Mais déjà bien des recherches, des expériences, des luttes ont mis à jour une connaissance d’une certaine étendue et l’ont démontrée incontestable. […] L’histoire ne constitue pas seule le champ d’expériences sociales. […] Il serait bon que chacun refît mentalement les expériences des prédécesseurs, s’assurât de toutes les certitudes qu’il reçoit comme telles. […] Rousseau a tiré son Éducation s’avèrent à l’expérience, comme au raisonnement, parfaitement fausses. […] L’expérience crève les yeux.
C’est que les leçons de l’expérience et les épreuves de la vie l’avaient marquée d’une de ces empreintes auprès de quoi pâlissent toutes les influences littéraires, si chères soient-elles à un cœur ! […] Et c’est un étrange appui pour un personnage imaginaire d’éveiller en nous des analogies avec quelque épisode de notre vie émotive, comme pour l’auteur qui le créa de le pouvoir rattacher à son expérience personnelle. […] Qui de nous ne pourrait retrouver, dans ce magnifique répertoire de souvenirs que crée une expérience personnelle subordonnée à l’observation, quelque figure s’apparentant à l’héroïne de Mme Henri de Régnier ? […] » En face d’Augustin, la voici donc cette jeune femme qui, par une rude expérience et dès le premier âge d’aimer, a connu les tourments de la vie. […] Nous le voyons qui s’appuie sur un ensemble de garanties ou de forces qui ne se sont guère modifiées depuis que le monde se développe en sociétés organisées, et auxquelles il paraît bien, d’après de récentes expériences, que l’on aura du mal à trouver des suppléantes.
Je crois absolument vrai ce qui est prouvé scientifiquement, c’est-à-dire par l’expérience rigoureusement pratiquée.
Mais les raisons que nous avons exposées dans ces refléxions et l’expérience du passé, montrent suffisamment que la possibilité de faire un poëme épique françois meilleur que l’éneïde, n’est qu’une possibilité métaphisique, et telle qu’est la possibilité d’ébranler la terre en donnant un point fixe hors du globe.
Ces deux œuvres sont de la meilleure manière de George Sand, avec le progrès que l’expérience la plus délicate de la vie a pu apporter dans les conceptions primitives de son art, sans que l’âge ait refroidi l’inspiration. […] Elle avait fini par comprendre, à force de douloureuses expériences, ce qu’il y a d’égoïsme implacable dans la passion. […] Comment se combinent en elle la puissance d’invention, qui est si variée et si féconde, avec l’expérience de la vie réelle, dans les différentes situations qu’elle décrit et les caractères qu’elle met en jeu ? […] Le 28 avril 1871 elle écrivait à Flaubert : « L’expérience que Paris essaye ou subit ne prouve rien contre les lois du progrès, et si j’ai quelques principes acquis dans l’esprit, bons ou mauvais, ils n’en sont ni ébranlés ni modifiés. […] Je sais par expérience que les avis les plus sincères peuvent retarder l’élan et faire dévier l’individualité… Elle sait écrire, elle apprécie bien, elle est très capable de faire de la bonne critique.
En littérature, comme en science, la première condition pour penser et faire penser, c’est une expérience variée, renouvelée, opulente, et que cette expérience soit acceptée humblement, par un esprit qui se soumette au fait, qui ne le sollicite point, qui ne lui impose point une formule préconçue. […] Ce sera mesurer le chemin parcouru par la pensée française, à travers l’expérience d’une erreur séculaire dont, hélas ! […] Nous sommes plus coupables, nous qui, après cette première expérience, n’avons pas su lire jusqu’au fond de la pensée germanique. […] L’affreuse expérience tentée là-bas nous montre aussi par quels procédés devrait se maintenir cette soi-disant dictature du prolétariat. […] On frémit à la pensée d’une pareille expérience, tentée en 1914 !
Le réalisme est un système qui astreint l’art à reproduire la réalité sensible telle que l’expérience la fait connaître. […] Elle prévalut de nouveau au ive siècle, favorisée par la révolution qui contraignit la philosophie à se fonder sur l’expérience et à renoncer aux spéculations aventureuses de l’imagination, pour tirer ses doctrines de la constatation positive des faits. […] On a proposé une curieuse expérience : prendre les mystères, les farces, les fabliaux, en retirer tout ce qui ne vient point d’une analyse morale, les aventures, les combats, les voyages, les banquets, les messages, les supplices, les défilés, les cortèges et les « montres » ; que resterait-il ? […] Maintenant, elle entre dans celui de l’expérience. […] Renonçant irrévocablement à sortir de l’expérience, de peur de s’égarer dans le surnaturel, qui n’est que l’irrationnel, se condamnant à ne plus admettre comme les idéalistes des forces mystérieuses en dehors « du déterminisme des phénomènes », l’écrivain, le peintre n’imaginera plus.
