Délicieuses sont leurs joies, délicieuses leurs tristesses ; leurs inquiétudes cruelles, leurs amers remords, leur sont des voluptés, quand ils luttent de ruse contre les soupçons du roi ou l’espionnage des curieux, et quand, chassés ensemble, ils vivent dans la forêt, où le roi March les trouve dormant côte à côte, l’épée entre eux. […] Mais comme Tristan s’agite, impatient, sur son lit et demande si l’on aperçoit le vaisseau qu’il attend, sa femme, torturée de jalousie, lui annonce un navire aux noires voiles : et il meurt, au moment où débarque la seule, la toujours aimée Yseult, qui se précipite et prie pour lui : « Ami Tristan, quand vous vois mort, Je n’ai droit ni pouvoir de vivre ; Vous êtes mort pour mon amour, Et je meurs, ami, de tristesse, De n’avoir pu venir à temps. » Auprès de lui se va coucher ; Elle l’embrasse, et puis s’étend : Et aussitôt rendit l’esprit. […] Ce Champenois avisé et content de vivre était l’homme le moins fait pour comprendre ce qu’il contait. […] Ainsi fait Yvain, qui s’en va vivre au fond d’une forêt, nu, comme « un homme sauvage », n’ayant gardé qu’un instinct tout animal qui lui fait chercher sa nourriture. […] Par là, la vie n’était qu’éclat et joie, fêtes pompeuses et doux commerces : quel contraste c’était, et quel charme, pour des hommes qui sortaient à peine du morne isolement de leurs donjons, où ils vivaient dans de mortelles inquiétudes, ou dans un ennui plus mortel encore !
C’était une terrible race que ces Condé ; ils n’étaient pas faciles à vivre. […] J’imagine qu’ils rendirent la vie dure à La Bruyère, et qu’en même temps ils lui firent trouver impossible de vivre ailleurs. […] Rien en somme ne manque que ce qui s’est trouvé en dehors de son observation : la province, sur laquelle il n’a qu’une page, injuste et insuffisante ; le peuple des villes, qu’il ne soupçonne pas ; le paysan, dont il devine la dure condition, parce qu’il en a aperçu la silhouette courbée sur la terre, et dont il ne pénètre pas le caractère, parce qu’il n’a pas eu de contact, parce qu’il n’a pas vécu avec lui. […] Voilà par où vivent les personnages de La Bruyère : on les voit si nettement, ils sont si particuliers dans leur air et leur action, qu’on a peine à croire que l’artiste les ait composés, et non pas copiés. […] Cependant, comme, après tout, il avait travaillé « l’après nature, les gens qui vivaient dans son monde avaient chance parfois de rencontrer juste, et si les caractères d’Emile, de Straton, de Ménippe, de Pamphile, d’autres encore, ne sont pas des portraits strictement personnels, il est certain pourtant que Condé, Lauzun, Villeroy, Dangeau, etc., ont fourni les éléments principaux de chaque portrait.
Il abandonne les héros de l’antiquité et cherche ses sujets dans le monde où nous vivons. […] Un homme qui a vécu dans le monde et qui en a été chassé trouve un asile parmi les Bohémiens. […] Nous sommes des barbares sans lois ; nous ne savons ni torturer ni punir, nous n’avons besoin ni de sang ni de larmes, mais nous ne vivons pas avec un assassin. […] Après avoir été quelque temps le roi de la mode, il prend en pitié ses faciles succès ; le monde l’ennuie, et, blasé avant trente ans, il va vivre à la campagne, fort mal vu de ses voisins, qu’offense sa supériorité. […] parce qu’il n’a jamais vécu que d’une vie factice, parce qu’il n’a vu que du strass artistement taillé.
A ceux qui objectaient qu’une fois élus, c’est à savoir croyant à la doctrine de Calvin, peu importait qu’ils vécussent dissolument : Le bien-faire, répondait-il, est le signe de l’élection ; ceux donc qui ne font pas bien ne sont pas élus. Quant à ceux qui, ne croyant pas à la doctrine tâchaient néanmoins de vivre innocemment, il le leur interdisait ; car leur innocence, remarquait-il, eût été l’effet de l’élection de Dieu et n’étaient-ils pas hors de l’élection de Dieu, puisqu’ils ne croyaient pas à la doctrine ? […] Il vécut encore six années retranchant tous les jours quelque chose à la vie physique, ne dormant point, ne mangeant qu’une fois en trente-six heures, d’un pain fabriqué tout exprès, que ses adversaires appelaient le pain de M. […] Il mourut le 27 mai 1564, « ayant vécu dit Théodore de Bèze, quant à cette vie mortelle, l’espace de cinquante-six ans moins un mois et treize jours, desquels il en avoit passé justement la moitié au saint ministère ; parlant et écrivant sans avoir rien changé, diminué ni ajouté à la doctrine qu’il avait annoncée dès le premier jour de son ministère, avec telle force de l’esprit de Dieu, que jamais méchant ne le put ouïr sans trembler, ni homme de bien sans l’aimer et l’honorer68. » § V. […] Voilà ce qui fait vivre Calvin, comme écrivain français ; voilà les beaux côtés de cet esprit, auxquels répondent, dans le caractère, cette fermeté, ce courage, ces vertus privées, ce sacrifice de la chair à la vie de l’esprit, qui l’ont rendu digne de gouverner les hommes.
