Elle va même trop vite, car elle est confuse et entassée, et l’ordre y manque dans le classement des œuvres de Diderot, de cet esprit déjà par lui-même entassé et confus. […] Et, ne vous y trompez pas, — nous prenons la mesure de l’homme, — ce ne fut pas seulement son temps qui empêcha Diderot d’être un grand romancier, ce fut aussi sa propre nature, ce fut le manque de génie, — le manque du génie qu’il eût fallu pour être un romancier. […] Il n’était pas de force à refaire d’ensemble ce qui avait été manqué en détail. […] « Le critique, — dit Villemain, — supérieur de sensibilité, manquait de justesse. […] Cela n’a pas manqué.
Assez d’autres, il est vrai, à défaut de lui, s’offrirent pour les remplir ; les instruments impurs ne manquent jamais ; mais lui, homme pur, il n’a qu’à rentrer dans son foyer, à s’y asseoir jusqu’à des jours meilleurs, et, s’il le faut, à y mourir. […] C’est toujours une imperfection fâcheuse qu’une belle œuvre manque par le style.
En ce temps-là tout pauvre jeune homme qui avait un cœur, une ambition et de vastes pensées, manquait d’air, s’étiolait dans son galetas et mourait de lente asphyxie. La génération surtout qui était venue trop tard pour participer à l’effervescence politique et s’embraser à l’illusion révolutionnaire évanouie vers 1824 ; cette génération étouffée, qui était au collège durant la plus belle ardeur de la Charbonnerie ; qui manquait la classe, le jour où l’on chassait Manuel, et qui, à son premier pas dans le monde, trouvant tout obstrué, allait se ronger dans la solitude ou se rétrécir dans les coteries ; cette génération cadette, dont Bories et ses compagnons furent les aînés, intelligente, ouverte, passionnée sans but, amoureuse indifféremment de Napoléon et de la République, de madame de Staël et de madame Roland, folle de René et des lettres de Mirabeau à Sophie, emportant sous le bras Diderot à la classe de rhétorique et Béranger à la classe de philosophie ; noble et chaleureuse jeunesse, qui se consuma trop longtemps dans des idées sans suite, dans des causeries sans résultat, dans d’interminables analyses ; dont les plus pressés s’affadirent si vite aux tièdes clartés des bougies, et s’énervèrent chaque soir dans l’embrasure de quelque fenêtre d’un salon doctrinaire ; cette génération-là surtout a souffert profondément, et a ressenti jusque dans la moelle de ses os la consomption de l’ennui et le mal rêveur.
De Moïse à Hegel, l’espace ne manque pas : M. […] « Si la France ne le comptait pas parmi ses citoyens, si M. de La Fayette était anglais ou américain, on ne manquerait pas de raisonnements et de raisonneurs pour établir que jamais un caractère si persévérant et si droit n’aurait pu s’élever et grandir en France, pays de la mobilité, terre toujours remuée et toujours ébranlée.
On comprendra aisément que l’emploi en est délicat, puisqu’il faut que le lecteur soit en état d’ajouter et de retrancher, en qualité et en quantité, au sens rigoureux des mots, précisément ce qui leur manque pour équivaloir à la pensée de l’écrivain, dont il n’a point de connaissance directe, et dont il faut lui faire deviner le degré précis et la nuance exacte. […] Si le lecteur prend l’hyperbole à la lettre, ou l’ironie au sérieux, l’écrivain a manqué son coup, comme le chasseur maladroit qui tue son chien en tirant un lièvre.
Gustave Kahn innova une strophe ondoyante et libre dont les vers appuyés sur des syllabes toniques créaient presque en sa perfection la reforme attendue ; il ne leur manquait qu’un peu de force rythmique à telles places et une harmonie sonore plus ferme et plus continue que remplaçait d’ailleurs une heureuse harmonie de tons lumineux. […] Gustave Kahn : « Fay ce que vouldras », si tout ce qu’il tente de faire, par une fâcheuse fortune, ne manquait.
Nous ne croyons nullement manquer de respect à nos pères en agissant autrement qu’ils n’ont agi. […] Je n’ai pas manqué à la tradition des bonnes gens de Goëlo.
