Dallas voulut boire aux abreuvoirs, mais Miserey l’empêcha, craignant de réveiller ses coliques ; puis il descendit vers le gué, mouilla la pince de ses sabots, eut peur de son image réfléchie par l’eau calme, et recula vivement, faillit s’abattre. […] Une glace lui renvoya son image : il lui sourit. […] Le roman n’y perd rien de sa liberté d’observation, mais le lecteur n’éprouve aucune inquiétude, et ne craint pas de voir une page maculée d’un gros mot ou d’une repoussante image. — « Si vous voulez bien vous rendre compte d’un roman, de sa portée, de sa moralité, disait Préault, mettez-y des gravures, par la pensée. » À ce compte, la plupart des romans et nouvelles qui remplissent aujourd’hui des centaines de volumes de toutes les couleurs ne seraient, sous prétexte d’études, que de monstrueux recueils d’obscénités, calqués presque les uns sur les autres.
Et dans ce cas, Molière, que nous verrons si malheureux de ses infortunes conjugales, Molière, qui, pour nous servir de l’image plaisante de La Fontaine, en mettait son bonnet Moins aisément que de coutume, eût bien dû se persuader tout le premier ce qu’il cherchait à faire croire aux autres. […] Celui-ci désignait par une image originale et vraie l’engourdissement trop fréquent du génie de l’auteur vieilli de Cinna.
Gœthe, très au fait de cette partie de notre littérature, a dit, à ce propos, avec bien de la justesse : « Jamais Piron ne put démentir sa nature indisciplinée ; ses vives saillies, ses épigrammes mordantes, l’esprit et la gaîté qui toujours étaient à ses ordres, lui donnèrent une telle valeur aux yeux de ses contemporains qu’il put, sans paraître ridicule, se comparer à Voltaire, qui lui était pourtant si supérieur, et se poser, non pas seulement comme son adversaire, mais comme son rival. » Et les premiers traducteurs de Gœthe, renchérissant sur sa pensée et jaloux de la compléter, ajoutent assez spirituellement et par une image qu’il n’eût point démentie : « Comme il était le Voltaire du moment, on l’excusait de se mettre en parallèle avec le Voltaire des siècles.
Nous disons d’avance, avec la même franchise, que ces qualités n’existent pas pour nous dans son premier livre de l’Histoire de la Révolution, livre superficiel et jeune, où rien n’est pesé, où rien n’est approfondi, où rien n’est senti, où rien n’est peint ; espèce d’estampe mal coloriée de l’esprit, des choses, des hommes de la Révolution française, semblable à ces portraits de fantaisie que l’on colporte à la foule sur nos places publiques, et qu’on lui donne pour l’image de ses grands capitaines, de ses grands orateurs ou de ses grands événements.
« Quand j’aurai chanté en moi-même et pour quelques âmes musicales comme la mienne, qui évaporent ainsi le trop-plein de leur calice avant l’heure des grands soleils, je passerai ma plume rêveuse à d’autres plus jeunes et plus véritablement doués que moi ; je chercherai dans les événements passés ou contemporains un sujet d’histoire, le plus vaste, le plus philosophique, le plus dramatique, le plus tragique de tous les sujets que je pourrai trouver dans le temps, et j’écrirai en prose, plus solide et plus usuelle, cette histoire, dans le style qui se rapprochera le plus, selon mes forces, du style métallique, nerveux, profond, pittoresque, palpitant de sensibilité, plein de sens, éclatant d’images, palpable de relief, sobre mais chaud de couleurs, jamais déclamatoire et toujours pensé ; autant dire, si je le peux, dans le style de Tacite ; de Tacite, ce philosophe, ce poète, ce sculpteur, ce peintre, cet homme d’État des historiens, homme plus grand que l’homme, toujours au niveau de ce qu’il raconte, toujours supérieur à ce qu’il juge, porte-voix de la Providence qui n’affaiblit pas l’accent de la conscience dont il est l’organe, qui ne laisse aucune vertu au-dessus de son admiration, aucun forfait au-dessous de sa colère ; Tacite, le grand justicier du monde romain, qui supplée seul la vengeance des dieux, quand cette justice dort !
La nature s’était parée comme une femme allant à la rencontre du bien-aimé, mon âme avait pour la première fois entendu sa voix, mes yeux l’avaient admirée aussi féconde, aussi variée que mon imagination me la représentait dans mes rêves de collège dont je vous ai dit quelques mots, inhabiles à vous en expliquer l’influence, car ils ont été comme une Apocalypse où ma vie me fut figurativement prédite : chaque événement heureux ou malheureux s’y rattache par des images bizarres, liens visibles aux yeux de l’âme seulement.
