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1002. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Rois et princes briguaient sa main, mais son humilité était si grande, qu’elle refusait toujours les prétendants. […] Un homme souffrant, le roi Amfortas, domine tout, de sa figure pâle, où le mal laisse cependant régner encore une sorte de calme résigné ; Gurnemanz, enfin, le vieux compagnon de Titurel, représente l’ancien temps de splendeur guerrière, par sa rudesse tempérée de douceur grave et paternelle quand il appuie sa main sur les cheveux blonds du jeune écuyer, qui le regarde de ses yeux candides. […] Le miracle se manifeste par les mains de Parsifal : tout reprend la pureté primitive, et le rideau, se refermant peu à peu, nous cache cette masse agenouillée et ne nous laisse plus voir que la silhouette de l’homme pur et saint qui lève le Gral dans la lumière ! […] Quand la plainte d’Amfortas atteint sa plus grande intensité, il porte la main à son cœur28, comme s’il venait d’y recevoir une nouvelle blessure, puis reste sans mouvement. […] Quand il se relève et va vers le vieillard, il a un geste de douce amitié en lui tendant les mains.

1003. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

L’auteur des quarante éditions de Monsieur, Madame et Bébé, est un homme court, aux mains grasses, ayant sur la figure, quand il parle, de la nervosité de Fromentin. […] Tous deux ont une voix douce et musicale, des pieds d’une petitesse exquise, des mains douées pour prendre les choses, de la préhension délicatement tâtonnante des singes. […] Dans un moment où ils étaient seuls, le gendarme, étendant la main vers les reliures en bois et les reliures en peau de truie des antiques manuscrits des vieux siècles, dit à Renan : « Monsieur, tous ces ouvrages, je pense, sont les livres couronnés par l’Académie ?  […] L’homme sort de sa petite voiture, se met sur ses jambes artificielles, embrasse les mains de Lachaud, s’écrie qu’il lui doit sa fortune, que sa femme après lui aura de quoi vivre, que ses enfants seront heureux : un vrai discours, prononcé moitié pleurant. […] Et je me rappelle dans ce temps, où l’on ne se servait pas de verre mousseline, il buvait son bordeaux dans un verre qu’aurait brisé, en le touchant, une main grossière.

1004. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

— Espée bastarde, c’était celle qui pouvait servir à une main et à deux. […] Les harpes sont éclatées, les harpes, hymnaires Aux louanges des mains morbides de la lente souveraine. […] Les cloches, leur battant des mains S’étourdissent en jeunes gammes Hymniclames ! […] Ni la rancune d’avoir été docilement plastique sous des mains adorantes, sous des mains impérieuses. […] Ses mains qu’elle tend comme pour des théurgies.

1005. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Le dernier des classiques donnait le premier les mains avec une joie généreuse à la consécration de la Muse enhardie, et lui-même il s’éclairait du triomphe. […] Les volumes même ont été vus alors tout imprimés entre ses mains ; mais un scrupule le saisit : il les retint, puis les fit détruire. […] De longue main, Eschyle, dans ses Perses, y a pourvu : c’est lui qui a fait là, une fois pour toutes, l’épopée de Salamine. […] C’est comme une figure grecque, à lignes extrêmement simples, une virginale esquisse de la Vénusté ou de la Pudeur, à peine tracée dans l’agate par la main de Pyrgotèle. […] Arnault, conseiller de l’Université et à la fois secrétaire du Conseil, fut à même de desservir de très-près le Grand-Maître et de prêter secours sous main à la résistance de Fourcroy.

1006. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Ainsi ferez-vous, vous qui tenez ce livre d’une main blanche, vous qui vous enfoncez dans un moelleux fauteuil en vous disant : Peut-être ceci va-t-il m’amuser. […] Poiret, vieillard plus semblable à une ombre, dont la canne à pomme d’ivoire jauni dans sa main soutenait mal les jambes grêles chaussées de bas bleus. […] Le livre tombe des mains honnêtes. […] La première fois que, dupe d’un sentiment généreux, j’avançai la main pour accepter la friandise tant souhaitée qui me fut offerte d’un air hypocrite, mon mystificateur retira sa tartine aux rires des camarades prévenus de ce dénouement. […] Ses bras étaient beaux, sa main aux doigts recourbés était longue, et, comme dans les statues antiques, la chair dépassait ses ongles à fines côtes.

