C’est la société qui a inventé la justice. […] Ce n’est pas très flatteur pour la société humaine. […] Donc, la société est un animal. […] Les sociétés humaines ne sont pas toutes les mêmes, et une société humaine n’est pas toujours la même. […] L’homme est un être intelligent, libre, autonome, et la société… est une société.
Le rhéteur fut le vrai maître de cette société ingénument décadente. […] Le monde, l’individu, l’univers physique, la société ne se perpétuent pas par des phrases, mais par des actes. […] Les sociétés germaniques sont essentiellement réalistes, proches de la terre ; les sociétés latines essentiellement idéalistes, à rebours des réalités. […] Les élans les plus spirituels de la vie d’une société sont étroitement liés à la vie des corps. […] Des sociétés nouvelles s’y édifieront selon un plan nouveau.
Quelle société ! […] C’est dans cette société que l’enthousiaste Wilhelm doit voyager à la poursuite de l’art, de la sagesse et du bonheur. À côté de cette société Goethe, il est vrai, en a placé une seconde de nature plus noble dont les personnages sont chargés d’initier Wilhelm à une vie nouvelle ; mais les personnages de cette société, Jarno, Lothaire, l’abbé, n’ont jamais cherché le vrai et le beau en dehors ou au-delà de la réalité. […] La société est aujourd’hui divisée en deux grandes classes d’hommes : les dégoûtés et les entreprenants. […] Les communautés de moraves sont faites tout simplement à l’image de la société ; chacun y exerce son métier, y vit selon les inclinations de son esprit, s’y marie ou y reste célibataire selon son plaisir : ce sont donc de petites sociétés, mais des sociétés où tous les liens qui rassemblent les hommes sont ramenés à un seul, et où tous les mobiles d’action et d’obéissance sont réduits à un seul.
La doctrine de Voltaire ne peut qu’infecter la société de novateurs, de factieux, d’hommes singuliers, inquiets et turbulents. […] Qu’est-ce qu’une belle tragédie auprès de la vertu et des mœurs, ou, pour me faire mieux entendre, auprès de la tranquillité publique et du bonheur de la société ? […] Rien n’est au contraire si commun, dans la société, que des plaisanteries sur ces grandes sensibilités pour des riens. […] Il n’est peut-être pas de l’intérêt de la société que ces créatures paraissent si intéressantes ; mais on sait qu’un intervalle immense sépare l’intérêt de la société de celui du théâtre. […] Les mœurs philosophiques, le ton des sociétés du dix-huitième siècle, ce tribunal érigé par la soi-disant bonne compagnie, tout cela n’existe plus.
Jean-Jacques, venu dans un siècle et dans un monde énervé et de mœurs factices, s’est épris, par contre-coup de génie, du culte de la nature ; il s’est créé sous ce nom un idéal romanesque qu’il a constamment opposé aux raffinements de la société d’alors. […] Le saint- simonisme, sous ce rapport, a eu l’immense mérite de soulever et de poser avec audace les vraies questions, celles qui ressortent de l’examen réel de la société d’à présent, et bien que ses solutions aient été hasardées et mystiques parfois jusqu’à la folie, il a déchiré le voile d’une fausse pudeur et a montré au christianisme attiédi ce qu’on oubliait trop et ce qu’il fallait guérir. — M.
Si Mme de La Fayette réforma le roman en France, le roman chevaleresque et sentimental, et lui imprima cette nuance particulière qui concilie jusqu’à un certain point l’idéal avec l’observation, on peut dire aussi qu’elle fonda la première un exemple tout à fait illustre de ces attachements durables, décents, légitimes et consacrés dans leur constance101, de tous les jours, de toutes les minutes pendant des années jusqu’à la mort ; qui tenaient aux mœurs de l’ancienne société, qui sont éteints à peu près avec elle, mais qui ne pouvaient naître qu’après cette société établie et perfectionnée, et elle ne le fut que vers ce temps-là. La Princesse de Clèves et son attachement avec M. de La Rochefoucauld, ce sont deux titres presque égaux de Mme de La Fayette à une renommée touchante et sérieuse ; ce sont deux endroits qui marquent la littérature et la société de Louis XIV. […] Dans les sobriquets de société qu’on se donnait, et qui faisaient de Mme Scarron le Dégel, de Colbert le Nord, de M. de Pomponne la Pluie, Mme de La Fayette avait nom le Brouillard : le brouillard se levait quelquefois, et l’on avait des horizons charmants. […] Mme de La Fayette mourante était celle encore dont Mme Scarron, écrivant à Mme de Chantelou sur sa présentation à Mme de Montespan, avait dit en 1666 : « Mme de Thianges me présenta à sa sœur… Je peignis ma misère… sans me ravaler ;… enfin Mme de La Fayette auroit été contente du vrai de mes expressions et de la brièveté de mon récit. » En fait de société aimable et polie, unissant le sérieux et le vrai à la grâce, si j’avais été de M. […] Celle-ci nuisit en un sens à la société polie, comme certains révolutionnaires ont nui à la liberté, en la poussant trop loin et jusqu’aux excès qui appellent la réaction contraire.
