/ 3290
1166. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Mais l’embarras de M. de Chateaubriand tient à ceci : il veut la popularité, il veut être l’idole du siècle et de l’avenir, et il s’aperçoit trop tard qu’il a heurté et insulté la grande idole populaire, Napoléon. […] Chez M. de Chateaubriand, l’homme de lettres, remarquez-le bien, tient prodigieusement à cette détestable brochure : « Louis XVIII déclara, je l’ai déjà plusieurs fois mentionné, que ma brochure lui avait plus profité qu’une armée de cent mille hommes ; il aurait pu ajouter qu’elle avait été pour lui un certificat de vie. » Car on ne savait plus seulement qu’il existât. […] Je le crois bien ; il n’est pas étonnant que Charles X n’eût jamais lu beaucoup de ces grands écrits de M. de Chateaubriand : « J’en veux à M. de La Vauguyon, disait un jour cet aimable prince, de m’avoir si mal élevé que je n’ai jamais pu lire quatre pages de suite, même quatre pages de Gil Blas, sans m’ennuyer. » Mais un homme politique, un ambitieux véritable, qui tient réellement à gouverner les choses de ce monde, ne se décourage pas pour si peu, et ne se comporte pas comme un auteur qui a besoin avant tout d’une louange un peu creuse ; il vise au solide. […] L’irritation de se voir évincé du pouvoir au moment où il avait cru le tenir, le poussa à partager et à exciter de son talent tous les excès de réaction que réclamait la Chambre de 1815. […] Ceux pourtant qui continuent d’aimer les phrases, les belles pensées détachées, les fragments spécieux de théorie, les prédictions inutiles et frappantes, les fantaisies poétiques dont on peut faire collection, trouveront amplement encore, en le lisant, de quoi se satisfaire ; mais les esprits qui demandent de la suite, de la raison, un but, quelque conséquence dans les actes et dans la conduite, savent désormais à quoi s’en tenir sur la valeur de l’écrivain éminent qui, avec de si hautes parties, n’a été en politique qu’un grand polémiste toujours personnel, et un agent lumineux de dissolution.

1167. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Né le 9 mars 1749 d’une race florentine établie depuis cinq siècles en Provence, le cinquième de onze enfants et l’aîné des garçons, Gabriel-Honoré de Mirabeau avait, en naissant, apporté plusieurs des traits essentiels de la famille paternelle, mais en les combinant avec d’autres qui tenaient de sa mère. […] Il avait les gros yeux de la race, et qui, charmants dans les portraits de ses père, oncle et aïeul, le devenaient aussi chez lui toutes les fois qu’une femme s’oubliait à le regarder : « Ce sont ces certains yeux couchés, disait-il, que, sur mon honneur, je ne saurais appeler beaux, dusses-tu me battre (c’est à Sophie qu’il écrivait cela), mais qui enfin disent assez bien, et quelquefois trop bien, tout ce que sent l’âme qu’ils peignent. » Il tenait pourtant de sa mère (Mlle de Vassan) des caractères qui gâtaient fort et qui ravalaient même, disait son père, la hauteur originelle du type, qui en altéraient certainement la noblesse, mais qui en corrigèrent aussi la dureté. Il tenait de sa mère la largeur du visage, les instincts, les appétits prodigues et sensuels, mais probablement aussi ce certain fonds gaillard et gaulois, cette faculté de se familiariser et de s’humaniser que les Riquetti n’avaient pas, et qui deviendra un des moyens de sa puissance. […] Son père, jusque dans ses plus grandes rigueurs, ne pouvait s’empêcher de le reconnaître : « Il y a bien du physique dans ses écarts. » Que ne pouvait-on pas attendre, en fait de fougue et d’exubérance, de celui qui, en venant au monde, avait dans la bouche deux dents molaires déjà formées ; qui, sortant de Vincennes après quarante-deux mois de réclusion, à l’âge de plus de trente ans, se trouvait non seulement grossi, mais grandi au physique, et dont la chevelure immense était douée d’une telle vitalité, que vers la fin, dans ses maladies, le médecin, avant de lui tâter le pouls, demandait en entrant au valet de chambre comment était ce jour-là la chevelure de son maître, si elle se tenait et frisait d’elle-même, ou si elle était molle et rabattue ? Ce n’est là qu’un aperçu du monstre, comme Eschine disait de Démosthène ; mais il ne faut rien s’exagérer et ne pas faire comme les enfants qui se prennent au masque et s’y tiennent.