1007. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Voilà ce qu’il avait rêvé de faire, il y a cent vingt ans, les mains dans ses poches. […] Je me jetai aux genoux de madame Ives ; je couvris ses mains de mes baisers et de mes larmes. […] Elle rentre dans ses huttes, laissant René aux mains de l’ennemi. […] Il fait un étalage d’érudition inutile et assommante, et qui, encore, est de troisième main. […] Sa grandeur n’est venue que des forces immenses que nous lui remîmes entre les mains lors de son élévation.

1008. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Je ne le reçois pas directement, de la main à la main. […] Le reste est entre tes mains. […] Lorsque Péponet est ruiné, il demande la main de la jeune fille. […] Il la voit triste, il la croit sage ; il lui demande sa main. […] La petite fille offre rageusement sa main à Chambreuil, qui l’accepte.

1009. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Même il lui offre incontinent la main de sa fille avec cent mille écus de dot. […] Et Pia, elle-même, le considère comme tel, pourvu qu’il s’accomplisse par d’autres mains que celles de son fils. […] Voici un reçu signé de ma main. […] Mélisande a les mains brûlantes : « On dirait que mes mains sont malades aujourd’hui ». […] Mes deux mains ne peuvent plus les tenir ; il y en a jusque sur les branches du saule… Ils vivent comme des oiseaux dans mes mains… et ils m’aiment, ils m’aiment plus que toi ! 

1010. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Jules Sandeau » pp. 322-326

Du trait dans la conversation, des pointes à tout propos, quelque chose de vif et de sémillant dans son bon temps ; avoir sur chaque sujet de passage une provision de bons mots plus ou moins préparés, comme on a des pastilles dans une bonbonnière d’écaille qu’on fait circuler aux mains des dames ; ne voir guère dans tout ce qui est sur le tapis, même dans ce qui est sérieux, que prétexte à paillettes et à étincelles ; ne jamais sortir d’un salon sans assurer et signaler sa sortie par un dernier petit trait qu’on lance en fuyant : tel était, tel nous vîmes pendant des années ce galant homme, homme d’esprit assurément, mais des plus précieux et non pas médiocrement frivole. […] On se sent aux mains d’un esprit supérieur qui vous conduit.

1011. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame du Hausset, femme de chambre de madame de Pompadour. »

Celle-ci finit par sourire et baisa les mains du roi. […] Partout, autour d’eux, retentissaient des craintes confuses, a Ce royaume est « bien mal », disait un jour Mirabeau père, chez Quesnay, médecin du roi et de la favorite ; « il n’y a ni sentiments généreux ni argent. » —  « Il ne peut être régénéré, reprit La Rivière, que par une conquête comme  à la Chine, ou par un grand bouleversement intérieur ; mais malheur à ceux qui s’y trouveront, le peuple français n’y va pas de main morte ! 

1012. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

Et les quelques mots écrits à la main sur l’exemplaire que j’ai sous les yeux sont d’une graphologie de petite écolière maladroite. […] Il vit comme cela, pion dans une boite, et passe parfois sur son front sa main moite… [Mercure de France (1893).]

1013. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

En mettant la main sur cette chaude histoire de Constantinople pour nous essuyer de cet allemand, nous avons senti l’électricité nous reprendre. […] On sent que son catholicisme n’est pas un simple effet de coloris, mais une réflexion de son esprit devant l’Histoire, qui va donner à un talent jusqu’ici plus étincelant que profond la dernière main : la Profondeur.

1014. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Si je lève la main de A en B, ce mouvement m’apparaît à la fois sous deux aspects. […] Plus précisément, oeil à l’acte simple par lequel nous levons la main. Mais nous avons supposé que la main ne rencontrait aucune résistance. […] A un certain moment, ma main aura épuisé son effort, et, à ce moment précis, les grains de limaille se seront juxtaposés et coordonnés en une forme déterminée, celle même de la main qui s’arrête et d’une partie du bras. Maintenant, supposons que la main et le bras soient restés invisibles.

1015. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Tibère choisit sous main les accusateurs de Latius et leur fait distribuer leurs rôles. […] Il est comme le joueur à demi ruiné, qui d’une main convulsive jette sur le tapis le reste de sa fortune. […] Où trouvera-t-on de pareils soufflets lancés et assenés en plein visage par la violente main de la satire ? […] quelque idiote sortie de l’hôpital, qui se tiendrait roide, les mains comme ceci, la bouche tirée d’un côté, et les yeux sur vous154 ?  […] Les autres l’interrompent à chaque phrase, lui mettent la main sur la bouche, et tour à tour, prenant le manteau, entament la critique des spectateurs et des auteurs.