Oui, si le revenais, je cesserais ma vie d’étude et d’examen, persuadé qu’elle ne peut me mener qu’au mal, et je ne vivrais plus que de la vie mystique, telle que l’entendent les catholiques. […] J’enviais le sort des simples qui naissent, vivent et meurent sans bruit et sans pensée, suivant bonnement le courant qui les entraîne, adorant un Dieu qu’ils appellent leur Père. […] À vingt-trois ans recommencer comme si je n’avais pas encore vécu ! […] J’espère me faire de quoi vivre. […] Il faut marcher et se déclarer très positivement : « Je verrai toujours comme j’ai vu par le passé, et je ne verrai pas autrement. » Comment vivre un instant en se disant cela ?
Des boulevards, de grandes artères… oui il n’a plus laissé de coins, dans des rues ignorées, où l’on pouvait jadis vivre caché et heureux… Et en toutes choses, les falsifications, les sophistications, le mensonge. […] Eux, les autres, pourtant vivent dans cette sécheresse comme dans leur élément natal… Oui vraiment, il y a surtout là, une certaine manière de demander aux gens comment ils vont, où la question est tellement et uniquement faite avec les lèvres, qu’elle est plus durement indifférente que le silence. […] Violent en paroles avec une grande faiblesse de caractère, avec des désespoirs enfantins à propos de rien, lui faisant monter les larmes aux yeux, traversé de caprices, de boutades, d’humeurs qui ont quelque chose de malaises physiques, — et souvent s’absorbant en des enfoncements qui lui viennent, m’a-t-il dit, d’un an de solitude passé à Rome, à l’âge de treize ans, époque où toute sa vivacité expansive d’enfant, est rentrée chez lui comme une gourme… Un garçon paraissant avoir toujours vécu seul, tant son corps est égoïste, et qui prend tout le trottoir s’il marche avec vous, et vous entre, en chemin de fer, les coudes dans les côtes. […] De Sœur Philomène, il passe aux femmes, aux vieilles femmes, comme Mme de Boigne, auprès desquelles il a pu retrouver l’accent du xviiie siècle, et nous félicite de vivre un peu, ainsi que nous le faisons, dans un siècle passé, de vivre une double existence.
Il n’est pas douteux que notre conscience se sente durer, ni que notre perception fasse partie de notre conscience, ni qu’il entre quelque chose de notre corps, et de la matière qui nous environne, dans notre perception 19 : ainsi, notre durée et une certaine participation sentie, vécue, de notre entourage matériel à cette durée intérieure sont des faits d’expérience. […] Toutes les consciences humaines sont de même nature, perçoivent de la même manière, marchent en quelque sorte du même pas et vivent la même durée. […] Voilà le temps réel, je veux dire perçu et vécu. Voilà aussi n’importe quel temps conçu, car on ne peut concevoir un temps sans se le représenter perçu et vécu. […] Pas tout à fait, parce que nous vivons une vie sociale et même cosmique, autant et plus qu’une vie individuelle.
Il faut vivre et la vie est chose grossière. […] Le mystère, nous vivons, nous nous mouvons en lui. […] et pourquoi ai-je vécu ? […] J’ai vécu pour vivre. […] Nous vivons de répétitions.
Notre vie est d’un jour et notre manière de vivre est selon l’éternité. […] Pourquoi faut-il vivre dangereusement ? […] Ainsi vécut et mourut Socrate. […] La question est de vivre et de vivre bien. […] Par rapport au désir que l’homme a de vivre bien.
La botanique fait vivre artificiellement des produits végétaux qui disparaîtraient si la main de l’homme ne les soutenait incessamment. […] Les compagnons d’Alexandre vécurent d’Alexandre, jouirent d’Alexandre. […] « Quelques-uns vivent pour tous. Si on veut changer cet ordre, personne ne vivra. […] Nous vivons en proportion de la part que nous avons prise à l’édification de l’idéal.