1168. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

En chaque homme ces deux mobiles sont disposés selon une ordonnance et selon des rapports auxquels il n’a rien à voir et chaque homme est tenu par une contrainte logique, supérieure à toute conception de devoir, de conformer strictement sa conduite aux conséquences nécessaires de cette hiérarchie intime. […] Mais cela ne fera pas qu’ils soient libres de rien changer à leur disposition intérieure ; ce vain désir n’empêchera pas les uns d’être condamnés à se satisfaire, quelque conséquence sociale qui puisse d’ailleurs en résulter pour eux ; il n’empêchera non plus les autres d’être condamnés à se contraindre, à s’interdire toute joie, en raison de la suprématie dans leur organisme du sentiment du devoir, qui ne cessera de les tenir en laisse à l’écart des plaisirs où ils aspirent. […] Que l’on transpose le spectacle humain en celui-ci : une troupe d’excellents automates, construits par quelque Edison pour le divertissement des spectateurs, descend des tréteaux sur la place publique et ces automates marchent comme des hommes, se mêlent aux assistants, tiennent aux femmes des propos lestes, exécutent mille facéties, enlevant à l’un son chapeau, à l’autre son mouchoir, à la grande joie de la foule indulgente. […] C’est par un procédé de simplification grossier que l’on se tient à donner le nom d’instincts aux diverses parties qui concourent à la formation de cette entité complexe qu’est la personne humaine : ces instincts eux-mêmes, sous le nom abstrait dont nous les désignons et au moyen duquel nous les isolons pour les saisir, cachent une multiplicité fourmillante d’existences séparées qui déjà se dérobent à notre regard et à nos nomenclatures. […] C’est ainsi qu’au temps de la passion amoureuse, cet instinct vainqueur, qui semble tenir alors la place de la personne tout entière, emploie sans peine à le servir tous les autres instincts toutes les autres puissances du corps humain.

1169. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

C’est singulier, en littérature, la chose faite ne vous tient plus aux entrailles. […]Tiens, je vais m’acheter un pantalon… On monte. […] tenez, il faut en revenir à Kant : toutes les fois qu’il avait essayé d’échafauder un système, l’ayant senti s’écrouler, il a conclu qu’il n’y avait que la morale, le sentiment, du devoir. […] Dans ses divagations, ce dentiste a pour excuse de ne pouvoir porter quelque chose sur la tête et de tenir dans la rue son chapeau à la main, mais les folies qui jaillissent de sa faible cervelle, ne lui sont pas tout à fait personnelles : elles lui sont apportées par le courant des choses, elles lui sont soufflées par le vent des idées dans l’air. […] Nous voici dans une toute petite chambre, chauffée par un poêle de fonte, et où une grande table, sur laquelle est couché un enfant de quelques mois, tient toute la pièce.

