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303. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Si le poëte n’a pas fait assez, s’il a trop négligé d’élever ou d’achever son monument, cela s’explique encore et doit sembler tout naturel ; c’est qu’un instinct secret lui disait : « La grande place est remplie, l’aïeul la tient. […] Dans ses vers, si les griefs exprimés contre Bonaparte restèrent secrets, les éloges, prodigués tout à côté, ne devinrent pas publics. […] C’est une consolation pour ceux qui jugent les éloges de ses discours exagérés, de les retrouver dans ses poésies, où ils ont certes deux caractères parfaitement nobles, la conviction et le secret. […] La Harpe fit pourtant bonne et courageuse contenance ; il prépara en secret sa pièce des Muses rivales, qui répondait à certaines inculpations, et la fit jouer sans qu’on sût à l’avance qu’elle était de lui. […] Informé de cette réponse, l’Empereur prend feu, et dicte la Note secrète que voici : « Je n’approuve pas les principes énoncés dans la note du ministre de l’intérieur.

304. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Il y a plaisir en tout temps à ces sortes d’études secrètes, et il y aura toujours place pour les productions qu’un sentiment vif et pur en saura tirer. […] Diderot la connut comme voisine, la désira éperdument, se fit agréer d’elle, et l’épousa malgré les remontrances économiques de la mère ; seulement il contracta ce mariage en secret, pour éviter l’opposition de sa propre famille, que trompaient sur son compte de faux rapports. […] Diderot dit que c’était une des plus puissantes affections de l’homme : « Un cœur paternel, repris-je ; non, il n’y a que ceux qui ont été pères qui sachent ce que c’est ; c’est un secret heureusement ignoré, même des enfants. » Puis continuant, j’ajoutai : « Les premières années que je passai à Paris avaient été fort peu réglées ; ma conduite suffisait de reste pour irriter mon père, sans qu’il fût besoin de la lui exagérer. […] Ses goûts, ses mœurs, la tournure secrète de ses idées et de ses désirs ; ce qu’il était dans la maturité de l’âge et de la pensée ; sa sensibilité intarissable au sein des plus arides occupations et sous les paquets d’épreuves de l’Encyclopédie ; ses affectueux retours vers les temps d’autrefois, son amour de la ville natale, de la maison paternelle et des vordes sauvages où s’ébattait son enfance ; son vœu de retraite solitaire, de campagne avec peu d’amis, d’oisiveté entremêlée d’émotions et de lectures ; et puis, au milieu de cette société charmante, à laquelle il se laisse aller tout en la jugeant, les figures sans nombre, gracieuses ou grimaçantes, les épisodes tendres ou bouffons qui ressortent et se croisent dans ses récits ; madame d’Épinay, les boucles de cheveux pendantes, un cordon bleu au front, langoureuse en face de Grimm ; madame d’Aine en camisole, aux prises avec M. 

305. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

» Loué, attaqué, recherché, il se trouva seulement peut-être un peu moins heureux après qu’avant son succès, et regretta sans doute à certains jours d’avoir livré au public une si grande part de son secret. […] Il était religieux, et d’un spiritualisme fermement raisonné, comme en fait foi son chapitre des Esprits forts ; qui, venu le dernier, répond tout ensemble à une beauté secrète de composition, à une précaution ménagée d’avance contre des attaques qui n’ont pas manqué, et à une conviction profonde. […] C’est presque là un secret de procédé qu’il faudrait se garder entre artistes pour ne pas décréditer le métier. […] Je me trompe fort, ou de tels souvenirs domestiques furent un fait capital dans l’expérience secrète et la maturité du penseur.

306. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Phèdre n’avouera qu’à sa nourrice son incestueux amour ; Iphigénie ne divulguera plus les secrets de son frère, et n’aura pas besoin de recommander le silence à tout un chœur de femmes. […] C’était un admirable secret pour imiter de près la nature, et pour éviter la monotonie. […] Ce n’est pas tout à fait sans fondement qu’on reproche aux tragiques français de n’exposer que les résultats matériels d’une conspiration, d’une révolution ; de n’en point laisser voir les causes ; de ne pas pénétrer assez avant dans le secret des intrigues qui préparent ces grands mouvements ; d’être avares enfin de ces détails où réside souvent, en une telle matière, le plus vif et le plus intime intérêt. Ce n’en est pas moins un travers plus inexcusable, de ne rien omettre et de ne rien voiler ; d’amener devant nous des filles de joie pour découvrir des complots, de nous introduire en un mauvais lieu, où un ambassadeur, dans l’ivresse des plus honteux plaisirs, trahira les secrets du roi son maître.

307. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

C’est sans doute d’une pareille chevelure dorée, ensoleillée et lumineuse qu’était coiffé le fils de la muse Calliope, quand cet excellent musicien déménageait les arbres tout venus par un procédé élégant et économique dont il n’a malheureusement pas légué le secret à nos jardiniers actuels. […] S’il a parfois souillé à l’oreille de Ninon des secrets que Ninon elle-même ignorait et qui la firent rougir jusqu’au lobe délicat de ses oreilles, il a dit dans Hespérus la joie du renoncement et annoncé l’Évangile de l’enfance. […] La lyre mystique et fée n’a livré tous ses secrets qu’à M.  […] La langue en est somptueuse, éclatante, un peu précieuse et obscure par endroits ; le vers est toujours d’un maître ouvrier qui possède et manie avec une incomparable habileté tous les secrets du rythme… [Le Temps (31 octobre 1898).]

308. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Les lettres, même de la confidence la plus secrète, étaient communiquées : on en faisait circuler des copies. […] Les caractères abaissés, les influences des cabinets secrets, la servitude des courtisans, les ministres portés au conseil par leur habileté au jeu de billard, les gens de guerre qui ont peur du feu187; une vieille femme qui se rend puissante auprès du maître le plus jaloux, en affectant de ne vouloir que ce qu’il veut ; les fortunes faites par les petits moyens, depuis que les grands sont devenus suspects ; les anecdotes innombrables, depuis que les grandes actions sont devenues rares ; voilà la matière où se plaît Saint-Simon et où il excelle. […] quel scrutateur des motifs secrets ! […] Saint-Simon raconte ce qui ne se voit pas, ou ce qui a peu de témoins : négociations, intrigues, vues secrètes, et non seulement les intentions exprimées par les paroles, mais celles que les paroles servent à déguiser ; les vrais mobiles des actions, non d’après certains lieux communs de morale, mais sur ce qu’il en a surpris ou pénétré ; les passions avec les nuances qu’elles reçoivent des situations et des caractères.

309. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Il possède aussi le secret de la composition, quoiqu’il oublie souvent d’en faire usage ; il sait, quand il le veut, lier les épisodes dans la trame serrée du récit ; il a un dessein qu’il déroule, un but qu’il poursuit, et alors même qu’il se perd trop longtemps au détail des choses communes, il a le triste mérite de ne point ignorer où il va. […] Ces mémoires, ces documents secrets, qui peut-être faisaient défaut à Polybe, M.  […] L’auteur sait les moindres détails de son sujet, il connaît les secrètes pensées des politiques et les combinaisons des chefs d’armée ; il peut vous dire combien il y avait de soldats dans tel bataillon, combien de sénateurs présents aux délibérations des conseils, combien de prêtresses impudiques autour du temple de la déesse. […] Et cependant aujourd’hui même, en secret, dans l’ombre, ils sont pratiqués encore, ces sacrifices exécrables1 ! 

310. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

N’y a-t-il pas, en effet, pour certaines imaginations, un attrait secret et irrésistible à suivre les traces, disparues dans les brumes, d’une renommée qui eut, un moment, sa splendeur ? […] Quand la liste des grandes dames sera épuisée, nous aurons l’histoire de leurs femmes de chambre ; et c’est ainsi que nous passerons nos derniers jours, comme Renaud dans les jardins d’Armide, dans la domesticité secrète et amoureuse de l’histoire ! […] Cousin, qui détaille trois fois ce portrait avec des friandises étranges pour le Salomon de l’Éclectisme, le nez et la bouche de Mme de Hautefort cachent une acidité secrète. […] Tel est surtout le secret de ce nunc dimittis qu’il entonne à la fin de ses consécrations historiques.

311. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Un don secret et précieux retient le vrai talent sur la pente, alors même qu’il est tenté d’y glisser ; il se garde, même en ses entraînements logiques, d’aller aux derniers excès. […] Balthasar Claës cherchait, après les alchimistes, la pierre philosophale, le secret suprême de la matière ; son émule plus moderne se contente de poursuivre la direction des ballons. […] Il a deux filles : la cadette va se marier avec un pharmacien de Clamart ; l’aînée, nature douce et triste, faite pour les sacrifices, aime en secret le prétendu de sa sœur. […] Zola, les lavoirs de Paris n’ont plus de mystères, la profession de zingueur et celle de soudeur en métaux n’ont plus de secrets, comme depuis Le Ventre de Paris l’arrière-boutique du charcutier où l’on fait le boudin, et le sous-sol du coin des Halles où l’on plume la volaille, n’en avaient plus.

312. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

Coppée, en dépit d’un secret penchant à l’imitation, une vraie source de poésie. […] Coppée, un ouvrier singulièrement habile, un artisan consommé qui possède tous les secrets du métier, ce n’est pas trop, en voyant une si parfaite simplicité, que de crier au prodige.

313. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Caro. Le Pessimisme au XIXe siècle » pp. 297-311

Pope aussi était contrefait, mais, pris dans l’étau de son corset de fer, il n’envoya jamais, du fond de cette torture, d’injure à Dieu et de crachat sur la vie, dont Dieu, qui veut qu’on se soumette à sa Providence, a toujours gardé le secret ! […] Caro — cette Apocalypse de la fin du monde et en vue de la préparer, on dit qu’à Berlin, — à Berlin même, — il existe une sorte de société schopenhaueriste qui travaille activement à la propagande de ses idées et qui se reconnaît à certains rites, à certaines formules, quelque chose comme une franc-maçonnerie vouée par des serments et des pratiques secrètes à la destruction de l’amour, de ses illusions et de SES ŒUVRES.

314. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

le surnaturel de leur mission, le surnaturel de leur doctrine, le surnaturel de leurs espérances, voilà le secret de la puissance de ces missionnaires que Rome envoie dans tous les coins de l’univers ! Voilà le secret de la force de cohésion de ce ciment romain qui relie si subitement et si solidement les âmes entre elles, de ce socialisme divin devant lequel tous les socialismes de la terre doivent, un jour ou l’autre, s’avouer vaincus !

315. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gérard Du Boulan »

chercha toujours dans le xviie  siècle, en digne philosophe, ce qui n’y était pas, a écrit, en style oraculaire, cette phrase, qui, comme tous les oracles, ne signifie pas grand’chose : « Alceste est resté le secret du génie de Molière », et cette phrase, lancée par ce vaste et gesticulant étourdi de Cousin, et dont Gérard du Boulan a fait l’épigraphe de son livre, a probablement donné à cet écrivain, que je ne crois pas très connu encore, l’envie de deviner le secret — qui n’existe pas !

316. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jhouney, Alber (1860-1926) »

Il a appris l’art des saintes colères est le secret de ne point rire, même de soi.

317. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Et peut-être en secret que je leur porte envie. […] Rostand traduit avec esprit : Priez donc en secret. […] lève ce secret sous lequel je succombe ! […] Le prêtre est tenu à garder le secret de ce qui lui fut avoué au tribunal de la pénitence : est-il tenu à laisser s’accomplir un crime, quand il le peut empêcher sans trahir ce secret ? […] C’est de s’extasier sur la vérité de ses tragédies, sur son audace, sur sa violence secrète, et sur sa couleur. — Or cela est déjà dans Geoffroy.

318. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Cette pièce ingénieuse nous donne le secret du frivole travail qu’on appelait alors la poésie. […] La haute idée qu’il a de Molière, a-t-on dit, de n’y voir qu’un poète qui a le secret de la rime ! […] Molière et Racine révélaient les secrètes beautés du poème dramatique. […] Il citait volontiers ce dernier vers comme sa devise, indiquant ainsi à la postérité le secret de sa gloire, qui est de s’être cherché le premier parmi tous les poètes de son temps, et de s’être connu. […] Ceux des ouvrages de Boileau auxquels nous avons à demander le secret de leur empire sur tous les bons esprits de notre pays, ont été écrits de vingt-quatre à cinquante ans.

319. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Amaury, admis dans cet intérieur, est bientôt, sur sa bonne mine, associé aux projets du marquis, à ses secrets, à toutes ses espérances royalistes, si ardentes et si folles, unique arsenal du vieux château. […] Il s’en sert comme d’un instrument dont il a été l’inventeur et dont il connaît seul le secret. […] Jacquemont, à aucun titre, n’eût accepté une mission anglaise et secrète. […] Si vous me demandez le secret du comte de Saint-Julien pour arriver ainsi en un tour de roue à la fortune, ce secret est fort simple : ayez de très beaux yeux, des dents blanches, des mains blanches, des cheveux noirs, une blouse de coutil russe, et surtout tâchez de rencontrer sur votre route la princesse de Cavalcanti. […] Saint-Julien n’avait pas le secret de résister à tant de charmes, ni la force de combattre une séduction si puissante ; il devint, comme nous l’avons dit, éperdument amoureux de sa maîtresse.

320. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Mais on sent avec lui quel secret délice est l’humilité. […] Et sa sensibilité, repliée sur soi, secrète, sans confident, dut se faire par là plus profonde et plus délicate. […] Et Andromaque, ayant médité sur la tombe d’Hector, accepte la proposition du vainqueur, avec le secret dessein de se tuer après la cérémonie du mariage. […] Jusqu’aux moindres secrets est d’abord descendue. […] Nous sentons cela, dès la première scène, par l’entretien du vizir avec Osmin, son agent secret.

321. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baour-Lormian, Pierre Marie François Louis (1770-1854) »

Baour-Lormian est un de nos meilleurs versificateurs ; son style n’est cependant remarquable par aucun de ces efforts, aucune de ces tentatives qu’on observe dans celui de la plupart de nos poètes à la mode, tout est naturel et simple dans les vers de M. de Lormian… Le fond sur lequel roulent ces Veillées est bien triste et bien sombre : il ne peut plaire qu’aux âmes sensibles et mélancoliques qui aiment à entendre les Muses soupirer des plaintes sublimes et moduler de tendres regrets ; elles y trouveront, dans de beaux vers, l’expression la plus parfaite des sentiments dont elles se nourrissent, et chériront le poète aimable dont les chants mélodieux s’accordent si bien avec cette voix secrète de douleur qui retentit toujours au-dedans d’elles-mêmes.

322. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vaucaire, Maurice (1866-1918) »

Maurice Vaucaire a fait paraîtra un recueil de poésies sous le titre singulier : Le Panier d’argenterie ; on n’y trouve ni pallier, ni argenterie, mais une suite de délicats petits poèmes sur l’amour, quelques-unes des joies qu’il donne et des plus nombreuses déceptions qu’il cause… Il ne faut voir du poète que ses vers, et ne leur demander ni d’où ils viennent ni où ils vont ; ils ne nous donnent le plus souvent que la moitié d’un secret ; soyons assez discrets pour ne pas exiger l’autre ; leur métier est de nous charmer, et ceux-ci ont fait le leur.

323. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 186-187

Nous ne rapporterons pas le joli Im-promptu qu’il fit à Madame la Duchesse du Maine, qui l’appeloit son Apollon & lui demandoit un secret : La Divinité qui s’amuse, &c.

324. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Je le répète encore, je n’écris que pour m’amuser, et je me fais un plaisir de ne rien cacher de tout ce qui m’est arrivé, pas même de mes plus secrètes pensées. […] Elle n’a pas seulement parlé de ses parents très à la légère et au naturel, elle s’en est pris à tout ce qui l’entourait de sots et d’ennuyeux ; elle a trahi le secret de l’intérieur des petites principautés. […] Frédéric, que sa sœur n’avait pas mis dans le secret de ses motifs particuliers, et gardien non moins jaloux que son père des intérêts de la patrie prussienne, trouva à redire à ce mariage étranger, ainsi qu’à d’autres marques que la cour de Bareith semblait donner, vers ce temps, de son penchant pour l’Autriche, et il en témoigna son mécontentement à sa sœur.

325. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Il faut l’entendre nous expliquer par le menu tout le procédé artificieux et méchant du comte de Frise envers la personne qu’il a gagé de séduire75, ses batteries masquées, ses instances soudaines et ses éclats de grands sentiments, ses lenteurs calculées, les complications qu’il introduit, les jalousies qu’il suscite et toutes les tortures qu’il inflige : J’étais, ose dire Besenval, le confident de ses plus secrètes pensées. […] Un ver secret s’est glissé au cœur ; un venin subtil a rongé la trempe, le ressort principal n’existe plus. […] Sa Majesté, après m’avoir recommandé le plus grand secret sur ce qu’elle allait me confier me raconta que, s’étant trouvé seule avec le baron, il avait commencé par lui dire des choses d’une galanterie qui l’avait jetée dans le plus grand étonnement, et qu’il avait porté le délire jusqu’à se précipiter à ses genoux en lui faisant une déclaration en forme.

326. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

L’amour-propre, s’il est fin, change de ton et de voix ; il a des gémissements et des soupirs ; il se fait inquiet sur le sort de ses frères, sur le danger que courent des âmes fidèles et simples ; il faut, à tout prix, préserver les faibles : et l’amour-propre agit et s’en donne alors en toute sûreté de conscience et, comme on dit, à cœur joie : il accuse l’adversaire, il le dénonce, il le conspue, il le qualifie dans les termes les plus outrageux, les plus humiliants ; et comme il ne veut point cependant paraître, même à ses propres yeux, de l’amour-propre, il se retourne, quand il a fini, et se fait humble aussitôt ; il demande pardon à son semblable d’en avoir agi de la sorte : il n’a voulu que le toucher, le convertir ; on assure même qu’il est de force à lui proposer en secret (après l’avoir insulté en public) de lui donner le baiser de paix et de l’embrasser. […] Chacun, quoi qu’il fasse, y porte son intérêt le plus fin, je veux dire son idéal secret, composé du moi subtilisé, quintessencié, poussé au plus haut degré et au sublime. […] Quant à ce qui est de Mme de Sablé, si l’on consulte les témoignages du temps, il y a éloge et éloge : il y a l’éloge extérieur, banal, convenu ; il y a le jugement secret plus intime.

327. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

En devenant le comte Herman, il a voulu ensevelir le duc Pompée ; il n’en a point parlé et a laissé ignorer à cette idéale jeune femme toute cette vie antérieure qu’il eût souhaité’ abolir ; c’est bon goût à lui de ne s’en être jamais vanté, et un jour qu’elle l’interroge là-dessus avec une curiosité bien naturelle et qu’elle lui reproche tendrement de lui cacher un secret, il répond avec élévation et bon sens : « Dans notre intérêt, je vous supplie de renoncer à une imprudente curiosité. […] Herman va être plus fort contre Pompéa, non à cause d’Isabelle, mais parce qu’il a une préférence actuelle et secrète pour Emma. […] On saurait à quoi s’en tenir sans écouter les calomnies et les noirceurs délatrices qui de tout temps se sont attachées aux agapes secrètes, mais qui alors appelaient à leur aide le geôlier et le bourreau.

328. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

4° La plupart des additions et des rectifications de texte, dans l’édition présente, portent sur la passion secrète que nourrissait Mme Roland, et qui avait pour objet Buzot : elle n’en avait pas fait mystère à son mari ; elle ne crut pas non plus devoir la dissimuler par-devant le public et la postérité. […] En ce qui est de cette veine de sentiments secrets éprouvés par Mme Roland et seulement soupçonnés jusqu’ici, on avait passé par des suppositions successives et des tâtonnements qu’il n’est pas inutile de rappeler. […] Il était difficile, on en conviendra, et à peu près impossible que dans ce groupe brillant, éloquent, qui l’entourait et dont elle était l’âme, Mme Roland ne fît pas un choix ; qu’elle n’eût pas une préférence secrète, un faible.

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