ce jour-là l’on vit bien ce qu’est la puissance de l’esprit dans la société française, surtout quand il est relevé par la naissance, et, faut-il le dire ? […] Les personnes de la famille étaient seules admises dans la chambre, mais le salon voisin ne désemplissait pas : « Il y avait là l’élite de la société de Paris. […] C’est un portrait de société, charmant et adouci, mais très peu flatteur au fond. […] J’ai sous les yeux des billets de lui à un ami, à un homme de la société, M. de Giambone56 : il y est plus d’une fois question de travail, du moins pendant la première partie de l’été. […] Villemain, je conçois très bien, par les sentiments et les passions quasi légitimes qui régnaient alors dans toute une partie de la société et de la nation, qu’il ait fait son fameux compliment à l’empereur Alexandre.
Les élégances du monde et de la société s’y joignirent bientôt. […] Elle y revint après plusieurs voyages à travers l’Europe, en 1801, à ce moment de paix et de renaissance brillante de la société et des lettres. […] Il existe peu de méchants ; ceux qui ne sont pas retenus par la conscience le sont par la société ; l’honneur, cette fière et délicate production de la vertu, l’honneur garde les avenues du cœur et repousse les actions viles et basses, comme l’instinct naturel repousse les actions atroces. […] Le succès de Valérie fut prodigieux, en France et en Allemagne, dans la haute société. […] Degérando, elle pénétra, avec l’autorisation du préfet de police, dans la prison de Saint-Lazare, et là elle se trouva en présence de la portion véritablement la plus malade de la société.
Je voulais faire un code en action de la république future, si, comme je n’en doutais déjà plus guère, une république, au moins temporaire, devait recevoir prochainement de la nation et de la société françaises le mandat de la nécessité, le devoir de sauver la patrie après l’écroulement de sa monarchie d’expédient sur la tête de ses auteurs ; que la prochaine république fût au moins girondine au lieu d’être jacobine. […] Car l’autorité est la première nécessité de la société ; la liberté n’en est que la dignité individuelle. […] C’est la plus difficile des libertés à établir consciencieusement, mais c’est la plus sainte et la plus favorable à l’action religieuse sur les sociétés dont l’âme est toujours une foi libre. […] VII Toutes ces tendances exigeaient évidemment, pour être graduellement obéies, un élargissement immense du régime électoral, étroit, privilégié, et par conséquent dangereux à un jour donné pour la société elle-même, qui ne vit que de justice et qui meurt toujours de privilège. […] Une fois les idées progressives admises en pratique dans le gouvernement d’une société bien faite, la monarchie peut être avec logique et avec avantage le lien de ce faisceau d’idées.
La société libre moins que la société tyrannique ne peut se fonder sur des mensonges. […] Ni l’un ni l’autre de ces apologistes des droits de l’homme en société ne comprenaient la portée de ce qu’ils écrivaient ; du moins, ils n’en prévoyaient pas les conséquences. […] La nature semblait avoir créé exprès, et les différents ordres de la société avoir mis en réserve pour cette œuvre, les génies, les caractères et même les vices les plus propres à donner à ce foyer des lumières du temps la grandeur, l’éclat et le mouvement d’un incendie destiné à consumer les débris d’une vieille société, et à en éclairer une nouvelle. […] « S’agit-il de se conserver, de se reproduire, de se développer dans cette espèce de végétation lente et insensible que les peuples ont comme les grands végétaux ; s’agit-il de se maintenir en harmonie avec le milieu européen, de garder ses lois et ses mœurs, de préserver ses traditions, de perpétuer les opinions et les cultes, de garantir les propriétés et le bien-être, de prévenir les troubles, les agitations, les factions : la monarchie est évidemment plus propre à cette fonction qu’aucun autre état de société. […] Il s’appelle des deux noms de la société elle-même : unité et hérédité.