1170. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

Ce ne sont qu’évêques dégingandés au pas saltateur de Dupré, grands prêtres de bacchanales, anges qui tiennent le saint-ciboire avec le geste d’un arc qu’un Amour détend, saints qui se renversent sur le crucifix avec des attitudes de violonistes, effets de lumière derrière les autels qui ressemblent à une gloire derrière une conque de Vénus : toute une religion descendue du Corrège, et que Noverre semble avoir réglée comme le plus délicieux opéra de Dieu ; — si bien qu’au son des flûtes, des bassons, de la musique la plus chatouillante, la plus enivrante, la plus ambrée, si l’on peut dire, on s’attend à voir un joli homme d’évêque, avec le geste sautillant d’un marquis tirer l’hostie d’une boîte d’or, et l’offrir comme une pastille ou une prise de tabac d’Espagne. […] Et comme ses yeux tombent en ce moment sur une gouache de L’Île d’amour en 1793, il s’écrie : « Tiens, ça me rappelle la connaissance de Salvandy et de Béranger. » Un Anglais installé en France et demeurant à Belleville après la Restauration, donnait beaucoup à dîner. […] Salvandy était légèrement intrigué de cet homme un peu peuple, mais dans lequel il percevait une certaine finesse, quand, au milieu du dîner, son commensal lui dit tout à coup : « Je vais vous chanter une petite chanson pour me tenir en haleine !  […] Tenez, il y a un monsieur qui m’envoie de Batignolles, presque tous les quinze jours, une pièce de vers, en l’honneur du chantre de Lisette, on voit que c’est chez lui une idée fixe… Ce sont des veines et des déveines comme cela en France…. […] » De là, la parole de Sainte-Beuve saute à Flaubert : « On ne doit pas être si longtemps à faire un livre… Alors on arrive trop tard pour son temps… Pour des œuvres comme Virgile, ça se comprend… Et puis après Madame Bovary, il devait donner des œuvres vivantes… des œuvres, où l’on sente l’auteur touché personnellement… tandis qu’il n’a fait que recommencer Les Martyrs de Chateaubriand… S’il avait fait cela, son nom serait resté à la bataille, à la grande bataille du roman, au lieu que j’ai été forcé de porter la lutte sur un moins bon terrain, sur Fanny… Alors, Sainte-Beuve s’étend sur l’ennui de sauter de sujet en sujet, de siècle en siècle… On n’a pas le temps d’aimer… Il ne faut pas s’attacher… Cela brise la tête : c’est comme les chevaux dont on casse la bouche en les faisant tourner à gauche, à droite, — et il fait le geste d’un homme qui tire sur un mors. — « Tenez, me voilà engagé pour trois ans… à moins d’un accident.

1171. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

En effet, vous voyez que, par exemple, le Paysan du Danube est de l’actualité, puisque c’est d’un auteur tout récemment publié qu’il le tient. […] C’est un récit qui a été fait à La Fontaine par un de ses savants amis fréquentant chez Mme de La Sablière, qui le tenait de certains religieux. […] Ecoutez ce récit, Que je tiens d’un roi plein de gloire. […] Pourquoi Descartes tenait-il tant à ce que l’on déniât l’intelligence aux bêtes ? […] Vous savez qu’il y a, au Mogol, des Follets qui font office de valets, qui tiennent la maison propre, qui ont soin du ménage et quelquefois du jardinage.

1172. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Dans les organisations laborieuses elles-mêmes, il oppose parfois les métallurgistes et les mécaniciens, les deux puissants groupements qui tiennent sous leur emprise les travailleurs des munitions. […] Dans les moments difficiles, quand le geste d’autorité tout sec ne donnerait rien de bon, je m’adresse à la plus forte tête, je lui explique mon idée sur le terrain : C’est là le point le plus important, et je n’ai plus de tête à y mettre ; choisis tes meilleurs camarades, ceux que tu voudras, et vas-y ; d’heure en heure, tu m’enverras un des tiens pour me rendre compte, et tu tiendras. […] Les Français d’après l’an xv, dit-il, qui se sont tenus un an par la main depuis la mer du Nord jusqu’au Rhin, quels que fussent d’ailleurs leurs intérêts économiques, leur opinion politique, leur croyance, leur idéal, n’entendent plus se brimer ni se tourmenter les uns les autres : la vieille haine française, qui avait sa noblesse, la lègue à une tendresse française que ni la France ni l’univers n’ont encore connue.‌ […] Refusant de parvenir et même par le travail, l’homme en arrive à tenir bien davantage à son travail ; il conçoit son métier… comme le moyen de contribuer à l’institution de la justice.

