/ 2685
451. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401

On croit que cette affectation était pour dire : Je suis mieux que jamais. » Mais peu après cet heureux jour, nouvelle crise. […] Et cependant madame de Maintenon n’était point heureuse : on devinera aisément pourquoi, en lisant ce qu’elle écrivait à son frère après un nouveau séjour à Maintenon, « Maintenon, dit-elle, est fort embelli ; en entrant dans la galerie, la première chose que j’ai vue, c’est le portrait du maréchal d’Albret : j’ai pleuré.

452. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Platon, et Aristote. » pp. 33-41

Platon admettoit un dieu créateur, l’immortalité de l’ame, l’existence des démons, une autre vie heureuse ou malheureuse, selon nos bonnes ou mauvaises actions. […] Ce grand homme, pour survivre à son rival, ne fut pas plus heureux.

453. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Décidé à rester heureux, il se croyait en droit de repousser comme une ennemie toute réflexion trop amère, toute prévision surtout, qui lui aurait coûté des larmes ou des angoisses. […] Ce sera un bonheur pour moi de pouvoir vous consoler quelques moments, si je puis être assez heureux pour vous être quelque chose. […] Vous voilà presque heureuse. […] Chère amie, que vous méritez d’être heureuse, puisque vous savez aimer et penser ! […] J’ai peur quelquefois que vous ne soyez pas heureuse à Moscou.

454. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Dès la première scère de l’aveu qu’elle-même lui fait (comme déjà avait fait Hélène), sa méfiance, à lui si poli, éclate presque brutale ; cela pourtant se répare ; il est aimé, il croit, il est heureux : les jours de soleil se succèdent. […] Ce n’est pas à dire pourtant qu’il n’y ait dans Cécile bien des mots touchants et vrais : « Aussi, qu’elle est heureuse ! […] … ce froid égoïste, qui vous fait heureux pour n’avoir pas l’ennui de vous plaindre, et qui ne s’arrête jamais qu’aux surfaces, parce que les plus malheureux ont toujours une fleur à y effeuiller pour cacher leur misère aux yeux de ce tyran si ingrat et si insatiable !  […] Claude Taboureau est d’un bout à l’autre très-divertissant, et ajoute une figure heureuse au groupe des originaux et des grotesques dus à la verve de M. […] En vain l’auteur semble le croire corrigé vers la fin, dans sa vie heureuse avec Marie ; le temps seul lui a manqué pour rompre encore ; un an ou deux de plus, et je réponds qu’Arthur aurait traité cette Marie comme il avait traité Catherine, Marguerite et Hélène.

455. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Ils ont vécu au jour le jour, en épicuriens de la gloire, heureux des roses et des faveurs de chaque matin, gaspillant à des riens mille grâces. Quand on parcourt leurs œuvres décousues, inégales, sans composition et sans dessein, on est souvent surpris de trouver un morceau charmant, une idylle, une épigramme heureuse : tous ces gens-là ont fait en leur vie une bonne petite pièce : mais la seconde ne s’y rencontre pas. […] Mme Des Houlières, qu’on voit de loin dans un costume couleur de rose, était triste : c’est une des personnes qui, avec le plus de moyens naturels d’être heureuse, eurent aussi le plus à se plaindre de la fortune. […] Sa beauté, son esprit, y firent des conquêtes : elle y brilla, et ce fut son plus heureux moment186. […] Dans certaines de ses églogues, la bergère délaissée accuse les bocages de s’être prêtés aux amours infidèles de l’ingrat durant toute une saison, Depuis que les beaux jours, à moi seule funestes, D’un long et triste hiver eurent chassé les restes, Jusqu’à l’heureux débris de vos frêles beautés.

456. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Ce n’est pas qu’il n’y ait de belles idées, et même d’heureuses parties dans quelques-uns de ces mystères. […] Ce qui a plus de prix, c’est le naturel des sentiments, justement senti, curieusement développé par une intuition spontanée : à force de ne pas se guinder, à force de facilité à retrouver dans l’antiquité évangélique et biblique tout le détail de la vie contemporaine, nos découpeurs des Livres saints, sans art, sans goût, sans style, ont donné à quelques scènes un air de vérité aisée, qui est près de charmer, Il y a des coins de pastorale gracieuse dans le Vieux Testament, dans la Passion : mais surtout il y a quelques commencements heureux d’expression dramatique des caractères. Dans le Vieux Testament, quelques touches du caractère de Caïn, une esquisse du pathétique moral auquel le sacrifice d’Abraham peut donner lieu dans les rôles du père et du fils, une notation un peu sèche, mais essentiellement juste des sentiments respectifs de Samson et de Dalila, une discrète et délicate peinture de la belle âme de Suzanne, d’heureux traits de foi timide dans Enther, et d’orgueil féroce dans Aman : voilà où l’esprit aime à se reposer dans la platitude aride de l’immense mystère. […] Jean Michel a fait une autre Passion, pour être jouée à Angers en 1486 : moins sec et moins juste que son devancier, moins respectueux du texte sacré, plus bavard, accueillant toutes les fantaisies des apocryphes et les légendes les plus extravagantes, il a parfois des saillies, des trouvailles heureuses d’imagination. […] Plus heureuse pourtant que la sottie, tuée par la royauté absolue et policière, que la moralité, absorbée ou étouffée par la tragédie, que les mystères, chassés au nom de la Réforme et au nom de la Renaissance, la farce, indestructible comme le peuple, a subsisté.

457. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Une langue qui aurait, comme l’espagnol, un heureux mélange de voyelles et de consonnes douces et sonores, serait peut-être la plus harmonieuse de toutes les langues vivantes et modernes. […] Quand une langue a un mélange heureux d’expressions douces et d’expressions sonores, il en devient plus facile de composer dans cette langue des phrases harmonieuses. […] Je dis que nous ne la sentons guère ; car je ne nie pas que nous ne puissions en sentir quelque chose ; et ce sentiment tient surtout au mélange plus ou moins heureux des voyelles avec les consonnes, soit dans les mots isolés, soit dans leur enchaînement. […] Je ne doute pas qu’Anacréon ne fût en effet pour les Grecs un auteur charmant : mais je ne doute pas non plus que presque tout son mérite ne soit perdu pour nous, parce que ce mérite consistait sûrement presque en entier dans l’usage heureux qu’il faisait de sa langue ; usage dont la finesse ne saurait être aperçue par des yeux modernes. […] Quand je vois un orateur latin employer des mots de Térence, sur ce fondement que Térence est un auteur de la bonne latinité, c’est à peu près comme si un orateur français employait des phrases de Molière par la raison que Molière est un de nos meilleurs auteurs : « Messieurs, pourrait dire à son auditoire, ce harangueur si heureux en imitation, c’est une étrange affaire que d’avoir à se montrer face à face devant vous, et l’exemple de ceux qui s’y sont frottés est une leçon bien parlante pour moi.

458. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Il était excentrique avec un heureux naturel. […] Laissons dire les puissants et les heureux. […] L’étoile se levait sur l’heureux déclin de cette vie fortunée. […] Ô heureuse ! […] Heureux, trois fois heureux ce magique dormeur !

459. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Heureux les hommes qui ne sont accusés que de l’ivresse inspirée par le charme, cette sorcellerie du génie ! […] « Est-ce qu’il ne sentira pas enfin qu’une épouse du pays serait fière et heureuse de commander à Saint-Lupicin, comme une certaine Pénélope commandait et distribuait les laines à ses servantes, dans ce livre qu’il m’a lu tant de fois pour me faire honneur ? […] Tu écoutais tout cela pendant que la longue cuiller de buis tournait dans les mains de l’heureuse femme de ménage pour te verser le maïs bouilli dans l’assiette creuse sur laquelle un lait écumant surnageait, comme une flaque d’huile, sur l’écorce de la marmite. […] Il y a des années où il faut s’absenter de sa patrie : heureux qui peut la fuir et l’oublier sans manquer à aucun devoir public ou privé ! […] Heureux les hommes par lesquels passent ces souffles divins !

460. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — P.-S. » pp. 38-40

Heureux qui s’en trouva inondé !  […] C’est un prodige que la fécondité de ses vues pour la morale, sa pénétration dans l’esprit et dans le cœur humain, l’application heureuse et juste des exemples et des autorités de l’Écriture, son onction.

461. (1874) Premiers lundis. Tome II « Étienne Jay. Réception à l’Académie française. »

Cette coïncidence heureuse entre la réception de l’historien de Richelieu et l’éloge indispensable du cardinal fondateur de l’Académie n’a pas échappé à la sagacité du président-directeur, et il a terminé sa harangue par une péroraison laborieuse, où s’entrelaçaient le panégyrique du cardinal et celui de son historien, le tout couronné d’une irrésistible invective contre un ministre funeste, qui n’est autre que M. de Vaublanc. […] Mais, même entre les hommes politiques, il y a une sorte de choix littéraire, et jusqu’ici l’Académie n’a pas eu toujours la main heureuse.

462. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux ? […] Nous serons plus heureux dans le livre suivant.

463. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — S’il est plus aisé, de faire une belle action, qu’une belle page. » pp. 539-539

Je ne l’ai vu qu’une fois et je me suis bien promis de ne le pas voir davantage, à moins que je ne fusse assez heureux pour le servir. […] On fait souvent une belle action comme un sot dit un bon mot, comme Chapelain fait un vers heureux ; mais Virgile, Horace, Cicéron ont existé entre des siècles qui les attendaient et des siècles qui les ont suivis et qui les suivront sans les reproduire.

464. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

Ce fut dans le temps de sa prospérité qu’il composa cette foule de panégyriques que nous avons de lui : car l’enthousiasme pour les hommes puissants n’est guère que la maladie des gens heureux. […] Les dignités et les honneurs relèvent quelquefois aux yeux de son siècle la médiocrité intrigante ou heureuse, mais ne font jamais illusion aux siècles suivants.

465. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

De belles pensées, des vers quelquefois heureux, en recommandent d’autres à la bienveillance. […] En souvenir de cet heureux événement et pour en conserver la mémoire, on avait institué une fête anniversaire. […] A l’inverse de son frère, il avait une diction facile et heureuse. […] Le médecin du cardinal, Citois, fut plus heureux. […] Ses tragédies, sans être bonnes, présentent des situations heureuses et la versification en est facile.

466. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Sklower a eu l’heureuse idée de joindre celui de son entretien avec Wieland. […] Élisabeth grandissait heureuse et tranquille sous l’œil d’un tuteur bienveillant. […] Elle est trop heureuse d’être arrachée aux griffes de son piétiste ! […] Heureux M.  […] Il est si pleinement heureux de son commerce qu’il n’a point le temps d’en être vain.

467. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Mon conducteur respectait mon admiration et mon silence ; il était aussi heureux, aussi vain que s’il eût été le propriétaire ou même le créateur de ces merveilles. […] Hâte-toi, car ces figures prendront dans un instant une autre position moins heureuse peut-être. […] Quelle foule d’accessoires heureux à recueillir pour ton talent ! […] Heureux, cent fois heureux, m’écriai-je encore, M.  […] Il n’y a qu’un moment heureux, c’est celui où il y a assez de verve et de liberté pour être chaud, assez de jugement et de goût pour être sage.

468. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Il était naturel qu’après ces veines heureuses, la Comédie-Française songeât, à l’aide du jeune talent qu’elle possède, à toucher comme d’un aimant les œuvres d’un répertoire plus moderne, déjà négligé, et qu’un succès solennel avait consacrées une fois. […] Eh bien, lui, ayant déjà assez avant l’empreinte de l’époque antérieure, il ne s’y est pas immobilisé ; mais, prenant la chose dramatique au point juste où elle était, il l’a poussée du premier jour à l’innovation dans une mesure habile, heureuse, applaudie. […] Lebrun fut du côté de M. de Barante, qui, à son tour, devait cette initiation à l’heureux hasard de Coppet. […] laisse-moi du moins, Soulevant un moment ma chaîne douloureuse, Rêver que je suis libre et que je suis heureuse. […] saluez le lieu de mon heureuse enfance, Saluez ces doux bords qui me furent si chers !

469. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Je n’exagère rien : des voix éloquentes dans les chaires ont proclamé depuis longtemps la nécessité, l’à-propos de cette connaissance heureuse, et cherchent à en propager l’esprit ; mais en France rien n’est fait tant que le grand public n’est pas saisi des questions et mis à portée des résultats, tant qu’il n’y a pas un pont jeté entre la science de quelques-uns et l’instruction de tous116. […] Or ces analogies heureuses n’avaient guère servi de rien à notre langue en poésie, jusqu’à ce qu’André Chénier fût venu montrer qu’il n’était pas impossible d’y revenir. […] Il y eut quatre de ces Anthologies grecques célèbres : la première, cueillie en si heureuse saison, fut donc celle de Méléagre ; la seconde fut celle de Philippe de Thessalonique, lequel vivait au plus tard sous Trajan ; la troisième est due à un avocat Agathias, qui la dressa dans la seconde moitié du vie  siècle, après le règne de Justinien ; la quatrième enfin, postérieure de quatre siècles environ à la précédente, fut compilée par un certain Constantin Céphalas, duquel on ne sait rien autre chose. […] Vois, la rose amoureuse est en pleurs de ne plus la sentir ici, de ne plus la voir sur mon sein131. » Un autre jour, un matin qu’il est près d’elle et qu’il est heureux, il dit à l’abeille qui voltige : « Abeille qui vis de fleurs132, pourquoi me viens-tu toucher le corps d’Héliodora, quittant pour elle les calices du printemps ? […] Ici, dans ce printemps de Phénicie comme dans ceux d’Ionie et de Sicile, le spectacle se déroulait au complet sous un seul et même regard, et l’heureux poëte n’a fait que copier la nature.

470. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Les deux frères passèrent leur heureuse enfance dans ce château. […] Était-ce cette même étoile que les navigateurs du quinzième siècle, lorsqu’ils voyaient s’abaisser dans le nord l’étoile du ciel de la patrie, saluaient comme un signe d’heureux augure pour continuer joyeusement leur route ? […] Guillaume mourut, heureux de mourir pour rejoindre ce qu’il avait aimé. […] La voix était très faible, rauque et délicate comme celle d’un enfant, c’est pourquoi on lui a encore posé des sangsues au larynx. — Il a sa parfaite connaissance. — “Pensez souvent à moi, disait-il avant-hier, avec beaucoup de lucidité. — J’étais très heureux, ce jour a été bien beau pour moi, car rien n’est plus sublime que l’amitié. […] Après cette mission très habile et très heureuse de M. de Circourt, des nécessités motivées par des circonstances intérieures m’engagèrent à lui préparer un autre poste plus important et à le rappeler à Paris.

471. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Chateaubriand, le sort du Tasse Doit t’instruire et te consoler ; Trop heureux qui, suivant sa trace, Au prix de la même disgrâce, Dans l’avenir peut t’égaler ! […] L’histoire des peuples modernes est sèche et petite, sans que les peuples soient plus heureux. » « Avant la fin du siècle, il a pourtant paru cet homme dont la force sait détruire, et dont la sagesse sait fonder ! […] Vous courez à l’endroit d’où ils sont partis, et vous n’y trouvez que quelques plumes, seules marques de leur passage, que le vent a déjà dispersées : heureux le favori des Muses qui, comme le cygne, a quitté la terre sans y laisser d’autres débris et d’autres souvenirs que quelques plumes de ses ailes !  […] Heureux ceux qui ont fini leur voyage sans avoir quitté le port, et qui n’ont point, comme moi, traîné d’inutiles jours sur la terre ! […] Je dis adieu à ma sœur ; elle me serra dans ses bras avec un mouvement qui ressemblait à de la joie, comme si elle eût été heureuse de me quitter ; je ne pus me défendre d’une réflexion amère sur l’inconséquence des amitiés humaines. » XXXI René parcourt la terre en voyageur.

472. (1772) Éloge de Racine pp. -

L’académie française, qui honore les talens littéraires en les recevant dans son sein, a trouvé un moyen heureux et noble d’honorer aussi les talens d’un autre ordre, en leur décernant des éloges publics au nom de la postérité. […] Est-ce Corneille, qui pèche à tout moment contre cet art, même dans ses scènes les plus heureuses ; qui fait raisonner l’amour avec une subtilité sophistique, et déclamer la douleur avec emphase, qui mêle sans cesse la familiarité populaire au ton de l’héroïsme ? […] Son expression est toujours si heureuse et si naturelle, qu’il ne paraît pas qu’on ait pu en trouver une autre, et chaque mot de la phrase est placé de manière qu’il ne paraît pas qu’on ait pu le placer autrement. […] Telles sont les plus heureuses productions de l’art, celles qui par la force du sujet réussiraient même dans la main d’un homme médiocre ; et quand l’exécution en est digne, ce sont les chefs-d’oeuvre de l’esprit humain. […] Osons cependant l’avouer (car la vérité, qui est toujours sacrée, doit l’être surtout dans l’éloge d’un grand homme ; elle tient de si près à sa gloire, qu’on ne peut altérer l’une sans blesser l’autre), avouons-le ; soit que le succès des ouvrages de théâtre dépende essentiellement du choix des sujets ; soit que le premier élan du génie soit quelquefois si rapide et si élevé, que lui-même ait ensuite beaucoup de peine, de la hauteur où il est parvenu d’abord, à prendre encore un vol plus haut et plus hardi ; quoi qu’il en soit, depuis Andromaque , Racine, offrant dans chacun de ses drames une création nouvelle et de nouvelles beautés, n’avait encore rien produit qui fût dans son ensemble supérieur à cet heureux coup d’essai.

473. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Elle les a quelquefois notées, en passant, comme deux causes de jouissance pour l’esprit, deux dons heureux, mais elle n’a pas assez rendu compte de tout ce qu’elles donnent de supériorité à l’intelligence et à ses œuvres. […] C’est une idée fort heureuse de l’éditeur des Contes drolatiques que d’avoir fait illustrer ces Contes par Gustave Doré. […] Si nous voulons nous rendre compte de nos différents ordres d’impressions, le drolatique n’est pas le fantastique, mais il y touche par le côté heureux et dilaté de la nature humaine. […] Lévy auront-ils été plus heureux que nous ? […] Mais s’ils ont été plus heureux que nous, pourquoi n’avoir pas dit nettement, dans une Introduction attachée à leur édition, ce qu’ils avaient à nous donner ?

474. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Le 17 mai 1757, il vit pour la première fois les postes avancés ; il entendit siffler les premières balles : « J’étais heureux comme un roi. » Son impatience s’accommode assez peu en tout temps de la lenteur méthodique du maréchal Daun ; on chante, après chaque succès, des Te Deum qui font perdre le temps. […] Ceux qui ont ce trait, ce neuf, ce piquant, peuvent encore ne pas être parfaitement aimables ; mais, si l’on unit à cela de l’imagination, de jolis détails, peut-être même des disparates heureux, des choses imprévues qui partent comme un éclair, de la finesse, de l’élégance, de la justesse, un joli genre d’instruction, de la raison qui ne soit pas fatigante, jamais rien de vulgaire, un maintien simple ou distingué, un choix heureux d’expressions, de la gaieté, de l’à-propos, de la grâce, de la négligence, une manière à soi en écrivant ou en parlant, dites alors qu’on a réellement, décidément de l’esprit, et que l’on est aimable. […] Combien de fois ces jours derniers, en lisant cette suite de pensées et d’excursions du prince de Ligne sur les jardins, en comparant l’édition de 1781 avec celle de 1795 des Œuvres complètes, et y voyant des différences sans nombre et sans motif explicable, j’ai souhaité que, pour ce travail comme pour le reste de ces Œuvres, un homme d’attention et de goût (non pas un éditeur empressé et indifférent) pût faire un choix diligent et curieux qui ferait valoir tant d’heureux passages !

475. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

Bigorie de Laschamps, a été moins heureux avec M.  […] On ne sent jamais mieux qu’en lisant ce Journal de voyage et de santé combien Montaigne était né heureux. Il avait naturellement la joie de l’esprit et celle de l’humeur ; il fallait qu’il eût bien fort la gravelle pour être triste, tout comme Horace qui est heureux partout, à moins que la pituite ne s’en mêle : Nisi cum pituita molesta est. […] Aussi avons-nous vu quel charmant, quel commode et quel joli voyageur c’était que cet homme de cabinet qui avait en lui l’étoffe de plusieurs hommes ; quel naturel heureux, curieux,-ouvert à tout, détaché de soi et du chez-soi, déniaisé, guéri de toute sottise, purgé de toute prévention.

476. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Aujourd’hui c’est une seconde édition plus complète qui se publie et qui, se joignant au Journal et aux Lettres de Mme Eugènie de Guérin, sœur aînée du poète et morte elle-même peu de temps après lui, vient montrer quel couple poétique distingué c’était que ce frère et cette sœur : — lui, le noble jeune homme « d’une nature si élevée, rare et exquise, d’un idéal si beau qu’il ne hantait rien que par la poésie » ; — elle la noble fille au cœur pur ; à l’imagination délicate et charmante, à la croyance vaillante et ferme ; toute dévouée à ce frère qu’elle adorait, qu’elle admirait : et que, sans le savoir ; elle surpassait peut-être ; qu’elle craignait sans cesse devoir s’égarer aux idées et aux fausses lumières du monde ; qu’elle fût heureuse de ramener au bercail dans les heures dernières ; qu’elle passa plusieurs années à pleurer, à vouloir rejoindre, et dont elle aurait aimé cependant, avant de partir, à dresser elle-même de ses mains le terrestre monument. […] Il y a des enfances dans ce Journal, mais à tout instant il est émaillé de jolies choses, de pensées délicates, de nuances exquises, le tout dit dans une langue heureuse, souvent trouvée, avec un mouvement et une grâce d’expression qui ne s’oublient plus, il faut bien appeler les choses par leur nom, elle s’ennuie : c’est une âme inemployée et même sevrée. […] Il n’est que neuf heures, et j’ai déjà passé par l’heureux et par le triste. […] Elle a non seulement ses croyances fermes où elle se fonde, mais aussi ses superstitions flottantes qu’elle admet un peu à volonté : « Ils ne savent pas être heureux, dit-elle, ceux qui veulent tout comprendre. » N’allez pas vous figurer, en pensant à elle, ni une femme poëte, sentimentale et toujours dans l’attitude de la rêverie, ni une catholique raisonneuse et théologienne, ni une demoiselle châtelaine un peu haute ; si elle lit Platon, c’est bien souvent au coin du feu de la cuisine, et les jours de carnaval elle n’est pas chiche de retrousser ses manches pour faire des croustades.

/ 2685