Quant à moi, quoique je voie ces symptômes avec quelque crainte, je ne m’en exagère pas la portée ; je crois notre société solidement assise, par la raison, surtout, qu’on ne saurait, le voulût-on, la placer sur une autre base. […] C’est là, dans cette vallée qu’ont chantée les poètes, au milieu de la société d’amis de son choix, qu’il se recueillit de nouveau, fit son examen de conscience et se dit sans doute qu’il avait assez et trop dépensé de sa vie à des efforts infructueux, à des collaborations politiques sans résultat et sans issue : il résolut de redevenir une dernière fois ce que la nature l’avait surtout prédestiné à être, un observateur historique et un écrivain. […] La grandeur et la singularité du spectacle que présente le monde de nos jours absorbe trop l’attention pour qu’on puisse attacher beaucoup de prix à ces curiosités historiques qui suffisent aux sociétés oisives et érudites. […] Dans cette lettre caractéristique, nous faisons avec Tocqueville tout un voyage autour de ma chambre, une reconnaissance complète de son esprit : « Ce qui aurait le plus d’originalité et ce qui conviendrait le mieux à la nature et aux habitudes de mon intelligence, serait un ensemble de réflexions et d’aperçus sur le temps actuel, un libre jugement sur nos sociétés modernes et la prévision de leur avenir probable. […] Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de cette sorte de confession intellectuelle, la plus curieuse et la plus détaillée que je connaisse : « A cette première manière d’envisager le sujet, poursuis l’auteur, en a succédé dans mon esprit une autre que voici : il ne s’agirait plus d’un long ouvrage, mais d’un livre assez court, un volume peut-être ; je ne ferais plus, à proprement parler, l’histoire de l’Empire, mais un ensemble de réflexions et de jugements sur cette histoire ; j’indiquerais les faits sans doute et j’en suivrais le fil, mais ma principale affaire ne serait pas de les raconter ; j’aurais, surtout, à faire comprendre les principaux, à faire voir les causes diverses qui en sont sorties ; comment l’Empire est venu, comment il a pu s’établir au milieu de la société créée par la Révolution ; quels ont été les moyens dont il s’est servi ; quelle était la nature vraie de l’homme qui l’a fondé ; ce qui a fait son succès, ce qui a fait ses revers ; l’influence passagère et l’influence durable qu’il a exercée sur les destinées du monde, et en particulier sur celles de la France.
Sans doute quelques pèlerins du génie, comme Byron les appelle, viennent encore et jusqu’à la fin se succéderont alentour ; mais la société en masse s’est portée ailleurs et fréquente d’autres lieux. […] Tandis que, dans ses romans postérieurs, il se perd en des espaces de lieu considérables et se prend à des personnages d’outre-mer, qu’il affuble de caractères hybrides et dont la vraisemblance, contestable dès lors, ne supporte pas un coup d’œil aujourd’hui, dans ces Mémoires au contraire il nous retrace en perfection, et sans y songer, les manières et les sentiments de la bonne société vers la fin du règne de Louis XIV. […] Ainsi rétabli dans la vie paisible, et désormais au-dessus du besoin, Prévost, jeune encore, partagea son temps entre la composition de nombreux ouvrages et les soins de la société brillante où il se délassait. […] Jean-Jacques, dont c’était aussi le vœu, mais qui ne s’y tenait pas, eut occasion, à ses débuts, de rencontrer souvent l’abbé Prévost chez leur ami commun Mussard, à Passy ; il en parle dans ses Confessions (partie II, livre VIII), et avec un sentiment de regret pour les moments heureux passés dans une société choisie. Énumérant les amis distingués que s’était faits l’excellent Mussard : « A leur tête, dit-il, je mets l’abbé Prévost, homme très-aimable et très-simple, dont le cœur vivifiait ses écrits dignes de l’immortalité, et qui n’avait rien dans la société du coloris qu’il donnait à ses ouvrages. » Il est permis de croire que l’abbé Prévost avait eu autrefois ce coloris de conversation, mais qu’il l’avait un peu perdu en vieillissant.
