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717. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre III. Massillon. »

si tout meurt avec nous, les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles ; l’honneur qu’on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu’il est ridicule d’honorer ce qui n’est plus ; la religion des tombeaux, une illusion vulgaire ; les cendres de nos pères et de nos amis, une vile poussière qu’il faut jeter au vent, et qui n’appartient à personne ; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d’une machine qui se dissout ; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée ; les rois et les souverains, des fantômes que la faiblesse des peuples a élevés ; la justice, une usurpation sur la liberté des hommes ; la loi des mariages, un vain scrupule ; la pudeur, un préjugé ; l’honneur et la probité, des chimères ; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature, et des noms que la politique des législateurs a inventés. […] Convenez de leurs maximes, et l’univers entier retombe dans un affreux chaos ; et tout est confondu sur la terre ; et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées ; et les lois les plus inviolables de la société s’évanouissent ; et la discipline des mœurs périt ; et le gouvernement des États et des Empires n’a plus de règle ; et toute l’harmonie des corps politiques s’écroule ; et le genre humain n’est plus qu’un assemblage d’insensés, de barbares, de fourbes, de dénaturés, qui n’ont plus d’autres lois que la force, plus d’autre frein que leurs passions et la crainte de l’autorité, plus d’autre lien que l’irréligion et l’indépendance, plus d’autres dieux qu’eux-mêmes : voilà le monde des impies ; et si ce plan de république vous plaît, formez, si vous le pouvez, une société de ces hommes monstrueux : tout ce qui nous reste à vous dire, c’est que vous êtes dignes d’y occuper une place. » Que l’on compare Cicéron à Massillon, Bossuet à Démosthène, et l’on trouvera toujours entre leur éloquence les différences que nous avons indiquées ; dans les orateurs chrétiens, un ordre d’idées plus général, une connaissance du cœur humain plus profonde, une chaîne de raisonnements plus claire, enfin une éloquence religieuse et triste, ignorée de l’antiquité.

718. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

En tout temps et en tout pays, il suffit qu’un changement considérable s’introduise dans la conception de la nature humaine, pour que, par contre-coup, on voie aussitôt l’utopie et la découverte germer sur les territoires de la politique et de la religion  Mais cela ne suffit pas pour que la doctrine nouvelle se propage, ni surtout pour que, de la spéculation, elle passe à l’application. […] L’ambassadeur américain455, homme pratique, explique à Washington avec une ironie grave la jolie parade académique et littéraire qui précède le tournoi politique et public. « Les discours sont lus d’avance dans une petite société de jeunes gens et de femmes, au nombre desquelles se trouve ordinairement la belle amie de l’orateur ou la belle dont il désire faire son amie ; et la société accorde très poliment son approbation, à moins que la dame qui donne le ton au petit cercle ne trouve à blâmer quelque chose, ce qui naturellement conduit l’auteur à remanier son œuvre, je ne dis pas l’améliorer. » Rien d’étonnant si, parmi de pareilles mœurs, les philosophes de profession deviennent des hommes du monde. Jamais et nulle part ils ne l’ont été si habituellement et au même degré. « Pour un homme de science et de génie, dit un voyageur anglais, ici le principal plaisir est de régner dans le cercle brillant des gens à la mode456. » Tandis qu’en Angleterre ils s’enterrent morosement dans leurs livres, vivent entre eux et ne figurent dans la société qu’à la condition de « faire une corvée politique », celle de journaliste ou de pamphlétaire au service d’un parti, en France, tous les soirs, ils soupent en ville, et sont l’ornement, l’amusement des salons où ils vont causer457. […] Car, dans toute question générale, il y a quelque notion capitale et simple de laquelle le reste dépend, celles d’unité, de mesure, de masse, de mouvement en mathématiques, celles d’organe, de fonction, de vie en physiologie, celles de sensation, de peine, de plaisir, de désir en psychologie, celles d’utilité, de contrat, de loi en politique et en morale, celles d’avances, de produit, de valeur, d’échange en économie politique, et de même dans les autres sciences, toutes notions tirées de l’expérience courante, d’où il suit qu’en faisant appel à l’expérience ordinaire, au moyen de quelques exemples familiers, avec des historiettes, des anecdotes, de petits récits qui peuvent être agréables, on peut reformer ces notions et les préciser. […] Dans quels bas-fonds de garde-robe la politique et la religion vont-elles cacher leur linge sale   De tout cela il faut rire pour ne pas pleurer, et encore, sous ce rire, il y a des larmes ; il finit en ricanement ; il recouvre la tristesse profonde, la pitié douloureuse.