1173. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Cependant c’est un échantillon de la beauté universelle ; mais il faut, pour qu’il soit compris, que le critique, le spectateur opère en lui-même une transformation qui tient du mystère, et que, par un phénomène de la volonté agissant sur l’imagination, il apprenne de lui-même à participer au milieu qui a donné naissance à cette floraison insolite. […] L’étonnement, qui est une des grandes jouissances causées par l’art et la littérature, tient à cette variété même des types et des sensations. — Le professeur-juré, espèce de tyran-mandarin, me fait toujours l’effet d’un impie qui se substitue à Dieu. […] Avant d’entrer plus décidément en matière, je tiens à constater une impression première sentie par beaucoup de personnes, et qu’elles se rappelleront inévitablement, sitôt qu’elles seront entrées dans le sanctuaire attribué aux œuvres de M.  […] Cette impression, difficile à caractériser, qui tient, dans des proportions inconnues, du malaise, de l’ennui et de la peur, fait penser vaguement, involontairement, aux défaillances causées par l’air raréfié, par l’atmosphère d’un laboratoire de chimie, ou par la conscience d’un milieu fantasmatique, je dirai plutôt d’un milieu qui imite le fantasmatique ; d’une population automatique et qui troublerait nos sens par sa trop visible et palpable extranéité. […] Ce singulier phénomène tient à la puissance du coloriste, à l’accord parfait des tons, et à l’harmonie (préétablie dans le cerveau du peintre) entre la couleur et le sujet.

1174. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Maintenant, en creusant au-dessous de ces trois hypothèses, je leur découvre un fond commun : elles tiennent les opérations élémentaires de l’esprit, perception et mémoire, pour des opérations de connaissance pure. […] Ce sont précisément ces images que la science et la métaphysique voudraient reconstituer, restaurant dans son intégralité une chaîne dont notre perception ne tient que quelques anneaux. […] Examinons-les donc tour à tour, en présentant ici sous une forme plus métaphysique les conclusions que nous avons voulu tenir de la seule psychologie. […] Nous disions que cette nature pouvait être considérée comme une conscience neutralisée et par conséquent latente, une conscience dont les manifestations éventuelles se tiendraient réciproquement en échec et s’annuleraient au moment précis où elles veulent paraître. Les premières lueurs qu’y vient jeter une conscience individuelle ne l’éclairent donc pas d’une lumière inattendue : cette conscience n’a fait qu’écarter un obstacle, extraire du tout réel une partie virtuelle, choisir et dégager enfin ce qui l’intéressait ; et si, par cette sélection intelligente, elle témoigne bien qu’elle tient de l’esprit sa forme, c’est de la nature qu’elle tire sa matière.

1175. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Lorsqu’en effet les associations partielles sont assez différenciées pour ne prendre les hommes que par un côté et ne satisfaire qu’à un de leurs besoins, il est naturel que ces mêmes hommes, ayant plus d’un besoin à satisfaire, tiennent à plusieurs associations. […] Systématiquement, leurs réformateurs, — qui le plus souvent d’ailleurs, comme Solon ou Clisthène ou Servius, tiennent par leurs origines ou leurs occupations à plus d’un groupe, — y introduisent des divisions nouvelles. […] Il faut se rendre compte en effet qu’un grand nombre des sociétés, et non des moins influentes, auxquelles nous tenons, n’ont ni charte, ni acte de naissance. […] Pour le démontrer par la statistique, il faudrait que dans les dénombrements de la population, on pût demander aux citoyens et que les citoyens pussent déclarer, non seulement leur profession, mais tous les groupements auxquels ils tiennent. […] Ne serait-on pas, au contraire, porté à juger a priori, indépendamment de ses actes propres, de la valeur d’un individu par la place qui lui paraît marquée d’avance dans toutes les sociétés, et à le tenir, avant toute expérience, comme digne de respect ou de dédain, suivant la hauteur de ce rang toujours le même ?