Ainsi les Maximes sont comme le testament moral de la société précieuse. […] Cette force d’imagination dans un tempérament froid fait la valeur de la peinture que Mme de Sévigné a tracée de la société de son temps. […] Madame de la Fayette Je rattacherai le roman à l’étude des genres et groupes d’écrits qui appartiennent proprement à la société, polie du xviie siècle, et ne contiennent rien qu’elle n’y ait mis. […] Les érudits bénédictins La plus grande partie de ce chapitre nous fait apercevoir la société polie des salons et de la cour. […] Par les orateurs de la chaire, nous pénétrerons dans la société ecclésiastique.
Qu’on se figure ce qui manquerait à la société moderne si, par l’effet de quelque cataclysme, il ne lui restait que l’Encyclopédie. […] La grande distinction entre la littérature du dix-septième siècle et celle du dix-huitième, l’une s’occupant de l’homme pour perfectionner sa nature morale, l’autre s’occupant de la société pour la rendre plus commode à l’homme, éclate surtout dans l’Encyclopédie. […] « Qui sait, dit gravement Bernardin de Saint-Pierre, si ces carnassiers ne transgressent pas leurs lois naturelles, et ne sont pas comme les assassins dans une société réglée ? […] Mme de la Tour console les tristesses de la petite société par sa théologie douce, en leur parlant, non de Dieu, mais de la Divinité. […] C’est le Chateaubriand d’avant la politique, dans le temps qu’il faisait parler de quelqu’un qui n’était pas Napoléon, de quelque chose qui n’était ni des batailles gagnées, ni des reconstructions de la société civile, et qu’il semblait mener en France le chœur des lettres ressuscitées.
Racontant son passage à Turin et sa présentation à cette cour à l’âge de vingt-sept ans, se plaignant du peu de sociabilité des dames piémontaises, il disait : Les femmes de meilleure société que j’aie rencontrées sont encore les filles du roi. […] Il alla dans le monde, s’accoutuma à la société des femmes et se débarrassa de sa gaucherie primitive. […] Il trouve assez peu de facilité d’abord pour entrer dans la société anglaise, moins ouverte et moins prévenante que celle de Suisse ou que celle de France. […] Durant les saisons qu’il passait à Buriton, résidence de campagne de son père, il dérobait le plus d’heures qu’il pouvait aux devoirs de la société et aux obligations du voisinage : « Je ne touchais jamais un fusil, je montais rarement à cheval ; et mes promenades philosophiques aboutissaient bientôt à un banc à l’ombre, où je m’arrêtais longtemps dans la tranquille occupation de lire ou de méditer. » Le sentiment de la nature champêtre n’est pas étranger à Gibbon ; il y a dans ses Mémoires deux ou trois endroits qui prêtent à la rêverie : le passage que je viens de citer, par exemple, toute cette page qui nous rend un joli tableau de la vie anglaise, posée, réglée, studieuse. […] Il s’est peint, au reste, au vrai et sans flatterie dans son Journal, à cet âge de vingt-cinq ans (mai 1762) : honnête de caractère, vertueux même, incapable d’une action basse, et formé peut-être pour les généreuses ; mais fier, roide, ayant à faire pour être agréable en société ; travaillant sur lui-même avec constance.
Voici une correspondance comme je les aime, qui nous initie à toutes les circonstances et au train journalier d’une société délicate et polie, et qui nous y fait vivre durant des années, en quelques heures de lecture. […] L’abbé Barthélemy, l’hôte des Choiseul, l’ami qui s’est donné une fois pour toutes et que le charme a irrévocablement touché, y gagne aussi et se dessine dans toutes les nuances de son caractère, le plus poli des savants, aimable et estimable, gai et tempéré, bon garçon, tout à tous, vrai trésor de société, ayant des heures pourtant où il regrette sourdement l’indépendance du cabinet et les libres délices de l’étude. […] Elle a des maximes, des principes qui contrastent avec sa date, avec sa jeunesse, avec son air enfant : Défions-nous surtout de ceux qui s’élèvent avec tant d’acharnement contre ce qu’ils nomment les préjugés reçus dans la société. S’ils ont examiné les sociétés, ils verront que les lois n’ont pu prévoir et statuer que sur des choses positives ; elles peuvent être l’effroi des criminels et le frein des crimes, mais les préjugés sont le seul frein des mœurs. […] J’aime les lettres, j’honore ceux qui les professent, mais je ne veux de société avec eux que dans leurs livres, et je ne les trouve bons à voir qu’en portrait.