L’art d’écrire s’apprend donc en même temps qu’on apprend la littérature, l’histoire, les sciences, par cela même qu’on les apprend, en même temps qu’on avance dans la vie, par cela même qu’on vit : l’étude et l’expérience sont les vraies sources de l’invention et du style.
Tâchez d’attraper l’art de tirer votre interlocuteur du lieu commun : faites-le parler de ce qu’il sait le mieux, de ce qu’il a pu sentir ; forcez-le d’évoquer son expérience personnelle : dépouillez-le.
Il ne s’agit que de frapper juste toute pierre, si roulée et même si salie qu’elle soit dans les ornières de la vie, pour en faire jaillir le feu sacré ; seulement, pour frapper ce coup juste, il faut la suprême adresse de l’instinct qui est le génie, ou l’adresse de seconde main de l’expérience, qui est du talent plus ou moins cultivé.
Ceux qui ont commencé par l’enthousiasme confiant et innocent ont appris, à force de mécomptes, à connaître le mal, et souvent, en cet âge de l’expérience chagrine, ils deviennent enclins à lui faire une bien grande part. […] » Et de ce ton de douairière du Marais qu’elle affectionne : « La manie de votre âge, dit-elle en terminant, est de vouloir faire entendre la raison aux hommes : l’expérience du mien enseigne qu’il est plus sûr de les y laisser revenir ; que le temps les ramène d’ordinaire à la raison et à la vérité ; mais que la raison et la vérité n’ont presque jamais convaincu personne. » Cet esprit si expérimenté et si sûr, qui débute par où d’autres sages finissent, patience ! […] Pour bien juger un tel livre, surtout d’utilité et d’application, il faudrait avoir autorité, expérience, et s’être formé ses propres idées sur le sujet. « Le moment des réformes politiques est celui des plans d’éducation, » a dit une femme spirituelle et généreuse, Mme de Rémusat, qui elle-même a payé sa dette utile avec charme. […] En ce point, notez-le, Mme Guizot est fermement du siècle, de la philosophie, de l’expérience, qui examine, va jusqu’au bout et ne se rend pas ; elle ne fait intervenir aucun élément mystérieux et irrationnel dans l’éducation.
Ses archives sont enterrées ; il faut pour les dégager des recherches dont il n’est pas capable ; elles subsistent pourtant, et aujourd’hui l’histoire les remet en lumière Quand on le considère de près, on trouve que, comme la science, il a pour source une longue accumulation d’expériences : les hommes, après une multitude de tâtonnements et d’essais, ont fini par éprouver que telle façon de vivre ou de penser était la seule accommodée à leur situation, la plus praticable de toutes, la plus bienfaisante, et le régime ou dogme qui aujourd’hui nous semble une convention arbitraire a d’abord été un expédient avéré de salut public. […] L’homme n’imagine rien qu’avec son expérience, et dans quelle portion de leur expérience les gens de ce monde auraient-ils trouvé des matériaux pour imaginer les convulsions de l’accouchement ? […] Voltaire veut que ce rêve soit vrai, parce qu’autrement il ne peut expliquer le bel arrangement du monde et qu’une horloge suppose un horloger ; il faudrait d’abord prouver que le monde est une horloge et chercher si l’arrangement, tel quel, incomplet, qu’on y observe ne s’explique pas mieux par une supposition plus simple et plus conforme à l’expérience, celle d’une matière éternelle en qui le mouvement est éternel.
VI Ce fut la tentation de beaucoup de grands esprits, depuis qu’il y a des penseurs dans le monde, de se révolter, au moins en imagination, contre la nature des choses ; de s’imaginer qu’ils étaient dieux, de critiquer avec mépris l’œuvre du Créateur ; de reprendre l’univers moral en sous-œuvre, de renverser toutes les institutions plus ou moins parfaites de l’humanité, et de reconstruire idéalement une société sur le plan radical de leur imagination, en faisant abstraction des instincts, des traditions, des habitudes, cette seconde nature, des nécessités, des expériences, des nationalités et des faits historiques, qui ont produit, fait par fait et siècle par siècle, les institutions fondamentales et universelles sur lesquelles repose l’espèce humaine. […] Cette énorme chimère en dix livres se résume dans cinq ou six énormités aussi paradoxales qu’impraticables ; c’est le contrepied de la nature, de l’expérience et de l’histoire : un monde renversé. […] XXII La politique, selon nous, n’est en effet que la nature, étudiée avec intelligence et respect dans les instincts sociaux de l’homme ; la nature, révélée par ces instincts, vivifiée par l’expérience, promulguée en lois et instituée en gouvernement par les législateurs de génie de tous les pays et de tous les siècles. […] Si le vrai philosophe taille ses institutions sociales sur le patron de la nature humaine, il taille aussi ses institutions politiques sur le patron de l’expérience et de l’histoire.
