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871. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

En voilà assez, j’espère, pour montrer toute l’inanité d’une critique qui n’a pour guide qu’un enthousiasme irréfléchi, et pour flambeau que la lumière trouble si souvent de ce qu’on nomme assez improprement l’instinct poétique. […] Et il revient sur « l’irrésistible attrait de gaieté et d’enchantement » dû aux « tonalités claires, ici et là épandues », inspirées par tout l’Orient, par tous « les peuples du Levant, anciens ou modernes, artistes par instinct et non par éducation », remarque-t-il excellemment. […] Racine, la correction, l’érudition des fortes études, science parfaite de l’antiquité sue littéralement et comprise comme il fallait dans sa grâce absolue et sa force complète, Racine, la correction, la totale perception de la langue maternelle jusqu’à travers la plus intime connaissance des vieux auteurs et des idiomes locaux, l’esprit de son pays et de son temps, modération, circonspection même, bon sens immédiat et traditionnelle générosité, Racine, l’individualité honnêtement fine, malicieuse sans haine, qui sut mener sa vie habilement et la finir admirablement, sacrifiant d’instinct fortune, faveur, ne ménageant qu’une famille admirablement menée à bien dans la vertu et la modicité voulue, mourant, après des tendresses dominées, des ambitions tenues en bride, d’un cœur blessé, d’une âme en deuil, noblement, pudiquement ; — et Shakespeare, l’aventurier, né ruiné, catholique ou protestant, qui le sait ? […] Truly by instinct I liked the man before being able to appreciate the writer, and I liked the writer before being able to thoroughly appreciate him, which 1 have only comparatively lately, too lately, succeeded in doing.

872. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

C’est ce que l’on reconnut d’instinct dans le Gil Blas de Le Sage ; et c’est ce qui en fit tout d’abord ce que l’on a longtemps appelé, ce que Nisard appelait encore : « le chef-d’œuvre du roman français ».   […] Cependant, et malgré tout, depuis le Mondain jusqu’à l’Essai sur les mœurs, voyez comme les instincts de Voltaire et les traditions qu’il a héritées du siècle précédent luttent, pour ainsi dire, dans ses œuvres, avec les convictions raisonnées qu’il s’est faites. […] En effet, ce sont vices qui opèrent dans le sens de l’instinct, conformément à la nature ; ce sont vices qui s’avouent et au besoin dont on se pare. […] Parce que gens libères, bien nés, bien instruits, conversans en compagnies honnêtes, ont par nature un instinct et aiguillon qui toujours les pousse à faits vertueux, et retire de vice : lequel ils nomment honneur. […] Il redoutait, avec son instinct, que le jansénisme ne fit du théâtre ce que le puritanisme en avait fait en Angleterre.

873. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

L’instinct et le sentiment les mènent. […] Maintenant, avec les naturalistes, il ne croit plus qu’à l’instinct. […] Chez lui l’instinct était merveilleux, comme chez les bêtes. […] Il n’a point d’instincts, point de passions. […] Les âmes sont seules intéressantes. » Ce jeune dédaigneux qui a méprisé l’instinct et le sentiment, est-il donc un spiritualiste, un mystique exalté ?

874. (1903) Propos de théâtre. Première série

Créature d’instinct et de passion, elle a pour les chrétiens une haine d’autant plus violente qu’elle ne se rend pas compte de son objet. […] L’instinct du devoir la détache de Sévère, l’attache à Polyeucte. […] Il avait l’instinct de la situation comique et de la scène comique, à ce point qu’on lui a reproché d’en avoir trop mis dans ses tragédies. […] Il y a des hommes qui naissent chefs des hommes, Ils commandent d’instinct ; les autres leur obéissent d’un mouvement naturel. […] L’affection cède, l’instinct de soumission abdique.

875. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

De la méthode de travail de Molière il faudrait donc plutôt conclure qu’il est partisan de l’effort, de l’assujettissement volontaire à quelque chose qui est en dehors de nous, que non pas qu’il l’est de l’abandonnement aux instincts de la nature. […] En effet ce sont des vices qui opèrent dans le sens de l’instinct, conformément à la nature ; ce sont vices qui s’avouent et au besoin dont on se pare. […] Les voyons-nous plaider pour l’instinct naturel ? […] Son fond, c’est l’instinct despotique, l’amour féroce de la propriété, le propriétisme furieux. […] Mais qu’elles aiment toutes Alceste cela veut dire précisément que les femmes n’ont pas accoutumé de réfléchir et ensuite cela veut dire qu’elles aiment la vertu et la force et un peu la violence, et qu’un sourd instinct les avertit qu’elles trouveront tout cela dans Alceste.

876. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Il lui a emprunté des choses meilleures, et par exemple son délicieux instinct féerique. […] D’instinct il allait au plus ténébreux et au plus énigmatique de ces choses profondes. […] D’autant plus que c’est sur un autre aspect de ce même instinct combatif que je voudrais appeler un instant l’attention. […] Rien qui caractérise mieux l’instinct belliqueux du petit-fils du général Dumas. […] Très heureusement, si on l’a suivie souvent, d’instinct les grands dramatistes y ont été infidèles très souvent aussi.

877. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

La morale et l’éducation même ne consistent-elles pas aussi, comme la critique, à substituer en nous d’autres motifs de jugement et d’action que ceux que nous suggèrent le « tempérament », l’instinct, et la nature ? […] Mais un instinct involontaire me forçait à leur faire du bien sans le leur laisser connaître. […] Car, à quoi sert-elle, en développant en nous la volonté de vivre, qu’à y nourrir en même temps tout ce qu’il y a d’instincts bas et vulgaires ? […] sinon que, tout ce que nous gagnons sur la volonté de vivre, nous le gagnons sur l’instinct et sur l’égoïsme ? […] Est-ce donc vraiment agir que de satisfaire ses instincts ?

878. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

Si vous rencontrez un intestin propre à digérer de la chair seulement et de la chair récente, l’animal a des mâchoires construites pour dévorer une proie, des griffes propres à la saisir et à la déchirer, des dents propres à la couper et à la diviser, un système d’organes moteurs propres à l’atteindre, des sens capables de l’apercevoir de loin, l’instinct de se cacher pour la surprendre, et le goût de la chair. […] En cela consiste le talent du géomètre ; il faut que, par un instinct prompt ou par des tâtonnements nombreux, il ouvre coup sur coup, sans se tromper, la série des coffrets utiles, et qu’il invente le tour de clef approprié. […] Mais il lui faudrait des veux bien plus perçants pour découvrir l’économie des deux bâtisses primitives, les instincts de leurs fourmis, les transactions établies entre les deux peuplades associées, et l’économie finale de l’édifice ultérieur qu’elles construisent ensemble.

879. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

La tendresse, la bonté, l’amour sont dans ses personnages un effet des nerfs, de l’instinct, ou d’une maladie morale. […] Il doit y avoir dans la douleur du sacrifice une sorte de plaisir que les hommes ne comprennent pas… Ne méprisons pas ces instincts parce que nous ne pouvons les sentir. […] Vous trouverez le même défaut dans leur critique toujours morale, jamais psychologique, occupée à mesurer exactement le degré d’honnêteté des hommes, ignorant le mécanisme de nos sentiments et de nos facultés ; vous trouverez le même défaut dans leur religion, qui n’est qu’une émotion ou une discipline, dans leur philosophie, vide de métaphysique, et si vous remontez à la source, selon la règle qui fait dériver les vices des vertus et les vertus des vices, vous verrez toutes ces faiblesses dériver de leur énergie native, de leur éducation pratique et de cette sorte d’instinct poétique religieux et sévère qui les a faits jadis protestants et puritains.

880. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Le gorille de l’instinct s’entend avec ses frères glabres, les primates humains, pour souiller et meurtrir l’élite sublime de la beauté. Les instincts sont vraiment dressés contre l’esprit. […] Il ensevelit dans la poésie les instincts déchaînés.

881. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Puis il y a la réaction, l’affirmation joyeuse de l’instinct, telle que Gaston Paris l’a décrite dans sa magistrale étude sur les origines de la poésie lyrique ; nous en avons des traces dans ces refrains qu’Alfred Jeanroy a si heureusement ramenés à des thèmes primitifs, et jusque dans la poésie provençale qui nous donne une idée de ce que nous posséderions si le latin ne s’était pas imposé, dans la France du Nord, à la création intellectuelle. […] Les idées de la Renaissance italienne, c’est avant tout le culte de la beauté, la joie de vivre, l’individualité, la virtù ; c’est aussi la critique ; mieux encore, chez quelques-uns, le sens de l’histoire ; c’est encore, par Aristote et ses nombreux commentateurs, le principe de la raison, les lois naturelles opposées à la Providence ; en d’autres termes, l’instinct, la nature, et, comme dit Rabelais, Physis opposée à Antiphysie. — Peu à peu l’esprit français fera son choix ; il a son caractère à lui, et l’idée nationale lui impose certaines nécessités. Il réduit le rôle de la beauté ; il discipline l’individu ; il développe la science ; n’ayant pas le paganisme de l’Italie, il appuie sur la raison plus que sur l’instinct, et légitime par elle (selon les tempéraments) la religion, la morale, la politique ou l’art.

882. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Il est résulté aussi de cela qu’à côté de sa pensée si grande et de sa science irrassasiable, il y a, grâce à cette vocation imposée, à cette direction impérieuse qu’il subit et ne se donne pas, il y a tous les instincts primitifs et les passions de cœur conservées, la sensibilité que s’était de bonne heure trop retranchée la froideur des autres, restée chez lui entière, les croyances morales toujours émues, la naïveté, et de plus en plus jusqu’au bout, à travers les fortes spéculations, une inexpérience craintive, une enfance, qui ne semblent point de notre temps, et toutes sortes de contrastes. […] Depuis des années, les chagrins intérieurs, les instincts infinis, une correspondance active avec son ancien ami le Père Barret, le souffle même de la Restauration, l’avaient ramené à cette foi et à cette soumission qu’il avait si bien exprimée en 1803, et dont il relut sans doute de nouveau la formule touchante.

883. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Bien que ses instincts fussent, dit-on, vaguement religieux comme ceux des hommes qui ont plus d’infini que les autres dans une plus grande âme, il ne professait jusque-là aucun dogme, ou plutôt il avait décrété publiquement au Caire, en exaltant l’islamisme, qu’il les professait tous. […] « Les partis ont un merveilleux instinct pour découvrir les faiblesses des hommes éminents.

884. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Elle ne mettait aucune diplomatie féminine dans le gouvernement de son salon d’élite ; ce salon n’en était que plus attachant ; quand on était le bienvenu de sa porte on était sûr d’être le désiré de son cœur ; elle avait pour moi une amitié d’instinct qui ne me faillit jamais, malgré l’absence. […] L’esprit entreprenant de Genève et des hautes Alpes est l’instinct de ces montagnes.

885. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Notre âme existait en lui avant son existence terrestre, et ses instincts moraux ne sont que les réminiscences de sa préexistence, dans des conditions que nous ignorons, avant cette vie ; et si elle existait avant nos corps, elle doit aussi leur survivre, et l’impossibilité de la décomposer en parties atteste qu’elle est une, et par conséquent indissoluble et immortelle ; car la mort n’est que la dissolution des parties qui composent le corps : mais comment se décomposerait l’âme, qui n’est pas composée ? […] Le sage s’en aperçoit : « Vous me croyez donc, à ce qu’il paraît, leur dit-il, bien inférieur au cygne, en ce qui touche aux pressentiments et à la divination par l’instinct ?

886. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Je ne sais quel instinct révélateur et observateur lui a appris que les lieux et les hommes se tiennent par des rapports secrets ; que tel site est une idée, que telle muraille est un caractère, et que pour bien saisir un portrait il faut bien peindre un intérieur. […] Sa parole, son vêtement, ses gestes, le clignement de ses yeux, faisaient loi dans le pays, où chacun, après l’avoir étudié comme un naturaliste étudie les effets de l’instinct chez les animaux, avait pu reconnaître la profonde et muette sagesse de ses plus légers mouvements.

887. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Du fond de cette argile animée, livrée en proie à tous les instincts de la brute et, comme la brute, souillée de sang, une force surgira, pourtant, capable d’opposer à l’immorale Nature l’idée du juste et du vrai : la science. […] La poésie, à notre époque, cherche sa voie, et, d’instinct, elle la cherche dans la direction des idées philosophiques, scientifiques, sociales.

888. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Nous le ferons ailleurs ; mais nous penchons, contre nos instincts mêmes, à répondre que ce fut un bien. […] Tant de nuances concourent à former cette atmosphère qu’il est impossible à l’homme qui la sent de la décomposer ; il aime ou il n’aime pas, voilà toute son analyse ; le jugement n’est qu’une impression aussi rapide qu’un instinct, et aussi infaillible en nous que l’impression que nous ressentons en plongeant la main dans une eau brûlante, tiède ou froide.

889. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

On récitait déjà dans Paris mes vers élégiaques, philosophiques ou religieux ; mon nom rayonnait dans le demi-jour ; je ne voulais plus, pour quelques ovations de scènes, renoncer à la carrière politique, bien plus conforme qu’on ne le croit à mes instincts naturels. […] Dans le temple des Juifs un instinct m’a poussée, Et d’apaiser leur Dieu j’ai conçu la pensée ; J’ai cru que des présents calmeraient son courroux, Que ce Dieu, quel qu’il soit, en deviendrait plus doux.

890. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Aussi, de bonne heure, la science s’en occupa comme l’instinct populaire. […] » À côté de ces mètres faciles, l’instinct du premier prosélytisme multipliait des hymnes plus simples encore à la Trinité sainte, au Christ et surtout à la Vierge.

891. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

C’est par ce côté qu’il n’a point repoussé d’instinct et par une aversion première Mme Guyon et son jargon, comme l’eût fait Bossuet ou même Duguet.

892. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Né en septembre 1736, aux galeries du Louvre, vers le cul-de-sac du Doyenné, l’enfant croissait à son gré et fut laissé à ses bons instincts naturels : « La douceur aimable et la touchante docilité de son caractère, nous dit Lémontey, en firent l’idole de sa famille ; elle ne put se résoudre à se séparer de lui, ni à chagriner son enfance par de pénibles études.

893. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Cependant, poussé avant tout par l’instinct de voyageur, et de voyageur de montagnes, il commença de bonne heure à parcourir l’Alsace et les Vosges, associant partout les souvenirs de l’histoire aux impressions de la nature.

894. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Ce n’était point précisément l’aspect bizarre qui effrayait Népomucène Lemercier lorsqu’il appréciait, avec instinct et sens toutefois, le poème de Dante dans quelques pages de son Cours analytique de littérature, et lorsqu’il faisait précéder plus tard son étrange drame de la Panhypocrisiade d’une épître dédicatoire À Dante Alighieri.

895. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Il était bien plus original que Favre ; il avait l’esprit de découverte, d’initiative, et l’instinct d’investigation dans des veines prolongées et fécondes ; mais, comme écrivains, ils sont de la même famille ; ils aiment à s’occuper de questions analogues, à s’y enfoncer, à les approfondir : la plume, pour eux, est l’auxiliaire de leur recherche bien plus que l’instrument de leur production.

896. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

C’est un véritable instinct, qui me tient renfermé en moi-même et qui empêche l’expansion des idées ou des sentiments.

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