Plus il vous sera facile de punir celui qui oseroit vous manquer, moins vous devez user de cette facilité. […] « Ce n’étoit point Catinat, ce n’étoit point Fénélon * qui punissoient le Militaire ou l’Ecclésiastique qui avoient manqué, c’étoient les Loix écrites ; & Catinat & Fénélon n’aggraverent jamais la peine que ces Loix pouvoient imposer, par des propos durs qui révoltent & qui sont une punition inutile, & souvent plus cruelle encore que celles que la Loi fait subir.
L’affiche manquait aux murs. […] , Gerdès, hanté par l’idée qu’on pouvait interpréter un chapitre politique du livre comme une allusion à l’événement du jour, tout plein, au fond, de méfiance pour ce titre bizarre, incompréhensible, cabalistique, et qui lui semblait cacher un rappel dissimulé du 18 Brumaire, Gerdès, qui manquait d’héroïsme, avait, de son propre mouvement, jeté le paquet d’affiches au feu.
Rien ne manquait à l’apparition. […] * Lorsque je la revis, après que les deux anges L’eurent brisée au choc de leurs ailes étranges, Ce n’était plus ce mur prodigieux, complet, Où le destin avec l’infini s’accouplait, Où tous les temps groupés se rattachaient au nôtre, Où les siècles pouvaient s’interroger l’un l’autre Sans que pas un fît faute et manquât à l’appel ; Au lieu d’un continent, c’était un archipel ; Au lieu d’un univers, c’était un cimetière ; Par places se dressait quelque lugubre pierre, Quelque pilier debout, ne soutenant plus rien ; Tous les siècles tronqués gisaient ; plus de lien ; Chaque époque pendait démantelée ; aucune N’était sans déchirure et n’était sans lacune ; Et partout croupissaient sur le passé détruit Des stagnations d’ombre et des flaques de nuit.
Ces mœurs-là sont plus vieilles encore que les mœurs homériques, parce qu’elles sont plus simples ; elles ont aussi un calme et une gravité qui manquent aux premières. […] Les noms propres y sont hérissés d’épithètes ; un héros manque rarement d’être divin, semblable aux Immortels, ou honoré des peuples comme un dieu.
Il ignore si le general pouvoit écarter, ou du moins s’il devoit prévoir le contre-temps qui fait avorter son entreprise, et qui l’a fait même paroître témeraire après qu’elle est manquée. […] Aussi ne prétens-je pas que l’ignorant puisse dire précisement en quoi le peintre ou le poëte ont manqué, et moins encore leur donner des avis sur la correction de chaque faute, mais cela n’empêche pas que l’ignorant ne puisse juger par l’impression que fait sur lui un ouvrage composé pour lui plaire et pour l’intéresser, si l’auteur a réussi dans son entreprise et jusqu’à quel point il y a réussi.
Son caractère manquait donc tout à fait de consistance, de volonté propre. Et son esprit, notons-le bien, si brillant et si fin qu’il fût, n’avait rien qui s’opposât trop directement à ce manque de caractère. […] Vers le même temps, la paix finale se conclut (octobre 1652) ; la cour et le Mazarin triomphent ; la jeunesse fuit, et sans doute aussi la beauté commence à suivre : tout manque donc à la fois ou va manquer à Mme de Longueville. […] Pourtant Mme de Longueville manquait de direction encore, et avec son genre de caractère, avec cette habitude de ne suivre jamais que des sentiments adoptifs, et de ne les régler que sur une volonté préférée, elle avait plus que personne besoin d’un guide très-ferme. […] Mais on ne peut, sans contredire tous les témoignages du temps, ce me semble, et à ne consulter même que les écrits de ces deux dames un peu de sang-froid, ne pas voir dans Mme de La Fayette un esprit surtout ferme et juste en sa finesse, et dans Mme de Longueville un bel-esprit tendre, subtil, glorieux, intéressant, mais pas du tout de la même trempe ; si j’attache un sens juste à ce mot, c’est cette trempe précisément qui lui aurait manqué.