1176. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Maintenant couronné à Olympie, et deux fois encore, à Delphes et dans l’isthme, Ergotèle, tu vantes les bains tièdes des nymphes de Sicile, hôte familier de ces campagnes devenues tiennes. » Dans cette fin de notre dix-septième siècle toujours curieuse de l’antiquité, mais ne sachant plus en réfléchir la splendeur, aux bords de ce couchant déjà moins éclairé, l’imitation de Pindare fut fort essayée, et sa grande poésie admise, en quelque sorte, à correction. […] Il lui emprunte surtout, comme dans son ode célèbre au comte du Luc, ce qui est le plus passager et tient le moins au cœur de l’homme, les souvenirs mythologiques, l’enveloppe de la fiction, le manteau et non la voix du prophète. […] La ressemblance, l’affinité ne tient pas ici à quelques imitations littérales, ou à quelques rencontres accidentelles de langage : elle est plus générale et plus intime. […] Pindare appartenait à cette race dorienne qui, parmi les mobiles cités de la Grèce, tenait à un principe de consistance et de durée, avait des rois héréditaires et un sénat dans Lacédémone, des rois dans la Sicile et dans la Cyrénaïque, et semblait en tout opposée au génie démocratique de la brillante Athènes. […] « Ô fils de Saturne et de Rhée, qui tiens sous ta loi le seuil de l’Olympe, la couronne des jeux et le cours de l’Alphée, daigne, adouci par nos chants, transmettre leur héritage à toute leur lignée !

1177. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Le monde ne se présente à nous, quand nous nous en tenons à l’observation, que fragmenté, que distribué en séries de phénomènes parallèles, mais distincts. […] Néanmoins, je m’y suis tenu, car tous les jugements qu’on va lire en dérivent, et sa vérité assure leur vérité. […] Des volontés des pères de famille il n’a été tenu aucun compte. […] Avec cette finesse d’impressions propre à son âge, il sent bien que son envoi à l’école n’est qu’une formalité qui ne tient pas au cœur des siens. […] Se rapprochent-ils de cet Idéal de l’ascension individuelle qui tient à cœur à nos démocrates, plus encore que le droit de suffrage ?

1178. (1901) Figures et caractères

Le village de Renwez se tenait près des bois. […] Il l’a fait assez souvent pour que notre reconnaissance le tienne quitte de notre curiosité. […] Hugo, qui tenait en poésie la place d’un aïeul, y laisse à jamais un vide ancestral. […] Il la conduit, la mène, en tient les fils, les débrouille, les joint, les casse et les renoue. […] Au milieu de la brillante pléïade romantique, il fait petite figure et y tient mince état.

1179. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Sans cela elle n’eût pas tellement tenu à cette visite. Je veux dire, elle ne m’eût pas répété qu’elle n’y tenait pas. […] Et il fallait une Ariane aussi qui lui tînt la main et le guidât. […] Tenons-nous en pour l’instant au simple domaine pratique. […] Je tiens surtout à vous faire sentir ce quelque chose dans son caractère, à côté de sa passivité, que j’ai appelé de l’exigence, cet effort constant, comme a si bien dit M. 