Par là il s’achemina vers la poésie philosophique ; il y fut poussé par une influence générale qui porta tous les nobles esprits de ce temps à souffrir, à espérer, à vivre enfin pour l’humanité tout entière : un large courant d’amour social se répandit après 1830 dans la littérature. […] « Personne n’a vécu dans la familiarité de M. […] Il a vécu sa poésie : elle est comme le journal de sa vie. […] Qu’il s’agisse de s’habiller ou de vivre, Gautier a peur de ressembler à tout le monde : il arbore le gilet, ou la morale, qui peuvent étonner le bourgeois. […] Il écrivit pour vivre, avec une intarissable abondance.
Il a de plus que Villehardouin, d’avoir vécu dans l’intimité d’un homme supérieur, et d’avoir eu l’esprit aiguisé par ce commerce. Quelques-uns de ses entretiens avec saint Louis nous transportent dans un monde bien supérieur à celui où vivait Villehardouin. […] Cette autre vue dépasse sa portée, et le temps où il a vécu n’était pas mûr pour une telle étude. […] Le sens de cette confusion universelle, dans laquelle il vivait, était trop obscur pour qu’il fût tenté de le chercher et comment se serait-il ému de toutes ces destructions de la guerre, dont personne, ni peuple, ni noble, ni roi, n’était excepté ? […] Mariée fort jeune, et bientôt privée de son protecteur Charles V, elle dut songer à vivre et à faire vivre les siens du savoir qu’elle avait acquis.
Ainsi l’organisation spontanée, qui à l’origine fit apparaître tout ce qui vit, se conserve encore sur une échelle imperceptible aux derniers degrés de l’échelle animale ; ainsi les facultés spontanées de l’esprit humain vivent dans les faits de l’instinct, mais amoindries et presque étouffées par la raison réfléchie ; ainsi l’esprit créateur du langage se retrouve dans celui qui préside à ses révolutions ; car la force qui fait vivre est au fond celle qui fait naître, et développer est en un sens créer. […] Sans doute on peut dire qu’il n’y a qu’une psychologie, comme on peut dire qu’il n’y a qu’une littérature, puisque toutes les littératures vivent sur le même fond commun de sentiments et d’idées. […] Mais elles vivent comme l’homme et l’humanité qui les parlent ; elles se décomposent et se recomposent sans cesse ; c’est une vraie végétation intérieure, une circulation incessante du dedans au dehors et du dehors au dedans, un fieri continuel. […] Tout ce qui vit a une histoire : or l’homme psychologique comme le corps humain, l’humanité comme l’individu, vivent et se renouvellent. […] Pour comprendre le vrai sens de ces beautés exotiques, il faut s’être identifié avec l’esprit humain ; il faut sentir, vivre avec lui, pour le retrouver partout original, vivant, harmonieux jusque dans ses créations les plus excentriques.
Il naît plus d’individus qu’il n’en peut vivre : un grain dans la balance peut déterminer quel individu vivra et lequel mourra, quelle variété ou quelle espèce s’accroîtra en nombre, et laquelle diminuera ou sera finalement éteinte. […] Si nous admettons ce point de départ, il faut admettre aussi que tous les êtres organisés qui ont jamais vécu peuvent descendre d’une forme primordiale unique. […] Quand je regarde tous les êtres, non plus comme des créations spéciales, mais comme la descendance en ligne directe d’êtres qui vécurent longtemps avant que les premières couches du système silurien fussent déposées, ils me semblent tout à coup anoblis. […] Si, au contraire, on admet la multiplicité infinie de ces germes primitifs, ils ressortent que toutes les possibilités de développement ont dû se présenter parmi un nombre si considérable d’êtres qui tous n’avaient qu’à chercher les moyens de vivre. […] Il ne s’agissait guère alors pour les différents êtres que de s’accoutumer à vivre au fond des eaux, dans les eaux ou à la surface des eaux.
Il fallait vivre, et la vie exige que nous appréhendions les choses dans le rapport qu’elles ont à nos besoins. Vivre consiste à agir. […] Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. […] Est-ce à dire que le poète ait éprouvé ce qu’il décrit, qu’il ait passé par les situations de ses personnages et vécu leur vie intérieure ? […] Cela repose de la fatigue de vivre.
C’est pourquoi ils semblent vivre plus que les autres hommes ; ils n’ont pas besoin d’avoir appris, ils devinent. […] Que celui de vous qui veut vivre vieux — me donne secours. […] Il est clair que cet état est une maladie, et que l’homme ne vivra pas. […] Nous sommes heureux d’être délivrés des rudes chaînes de la logique, d’errer parmi les aventures étranges, de vivre en plein roman et de savoir que nous y vivons. […] On sourit dans Cymbeline lorsqu’on voit la caverne solitaire où les jeunes princes ont vécu en sauvages et en chasseurs.