Les sonnets sont vides d’amour, le lyrisme ou l’inspiration manquent totalement à cet homme, on n’en retiendra pas un vers ; c’est du pédantisme glacé, l’éternel hiver du cœur dont l’imagination de l’Italie ne fond pas même les neiges. […] Il s’est tué à force de travailler, et sa dernière entreprise de six comédies était au-dessus de ses forces… Il a succombé en six jours sans savoir qu’il finissait, et a expiré sans agonie, comme un oiseau, ou comme une lampe à qui l’huile manque. […] C’était la deuxième ou troisième fois qu’il manquait ainsi par caprice et par indiscipline à ma confiance […] À son retour, il rêve une gloire poétique, mais il ne se trouve dans l’esprit ni poésie ni langue ; il se décide à suppléer à la poésie, qui lui manque totalement, par cette espèce de jargon pédestre qu’on fait passer pour du génie devant les parterres ; il va chercher une langue presque morte en Étrurie. […] La place d’Alfieri est vacante ; les hommes de talent y surabondent, et les Ristori ne lui manquent pas !
Ce qui manque aux anciens, selon Desmarets, notamment à Homère et à Virgile, c’est, faut-il l’écrire ? […] Souffrir des imperfections dans un personnage épique, c’était manquer de jugement. […] Virgile, à son tour, manque de jugement, quand il représente son Enée, à la vue de la tempête qui se déchaîne, frissonnant d’effroi : Extemplo Æneæ solvuntur frigore membra. […] Quant « aux égards », il n’y faut manquer envers qui que ce soit. […] A Dieu ne plaise que je manque à ce devoir !
Ce qui manquait totalement autour de moi, c’était le talent. […] Il ne manquait jamais l’occasion de placer devant moi son mot favori : « Un âne chargé de latin ! […] Effectivement, voilà ce que je suis : un prêtre manqué. […] Certes quelque chose manquait à cette éducation et, tant qu’elle dut me suffire, j’eus toujours un vide dans l’esprit. Il y manquait la science positive, l’idée d’une recherche critique de la vérité.
Le sens historique, qui manquait au siècle, manquait à l’écrivain. […] Ce qui manqua aux critiques de 1830, c’est la connaissance de la philosophie des arts. […] Ils méritent une gloire brillante encore : car, s’il leur manque, pour créer, un degré de vigueur et d’audace, ils compensent la force de l’imagination par la finesse du goût. […] Quelques-uns ont du talent ; mais ils manquent du plus fécond de tous, celui d’admirer à propos. […] La circonstance heureuse qui met en lumière l’homme de talent encore obscur n’a rien en soi de nécessaire : elle peut manquer demain comme aujourd’hui, l’année prochaine comme cette année.
C’est un simple jeu d’esprit fait par un écrivain qui en a manqué ce jour-là. […] Il ne manquerait plus que de dire : zet devant te derrière. […] Et vous ne manquez pas d’ajouter en forme de conclusion : « Et puis, j’ai vingt faits pour un ! […] Il fond le personnage dans sa personnalité ; à ses risques et périls, bien entendu : car, s’il manque son coup en opérant cette transposition, nous ne manquons pas, nous, de lui en faire un vif reproche. […] Elle y manque, à mon sens, de profondeur et de sensibilité.
En effet, ni l’industrie ni l’art n’ont manqué à l’Orient. […] Les lois n’ont pas alors manqué davantage ; elles ont si peu manqué à l’espèce humaine dans l’Orient, que sous leur empire l’espèce humaine a fort peu remué. […] Quand la vérité vous manque sur un point et qu’elle ne vous manque pas sur un autre, attachez-vous à cette portion de vérité que vous possédez et agrandissez-la successivement. […] Mais où le but manque, qui peut mesurer la route ? […] on s’arrête à la forme actuelle des choses, et on manque leur essence et leur principe.
Elles cherchent à la couvrir sous des crimes, et à se donner, par les effets, une sorte d’épouvantable grandeur qui leur manque par le principe. […] Mais pourquoi semblent-ils encore manquer de vérité comme tout le reste ? […] Car qui eût pu seulement penser que les années eussent dû manquer à une jeunesse qui semblait si vive ? […] Ne manquez à aucun de vos devoirs, surtout envers Dieu. […] Or, ce qui manque aux ouvrages de ces hommes, c’est précisément le jugement et le bon sens.