Pour le bien connaître enfin, Roederer, à la fois pratique et un peu paradoxal, ayant son grain d’humeur, mais obéissant à son mouvement d’idées, fut pendant des années un précepteur actif du public, et, dans cette voie ouverte par la Constituante, admettant tous les correctifs de l’expérience, prompt à les indiquer, il ne craignit pas, en se multipliant de la sorte, de perdre quelquefois en autorité personnelle, pourvu qu’il fût utile à la raison de tous : il ne cessa d’écrire, de conseiller, de dire son avis à chaque nouvelle phase de la Révolution et pendant chaque intervalle, et toujours avec un grand tact des événements et des situations54. […] Ses observations sont toutes dans le sens de la pratique et de l’expérience. […] Examinant chaque question en elle-même sous ces deux rapports, après l’avoir divisée par la plus exacte analyse et la plus déliée ; Interrogeant ensuite les grandes autorités, les temps, l’expérience ; se faisant rendre compte de la jurisprudence ancienne, des lois de Louis XIV, du grand Frédéric… Ce ne sont pas proprement des pages suivies que j’extrais, mais de simples notes que je rejoins, et que j’assemble ; il suffit, toutefois, de les rapprocher, tant elles concordent, pour voir se dessiner cette beauté consulaire dans toute sa vigueur et sa simplicité : Le premier consul n’a eu besoin que de ministres qui l’entendissent, jamais de ministres qui le suppléassent.
Sue visait surtout à exprimer certains résultats de précoce et fatale expérience, certaines vérités amères et plus qu’amères, que l’excès seul de la civilisation révèle ou engendre. […] Les mortelles leçons de ce père trop éclairé et inexorable d’expérience ne sont, selon moi encore, que trop vraies (je parle en général) ; c’est du La Rochefoucauld développé et senti, c’est du Machiavel domestique ; bien des pages du chapitre intitulé le Deuil ont même de certains accents de morose éloquence. […] « Quand l’expérience aura mûri votre raison, mon fils, vous verrez toute la vanité de ces distinctions subtiles.
Toujours en haleine, aux écoutes, faisant de fausses pointes et revenant sur sa trace, sans système autre que son instinct et l’expérience, il a fait la guerre au jour le jour, selon le pays, la guerre à l’œil, ainsi que s’exprime Bayle lui-même, qui est le génie personnifié de cette critique. […] Il assiste à des sermons, à des expériences de philosophie naturelle, et, à propos des expériences de M.
Je remarque que ce sont celles qui dépassent l’expérience et le raisonnement, sur lesquelles nombre de gens, qui n’étaient pas sceptiques, ont déclaré impossible à l’esprit humain d’acquérir aucune certitude, et que divers dogmatismes très positifs ont dénommé l’inconnaissable. […] Il n’y a pas de mot qu’il prononce plus souvent que celui de vérité ; il ne connaît pas de plus excellente vertu que celle de savoir céder à la vérité, où qu’elle se présente ; et il connaît deux voies qui y mènent, la raison d’abord, puis au-dessous d’elle, et sous son contrôle, l’expérience. […] Par sa raison individuelle, à l’aide de son expérience personnelle, confrontant l’Amérique et la Grèce, il trouve le principe fondamental de la littérature classique : il s’assure que les anciens ont parlé selon la vérité, selon la nature, et voilà leur autorité fondée en raison.
Dans l’ordre de la Nature, les connoissances sont imparfaites, les vérités incertaines, les erreurs fréquentes, les expériences trompeuses, les raisonnemens abusifs ; tout est équivoque, rien n’est assuré : cependant les systêmes de Talès, de Pythagore, d’Epicure, de Ptolomée, de Descartes, ont eu leurs partisans ; & ceux de Copernic, de Newton, de Leibnitz, de Néedhan, de Buffon, ont aujourd’hui les leurs. […] L’expérience journaliere prouve cette vérité. […] La Religion est austere & gênante ; c'est avouer qu'on est incapable de porter le joug des vertus qu'elle commande : elle est nuisible ; c'est fermer les yeux aux avantages les plus sensibles, les plus indispensables qu'elle procure à la société : ses devoirs excluent ceux du Citoyen ; c'est la calomnier manifestement, puisque le premier de ses préceptes est de remplir les obligations de son état : elle favorise le despotisme & l'autorité arbitraire des Princes ; c'est méconnoître son esprit, puisqu'elle déclare, dans les termes les plus énergiques, que les Souverains seront jugés, au Tribunal de Dieu, plus sévérement que les autres Hommes, & qu'ils paieront avec usure l'impunité dont ils ont joui sur la terre : la foi qu'elle exige contredit & humilie la raison ; c'est insulter à l'expérience & à la raison même, que de regarder comme humiliant un joug qui soutient cette raison toujours vacillante, toujours inquiete quand elle est abandonnée à elle seule, ainsi que les ennemis de la Foi en sont eux-mêmes convenus*.
