La passion ne s’y montre pas non plus, et j’entends par là non l’intérêt passionné qu’un écrivain met à défendre une croyance commune, mais la vanité qui y trouve une occasion, ou le tempérament qui s’y donne cours. […] Comment s’y conduire, soit pour les éviter, soit pour ne pas les envenimer ; par quelles illusions nous confondons la vérité avec notre intérêt ; par quel sophisme de la vanité, croyant ne faire que redresser notre prochain, nous l’opprimons ; dans quelle mesure doit-on résister ou déférer aux opinions établies, respecter les personnes d’autorité ou ceux qu’elles, accréditent, prétendre à la créance des autres ; quels sacrifices nous conseille notre intérêt bien entendu, et nous commande la charité chrétienne : voilà les points que touche Nicole, et sur lesquels il n’est pas d’esprit droit qui ne soit d’accord avec lui.
Je serai satisfait si, après avoir écrit la vie de Jésus, il m’est donné de raconter comme je l’entends l’histoire des apôtres, l’état de la conscience chrétienne durant les semaines qui suivirent la mort de Jésus, la formation du cycle légendaire de la résurrection, les premiers actes de l’église de Jérusalem, la vie de saint Paul, la crise du temps de Néron, l’apparition de l’Apocalypse, la ruine de Jérusalem, la fondation des chrétientés hébraïques de la Batanée, la rédaction des évangiles, l’origine des grandes écoles de l’Asie-Mineure, issues de Jean. […] L’esprit de Jésus n’est pas là, et si le fils de Zébédée a vraiment tracé ces pages, il avait certes bien oublié en les écrivant le lac de Génésareth et les charmants entretiens qu’il avait entendus sur ses bords.
Il parla la langue imagée et sentimentale qu’entendaient ses contemporains ; il épiça son récit des condiments connus et goûtés à l’époque. […] La Harpe était poursuivi par l’image « de ces patriotes à moustaches, parmi lesquels étaient nombre d’aristocrates bien prononcés auparavant et métamorphosés depuis, qui levaient le sabre ou le bâton dans les sections au nom de l’Égalité sur un pauvre malheureux qui avait oublié de le tutoyer et menaçait de le mettre au pas7 » Si l’on n’avait pas vu, on avait au moins entendu la narration de faits épouvantables, comme ceux que raconte René dans son Essai : — Un garde national perce de sa baïonnette une petite fille qui pleurait son père guillotiné « et la place sur la pile des morts, aussi tranquillement qu’on aurait fait une botte de paille ».
On raconte qu’après avoir entendu son premier plaidoyer, un riche bourgeois vint lui offrir sa fille en mariage.
Mais, encore une fois, il aurait fallu entendre Ramond s’expliquer à cœur ouvert sur toute cette affaire et sur les faits tels qu’il les appréciait en définitive, pour être en mesure de prononcer.
Auguste Barbier, qui n’a jamais eu qu’un cri puissant auquel le public ait répondu, se tait ou se fait peu entendre.
Ayant été averti pour le travail, il donna à Barjac (son valet de chambre) sa clef pour lui ouvrir la porte ; Barjac n’ayant pu en venir à bout, M. le cardinal crut que c’était sa faute et y essaya lui-même ; le bruit fut entendu du cabinet, et l’on vint ouvrir.
» On devine le reste ; c’est la femme qui tout à l’heure est allée brouiller la serrure, en y jetant du sable ; elle retient insensiblement son mari chez elle ; ce jour même, elle a découvert sur la tête du volage ce bienheureux cheveu blanc si désiré, elle prétend bien en tirer parti ; elle s’en empare au moral, ouvre son cœur, exhale ses plaintes du délaissement auquel elle s’est condamnée, dix années durant, pour lui laisser une indépendance entière à laquelle il tenait tant et dont, elle, elle n’a jamais entendu se prévaloir ni s’autoriser ; elle dit et fait si bien qu’elle reconquiert enfin l’infidèle qui ne pense plus à sortir du délicieux réduit.
Le juge peut m’entendre : Ami, le savez-vous ?
