites, par le temps qui court, ont grande chance de rester des ruines, et, quand la société a tant à lutter pour subvenir au strict nécessaire, il peut arriver que le jour de la réparation se fasse longtemps attendre pour le superflu. […] Ayez une bonne Direction au Théâtre-Français ; qu’elle sente que la responsabilité pèse sur elle, qu’elle ait intérêt à ce que le théâtre vive et prospère, se renouvelle le plus possible tout en se maintenant dans les grandes lignes des chefs-d’œuvre. […] Est-ce dans l’intérêt même des auteurs et des théâtres, qui peuvent à tout instant (et nous en avons des exemples) être entraînés à des essais compromettants qu’il faut retirer ensuite, et qu’un peu de prudence eut fait éviter ? […] Ma seule conclusion serait que, sous une forme politique ou sous une autre, l’État en France a les mêmes intérêts et les mêmes devoirs ; qu’il se tromperait en abdiquant toute direction de l’esprit public, en n’usant pas des organes légitimes d’action qui lui sont laissés ; que c’est faire de la bonne politique que de travailler d’une manière ou d’une autre à contenir la grossièreté croissante, la grossièreté immense qui, de loin, ressemble à une mer qui monte ; d’y opposer ce qui reste encore de digues non détruites, et de prêter la main, en un mot, à tout ce qui s’est appelé jusqu’ici goût, politesse, culture, civilisation.

245. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Il a préféré toujours l’intérêt des autres au sien propre. Il n’y a que son honneur qu’il ait mis au-dessus de ces intérêts ! […] Toute cette partie de l’histoire du comte Gaston de Raousset est navrante et a l’intérêt passionné d’un roman magnifique et déchirant. […] La Madelène est un biographe, c’est le soubassement de l’historien, et il a voulu nous tenir au courant de toute la vie de son héros, sachant l’intérêt qu’il inspire encore et cherchant à l’aviver par tous les moyens dont la biographie dispose.

246. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

On a le droit de s’étonner du silence des historiens qui ne parlent jamais de l’industrie protestante qu’à propos de la révocation de l’édit de Nantes, sous Louis XIV, et négligent de poser au xvie  siècle cette question de vie et de mort qui donne un intérêt si suprême, un instant si marqué, une âme si forte à l’intérêt catholique ! […] Le peuple, menacé au xvie  siècle dans tout ce qui était sa vie, sentait absolument cette identité que les historiens devraient montrer davantage pour expliquer une action qui ne fut point une révolte dans le sens que les révolutions modernes ont donné à ce terrible mot, et pour l’expliquer aux penseurs politiques de nos jours qui ont rayé, il est vrai, les questions de foi de leurs programmes, c’est-à-dire toute l’économie de la vie morale, mais qui, en présence des intérêts matériels, comprendront peut-être que la Ligue, c’est-à-dire la société même, courût aux armes pour se sauver ! […] bonté des sens, familiarité, camaraderie, politique, cette peau d’intérêts qu’il avait sous son autre peau, absence de profondeur d’impression et l’amour du rire !

247. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

Gobineau, qui pense, et avec juste raison, qu’on ne peut plus s’intéresser à l’histoire de la décrépitude et de l’avilissement continu des peuples actuels, et que le seul intérêt et le seul mérite appartiennent à quelques individualités supérieures, — étoiles (pour parler son langage) pointant encore dans un firmament dévas té, — nous a fait un livre à plusieurs héros, dont il a décrit les passions et développé les caractères. […] Les créatures inférieures, ténébreuses, misérables, imbécilles, brutales et perverses, qui sont le fond commun de l’humanité et se mêlent au jeu de son action, et le troublent et le souillent ou l’empêchent, je les cherche en vain dans ce livre, où je ne vois que des étoiles… Livre plus orageux et plus passionné, il est vrai, mais aussi chimérique, aussi fabuleux que le livre de l’Astrée, et, comme on ne s’intéresse pas à l’impossible, tout aussi vide d’intérêt que lui ! […] Je parle de l’intérét qui vient de l’ensemble du livre ; je ne parle pas de l’intérêt spécial, individuel, détaché de chaque histoire de ce Décameron d’histoires, quoique cet intérêt-là l’auteur l’ait bien dispersé en l’étendant à plusieurs héros placés tous au même plan, en un parallélisme qui leur fait tort les uns aux autres, dans ce livre sans perspective, sans hiérarchie, sans unité ; car toute hiérarchie bien faite s’achève et se couronne par l’unité, tout ce qui n’est pas unitaire dans les œuvres ou les institutions des hommes, tout ce qui s’y rencontre de multiple étant anarchique en plus ou en moins.

248. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Relativement à l’infini, cela n’a point d’intérêt, ou cela ne peut avoir d’autre intérêt que l’étendue, l’espace, et les différentes impulsions que Dieu leur imprime et qui leur commandent le mouvement. […] Cela a son intérêt sans doute, mais l’intérêt des mondes ou du Cosmos est bien différent et infiniment supérieur. […] La géographie des plantes, dont le nom même était presque inconnu il y a un demi-siècle, offrirait une nomenclature aride et dépourvue d’intérêt, si elle ne s’éclairait des études météorologiques. […] Un essai de réunir ce qui, à une époque donnée, a été découvert dans les espaces célestes, à la surface du globe, et à la faible distance où il nous est permis de lire dans ses profondeurs, pourrait, si je ne me trompe, quels que soient les progrès futurs de la science, offrir encore quelque intérêt, s’il parvenait à retracer avec vivacité une partie au moins de ce que l’esprit de l’homme aperçoit de général, de constant, d’éternel, parmi les apparentes fluctuations des phénomènes de l’univers. » Potsdam, au mois de novembre 1844. […] L’examen de ce problème marquera, si je puis m’exprimer ainsi, d’un intérêt plus noble, de cet intérêt supérieur qui s’attache à l’humanité, le but final de mon ouvrage.

249. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 7-11

Malgré cela, si l’on fait attention à la vérité, à l’intérêt, à la noblesse des caracteres, on sera plus indulgent à l’égard de l’Auteur ; on lui fera même grace en faveur des sentimens qu’il déploie & du coloris qu’il leur donne. […] Collé y a joint tout l’art dont le sujet étoit susceptible, celui de bien amener les incidens, de mettre du jeu & de la variété dans ses personnages, de développer l’ame de son Héros, de faire ressortir, pour ainsi dire, de chaque Scène un intérêt qui lui est particulier & contribue à l’effet général, de joindre enfin à l’énergie du sentiment, l’aisance & le bon ton du Dialogue, en conservant la naïveté & le costume des mœurs du siecle d’Hénri IV.

250. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 555-559

On a remarqué, avec raison, qu’il s’étoit trop laissé aller aux impressions d’une mélancolie sombre, qui rembrunit ses tableaux, donne à ses Héros un air farouche, diminue enfin l’intérêt, à force de vouloir le presser & l’étendre. […] Cet Auteur a encore le défaut de pousser plusieurs événemens au delà de toute vraisemblance, & même contre toute vraisemblance, moyen infaillible d’affoiblir l’intérêt.

251. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre V. Suite du Père. — Lusignan. »

L’antiquité ne présente rien de cet intérêt, parce qu’elle n’avait pas un pareil culte. […] Si Lusignan ne rappelait à sa fille que des dieux heureux, les banquets et les joies de l’Olympe, cela serait d’un faible intérêt pour elle, et ne formerait qu’un dur contresens, avec les tendres émotions que le poète cherche à exciter.

252. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Que l’on compare les procédés de notations de ses grands tableaux, d’analyse de ses grandes scènes, à ceux de nos romanciers naturalistes héritiers pour le style, des romantiques, on sera frappé du manque de force, de certitude, d’éclat, d’intérêt soutenu, d’épuisement du sujet, de la plupart des pages semées cependant de ramassements subits, qui synthétisent tout un ensemble. […] La Guerre et la Paix atteint presque ainsi au véritable but du roman réaliste, celui de contenir non pas un cas particulier et spécial auquel la sympathie ne se concède en somme que par politesse, mais de comprendre quelque large ensemble social, do façon à satisfaire le plus profond et le plus universel des intérêts humains, celui qui lie chacun à la communauté de tous, au monde. […] Dans cette synthèse complexe, où sont représentés tous les âges, toutes les humeurs, tous les ordres d’intelligence et de moralité, les grands événements et les petits faits journaliers, ce n’est pas telle situation ou tel caractère qui concentre l’intérêt et qui le particularise, mais bien l’ensemble de ce monde artificiel aménagé par merveille et étendu au point que tout homme peut songer y vivre. […] Il semble que Tolstoï se déprenne du spectacle de la vie, s’y rattache et l’abandonne en lents rythmes d’intérêt, de découragements et d’oubli. […] C’est au début la scène légère des agitations, des amourettes et des jeux de la nursery, puis cet incident étourdissant, le soir où Natacha hésitant entre ses prétendants, court se blottir dans le lit de sa mère au coucher et lui raconte joyeusement ses peines ; où encore la vie de mascarades, de veillées, de folles courses en traîneau, de chasses et d’innocentes intrigues tout l’hiver à Otradnoé ; la sympathie, le plaisant et réconfortant intérêt pour la joie de ces bonnes gens, seront profonds et bienfaisants.

253. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Après la perte de la bataille de Kolin (le 18 juin), il se montre disposé à laisser agir dans ses intérêts cette sœur au courage viril, qui ne saurait rien lui conseiller que de digne. […] J’ai cru qu’étant roi, disait Frédéric, il me convenait de penser en souverain, et j’ai pris pour principe que la réputation d’un prince devait lui être plus chère que la vie. » Elle épouse donc complètement ses intérêts et sa destinée. […] À qui pourrais-je mieux confier les intérêts d’un pays que je dois rendre heureux qu’à une sœur que j’adore, et qui, quoique bien plus accomplie, est une autre moi-même ? […] Il s’agissait, pour sauver Frédéric, ou de détacher de la coalition, ou du moins de ralentir la France, de convaincre celle-ci, par une voie ou par une autre, qu’il n’était nullement de son intérêt que le roi de Prusse fût détruit, et que, si malheur lui arrivait, elle aurait plus tard à s’en repentir. […] Fiez-vous à ma parole d’honneur, et ne regardez point la prière que je vous fais comme l’effet d’une vaine curiosité : j’ai quelque intérêt à être instruit… Et le 20 octobre 1757 : Il m’a paru que Mme la margrave avait une estime particulière pour un homme respectable (il est bon de savoir d’avance qu’il s’agit toujours du cardinal de Tencin) que vous voyez souvent.

254. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

On a sous les yeux une suite de scènes qui devaient avoir beaucoup d’intérêt pour des spectateurs nourris de ces sujets saints, et dont toute la vie se passait au sein des croyances, au milieu de tout ce qui les retraçait. […] Pour le tirer d’affaire et le mettre au-dessus du soupçon, Pilate n’imagine rien de mieux que de lui faire épouser la veuve de ce Ruben, femme d’honneur et qui a du bien ; on brusque les choses, on passe sur la différence des âges ; c’est comme un mariage d’intérêt et d’argent. […] L’intérêt du sujet d’Œdipe en général, c’est précisément le crime innocent, involontaire, et (une fois la mythologie admise) de voir le pauvre mortel la proie et le jouet du sort, sous la main des Dieux ; et l’intérêt de l’Œdipe-Roi, en particulier, c’est la découverte par degrés, la gradation admirablement ménagée dans la révélation du crime, c’est le voile qui se lève lentement, péniblement, peu à peu, dans l’âme d’Œdipe, dans l’âme de Jocaste, jusqu’à ce qu’il soit entièrement déchiré et que l’affreuse vérité éclate aux yeux des coupables involontaires et aux yeux de tous. […] Il n’existe rien de cette gradation dans l’esprit de Judas, qui reste dans l’ignorance jusqu’au moment où il apprend tout ; et en ce qui est de Cyborée, la gradation est très-courte et de peu d’intérêt.

255. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Je ne veux pas écraser cette jolie chose sous le souvenir des Provinciales : la disproportion est trop forte, et la gaieté des Mémoires a plus de mousse que de corps ; ils manquent par trop d’intérêt universel et humain. […] L’argent, l’intérêt y ont leurs rôles, mais secondaires : ce qu’on se dispute, c’est l’amour. […] Leur couple, autant que le peut faire l’auteur, est chargé des intérêts de la morale, pour la honte de la noblesse et pour la gloire du Tiers État. […] Outre l’importance que lui donne sa signification politique, la pièce a encore par sa forme un intérêt d’un autre genre, et de premier ordre. […] Il entre en querelle avec les comédiens sur la question de ses droits d’auteur (1776), et provoque l’union des auteurs dramatiques pour la défense de leurs intérêts.

256. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

« L’auteur, écrivait le judicieux Atterbury, a raison de se cacher, car les touches profanes de cet ouvrage nuiraient plus à sa réputation et à son intérêt dans le monde que son esprit ne peut lui faire de bien. » Plus tard, Voltaire en jugea de même. […] Il est très vrai que le clergé a de la haine et du mépris pour les sectes « comme les médecins pour les empiriques, comme les hommes de loi pour les gens de chicane, comme les marchands établis pour les colporteurs », mais c’est aussi et surtout l’intérêt de l’État qui le touche. […] Comme cette perte est cinquante fois trop grande pour que la sagesse du siècle juge à propos de s’y exposer dans l’intérêt du salut du christianisme, il n’y a aucune raison de s’y exposer, pour la seule satisfaction de le détruire. […] « Ce que je vais vous dire est, après votre devoir envers Dieu et le soin de votre salut, du plus grand intérêt pour vous et pour et vos enfants ; votre pain, votre habillement, toutes les nécessités de la vie en dépendent. […] Jusqu’au bout, enfin, il s’indigna des atteintes portées par le Parlement d’Irlande aux intérêts de l’Église, et une série de pièces satiriques atteste son inutile ressentiment.

257. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

C’est de leur cœur que s’est répandu dans le nôtre cet intérêt plus vif que l’admiration, qui nous fait aimer tout ce qu’ils ont aimé, sentir tout ce qu’ils ont senti. […] L’intérêt de l’Etat est de n’avoir qu’un roi, Qui, d’un ordre constant gouvernant ses provinces, Accoutume à ses lois et le peuple et les princes. […] L’intérêt dans les pièces de Corneille, c’est celui qu’on prend à des aventures de demi-dieux, qui n’ont de l’homme que le visage. […] Il y a de l’enthousiasme dans Esther, à cause de la grandeur de l’intérêt auquel elle se dévoue. […] Cet événement agite et absorbe tous les personnages de la pièce, selon leurs caractères, leurs intérêts et leurs passions.

258. (1875) Premiers lundis. Tome III « Armand Carrel. Son duel avec Laborie »

Nous avons dit combien de témoignages d’intérêt et de douleur avaient accueilli la première nouvelle du danger de M.  […] Le talent, si élevé qu’il soit, n’a point le don de remuer ainsi toute une grande capitale ; et dans tous les signes d’intérêt et d’approbation qui se manifestent, il faut reconnaître un devoir public courageusement rempli.

259. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Certainement l’homme criminel croit toujours, d’une manière générale, marcher vers un objet quelconque, mais il y a un tel égarement dans son âme, qu’il est impossible d’expliquer toutes ses actions par l’intérêt du but qu’il veut atteindre : le crime appelle le crime ; le crime ne voit de salut que dans de nouveaux crimes ; il fait éprouver une rage intérieure qui force à agir sans autre motif que le besoin d’action. […] Le sentiment dominant de la plupart de ces hommes est sans doute la crainte d’être punis de leurs forfaits ; cependant il y a en eux une certaine fureur qui ne leur permettrait pas d’adopter les moyens les plus sûrs, s’ils étaient en même-temps les plus doux ; ce n’est que dans les crimes présents qu’ils cherchent la garantie des crimes passés ; car toute résolution qui tendrait à la paix, à la réconciliation, fut-elle réellement utile à leurs intérêts, ne serait jamais adoptée par eux ; il y aurait dans de telles mesures une sorte de relâchement, de calme incompatible avec l’agitation intérieure, avec l’âpreté convulsive de tels hommes. […] Il n’est peut-être point de tyran, même le plus prospère, qui ne voulut recommencer avec la vertu, s’il pouvait anéantir le souvenir de ses crimes : mais, d’abord, il est presque impossible, quand on le voudrait, de persuader à un coupable qu’on l’absout de ses forfaits, l’opinion qu’un criminel a de lui-même est d’une morale plus sévère que la pitié qu’il pourrait inspirer à un honnête homme ; si, d’ailleurs, il est contre la nature des choses qu’une nation pardonne, quand même son intérêt le plus évident devrait l’y engager.

260. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Cela est si vrai que, même dans Euripide, à partir du moment que Ménécée s’est immolé lui-même, je ne dis pas l’intérêt cesse, mais l’intérêt fléchit. […] — L’intérêt de l’Etat leur servira de loi. […] Le Braz, et voilà l’intérêt très grand de son livre, qui fera époque. C’est un intérêt négatif, dira-t-on. […] Quel intérêt je lui vais inspirer !

261. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Note qu’il faut lire avant le chapitre de l’amour. »

. — Sans doute, et les femmes doivent en convenir ; il est assez doux de plaire et d’exercer ainsi sur tout ce qui vous entoure une puissance due à soi seule, une puissance qui n’obtient que des hommages volontaires, une puissance qui ne se fait obéir que parce qu’on l’aime, et disposant des autres contre leur intérêt même, n’obtient rien que de l’abandon, et ne peut se défier du calcul ; mais qu’a de commun le jeu piquant de la coquetterie et le sentiment de l’amour ? […] Phèdre est sous le joug de la fatalité, les sensations inspirent Anacréon, Tibulle mêle une sorte d’esprit madrigalique à ses peintures voluptueuses, quelques vers de Didon, Ceyx et Alcione dans Ovide, malgré la mythologie, qui distrait l’intérêt en l’éloignant des situations naturelles, sont presque les seuls morceaux où le sentiment ait toute sa force, parce qu’il est séparé de toute autre influence.

262. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Parodi, D.-Alexandre (1842-1902) »

Parodi a écrit de sa meilleure plume de beaux vers dont je ne puis donner autant d’extraits que je voudrais… Adam se met à la recherche de Caïn, et c’est là qu’est l’intérêt dramatique du beau poème de M.  […] Il faut une réelle puissance aujourd’hui et une admirable conscience artistique pour tenter un drame qui n’a rien de commun avec les drames à la mode, qui n’est ni « populaire » ni « sentimental », et dont l’intérêt a pour mobiles les sentiments les plus nobles et les plus élevés.

263. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Villemain, dans un livre ingénieux et animé, non pas animé du seul intérêt littéraire, a esquissé en couleurs brillantes et flatteuses, et sous le rayon d’une jeunesse dont nous n’avons pas vu la fin, une grande dame moderne qui s’est aussi piquée de politique, la belle duchesse de Dino. […] Le duc de Nivernais passa quelques mois à voir tous les jours Frédéric et à l’entretenir sur les objets les plus intéressants, à étudier son caractère : car,, pensait-il avec raison, dans les monarchies mixtes et non purement absolues, là où l’organisation de certains conseils est régulière et où l’État se conduit par les vrais principes, on peut saisir les motifs déterminants de la conduite, par la combinaison des circonstances avec l’intérêt de l’État : ainsi, les puissances voisines d’une telle monarchie ont des moyens de direction solides pour traiter avec elle ; mais, dans les pays où le souverain n’a d’autre conseil que lui-même, où ses perceptions non comparées à d’autres perceptions sont la seule occasion et la seule règle des mouvements de l’État, le caractère du prince est le gouvernail de l’État : la politique, l’intérêt fondamental ne sont que ce que l’intuition du prince veut qu’ils soient ; et les puissances voisines d’une telle monarchie ne peuvent traiter avec elle que d’après la connaissance des mouvements intérieurs du monarque, qui seuls impriment le mouvement à toute la machine. […] Enfin, il y a le parti prussien qui sert tous les autres, en ce qu’il intrigue vivement contre le ministère, et qui se sert de tous les autres, en ce que les intérêts du roi de Prusse sont également et hautement protégés par eux. […] Les paroles et la musique sont de M. le duc de Nivernais… Pour faire concevoir le charme de ce joli petit ouvrage, il faudrait l’avoir vu représenter avec tout l’intérêt qu’inspiraient la présence du prince et celle de l’auteur. […] On y vit d’heureux traits de détail, mais on y sent trop bien l’absence d’intérêt dans les sujets et le manque d’invention poétique.

264. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Le moraliste va ainsi, avec intérêt, mais sans hâte, au fur et à mesure, sachant et annotant quantité de choses sur quantité de points. […] Aux approches de la Révolution, le mouvement commença de lui venir : elle mettait de l’intérêt aux choses, au triomphe des opinions qui, dans ce premier développement de 87 et de 89, étaient les siennes et celles du monde qui l’entourait. […] Ses ouvrages sur l’éducation furent donc à ses yeux un acte d’amour et de devoir maternel ; dans la préface des Lettres de Famille, elle n’a pu se contenir sur ce cher intérêt, comme elle l’appelle. […] Qu’il nous suffise de savoir qu’elle avait épousé tous ses intérêts, ses labeurs studieux comme ses convictions, et n’essayons pas de discerner ce qu’elle a aimé à confondre. […] On l’y pouvait trouver un peu rude d’abord ; sa raison inquisitive, comme elle dit quelque part, cherchait le fond des sujets ; mais l’intérêt y gagnait, les idées naissaient en abondance, et, sans y viser, elle exerçait grande action autour d’elle.

265. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Les admirateurs des sentimens héroïques, les ames grandes, ambitieuses, sublimes & romaines, ne veulent au théâtre que des personnages élevés & susceptibles uniquement d’être remués par des intérêts puissans. […] Par quelle fatalité les intérêts d’état & de patrie ne réussissent-ils plus qu’à Londres ? […] L’extrême intérêt n’y est point interrompu par la basse plaisanterie. […] Quel intérêt dans quelques situations ! […] C’est ainsi que cet auteur, qui posséde si bien son art, mais que son art n’aveugle point, sçait réunir les intérêts de l’homme de lettres, du philosophe & du chrétien.

266. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

» V Tantôt on la poussait, par je ne sais quel engouement contre nature, à s’armer pour le démembrement de l’empire ottoman en faveur d’un pacha d’Égypte, ci-devant marchand de tabac à Salonique, ami des Anglais, révolté contre le sultan son maître ; à donner ainsi, aux dépens de la Turquie, notre alliée naturelle, un empire arabe aux Anglais, pour doubler ainsi leur empire des Indes, et à livrer, d’un autre côté, l’empire ottoman, affaibli d’autant, à la Russie ; politique à contresens de tous les intérêts de la France, que M.  […] Si la diplomatie civilisée n’a point ce principe dirigeant dans ses conseils, ce n’est plus la diplomatie : c’est la barbarie, la violence, l’astuce, l’ambition, l’égoïsme national, bouleversant partout et sans cesse les sociétés humaines, et ne reconnaissant de juste que son intérêt, de morale que la victoire. […] S’il n’est pas principe partout, il n’est principe nulle part ; s’il est faux ici, il n’est pas vrai là ; s’il est absurde en Angleterre et en France, il ne peut être absolu nulle part ; ce n’est plus un principe, c’est une convenance, une utilité peut-être, une fantaisie ici, un sophisme là, un intérêt ailleurs, un mensonge partout. […] Cet habile négociateur jugea, au contraire, qu’il était de l’intérêt bien entendu de la France de s’allier avec la maison d’Autriche pour empêcher la Russie de déborder trop irrésistiblement sur l’Occident, et pour empêcher la Prusse de créer à son profit cette unité ambitieuse de l’Allemagne qui étoufferait sous sa masse toute influence française sur le Rhin et au-delà du Rhin. […] C’étaient là les vues de M. de Talleyrand ; c’était l’intérêt de Napoléon, non plus conquérant, mais fondateur de dynastie.

267. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Ne sera-ce pas pour nous une étude d’un haut intérêt que celle du cœur humain prise dans ses plus nobles acceptions ? […] Dans les lettres notre intérêt va plus loin : les contrastes ou les rapports qui existent entre l’homme et ses ouvrages forment l’étude la plus attachante du cœur humain. […] L’ensemble nous frappera d’abord par la grandeur du sujet ou l’intérêt de la fable. […] « Ma réputation sans doute est peu de chose : « Notre intérêt commun défend que je l’expose. […] En consacrant ces Matinées à l’étude des Sciences naturelles, de l’Histoire et de la Littérature ancienne et moderne, nous avons choisi, parmi les connaissances humaines, celles qui dans la vie sont d’une application plus fréquente et d’un intérêt plus général.

268. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

D’abord, elle empêche tout intérêt de s’attacher à un être aussi faible et aussi chétif, dont les violences même ont quelque chose de grêle, et qui, tout à l’heure, exaspéré par les jalousies de l’amour-propre et de l’autre amour, n’arrivera jamais à une véritable énergie. […] La passion de Daniel est sans intérêt et sans grandeur, car elle ne combat contre rien dans l’âme de celui qui l’éprouve, et qui est un philosophe à la manière de Champfort, lequel affirme que l’amour légitime tue par sa violence. […] Feydeau, de tous ceux-là dont l’action noue ou dénoue le roman de Catherine d’Overmeire, diminue excessivement l’intérêt qu’ils devraient inspirer. […] Il y a une géométrie dans les choses littéraires comme en mathématiques, et la rapidité et la force de l’intérêt s’y calculent aussi par le carré des distances…. […] Feydeau, et nul d’entre eux n’y donne l’intérêt élevé, l’intérêt d’art ou de nature humaine que doit avoir toute œuvre qui a la prétention de vivre.

269. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

M. de Balzac a surtout dès l’abord mis dans ses intérêts une moitié du public très-essentielle à gagner, et il se l’est rendue complice en flattant avec art des fibres secrètement connues. « La femme est à M. de Balzac, » a dit quelque part M. […] Bien des femmes aussi ont été plus difficiles de goût qu’en province, et ne lui ont point passé ses familiarités d’intérieur ou ses invraisemblances, par intérêt pour les principales situations. […] Le commencement en est vif, naturel, attachant ; mais l’intérêt se perd bientôt dans le fantasque et l’orgiaque. […] » La Recherche de l’Absolu, dernière publication de M. de Balzac, n’est pas un de ses meilleurs romans : mais, à travers des circonstances fabuleuses et injustifiables, cette histoire a beaucoup de mouvement, de l’intérêt, et c’est une de celles où l’on peut le plus étudier à nu la manière de l’auteur, sa pente et ses défauts. […] Cette prétention l’a finalement conduit à une idée des plus fausses et, selon moi, des plus contraires à l’intérêt, je veux dire à faire reparaître sans cesse d’un roman à l’autre les mêmes personnages, comme des comparses déjà connus.

270. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Il est, — je le sens trop d’après l’épreuve d’hier, — il est des points sur lesquels je ne m’accoutumerai jamais à retenir ma pensée, toutes les fois que je la croirai d’accord avec le vrai, avec le juste, et aussi avec le bien de l’Empire qui n’a nul intérêt à pencher tout d’un côté, et qui, sorti de la Révolution, ne saurait renier aucune philosophie sérieuse. […] Près de trois mois se passèrent durant lesquels l’état de ma santé me retint chez moi, et il n’y eut d’ailleurs au Sénat, dans cet intervalle, que des discussions d’un intérêt étranger à la question précédemment soulevée. […] Que si j’avais, par hasard, à intervenir quelquefois et bien rarement, pensais-je, ce ne serait guère que s’il était question de littérature, c’est-à-dire de ce que je connais bien ; s’il s’agissait de défendre les intérêts de mes confrères du dehors, de rendre hautement justice à tant d’efforts laborieux, malheureusement trop dispersés, et de répondre peut-être à quelques accusations comme on est tenté d’en élever trop légèrement, à chaque époque, contre la littérature de son temps. […] Messieurs, vous qui êtes des politiques, veuillez encore vous dire ceci : L’Empire, que nous aimons tous et que nous maintenons, n’a aucun intérêt à pencher tout d’un côté. […] Si rassurer et consoler les intérêts et les instincts conservateurs est une partie essentielle de sa tâche, ne pas déserter, ne pas laisser entamer les droits acquis par la Révolution, ses conquêtes morales, est une partie non moins essentielle, plus essentielle encore (s’il était possible) de sa vie.

271. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Mézeray, qui ne songe pas au drame, nous fait cependant connaître d’abord ses personnages principaux : il les montre surtout en action, sans les trop détacher des sentiments et des intérêts plus généraux dont ils sont les chefs et les représentants, mais en laissant néanmoins à chacun sa physionomie propre. […] C’est en vertu de ce coin de fanatisme qu’on voit Coligny prendre intérêt à Poltrot qui doit assassiner le duc de Guise, lui donner cent écus pour avoir un bon cheval, et le recommander à son frère d’Andelot peu avant le coup. […] Mézeray, nous racontant la Saint-Barthélemy et le contrecoup de cette nuit sanglante dans les provinces, me fait l’effet d’un historien qui raconterait les massacres de Septembre après en avoir recueilli toutes les circonstances dans les auteurs originaux et de la bouche de quelques témoins survivants : un historien qui déroulerait aujourd’hui, comme il le fait, la longue traînée de forfaits qui s’alluma à ce signal dans les provinces, la bande de massacreurs en bonnets rouges à Bordeaux, les massacres des prisons à Rouen en dépit du gouverneur, « si bien qu’il y fut assommé, tué ou étranglé six ou sept cents personnes qu’ils appelaient par rôle les uns après les autres », les scènes de Lyon qui surpassèrent tout le reste en horreur, arquebusades, noyades dans le Rhône, le tout par le commandement de Pierre d’Auxerre, homme perdu de débauche, arrivé tout exprès de Paris, le Collot d’Herbois de ce temps-là ; — un historien qui écrirait, de nos jours, ces mêmes pages de Mézeray, paraîtrait avoir voulu faire des allusions aux personnages et aux événements de la Révolution française : et c’est en cela que le récit de Mézeray me paraît préférable à tous autres et d’un intérêt inappréciable, en ce que l’historien, encore à portée de ces temps, a résumé dans son propre courant tous les narrateurs originaux du xvie  siècle, et qu’en nous rendant naïvement les faits et les impressions qu’ils excitent, il nous en fait sentir l’expérience toute vive, sans soupçon de complication ni de mélange. […] À ces causes, considérant que les sciences et les arts n’illustrent pas moins un grand État que font les armes, et que la nation française excelle autant en esprit comme en courage et en valeur ; d’ailleurs désirant favoriser le suppliant et lui donner le moyen de soutenir les grandes dépenses qu’il est obligé de faire incessamment dans l’exécution d’un si louable dessein, tant pour paiement de plusieurs personnes qu’il est obligé d’y employer que pour l’entretien des correspondances avec toutes les personnes de savoir et de mérite en divers et lointains pays ; nous lui avons permis de recueillir et amasser de foules parts et endroits qu’il advisera bon être les nouvelles lumières, connaissances et inventions qui paraîtront dans la physique, les mathématiques, l’astronomie, la médecine, anatomie et chirurgie, pharmacie et chimie ; dans la peinture, l’architecture, la navigation, l’agriculture, la texture, la teinture, la fabrique de toutes choses nécessaires à la vie et à l’usage des hommes, et généralement dans toutes les sciences et dans tous les arts, tant libéraux que mécaniques ; comme aussi de rechercher, indiquer et donner toutes les nouvelles pièces, monuments, titres, actes, sceaux, médailles qu’il pourra découvrir servant à l’illustration de l’histoire, à l’avancement des sciences et à la connaissance de la vérité ; toutes lesquelles choses, sous le titre susdit, nous lui permettons d’imprimer, faire imprimer, vendre et débiter soit toutes les semaines, soit de quinze en quinze jours, soit tous les mois ou tous les ans, et de ce qui aura été imprimé par parcelles d’en faire des recueils, si bon lui semble, et les donner au public ; comme aussi lui permettons de recueillir de la même sorte les titres de tous les livres et écrits qui s’imprimeront dans toutes les parties de l’Europe, sans que, néanmoins, il ait la liberté de faire aucun jugement ni réflexion sur ce qui sera de la morale, de la religion ou de la politique, et qui concernera en quelque sorte que ce puisse être les intérêts de notre État ou des autres princes chrétiens. […] Elle n’a d’autre intérêt que de bien fixer l’état de Mézeray sous Mazarin : il n’avait pas alors cette pension de 4 000 livres qu’il eut et qu’il perdit plus tard, et que, par une confusion intéressée, dans le but de la rendre plus inviolable, il aimait à faire remonter jusqu’au temps de Mazarin.

272. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Ce sont là de détestables sentiments, en même temps qu’un détestable système et une fausse vue des véritables intérêts qui importent le plus aux hommes réunis en société. […] Voltaire, disons-le, dans les dernières années de sa vie, nous apparaît, par cette suite même de lettres, comme s’étant occupé activement du bien public dans sa petite contrée de Gex, et de tous les intérêts particuliers qui, de loin, faisaient appel à son patronage ; il plaide sans cesse auprès des ministres et des sous-ministres pour ses colons et pour tout ce qui peut assurer leur existence ou améliorer leur bien-être, et aussi pour les autres clients plus éloignés qui se donnaient à lui. […] Ce qui avait pu ne paraître qu’inquiétude fébrile devint à la fin une sollicitude noble pour des intérêts généraux. […] Ce que je dois à ma religion, à ma patrie, à l’Académie française, à l’honneur que j’ai d’être un ancien officier de la Maison du roi, et surtout à la vérité, me force de vous écrire ainsi… Voltaire, absent de Paris depuis des années, et qui depuis sa première jeunesse n’y avait jamais, à l’en croire, demeuré deux ans de suite, avait contre ce monde parisien dont il était l’idole une prévention invétérée : « L’Europe me suffit, disait-il un peu impertinemment ; je ne me soucie guère du tripot de Paris, attendu que ce tripot est souvent conduit par l’envie, par la cabale, par le mauvais goût et par mille petits intérêts qui s’opposent toujours à l’intérêt commun. » Il croyait sincèrement à la décadence des lettres, et il le dit en vingt endroits avec une amère énergie : « La littérature n’est à présent (mars 1760) qu’une espèce de brigandage.

273. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois par M. Camille Rousset. Victor-Amédée, duc de Savoie. (suite et fin.) »

Louvois, avec les précautions minutieuses qu’il aimait, avec ce mélange de terreur et de mystère qui ne lui déplaisait pas, a bien pu, effectivement, en ordonner ainsi à l’égard d’un homme dangereux qu’il avait tout intérêt à supprimer et à faire disparaître. […] Il paraît avoir de l’aversion pour les personnes qu’il croit dans mes intérêts. […] A l’entendre, si sa mère le poussait trop loin et prétendait lui imposer plus que des conseils, lesquels il serait toujours ravi de recevoir ; si l’on oubliait pourtant qu’il était majeur enfin et voulait être maître, il ne demandait pour juge et arbitre en ce conflit que le roi lui-même, ajoutant : « Qu’il ne pouvait, croire que le roi voulût empêcher un prince légitime de gouverner ses États ; qu’il lui enverrait quelqu’un de confiance pour lui marquer son zèle et son respect ; qu’il n’entrerait jamais dans d’autres intérêts que les siens ; qu’il ne se marierait que de sa main, et que, se tenant dans ces termes et que faisant encore plus pour son service que n’avait fait Madame Royale, il était persuadé de n’être point désapprouvé de lui dans les démarches qui pouvaient lui donner à lui-même un peu de considération. » Il allait plus loin à certains moments, et comme s’il avait obéi à un élan de son cœur : « Eh bien ! […] Il n’y donna cours que par accès, et l’intérêt reprenait bientôt le dessus. […] Entré le dernier dans la coalition, Victor-Amédée en sortit aussi le premier ; il fit sa paix particulière avant tous les autres, et pourvut à ses intérêts comme souverain.

274. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Tacite (1re partie) I L’histoire est de tous les genres de littérature celui qui supporte le plus la médiocrité de l’écrivain, d’abord parce que l’intérêt y est dans le fait plus encore que dans le style : le fait ou le récit se suffit, pour ainsi dire, à lui-même. Ensuite, parce que les événements que l’histoire raconte ont par eux-mêmes un attrait de curiosité, un intérêt, pour nous exprimer autrement, qui empêche le lecteur de faire attention à l’insuffisance ou à la médiocrité du style. […] Il faut qu’il ait pratiqué lui-même les conseils, les assemblées, les négociations, les délibérations, les affaires publiques, afin d’avoir observé de ses propres yeux le jeu des passions, des intérêts, des ambitions, des intrigues, des caractères, des vertus ou des perversités qui s’agitent dans les cours, dans les camps, dans les comices, dans la place publique. […] L’adulation, les caresses, l’intérêt personnel, le poison le plus corrupteur de la véritable affection, vont bientôt t’entourer. […] « Vous n’avez manqué à la subordination que dans mon intérêt ; mais, dans ces incursions, dans ces ténèbres, dans cette confusion de toutes choses, les occasions contre moi-même peuvent être offertes à mes ennemis.

275. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Dans un des articles sur la guerre d’Espagne que Carrel inséra en 1828 à la Revue française, il a raconté avec intérêt et vivacité l’épisode de ce petit corps étranger dont il faisait partie, ses combats, ses vicissitudes, et sa presque extermination devant Figuières ; les quelques débris survivants n’échappèrent que grâce à une capitulation généreusement offerte par le général baron de Damas, et qui garantissait la vie et l’honneur des capitulés (16 septembre 1823) : « Quant à ceux des étrangers qui sont Français, était-il dit dans la convention rédigée le lendemain, le lieutenant général s’engage à solliciter vivement leur grâce ; le lieutenant général espère l’obtenir. » Rentré en France à la suite de cette capitulation avec l’épée et l’uniforme, Carrel se vit arrêté à Perpignan et traduit devant un conseil de guerre. […] Cependant l’intérêt pour lui dans le public était extrême : sa jeunesse, sa fierté, sa constance à souffrir dans la prison, sa tenue ferme et simple aux audiences, son élévation naturelle de langage, ce quelque chose de contenu qu’il eut toujours et qui ne s’échappait que par éclairs, excitaient une sympathie universelle. […] Romiguières, lui donnaient les meilleurs conseils dans l’intérêt de sa défense et avaient peine à le faire plier. […] Parlant du beau caractère de ce colonel piémontais Pacchiarotti, qui avait succombé devant Figuières dans sa protestation impuissante pour les souvenirs de l’Empire : Les choses, disait Carrel, dans leurs continuelles et fatales transformations, n’entraînent point avec elles toutes les intelligences ; elles ne domptent point tous les caractères avec une égale facilité, elles ne prennent pas même soin de tous les intérêts ; c’est ce qu’il faut comprendre, et pardonner quelque chose aux protestations qui s’élèvent en faveur du passé. […] Ce général (s’il l’avait été, en naissant vingt-cinq ans auparavant) aurait certainement écrit tôt ou tard ; il aurait raconté ses campagnes, les guerres dont il aurait été témoin et acteur, comme on l’a vu faire à un Gouvion Saint-Cyr ou à tel autre capitaine de haute intelligence ; mais ici, dans l’ordre littéraire ou historique, ce n’est pas seulement ce qu’il a senti et ce qu’il a fait que Carrel doit exprimer ; il est obligé d’accepter des sujets qui ne le touchent que par un coin, de s’y adapter, de s’y réduire, d’apprendre l’escrime de la plume, la tactique de la phrase ; il y devient peu à peu habile, et, dès qu’un grand intérêt et la passion l’y convieront, il y sera passé maître.

276. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Plus tard encore, une Correspondance diplomatique, tirée de l’ombre des chancelleries épaissie par la précaution, et misérablement altérée dans un intérêt de parti, révélait encore assez du de Maistre des Œuvres complètes pour qu’à côté du mensonge de l’altération on vît éclater la vérité de l’irréductible génie et tomber et passer sur l’imposture comme une rature sublime ! […] Et c’est là le premier caractère que je trouve dans Joseph de Maistre, et c’est le premier intérêt que je trouve aussi en ces fragments, qui en font foi. L’intérêt premier qu’ils nous offrent n’est pas leur valeur littéraire, fort grande pourtant, et sur laquelle je vais revenir. […] Indépendamment de l’intérêt de la recherche qu’on aime à faire des premiers produits d’un talent quelconque, le dernier volume de Joseph de Maistre mérite d’être lu pour lui-même. […] C’est là l’intérêt animé des Quatre chapitres qu’on a publiés.

277. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

La douleur profonde qu’il laisse à ses amis de Genève sera ressentie ici de tous ceux qui l’ont connu, et elle trouvera accès et sympathie auprès de ces lecteurs nombreux en qui il a éveillé si souvent un sourire à la fois et une larme. » Mais c’est trop peu dire, et ceux qui l’ont lu, qui l’ont suivi tant de fois dans ces excursions alpestres dont il savait si bien rendre la saine allégresse et l’âpre fraîcheur, ceux qui le suivront encore avec un intérêt ému dans les productions dernières où se jouait jusqu’au sein de la mort son talent de plus en plus mûr et fécond, ont droit à quelques particularités intimes sur l’écrivain ami et sur l’homme excellent. […] Il ressentit d’abord, en y arrivant, une grande impression de solitude ; le bruit et la vanité qui, jusque dans la maladie, continuent de faire la vie apparente de ces grands rendez-vous, l’offusquaient ; il avait, si l’on ose le dire, quelques préventions un peu exagérées contre ce qu’il appelait notre beau monde ; nature genuine, comme disent les Anglais, il avait avant tout horreur du factice ; mais il ne tarda pas à s’y lier d’un commerce en tout convenable à son caractère et à son esprit avec quelques personnes qui lui prodiguèrent un intérêt affectueux, et particulièrement avec M.  […] Dans la conversation même, il s’animait très-vite ; l’intérêt des idées qu’elle faisait naître le rendait complètement à son état naturel, et jamais son entretien n’était sans quelques-uns de ces traits amusants, inattendus, qui lui étaient particuliers. […] Bernier, chargé des deux nouvelles ouailles qu’il s’est données, ses tribulations croissantes et toujours consolées, depuis le moment où il sort de l’hôtel au milieu des rires en les tenant chacune sous un bras, jusqu’au jour où il les recueille chez lui dans sa propre chambre et où la grossesse de la pauvre Rosa se déclare, ces incidents survenant coup sur coup et l’un à l’autre enchaînés sont touchés avec un art secret, et ménagés avec une conduite qui fait l’intérêt du fond.

278. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Songe que tu tiens entre tes mains les intérêts de toute ame noble & généreuse ; plaide avec courage, & en présence du méchant même, il frémira à ta voix, les remords secrets déchireront son cœur, & tu liras ton triomphe sur son front abattu. […] Il ne cherche point dans son ami un flatteur ou une victime de ses caprices, mais une ame honnête où il puisse délicieusement épancher la sienne, établir une communication intime de toutes ses pensées, s’élever, s’embellir mutuellement dans un commerce qui ne souille point le mélange impur de l’intérêt. […] Que ces têtes étroites, ces ames mal nées indifférentes sur l’intérêt général, concentrées dans leurs petits intérêts ne voyent que ce qui les blesse, vous hommes de Lettres & dignes de ce nom, vous ne profanerez point une plume qui ne doit être consacrée qu’au bien public, en la faisant servir à l’orgueil d’immoler un rival ; c’est à vous de donner l’exemple de ce généreux désintéressement, de cette impartialité qu’on est en droit d’attendre de vous, & que vous exigeriez pour vous même.. […] Oui, hommes de Lettres vous ne formez qu’un corps, vos intérêts sont les mêmes, rendez-vous respectables ; l’union seule peut concentrer vos forces.

279. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

La raison pour laquelle il existe une assez grande tolérance pour les manifestations esthétiques, c’est sans doute que les questions d’art n’intéressent pas directement le grand public ; c’est qu’elles ne touchent pas aux côtés extérieurs, visibles et tangibles de la vie sociale ni aux intérêts matériels du grand nombre. […] C’est à propos de la question de l’objet de l’art que s’accuse le conflit entre la morale qui représente l’intérêt social et l’individualisme esthétique qui fait abstraction des considérations sociales et morales. […] Loin de demander à l’œuvre d’art d’émouvoir tous les hommes de la même façon, il considère que la fonction et l’intérêt de l’art eût d’exprimer l’originalité sentimentale de l’artiste, sa représentation du monde dans ce qu’elle a de plus intime et de plus personnel. […] Brunetière déprécie sous le nom de littérature personnelle ; l’art subjectif, symboliste ou décadent, toutes ces formes d’art ont leur intérêt, leur beauté et leur droit à l’existence.

280. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

Cet homme un jour rencontra un bouc qui faisait du dégât dans ses vignes, et l’immola à son bienfaiteur, autant par intérêt que par reconnaissance. […] Après cet effort, il lui était bien moins difficile de transporter de l’épopée à la tragédie, ce qui s’appelle intrigue ou nœud ; car il est plus aisé de faire oublier le poète et le narrateur, quand on vient à brouiller différents intérêts et à nouer le jeu de divers personnages, que quand on veut mettre les spectateurs au fait d’une action, sans qu’ils s’aperçoivent qu’on ait eu dessein de le faire. […] Les poètes grecs, pleins du génie d’Homère, y trouvèrent, sans contredit, ce balancement de raisons, de mouvements, d’intérêts et de passions, qui tient les esprits suspendus et qui pique jusqu’à la fin la curiosité des auditeurs. […] Son adresse consiste à inventer des situations délicates où le père se trouve en compromis avec ses enfants, l’amant avec la personne aimée, l’intérêt avec l’amitié, l’honneur avec l’amour.

281. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

D’un côté un ouvrage considérable, un ouvrage gigantesque, et qu’en raison de l’étendue et de la nouveauté du plan on peut appeler original ; un livre qui, rajeuni de siècle en siècle par les révisions de grammairiens tels que Huet, Basnage et les Pères de Trévoux, est encore resté aujourd’hui, pour l’homme de lettres, l’autorité décisive et l’encyclopédie grammaticale la plus complète ; de l’autre une obscure Batrachomyomachie de tracasseries misérables, de questions personnelles, sans profit pour le public et sans intérêt pour l’histoire. […] Un an auparavant, sur le bruit qui avait couru de sa fin prochaine, Boileau écrivit à Racine ce peu de mots, où se trouve l’accent d’un intérêt sincère (lettre du 19 mai 1687) : « On vient de me dire que Furetière est à l’extrémité, et que par l’avis de son confesseur il a envoyé quérir tous les académiciens offensés dans son factum, et qu’il leur a fait une amende honorable dans toutes les formes, mais qu’il se porte mieux maintenant. […] Dans ce conflit de deux classes, l’une envahissante, l’autre mise en état de défense par la menace d’une décadence prochaine ; de la bourgeoisie, ou, si l’on veut, de la ville et de la cour, les préférences des gens de lettres étaient pour la noblesse, à laquelle les rattachaient d’abord leur intérêt, leurs pensions, les fonctions de secrétaires, de précepteurs et de bibliothécaires, enfin l’attrait, si puissant pour des esprits délicats, de la bonne compagnie, seule capable de les comprendre et de flatter leur vanité. […] Non, quand même nous ne saurions pas que Vollichon est le procureur Rollet, que Charroselles est Charles Sorel, et la plaideuse Collantine Mme de Cressé, le roman de Furetière n’en serait pas pour cela dépourvu de charme et d’intérêt ; il y resterait, indépendamment du mérite aléatoire de sa caricature, l’observation des mœurs intimes d’une époque importante et curieuse comme toute époque de transition ; il resterait la lutte du vieil esprit frondeur, égoïste et sournois des corporations, avec les mœurs d’une société plus polie et plus cordiale ; il resterait la fusion de l’élément bourgeois et de la noblesse, s’effectuant par l’ambition de l’une et par la corruption de l’autre ; il resterait enfin de précieux enseignements pour l’histoire judiciaire et pour l’histoire littéraire, au moment où, en raison de révolutions inattendues, le métier d’hommes de lettres, le métier d’avocat, allaient monter au premier rang des fonctions sociales.

282. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

II Elle l’a appelé l’Orpheline 55, — et elle aurait pu l’appeler d’un autre nom, et même de plusieurs autres noms ; car toutes les femmes qui apparaissent et qui vivent dans son roman valent en intérêt celle qui est l’héroïne du livre indiquée par son titre. […] C’est une richesse, mais c’est une richesse qui nuit à l’unité du roman, et qui éparpille et disperse l’intérêt que l’art aurait été de concentrer… La femme du monde experte qu’est madame de Molènes, cette observatrice qui a des observations de rechange toujours à son service, s’est trop souvenue des femmes qui ont passé devant elle, et elle en a mis trois autour de son orpheline, qui, sans être orphelines, ont plus de charme que celle qui l’est, et même, sur les trois, il en est une — Hélène — qui, selon moi, en a beaucoup plus ! […] Et c’est de cette idée retournée de l’adultère que madame de Molènes a su tirer un effet de l’intérêt le plus inattendu et de la plus spirituelle moralité. […] C’est le conseil que la Critique doit donner à madame Paul de Molènes, dans l’intérêt de sa gloire future.

283. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Cet éloge, où un particulier loue un prince avec lequel il a quelque temps vécu dans l’obscurité, pouvait être précieux ; le souvenir des études de leur jeunesse et cette heureuse époque où l’âme, encore neuve et presque sans passions, commence à s’ouvrir au plaisir de sentir et de connaître, devait répandre un intérêt doux sur cet ouvrage ; mais nous ne l’avons plus, et nous n’en pouvons juger ; nous savons seulement qu’il était écrit en grec. […] Cette disposition était l’effet naturel de la fermentation des esprits, des malheurs des peuples, des grands intérêts politiques et religieux ; enfin de ce système des génies, imaginé ou puisé chez les Chaldéens par Platon, et renouvelé alors avec le plus grand succès. […] L’intérêt, qui veut traîner le peuple aux autels, peut bien se mêler aux sacrifices, dans les fêtes et les cérémonies publiques ; mais l’intérêt ne joue pas l’enthousiasme religieux, tous les jours, tous les instants, et dans tous les détails de la vie.

284. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

On l’a déjà dit, il ne peut y avoir de grande éloquence sans de grands intérêts ; et il faut convenir que pour célébrer la barrette donnée à un prélat d’Ostie ou de Faenza, ou pour louer un pape à son installation, il ne faut pas autant d’éloquence qu’il en fallait à César pour gouverner le sénat et le peuple de Rome. […] Il en est de même de la plus grande partie de l’Italie, qui, soumise à des dominations étrangères, et tour à tour envahie, subjuguée, défendue, gouvernée par des Allemands, des Espagnols ou des Français, a perdu pour ainsi dire cette espèce d’intérêt de probité pour son pays, qui développe les talents et crée les efforts en tout genre. […] ‘ Enfin, il y a des pays ou les voix se réunissent aisément, parce que les intérêts y sont les mêmes. […] Sa tache généreuse commence ou l’intérêt finit, etc. » Dans un endroit où il parle de la protection que Talbot donnait aux arts : « Bien différent, dit-il, de ces hommes vains qui, usurpant le nom de protecteur qu’ils avilissent, osent sacrifier un homme de mérite à leur orgueil, et répandre la rougeur de la honte sur un front honnête, quand il accordait une grâce, c’était une dette qu’il semblait payer au mérite, à la nation et à l’être qui est la source éternelle de tout bien.

285. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

Quelle idée avantageuse peut-on s’en former, quels fruits peut-on s’en promettre pour la culture de l’esprit & la perfection des mœurs, quand on voit les vrais principes attaqués, les regles méconnues, les bienséances violées, l’anarchie & la confusion établies sur les débris du goût & de la raison ; quand la Religion, la morale, les devoirs, la vertu, deviennent la proie d’une Philosophie extravagante qui outrage l’une, corrompt l’autre, prononce sur ceux-ci, & défigure celle-là au gré de ses caprices ou de ses intérêts ? […] Les ressources de l’esprit se tournent alors du côté de l’intérêt des passions. […] Mais que penser de ces Philosophes qui, aussi peu convaincus que zélés pour convaincre les autres, ne sacrifient qu’à l’orgueil de leurs prétentions & aux intérêts de leur existence, la simplicité de ceux qui les écoutent, la crédulité de ceux qui adoptent leurs principes, & la stupidité de ceux qui les réverent & les protégent ?

286. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

C’est que la première se trouve dans une nécessité physique, instante, évidente et incontestable d’étrangler l’orphelin pour l’intérêt de sa propre sûreté : nécessité qui ne saurait avoir lieu pour l’autre monarque. […] Vient ensuite le récit très-rapide de la mort des trois jeunes gens ; mais ce qui est parfait, ce qui ajoute à l’intérêt qu’on prend à ce vieillard et à la force de la leçon, ce sont les deux derniers vers : Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter. Il les pleure, il s’occupe du soin d’honorer leur mémoire, il leur élève un cénotaphe : ce qui suppose un intérêt tendre, car enfin leurs corps étaient dispersés.

287. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vitu » pp. 103-115

J’aurais par là donné plus d’intérêt, plus de profondeur d’intérêt à mes volumes, en leur donnant à chacun un ensemble et une unité. […] Comme l’histoire est en bas aussi bien qu’en haut et qu’elle est un informé immense que personne n’a le droit de circonscrire sous aucun prétexte que ce soit, appliquée à toutes les époques, même à celles qui paraissent le plus correctes à l’œil nu, cette manière d’étudier et d’écrire l’histoire serait d’un intérêt très vif ; car l’homme le plus ferré de prétentions est souvent bâti sur le grotesque comme sur pilotis !

288. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lessing »

C’est là l’intérêt, le grand intérêt de ce livre, qui n’est plus que de l’histoire littéraire. […] L’exactitude historique, la seule chose qui soit peut-être à respecter de toutes les choses qui ne sont pas l’intérêt de l’émotion et l’intensité de la vie, Shakespeare y arrivait… mais c’était à force d’être humain !

289. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

L’intérêt de la pièce n’est pas là. […] Quel véritable intérêt puis-je prendre à la mort d’un tyran du Péloponnèse ? […] Qu’est-ce que l’intérêt ? […] Car il en résulte une absence entière d’intérêt dramatique. […] Nous ne prenons ici d’intérêt qu’à la peinture des personnages, ou plutôt à celle de M. 

290. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 220-226

C’étoit user un peu tard de la liberté de l’Histoire ; mais tel est le caractere de la plus grande partie des Gens de Lettres : ils ne montrent la vérité, que quand ils n’ont pas d’intérêt à la cacher. […] Le Traducteur n’a pas toujours suivi littéralement son Original, parce que son Original n’est pas toujours propre à se soutenir dans notre Langue ; il a cru devoir adoucir certains traits qui nous eussent paru singuliers, & supprimer des traits ennuyeux ou extravagans, qui refroidissent l’intérêt & choquent les gens de goût.

291. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 115-120

Si son Hypermenestre a paru survivre au désastre de sa triste famille, c’est plutôt à la faveur des décorations, que par l’intérêt répandu sur ses malheurs. […] C’étoit peu d’avoir su imiter le plan & la marche de ce Poëte ingénieux, élégant & délicat, il falloit, comme lui, avoir le talent de donner de la vie & de l’intérêt aux tableaux qu’on vouloit présenter.

292. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Il faut ajouter que, malgré l’intérêt réel qu’a su lui donner le romancier, c’est surtout par une suite de tableaux peints d’après nature que vaut l’ouvrage. […] J’y voudrais quelques crudités de moins, convaincu que je suis qu’elles n’ajoutent rien à l’intérêt de ce livre. […] Si vous voulez être bien gentils, je vais vous proposer autre chose dans votre intérêt. […] Vitu leur contingent d’intérêt. […] Mon entier dévouement aux grands intérêts publics dont je reçus charge ne fait doute pour personne.

293. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

L’intérêt est suffisamment établi ; et il n’étoit gueres possible d’en imaginer un plus considérable. […] Il n’y doit rien mêler qui n’en augmente l’intérêt. […] Il les prend par tous les endroits sensibles du coeur humain ; par l’intérêt, par le plaisir, par la gloire, par la vertu même. […] J’ai cru devoir remédier à ces deux défauts, en supprimant les préparations inutiles, et en retranchant les épisodes sans intérêt. […] Voici un exemple des libertés que j’ai prises dans la vûe de soûtenir et d’augmenter l’intérêt.

294. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

Le jugement et le gouvernement des choses ont été transportes à la masse ; or la masse est lourde, grossière, dominée par la vue la plus superficielle de l’intérêt. […] La monarchie, en liant les intérêts d’une nation à ceux d’une famille riche et puissante, constitue le système de plus grande fixité pour la conscience nationale. […] Une telle chambre pourra mal représenter la propriété, les intérêts, ce qu’on peut appeler les collèges moraux de la nation. […] Le soubresaut de 1848 n’arrêta rien ; le mouvement des intérêts matériels était vers 1853 ce qu’il eût été si la révolution de février ne fût pas arrivée. […] L’intérêt personnel ne conseille jamais le courage militaire ; car aucun des inconvénients qu’on encourt par la lâcheté n’équivaut à ce que l’on risque par le courage.

295. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

On avait accusé les représentants proscrits de n’avoir pas assez pris en main les intérêts de nos armées, de ne s’être pas souciés de leurs besoins ni de leur gloire, de s’être méfiés de leur intervention dans la politique, et en dernier lieu de leur approche. […] Rien n’est si habile, rien n’est si éclairé qu’une haute conscience et un désintéressement complet de tout intérêt personnel. […] Son âme, ses sentiments, toujours les mêmes, se soutiennent et donnent de l’intérêt à sa vie. — — Juliette va venir. […] J’ai lu avec un vif intérêt ce qu’on nous dit dans les journaux de votre discours. […] Ces fragments ont été écoutés avec un vif intérêt ; on y a retrouvé le talent de M. 

296. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

L’école dictatoriale et impérialiste (je la suppose éclairée) a pour principe de tout prendre sur soi et de se croire suffisamment justifiée à faire administrativement ce qui est de l’intérêt d’État, dans le sens de l’ordre et de la société. […] Dès l’adolescence, les liaisons républicaines charment La Fayette ; ce qu’ont écrit et prêché Jean-Jacques, Mably, Raynal, il le fera ; lui, le descendant des hautes classes, il sera le premier champion, le paladin le plus avancé des intérêts et des passions nouvelles. […] Il en sera de même, après un certain temps, sur tous les objets d’un commun intérêt. […] Mais à la fin le peuple revient au vrai. » Oui, au vrai en tout ce qui le touche directement comme intérêt. […] A partir de 92 jusqu’en 1814, la portion de ces Mémoires, qui ne comprend pas moins d’un volume, est d’un intérêt et d’une nouveauté qu’on doit précisément à l’intervalle du rôle politique actif.

297. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Le public trouvera dans Henri III beaucoup moins, infiniment moins de talent, et beaucoup plus, infiniment plus d’intérêt et de plaisir dramatique. […] Voir un numéro de la Pandore relatif à un débat d’intérêt entre le très lyrique auteur de Han et son librairie Persan. […] Dans le despotisme sans échafauds trop fréquents, vraie patrie de la comédie ; en France, sous Louis XIV et sous Louis XV, tous les gens voyageant par la diligence avaient les mêmes intérêts, riaient des mêmes choses, et, qui plus est, cherchaient à rire, éloignés qu’ils étaient des intérêts sérieux de la vie. […] L’intérêt que nous inspire Julie d’Étanges est tragique. […] Le mélange de ces deux intérêts me semble fort difficile.

298. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LI » pp. 198-202

Les livres se publient coup sur coup à ce sujet, et se débitent et se lisent avec intérêt et curiosité. […] Son premier volume de l’Histoire des jésuites a, dit-on, un vif intérêt.

299. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur une pétition de directeurs de théâtres contre les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique »

Scribe, a été de nos jours le promoteur et l’âme de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, s’entendant pour exercer leurs droits, pour faire valoir leurs intérêts. […] Une commission composée d’un certain nombre de membres représente les intérêts communs.

300. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Chœur. » pp. 21-24

Outre ces chants, qui marquaient la division des actes, les personnages du chœur accompagnaient quelquefois les plaintes et les regrets de acteurs sur des accidens funestes arrivés dans le cours d’un acte : rapport fondé sur l’intérêt qu’un peuple prend ou doit prendre aux malheurs de son prince. […] Le chœur serait absolument déplacé dans Bajazet, dans Mithridate, dans Britannicus, et généralement dans toutes les pièces dont l’intrigue n’est fondée que sur les intérêts de quelques particuliers.

301. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

et quel intérêt a-t-elle bien en soi ? […] « Quand on écrit sur les maîtres de Ninive, ou sur les Pharaons d’Égypte, on peut n’avoir qu’un intérêt historique ; mais le christianisme est une puissance tellement vivante et la question de ses origines implique de si fortes conséquences pour le présent le plus immédiat, qu’il faudrait plaindre l’imbécillité des critiques qui ne porteraient à ces questions qu’un intérêt purement historique. » Ces paroles sont de J. […] … Lors donc que, dans une société, il existe un pouvoir constitué et mis à l’œuvre, l’intérêt commun se trouve lié à ce pouvoir, et l’on doit, pour cette raison, l’accepter tel qu’il est. […] Placez John Wesley à Rome, il y sera certainement le premier général d’une société dévouée aux intérêts et à l’honneur de l’Église. […] Catholiques, protestants, ces mots n’ont plus d’actualité, plus d’intérêt, Ah !

302. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers, Tome xix. (L’île d’Elbe, — L’acte additionnel. — Le champ de mai.) » pp. 275-284

Le nouveau volume qu’il vient de publier, et qui est l’avant-dernier de l’ouvrage, redouble d’animation, d’intérêt, et, sur un sujet déjà si souvent traité et qu’on aurait pu croire rebattu, il est d’une grande nouveauté. […] Ce second Empire, qui fut si court et comme étranglé par les événements, avait toujours été d’une extrême importance historique à étudier ; mais la renaissance et le rétablissement de l’Empire, il y a dix ans, lui a rendu un intérêt d’à-propos et de vie, puisqu’il reparaissait en quelque sorte sous les yeux comme un problème actuel et toujours pendant. […] Les Βοurbons ont soulevé contre eux toutes les convictions et tous les intérêts attachés à la Révolution, L’armée me désire.

303. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

Puis, encore, ç’a été les Mémoires de Metternich, qui ont trompé si misérablement l’espoir de l’intérêt immense qui s’attachait à ce grand nom de Metternich. […] II Et c’étaient cependant de mâles esprits, et on le voit même dans cette Correspondance de si peu d’intérêt par elle-même et qui n’apprend rien à l’Histoire ! […] C’est cette amitié de Raczynski, de ce petit-fils de tant de Starostes et de Castellans, pour l’homme qui pouvait dédaigner son titre de marquis de Valdegamas, parce que son nom était Cortès, c’est cette amitié qui fait le prix et l’intérêt de ce volume, intitulé : Deux Diplomates 52, mais ce n’est, certes !

304. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

L’intérêt d’une histoire, en effet, peut être refroidi par les siècles qui nous en séparent. Mais l’intérêt d’un règne dont on est sorti, c’est brûlant, cela, comme le bronze d’un canon qu’on vient de tirer ! […] L’intérêt brûlant dont je parlais plus haut a peut-être été trop brûlant… On a craint d’y exposer ses doigts.

305. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Ventura avait pour la Critique l’intérêt d’un esprit de l’ordre le plus élevé qui, jusque-là, s’était illustré dans de très puissantes polémiques, mais que l’événement et le choix de l’Empereur mettaient en demeure de se montrer fécond et net dans sa fécondité et de dire enfin le mot suprême que, sur toutes les questions, le christianisme, s’il rencontre un homme de génie, n’a jamais manqué de prononcer ! […] Rapports entre Dieu et les pouvoirs humains, — Nécessité d’une réforme de l’enseignement public dans l’intérêt de la religion, — Nécessité d’une réforme de l’enseignement public dans l’intérêt de la littérature et de la politique, — Importance sociale du catholicisme, — Mœurs des Grands, — Exemple des Grands, — l’Église et l’État, ou Théocratie et Césarisme, — Royauté de Jésus-Christ et Restauration de l’Empire en France, voilà les neuf majestueux sujets que le P. 

306. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

En littérature, l’Italie ne dispense pas d’avoir du génie quand on parle d’elle, et quand il n’y a qu’elle dans un livre, elle ne saurait donner à ce livre l’intérêt que le talent créé, car le talent seul fa dà se ! […] Je sais bien que les grands faiseurs de nouvelles, que ce Boccace, qu’il a osé rappeler, que le Bandello, que Cervantès, se sont toujours montrés assez indifférents à la manière dont ils amenaient leurs récits, ne se préoccupant que de l’intérêt du récit même ; mais au dix-neuvième siècle, avec les accroissements que le temps apporte aux littératures, il n’est plus permis de faire si bon marché des nécessités de la composition, devenues de plus en plus impérieuses. […] Tout cela est la défroque pittoresque et littéraire de l’Italie, haillons en poudre qu’une main distinguée ne touche plus et dédaignerait de remuer, mais sous lesquels l’œil fin aperçoit des réalités sociales et individuelles de l’intérêt le plus attachant et le plus vif, — comme celles-là, par exemple, que, dans sa Chartreuse, Beyle a su peindre avec génie, mais qu’il n’a pas épuisées.

/ 2522