1016. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Quand j’ai songé à étudier pièce à pièce cet homme encyclopédique, qui a laissé à lui tout seul d’Athènes un monument homogène plus complet et plus divin mille fois que cette encyclopédie de plusieurs mains inspirée en France par Voltaire, Diderot et leurs amis, travaillant sans plan à détruire plus qu’à édifier, je suis allé d’abord chercher dans sa retraite Barthélemy Saint-Hilaire. […] Le caractère belliqueux de ses habitants et l’unité du pouvoir héréditaire concentré dans la main d’un roi guerrier la rendait tantôt secourable, tantôt redoutable à la Grèce républicaine. […] « On ne peut douter que l’État ne soit naturellement au-dessus de la famille et de chaque individu ; car le tout l’emporte nécessairement sur la partie, puisque, le tout une fois détruit, il n’y a plus de partie, plus de pieds, plus de mains, si ce n’est par une pure analogie de mots, comme on dit une main de pierre ; car la main, séparée du corps, est tout aussi peu une main réelle. […] Cet échange des enfants passant, aussitôt après leur naissance, des mains des laboureurs et des artisans leurs pères entre celles des guerriers, et réciproquement, présente encore bien des embarras dans l’exécution. […] Il est certainement préférable que la cité, grâce aux institutions primitives du législateur, puisse se passer de ce remède ; mais, si le législateur reçoit de seconde main le gouvernail de l’État, il peut, dans le besoin, recourir à ce moyen de réforme.

1017. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Que diriez-vous, si nous descendions et si je vous mettais à la main un vrai arc de Baschkir ? […] » J’étais plein de joie de tenir cette chère arme dans mes mains. […] Hardi comme je pouvais l’être, je passai mes mains dans le chevelure de ces deux princes, en leur disant : « Eh bien, têtes à filasse, comment nous portons-nous ?  […] Nos mains se pressèrent. […] Elle monta l’escalier noir devant moi, me tenant par la main pour me conduire.

1018. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Même, si elle s’arrête un instant, notre main impatientée ne peut s’empêcher de se mouvoir comme pour la pousser, comme pour la replacer au sein de ce mouvement dont le rythme est devenu toute notre pensée et toute notre volonté. […] Il vous semblera que la sensation d’effort, tout entière localisée dans votre main, passe successivement par des grandeurs croissantes. En réalité, votre main éprouve toujours la même chose. […] On se rendra facilement compte de ce processus en tenant une épingle dans la main droite, par exemple, et en se piquant de plus en plus profondément la main gauche. […] C’est que, sans y prendre garde, vous localisiez dans la sensation de la main gauche, qui est piquée, l’effort progressif de la main droite qui la pique.

1019. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Une de mes mains se trouvait appuyée sur son cœur, qui touchait à ses légers ossements, il palpitait avec rapidité comme une montre qui dévide sa chaîne brisée. […] Je n’aimais pas Napoléon, mais je me souviens que mon estime pour Chateaubriand tomba devant le grossier mensonge du pape traîné par les cheveux à Fontainebleau par les mains sacriléges de l’empereur. […] Ce général reçut de mes mains le ministère et mes instructions. […] LIV M. de Chateaubriand, sollicité par le duc d’Orléans de s’unir à lui pour sauver la France, ne sauva que son honneur en donnant sa démission entre les mains de l’anarchie qu’il avait appelée. […] Il ne restait qu’un homme, démenti vivant à toutes les théories, debout, l’épée à la main, sur toutes les ruines.

1020. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Cette préface, sur laquelle on a tant compté, n’a pas été tracée, en effet, par une main vivante. […] C’est, dans l’intérêt d’un dégourdissement de facultés quelconques, l’attaque d’un sujet faite par une main audacieuse ou prudente, mais toujours rapide, car qui s’appesantit sur un sujet ne l’essaie plus. […] … Aux mains de cet habile homme, emporté par sa verve, le prélude sera-t-il devenu un concert et l’essai une œuvre accomplie ? […] Hommes de seconde main, ils convenaient davantage à une plume de seconde main. […] Antigone, voulant ajouter à une gloire qui devient de plus en plus incertaine, a, de ses trop pieuses mains, enterré définitivement son père sous le livre même qu’elle vient d’exhumer.