Tout son labeur a été détourné du but initial qu’il s’était proposé et a été utilisé pour une autre fin ; car sa première inquiétude s’est objectivée en un admirable paysage logique, où, s’enracinant dans un sol remué par l’expérience, les idées s’entrecroisent comme des frondaisons sous le ciel lointain des conceptions abstraites. […] Si un tel préjugé n’était tout-puissant en raison sans doute de son utilité actuelle, de nombreux faits d’expérience auraient le pouvoir de démontrer que la nature humaine est pourvue d’un pouvoir élastique de jouir et de souffrir qui s’exerce d’une façon uniforme parmi toutes les circonstances et parmi les conditions les plus différentes. […] Mais en modifiant ainsi dans son corps le cours naturel de la vie, en y instituant ces hardies et multiples expériences, il faisait accomplir, ainsi qu’on l’a montré, un progrès merveilleux à la science de la vie.
Plus d’un esprit, en effet, subit passivement ce mélange hétérogène et laisse gâter sa conception primitive par cet apport importun de l’expérience passée. […] Aussi le sens commun et le bon sens ne cherchent-ils pas leurs mots ; mais les grands, les vrais penseurs cherchent leurs mots ; à moins que le génie de la pensée ne soit complété chez eux, — chose bien rare, — par le génie du style, ils connaissent par leur propre et fréquente expérience cet état d’esprit qu’on a voulu contester, dans lequel on poursuit l’expression claire, adéquate, saisissante, d’une pensée déjà bien arrêtée. A tâche égale, disions-nous plus haut, la facilité croît avec l’expérience.
Cependant l’atmosphère politique s’éclaircissait peu à peu à l’entour ; en même temps que la fièvre publique s’apaisait, les tendances littéraires reprirent le dessus et se prononcèrent : l’expérience se fit. […] Voilà le vrai ; et de plus, il est résulté de ces années d’expérience et de pratique commune que cette doctrine critique, qu’on cherchait à introduire dès l’abord, s’est formée de la manière dont ces sortes de choses se forment le mieux, c’est-à-dire lentement, insensiblement, comme il sied à des hommes d’âge déjà mûr, qui ont passé par les diverses épreuves de leur temps, et qui sont guéris des excès.
Pourtant — et vous en avez fait sûrement l’expérience parmi ces enveloppes mortelles, il y en a chez qui nous sentons ou croyons sentir une âme, une personne — peut-être parce que cette âme a quelque ressemblance intime avec la nôtre. […] Il est vrai que ce mysticisme simulé peut quelquefois redevenir sincère ; car la conscience de l’incurable inassouvissement du désir et de sa fatalité, le détraquement nerveux qui suit les expériences trop nombreuses et qui dispose aux sombres rêveries, tout cela peut faire naître chez le débauché l’idée d’une puissance mystérieuse à laquelle il serait en proie.
Fondé sur une méthode arbitraire, niant résolument l’expérience, le panthéisme vient échouer devant la conscience et les instincts éternels du cœur humain. […] Le péché originel n’a rien d’étrange ni d’obscur, car c’est un fait d’expérience que tous les jours le péché se transmet par contagion.
Nous en connaissons par expérience les conséquences inévitables ». […] Il nous faudrait un office permanent d’enquêtes sur toutes les branches de l’activité humaine, pour connaître à fond la vie politique et sociale des autres peuples, leurs expériences, leurs pratiques, leurs fautes, leurs succès, leurs innovations ; leurs découvertes et leurs applications scientifiques ; leur administration, leur industrie, leur production, leur commerce ; leur art et leurs traditions ; en un mot leur existence exacte.
Il a le choix ; mais il serait plus près encore de l’expérience en disant que A et B se meuvent par rapport l’un à l’autre, ou plus simplement que l’écart entre A et B diminue ou grandit. […] La tendance à parler indifféremment du « système » ou du « système de référence » fut d’ailleurs immanente à la théorie de la Relativité dès l’origine, puisque c’est en immobilisant la Terre, en prenant ce système global pour système de référence, qu’on expliqua l’invariabilité du résultat de l’expérience Michelson-Morley.
C’est l’œuvre d’un physiologiste de génie qui s’interroge sur la méthode qu’il a suivie, et qui tire de sa propre expérience des règles générales d’expérimentation et de découverte. […] On pourrait maintenant, pour conclure, dire un mot de l’entreprise tentée par l’auteur de l’Évolution créatrice pour porter la métaphysique sur le terrain de l’expérience et pour constituer, en faisant appel à la science et à la conscience, en développant la faculté d’intuition, une philosophie capable de fournir, non plus seulement des théories générales, mais aussi des explications concrètes de faits particuliers.