Il a eu la superstition du sujet : étant né pour faire de petits tableaux d’une grande intensité d’impression, sans signification intellectuelle ni liaison rationnelle, il a inventé des lieux communs d’une banalité désespérante pour les encadrer, comme dans la satire X. […] De là vient qu’on peut reprendre sans scrupule les sujets des anciens : une fable de Phèdre, une tragédie d’Euripide, une comédie de Plaute. L’invention demeure entière dans de vieux sujets.
J’entre volontiers dans la colère de Voltaire s’écriant : « Quel faux dans les sujets, et quelles contorsions dans le style ! […] Heureusement, dans cette diversité de sujets, il en est deux, de tout temps préférés, où le poète avait donné non des promesses, mais des fruits mûrs, avant que la Révolution tuât la poésie et que la Terreur tuât le poète. […] Quelques pièces ont le tort d’avoir été écrites trop près de la circonstance qui y donne sujet.
Mais nous ne l’avons pas, au contraire, appelé charmeur, exprimant ainsi cette impression ineffable de prédilection qu’ont éprouvée, pour tout ce qui est sorti de cette plume experte, ceux qui l’ont pu suivre, sans songer à ce que ses sujets offrent de vitalité intense, au souci qu’ils accusent du cas compliqué et à l’intelligence qu’ils révèlent de la difficulté sentimentale. Qui ne voit d’ailleurs que les grandes lignes du roman, c’est-à-dire le sujet dans sa floraison mouvante, ne sauraient constituer à elles seules le roman, ni surtout le roman d’analyse ; que, par suite, le sujet ne saurait être entièrement séparé de sa portée psychologique, et nous entendons par l’auteur, — dont le dogmatisme n’est une charge d’état que parce qu’il y a des significations multiples derrière les événements les plus futiles en apparence, derrière les moindres affirmations de la réalité où tout s’enchaîne, tout le passé à tout le présent, dans une constante, rigoureuse et subtile logique. — On ne peut nier non plus que, si les faits présentés, si peu alourdis qu’ils soient de complications matérielles, se distinguent des ordinaires accidents ressassés, par une idée, — il en résulte souvent un ensemble capable d’offrir des ressources d’émotion et d’intérêt, mille fois plus puissantes sur le cœur que ne l’ont jamais été sur l’imagination les ficelles du roman à physionomie unilatérale, comme le roman d’aventures, par exemple.
Parfois le droit fournit des sujets à la littérature qui, à son tour, travaille à modifier certains articles du code. […] C’est pourquoi les romanciers et les auteurs dramatiques se sont jetés avec avidité sur ce sujet attendrissant, et en quelques années ils ont prodigué les fictions82 où ils se sont faits les porte-parole de l’Église catholique, des esprits conservateurs ou des cœurs tendres contre la dissolution légale de la famille. […] Comme en pareil cas, les sujets politiques et religieux sont d’ordinaire ceux qu’on lui interdit (on l’a vu sous le premier Empire et sous le second), le livre reprend faveur, parce qu’il est seul admis à traiter certaines questions graves, et le journal pour remplir ses colonnes recourt à cette causerie sur les faits du jour qu’on nomme la chronique, au récit des crimes et des accidents, aux commérages de salon ou de coulisses, aux descriptions de cérémonies, aux feuilletons ; il se fait de la sorte plus littéraire, à condition de se maintenir dans ce que des mécontents ont baptisé dédaigneusement « la littérature facile » ; ou encore il invente, pour toucher aux matières brûlantes, une série d’allusions, de périphrases, de réticences, de malices sournoises qui passent, comme des pointes d’aiguille, à travers les mailles du réseau où la loi s’efforce de l’emprisonner.
On voudrait qu’il se fût un peu plus ressouvenu dans son génie de ce mot de sa mère : « Il n’y a rien de plus grand que quand l’homme se fait sentir dans l’homme. » — On a dit que Goethe aimait peu sa mère, qu’il l’aimait froidement, que, pendant de longues années, séparé d’elle seulement par une quarantaine de lieues, il ne la visita point ; on l’a taxé à ce sujet d’égoïsme et de sécheresse. […] Dans sa noble maison, qui avait au frontispice ce mot : Salve, il exerçait l’hospitalité envers les étrangers, les recevant indistinctement, causant avec eux dans leur langue, faisant servir chacun de sujet à son étude, à sa connaissance, n’ayant d’autre but en toute chose que l’agrandissement de son goût : serein, calme, sans fiel, sans envie. […] » Depuis la mort de la mère de Goethe, Bettina a plus de sujet de se plaindre ; car cette bonne mère connaissait son fils et expliquait à la jeune fille comme quoi l’émotion du poète se retrouvait dans ces quelques lignes légèrement tracées, et qui eussent paru peu de chose venant d’un autre : « Moi, je connais bien Wolfgang (Goethe), disait-elle ; il a écrit ceci le cœur plein d’émotion. » Mais, depuis que Bettina n’a plus cette clairvoyante interprète pour la rassurer, il lui arrive de douter quelquefois.