Homme du monde, du commerce le plus aimable et le plus sûr, il ne considéra jamais la société comme un obstacle à son genre d’esprit et de travail : il y aurait vu plutôt une inspiration. […] En 1801, jeune encore et déjà mûr, il se retrouva tout prêt pour les lettres et la société renaissante. […] Les sujets qui convenaient le plus à ses habitudes et à ses goûts, et dans lesquels il réussissait le mieux, étaient ceux qui avaient trait à la société du xviiie siècle. […] À propos des exactes et sévères critiques qu’elle fait de ses contemporains : Mme Du Deffand, disait M. de Féletz, eût été, sans contredit, un excellent journaliste, quoiqu’un peu amer… Le tableau qu’elle présente de sa société décèle un esprit qui ne voit pas en beau, mais qui voit juste ; un pinceau qui ne flatte pas, mais qui est fidèle ; ses traits malins vous peignent un homme depuis les pieds jusqu’à la tête. […] M. de Féletz, à son heure, était, à proprement parler, le critique de la bonne société.
Au milieu des changements merveilleux qui s’accomplissent et qui inaugurent de toutes parts une ère de paix et de régularité, la littérature ne saurait souffrir : pour peu qu’elle se ressemble à elle-même et à ce qu’elle a été dans les beaux temps, elle aime l’ordre, le travail, une société plus active qu’orageuse, assise et florissante, et qui n’est plus uniquement occupée chaque jour à s’empêcher de périr. […] Ils étaient reconnaissants à l’abbé Barthélemy de tout ce qu’il leur avait appris, en quelques jours de lecture, sur ce monde grec et sur cette société ancienne dont on parlait sans cesse, et où il était donné à bien peu dès lors de pénétrer directement. […] Sans ambition, sans passion violente, entremêlant une libre étude, souvent opiniâtre, à des distractions de société, à des lectures en commun, à de petits concerts, négligé et oublié de son évêque, il vivait ordinairement à Aubagne au sein de sa famille et faisait de temps en temps à Marseille ou à Aix des voyages qui entretenaient ses relations avec les savants du pays. […] Dans un tableau qu’on tracerait de la société et des salons au xviiie siècle, il se présenterait comme le type le plus accompli de l’abbé érudit et mondain, ayant tous les avantages que ce titre suppose, et les payant par ses bons offices et ses agréments. […] Si l’on avait conservé les lettres ou plutôt les gazettes que l’abbé Barthélemy écrivait de Chanteloup à Mme Du Deffand, et où il rendait compte du mouvement de société jour par jour, on aurait de vrais mémoires sur un intérieur du grand monde au xviiie siècle.
7 juin Je ne crois pas que le monde finisse, parce qu’une société périt. […] 5 décembre Devant le feu de la chambre d’en haut, qui sert de fumoir chez la princesse, après dîner, nous nous demandions, avec Berthelot, si la science pure, bellement abstraite, et contemptrice de l’industrialisme, n’est pas, comme l’art, le fait des sociétés aristocratiques. […] dans les sociétés, où, ce rôle est pris par l’argent, il n’y a plus de recrutement pour les carrières de gloire. […] Alors… Puis le nombre et l’inconnu des sociétés scientifiques. Aujourd’hui, j’ai reçu un diplôme de Bethléem, qui me nomme membre de la Société, je sais par le timbre qui porte New-York, que c’est en Amérique, et voilà tout… N’y a-t-il pas des Sociétés en Australie, ayant déjà publié sur l’histoire naturelle, des travaux de la plus grande importance… Un jour il sera impossible de connaître seulement les localités scientifiques… Et la mémoire pourra-t-elle suffire… Pensez-vous qu’à l’heure présente, pour ma partie, il y a, par an, huit cents mémoires dans les trois langues, anglaise, allemande, française !
