/ 2687
788. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Les vieux généraux de la guerre de Sept Ans, exhumés après tant d’années et pris pour guides, se trouvèrent à court ; ils n’avaient rien appris depuis : « l’âge avait glacé chez eux les qualités qui leur avaient valu du renom, et ne leur avait pas donné le génie, car le génie n’est jamais le fruit de l’âge ni de l’expérience. » Les jeunes, « le prince de Hohenlohe, et Massenbach, son bras droit, avaient tout juste assez d’esprit et de science pour prendre de la guerre ce qu’il y avait de plus faux. » Les manœuvres leur cachaient les vrais mouvements. […] À côté de Jomini et non pas en contradiction avec lui, un témoin secondaire de cette campagne est à entendre, M. de Fezensac, qui, tout jeune, venait aussi d’être attaché à l’état-major du maréchal Ney et qui faisait le service d’officier d’ordonnance. […] J’ai moi-même entendu raconter au marquis de Saint-Simon, qui était de cet état-major, combien ces jeunes officiers brillants, étourdis autant que braves, s’isolaient de Jomini, de ce confident du maréchal : il avait à leurs yeux le tort d’être à la fois étranger, savant et non viveur. […] La première fois que le jeune Fezensac eut à commencer son service actif après l’entrée en campagne, le maréchal lui ayant donné un ordre de mouvement à porter au général Colbert : « Je voulus demander où je devais aller. […] Un jour, il vit un de ses amis, un jeune officier d’état-major qui, en descendant l’escalier qui menait au cabinet de l’Empereur, semblait tout occupé à fourrer sa jambe dans l’un des contours de la grille de fer formant la rampe.

789. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Mais que pour cette fois ce soit une belle âme, Tendre et douce à l’amour, et légère à guider, Qui de jeunes baisers rafraîchisse ma flamme, Me couvre de son aile et me sache garder ; Qui des rayons de feu que lance ma paupière Réfléchisse en ses pleurs la tremblante clarté, Et, sans orage au ciel, sans trop vive lumière, Se lève sur le soir de mon rapide été ! […] Guttinguer avait publié vers 1828, Amour et Opinion, les mœurs de l’époque impériale, celles de 1815, étaient déjà bien exprimées : élégie de fin d’Empire, écrite par un ex-garde d’honneur, où les personnages sont de beaux colonels et des généraux de vingt-neuf ans, de jeunes et belles comtesses de vingt-cinq ; où la scène se passe dans des châteaux, et le long des parcs bordés d’arbres de Judée et de Sainte-Lucie : en tout très-peu de Waterloo. — Mais Arthur est le vrai, le seul roman de M. […] J’arrête souvent mon cheval au milieu des chemins ruraux que je traverse de préférence, et je demeure attendri jusqu’au fond du cœur des tableaux qui s’offrent à moi : Voici les charrues actives qui passent sous les pommiers jaunis ; le sac de bon grain est debout au milieu du champ, que parcourt en tous sens la herse traînée par de bons jeunes et vieux chevaux, qu’on a soin d’atteler ensemble, image de la vigueur et de l’expérience unies. […] Il ne pouvait s’empêcher presque chaque fois, dans ses articles très-peu critiques, de revenir à la poésie et aux souvenirs émus de ses jeunes années, aux principaux noms romantiques qui lui étaient restés chers : mon nom, à moi-même, y trouvait souvent son compte, et son amitié pour moi, à travers l’éloignement et l’absence, n’a jamais varié. […] Ulric, tout faible et fragile, qu’il était, se prenait aisément à avertir et, qui plus est, à prêcher dans leurs fougueux entraînements ses jeunes amis, Musset et son inséparable Alfred Tattet ; il leur parlait en censeur onctueux et indulgent, mais sans se garder assez du ton dévot, et comme quelqu’un qui sort de s’entretenir avec les Pères du Désert : on peut juger des hauts cris et des rires qu’il provoquait à de certaines heures.

790. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Danton, assis à côté de Camille Desmoulins, faisait rasseoir son jeune compagnon, et lui reprochait ce vain étalage de supplications et de désespoir. […] Un cri d’homme arraché par le souvenir de sa jeune femme échappa au mourant. […] VII Le meurtre de Madame Élisabeth, jeune sœur du roi, n’a dans aucune langue, excepté dans la langue des anthropophages, de mot pour le caractériser. […] Elle donna la moitié de son fichu à une jeune condamnée, et le noua de ses propres mains pour que la chasteté ne fût pas profanée même dans la mort. […] XIII « Une intention droite au commencement ; un dévouement volontaire au peuple représentant à ses yeux la portion opprimée de l’humanité ; un attrait passionné pour une révolution qui devait rendre la liberté aux opprimés, l’égalité aux humiliés, la fraternité à la famille humaine ; des travaux infatigables consacrés à se rendre digne d’être un des premiers ouvriers de cette régénération ; des humiliations cruelles patiemment subies dans son nom, dans son talent, dans ses idées, dans sa renommée, pour sortir de l’obscurité où le confinaient les noms, les talents, les supériorités des Mirabeau, des Barnave, des La Fayette ; sa popularité conquise pièce à pièce et toujours déchirée par la calomnie ; sa retraite volontaire dans les rangs les plus obscurs du peuple ; sa vie usée dans toutes les privations ; son indigence, qui ne lui laissait partager avec sa famille, plus indigente encore, que le morceau de pain que la nation donnait à ses représentants ; son désintéressement appelé hypocrisie par ceux qui étaient incapables de le comprendre ; son triomphe enfin : un trône écroulé ; le peuple affranchi ; son nom associé à la victoire et aux enthousiasmes de la multitude ; mais l’anarchie déchirant à l’instant le règne du peuple ; d’indignes rivaux, tels que les Hébert et les Marat, lui disputant la direction de la Révolution et la poussant à sa ruine ; une lutte criminelle de vengeances et de cruautés s’établissant entre ces rivaux et lui pour se disputer l’empire de l’opinion ; des sacrifices coupables, faits, pendant trois ans, à cette popularité qui avait voulu être nourrie de sang ; la tête du roi demandée et obtenue ; celle de la reine ; celle de la princesse Élisabeth ; celles de milliers de vaincus immolés après le combat ; les Girondins sacrifiés malgré l’estime qu’il portait à leurs principaux orateurs ; Danton lui-même, son plus fier émule, Camille Desmoulins, son jeune disciple, jetés au peuple sur un soupçon, pour qu’il n’y eût plus d’autre nom que le sien dans la bouche des patriotes ; la toute-puissance enfin obtenue dans l’opinion, mais à la condition de la maintenir sans cesse par de nouveaux crimes ; le peuple ne voulant plus dans son législateur suprême qu’un accusateur ; des aspirations à la clémence refoulées par la prétendue nécessité d’immoler encore ; une tête demandée ou livrée au besoin de chaque jour ; la victoire espérée pour le lendemain, mais rien d’arrêté dans l’esprit pour consolider et utiliser cette victoire ; des idées confuses, contradictoires ; l’horreur de la tyrannie, et la nécessité de la dictature ; des plans imaginaires pleins de l’âme de la Révolution, mais sans organisation pour les contenir, sans appui, sans force pour les faire durer ; des mots pour institutions ; la vertu sur les lèvres et l’arrêt de mort dans la main ; un peuple fiévreux ; une Convention servile ; des comités corrompus ; la république reposant sur une seule tête ; une vie odieuse ; une mort sans fruit ; une mémoire souillée, un nom néfaste ; le cri du sang qu’on n’apaise plus, s’élevant dans la postérité contre lui : toutes ces pensées assaillirent sans doute l’âme de Robespierre pendant cet examen de son ambition.

791. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Or, j’assiste à une enfance comprimée, studieuse, sérieuse et docile de jeune prince qu’on chauffe et qu’on pétrit de bonne heure et durement pour son rôle futur. […] A quinze ans, le duc d’Anguien n’avait pour ainsi dire pas vu son père ni sa mère. « En apprenant, en imposant le respect à son fils, dit M. le duc d’Aumale, Henri de Bourbon négligea de faire naître, de développer dans cette jeune âme certains sentiments délicats, de toucher certaines cordes qui n’ont jamais vibré dans le grand cœur de Condé. » A la bonne heure ! […] Pelletier pour empêcher le jeune duc d’aller à un divertissement chez sa mère : M. le duc d’Aumale a le courage d’avouer que « cette conspiration contre d’innocents plaisirs ne fut pas du goût de M. le duc » et que « pendant quelques jours M. de Benjamin n’eut pas à se louer de lui ». […] Il est vrai « qu’il fut réglé que le jeune gouverneur ne prendrait résolution sur aucun objet important sans l’avis d’un conseil dont son père avait nommé tous les membres ». […] Jadis, quand j’étais beaucoup plus jeune, je concevais mal ce génie-là ; je n’en saisissais point la beauté propre.

792. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Elle crut trouver chez les jeunes garçons pervertis plus de droiture, de franchise, d’aptitude au relèvement que chez les jeunes filles, prises au même étiage de démoralisation. […] Au début, deux jeunes scélérats se risquèrent à adresser à madame Gros des paroles inconvenantes ; sa froideur absolue et sa fermeté leur imposèrent silence ; jamais depuis il n’est arrivé qu’on ait osé prononcer devant elle un mot déplacé. […] Les confidences de ces jeunes pervertis sont faciles à obtenir ; car, ainsi que madame Gros le remarque, le premier sentiment qu’elle trouve toujours chez eux est la fierté de leurs crimes. […] Vous venez d’applaudir ce que faisaient deux jeunes héros à quinze ans ; je vous présente maintenant la vertu centenaire, en la personne de Marie Coustot, de Condom. […] Son frère, perclus, qui n’a pas un mouvement, reçoit d’elle une instruction et des sentiments religieux qui le consolent ; un vieux grand-père, dans la misère, est adopté ; la mère, devenue paralytique, une jeune sœur, victime d’un accident, sont soignées, remplacées ; l’intempérance du père est limitée ; grâce à Emmeline, tout va pour le moins mal possible dans la plus triste des maisons.

793. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Lamoureux et Wilder représentent le wagnérisme parisien officiel ; braver ce double veau d’or n’est pas un moyen de fortune, pour qui surtout n’a pas — étant d’ailleurs trop jeune — de pupille millionnaire. […] Tout artiste les gêne, les bouscule, les soufflète, par le seul fait de son existence, et cela quel qu’il soit, jeune ou vieux, simple ou complexe, romantique ou réaliste, Barbey d’Aurevilly ou Zola, Manet, Roll ou Rodin, Hector Berlioz ou Richard Wagner. […] Il prédit que Renée n’aura pas quatre représentations, et, malgré tout, la pièce va jusqu’à la vingt-huitième ; il vaticine le succès de Mademoiselle de Bressier : huit jours après, cette jeune personne cesse de vivre. […] Lorsque nous en parlâmes, la sévère et réfléchie Monique elle-même se mit de mon côté, plaisantant la jeune conseillère par cette phrase de Gœthe : « Ô toi, ange plein de défiance…. […] La Jeune Garde : gravure de tête, « Représailles », coup de balai enveloppant parmi les choses allemandes de Paris Lohengrin.

794. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Elle était seulement blessée de la négligence du roi et de ses attentions pour cette jeune et belle personne, qu’elle appelait une belle idiote, et elle avait recours à son secret ordinaire pour rappeler sur elle l’attention, c’était de s’éloigner. […] Quand Louis s’en retournait, en 1672, désespéré, mais non rebuté, les désirs des sens étaient repoussés, le besoin, l’espérance de plaire commençaient à se faire sentir ; le prince, jeune et ardent, était désespéré ; le prince, aimable et charmé, n’était pas rebuté, ou ne se rebutait pas. […] Qu’on l’accuse de s’être faite dévote et d’avoir fait manœuvrer des prêtres pour se faire épouser, elle qui avait acquis le cœur du roi et obtenu sa renonciation aux maîtresses, durant la vie de la reine plus jeune qu’elle ! […] Le lecteur aimerait à trouver ici de nouvelles notions sur la figure et la taille de cette femme de quarante-cinq ans, dont la résistance affligeait le roi le plus galant du monde, et plus jeune qu’elle de trois ans. […] Mais ayant pris depuis deux ans beaucoup d’embonpoint, sans rien perdre de la noblesse de sa taille, elle était plus belle qu’on ne l’avait jamais vue à la cour ; sa figure étonnait par son éclat et sa majesté ; elle n’avait jamais mis de rouge, et le teint d’aucune jeune personne n’effaçait la pureté du sien. » Madame de Genlis se plaît à décrire ailleurs les charmes physiques de madame de Maintenon ; mais elle la place dans une situation romantique : elle venait de se dépouiller de sa mante et de son écharpe pour en revêtir une personne qui manquait d’habits.

795. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Raymond de Taulignan, un jeune gentilhomme du voisinage, dont elle a deviné l’amour ombrageux et taciturne ; car Raymond est pauvre, et les deux millions effarouchent sa fierté craintive. […] Mais voilà que ce dialogue nous rappelle, comme un air, joué sur un piano de salon bourgeois, pourrait rappeler quelque idéale mélodie de harpe éolienne suspendue aux branches d’un pin d’Italie dans l’Isola bella, le duo virginal de la Ninon et de la Ninette d’Alfred de Musset : Ninon L’eau, la terre et les vents, tout s’emplit d’harmonies Un jeune rossignol chante au fond de mon cœur. […] Il le célèbre et il l’entretient ; il l’adore et il le dessert ; il lui sacrifie tout, son temps, sa renommée, son talent, qu’il dépense, pour le nourrir, en travaux vulgaires, tout, jusqu’à son amour pour Frédérique, une jeune et belle orpheline recueillie dans l’atelier fraternel, qu’il fiance lui-même à son ami, dès qu’il s’aperçoit qu’elle en est aimée. […] Le jeune dieu, aveugle et violent, qui secoue d’une main un flambeau et brandit de l’autre une flèche acérée, a bien vite raison, lorsqu’il est aux prises avec elle, de la jeune et placide déesse que les anciens représentaient la poitrine entr’ouverte à l’endroit du cœur et tranquillement appuyée sur un cep de vigne enroulé autour d’un ormeau.

796. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Navarre, receveur des tailles à Soissons, était, nous dit un homme non amoureux (Grosley), la plus brillante partie de sa famille ; elle visait au grand, à l’extraordinaire, et se fit aimer du maréchal de Saxe : « La beauté, les grâces, les talents, un esprit délicat, un cœur tendre, l’appelaient à cette brillante conquête… Sa conversation était délicieuse70. » Marmontel nous la montre de plus imprévue, capricieuse, avec plus d’éclat encore que de beauté : « Vêtue en Polonaise, de la manière la plus galante, deux longues tresses flottaient sur ses épaules ; et sur sa tête des fleurs jonquille, mêlées parmi ses cheveux, relevaient merveilleusement l’éclat de ce beau teint de brune qu’animaient de leurs feux deux yeux étincelants. » C’est cette amazone, cette belle guerrière qui, sacrifiant l’illustre maréchal au jeune poète, enleva un matin Marmontel à ses sociétés de Paris et le transporta d’un coup de baguette dans sa solitude d’Avenay, où elle le garda plusieurs mois enfermé au milieu des vignes de Champagne comme dans une île de Calypso. […] Une autre distraction de Marmontel vers ce moment (car il en avait beaucoup) fut pour une autre jeune et jolie actrice, Mlle Verrière, qui avait été aussi au maréchal de Saxe : elle en avait eu une fille, depuis reconnue, Aurore de Saxe, qui n’est autre, je le crois bien, que la propre grand-mère de Mme Sand. […] Jeune, nous le voyons tel qu’il se peint lui-même, très répandu, très peu stoïque, actif à réussir, à se pousser dans le monde, à se procurer honnêtement des appuis : s’il a un pied chez Mme de Pompadour, il n’est pas mal avec la petite cour du Dauphin. […] Il épousa une jeune et jolie nièce de l’abbé Morellet : il avait cinquante-quatre ans, ce qui ne l’effraya point ; il était très amoureux de sa femme, et il se livra avec délices à cette vie de famille pour laquelle il était fait72. Sa morale, il nous l’avoue, se ressentit à l’instant de sa position nouvelle, de ses intérêts nouveaux ; sans devenir rigide, elle cessa aussitôt d’être relâchée : L’opinion, dit-il, l’exemple, les séductions de la vanité, et surtout l’attrait du plaisir, altèrent dans de jeunes âmes la rectitude du sens intime.

797. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

La guerre ayant recommencé en 1688, le ministre Seignelay, qui faisait sa visite à Rochefort, passant en revue les gardes de la marine, voulut réformer le jeune Bonneval, comme n’ayant que treize ans. […] Il tenait du duc d’Orléans, futur régent, du marquis de La Fare, de Chaulieu et des habitués du Temple, du grand prieur de Vendôme chez qui, plus tard, Voltaire jeune le rencontrera au passage : il lui suffisait, en tout état de cause, de rester digne de ce qu’il appelait la société des honnêtes gens, mais ce mot commençait à devenir bien vague ; et Saint-Simon, plus sévère et qui pressait de plus près les choses, disait de lui : « C’était un cadet de fort bonne maison, avec beaucoup de talents pour la guerre, et beaucoup d’esprit fort orné de lecture, bien disant, éloquent, avec du tour et de la grâce, fort gueux, fort dépensier, extrêmement débauché (je supprime encore quelques autres qualifications) et fort pillard. » Ce qui s’entrevoit très bien dans le peu qu’on sait du rôle du chevalier de Bonneval dans ces guerres d’Italie, c’est qu’il n’était pas seulement né soldat, mais général : il avait des inspirations sur le terrain, des plans de campagne sous la tente, de ces manières de voir qui tirent un homme du pair, et le prince Eugène dans les rangs opposés l’avait remarqué avec estime. […] Il y a d’elle des lettres tout ardentes et passionnées ; cette pauvre jeune femme malade s’exalte et se dévore dans la solitude : Non, je ne m’en plains pas, dit-elle ; quoique je sois dans une situation affreuse, je ne saurais regretter la tranquillité de la vie qui l’a précédée. […] La marquise de Prié et sa fille s’étaient permis de dire à leur cercle que la reine d’Espagne, épouse du jeune roi Louis Ier et fille de feu le duc d’Orléans régent, avait eu une aventure galante, accompagnée de certaines circonstances où le poignard avait joué un rôle. […] Après quelques premières politesses et quelques réflexions philosophiques sur le bonheur d’être jeune et de courir le monde avec insouciance, comme la lettre du cardinal annonçait Casanova pour homme de lettres, Bonneval se leva en disant qu’il voulait lui faire voir sa bibliothèque : Je le suivis au travers du jardin, et nous entrâmes dans une chambre garnie d’armoires grillées, et derrière le treillis de fil de fer on voyait des rideaux : derrière ces rideaux devaient se trouver les livres.

798. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

Mercredi 6 avril Je lis le commencement de La Faustin, devant les ménages Zola, Daudet, Hérédia, Charpentier, et les jeunes de Médan. […] Jeudi 23 juin Un jeune médecin italien nous faisait hier soir, un dramatique récit. […] Il avait à ses côtés, dans une toute petite chambre, presque remplie par un immense lit, un vieux et un jeune prêtre. […] » Et l’épouvante du diable se grossissant, au point de vue casuistique, de toutes les messes qu’il avait dites, en état de péché mortel, l’épouvante était si grande, qu’elle gagna le jeune prêtre, qui se mit à se cacher la figure dans les matelas. […] Jeudi 15 septembre Je tombe chez Burty, sur le vieux graveur Pollet, un japonisant frénétique, et qui est en train de dire : « Sur les 1 000 francs que j’ai pour vivre par mois, je paye 800 francs aux marchands de japonaiseries… c’est 200 qui me restent… mais j’ai des modèles qui me coûtent dans les 100 francs… donc 100 francs pour vivre… Ma foi, j’ai pris le parti de ne rien payer de mon vivant, je ne paye pas mon tailleur, je ne paye pas mon restaurateur… Il n’y a que mon cordonnier que je paye, parce que c’est un pauvre diable. » * * * — Visite de noces d’une jeune femme rieuse, chez une vieille tante de son mari, affligée d’une tympanite (maladie où l’on p… perpétuellement) et qui est menée par son beau-père, affreusement sourd : « Mais je ne comprends pas ce que la petite a à rire, comme cela, tout le temps… nous nous entretenons cependant de choses assez sérieuses », répète, à tout moment, le sourd intrigué.

799. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Expression dont Virgile se sert pour rendre plus touchante la douleur d’un jeune guerrier qui meurt loin de sa patrie. Nous vîmes au Jardin des plantes une jeune girafe dont l’air mélancolique rappelait le dulces reminiscitur Argos. » Quelles sont les sources des clichés ? […] Peut-être y a-t-il aussi des images inusables, des clichés en diamant, des phrases toutes faites depuis sans doute le commencement du monde et encore belles et jeunes. […] Pour en cueillir aussitôt plusieurs paniers, il suffit d’ouvrir encore une fois Télémaque, ce témoin précieux d’un moment de la langue française : « les pavots du sommeil — une joie innocente — à la sueur de leur front — secouer le joug de la tyrannie — fouler aux pieds les idoles — l’espérance renaît dans son cœur », sont des expressions qui exigent le sourire et qui ne peuvent plus se proférer qu’avec ironie, mais elles furent jeunes, éloquentes et sérieuses. […] A Lyon, m.dcc.lix. — Ce livre a été refait récemment et, le croira-t-on, pour guider dans les sentiers de la vertu littéraire les jeunes disciples de l’Apollon noir.

800. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Quant à moi, j’y saisis l’expression la plus complète, la plus précise et la plus raffinée de cet état spécial a quelques-uns de nos jeunes artistes, que je qualifierais de terreur du réel ou d’onanisme mental. […] A quel instinct ou à quel sentiment peuvent donc obéir ceux de nos jeunes artistes auxquels je viens de faire allusion, en fermant leurs yeux au monde pour préserver de contacts impurs le développement de leurs consciences, en se livrant à ces jouissances secrètes, à cette culture intensive et exclusive du « moi », qui les sépare de toute humanité ? […] Si la vie, en développant ces jeunes êtres atrophiés, ne les détourne pas de l’excitation solitaire de leurs cerveaux, si elle ne parvient pas à submerger leurs délicatesses de mauvais aloi sous un torrent de brutalités, s’ils n’arrivent pas enfin à comprendre que pour créer il faut étreindre, et soulever la matière vivante, vibrer en elle et la faire vibrer en soi, et qu’en cette double action résident la vie et la beauté, s’ils continuent à n’être dans le monde, qui les méprise, que des spécialistes et des vendeurs de pommade, à quel titre pourrions-nous les admettre, si, malgré la plus exquise délicatesse de l’amoureux le plus exquis de lui-même, nous continuons à préférer franchement aux plaisirs solitaires, les joies solidaires ? […] Panizza, d’observer un jeune garçon, pendant ses années de développement, et de suivre les agitations de son âme : on le trouvera beaucoup plus intéressant que le jeune homme qui sort des bras d’une cocotte.‌ […]  »‌ Il nous faut ici faire une remarque : que le jeune garçon, à l’âge de la croissance physique et du développement cérébral, soit momentanément plus « intellectuel » que le jeune homme qui fait ses premières armes sur le terrain de l’amour, cela, je ne le nie pas.

801. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Le public, très attentif pendant cette première partie du discours, attendait cependant la seconde, celle où le directeur de l’Académie devait analyser et apprécier les œuvres de son jeune et nouveau confrère. […] Lebrun « le plus jeune des poètes du premier empire. » Il a gardé, des temps où il a préludé, l’habitude d’un art sérieux, noble, et qui se respecte toujours ; il y a introduit, dans une seconde époque, une veine de franchise et de naturel qui, en ce temps-là, était neuve encore ; il a été novateur avec frugalité.

802. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laforgue, Jules (1860-1887) »

Je connais peu de livres, parmi tous ceux de notre temps et de notre âge, qui donnent, autant que celui-ci, l’impression d’une âme géniale, et je crois bien, en effet, que, parmi tous les jeunes artistes de sa génération, Laforgue seul a eu du génie. […] Émile Zola Laforgue, mort jeune, si inconnu, si peu formulé, n’ayant laissé que des indications si peu précises, qu’il échappe lui à tout classement, une ombre de maître, l’ombre qui s’efface, qui ne fait que passer en laissant la place aux autres.

803. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIII. Beau trio » pp. 164-169

J’entends bien qu’à une certaine altitude de succès on ne cherche un peu de vérité que chez les plus jeunes. […] Daudet a si bien réussi avec Fromont jeune et Risler aîné, qu’il n’a jamais refait un autre roman.

804. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

Le plus jeune est mort. […] Il éprouvait pour le plus jeune de nous deux une sorte d’affection paternelle ; et la solitude du Point-du-Jour s’ouvrait à notre visite avec cet aimable mot d’accueil : « Mes enfants, vous êtes la joie de ma maison ! 

805. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

Ils avaient des voix d’ouvriers dans le monde, des voix à la fois canailles et maniérées de jeune premier de barrière qui file les mots, sans être sûr de leur orthographe. […] Il n’y a qu’à Rome que nous trouvons le gras des contours. » Celui-là était Carpeaux5, un jeune sculpteur de grand talent. […] Je les regardais, ces femmes, au Casino Cadet, à côté de leurs danseurs, des espèces de plumitifs malheureux, de jeunes Gringoires, des clercs en deuil, dans des gilets de velours noir avec un crêpe à leur chapeau : pantins sinistres. […] Il faut par malheur que, le matin même, le Constitutionnel l’ait trouvé trop vieux dans Damis, et d’ailleurs, ainsi que tous les jeunes premiers dont la coquetterie est à rebours, il aspire aux rôles plus vieux que son âge, au rôle du Misanthrope. […] Ces deux femmes en noir étaient la princesse Murat et sa fille Anna, dont la mère venait annoncer le mariage avec le jeune duc de Mouchy.

