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430. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Corneille, et le cardinal de Richelieu. » pp. 237-252

Je satisfais ensemble & peuple & courtisans ; Et mes vers, en tous lieux sont mes seuls partisans. […] Corneille vit avec dédain ce peuple famélique d’habitans du parnasse s’entrebattre pour le déplacer du haut du mont. […] Horace , dit-il, fut condamné par les duumvirs, mais il fut absous par le peuple : Le peuple, qui ne raisonne point, mais qui sent, fut en effet presque toujours pour Corneille, contre tous les traits de la satyre & de la malignité.

431. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

» Alors le peuple l’interrompit : « Statuaire, que feras-tu donc ? […] Depuis, il avait été témoin des honneurs extraordinaires rendus à sa mémoire ; il avait vu les Athéniens, ce peuple léger, cruel et sensible, qui tour à tour féroce et tendre, après l’avoir laissé périr, le vengeait. […] Voyons, et si nous n’en trouvons pas de meilleurs, vous savez bien que je ne m’écarterai pas de ceux que j’ai toujours suivis ; non, quand tout un peuple me présenterait comme des spectres menaçants la pauvreté, les chaînes et la mort. » Alors il discute la question, et il examine s’il est permis de désobéir aux lois pour éviter la mort. […] Dans cette Athènes soumise aujourd’hui à la domination d’un peuple barbare, le voyageur curieux va encore visiter les ruines de quelque temple.

432. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

Je crois donc toujours intéressant d’examiner quel devrait être le caractère de la littérature d’un grand peuple, d’un peuple éclairé, chez lequel seraient établies la liberté, l’égalité politique, et les mœurs qui s’accordent avec ces institutions. […] Dans le cours de cet ouvrage j’ai montré comment le mélange des peuples du Nord et de ceux du Midi avait causé pendant un temps la barbarie, quoiqu’il en fût résulté, par la suite, de très grands progrès pour les lumières et la civilisation.

433. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 196-203

Ses Réflexions sur les divers Génies du Peuple Romain, dans les divers temps de la République ; les Considérations sur Annibal ; son Traité de l’Amitié & celui de la Conversation ; ses Jugemens sur quelques Auteurs Latins ; ses Remarques sur les Traducteurs, les Historiens, sur l’Art de la guerre ; ses maximes, ses Pensées détachées, sont autant de Productions exquises qui le placent parmi les plus estimables Littérateurs. […] Quel Homme de goût ne mettra pas ses Réflexions sur les divers Génies du Peuple Romain, au dessus de tout ce que ce Littérateur Géometre a écrit dans les cinq volumes de Mélanges qu’il a publiés ? […] Il étoit spirituel, mais voluptueux, voyant toutes choses avec beaucoup de lumiere, & en jugeant sainement, mais plus capable de les conseiller que de les faire ; ainsi, se trouvant foible, paresseux, & purement Homme de Cabinet, il espéroit de sa délicatesse, avec un Empereur délicat, ce qu'il ne pouvoit attendre du Peuple Romain, où il eût fallu se pousser par ses propres moyens, & agir fortement par lui-même ».

434. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Comment faire descendre jusque dans le peuple la foi nouvelle ? […] le jour où sera brisée une société marâtre, où sera vengé un peuple martyr ! […] Les Mystères du Peuple, sous une forme plus grossière, ne contiennent pas plus de venin. […] Et cela a été écrit pour le peuple ! […] C’est qu’il y a dans ce peuple deux préservatifs puissants, l’esprit de famille et le sentiment religieux.

435. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame du Hausset, femme de chambre de madame de Pompadour. »

Mais enfin elle en apprend assez pour faire connaître, mépriser, haïr même cette cour impure ; car c’est trop peu de la raillerie contre tant de honte, entretenue à si grands frais par un peuple. […] Partout, autour d’eux, retentissaient des craintes confuses, a Ce royaume est « bien mal », disait un jour Mirabeau père, chez Quesnay, médecin du roi et de la favorite ; « il n’y a ni sentiments généreux ni argent. » —  « Il ne peut être régénéré, reprit La Rivière, que par une conquête comme  à la Chine, ou par un grand bouleversement intérieur ; mais malheur à ceux qui s’y trouveront, le peuple français n’y va pas de main morte !  […] Représentant de toute cette partie immorale et dépravée du règne de Louis XV, et, même sous le roi honnête homme et citoyen qui lui succéda, opiniâtrement fidèle à la corruption du passé, le maréchal de Richelieu s’occupait encore aux approches de 89 à publier les scandales de sa longue vie, et les confessions cyniques que balbutiait le courtisan en cheveux blancs se perdaient dans les acclamations solennelles dont un peuple rajeuni saluait déjà sa nouvelle aurore.

436. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Dès qu’il n’est plus sous les armes, le soldat ne résiste guère à la tentation de redevenir homme du peuple ; et si son amour-propre s’y croit une fois intéressé, il lui faudra une haute vertu pour ne pas forfaire à la consigne : les plus formelles résolutions des gardes françaises ne s’amollirent-elles pas devant le premier rassemblement du Palais-Royal ? […] Ignominieusement refoulés vers ce peuple dont ils étaient sortis, et qui leur tendait les bras, les guerriers s’y jetèrent au premier appel. […] Sans doute, en cette émancipation soudaine, des désordres, des délits furent commis par le grand nombre, et des crimes même par quelques-uns ; mais le mal était passager : ce qui dura, ce fut l’esprit national, je dirai presque l’esprit bourgeois de la milice régénérée ; ce fut cette fidélité au pays menacé, cette noble attache au sol envahi, sentiment irréprochable, qui triompha plus tard de tout l’ascendant des généraux les plus populaires, que ne purent égarer ni la pureté de La Fayette ni l’habileté de Dumouriez, et dont la tradition était certes affaiblie déjà, quand il fut donné à un homme de prévaloir par l’armée sur le peuple et sur la France.

437. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému » pp. 34-42

Ceux qui ont gouverné les peuples dans tous les tems, ont toujours fait usage des peintures et des statuës pour leur mieux inspirer les sentimens qu’ils vouloient leur donner soit en religion, soit en politique. […] Qu’on se souvienne de la défense que les tables de la loi font aux juifs de peindre et de tailler des figures humaines : elles faisoient trop d’impression sur un peuple enclin par son caractere à se passionner pour tous les objets capables de l’émouvoir. Dans quelques païs protestans, où, sous prétexte de réforme, les statuës et les tableaux ont été bannis des églises ; le gouvernement ne laisse pas de mettre en oeuvre le pouvoir que la peinture a naturellement sur les hommes pour contribuer à tenir le peuple dans le respect des loix.

438. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 11, les romains partageoient souvent la déclamation théatrale entre deux acteurs, dont l’un prononçoit tandis que l’autre faisoit des gestes » pp. 174-184

Le peuple qui se donnoit la liberté qu’il prend encore en France et en Italie de faire repeter les endroits qui lui plaisent : le peuple, dis-je, à force de crier bis, le mot est latin, fit réciter si long-temps le pauvre Andronicus qu’il s’enroüât. Hors d’état de déclamer davantage, il fit trouver bon au peuple qu’un esclave placé devant le joueur d’instrumens récitât les vers ; et tandis que cet esclave récitoit, Andronicus fit les mêmes gestes qu’il avoit fait en récitant lui-même.

439. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

C’est le peuple des merveilles, des poëtes, des héros, de la magnificence, des amours, des fêtes, de la philosophie, des fables. […] Le blasphème est non-seulement inouï, mais encore inconcevable à ce peuple-là. […] Tel est le caractère de ce peuple le plus civilisé de tout l’Orient. […] Il y a en cette ville quantité de profondes caves, où le peuple va puiser l’eau à boire. […] Cette porte de miséricorde a été ouverte à la face des peuples.

440. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

On peut croire que nos chefs sont de grands chefs, que notre peuple est un grand peuple, et que nos ennemis sont des chiens, sans aimer à se l’entendre dire toute la journée comme si nous étions des Peaux-Rouges ! […] C’est donc désormais un fait acquis que le peuple de Paris aime la bonne musique au moins autant que la mauvaise. […] Il est des peuples qui de nos jours en ont fait leur pain quotidien — le peuple de Vienne, par exemple : où l’a-t-elle conduit ? Si des peuples on passe aux individus, voit-on que les plus grands musiciens aient été les meilleurs citoyens ? […] Mais pour les peuples c’est différent : les peuples ne doivent pas se consoler.

441. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIV. M. Auguste Martin »

Martin, qui depuis quinze ans poursuit la morale chez tous les peuples de la terre, comme M.  […] C’est ce qui la distingue des autres civilisations… Chez aucun autre peuple on ne trouve aussi complètement formulées les éternelles lois du beau, du vrai et du juste, inscrites dans la conscience de l’homme. […] Martin sur l’efficacité et la solidité de cette morale, qui doit dans un avenir heureux remplacer glorieusement ces drôlesses de religions, chez tous les peuples ! […] Et probablement ce n’est pas chez ce peuple cul-de-jatte, qu’elle progressera assez pour le devenir.

442. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

Ce n’était pas la bâtarde des Romains vaincus et des Barbares triomphants, se mêlant en ces fusions de peuples qui sont les concubinages de la victoire et de la défaite. […] Chrétienne d’origine, chrétienne d’institution, de hiérarchie, de foi et de mœurs, la monarchie a cessé peu à peu de l’être, et, à mesure qu’elle se diminuait comme chrétienne, elle se diminuait comme monarchie, jusqu’au moment où l’affreux bubon que se transmettaient les gouvernements, de siècle en siècle et de génération en génération, se soit enfin ouvert et ait laissé couler à flots la révolution sur les peuples. […] … Et les peuples, heureux de patauger dans ce flot des anarchies de toutes les espèces, comme les Condamnés des premiers temps dans les eaux du déluge, y nagent et s’y débattent dans le délire d’une joie insensée, croyant que le flot qui les submerge ne pourra pas les engloutir ! […] Il a abdiqué le trône d’Espagne et il s’en est allé de son royaume avant que son peuple ne l’en ait chassé… Les paroles du pontife ont été une prophétie.

443. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Dans les guerres barbares des temps héroïques, les cités vaincues étaient ruinées, et leurs habitants, réduits à un état de servage, étaient dispersés par troupeaux dans les campagnes pour les cultiver au profit du peuple vainqueur. […] Du gouvernement soupçonneux de l’aristocratie les peuples passent aux orages de la démocratie, pour trouver le repos sous la monarchie. […] Les mœurs devenant moins farouches avec le temps, les violences particulières commençant à être réprimées par les lois judiciaires, enfin la réunion des forces particulières ayant formé la force publique, les premiers peuples, par un effet de l’instinct poétique que leur avait donné la nature, durent imiter cette force réelle par laquelle ils avaient auparavant défendu leurs droits. […] Ils employèrent cette fiction dans les acta legitima qui consacraient tous leurs rapports légaux, et qui devaient être les cérémonies solennelles des peuples avant l’usage des langues vulgaires.

444. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Guerin et Roland de la Porte »

Le peuple s’est extasié à la vue d’un bas-relief représentant une tête d’empereur et peint avec sa bordure sur un fond qui représente une planche de bois. Le bas-relief en paraît absolument détaché ; cela est d’un effet surprenant, et le peuple est fait pour en être ébahi ; il ignore combien cette sorte d’illusion est facile.

445. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

Le vrai tribun est un conseiller d’État placé au milieu du peuple. […] À un an de là, à la Malmaison, en janvier 1801, le premier consul disait aux sénateurs Laplace et Monge, et à Roederer, au sujet même des injures qu’on s’était permises au Tribunat contre le Conseil d’État pour la loi sur les tribunaux spéciaux : « Je suis soldat, enfant de la Révolution, sorti du sein du peuple : je ne souffrirai pas qu’on m’insulte comme un roi. » Il disait dans un autre moment : « Il faut que le peuple français me souffre avec mes défauts, s’il trouve en moi quelques avantages : mon défaut est de ne pouvoir supporter les injures. » Vers le même temps à Paris, toujours au sujet de la même affaire, comme Roederer lui disait : Les parlements autrefois parlaient toujours aux rois dans leurs remontrances des conseils perfides qui trompaient Leur Majesté, mais leurs séances n’étaient pas publiques. — Et d’ailleurs, reprenait vivement le premier consul, ces choses-là les ont renversés ; et moi j’ose dire que je suis du nombre de ceux qui fondent les États, et non de ceux qui les laissent périr. […] C’est, comme nous avons dit, parce qu’en France l’injure avilit celui qui la souffre, et excite aux injures ceux qui l’écoutent ; au lieu qu’en Angleterre, l’injure parlementaire n’excite pas les injures du peuple… Il écrivait cela en 1802 ; il s’en souviendra plus tard, trente-trois ans après, en adressant ses fameuses Observations, jugées intempestives, aux constitutionnels, sous le roi Louis-Philippe. […] L’amour des peuples n’est que de l’estime. […] En étudiant l’histoire de France, il a cru découvrir, dit-il, qu’à la fin du xve  siècle et au commencement du xvie , ce qu’on appelle la Révolution française était consommé, que la liberté reposait sur une Constitution libre, et que c’était Louis XII, le Père du peuple, qui avait accompli tout cela.

446. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Le rôle que le peuple romain a tenu dans l’art, l’esprit qu’il a porté dans ses bâtisses et ses monuments, tel que nous l’avons défini d’après M.  […] Comment naît l’originalité dans un art et chez un peuple ? […] On avait cependant à s’entretenir, à s’entendre, à discourir sur toutes sortes de sujets ; les moines et les clercs parlaient toujours latin assez correctement, le latin d’autrefois : mais le peuple, mais les prêcheurs qui s’adressaient journellement aux populations des villes ou des campagnes, mais les rois et les barons qui traitaient entre eux de leurs affaires avaient besoin d’une langue commune ; et, tout en la dénaturant à qui mieux mieux, ils la faisaient. […] Une puissante école de constructeurs laïques, protégée par l’épiscopat, accueillie par les seigneurs, favorisée par le peuple, supplante l’école religieuse précédente et porte dans la conception et l’exécution de ses œuvres la plus grande indépendance. […] Viollet-Le-Duc : « Montrez-moi l’architecture d’un peuple, et je vous dirai ce qu’il est. » Ou encore : « Les édifices sont l’enveloppe de la société à une époque. » Le Parthénon d’Athènes, le Panthéon de Rome, Sainte-Sophie de Constantinople, et une nef, une façade gothique dans toute sa gloire, Notre-Dame de Paris : voilà les quatre points culminants de l’histoire de l’architecture, en tant que l’invention y préside, que la beauté s’y joint à la sincérité, et que le fond et la forme s’y marient.

447. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Mais ce qui a donné à ce livre, qui n’est aujourd’hui qu’ennuyeux, sa réputation et son attrait auprès de quelques esprits, ce sont les derniers chapitres où, dans une assemblée générale des peuples, s’agite et se plaide contradictoirement la cause des diverses croyances religieuses. […] Je visitai d’abord, dit René, les peuples qui ne sont plus : je m’en allai m’asseyant sur les débris de Rome et de la Grèce, pays de forte et d’ingénieuse mémoire… Je méditai sur ces monuments dans tous les accidents et à toutes les heures de la journée. […] Le fer des piques ne produit que du sang : le pain ne s’acquiert qu’avec la charrue… On a voulu nous éblouir de la gloire des combats : malheur aux peuples qui remplissent les pages de l’histoire ! […] Volney lui-même fut ressaisi du désir des voyages, et dans le courant de l’an III, prévoyant pour la France des secousses nouvelles, il s’embarqua au Havre pour aller visiter les États-Unis d’Amérique, c’est-à-dire ce qu’il y avait de plus opposé en tout aux peuples et aux pays d’Orient. […] Triste du passé, soucieux de l’avenir, j’allais avec défiance chez un peuple libre, voir si un ami sincère de cette liberté profanée trouverait pour sa vieillesse un asile de paix dont l’Europe ne lui offrait plus l’espérance.

448. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Les orateurs ont appliqué d’abord aux grands objets du gouvernement le talent de la parole ; et comme dans ces occasions il fallait en même temps convaincre et remuer le peuple, ils appelèrent l’éloquence l’art de persuader, c’est-à-dire de prouver et d’émouvoir tout ensemble. […] Rien ne serait plus beau que cette strophe, si l’original ne l’était davantage, parce qu’il est plus simple : J’ai dit, je ne verrai plus mon peuple ; et mes yeux las de se tourner vers le ciel se sont fermés. […] Les anciens étaient extrêmement délicats sur cette qualité du discours ; on le voit surtout par un passage de Cicéron1, où en rapportant le trait éloquent d’un tribun du peuple, qui invoquait les mânes d’un citoyen contre un fils séditieux, il paraît encore plus occupé de l’arrangement des mots que de la grande idée qu’ils expriment. […] Leurs fades déclamations doivent paraître encore au-dessous des pieuses comédies de nos missionnaires, où les gens du monde vont rire, et d’où le peuple sort en pleurant. […] Carbon s’écria dans une harangue au peuple : « O Marce Druse (patrem appello) tu dicere solebas sacrant esse Rempublicam ; quicumque eam violavisset, ab omnibus esse ei pœnas persolutas ; patris dictum sapiens, temeritas filii comprobavit.

449. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

Voilà tout le roman, ou plutôt c’est l’histoire ; une légende du bas peuple, pour lui apprendre à détester la guerre et à aimer la justice, la paix, le travail et l’honnête contentement. […] Une chose même m’étonne profondément en lisant et en relisant cette légende du vrai peuple de 1813, c’est que ces jeunes gens (car on m’assure que MM.  […] J’avoue même que moi, qui vivais, qui pensais et qui sentais déjà en ce temps-là, moi qui partageais les angoisses du peuple pauvre et sacrifié à la noblesse des barons d’empire, je retrouve dans ce livre la mémoire minutieuse de cette époque de la grandeur d’un homme de guerre et de la servitude d’un peuple ébloui de ses chaînes : il n’y a pas de plus grande leçon de dédain pour l’opinion de l’humanité que celle que l’humanité donne elle-même en divinisant quarante ans après le maître qui faisait de l’héroïsme avec le sang inutilement versé de quelques millions de ses pareils. […] Le peuple y est tout entier. […] car il n’y avait apparemment en ce temps-là ni Providence qui châtie la démence, ni nations qui sentent l’injure et qui vengent l’opprimé, ni vicissitudes humaines qui se retournent contre les iniquités des oppresseurs, ni histoire qui instruit les rois et les peuples !

450. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Suivant l’exemple donné par les Thiers de la rue de Poitiers, car Victor Hugo imita toujours quelqu’un, l’Événement endoctrine le peuple, répand dans les masses ouvrières les saines et consolantes théories de l’économie politique, réfute Proudhon, combat « le langage des flatteurs du peuple, qui le calomnient. Le peuple écoute ceux qui l’entretiennent des principes et des devoirs plus volontiers que ceux qui lui parlent de ses intérêts et de ses droits ». […] Il se fait l’apôtre du libéralisme, cette religion bourgeoise qui amuse le peuple avec des principes, lui inculque des devoirs, et le détourne de ses intérêts et de ses droits ; qui lui fait abandonner la proie pour l’ombre. […] Victor Hugo, qui était incapable de débrouiller une situation politique, partagea leur aveuglement ; il injuria en prose et en vers le peuple parce qu’il ne renversait pas à l’instant l’Empire que lui et ses amis avaient fondé et consolidé dans le sang populaire. […] Un peuple de mots, de néologismes, d’expressions, de tournures et d’images, venues de toutes les provinces et de toutes les couches sociales, envahirent la langue polie, élaborée par deux siècles de culture aristocratique.

451. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

C’est l’âge de la maturité et du loisir qui succède à l’âge de croissance chez les peuples neufs. […] Le génie divers, prompt, souple, fort, fantastique des peuples qui parlent cette langue promet prochainement de grands siècles littéraires à la Russie. […] Triste titre à l’estime et à l’amour des peuples incendiés, et livrés, après l’œuvre des Érostrates, à la merci des Marius du Nord ou du Midi ! […] Je me défiais de l’entraînement inopportun qu’il donnerait à son armée ou qu’il subirait de ses peuples. […] La liberté lui mettait ces armes dans la main, mais il lui fallait un peuple soldat et vétéran de gloire comme la France pour lui en apprendre l’usage.

452. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Ils lui ont reproché de Sacrifier tout à l’illustre peuple Juif. […] On lui suscita quelques chagrins à son retour ; ce qui ne l’empêcha pas de servir ensuite chez différens peuples. […] Son opinion est que les peuples des Gaules ont appellé les Francs pour les gouverner. […] Les intérêts de tous les peuples de l’Europe y sont développés avec beaucoup d’impartialité & d’intelligence. […] On comprend aussi les Tartares au nombre des peuples du Nord.

453. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Malouet lui écrivait en 1791 : « Nous qui raisonnons juste, nous ne rencontrons presque jamais avec précision aucun événement, parce que les actions des hommes ont fort peu de ressemblance aux bons raisonnements. » Cela est vrai pour tous les peuples et pour tous les hommes ; mais cela est encore plus vrai en France, car la nature française résume en elle avec plus de rapidité et de contraste les défauts et peut-être aussi les qualités de l’espèce. […] C’est bien là le caractère en effet des Thermidoriens purs ; et, montrant les causes qui rendent impossible sur ce terrain bouleversé et ensanglanté la formation de toute grande popularité nouvelle : Tous ont appris à se défier, ajoute-t-il, de cette périlleuse élévation ; fussent-ils tentés d’y aspirer, ils n’y parviendraient pas, car les racines de toute autorité individuelle sont desséchées : ni l’Assemblée, avertie par l’exemple de Robespierre, ni le peuple, dégoûté de ses démagogues, ne le souffriraient. […] Cette Convention, ainsi décapitée et privée des chefs qui faisaient sa terreur et sa force, n’est pourtant pas à mépriser ; Mallet du Pan n’a garde de s’y méprendre, et, en général, il pense que « c’est un mauvais conseil que le mépris de son ennemi. » — « Individuellement, dit-il, la Convention est composée de pygmées ; mais ces pygmées, toute les fois qu’ils agissent en masse, ont la force d’Hercule, — celle de la fièvre ardente. » Quant au peuple, au public en France, à la masse de la population, Mallet la connaît bien ; il ne lui prête ni ne lui ôte rien quand il la montre, au sortir du 9 Thermidor, n’ayant qu’un désir et qu’une passion, le repos et la paix, avec ou sans monarchie, et plutôt sans monarchie s’il est possible : Celle-ci (c’est-à-dire la monarchie), écrit-il à l’abbé de Pradt le 1er novembre 1794, n’a encore que des partisans timides. La masse commence à oublier qu’il y ait jamais eu un roi, et, une fois la paix faite au-dehors et un régime doux au-dedans, le peuple n’aura plus d’intérêt à désirer un autre ordre de choses. […] Il est pourtant deux traits d’exception à cet égoïsme presque universel, et Mallet les relève, comme il est juste de les relever aussi : 1º le peuple, ce qu’il appelle le bas peuple (mais cela s’étend très loin), n’a pas cessé, selon lui, d’être atteint de son hydrophobie, il n’en est nullement revenu : « C’est toujours un animal enragé, dit-il, malgré sa misère profonde. » Cette rage qui survit même à la souffrance et à la misère, c’est la soif de l’égalité et la haine du tyran.

454. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Le « concert européen » — formé seulement des grosses puissances intéressées, et qui ne comprend ni la Suisse, ni la Belgique, ni la Hollande, ni le Danemark, ni la Suède et la Norvège — s’est mis à poursuivre un accord presque impossible et toujours fuyant : faux tribunal d’Amphictyons, où manquent à la fois les petits peuples libres — et le Pape. […] Et les effets en sont plus funestes encore quand le peuple vaincu a longtemps représenté dans le monde la justice. […] La communion d’un peuple dans un sentiment orgueilleux et joyeux n’est pas, croyez-le bien, d’un petit secours aux vertus privées ; et cette communion nous manque.

455. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

À peuple nouveau, art nouveau. […] Cette voix haute et puissante du peuple qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même devise que la politique : tolérance et liberté. […] Que les vieilles règles de d’Aubignac meurent avec les vieilles coutumes de Cujas, cela est bien ; qu’à une littérature de cour succède une littérature de peuple, cela est mieux encore ; mais surtout qu’une raison intérieure se rencontre au fond de toutes ces nouveautés.

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