Il écrivait au jour le jour, volume par volume ; il prenait ses sujets où il pouvait, et partout où il s’en offrait à sa convenance ; il faisait du métier. […] Excellent sujet de morale pratique, on peut dire de Gil Blas qu’il se laisse faire par les choses ; il ne devance pas l’expérience, il la reçoit. […] Quand Laure le fait passer pour son frère et qu’elle le présente sur ce pied à toute la troupe, le respect avec lequel il est reçu par tous, depuis les premiers sujets jusqu’au souffleur, la curiosité et la civilité avec lesquelles on le considère, touchent de près à l’une des prétentions les plus sensibles de ce monde des comédiens d’autrefois : « Il semblait, dit-il, que tous ces gens-là fussent des enfants trouvés qui n’avaient jamais vu de frère. » C’est qu’en effet les comédiens (je parle toujours de ceux d’autrefois), précisément parce qu’ils étaient le plus souvent peu pourvus du côté de la famille, étaient d’autant plus fiers et attentifs quand ils en pouvaient montrer quelques membres comme échantillon.
Il avait de l’esprit, un langage excellent, de la douceur et de l’agrément dans l’intimité, l’habitude de la sagesse et de la soumission ; en un mot, c’était un de ces sujets parfaits de bonne heure, qui ne s’émancipent jamais et ne deviennent pas tout à fait des hommes. […] Louis XIV lui-même s’était déridé une fois, et il avait ri d’un rire naturel à l’une des espiègleries dont cet abbé au nez royal était le sujet. […] Je ne toucherai que deux mots sur ce sujet délicat.
Ce vœu, ce n’est pas d’aller à Jérusalem en pèlerin, mais c’est d’y aller en idée et en poésie, c’est de retracer à sa manière, en une suite de chants, quelques-uns des sujets saints, à peu près, j’imagine, comme M. […] On n’aurait point parlé convenablement de Moreau, si l’on ne rappelait chaque fois à son sujet ces vers délicieux, où il a comme rafraîchi son talent et son âme : S’il est un nom bien doux, fait pour la poésie, Oh ! […] Il a dit dans sa Chanson des prés, en y exprimant toute la douceur de son sujet : Bêlements et mugissements, Là vous me plaisez davantage ; Les airs des pâtres sont charmants Dans la senteur du pâturage.
Il avait rencontré chez Voltaire Vauvenargues, qui, déjà mourant, venait habiter Paris : Marmontel se logea en face de lui, l’assista, l’entretint, recueillit ses leçons, et dans son âme trop mobile, trop sujette aux influences d’alentour, mais foncièrement honnête et droite, il conserva jusqu’à la fin, et à travers tous les philtres qui l’égarèrent, un goût de cette philosophie saine et pure qu’y avait versée l’éloquence de Vauvenargues. […] En jugeant les hommes de lettres et les philosophes de son temps, il les dépouille de cette aigreur et de ce fanatisme dont ils étaient loin d’être exempts sur certains sujets ; il leur prête un peu de sa douceur et de sa propre bonhomie : Ô mes enfants ! […] Il y eut, le 8 mai 1789, dans l’Assemblée générale des électeurs du tiers état de Paris, une dénonciation au sujet d’un arrêt du Conseil qui supprimait le Journal des États généraux publié par Mirabeau-Target qui, pour se populariser, faisait cette dénonciation, demandait la liberté illimitée de la presse.
Hennin à cette lettre, réponse que les éditeurs ont eu le tort de supprimer, on voit cet homme de sens combattre la détermination de Bernardin, et lui représenter qu’il n’y a rien d’humiliant dans l’offre qui lui est faite ; que le premier pas est l’essentiel, et que le reste ne peut manquer de suivre : « Considérez, monsieur, que dans un pays où les sujets manquent, vous auriez été le premier employé. […] Bernardin le montre tel qu’il était en ces années 1772-1776, dans leurs longues promenades et leurs conversations familières sur tous sujets. […] Je n’ai pu toutefois parvenir à fixer le moment précis de la grande crise nerveuse de Bernardin, quand il se montre à nous (préambule de L’Arcadie) frappé d’un mal étrange, sujet à des éclairs qui lui sillonnent la vue, voyant les objets doubles et mouvants, et, dès qu’il rencontrait du monde dans les jardins publics et dans les rues, se croyant entouré d’ennemis et de malveillants.
