/ 3320
2133. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Ce Vénitien, issu de sang espagnol, qui compte dans sa généalogie force bâtards, religieuses enlevées, poètes latins satiriques, compagnons de Christophe Colomb, secrétaires de cardinaux, et une mère comédienne ; ce jeune abbé, qui débute fraîchement comme Faublas et Chérubin, mais qui bientôt sent l’humeur croisée de Lazarille et de Pantalon bouillonner dans sa veine, qui tente tous les métiers et parle toutes les langues comme Panurge ; dont la vie ressemble à une comédie mi-partie burlesque et mi-partie amoureuse, à un carnaval de son pays qu’interrompt une atroce captivité ; qui va un jour visiter M. de Bonneval à Constantinople, et vient à Paris connaître en passant Voisenon, Fontenelle, Carlin, et être l’écolier du vieux Crébillon ; ce coureur, échappé des Plombs, mort bibliothécaire en un vieux château de Bohême, y a écrit, vers 1797, à l’âge de soixante et douze ans, ses Mémoires en français, et dans le meilleur et le plus facile, dans un français qu’on dirait naturellement contemporain de celui de Bussy. […] Pour qui sait et veut l’amour, il y a quelque chose de profondément triste à voir cette consolation perpétuelle et banale : quand don Juan change si vite, on sent du moins de l’ironie dans ses infidélités.

2134. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Il fait sentir cette impression redoutable, ce frisson glacé qu’éprouve l’homme, alors que, plein de vie, il apprend qu’il va périr. […] On sent que l’horreur qu’il cause doit réagir sur son âme, et la rendre plus atroce encore.

2135. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Charles Baudelaire J’ai dit, je ne sais plus où : « La poésie de Banville représente les belles heures de la vie, c’est-à-dire les heures où l’on se sent heureux de penser et de vivre »… Banville seul, je l’ai déjà dit, est purement, naturellement et volontairement lyrique. […] Joachim Gasquet Mieux que Hugo, Théodore de Banville a senti le rôle orphique du porte-lyre.

2136. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Sans quoi il demeure au livre quelque chose de trop intime, comme d’indiscrétion intellectuelle, en même temps qu’on y sent une tutelle superflue et gênante. […] Le point de départ n’importe pas : il n’est pas senti.

2137. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

D’abord qu’on me montre l’orateur ou l’écrivain qui ait rempli sa mesure, qui ait conscience d’avoir dit tout ce qu’il aurait voulu et pu dire, qui n’ait jamais senti trembler au bout de sa plume ou au bord de ses lèvres une pensée restée inexprimée. […] Les détails patiemment rassemblés de la sorte révèlent des façons habituelles de penser, de sentir et surtout de vouloir, ce qu’on appelle souvent du nom vague de caractère.

2138. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

C’est que ceux qui n’associent aucune idée agréable avec des sons ou des couleurs ne sentent pas le beau. […] Donnez-lui les associations que les imaginations cultivées joignent à ces sons, et il en sentira infailliblement la beauté56. » III Quand l’idée d’une action émanant de nous (cause) s’associe à l’idée d’un plaisir (effet), il se produit un état d’esprit particulier, caractérisé par la tendance à l’action et qu’on appelle proprement motif.

2139. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

En eux seuls l’on sent cet idéal supérieur, ce besoin impérieux qui les unit malgré toutes les dissemblances de manière, malgré les rivalités individuelles et les pousse à une action commune et presque inconsciente pour constituer et imposer un Art grandiose et nouveau. […] Mais ces chemins sont étrangement beaux. — Nous connaissions depuis longtemps déjà Tête d’Or et La Ville ; une version très différente, de ce dernier drame avait paru plus récemment dans Le Mercure ; L’Échange avait paru dans L’Ermitage, l’an passé ; La jeune Fille Violaine et Le Repos du Septième Jour, inédits encore, malgré d’admirables parties, sont moins bons. — Réunis d’un coup en volume, ces cinq drames manifestent un travail et une puissance d’invention considérables. — Aucune analyse, si détaillée soit-elle, ne peut donner aucune idée de ces cinq drames ; ils ne rappellent quoi que ce soit, et l’on est étonné qu’ils existent ; ils semblent palpiter et vivre, avec des organes nouveaux, agiter des bras inconnus, respirer avec des branchies, penser avec les sens, et sentir avec les objets ; — mais ils vivent pourtant ; ils vivent d’une vie rouge et violente, pour étonner, rebuter et exaspérer le grand nombre, pour enthousiasmer quelques-uns. »   La Dame à la Faux de M. 