Les Argiens consacrèrent leurs images à Delphes, comme celles de deux hommes parfaitement pieux. » « C’est ainsi que Solon assigna la seconde place aux deux Grecs.
Cette courte excursion dans le champ du roman, depuis sa naissance jusqu’à l’aurore des temps modernes, qui l’ont tant enrichi et tant métamorphosé, nous enseigne combien le goût est changeant et combien les époques tonnent les littératures à leur image. […] Une tournure ou une phrase saute aux yeux du lecteur, se grave dans sa rétine et transmet au cerveau la vive image que l’artiste voulut lui montrer clairement.
Ou bien Montesquieu, comme avant lui l’auteur de la Politique tirée de l’Écriture sainte, a-t-il voulu tracer l’image du meilleur des gouvernements, et, de même qu’avant lui Bossuet l’avait reconnue dans la Bible, l’a-t-il découverte, lui, selon son expression, « dans les bois » ? […] Voltaire écrit : « Quelques Français transportent chez nous une image de la divinité de Shakespeare, comme quelques autres imitateurs ont érigé depuis peu à Paris un Vauxhall, et comme d’autres se sont signalés en appelant les aloyaux des roastbeef… La cour de Louis XIV avait autrefois poli celle de Charles II, aujourd’hui Londres nous tire de la barbarie. » La Harpe lui fait écho dans sa Correspondance littéraire.
Tu ne sais pas, petit, les douceurs infinies Des recommencements et des monotonies Où chaque jour après le jour semble un miroir Qui retient notre image à son cher reposoir. […] Peut-on vraiment supporter que Zeus s’exprime ainsi, lui qui porta Minerve dans son cerveau : … Alors guette l’arrêt Où ta forme à vingt ans fugace t’apparaît ; Saisis la coupe, bois, et la métamorphose S’opère ; ton image actuelle est forclose ; Le papillon nouveau s’envole du bombyx Et le nocher sans toi repasse encor le Styx.
Le gémissement sur le cheval reproduit quatre ou cinq fois la même image, et tant qu’il est question de parler des coups de fouet, des jurons du charretier, de la pierre énorme, le déluge des adjectifs semble lutter avec le déluge des coups et des jurons. […] C’est encore grâce à l’esprit poétique que tout est musique : « Rumeur de la galère aux flancs lavés par l’onde, pitié de la sœur pour la sœur, fanfare de la plaine émaillée et ravie, etc… Que la nature nous dit : Chante et qu’un statuaire ancien sculpta sur cette pierre (ces vers sont écrits sur un bas-relief antique) un pâtre sur sa flûte abaissant sa paupière. » Ce que j’aime dans tout cela, c’est le point de départ et aussi l’accouplement des idées. — Avec l’esprit poétique, quand on voit une chouette clouée sur une porte, on y voit aussitôt l’image du Christ, et l’on mêle si bien la bête et le Dieu qu’on ne sait plus auquel des deux se rapportent ces plaintes, ces gémissements.
Le long des fenêtres s’étendait une longue table de hêtre, les jambes en X, avec un banc de chaque côté ; derrière la porte, à gauche, se dressait le fourneau de fonte en pyramide, et sur la table se trouvaient cinq ou six petits gobelets et la cruche de grès à fleurs bleues ; de vieilles images de saintes, enluminées de vermillon et encadrées de noir, complétaient l’ameublement de cette pièce.
Ils aiment la gloire ou la vanité, qui en est la fausse image.
» Surtout le reproche d’empoisonnement les mettait à la gêne ; car, bien que peut-être ils en fussent innocents, le soupçon en était si plausible, que cette accusation, toute fausse qu’elle était à leur égard, ne leur présentait pas une image de mort moins horrible que si elle eût été véritable, lorsque le prince qui succéderait à l’empire voudrait l’appuyer ; qu’au contraire, si l’on élisait le puîné, ils se maintiendraient sans peine dans le poste glorieux que leurs charges leur donnaient ; qu’ils auraient le loisir d’élever leurs familles et de faire des créatures ; qu’ils gouverneraient avec un pouvoir presque absolu, sous un enfant, un des plus grands empires de l’univers.
Nul mieux que vous ne possède l’art de lutter, par le nombre et la profusion des images, avec la peinture la plus franche et la plus vive ; vous avez pour chacune de vos pensées des traits et des nuances qui feraient envie aux héritiers du Titien et de Paul Véronèse ; quand il vous plaît de nous montrer les lignes d’un paysage ou l’armure d’un guerrier, le pinceau n’a plus rien à faire : pour achever son œuvre, il n’a qu’à mettre sur la toile les masses de lumière et d’ombres que vous avez choisies comme les meilleures. » Suivent trois pages d’éloges.