* * * — Une femme de ma connaissance disait qu’elle croyait pouvoir, sans se tromper, juger assez bien moralement les femmes qu’elle rencontrait dans la société, en les voyant manger : ainsi pour elle, une femme qui mangeait du foie gras, sans pain, était nécessairement une femme sensuelle. […] Cette immense Seine, sur laquelle les mâts des bateaux, qu’on ne voit pas, passent comme dans un fond de théâtre ; ces grands arbres aux formes tourmentées par les vents de la mer ; ce parc en espalier ; cette longue allée-terrasse en plein midi, cette allée péripatéticienne, en font un vrai logis d’homme de lettres — le logis de Flaubert, après avoir été au xviiie siècle, la maison conventuelle d’une société de Bénédictins. […] Il s’arrête un moment, et avec un petit rire sarcastique, qui a l’air de moquer tout ce qui sort d’original de sa bouche, il s’écrie : « Oui cela, je veux le dire dans un livre, qui, sur la constitution des sociétés, serait, toute distance gardée, ce qu’est le livre de Laplace, sur la constitution du ciel ! […] * * * — On parlait aujourd’hui d’une grande dame de la société romaine, qui faisait essayer ses confesseurs par sa femme de chambre. […] * * * — Le vieux peintre Adolphe Leleux fume des cigarettes, qu’il allume encore avec des pierres à fusil, provenant d’un baril de ces pierres qu’il a reçu pour une prise d’armes, quand il faisait partie de la société des Droits de l’Homme.
Balzac disait, dans ses Paysans, au législateur et à la société menacée, pour qu’ils y prissent garde : Voilà le « Robespierre à mille têtes » ! […] Il a chanté pour toute une société de blasphémateurs. […] Richepin en parlant de cet outlaw de toute société et qui s’appelle lui-même un bohème, un sauvage, un barbare ! […] On ne touche pas impunément à Dieu dans une société fortement réglée. Mais la nôtre n’est plus une société, c’est une débandade, et elle n’a plus le droit de poursuivre un livre contre Dieu, quand elle-même ne croit pas à Dieu Elle ne persécutera donc pas Richepin comme l’Angleterre a persécuté Shelley.
Cet état de société plus élémentaire et dès longtemps aboli dans notre Occident, reparaissant aux yeux de l’observateur à l’état actuel et pratique, lui commentait d’une manière vivante, lui expliquait le passé, comme en géologie on s’explique mieux les couches, partout ailleurs ensevelies, en les retrouvant à la surface et non encore recouvertes, telles qu’elles parurent autrefois dans leur règne et à leur véritable époque, en pleine lumière et sous le soleil. […] Dans tout état de société, — qu’il s’agisse de la Russie méridionale et des paysans agriculteurs, chez qui la religion n’empêche sans doute ni l’intempérance, ni la ruse, ni la fraude, ni bien des vices, mais à qui elle inspire un pieux et absolu respect dans les rapports des fils aux parents, « une résignation stoïque dans les souffrances physiques et morales, et, en présence de la mort, une assurance, une sérénité qui a parfois un véritable caractère de grandeur » ; — qu’il s’agisse, tout au contraire, des peuples et des régimes les plus avancés, tels que l’Angleterre, chez qui les hautes classes et les lords peuvent être dissolus à leur aise, mais que gouverne réellement et que maintient avec fermeté, en présence des masses chartistes, l’immense classe bourgeoise ou rurale moyenne, tout imprégnée de la Bible et de la forte moralité qui en découle ; — partout l’élément religieux, sous une forme ou sous une autre, lui a paru essentiel à la durée et à la stabilité des sociétés. […] Il avait passé de l’étude des métaux à celle des hommes ; il passait maintenant de celle-ci au traitement des sociétés : il se préparait à aborder résolument les questions de réforme.