1021. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Il peint tout, dans cette Halle qu’il a choisie comme sujet de peinture incessante, dans cette Halle qui est bien plus le sujet de son livre que les personnages qui s’y agitent ; et il peint avec une telle absorption de lui-même dans l’objet, qu’il n’est plus une main conduite par une pensée, mais une espèce de palette mécanique, un pinceau qui va par l’effet d’un ressort, un procédé. […] Zola n’a pas donné non plus à son abbé Mouret le grandiose tragique qu’a parfois le prêtre qui tombe, le prêtre porte-lumière, foudroyé comme Lucifer, mais par une foudre qui vient d’en bas et qui n’est plus lancée par la main de Dieu. […] Tout à coup, Désirée cria à son frère, qui chantait les dernières prières, en l’apostrophant par-dessus le mur de la basse-cour et en tapant dans ses mains, comme sur le ventre ballonné du cochon : « Serge ! […] Zola, l’auteur des Rougon-Macquart, ce livre jeté dans le moule de Balzac, — mais qui n’est ni de la même main, ni du même bronze, et qui a fait son trou dans une publicité presque insolente… Il a des amis qui ne croient peut-être pas en Dieu, mais qui croient en lui. […] Il affirme, la main sur la poitrine, qu’il n’est pas un buveur de sang… (quelle fatuité !)

1022. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers (suite) »

Ney n’y tint pas : se voyant une telle force en main, après une attaque des Anglais repoussée, il déboucha de la Haie-Sainte, se lança sur le plateau, et livra cet assaut acharné dans lequel un nouvel entrainement vint englober toute la grosse cavalerie de la garde, la réserve même, sans que celle-ci eût reçu aucun ordre pour cela. […] Et puis, quand toute cette troupe, ces 10,000 hommes de superbe cavalerie, dans la main du plus brave des hommes, plus furieux et plus enragé d’héroïsme à cette heure suprême qu’on ne l’avait jamais vu en aucune rencontre, eurent chargé et rechargé maintes fois, eurent fait des miracles, eurent ouvert mainte et mainte brèche dans les rangs de la plus tenace des infanteries et en face du plus inébranlable des chefs de guerre dont la grandeur dans l’histoire est d’avoir résisté et vaincu ce jour-là ; quand Ney, après des heures tumultueuses que nulle montre exacte n’a comptées, se sentit à bout d’efforts, son quatrième cheval tué sous lui, à pied, son habit percé de balles et lui-même là-dessous comme invulnérable, il avait envoyé son aide de camp Heymès demander à Napoléon ce renfort d’infanterie, et Napoléon avait fait la réponse désespérée, inexorable. […] L’ordre de bataille que prennent les deux armées, les premiers mouvements pour en venir aux mains, sont l’exposition ; les contre-mouvements que fait l’armée attaquée forment le nœud, ce qui oblige à de nouvelles dispositions et amène la crise, d’où naît le résultat ou dénouement. » Par malheur, le plan de Waterloo ne put être exécuté à aucun moment comme il avait été conçu.

1023. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Aristarque pour les poëmes homériques, Tieck pour Shakspeare, ont été, dans l’antiquité et de nos jours, des modèles de cette sagacité érudite appliquée de longue main aux chefs-d’œuvre de la poésie : vestigia semper adora ! […] Toutefois, pour être juste, il reste encore à la critique, après le triomphe incontesté, universel, du génie auquel elle s’est vouée de bonne heure, et dont elle voit s’échapper de ses mains le glorieux monopole, il lui reste une tâche estimable, un souci attentif et religieux : c’est d’embrasser toutes les parties de ce poétique développement, d’en marquer la liaison avec les phases qui précèdent, de remettre dans un vrai jour l’ensemble de l’œuvre progressive, dont les admirateurs plus récents voient trop en saillie les derniers jets. […] comme pour se rassurer dans les ténèbres et se fortifier contre lui-même ; vainement il montre de loin à son amie, dans le ciel sombre, la double étoile de l’Âme immortelle et de l’Éternité de Dieu ; vainement il fait agenouiller sa petite fille aînée devant le Père des hommes, et lui joint ses petites mains pour prier, et lui pose sur sa lèvre d’enfant le psaume enflammé du prophète : ni la Prière pour Tous si sublime, ni l’Aumône si chrétienne, ne peuvent couvrir l’amère réalité ; le poëte ne croit plus.