Volney n’est pas un peintre, c’est un grand dessinateur ; dans ses descriptions de l’Égypte à laquelle il se montre sévère, il lui refuse absolument d’être pittoresque ; après l’avoir tant étudiée, il l’aime peu ; il l’exprime dans tous ses contours et dans sa réalité visible, sans en embrasser la grandeur profonde et sans en pénétrer peut-être le génie ; il n’a pas l’amour de son sujet. […] On a beaucoup parlé, à son sujet, de l’affaire de Corse, de la mission qu’il avait sollicitée du gouvernement auprès du ministre M. de Montmorin dès le mois de décembre 1789, et on lui en a fait un crime. […] Une note de Volney, qui se lit page 102 de la première édition des Ruines et qui n’a pas été reproduite dans les éditions dernières, donne quelques détails à ce sujet, et laisse voir l’esprit de système en même temps que le fonds d’âcreté de l’auteur.
» Cette mystérieuse angoisse le poursuit sans relâche, tinte dans sa mémoire comme un glas, ou le saisit comme un frisson et c’est de même, comme hanté d’incessantes inquiétudes, l’âme malade, toujours émue de sentiments tristes, d’une tristesse à peine causée, que Heine en est venu à ne rendre dans les sujets les plus usuels de sa poésie, que la moitié de mélancolie qu’ils comportent presque tous. […] Par ce pessimisme, il a renouvelé et s’est approprié le sujet. […] Dans ce point morbide de son organisation intellectuelle est la cause des disparates de son œuvre et de chacune de ses œuvres, la raison aussi pour laquelle ce sont les femmes et les jeunes gens qui sont le plus touchés par son génie, la cause de ses douleurs amoureuses si vite oubliées et si variables qu’on n’en connaît pas les objets, de ses gaietés subites, des hauts et des bas de son style, des sujets auxquels il s’est appliqué, de son originalité, qui se résume en l’alliage de tous les contraires.
Il n’y a pas longues années qu’un économiste anglais, homme d’autorité, faisant, à côté des questions sociales, une excursion littéraire, affirmait dans une digression hautaine et sans perdre un instant l’aplomb, ceci : — Shakespeare ne peut vivre parce qu’il a surtout traité des sujets étrangers ou anciens, Hamlet, Othello, Roméo et Juliette, Macbeth, Lear, Jules César, Coriolan, Timon d’Athènes, etc., etc. ; or il n’y a de viable en littérature que les choses d’observation immédiate et les ouvrages faits sur des sujets contemporains. — Que dites-vous de la théorie ? […] Allons plus loin, et puisque cette pensée s’est présentée à nous, généralisons-la utilement, dussions-nous sortir un moment de notre sujet.
Quand il n’y a ni beautés, ni défauts dans une œuvre, qu’au lieu de médiocre, elle est nulle, quand l’artiste n’a pas su lutter avec les difficultés de son sujet et qu’il a été accablé et anéanti par elles, la critique refait à sa manière… elle devient inventive, elle crée15… » Notre époque, où manquent trop les esprits d’ensemble, dans le mépris où l’on tient les idées générales, nous donne, chaque jour, une définition nouvelle de la critique. […] Son Problème du Style, ses Épilogues, qu’ont une force durable, sa Culture des Idées, son Esthétique de la Langue Française ont des grâces saines, un aspect de vérité riante qu’on n’a pas coutume de rencontrer en de tels sujets. […] André Lichtenberger est égal à lui-même dans tous les sujets qu’il traite ; c’est probablement le seul reproche qu’on puisse lui adresser.
Car au lieu de me heurter à des apparences verbales et de m’étonner du Poète qui, affreusement atteint par la guerre, la peignait « fraîche et joyeuse » j’aurais dû me concentrer sur une réalité plus profonde, sur ce trou béant par où, sous les bandages, s’écoulait goutte à goutte une vie encore jeune, si précieuse à tous les amoureux des Lettres… Vers un sujet très personnel, je détournai les fureurs publiques que déchaînaient l’actualité et son admirable interprète. […] Il me remerciait au sujet d’une Anthologie des Poètes nouveauxu où naturellement je lui réservais sa place. […] Il s’exprime à ce sujet dans Paris-Journal, le 14 septembre 1911.
En Amérique il n’a pas voyagé dans les pays qui font le sujet de ses tableaux. […] Lemaître, il devrait parler sur ce sujet avec la compétence d’un Fromentin. […] L’élément décoratif, plastique, des deux sujets est le même. […] Mais le sujet principal du livre de M. […] Le sujet appelait d’ailleurs M.