1180. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Cette lettre est adressée à Vettori, son ami, diplomate comme lui, et par lequel il est fréquemment consulté sur la conduite à tenir dans les affaires publiques. […] Chacun devrait tenir à utiliser un homme qui a acquis déjà, aux dépens des autres et de lui-même, l’expérience consommée qu’il possède. […] Le mieux serait d’être l’un et l’autre. » On ne peut pas excuser de même son conseil au prince de ne pas tenir sa parole lorsque les circonstances dans lesquelles on l’a engagée sont changées, ni l’éloge qu’il fait nettement du pape Alexandre VI d’avoir jeté tous ses serments au vent. […] L’habile diplomatie de Florence se tenait en équilibre entre ces puissants voisins ; la mer avait créé Gênes, Venise et Pise ; le commerce, l’industrie, les lettres, les arts, maintenaient Florence au premier rang des capitales de l’Italie, mais Florence aussi était étrusque et non romaine. […] Le jeune roi, menacé de perdre sa nationalité et son indépendance sous l’envahissement sans bornes du Piémont, tient encore le royaume de Naples en équilibre ; l’esprit de nation lutte contre l’esprit de révolution : qui l’emportera ?

1181. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Valjean trouve à l’embouchure tous les personnages dont le roman a besoin pour se dénouer : Javert, qui l’a suivi, invisible, et qui croit tenir en lui un assassin emportant un cadavre accusateur à la rivière ; Thénardier, qui erre aussi dans ces parages et qui lui en donne la clef ; Marius, évanoui sur ses épaules, qu’il couche sur la plage et qu’il rapporte ensuite à son grand-père, sans se faire connaître. […] Elle avait eu de doux rêves, ce qui tenait peut-être un peu à ce que son petit lit était très blanc. […] « Il y avait en ce moment-là même dans le jardin du Luxembourg, — car le regard du drame doit être présent partout, — deux enfants qui se tenaient par la main. […] Le bonhomme de six ans tenait une grosse brioche. […] « Cela tient à ce qu’elle est artiste.

1182. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Il retourna d’Amérique avec un grotesque projet de « découverte d’un passage sous le pôle Nord » ; croyant tenir la fortune et la gloire, il court le soumettre à M. de Malesherbes, alors ministre ; il fut éconduit, mais ne s’en vanta pas. […] Nous autres Romains de cet âge de vertu, tous tant que nous sommes, nous tenons en réserve nos costumes politiques pour le moment de la pièce et moyennant un demi-écu donné à la porte, chacun peut se procurer le plaisir de nous faire jouer avec la Toge ou la Livrée tour à tour, un Cassius ou un valet. » (Essai, page 333.) […] Une revue, la Bibliothèque britannique, tenait le lecteur au courant des productions littéraires en langue anglaise par de copieux extraits. […] Chactas qui, en ces matières, a l’expérience d’un Almaviva, raconte qu’il la tenait palpitante dans ses bras, attendant le moment psychologique où « la passion, en abattant son corps, allait triompher de sa vertu ». […] Les romantiques de 1830 et les naturalistes de l’école de Zola, qui ne reconnaissaient pas dans l’Agamemnon et le Titus de Racine des courtisans de Versailles, et dans le Ruy-Blas et le Gennaro de Victor Hugo des bons bourgeois de Paris, se tenaient aux apparences.

1183. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

» La littérature ressemble aujourd’hui à ce preux imbécile, et l’on peut lui tenir le même langage. […] Et pourtant ils sont partout ; ils se tiennent ensemble, ils sont comme une petite armée ; mais leur drapeau a si souvent changé de couleur qu’on ne distingue plus rien sur ce haillon vendu ; ils se reconnaissent à leur cri de ralliement : Gardons-nous bien ! […] Le jour où un gouvernement décrétera la dissolution de cette fade compagnie de bavards qui n’a même pas la force de porter le poids de son Dictionnaire, il aura bien mérité de tout ce qui tient à cœur les gloires immortelles des arts et des lettres. […] À quoi cela tient-il ? […] Imiterons-nous cet ex-philosophe qui eut de la célébrité sous la restauration et un ministère sous le roi Louis-Philippe, et qui, comme Panurge, n’aimant pas les coups, lesquels il craint naturellement, se tient prudemment à l’écart sans oser se mêler au combat ?