1024. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

En même temps la science aide le dogme ; les forces naturelles disparaissent ; entre les mains des philosophes, les êtres perdent leur énergie efficace ; les dieux intérieurs qui vivent dans les choses sont anéantis ; toutes les puissances particulières se concentrent dans le Dieu unique. […] Toutes les fois qu’on lit dans Bossuet les triomphes de Dieu, on pense à ceux du prince ; le paradis qu’il décrit n’est pas fort différent de Versailles ; l’assemblée des élus est une cour où l’on distribue beaucoup de cordons bleus, et l’orateur lui-même, du haut de sa chaire, tonne par les mains de « son grand Dieu », comme l’ambassadeur en Hollande foudroyait les pauvres mynhers de la colère de son roi. — Et remarquez bien que ce dieu monarchique se trouve comme le roi placé entre le despote asiatique et le souverain moderne. […] Il y trouve des figures sublimes, dignes d’Homère, quand il montre « les Parques blêmes dont la main se joue également des jours du vieillard et de ceux du jeune homme. » Il ne peint pas les dieux vaguement, avec des souvenirs de classe.

1025. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Akakia termine sa critique, en disant à l’ennemi juré de Kœnig, « qu’il ne compromette personne dans une querelle de néant que la vanité veut rendre importante ; qu’il ne fasse point intervenir les dieux dans la guerre des rats & des grenouilles ; qu’il n’écrive point lettres sur lettres à une grande princesse, pour forcer au silence son adversaire, & pour lui lier les mains afin de l’assassiner ». […] celui d’avoir entre les mains un écrit, qui n’étoit pas un contrat, mais un pur effet de la volonté du roi de Prusse, ne tirant à aucune conséquence a, & un livre de poësies de ce même prince, qui, après en avoir fait tirer quelques exemplaires & les avoir distribués à différentes personnes, du nombre desquelles étoit M. de Voltaire, avoit ordonné qu’on brisât la planche. […] Il protesta qu’il les remettroit dès l’instant qu’ils seroient entre ses mains ; consentant, s’il manquoit à sa parole, d’être déclaré criminel de lèze-majesté envers le roi de France son maître & le roi de Prusse .

1026. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

Bouillaud : « Matériellement, la main est aussi assurée qu’elle l’était en état de santé55 ; les lettres sont bien tracées, mais les lettres ne forment point de mots, et ne peuvent rendre une pensée quelconque…, et cependant, ayant pris un papier rayé, le malade se mit à composer quelques lignes, que sa femme exécuta sur le piano, toute stupéfaite de l’exactitude de la composition, exempte de toute toute ou erreur musicale. […] Baillarger nous dit qu’on pourrait les expliquer en disant que, pour le cerveau comme pour les mains, il y aurait des droitiers et des gauchers. […] Ce résultat, sans doute, s’il était établi, serait suffisamment intéressant par lui-même ; mais il ne prouverait pas une localisation naturelle et essentielle : car, en définitive, les deux mains ont les mêmes fonctions, quoique certaines actions soient plus commodes d’un côté que de l’autre.

1027. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

Nulle comparaison entre nos saints, nos apôtres et nos vierges tristement extasiés, et ces banquets de l’Olympe où le nerveux Hercule appuyé sur sa massue regarde amoureusement la délicate Hébé, où Apollon avec sa tête divine et sa longue chevelure tient par ses accords les convives enchantés ; où le Maître des dieux s’enivrant d’un nectar versé à pleine coupe de la main d’un jeune garçon à épaules d’ivoire et à cuisses d’albâtre, fait gonfler de dépit le cœur de sa femme jalouse. […] Vous me direz peut-être que la tête de la femme n’est pas d’une grande correction ; que celle de Joseph n’est pas assez jeune ; que le tapis rouge qui couvre ce bout de toilette est dur ; que cette draperie jaune sur laquelle la femme a une de ses mains appuyée, est crue, imite l’écorce, et blesse vos yeux délicats ? […] Quelle différence encore entre ces amis qui tendent les mains au ressuscité de Deshays et cet homme prosterné qui éclaire avec un flambeau la scène de Jouvenet !

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