Nos témérités modernes, nos images prodiguées, nos figures heurtées, notre usage de gesticuler, notre volonté de faire effet, toutes nos mauvaises habitudes littéraires ont disparu.
X Bernardin de Saint-Pierre était alors un beau vieillard semblable à Platon ; ses cheveux blancs couronnés de roses, parfumés du souvenir de Paul et Virginie, rappelaient et écartaient à la fois les images de la vieillesse en annonçant l’éternité de la jeunesse.
Ces mémoires sont écrits avec un air libre, une impétuosité de génie, & une inégalité qui sont l’image du caractère & de la conduite de ce fameux intrigant.
La matiere n’est que touchante, et demande qu’on s’y propose toujours d’aller au coeur : ce n’est ni par l’orgueil des sentimens, ni par le faste des images, qu’on réussit à l’attendrir. […] Les images se confondront ; et dans ce conflit d’idées, peut-être demeurerez-vous incertain entre le rire et les pleurs.
« La mort, image du sommeil, l’est aussi de la vie inoccupée. » « La demeure de l’oisif est un sépulcre. » Si vous demandez pourquoi Sénèque revient si souvent sur le mépris de la vie et de la mort, c’est que vous ne pensez pas qu’au moment qu’il vous parle, le licteur vous lie les mains. […] Les images prêchent, prêchent sans cesse, et ne blessent point l’amour-propre. […] Sénèque a dit : « Une âme qui connaît la vérité, qui sait distinguer le bien du mal ; qui n’apprécie les choses que d’après leur nature, sans égard pour l’opinion ; qui se porte dans tout l’univers par la pensée, en étudie la marche prodigieuse et revient de la contemplation à la pratique ; dont la grandeur et la force ont pour base la justice ; qui sait résister aux menaces comme aux caresses ; qui commande à la mauvaise fortune comme à la bonne ; qui s’élève au-dessus des événements nécessaires ou contingents ; qui ne voudrait pas de la beauté sans la décence, de la force sans la tempérance et la frugalité ; une âme intrépide, inébranlable, que la violence ne peut abattre, que le sort ne peut ni humilier ni enorgueillir ; une telle âme est l’image de la vertu, etc.. » Voilà le philosophe dont SaintEvremond a osé dire qu’il ne lisait jamais les écrits sans s’éloigner des sentiments qu’il voulait lui inspirer ; voilà les pointes avec lesquelles il écrivait de la vertu.
Ô image qui ne s’effacera jamais de ma mémoire !
On a aussi poussé à bout le principe de naturalisme et de physiologie, le rapport des lieux et des habitants ; on a fait les uns à l’image des autres ; on a montré et accusé le lien qui les unit jusqu’à le grossir et le forcer.
Ces douces images répandaient les plus grands charmes dans leurs conversations. « Il est temps de dîner, disait Virginie à la famille, les ombres des bananiers sont à leurs pieds » ; ou bien: « La nuit s’approche, les tamarins ferment leurs feuilles. — Quand viendrez-vous nous voir ?
Les grandes folies, les grandes dépenses, les grandes magnificences intérieures du temps de François Ier sont remplacées par des appartements sobres, des châteaux sévères, des salles nécessiteuses, des chambres à faire des comptes, enfin de petites bastilles de bourgeois serrés, à l’image de Villebon.
« Chacun regarde devant soi, moi je regarde dedans moi, je n’ai affaire qu’à moi, je me considère, je me contrôle, je me goûte, … Les autres vont toujours ailleurs… Nemo in se tentat descendere ; moi, je me roule en moi-même. » Et par la comparaison que je fais des autres et de moi, pourrait-il ajouter, je ne me connais pas seulement moi-même, je connais aussi les autres, je me fais quelque image de cette générale et commune humanité dont je suis avec eux ou dont ils sont comme moi.
Et, vous venez de le voir, cet élément comique, cher à Molière, au début et à la fin de son théâtre, se traduit par des images également sinistres. Au début, une méchante femme tourmente un pauvre diable à tel point qu’il faudra qu’il aille se jeter à l’eau ; au terme, une énumération de fléaux pires encore, si toutefois il en est de pires pour un homme qu’une méchante femme telle que la conçoit et la peint Molière ; et, au terme comme au début, le comique est tiré de la même image, de la même idée, du même mot affreux : tuer !