2140. (1860) Ceci n’est pas un livre « Décentralisation et décentralisateurs » pp. 77-106

Les quatre, qui ont lu les Treize de Balzac, et qui se sentent fort gênés par le cinquième, se réunissent dans un serment d’extermination ; car le cinquième empoche, à lui seul, les dépenses d’admirations et d’applaudissements que font les 80 000 habitants de l’endroit. — Écrasons l’infâme ! […] Il faut que les idées et les mots vivent, que leur pouls batte fort — pour qu’on le sente battre seulement un peu.

2141. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

Il est aussi dans les membres de phrase courts en même temps qu’ils sont sourds, des membres de phrase déprimés du commencement, auxquels s’oppose le membre de phrase final, non pas allègre, mais libre, mais libéré, s’espaçant discrètement, mais s’espaçant et prenant du champ et qui semble comme l’expression du soulagement et de la reprise de la vie dans un sourire : « les yeux des jeunes filles y sont (verts et bleus à la fois) comme ces vertes fontaines où sur un fond d’herbes ondulées se mire le ciel. » Ainsi, en lisant à haute voix, vous vous pénétrez des rythmes qui complètent le sens chez les écrivains qui savent écrire musicalement ; du rythme qui est le sens lui-même en sa profondeur ; du rythme qui, en quelque façon, a précédé la pensée (car il y a trois phases : la pensée en son ensemble, en sa généralité : « Je suis né en Bretagne » — le rythme qui chante dans l’esprit de l’auteur, qui est son émotion elle-même et dans lequel il sent qu’il faut que sa pensée soit coulée — le détail de la pensée qui se coule en effet dans le rythme, s’y adapte, le respecte, ne le froisse pas et le remplit) ; du rythme enfin qui, parce qu’il est le mouvement même de l’âme de l’auteur, est ce qui, plus que tout le reste, vous met comme directement et sans intermédiaire en communication avec son âme. […] Et si vous me dites qu’à faire ainsi, l’on finit par dénaturer le poète, l’on finit par ne plus chercher en lui que le musicien et par ne plus le trouver poète quand il ne fait plus de la musique ; je vous répondrai que, quand on commence à sentir cela, on doit faire taire l’orchestre comme on éteint une lampe ; qu’on doit cesser de lire tout haut et recommencer à lire tout bas et que, de même que pour saisir l’idée et s’en pénétrer on doit d’abord lire tout bas, de même, après avoir assez longtemps lu tout haut, on doit revenir à la lecture intime pour retrouver devant soi l’homme qui pense.

2142. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IX »

L’illusion est naturelle à un esprit nourri de rhétorique classique. » Je ne crois pas seulement que Pascal joue avec les mots ; je crois qu’il joue aussi (dans le meilleur sens) avec sa pensée ; je crois qu’il la change, qu’il la pousse, qu’il la renforce ; et, comme il lui faut des mots pour exprimer ce qu’il sent, je crois, en effet, que sa pensée dépend souvent des mots, mais je crois aussi que ses mots dépendent également de sa pensée et qu’il trouve d’admirables mots par la seule force de sa pensée. […] Il a réalisé spontanément tout ce qu’il a senti, tout ce qu’il a imaginé.

2143. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Jeté par ses folies de jeune homme et les passions d’une époque qui avait aussi ses folies sur le pavé de Paris, ce bitume d’enfer qui fond les fortunes, les caractères et les courages, Gaston de Raousset, même quand il fut le plus ce qu’on appelle un franc jeune homme, ivre de ce pauvre luxe dont il eut bientôt vu la fin, éprouva toujours ces virils tressaillements intérieurs qu’éprouvent les natures héroïques quand elles sentent que l’action leur manque, l’action pour laquelle elles sont faites ! […] Quand ton heure Plaintive aura sonné comme une voix qui pleure, Lorsque tu sentiras plier ton front hardi, Lorsque tu douteras si le ciel t’a maudit, Enfant, rappelle-toi la sorcière espagnole !

2144. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

Vapereau, dont l’honnête désir est d’entrer vraisemblablement à la Revue des Deux Mondes, et qui se sent, parbleu ! […] Cette ressemblance par le bonheur, malgré les différences dans la manière de s’y prendre pour y arriver, entre l’ancien directeur de l’Opéra et le directeur présent de la Revue des Deux Mondes, Véron l’a si bien sentie qu’elle a décidé de sa bienveillance pour Buloz.

2145. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Et nous l’avons dit, nulle fausse honte, nulle pudeur du dix-neuvième siècle n’a arrêté l’historien qui prouve sa science à toutes pages de son livre, mais qui sent qu’elle ne lui suffit pas ! […] On sent que l’enthousiasme de l’auteur pour les Saints ne l’empêche pas de juger fermement les hommes.