Aussitôt il se sent un homme nouveau, sa vue plane, il ne se laisse pas surcharger de ces Loix inutiles que la sottise ajoute aux Loix nécessaires à la société ; il ne se prépare pas des remords en se créant des devoirs arbitraires(a). […] Mais au sein de la retraite, on l’appelle dans le tourbillon du monde ; ceux qui se livrent aux plaisirs tumultueux veulent avoir le suffrage de la présence ; jettez-vous dans le tourbillon, frivoles Ecrivains, qui pour écrire n’avez pas besoin de penser, vous y perfectionnerez cet esprit léger tout fier d’idées sémillantes, il vous faut des éclairs, il vous faut un langage brillant qui puisse servir de voile à vos connoissances superficielles ; promenez-vous avec la folie, vous n’avez rien à gâter ; mais toi homme de génie qui as sçu méditer, poser des principes, affermir ta marche, & comme d’un tronc fertile, en suivre toutes les conséquences, toi qui vois en grand, garde-toi d’asservir tes mâles talens au goût des Sociétés ; elles corromproient ton éloquence, tes vues hardies & sublimes, ton héroïsme vertueux. […] Oseroit-il approcher, lorsqu’il se trouve en société avec Homére, Tacite & Leibnitz ; il respire leur ame, il s’attendrit ou il s’indigne. […] On entend ici par intolérance ces opinions particulieres, que l’orgueil de quelques hommes voudroient donner pour de Loix générales, & la persécution qu’ils suscitent contre ceux qui n’encensent point des rêveries puériles inutiles à la société.
Si la vie humaine n’avait d’autre horizon que de végéter d’une façon ou d’une autre ; si la société n’était qu’une agrégation d’êtres vivant chacun pour soi et subissant invariablement les mêmes vicissitudes ; s’il ne s’agissait que de naître, de vivre et de mourir d’une manière plus ou moins semblable, le seul parti à prendre serait d’endormir l’humanité et de subir patiemment cette vulgaire monotonie. […] La civilisation, par l’extrême délimitation des droits qu’elle introduit dans la société et par les entraves qu’elle impose à la liberté individuelle, devient à la longue une chaîne fort pénible et ôte beaucoup à l’homme du sentiment vif de son indépendance. […] Comparez l’homme moderne emmailloté de milliers d’articles de loi, ne pouvant faire un pas sans rencontrer un sergent ou une consigne, à Antar, dans son désert, sans autre loi que le feu de sa race, ne dépendant que de lui-même, dans un monde où n’existe aucune idée de pénalité ni de coercition exercée au nom de la société. […] Quelle différence entre chanter un bout de latin qu’on appelle l’Épître et lire en société la correspondance des confrères, entre un morceau de pain bénit qui n’a plus de sens et l’agape des origines ?
Il était lié avec celui-ci, il hantait les Vendôme et la société du Temple. […] Dangeau lui écrivait, à propos d’une lettre à Berwick qu’on trouvait remplie de délicates louanges : « Elles ont été du goût de tous les honnêtes gens qui sont à Marly. » Mais ce genre de vogue ne l’aurait mené qu’à être apprécié de ses amis et des sociétés qu’il égayait, et ne lui aurait pas même procuré une physionomie distincte dans la chronique du temps. […] Il les a faits par gageure de société pour divertir sa sœur, la comtesse de Grammont, et par émulation des Mille et une nuits qui paraissaient alors (1704-1708) ; ils sont remplis d’allusions qui échappent6. […] Je lis dans les Anecdotes littéraires de l’abbé de Voisenon, un mot sur Hamilton, qui aurait besoin d’éclaircissement : « Le comte de Caylus, qui le voyait souvent chez sa mère, dit cet abbé, m’a certifié plus d’une fois qu’il n’était point aimable. » Se peut-il qu’Hamilton n’ait point été aimable en société, et, malgré toutes les attestations du monde, le voudra-t-on croire ?
Le moment n’est pas venu où il doit imposer, à la société dont il sera le maître, le ton de convenance superbe et de décence majestueuse qui nous fait d’ici baisser les yeux. L’espèce de chronique qu’Amédée Renée nous entrouvre ne manque donc ni de vif, ni de risqué, ni même de scandaleux ; mais l’historien se possède si parfaitement qu’il est impossible d’indiquer avec plus de sûreté et moins d’insistance à la fois les vices de cette société, dont la corruption très réelle et très foncée ne nous frappe plus parce que le vermillon effronté de la Régence et du règne de Louis XV l’a décolorée par le contraste. […] Elle ressemblait un peu à cette reine Christine, avec qui elle vivait intimement à Rome : elle aussi subordonna tout à ses désirs et à ses passions ; elle franchit hardiment la dernière barrière qu’une société facile lui opposait encore. […] Nous l’avons dit déjà, nous avons dans ce livre beaucoup plus qu’un Mazarin en famille ; nous avons toute une société retrouvée et saisie en pantoufles et en négligé.