Il manque à toutes nos qualités ce sel que donnent la fermeté et la véracité. […] Son caractère irrésolu, son langage mélancolique, l’ont fait accuser de manquer d’énergie : c’est une erreur. […] Aucune piqûre, si légère qu’elle fût, ne manquait son effet. […] Que manque-t-il donc à ce livre pour nous laisser entièrement satisfaits ? […] L’étreinte des premiers manque de puissance pour saisir et reproduire les objets de la matière ; l’œil des seconds manque de force pour soutenir l’éclat des vérités premières et plonger dans les profondeurs des idées abstraites.
Il manquait de fantaisie : il se crut obligé d’en avoir. […] On y manque pour avoir voulu n’être fidèle qu’à lui seul. […] Il ne manque pas, dans l’œuvre de M. […] Gervaise, de son côté, ne manquait ni de cœur à l’ouvrage ni d’honnêteté. […] Certes, Delobelle est un comédien manqué.
Il manque un Appert pour les vers. […] Il a donné son langage à tout ce qui n’en avait pas et il a créé un mouvement et une vie qui selon lui manquaient. […] Ainsi beaucoup de gens m’ont déjà reproché de manquer d’esprit. […] Il lui a manqué un philosophe qui pût diriger sa marche et donner, dès le principe, de la solidité à ses conceptions. […] Ces comparaisons parlantes ne manquent pas déjà d’un certain parfum d’agréable dérangement du cerveau ; mais enfin si M.
Rappelé à l’âge de vingt ans à l’île Bourbon par sa famille, Parny y trouva ce qui lui avait manqué jusqu’alors pour animer ses vers et leur donner une inspiration originale, la passion. […] Le Souvenir serait une vraie élégie si la fin répondait au commencement ; mais l’expression abstraite gâte l’effet : il y manque l’image. […] Pour être un Tibulle entier, ce n’est pas tant la passion élégiaque qui a manqué à Parny, c’est le sentiment large et naïf de la nature champêtre, ce qui fait de Tibulle le digne second du chantre des Géorgiques.
On tire très souvent vanité des qualités qu’on n’a pas ; on voit des hommes se glorifier des facultés spirituelles ou sensibles qui leur manquent. […] La vanité des hommes supérieurs les fait prétendre aux succès auxquels ils ont le moins de droit ; cette petitesse des grands génies se retrouve sans cesse dans l’histoire ; on voit des écrivains célèbres ne mettre de prix qu’à leurs faibles succès dans les affaires publiques ; des guerriers, des ministres courageux et fermes, être avant tous flattés de la louange accordée à leurs médiocres écrits ; des hommes, qui ont de grandes qualités, ambitionner de petits avantages : enfin, comme il faut que l’imagination allume toutes les passions, la vanité est bien plus active sur les succès dont on doute, sur les facultés dont on ne se croit pas sûr ; l’émulation excite nos qualités véritables ; la vanité se place en avant de tout ce qui nous manque ; la vanité souvent ne détruit pas la fierté ; et comme rien n’est si esclave que la vanité, et si indépendant, au contraire, que la véritable fierté, il n’est pas de supplice plus cruel, que la réunion de ces deux sentiments dans le même caractère. […] Les femmes sensibles et mobiles, donneront toujours l’exemple de cette bizarre union de l’erreur et de la vérité, de cette sorte d’inspiration de la pensée, qui rend des oracles à l’univers, et manque du plus simple conseil pour soi-même.
La complaisance qu’on a pour ses idées, la peine qu’on éprouve à se retrancher, à repousser un trait d’esprit ou une pensée originale, font qu’on manque sans cesse aux lois de la proportion, qu’on développe les parties au gré de sa fantaisie et de son plaisir, non pas selon leur importance, et qu’on produit des œuvres boiteuses, bossues, des monstres difformes qui ne se tiennent pas debout et qui ne sauraient vivre. […] Et voici le secret de sa perfection : « Ce n’est pas assez, écrit-il, qu’une chose soit belle, il faut qu’elle soit propre au sujet, qu’il n’y ait rien de trop ni rien de manque. » Ce retranchement exact assure l’unité et la brièveté. […] Bossuet ne manque jamais de faire connaître le plan qu’il se propose de suivre dans ses oraisons funèbres : mais il le fait sans le dire, sans compter sur ses doigts les parties et les parties des parties, sans sécheresse en un mot ni nomenclature rebutante.