2146. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

Lui, dont les yeux sont fins et sûrs, n’a-t-il pas senti que, s’il les avait fixés profondément sur ce qui n’est pas seulement une distinction nominale, faite par la haute sagesse gouvernementale de l’Église, il n’aurait pu s’empêcher de voir, se détachant du fond commun des idées et des phénomènes imputés au Mysticisme, pris dans son acception la plus générale et la plus confuse, un autre mysticisme, ayant ses caractères très déterminés ; l’éclatante réalité, enfin, qui contient la vérité intégrale que la Religion seule met sous les mains de nos esprits, mais dont la Philosophie les détourne ? […] On ne le nommait pas partout par son vrai nom ; mais partout, du moins, il se sentait, et les esprits les plus matériels, les plus attachés aux angles des choses positives, portaient ses invisibles influences, comme on porte une température.

2147. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

Voilà comment il sent et réalise la poésie. […] Sa poésie, quelque nom qu’elle porte : Cariatides, Stalactites, Erato, Sang de la coupe, etc., n’est jamais de la poésie sentie ou pensée ; mais c’est de la poésie peinte ou sonore, et encore plus sonore que peinte.

2148. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

le bas-bleu est bien loin de la femme qui a écrit, par exemple, comme moi je l’écrirais : « Les femmes doivent tout ignorer pour tout apprendre, et tout sentir pour tout deviner. » Le bas-bleu est bien loin quand elle écrit, comme moi aussi je l’écrirais encore : « Le génie et le talent ne sont pas à l’usage des femmes. […] Cependant ils ne rompirent pas ; mais elle, la noble femme, dut sentir qu’il se rompait quelque chose dans son âme… Ce ne fut plus entre eux l’amour, ses enchantements et ses miracles.

2149. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « IX » pp. 33-36

. — Ce rôle a été senti, applaudi, avec une intelligence morale que l’auditoire semblait retrouver après tant d’excès et de fatuités dramatiques dont on l’a rassasié jusqu’au dégoût.

2150. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXIV » pp. 141-143

On sent la fatigue d’imagination qui ne sait qu’inventer et qui renchérit sur le connu.

2151. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Klingsor, Tristan (1874-1966) »

Henri de Régnier Poésie singulière, à la fois galante et funèbre, attifée et naïve, qui sent la marjolaine et le cyprès, mêlée de froissements de soie et de cliquetis d’ossements, chansons qui voltigent sur des drames latents, chansons parfumées d’amour et de mort, charmant et délicieux livre que ces Squelettes fleuris où M. 

2152. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Payen, Louis (1875-1927) »

… Il me semble dans certains poèmes sentir la fugace influence d’André Chénier, d’Albert Samain ou d’Henri de Régnier.

2153. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 358-361

Il sent tout ce qu’il conçoit ; ce qui donne à sa Dialectique une ame & une vie qui en communiquent toute l’activité, soit à l’Auditeur, soit au Lecteur.

2154. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 2-5

Qui ne sentira la beauté de ce morceau, où le Poëte, d’après un des tableaux de l’antichambre du Cardinal de Richelieu, peint la Vérité que le Temps découvre !

2155. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 368-371

Jamais on n’attaqua plus vivement les Philosophes de nos jours, & jamais on ne fit sentir plus finement le ridicule de leur orgueil & de leurs systêmes.

2156. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IX. Du vague des passions. »

L’amertume que cet état de l’âme répand sur la vie est incroyable ; le cœur se retourne et se replie en cent manières, pour employer des forces qu’il sent lui être inutiles.

2157. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre V. Beau côté de l’Histoire moderne. »

Inquiets et volages dans le bonheur, constants et invincibles dans l’adversité, formés pour les arts, civilisés jusqu’à l’excès, durant le calme de l’État ; grossiers et sauvages dans les troubles politiques, flottants comme des vaisseaux sans lest au gré des passions ; à présent dans les cieux, l’instant d’après dans les abîmes enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnaissance, et le second sans en sentir de remords ; ne se souvenant ni de leurs crimes, ni de leurs vertus ; amants pusillanimes de la vie pendant la paix ; prodigues de leurs jours dans les batailles ; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n’est pas eux ; individuellement les plus aimables des hommes, en corps les plus désagréables de tous ; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l’étranger ; tour à tour plus doux, plus innocents que l’agneau, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre : tels furent les Athéniens d’autrefois, et tels sont les Français d’aujourd’hui.

2158. (1767) Salon de 1767 « Sculpture — Allegrain » p. 322

Que de choses que l’on sent et qu’on ne peut rendre !

/ 3320