719. (1772) Éloge de Racine pp. -

Dans nos gouvernemens modernes, il est de l’ordre politique que le pouvoir suprême, qui maintient tout, soit la première des grandeurs, que l’ambition des hommes de talent soit d’attirer les regards des hommes d’état, que la gloire du génie soit d’être distingué par le souverain, et d’obtenir des récompenses de celui qui seul les distribue à tous les genres de mérite, et qui a le plus d’intérêt à les encourager. […] J’en développerai les raisons et les preuves : je les trouverai dans l’amour-propre et les intérêts de la médiocrité ; dans cet esprit des sectes littéraires, qui, comme toutes les autres, ont leur politique et leur secret ; enfin dans le petit nombre des hommes doués de ce sens exquis qu’on appelle le goût. […] Il vit que des conversations politiques n’étaient pas la tragédie. […] Les ennemis de Racine, pour se consoler du succès d’ Andromaque , avaient dit que l’auteur savait en effet traiter l’amour, mais que c’était là tout son talent ; que d’ailleurs il ne saurait jamais dessiner des caractères fiers et vigoureux, tels que ceux de Corneille, ni traiter comme lui la politique des cours. […] Que de vraie politique sans affectation de politique !

720. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Ainsi de trois vices, l’orgueil féroce, l’avarice, l’ambition, qui égarent tout le genre humain, elle tire le métier de la guerre, le commerce, la politique (la corte), dans lesquels se forment le courage, l’opulence, la sagesse de l’homme d’état. […] Cet état dont, selon l’opinion unanime des politiques, sortirent les peuples et les cités, l’histoire profane n’en fait point mention, ou en dit à peine quelques mots confus. […] Cette origine des sociétés sera prouvée par le fait ; mais quand elle ne serait qu’une hypothèse, elle est si simple et si naturelle, tant de phénomènes politiques s’y rapportent d’eux-mêmes, comme à leur cause, qu’il faudrait encore l’admettre comme vraie. […] Dans un passage remarquable de sa Politique, où il énumère les diverses sortes de gouvernements, Aristote fait mention de la royauté héroïque, où les rois, chefs de la religion, administraient la justice au-dedans, et conduisaient les guerres au-dehors. […] Autre passage remarquable de la Politique d’Aristote : Les anciennes républiques n’avaient point de lois pour punir les offenses et redresser les torts particuliers ; ce défaut de lois est commun à tous les peuples barbares.

721. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Son héros, un premier rôle de la politique moderne, courait grand risque de ressembler à ceux que MM.  […] Mais c’est surtout dans celles, qui relèvent de la politique, quand elle lutte, quand elle veut faire passer une idée de son cerveau dans le vôtre, que Séverine trouve ses plus beaux accents. […] Ce grand sujet est traité au point de vue militaire, politique et diplomatique, d’une façon toute nouvelle. […] C’est alors que la politique impériale, qui n’avait jusqu’alors visé que l’Espagne seule, s’inquiéta de faire accepter aux colonies le changement de dynastie opéré dans la péninsule. […] Les masses ne sont menées ni par la faim ni par la soif, ni par la politique ou politiquaillerie courante.

722. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Viennent là, trois ou quatre Anglais et Allemands, qui apportent leurs pipes, une demi-douzaine d’idées hégéliennes, un très grand mépris pour la politique de la France qu’ils traitent de politique sentimentale. […] Tout amoureux qu’il est de l’exhumation d’infimes personnalités, de petites médiocrités d’art provinciales, et qui condamnent cet esprit distingué et original à des travaux au-dessous de lui, Chennevières caresse toujours, à l’horizon de sa pensée, quelque petit conte normand ou vendéen : un entre autres, qui serait l’histoire d’un jeune homme prenant le fusil dans la levée d’armes en 1832, et jugé et mis au Mont Saint-Michel, et là, développant la politique qu’aurait pu faire prévaloir le parti légitimiste d’alors, la politique de la décentralisation, qui était la politique de la duchesse de Berry. […] Mais bientôt, ajoute Barrière, le petit appartement d’un pauvre homme de lettres ne put plus contenir le politique, en train de prendre son essor.

723. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

il ne s’aperçoit pas que ce qu’il dit de l’ouvrière, par exemple, se retourne bout pour bout contre l’économie politique. […] Il n’est plus qu’un Proudhon qui ne voit dans les générations que des pousseurs de varlope, — et non plus même des travailleurs à tous les degrés : des artistes, des politiques, des hommes d’action et de pensée, — mais uniquement des ouvriers ! […] Mais, pour ne pas parler des formes politiques que nous avons traversées et pour aller d’un trait et par le plus court à la question terrible, que le doux Michelet, l’ancien professeur de rhétorique, appelle le divorce social et qui est la question éternelle, effroyable, béante et menaçante comme une gueule, de ceux qui n’ont pas contre ceux qui ont, les étudiants de 1847 travaillés par Michelet ont-ils essayé de la résoudre ? […] Seulement, il leur a arraché ce qui fait leur force… Et c’est ainsi que dans ce Cours, après s’être déshonoré comme prévoyant politique, il reste encore déshonoré comme penseur ! […] Michelet a assez henni, il s’est assez emporté, mais, comme nous autres chrétiens, il croit que la question politique n’est qu’une question morale, que tout est dans un homme, pour les peuples, et dans un caractère.

724. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

[Entretiens littéraires et politiques (1er décembre 1890).] […] [Entretiens politiques et littéraires (1899).] […] Moins politique que Béranger ; moins subtil et moins précieux, moins alambiqué que Sainte-Beuve ; plus sincère, comme connaissant mieux les choses dont il parlait, les ayant observées de plus près, plus attentivement, les goûtant, les aimant davantage, il a vraiment, en ce sens, étendu le champ de la poésie contemporaine ; il y a comme acclimaté des sujets qu’on en croyait indignes pour leur simplicité ; et il a surtout, en les traitant, presque toujours évité l’écueil du prosaïsme ou celui de l’insignifiance.

725. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXII. Machinations des ennemis de Jésus. »

L’esprit de la famille était altier, audacieux, cruel 1030 ; elle avait ce genre particulier de méchanceté dédaigneuse et sournoise qui caractérise la politique juive. […] Partant des principes admis d’emblée par toute l’ancienne politique, Hanan et Kaïapha étaient donc en droit de dire : « Mieux vaut la mort d’un homme que la ruine d’un peuple. » C’est là un raisonnement, selon nous, détestable. […] La mort de Jésus fut une des mille applications de cette politique.

726. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VIII. Mme Edgar Quinet »

Je ne veux parler, que du livre de Mme Quinet et des impressions de Mme Quinet et de l’éclosion subite et tardive de Mme Quinet dans la vie politique et littéraire, car je ne sache pas qu’elle ait jamais écrit, avant le siège de Paris. […] , un être rare, plus moral et plus sentimental que politique, patriotique et littéraire ! […] Puisqu’il s’agissait des débuts de Mme Quinet dans la littérature et la politique, il pouvait au moins la présenter à ses amis, les républicains, et leur dire comme le grand Dauphin à ses officiers : « Mes chers amis, voici ma femme ! 

727. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Telle est l’idée des haïsseurs de l’Église, qui fut souvent réalisée dans l’Histoire et qui peut l’être encore par des politiques ennemies et victorieuses de l’Église, — mais de l’Église jamais vaincue !  […] Mais il faut bien entendre ici que dans ce seul volume d’histoire, où les faits sont ramassés, concentrés et étreints pour en faire mieux sortir la moelle, il ne s’agit que de l’histoire politique de la Papauté. […] Je n’avais, moi, à propos du livre de M. de L’Épinois sur le gouvernement temporel de la Papauté, qu’à rappeler à ceux qui l’incitent perfidement à renier son passé et son origine en donnant d’une seule fois sa démission de toutes ses couronnes, le principe de son existence historique, et, ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, la grandeur morale — quand elle fut la plus politique — de son action.

728. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

La physique, l’industrie et l’économie politique ont un seul et même objet ; l’utile. […] Elle a passé peu à peu de la politique dans l’art et dans la religion. […] Ne considérez-vous un peuple que par le côté politique ? […] Les combats des partis, dans les limites de la constitution politique d’un peuple, font la vie de ce peuple. […] Ses mérites, ses défauts. — Nécessité d’un point de vue politique exclusif.

729. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Il n’y avait point de concurrent pour ainsi dire : Il y faut (aux Affaires étrangères) un homme de robe suivant l’usage présent ; je suis, de plus, homme de condition ; mon père a bien servi le roi et a été grand officier de la couronne ; j’ai étudié assidûment les affaires politiques depuis sept ans ; M. le cardinal le sait et a vu de mes mémoires, M. le garde des sceaux Chauvelin lui en a rendu de grands témoignages en tous les temps. […] La seule vérité historique que je tiens à marquerk, c’est que les deux frères appartiennent à des familles d’hommes politiques toutes différentes et même opposées, l’un étant de ceux qui vont au fond des objets et aspirent à un but réel et constant, l’autre de ceux qui s’en tiennent en tout aux expédients, et s’inspirent uniquement de la circonstance. […] Ce beau feu céleste fait d’un savetier un poêle, et un général d’un laboureur comme Sforce ; et, en politique, d’un moine un Ximénès. […] Il me semble que dans ces pages d’Argenson s’élève, et qu’après avoir donné l’idée de quelque homme de bien et de quelque Turgot ministre, il va jusqu’à embrasser l’idéal d’un Richelieu et d’un Pitt, d’un de ces puissants serviteurs du monarque, du public et de la patrie, et qui ne distinguent plus leur égoïsme personnel de la grandeur et de l’intérêt universel ; et il y oppose moins encore son propre frère que la race de ces hommes politiques du xviiie  siècle, qui avaient presque tous en eux du Maurepas, c’est-à-dire quelque chose de radicalement léger et frivole, de fat, de moqueur, de non sérieux, et, avec de l’habileté quelquefois et beaucoup d’esprit, le contraire du grand18. […] Il avait des plans de reconstitution politique à l’étranger, notamment pour l’Italie ; il prétendait y former « une république ou association éternelle des puissances italiques, comme il y en avait une germanique, une batave, une helvétique, la plus grande affaire qui se fût traitée en Europe depuis longtemps. » Tout cela manqua.

730. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

L’Espagne était depuis un siècle dans un accroissement de puissance et d’ascendant qui troublait les conditions d’existence et les rapports naturels des pays voisins, et menaçait tout l’occident de l’Europe ; et en même temps elle apportait dans ses conquêtes politiques un système d’oppression absolue et de machiavélisme pratique qui tendait à pervertir la morale, à nouer tout développement de l’esprit et à déformer l’humanité. […] Le Henri IV roi, grand guerrier, grand politique, non plus celui des petits défauts et des peccadilles, mais l’homme des hautes et mémorables qualités, monarque réparateur et chéri, actif bienfaiteur de son peuple et instaurateur d’une diplomatie généreuse, toute d’avenir, c’est celui-là seulement dont on rencontrera l’image. […] Oh voit ici bien naturellement cette première forme du roi capitaine et guerrier dans Henri IV, tout prêt néanmoins à entendre toutes choses et à devenir un grand roi politique et civil dès qu’il en aura le besoin et l’instant. […] Dans ce joli pêle-mêle qui nous est si bien montré, dans cette confusion familière d’amis et d’ennemis autour de Henri IV un soir de bataille, la bonté se voit d’elle-même ; la politique aussi y trouvait son compte. […] Autant qu’on le peut conjecturer, il semble qu’on aurait eu un peu plus tôt ce qu’on obtint plus tard dans la politique extérieure par l’abaissement de la maison d’Autriche, et que les résultats de la paix de Westphalie eussent été avancés.

731. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Le Pacha est petit, la barbe blanche, le visage brun, la peau tannée, l’œil vif, les mouvements prompts, l’air spirituel et très-malin, la parole brève, et riant très franchement lorsqu’il a lâché un petit sarcasme ; plaisir qu’il s’est donné toutes les fois que la conversation tournait à la politique, et surtout lorsque le consul19 insistait pour le départ de la flotte : « Je ne reconnais pas les Français, qui savent si bien faire la guerre, et qui ne parlent plus que de la paix. […] C’était pourtant une situation délicate que de se trouver, lui, peintre militaire, peintre de l’armée française et appelé comme tel, au milieu d’une Cour dont la politique était si peu favorable à la France. […] Les circonstances politiques étaient déplorables. […] Cependant les choses politiques suivirent leur cours, et la mésintelligence diplomatique continuant de plus belle, Horace finit par se féliciter de n’avoir pas redit complètement des paroles d’amitié qui avaient perdu tout à-propos26. […] Je trouve dans une de ses lettres du 22 octobre 1842, au retour d’un voyage qu’il venait de faire avec l’empereur, ce passage curieux et très significatif en ce qui est de la politique de ce temps-là : « J’ai dîné hier à l’ambassade en Irès-petit comité ; on s’y réjouissait des articles du Journal des Débats contre la Russie.

732. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

Son rôle militaire est connu : son rôle politique ne l’est pas autant, et on aurait pu le croire moindre qu’il n’a été en effet. […] L’auteur, le comte Vitzthum, un homme d’État saxon, s’est vu amené précisément à étudier le maréchal de Saxe en retrouvant dans les Archives de son pays des lettres de lui toutes politiques, qui indiquaient une capacité du premier ordre. […] Il l’écrit au comte de Bruhl dès le premier jour (12 novembre 1740) : « Si le grand événement qui vient d’arriver nous conduit à la guerre et que le roi (de Pologne) me juge capable de le servir, je supplie Votre Excellence de l’assurer de mon zèle et de ma fidélité ; mais, si la chose se passe paisiblement, le roi n’a pas besoin de moi, et je pourrai lui être utile ici. » Sans prétendre, dit-il, se mêler de politique et même en ayant l’air de s’en défendre, Maurice, à partir de ce moment, ne fait autre chose que d’en traiter dans toutes ses lettres, et avec supériorité. […] Mais il n’y a pas un moment à perdre. » Prendre et garder, ou ne rendre que le moins possible : Maurice, on le voit, était de la race des gros mangeurs, et dans la politique de ce temps-là où la force était tout, et où le droit, de chaque côté, ne venait qu’en auxiliaire à la suite, ce n’était pas le plus sot rôle. […] Nous n’y cherchons que de l’histoire, et nous reconnaissons de grand cœur avec lui qu’il y avait, en effet, l’étoffe d’un politique sous l’homme de guerre en Maurice.

733. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Cette politique passionnée, qui a été constamment celle de tous les membres de la famille royale, n’a pas peu contribué à en accélérer la chute. […] Le roi, au contraire, aimait mes opinions politiques, il les partageait ; mais dans leur application il me trouvait trop tranchant, trop pressé de prendre un parti décisif ; il voulait user la démocratie ; il regardait le républicanisme comme une chimère qui ne pouvait durer ; la reine et Madame Élisabath pensaient de même ; tous les rapports qui leur arrivaient des provinces annonçaient une amélioration sensible dans l’opinion publique ! […] Le roi consentait à signifier aux princes ses frères « que, dans aucun cas, il n’approuvait ni ne permettait leur entrée en France avec les armées ennemies, soit qu’ils s’y réunissent comme auxiliaires, soit qu’ils se crussent en état d’agir en corps séparé », Malouet proposa pour cette mission secrète auprès des princes son ami Mallot du Pan, qui voyait comme lui en politique : Mallet du Pan, après des retards, partit pour sa mission, muni d’instructions et d’un chiffre. […] Lorsque Raynal mourut, il faisait partie de l’Institut national nouvellement créé, et dans la première séance générale qui se tint au Louvre en toute solennité le 15 germinal de l’an iv (4 avril 1796), Le Breton, secrétaire de la Classe des Sciences morales et politiques, lut sur lui une Notice dont Ginguené a parlé ainsi dans la Décade : « Ceux qui ont une connaissance exacte des secours qu’il avait eus pour la composition de son Histoire philosophique et politique ont trouvé que l’auteur de cette Notice traitait un peu trop problématiquement cette question assez importante, qu’il fallait peut-être résoudre avec une équité sévère.

734. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Magnin dégage chez Courier, au travers de l’homme de parti et du champion libéral, l’homme véritable, naturel, l’indépendant épicurien et moqueur, l’artiste amoureux du beau, l’humoriste vraiment attique, au rictus de satyre : « On n’a point la bouche fendue comme il l’avait, d’une oreille à l’autre, sans être prédestiné à être rieur, et rieur du rire inextinguible d’Homère ou de Rabelais. » Ces pages si légères et si bien touchées, à propos du plus docte et du plus lettré de nos pamphlétaires politiques, nous ont rappelé involontairement la différence des temps et le contraste de deux périodes pourtant si rapprochées. […] Mais, dans la littérature politique, le contraste naturellement se tranche d’une façon plus directe encore. […] Je laisse de côté le fond politique et aussi le résultat matériel. […] En parcourant les articles qui composent son premier volume, on pourra être un peu étonné d’en trouver un tout politique vraiment, de quelques pages à peine : Comment une dynastie se fonde, et daté du 16 mars 1831. […] En introduisant ce brin de politique entre des pages plus fraîches et restées plus neuves, en y oubliant, comme par mégarde, ce coin de cocarde, le critique littéraire a voulu sans doute témoigner qu’il avait sur certains points des opinions, des principes, rappeler qu’il les avait soutenus, et faire entendre qu’il s’en souvenait comme de tout le reste.

735. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

Raoul-Rochette, pour quelques bons mots de Courier qui sont piqués comme des étiquettes à quelques noms, et que la politique, dans le temps, a fait retenir, on laisse en paix les estimables travailleurs et les rares inventeurs, les gens d’esprit et les manœuvres ; la méthode apparente est la même ; on les confond ensemble et l’on passe. […] Le succès le plus grand de la plupart des révolutions, en littérature comme en politique, n’est guère peut-être que cela : faire tenir compte aux autres de certains résultats, en passant soi-même pour battu. […] Ailleurs192, il lui arrive de parler de la candeur des récits consignés dans les Annales pontificales, avant les luttes passionnées du sénat et du peuple ; il m’est impossible vraiment, en songeant à toutes les fables qu’y affichaient les pontifes, et qui entraient dans l’intérêt aussi de leur politique, de me figurer de quelle candeur particulière il s’agit, si ce n’est que ces Annales étaient tracées sur une table blanchie, in albo. […] Il paraît peu disposé à le croire très-développé : « La vie politique des Grecs, dit-il en un endroit194, non moins active que celle de Rome, mais resserrée dans leurs petits États, n’appelait point un aussi rapide et énergique instrument de publicité que cet immense empire dont les armées conquérantes détruisirent en peu d’années Carthage, Corinthe et Numance. » On a vu que cet énergique instrument de publicité ne joua jamais que très-peu à Rome ; et, puisqu’il s’agit de la faculté plutôt encore que de l’usage, j’ai peine à croire qu’Athènes, par exemple, n’en ait pas fait preuve, même dans son cercle très-resserré. […] Mais c’est à dater de 89 surtout que les difficultés et les exigences du sujet se multiplieraient, et que le complet (littéraire et politique) deviendrait plus indispensable et plus insaisissable à la fois.

736. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Le sénat, c’était l’ancien ordre païen au complet, politique à la fois et religieux, la religion d’État par excellence, un Capitole ennemi et inexpugnable. […] M. de Saint-Priest, dans les divers chapitres qu’il a consacrés à cette Rome papale, l’a comprise en esprit politique des plus déliés et avec une affinité, si j’ose dire, plus qu’historique. […] Celle-ci, dans la réhabilitation idéale qu’on en trace, aurait du moins eu la gloire d’avoir entrevu à l’avance quelque vague rayon de la politique de Charlemagne. […] Pepin, premier roi de sa race, recueillit le prix de cette politique ; élu roi à Soissons, il fonde l’ère des royautés nouvelles. […] On atteint enfin au xie  siècle, à cette époque où se reforment partout, et assez petitement d’abord, les royautés politiques ; celle de Hugues Capet est de ce nombre, et si, à son berceau, elle n’a pas, à beaucoup près, la splendeur des débuts carlovingiens, aucune imprudence du moins n’en altère le principe grandissant et n’en compromet l’avenir.

737. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Mais en ce qui concerne la littérature, la politique et la morale, ces choses plus ouvertes, et sur lesquelles, à ce qu’il semble, tout esprit cultive et attentif peut se croire en droit d’avoir un avis, son Éloge me paraît prêter à bien des remarques, dont je ne ferai ici que quelques-unes. […] Ces diverses inexactitudes de détail m’ont mis en doute sur l’ensemble du travail, et, reprenant moi-même l’étude de Condorcet dans les parties qui me sont accessibles ainsi qu’à tout le monde, je suis arrivé à une tout autre appréciation de l’homme et du caractère ; et, comme Condorcet a été un personnage politique des plus considérables, un de ceux qui font les révolutions, qui y poussent, qui en espèrent tout, qui ne s’arrêtent qu’au dernier moment, au bord extrême du précipice, et qui y tombent, j’ai cru utile de dégager mon point de vue avec franchise et hardiesse. […] Necker ; il le détestait uniquement parce qu’il le savait contraire à quelques-unes de ses idées en économie politique. […] Necker) qui croit que les tragédies de Shakespeare sont des chefs-d’œuvre… » Ce n’était pas si maladroit d’agacer la colère de Voltaire par cet endroit-là, le sachant plus irritable en fait de tragédies qu’en matière d’économie politique. […] Écoutons Condorcet rendant compte de ces mouvements précurseurs, dans la Chronique de Paris du 18 juin : Plusieurs sections de Paris se sont présentées à la barre ; leurs pétitions avaient toutes le même objet en vue, celui d’écarter les dangers qui menacent la chose publique… Ce sont les mêmes hommes qui en 89, et à peu près à cette époque, délibéraient avec autant de calme que de fermeté sur les moyens de réprimer l’insolence de la tyrannie… Mais, familiarisés aux principes politiques par trois années de révolution, ce n’est plus par le sentiment seul que produisent les événements qu’ils se laissent entraîner.

738. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

L’auteur, en introduisant pour cette première fois Figaro, n’avait pas encore prétendu en faire ce personnage à réflexion et à monologue, ce raisonneur satirique, politique et philosophique qu’il est devenu plus tard entre ses mains : Me livrant à mon gai caractère, dit-il, j’ai tenté dans Le Barbier de Séville de ramener au théâtre l’ancienne et franche gaieté, en l’alliant avec le ton léger de notre plaisanterie actuelle ; mais, comme cela même était une espèce de nouveauté, la pièce fut vivement poursuivie. […] Ainsi lancée après une telle résistance, la pièce alla au-delà de cent représentations et fut un des grands événements politiques et moraux de ce temps-là. […] Après cette fameuse tirade sur la politique : « Feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce qu’on ignore, etc. », quand le comte répond à Figaro : « Eh ! c’est l’intrigue que tu définis », et non la politique, il a simplement raison. […] Une telle pièce où la société entière était traduite en mascarade et en déshabillé comme dans un carnaval de Directoire ; où tout était pris à partie et retourné sens-dessus-dessous, le mariage, la maternité, la magistrature, la noblesse, toutes les choses de l’État ; où le maître-laquais tenait le dé d’un bout à l’autre, et où la licence servait d’auxiliaire à la politique, devenait un signal évident de révolution.

739. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

L’évêque de Valence était un homme politique et utile : l’estime de Mazarin l’avait désigné d’avance à celle de Louis XIV, qui n’avait fait que le sacrifier pour un temps à la colère de Monsieur, mais sans y mêler rien de personnel. […] Cosnac reparut à la Cour, se distingua par son zèle et son talent à l’Assemblée du clergé de 1682, y fut un des premiers auxiliaires du très habile et très politique archevêque de Paris, Harlay de Champvallon, et dès lors Louis XIV compta sur lui en toute rencontre : « Il faut le garder pour un grand poste », disait-il à M. de Harlay. […] À toutes les objections de Cosnac, Louis XIV répondit : « Monsieur, je crois que vous êtes bien homme pour eux (c’est-à-dire l’homme qu’il leur faut), et on ne manquera pas de vous donner de l’appui, en faisant bien, comme je l’espère. » Dans toute cette dernière partie de sa carrière, Cosnac devient donc un personnage considérable, un des instruments actifs et perfectionnés de la politique de Louis XIV dans l’administration ecclésiastique de son royaume. […] Pour lui, Cosnac, qui y joint des idées de politique et d’affaires un peu plus étendues, il trouve le moyen d’être utile pendant le siège de Bordeaux. […] En s’opposant de toutes ses forces à ce qu’on livrât la place de Bordeaux à Cromwell avec qui l’on avait ouvert des négociations, en s’opposant vers la fin à l’incroyable faiblesse du prince de Conti qu’on avait presque décidé à conduire sa belle-sœur, la princesse de Condé, en Espagne, Cosnac rendit un service et à son prince et au roi, et ici sa vue s’élève un peu ; on entrevoit quelque chose de cette moralité politique qui va mettre en première ligne la patrie ; c’est par ce côté que nous le trouverons digne plus tard de comprendre et de servir Louis XIV.

740. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

On suppose que dans la formation des langues l’ordre d’apparition des mots a été inverse de l’ordre de disparition constaté dans certaines maladies, les mots précis ayant été trouvés ou fixés les derniers, quand les esprits ont été capables d’idées nettes bien délimitées, tandis que les mots abstraits, appris d’abord, tels grands mots de la religion, de la philosophie, de la politique, restent dans les lobes, et témoignent jusqu’à la dernière heure de la puérilité d’une intelligence. […] On sait le rôle politique de la Sphère, de l’Hydre, du Spectre. […] Nous avons « la sphère d’influence — la sphère diplomatique — les sphères politiques — une sphère plus étendue — la sphère intellectuelle — la sphère morale — la sphère d’activité — une sphère plus élevée — la sphère des idées — la sphère des progrès démocratiques — la sphère des intérêts matériels, etc. », toutes locutions où « sphère » n’évoque plus aucune image, sinon en certains esprits irrespectueux ; non seulement le mot est arrivé au dernier période de l’abstraction, mais il semble même, la plupart du temps, n’avoir qu’une valeur de redondance oratoire, ne correspondre à rien. […] La politique partage avec la morale l’usage des principes et des bases et pendant que les uns se placent « sous la sauvegarde de nos immortels principes », d’autres, sans vergogne, « sapent les bases de l’édifice social ». […] Le répertoire politique est si riche en abstractions qu’on serait tenté de croire que les intérêts dont on charge un député sont tout à fait immatériels et semblables à ceux que défendent dans leurs discours les rhétoriciens du concours général.

741. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Aujourd’hui, nous considérerons la poésie romane dans son application aux événements politiques et religieux. […] Les princes de race danoise qui régnaient en Normandie, avaient un esprit singulièrement politique. […] Philippe-Auguste, ambitieux et politique, fut grand protecteur des arts et des lettres. […] L’histoire y paraît déjà politique, sous des formes très naïves. […] N’était-ce pas surtout le progrès que la société politique avait déjà fait en France sous saint Louis ?

742. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Il a été le premier à mettre en saillie ce contraste d’un simple homme de lettres comme lui, succédant à un homme politique qui avait joué un si beau rôle. […] Publiciste plein de verve, et homme politique encore plus zélé qu’ambitieux, il ne se considérait dans les lettres proprement dites que comme un amateur, et son désir, son effort, dans les derniers temps, et quand des loisirs lui furent imposés par les circonstances, c’eût été de conquérir, en perfectionnant un de ses anciens livres, ce rang d’auteur durable dont il sentait tout le prix.

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