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518. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

Mais celui-là est un caractère essentiellement individuel ; tout homme a un certain timbre de voix qui lui est propre et qui le fait reconnaître aussi bien ou mieux que son visage. […] Elle est donc comme un son très faible, comme un murmure ; ce son n’a rien qui soit propre à éveiller et retenir l’attention, et néanmoins, si faible et si peu varié qu’il soit, nous l’entendons toujours distinctement, car il nous intéresse, et nous avons pris l’habitude de l’écouter. […] Remarquons ici que la sensation essentiellement étendue grâce à laquelle nous localisons les sons ne nous fait jamais défaut pour notre propre parole, car le tactum buccal en est inséparable, mais seulement pour les paroles d’autrui : le parleur peut être invisible. […] Quant à prendre une parole intérieure pour une parole extérieure, c’est là l’illusion propre à toutes les hallucinations de l’ouïe. […] I, § 2, sur Platon, Aristote, etc.] — Dans Marc-Aurèle, les expressions : se dire à soi-même, s’interroger soi-même, sont fréquentes, mais toujours indécises entre le sens propre et le sens métaphorique ; voir, pour la première : II, 1[…] ; VIII, 29 […]; IX 39 ; XI, 19 ; pour la seconde : VIII, 2 ; IX 42 ; X, 12, 29, 37 ; cf.

519. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Or, le caractère propre de la raison, c’est de vouloir se rendre compte de tout. […] L’imagination a ses lois propres. […] N’auraient-ils pas mis le meilleur citoyen de la première au-dessus du meilleur citoyen de la seconde, et n’auraient-ils pas ambitionné pour leurs propres cités la constitution la plus haute et la plus pure en la voyant si bien appliquée ? […] Nous verrons si Molière a toujours gardé la mesure et la délicatesse convenables, et si ses personnages, trop grossiers dans leur comique, n’accentuent pas eux-mêmes à l’excès leurs propres ridicules. […] Ce sont surtout ses fourbes, pourvu qu’ils ne soient pas des monstres de bassesse et d’hypocrisie comme Tartuffe, pourvu qu’ils se contentent de chercher leur propre avantage, sans nuire autrement à leur prochain que d’une manière vénielle.

520. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Ce phénomène est propre au caractère imaginatif. […] La parole intérieure inspirée, propre aux poètes qui croient écrire sous la dictée de la Muse, doit être rattachée à la parole intérieure dramatique. […] Selon les cas, la parole intérieure devenue vive simule ou ma propre voix parlant haut (poésie éolienne, personnelle), ou la haute voix d’un autrui déterminé (prosopopée poétique, poésie dramatique), ou enfin une haute voix absolument impersonnelle, si la vérité parle en moi, c’est-à-dire si le sujet poétique est d’ordre abstrait et général ; c’est dans ce dernier cas surtout qu’il y a lieu d’attribuer l’inspiration à la Muse ou à un dieu de la poésie, comme Apollon. […] Socrate, lui, a toujours distingué les impulsions spontanées, qui seules étaient divines à ses yeux, et les motifs que son esprit concevait ensuite de les trouver raisonnables et divines ; ceci était bien humain, car il y sentait l’effort personnel de son intelligence ; ce qui est divin, c’est l’intuition ; l’acte propre de l’esprit humain, c’est la dialectique laborieuse par laquelle la pensée discursive s’efforce de joindre les idées divines. […] En d’autres termes, un mot, d’abord attaché à un sens spécial, passe à un sens voisin du premier ; il est alors une image, une métaphore, c’est-à-dire qu’il renferme, outre son sens propre, une allusion à son premier sens ; plus tard il se dégagera de ce sens primitif et sa signification redeviendra simple et homogène216.

521. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Le monde en effet, en plus de sa réalité propre, est le produit de nos sens et aussi de notre intelligence. […] Or cette double interprétation varie d’après l’idée que chacun se fait de la vie et le monde change de nuance suivant la projection lumineuse de notre philosophie propre. […] On n’est jamais bon juge de sa propre doctrine ; il appartient aux descendants de la transformer et d’en marquer les points faibles. […] Prisonnier de la fameuse Caverne, il ne perçoit que la projection de son ombre sur le mur de Vie et prend son propre fantôme — son symbole — pour le Réel. […] Mais pour mieux affirmer la volonté de ne présenter ici que de simples linéaments de doctrine, on s’est abstenu de citer des vers et des noms propres.

522. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

C’est la gloire de l’art d’être, pour ainsi dire, le maître de ses propres règles. […] Des noms propres éclairciraient tout ceci, je le sens bien. […] Montaigne, c’est lui-même qui l’a dit, n’en refusait aucune qui lui parût propre à recevoir et à rendre énergiquement sa pensée. […] Ne faut-il pas plutôt relever la littérature à ses propres yeux en lui montrant la grandeur de sa mission nouvelle ? […] Il tombe malade parfois de ses propres excès, mais sa fortune est d’avoir des ennemis.

523. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Avec sa généreuse et facile indulgence, il a favorisé à l’entour ce qu’il importait plutôt de restreindre, et, dans les propres développements de sa riche nature, il est allé, cédant de plus en plus lui-même à ce qu’il eût fallu repousser. […] Ce qui est bon à rappeler, c’est qu’on n’en sort jamais, après tout, qu’avec le fonds d’enjeu qu’on y a apporté, je veux dire avec le talent propre et personnel : le reste était déclamation, appareil d’école, attirail facile à prendre, et que le dernier venu, eût-il moins de talent, portera plus haut en renchérissant sur tous les autres. La plus sûre manière de sortir du raisonnement systématique et de la fougue esthétique est de faire, de s’appliquer à une œuvre particulière ; on y entre avec le système qu’on veut vérifier et illustrer ; mais, si l’on a quelque talent propre, original, ce talent se dégage bientôt à l’œuvre, et, avant la fin, il marche tout seul, il a triomphé.

524. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Je développerai ailleurs cette assertion ; ce qu’il m’importe d’observer maintenant, c’est combien les Grecs étaient propres à répandre les lumières, combien ils excitaient aux travaux nécessaires pour les acquérir. […] Quelquefois ils mettent une erreur à la place de celle qu’ils combattent ; d’autres fois ils conservent une superstition qui leur est propre, en attaquant les dogmes reçus. […] En s’étudiant soi-même, l’on verra que, dans toutes les douleurs de la vie, on est porté à croire les autres plus que ses propres réflexions, à chercher les motifs de ses craintes et de ses espérances ailleurs que dans sa raison.

525. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Cet homme cependant, qui manqua de la force nécessaire pour préserver son pouvoir, et fit douter de son courage, tant qu’il en eut besoin pour repousser ses ennemis ; cet homme, dont l’esprit naturellement incertain et timide, ne sut ni croire à ses propres idées, ni même adopter en entier celle d’un autre ; cet homme s’est montré tout à coup capable de la plus étonnante des résolutions, celle de souffrir et de mourir. […] On peut encore penser, en reconnaissant l’avantage des caractères inspirés par leurs propres penchants, que la dévotion étant d’un effet général et positif, donne des résultats plus semblables et plus certains dans l’association universelle des hommes ; mais d’abord, la dévotion a de grands inconvénients pour les caractères passionnés, et n’en eût-elle point, ce serait, comme je l’ai dit, au nombre des événements heureux, et non des conseils efficaces qu’il serait possible de la classer. […] J’ai donc dû, de toutes les manières, ne pas admettre la religion parmi les ressources qu’on trouve en soi, puisqu’elle est absolument indépendante de notre volonté, puisqu’elle nous soumet et à notre propre imagination, et à celle de tous ceux dont la sainte autorité est reconnue.

526. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVIII » pp. 305-318

Voltaire, qui, à la vérité, avait une bonne raison pour ne pas aimer que l’on décriât les femmes savantes (c’était son attachement pour la marquise du Châtelet), observe fort judicieusement et en homme de l’art, que dans la pièce dont nous parlons, « Molière attaque un ridicule qui semblait peu propre à réjouir ni la cour, ni le peuple à qui ce ridicule paraissait être également étranger, et qu’elle fut reçue d’abord assez froidement. […] De nos jours, des commentateurs ont osé faire ce dont les écrits du temps de Molière se sont abstenus, et ce à quoi la volonté de Molière a été de ne donner ni occasion, ni prétexte ; ils ont pris sur eux d’appliquer des noms propres aux personnages ridicules, même odieux des Femmes savantes. […] Dans la clef qu’on a donnée des Caractères de La Bruyère, sur cent noms propres, il s’en trouve quatre-vingts dont l’auteur n’a jamais entendu parler.

527. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 151-168

Et quelle autre arme est plus propre à déconcerter ces petits Tyrans ? […] Plan, ordonnance, action, caracteres, comique, dialogue, style, versification, tout y annonce un Peintre habile à saisir les nuances du ridicule, & à le présenter dans un jour propre à le faire ressortir. […] Sans avoir la force comique de Moliere, ni la gaieté de Renard, il a plus tiré de son propre fonds que ces deux Poëtes.

528. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 24-41

Notre Poëte a eu l’avantage de s’exercer sur une matiere infiniment riche de son propre fonds, & il a su y répandre toutes les beautés dont elle étoit susceptible. […] Non seulement un Poëme didactique n’offre point de difficultés insurmontables dans la nôtre, mais encore il est très-peu de sujets qui puissent arrêter un Auteur né avec le génie propre à fournir cette carriere. […] Le Peintre habile s’attache à ce qui peut plaire, & écarte avec soin tous les objets qui ne sont propres qu’à défigurer son Ouvrage.

529. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 12, des siecles illustres et de la part que les causes morales ont au progrès des arts » pp. 128-144

Le goût pour les beaux arts, ne vint pas aux romains, tandis qu’ils faisoient dans leur propre païs une guerre, dont tous les évenemens pouvoient être mortels à la republique : puisque l’ennemi pouvoit, s’il gagnoit une bataille, venir camper sur les bords du Tévéron. […] N’est-ce pas contre leur propre conscience qu’ils protestent que le meilleur de leurs ouvrages est précisement celui que le public estime le moins. Mais ils veulent soûtenir le poëme dont la foiblesse a besoin d’appui, en montrant une prédilection affectée pour lui, quand ils abandonnent à leur destinée ceux de leurs ouvrages, qui peuvent se soûtenir avec leurs propres aîles.

530. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Maintenant que je suis abandonné à moi-même, puisqu’il faut que je rentre dans l’appréciation de l’époque actuelle, maintenant je ne puis avoir la même confiance en mes propres idées, et plus de circonspection m’est devenue nécessaire. […] Ils n’ont pas fait attention que ce qui avait été fondé au commencement continuait d’exister par son énergie propre, et non point par une impulsion sans cesse renouvelée. […] Dès lors ce qu’il y avait d’essentiel et de subsistant par son énergie propre a cédé la place aux signes variables et plus ou moins arbitraires ; dès lors le génie individuel a remplacé le génie général ; dès lors les impressions ont été reçues par un plus ou moins grand nombre, mais n’ont pas été reçues par tous ; dès lors enfin l’art est venu au secours de la nature.

531. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

sa propre ambition. […] Ne voulant pas rentrer à Paris après la déchéance du roi, au service d’une faction qui débutait par un assaut au palais et par un emprisonnement du monarque, ne voulant pas non plus rester en Angleterre, en butte aux animadversions suscitées par M. de Chauvelin, M. de Talleyrand, diplomate pour son propre compte, passa aux États-Unis d’Amérique. […] M. de Talleyrand, lié de jeunesse avec les diplomates des grands cabinets en lutte avec la France anarchiste, était l’interprète le plus propre à faire entendre à ces cabinets, lassés d’efforts, de défaites, et même de victoires, des insinuations de paix. […] Il met un obstacle invincible à l’unité de l’Allemagne, qui serait la décadence ou l’état de guerre perpétuel de la France pour son propre sol. […] Mais nous reconnaissons cependant que M. de Talleyrand pouvait se dire que Napoléon n’était plus le souverain légal de la France ; qu’il avait violé, en rentrant à main armée en France, sa propre abdication ; que son seul titre désormais était son invasion ; que la France n’était plus qu’un pays conquis par sa propre armée sous la conduite d’un envahisseur héroïque, et que la vaincre, c’était la délivrer.

532. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Il en pullule là-bas de ces libretti du crime, dont les échantillons les plus poussés ont réalisé des chiffres de tirage vraiment fantastiques et propres à rendre rêveurs nos spécialistes de cours d’assises. […] Quel spectacle émouvant et propre à réveiller dans l’imagination l’idée de cette éternelle fraternité de l’amour et de la mort, objet de tant de plaintes poétiques ! […] Mais que ce thème est fertile et qu’il nous serait aisé de l’enrichir indéfiniment de nos propres observations ! […] Ce qui ne doit pas nous surprendre ; car on sait que nos auteurs de noble étage aiment assez à pratiquer pour leur propre satisfaction les élégances d’un luxe dont ils ont si souvent l’occasion de dépeindre l’en-dehors. […] Le problème n’est ni plus ni moins que ce problème redoutable : la démocratie deviendra-t-elle une réalité par l’existence d’un peuple vraiment libre qui élève ses propres besoins en élevant son intelligence et sa volonté ?

533. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Je ne doute point en conséquence, que si les hommes vivaient séparés, et pouvaient s’occuper dans cet état d’un autre objet que de leur propre conservation, ils ne préférassent l’étude des sciences qu’on appelle exactes à la culture des sciences agréables ; c’est pour les autres principalement qu’on se livre à celles-ci, et c’est pour soi qu’on étudie les premières. […] On conclurait naturellement de ces réflexions que le désir de la réputation, quelque naturel qu’il soit aux hommes, est assez propre à humilier, quand on l’envisage avec des yeux philosophiques. […] Sensible au sort de ces âmes neuves, et par conséquent si propres à recevoir les impressions du beau, du grand et du vrai, il n’aurait que trop d’occasion de répéter à leurs maîtres cette maxime jusqu’à présent appliquée aux mœurs seules, que l’enfance ne saurait être trop respectée. […] Ces différentes classes ainsi formées, et chacune n’ayant rien à démêler avec ses voisines ; si on n’est pas toujours équitablement jugé dans sa propre classe, on l’est au moins à peu près dans toutes les classes supérieures et inférieures. […] Je ne puis me dispenser de rapporter à cette occasion une anecdote bien propre à faire connaître le caractère et l’injustice des hommes dont je parle.

534. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Les hiéroglyphes furent l’écriture propre à cette langue imparfaite, loin qu’ils aient été inventés par les philosophes pour y cacher les mystères d’une sagesse profonde. […] La langue héroïque employa pour noms communs des noms propres ou des noms de peuples. […] Cette tendance des hommes à placer des types idéaux sous des noms propres, a rempli de difficultés et de contradictions apparentes les commencements de l’histoire. […] L’histoire romaine nous le confirme : les plébéiens combattaient pour l’intérêt des nobles, à leurs propres dépens, et ceux-ci les ruinaient par l’usure, les enfermaient dans leurs cachots particuliers, les déchiraient de coups de fouets. […] Enfin ses forces diminuant tous les jours, il resta quatorze mois sans parler et sans reconnaître ses propres enfants.

535. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

que l’âme humaine hurle sous vos pieds, dans vos bras étreignants et convulsés, dans votre propre cœur déchiqueté par le vautour de l’Inspiration. […] Barbey d’Aurevilly dit bonsoir à la gloire et nargue le succès et c’est comme cela qu’il résout la question pour son propre compte. […] C’est à croire que l’auteur de la fille Élisa est devenu son propre séide et qu’il s’assied sur ses propres genoux pour se féliciter lui-même d’avoir pris un pseudonyme. […] On ne fit rien de propre et, le lendemain, c’était à recommencer. […] Il chanta des vers de Baudelaire et quelques-uns de ses propres vers.

536. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

En ce moment, Bernis en était venu lui-même à un état tout à fait maladif, à une exaltation nerveuse réelle, infiniment honorable dans son principe, mais qui devait le rendre médiocrement propre au rôle qu’au fond il n’ambitionne même plus : « Ne parlez plus de moi pour la première influence, écrit-il d’un ton sincère à Choiseul ; vous me faites tort ; j’ai l’air de vous pousser et de n’être qu’un ambitieux, lorsque je ne suis que citoyen et homme de bon sens. » Dès août 1758, il s’ouvre nettement à Choiseul pour lui offrir sa succession : Réfléchissez mûrement sur une idée que j’ai depuis longtemps : je crois que vous seriez plus propre que moi aux Affaires étrangères en les considérant sous le point de vue de l’alliance. […] Avec cela, il continua d’y mêler sa chimère, laquelle consistait à rester dans le Conseil après avoir résigné son portefeuille à M. de Choiseul, à chercher à compléter le nouveau ministre et à se laisser compléter par lui : « Il peut se concerter avec moi, j’ai des choses qu’il n’a pas, il en a qui me manquent : tout cela ensemble ne peut produire qu’un bon effet. » Louis XV mécontent ne répondit pas sur cet article : il consentit à la démission de Bernis en faveur de M. de Choiseul par une lettre datée de Versailles (9 octobre 1758), qui commence ainsi : « Je suis fâché, monsieur l’abbé-comte, que les affaires dont je vous charge affectent votre santé au point de ne pouvoir plus soutenir le poids du travail… » Il y marquait nettement son système personnel en ces mots : « Je consens à regret que vous remettiez les Affaires étrangères entre les mains du duc de Choiseul, que je pense être le seul en ce moment qui y soit propre, ne voulant absolument pas changer le système que j’ai adopté, ni même qu’on m’en parle. » Choiseul n’avait plus qu’à arriver de Vienne. […] Et en même temps on sort de cette lecture plus disposé à rendre justice à M. de Choiseul qui, d’une situation si compromise et si perdue en réalité, sut tirer des résultats assez spécieux, assez brillants, pour jeter un voile sur la décadence et pour relever la nation à ses propres yeux, en attendant qu’elle se régénérât décidément à travers les orages et qu’elle entrât, désormais vaillante et rajeunie (mais toujours selon l’esprit des chefs qui la guident), dans l’ordre de ses destinées nouvelles. […] [NdA] Saint-Médard, d’après les propres chiffres de Bernis, rapportait 30 000 livres de rentes net ; Trois-Fontaines lui rapportait 50 000 livres net.

537. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

La Normandie est une province qui, de tout temps et dès qu’elle s’est senti un passé, s’est volontiers occupée de ses antiquités et de ses grands hommes : elle n’a cessé de vivre d’une sorte de vie qui lui est propre et qui ne la rend que plus française. […] Sa verve même, quand elle lui vient, se combine avec une certaine habitude raisonnable qui est le propre de la race française en poésie, et qu’il a contribué à fortifier, jusque dans les familiarités et les inélégances de sa conversation, il avait cela du poète que, s’il parlait peu, « il ne disait mot qui ne portât ». […] Il y a pourtant entre la pièce d’Horace et celle de Racan des différences de ton et de sentiment qui laissent à cette dernière son caractère tout à fait particulier et son charme propre. […] Maynard, en sondant cette fois dans son propre cœur, a su y trouver des accents de vrai poète et d’une élévation inaccoutumée :         La Cour méprise ton encens :         Ton rival monte, et tu descends, Et dans le cabinet le favori te joue. […]     Tu vois de près ta dernière saison ; Tout le monde connaît ton nom et ton visage, Et tu n’es pas connu de ta propre raison.

538. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Il a confessé ce sentiment avec une vive énergie ; c’est au moment où, ses études de droit terminées, et se sentant homme déjà, il rentre dans sa famille et s’y retrouve traité un peu en enfant : Sans existence propre, dit-il, je vis que, quelle que fût la tendresse de mon père pour moi, je ne paraîtrais jamais, ou du moins de longtemps, dans les sociétés qui pouvaient un peu fixer mon ambition, que sous l’ombre de ce même père qui m’y présentait. […] En novembre 1788, sous le titre : De la députation aux États généraux, il publiait une brochure où il exposait ses principes, et où l’on trouve le type de toutes les opinions qu’il allait professer à l’Assemblée : Je m’étais fait, disait-il après des années en se jugeant lui-même, une théorie de l’État social bien ordonné, d’après les écrits philosophiques les plus accrédités alors, et d’après mes propres réflexions. […] On lui fournissait des notes, et le compte rendu qu’il faisait et qu’il signait était mêlé de ses propres réflexions. […] Il suivra encore une fois Sieyès dans ses évolutions principales, mais il le suivra de son propre mouvement, par ses raisons propres et sans servilité.

539. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

Mais le journal que l’abbé Le Dieu s’est avisé de tenir durant des années, et qu’il a commencé quatre ans environ avant la mort de Bossuet pour le poursuivre presque jusqu’à l’époque de sa propre mort (1699-1713), est d’un caractère tout différent, et j’ai peine à ne pas regretter qu’il ait été publié in extenso : car il ne fait honneur à personne. […] En paraissant attaché à Bossuet, il ne poursuivait que son propre intérêt et celui des siens. […] Les parquets étaient partout frottés et luisants, les vitres claires et nettes, les meubles propres. […] Nous étions quatorze à table, et le soir seize… La table fut servie magnifiquement et délicatement : plusieurs potages, de bon bœuf et de bon mouton, des entrées et ragoûts de toute sorte, un grand rôti, des perdreaux et autre gibier, en quantité et de toute façon ; un magnifique fruit, des pêches et des raisins exquis quoique en Flandre, des poires des meilleures espèces, et toutes sortes de compotesv ; de bon vin rouge, point de bière ; le linge propre, le pain très bon, une grande quantité de vaisselle d’argent bien pesante et à la mode. […] Cette maison est « la plus neuve, la plus propre et la mieux tournée de tout le cloître ». — Il nous explique comment il a pu une fois s’enrhumer en voyage.

540. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

. — Quelques années après, il avait changé et s’était transformé encore, il était dans sa troisième et dernière phase, et son journal se termine par cette parole qui est un désaveu de la précédente et qui semble indiquer l’entrée définitive dans une autre sphère : Le stoïcien est seul, ou avec sa conscience de force propre le trompe ; le chrétien ne marche qu’en présence de Dieu et avec Dieu, par le médiateur qu’il a pris pour guide et compagnon de sa vie présente et future. […] Maine de Biran reste toujours au seuil de son étonnement, si je puis dire ; il y revient sans cesse ; il y fait un pas en avant, un autre en arrière, et durant trente ans il ne le franchit pas : Comment ne pas être sans cesse ramené, écrivait-il en 1823, au grand mystère de sa propre existence par l’étonnement même qu’il cause à tout être pensant ? […] C’est, ce semble, une grande patience de rouler ainsi le rocher de Sisyphe… Mon état physique et moral, dont je suis toujours plus mécontent, est une croix intérieure, près de laquelle toutes les croix extérieures ne sont rien. » Un jour qu’il est chargé d’un rapport sur les pétitions, ce qui n’est jamais très inspirateur, il s’écrie, pensant bientôt à tout autre chose et à ses difficultés dans tous les genres de travaux : « Je m’ennuie de mes propres idées ; je ne suis satisfait d’aucune de celles qui se présentent ; j’efface à mesure que j’écris. […] C’est une vraie misère de vivre sur la terre. » Il a besoin d’un secours extérieur encore, mais, cette fois, de ce secours invisible qui opère par la grâce et moyennant le canal de la prière. « La plus fâcheuse des dispositions, dit-il, est celle de l’homme qui, se méfiant de lui-même au plus haut degré, ne s’appuie pas sur une force supérieure et ne se livre à aucune inspiration ; il est condamné à être nul aux yeux des hommes comme à ses propres yeux. » Il connaissait bien cet homme-là. […] [1re éd.] comme produit de leur activité propre

541. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

La jeune Phlipon, dans son avidité de savoir, dans son instinct de talent, lit toutes sortes d’auteurs, s’en rend compte, en fait des extraits, et s’en entretient, non sans étude, avec son amie : « Car, dit-elle très-judicieusement, on n’apprend jamais rien quand on ne fait que lire ; il faut extraire et tourner, pour ainsi dire, en sa propre substance, les choses que l’on veut conserver, en se pénétrant de leur essence. » Esprit ferme et rare, chez qui tout venait de nature, même l’éducation qu’elle s’est donnée ! […] C’est à deux lettres de distance de la précédente qu’elle parle si joliment de la vie prosaïque qu’elle mène à Vincennes, chez son oncle le chanoine, entre outes ces figures de lutrin : « Tandis qu’un bon chanoine en lunettes fait résonner sa vieille basse sous un archet tremblotant, moi je râcle du violon ; un second chanoine nous accompagne avec une flûte glapissante, et voilà un concert propre à faire fuir tous les chats. […] Elle raconte et confesse, en fort bon style didactique, ses propres luttes épineuses sur l’article de la vanité : « Voilà, ma bonne amie, une peinture ingénue des révolutions dont mon cœur fut le théâtre !  […] Et quel est donc l’auteur de Mémoires qui pourrait supporter, d’un bout à l’autre, l’exacte confrontation avec ses propres Correspondances contemporaines des impressions racontées ? […] Dans toute cette partie finale et déjà bien grave de la Correspondance, au milieu des vicissitudes domestiques et des malheurs qui assiégent l’existence de celle qui n’est déjà plus une jeune fille, il ressort pourtant une qualité qu’on ne saurait assez louer ; un je ne sais quoi de sain, de probe et de vaillant, émane de ces pages ; agir, avant tout, agir : « Il est très-vrai, aime-t-elle à le répéter, que le principe du bien réside uniquement dans cette activité précieuse qui nous arrache au néant et nous rend propres à tout. » De cet amour du travail qu’elle pratique, découlent pour elle estime, vertu, bonheur, toutes choses dans lesquelles elle a su vivre, et qui ne lui ont pas fait faute même à l’heure de mourir.

542. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Il faut, pour bien comprendre ce qu’est le progrès, rechercher, indépendamment de notre intérêt propre, quelle est la nature des changements qui le produisent. […] A s’en tenir aux opinions courantes, la science est considérée comme un mode de connaissance à part, sui generis, placée dans une région presque inaccessible, ayant des procédés de recherche qui lui sont propres, totalement étrangère (sauf dans ses applications) aux raisonnements et habitudes d’esprit de la vie commune. […] Le processus de classification, par un progrès qui lui est propre, tend vers la ressemblance complète ou égalité ; quand elle l’a atteinte la science est devenue quantitative. […] Comment passons-nous de la perception vague de l’égalité à la perception exacte propre à la science ? […] De là vient que si nous voulons juger deux nuances de couleur, nous les plaçons côte à côte, que si nous voulons estimer deux poids, nous en prenons un dans chaque main, et que nous comparons leur pression, en faisant passer rapidement notre pensée de l’un à l’autre : et, « comme de toutes les grandeurs, celles d’étendue linéaire sont celles dont l’égalité peut être le plus exactement connue, il en résulte que c’est à celles-là qu’on doit réduire toutes les autres. » Car c’est le propre de l’étendue linéaire, que seule elle permet la juxtaposition absolue, ou pour mieux dire, la coïncidence, comme il arrive pour deux lignes mathématiques égales ; l’égalité devenant alors identité.

543. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Dans les commencements de sa liaison avec Grimm, s’ennuyant de lui pendant une campagne qu’il faisait en Westphalie à la suite du maréchal d’Estrées (1757), excitée par les lectures qu’elle entendait, vers le même temps, des lettres de La Nouvelle Héloïse, elle eut l’idée d’écrire, elle aussi, une sorte de roman qui fut l’histoire de sa propre vie, et où elle ne ferait que déguiser les noms. […] Leur originalité propre consiste dans l’expression naïve et nue des autres caractères ; dans le caractère de Mlle d’Ette, cette peste domestique ; dans celui de Duclos, son digne pendant, tel qu’il se révèle ici ; dans les confidences de Mme de Jully, confessant crûment à sa belle-sœur son amour pour le chanteur Jélyotte, et lui demandant service pour service. […] La jeune Émilie, nouvellement relevée de couches, triste des infidélités de son mari, le méprisant déjà et en ayant le droit, ayant vu l’aimable Francueil et s’y intéressant vaguement, n’ose encore pourtant se déclarer, et ne voit son propre désir qu’à travers un nuage. […] lui dis-je, j’ignore moi-même ce que je pense. » Et la jeune femme expose les contradictions de son propre cœur ; qu’il y a déjà longtemps qu’elle se croyait détachée de son mari et parfaitement indifférente, et pourtant qu’elle ne peut penser à lui sans verser des larmes, et qu’elle redoute par moments son retour, presque comme si elle le haïssait. […] Il était temps : aux prises avec cette odieuse Mlle d’Ette, avec cet indigne Duclos, avec un mari plus extravagant que jamais, et qui entraînait Francueil dans ses propres dissipations et extravagances, Mme d’Épinay avait affaire à trop forte partie, et sa frêle organisation allait fléchir.

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