1184. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Il est certain que tout tient à tout dans l’univers : il existe par conséquent entre toutes les sciences humaines certains rapports qui ne permettent à aucune de refuser les lumières que peuvent lui offrir celles qui s’en éloignent le plus dans l’ordre de parenté. […] Jamais on n’avait mieux vu combien tout se tient, se lie, se correspond dans l’homme, et comment l’âme et le corps forment un tout naturel, pour nous servir de l’expression, de Bossuet. […] Gall était un esprit trop observateur pour s’en tenir à la doctrine de Cabanis et de l’école de la sensation, qui ne reconnaissait aucune espèce d’innéité ni de facultés ni de penchants. […] Peu soucieuse d’ailleurs de l’observation psychologique directe et intime, n’ayant guère pour toute science du moral que les seules notions que la psychologie animale peut donner, elle s’en tient aux grands traits, pour ne pas dire aux gros traits de la nature humaine, c’est-à-dire à ceux qui lui sont communs avec l’animalité. […] Il s’en tient à son principe d’explication comme au dernier mot de la science6.

1185. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Et ainsi, toutes les impressions particulières que nous donnent les objets du monde physique, il les approfondit et les agrandit aussitôt par l’idée toujours présente que tout s’enchaîne et se tient dans le rêve ininterrompu de Maïa… Les frontières deviennent indistinctes entre les différentes formes de la vie — vie végétale, animale et humaine. […] Quand mon esprit aspire à la pleine lumière, Je sens tout un passé qui le tient enchaîné ; Je sens rouler en moi l’obscurité première : La terre était si sombre, aux temps où je suis né !

1186. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

Dans le Prométhée d’Eschyle, les Océanides demandent au Titan : — « Qui donc tient le gouvernail de la Nécessité ?  […] Cette aversion tenait à leur office même.

1187. (1890) Nouvelles questions de critique

Gaston Paris est-il indifférent et tient-il la balance égale entre les vers de M.  […] Je crois que l’on a prétendu les tenir au courant de la science. […] Louis Vian, qui passe pour en tenir lieu, ne saurait exactement servir, nous l’avons dit ailleurs, qu’à celui qui voudra le refaire. […] Pellissier a cru pouvoir s’en tenir à parler de Chateaubriand et de madame de Staël, du moins en a-t-il bien et heureusement parlé. […] Que de choses tiennent en cela !

1188. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

— Tiens ! […] Je me tenais à l’écart sur le pont du navire. […] Il doit savoir à quoi s’en tenir sur la beauté. […] Tenez : esthétiquement le paysage attique efface tout. […] Le ciel ruisselait, et la foudre nous tenait dans un cercle de flammes.

1189. (1925) Comment on devient écrivain

Les romanciers tiennent à l’estime de la Critique, mais ils tiennent encore plus à vendre leurs livres. […] On doit, au contraire, se tenir très au courant. […] « Je tiens de M.  […] Une telle fécondité tient du miracle. […] Mais pourquoi s’en tenir au passé ?

1190. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Malgré tout, nous tenons à la vie pour elle-même quand bien même on admettrait qu’elle renferme plus de douleur que de plaisir, avant tout nous tenons à la garder. […] Le souvenir peut encore s’en tenir à ce second moment. […] C’est pour cela qu’il en tenait si peu de compte. […] On ne voit les choses que sous un certain jour qui tient à l’esprit. […] Le premier veut que nous nous tenions dans un état d’équilibre, sans adhérer à aucune opinion ; le second croit que nous pouvons en choisir une et nous y tenir.

1191. (1887) Essais sur l’école romantique

Sur ce point, j’en suis encore au sentiment d’instinct, et je m’y tiens. […] On prenait une licence de poète, comme une licence d’avocat ; puis on s’établissait, on tenait maison. […] De qui ce censeur tenait-il son élection ? […] Son délicieux talent n’y a pas encore péri : mais à quoi cela tient-il ? […] Quant à la gloire, on s’en tient à celle que comporte le siècle, et qui est d’être répandu.

/ 3290