J’aimerais mieux être laboureur et servir pour un salaire un homme sans héritage et qui aurait de la peine à se nourrir, j’aimerais mieux cela que de commander à tous les morts qui ont vécu. […] Vivre avec Orphée, Musée, Hésiode, Homère, à quel prix chacun de nous n’achèterait-il pas un pareil bien ? […] S’ils veulent ajouter quelque chose à leur maigre ordinaire, qu’ils le dérobent dans les maisons ou dans les fermes ; un soldat doit savoir vivre de maraude. […] La belle humeur, la joie de vivre, sont les choses grecques par excellence. […] Hérodote vivait encore à l’époque de la guerre du Péloponèse ; il en parle dans son livre VIl, 137, et dans son livre, IX, 73.
Le héros, Lavretzky, revient, au seuil de la vieillesse, dans la maison où, jeune, il a vécu son roman d’amour. […] De plus, Raphaël vivait au plus beau moment de la Renaissance. […] Je suis rassasiée de te voir vivre, et voudrais bien t’avoir morte. […] Il faut vivre. […] L’administration ferme les yeux et lui accorde le vivre et le couvert par égard pour son talent poétique.
Parfois votre propre accent, cette chose si personnelle, vous est renvoyé comme par un écho ; ou plutôt c’est vous-même qui n’êtes que l’écho : vous avez été deviné, votre vie a été vécue avec des centaines d’autres par le poète. […] Le vertige, ce trouble des nerfs, ne saisit et ne précipite que ceux qui avaient encore les pieds sur la terre : les voyageurs de l’espace, les aéronautes, qui vivent pour ainsi dire au milieu même de l’abîme, n’en ont plus peur ; ils regardent à des profondeurs énormes, et ils les sondent sans que leur œil se trouble. […] Nous vivons pêle-mêle et coup sur coup. […] Nos souffrances ne sont point émoussées par ce fait qu’elles ont été les souffrances de ceux qui ont vécu avant nous ; par contre, pas une de nos joies ne sera déflorée par les joies toutes pareilles de nos pères endormis. […] Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une… Hélas !
Les Germains ont vécu à l’écart de la civilisation antique. […] Croire est l’âme d’agir, comme agir est l’âme de vivre. Dès lors l’intellectuel a l’illusion de vivre, plus qu’il ne vit. […] L’homme doit vivre son premier âge, comme l’humanité l’a vécu, dans la nature. […] Vivons !
Nous ne savons l’effet que produisent de près ces sortes de révélations : il est possible qu’elles frappent moins des personnes qui vivent de longue main dans les coulisses. Mais pour nous du dehors, habitués à vivre en plein air et qui tenons encore à la beauté des perspectives, l’effet, il faut l’avouer, est déplorable !
C’est Brahma qui parle : Le soleil est ma chair, le soleil est mon cœur, Le cœur du ciel, mon cœur saignant qui vous fait vivre. […] Et je voudrais pourtant t’affranchir, ô mon âme, Des liens d’un passé qui ne veut pas mourir… Mais c’est en vain ; toujours en moi vivra ce monde De rêves, de pensers, de souvenirs confus, Me rappelant ainsi ma naissance profonde, Et l’ombre d’où je sors, et le peu que je fus.
C’est si commode, de vivre dans son coin, pour soi et, tout au plus, pour les siens et pour deux ou trois amis, de se moquer du reste, de croire qu’on a fait tout son devoir de citoyen quand on a payé l’impôt, et tout son devoir d’homme quand on a lâché quelques aumônes prudentes, de pratiquer le dédaigneux odi profanum vulgus, d’être un spectateur détaché de la comédie ou de la tragédie humaine ! […] Vous réfléchirez que pousser les malheureux à une révolte d’où ne peut sortir pour eux qu’une aggravation de souffrance et cela, pour arriver, vous, à la notoriété ou au pouvoir et, finalement, pour « jouir » c’est vivre de leur substance, c’est s’engraisser de leur misère, sans rien risquer et en feignant de les servir, et qu’ainsi les exploiteurs peuvent se rencontrer ailleurs que dans les rangs des capitalistes.
La difficulté n’est pas de rimer bien (un dictionnaire de rimes y suffit), mais de faire vivre le vers par le nombre, l’éclat, l’harmonie. […] folle que tu es Comme je t’aimerais demain si tu vivais !
René Ghil : Le vœu de vivre. […] Fernand Gregh : La Beauté de vivre.
C’est que chez les Romains, les femmes ne vivaient pas en société avec les hommes ; que les dames romaines vivaient retirées ; que recevoir des hommes chez soi, c’était le honteux privilège des courtisanes et des femmes publiques.