Le sujet semblait scabreux pour elle. […] Mais, qu’on y réfléchisse, cet enfer est approprié au sujet et renferme une sanglante satire. […] toujours, en fidèle sujet, je travaillerai pour le czar. […] Il prend, quitte et reprend chaque sujet et chaque rôle. […] M. de Latouche me choisissait bien les sujets qui prêtaient un peu au racontage.
Tout cela au sujet d’anciens feuilletons.
L’amour même, et cette bonne chère de bonne compagnie qui entre trop peut-être dans la réputation de Ponchon auprès de ce monde qui côtoie le monde littéraire proprement dit, notre poète ne les célèbre qu’en artiste impeccable, très convaincu de son sujet, mais le dominant, et par conséquent apportant tout le sang-froid désirable dans la confection de ses délicieuses pièces de plaisant déduit et de crevailles.
Cela revient à dire qu’en présence d’une œuvre littéraire se posent toujours deux questions : une question de fait, sur laquelle l’accord peut s’opérer ; une question de goût, sujet d’interminables discussions.
Pour s’en convaincre, Anne d’Autriche, le Cardinal Mazarin, le Chancelier Seguier, le faisoient renfermer dans une chambre, & lui prescrivoient des sujets, qu’il traitoit avec le même agrément que s’ils eussent été prévus à son choix.
de Voltaire, le sujet de leur Mérope sous des personnages différens.
Personne n'a su mieux manier un sujet, le conduire, & le terminer par un dénouement agréable & piquant.
La gradation des souffrances en raison des fautes passées, ces âmes, plus ou moins heureuses, plus ou moins brillantes, selon qu’elles approchent plus ou moins de la double éternité des plaisirs ou des peines, pourraient fournir des sujets touchants au pinceau.
Du milieu de cette foule de bonnes plaisanteries qui lui échappaient sans cesse, jaillissaient encore des réflexions fortes et profondes, que son bon goût avait soin de revêtir toujours d’une sorte de couleur féminine… » Sans trop m’arrêter sur cet ancien portrait de famille placé aux origines de notre sujet, et qui le domine du fond, sans prétendre non plus pénétrer dans le mystère de la transmission des esprits, ne semble-t-il donc pas, presque à la première vue, que de si amples et si vives qualités maternelles aient suffi à se partager dans sa descendance, et à y fructifier en divers sens, comme un riche héritage ? […] Aussi, malgré la bonne disposition du maître et des sujets, les choses se sont-elles passées à peu près comme à l’ordinaire, et, de retour à Madrid, chacun est rentré volontiers dans ses habitudes, les uns reprenant avec leur logement le droit de commander, les autres l’obligation d’obéir247. » Et les réflexions qui suivent sont d’une parfaite et triste justesse : « Au fond, ma sœur, le cérémonial des cours, dont on se plaint souvent, a, ce me semble, quelque chose d’utile et même de moral. […] Je ne fais que courir sur un sujet dont tous ne peuvent juger comme moi, et où les preuves seraient trop longues à produire. […] Cette femme tendre, calme, habituée aux devoirs aimables de la société, s’y contenant, dont l’esprit sérieux et orné n’avait jamais trop songé pourtant à franchir les limites d’un gracieux horizon, la voilà tout d’un coup qui, à l’âge du repos, à ce moment où l’esprit est le plus sujet à s’arrêter, où le cœur se plaint et gémit tout bas des choses qui s’en vont, la voilà qui se ranime au contraire, qui s’excite et sourit à des vues neuves, prend part à de jeunes projets, et, au lieu de tourner le dos à l’avenir, y marche comme au matin, accompagnant ou plutôt précédant son guide bien-aimé : à la voir de loin si active et si légère, on dirait une sœur.
VI D’ailleurs, sur quels sujets convenables la femme ambitieuse de ce bruit écrira-t-elle ? […] Quand je lui dis que je n’y avais été que trois ou quatre fois, elle se récria, me promit que nous irions souvent ensemble à la comédie, ajoutant qu’au retour il faudrait écrire le sujet des pièces et ce qui nous aurait frappées, que c’était son habitude… Ensuite, me dit-elle encore, nous nous écrirons tous les matins. […] Elle était au fait de tout, même des sujets politiques, qui, à cette époque, faisaient déjà un des grands intérêts de la conversation. […] L’Italie les borna aux délices de la poésie et de l’amour, ces consolations des pays esclaves ; la sociabilité française, vice et qualité de la nation, les multiplia et les étendit à tous les sujets, depuis la galanterie et la littérature jusqu’à la politique et à la philosophie.