806. (1888) Études sur le XIXe siècle

Son fils Carlo ayant épousé, contre son consentement, une de ses parentes, la jeune femme fut impitoyablement bannie de la maison. […] Une femme jeune, belle (oh ! […] Puis, une nouvelle charge : le jeune ’Ntoni revient, sans avoir fait fortune et paresseux, dérouté, ivrogne. […] Carmela est une jeune paysanne, à demi sauvage, qui s’est passionnément éprise d’un officier en garnison dans son village ; mais, — est-il besoin de le dire ?  […] Un jour, arrive un jeune lieutenant au cœur tendre, qui, touché par ses malheurs, entreprend de la guérir.

807. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Dans les visites que faisait à la Chartreuse le jeune enfant accompagné de son précepteur, il s’entretenait avec dom Durant, qui était ravi de le voir prendre si bien à la poésie jusqu’à admirer son poème ; de ces visites l’enfant rapportait toujours quelque image en taille-douce, dont il ornait les murailles de sa chambre à coucher. […] Après la mort de Henri IV, le jeune Marolles va avec sa mère à Tours, dont il fait une description agréable, qui doit être chère encore aujourd’hui aux Tourangeaux. […] Cependant le capitaine Marolles avait quitté sa compagnie des Cent-Suisses et était passé au service de la maison de Nevers, en qualité de gouverneur du jeune duc de Rethelois. […] Michel de Marolles est de ceux-là ; il échappe à l’oubli, et bien lui prend de pouvoir dire avec le plaisant et incomparable héros de Rabelais : « Je suis né et ai été nourri jeune au jardin de France, c’est Touraine. » — La gloire !

808. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

Je trouve dans les Mémoires d’un Bourgeois de Paris, où il y a sur les grands compositeurs de notre époque bien des anecdotes authentiques, et que l’auteur a sues d’original, le récit d’un certain dîner dans lequel Halévy jeune, avant la gloire, avant le renom, entouré d’amis éloquents et doctes, tient bien sa place et a déjà son rôle. […] Je prends cette historiette du dîner et ce serment dramatique des jeunes convives, sinon comme un fait précis, du moins comme une figure et un symbole. […] Parlez pleins de joie, jeunes soldats de l’Art ! […] Lorsque dans les séances publiques de l’Académie des Beaux-Arts, mainteneur et défenseur des doctrines classiques exclusives, il avait irrité les jeunes élèves par la rigidité de ses conseils et de ses leçons, il semblait, lorsqu’il en venait ensuite à la lecture de sa notice consacrée à un académicien mort, que cette lecture fût interminable.

809. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Calemard de Lafayette était, il y a une quinzaine d’années, un jeune littérateur de Paris ; il s’occupait de poésie et de critique ; il était du groupe de l’Artiste et en train de se faire un nom, tout en se livrant à ses goûts préférés, lorsque, vers ce temps, des circonstances de famille et de fortune l’enlevèrent à la vie parisienne : il avait le bonheur et l’embarras d’être propriétaire foncier ; il se retira dans ses terres aux environs du Puy, dans la Haute-Loire, et se mit à les exploiter lui-même ; il prit goût à l’agriculture, à l’amélioration du sol et des colons ; l’amour de la poésie l’y suivit, et il combina ces deux amours, celui des champs et celui des vers : il en est résulté le poème dont j’ai à parler et qui a paru il y a quelques mois. […] Suivent des observations physiques, hygiéniques, dignes d’un Hippocrate, sur la convenance des travaux selon les saisons, sur le corps plus léger en automne qu’en été ; des conseils techniques pour faire une charrue, de quel bois les différentes parties dont elle se compose ; de quel âge les bœufs qu’on y attelle ; le serviteur même n’aura pas moins de quarante ans, car plus jeune il s’égaye et quitte le travail pour aller courir avec ceux de son âge. […] je traverse avec lui la basse-cour où j’admire la couveuse que j’effraye en passant, et le jeune poulet déjà coq qui se rengorge au soleil ; je longe la mare où flotte l’escadre criarde des canards, et j’arrive sans honte ni vergogne à l’étable aux pourceaux. […] Le progrès est frappant sur tous les poèmes des champs et de l’agriculture qui ont précédé, soit dans le dernier siècle, soit au commencement de celui-ci : c’est un progrès analogue à celui de notre jeune école de paysagistes sur ses prédécesseurs au temps du premier Empire.

810. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

Si Charles-Édouard avait disparu aussitôt après son illustre aventure, si le vaisseau qui le ramena en France s’était abîmé au retour dans une tempête, on aurait eu une étoile de plus dans ce qu’on peut appeler la mythologie de l’histoire, une de ces jeunes destinées lumineuses et rapides comme l’éclair, et sur lesquelles l’imagination des hommes brode longuement ensuite à plaisir. […] Le ministre français successeur de M. de Choiseul, le duc d’Aiguillon, fit venir le prince à Paris, en 1771, et lui garantit une pension de la France moyennant qu’il épousât une jeune princesse de Stolberg, alliée des Fitz-James qui y mettaient un vif intérêt. […] La jeune princesse Aloïsia de Stolberg, née à Mons en Hainaut (1752), était fille d’un lieutenant général autrichien, mort à la bataille de Leuthen : on aurait dû naturellement demander l’agrément de l’impératrice Marie-Thérèse ; on ne le fit pas, et l’impératrice en témoigna son mécontentement à la mère de la jeune princesse.

811. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Un moment est venu où les meilleurs parmi les jeunes naturalistes ont senti le besoin de s’affranchir : ils ont pris le premier prétexte de lâcher le maître951 . […] Lemaître avec une curiosité plus amusée, les efforts des jeunes qui donnaient presque tous les jours la formule de la littérature de demain ; pendant que M.  […] C’est par une erreur singulière, qui est une victoire du goût spontané sur la théorie réfléchie, que les jeunes ont salué comme un maître M. de Hérédia963, un parnassien d’hier, presque un romantique d’avant-hier ; cet excellent faiseur de sonnets procède de Gautier plus encore que de Leconte de Lisle, et son éclatante poésie semble reproduire moins la nature vivante que des pièces d’orfèvrerie. […] Henrik Ibsen (né en 1828) : les Revenants ; Maison de Poupée ; le Canard sauvage ; Rosmersholm ; Hedda Gabler : voilà les cinq pièces supérieures ; la Dame de la mer, un Ennemi du peuple, très intéressantes encore ; Solness le constructeur ; les Prétendants à la couronne ; les Guerriers à Helgoland ; les Soutiens de la société ; l’Union des Jeunes. — Édition : Savine, 7 vol. in-18, 1889 et suiv. — A consulter : A.

812. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Et maint propriétaire, qui signifia hier sereinement congé au jeune impressionniste ou au petit sculpteur admirateur de Rodin qui n’avait point soldé le terme de l’atelier sous les combles ou du hangar de la cour, sourit avec indulgence à la façon cocasse dont le quatuor de Murger enivre et dupe M.  […] Il serait temps, cependant, de réagir contre l’erreur propagée par l’un des plus piteux livres que le sentimentalisme ait échafaudés ; et puisque nous sommes dans une de ces périodes rares où l’on met tout sur table, où l’on bannit tout faux respect des choses convenues, et où l’on étudie impitoyablement la valeur exacte des gens et des idées, puisque d’autre part, l’artiste, jusqu’ici écarté et résigné à être une non-valeur sociale, vient de s’avancer au premier rang des énergiques, il siérait de saper, d’une hache implacable, le faux idéal et la menteuse générosité de « la bohème », qui séduisent et égarent encore certains jeunes artistes, autant qu’ils font le jeu de la médiocratie contre l’idéal authentique et la vraie générosité. […] Il est juste de dire que les trois quarts des jeunes peintres et écrivains se sont rangés à cette conception, et seuls les vieux romantiques survivants songent à s’en plaindre. […] Nous en voyons déjà des figures sérieuses et jeunes.

813. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

La voix du jeune charpentier prit tout à coup une douceur extraordinaire. […] Le paradis eût été, en effet, transporté sur la terre, si les idées du jeune maître n’eussent dépassé de beaucoup ce niveau de médiocre bonté au-delà duquel on n’a pu jusqu’ici élever l’espèce humaine. […] ôté d’abord la poutre de ton œil, et alors tu penseras à ôter la paille de l’œil de ton frère 266. » Ces leçons, longtemps renfermées dans le cœur du jeune maître, groupaient déjà quelques initiés. […] Le jour où le jeune charpentier de Nazareth commença à produire au dehors ces maximes, pour la plupart déjà répandues, mais qui, grâce à lui, devaient régénérer le monde, ce ne fut donc pas un événement.

/ 2687