Ils n’entendent, ni ne voient, ni ne comprennent : avec deux ou trois raisonnements ils font face à toutes les objections ; et lorsque ces traits lancés n’ont pas convaincu, ils ne savent plus avoir recours qu’à la persécution.
Il entend la poésie de telle façon qu’il en élimine l’élément poétique.
Encore qu’il ne s’arrête pas à la décrire, je connais peu de poètes qui l’aient mieux que lui devinée, et qui aient mieux laissé entendre sa voix grave d’aïeule.
« Has theses tueri conabitur Asinius Asinionius de Monte Asinario, die Maii ; « Arbiter erit doctor Gratianus Campanaccius de Budrio ; pro laurea, in aula Francolinensi. » Après chaque réponse du candidat, les docteurs font entendre le chœur suivant, qui est antérieur de vingt-six ans au Bene, bene respondere de la cérémonie du Malade imaginaire : LI DOTTORI.
Arlequin, voulant faire le serviteur zélé, se met entre ces amants, querelle Octave : « Je devine aisément, lui dit-il, que vous en voulez à l’honneur de ma maîtresse : elle n’en a point, entendez-vous ?
» — C’est à peine si dans ce concert de mégalomanie pédagogique, quelques voix font entendre une note discordante pour dissiper les illusions ou dénoncer les dangers59.
Admirateur ahuri des disciples pauvrement bégayants, il n’entend pas les voix les plus sûres et les plus personnelles.
Il lui dit de ces choses qui sont assez peu agréables à entendre, quand c’est un autre que soi qui les dit.
Il sait que cette compagnie, esclave des règles et formaliste, n’entend faire la guerre que par arrêts et par huissiers ; que les plus grands tonnerres d’éloquence aboutissent à des conclusions d’enquête et à des décrets pour informer ; que rien n’empêcherait le Parlement de lever séance quand l’heure de midi ou de cinq heures, l’heure sacramentelle du dîner ou du souper, a sonné.
Il ne faut pas entendre par là la société même, ni simplement l’idée de la société, mais l’ensemble unifié de nos instincts sociaux, de nos idées sociales et de nos sentiments sociaux, en un mot la partie sociale de notre moi, celle par où nous coïncidons en quelque sorte avec les autres membres du groupe. — Pourquoi appeler cette partie un moi social ?
Le numéro était une fois par semaine rempli tout entier d’une fantaisie de Banville, et pour montrer à quel point on laissait ce poète hausser le ton coutumier de journaux, nous citerons de lui cette magnifique phrase, dont le pendant ne se trouvera guère dans nos quotidiens : « Ainsi dans le calme silence des nuits, aux heures où le bruit que fait en oscillant le balancier de la pendule, est mille fois plus redoutable que le tonnerre, aux heures où les rayons célestes touchent et caressent à nu l’âme toute vive, où la conscience a une voix, où le poète entend distinctement la danse des rhythmes dégagés de leur ridicule enveloppe de mots, à ces heures de recueillement douloureuses et douces, souvent, oh !
Je n’aime pas entendre un naturaliste dire : « Il nous sera fort égal que le démocrate des Etats du Sud trouve dans les résultats de nos recherches la confirmation ou la condamnation de ses prétentions. » Après tout, pour être savant, on n’en est pas moins homme.
Il vaut mieux l’entendre que moi.
Quelquefois, ne pouvant faire entendre sans beaucoup de paroles, à des lecteurs ordinaires, toute l’étendue du sens de l’auteur, j’ai mieux aimé en laisser entrevoir la finesse aux seuls lecteurs intelligents, que de l’anéantir dans une périphrase.
Maurice Barrès donna Sous l’œil des Barbares, les causeurs et les critiques trop nombreux qui parlent des livres après les avoir à peine feuilletés, s’imaginèrent que l’auteur entendait par ces Barbares, à la mode romantique, les imbéciles, les bourgeois, les Philistins, tandis qu’au contraire il comprenait dans ce terme tous les hommes, fussent-ils de la plus haute, de la plus délicate culture, qui attentent à l’intégrité de notre moi, ou empêchent que nous en prenions pleine conscience.
Il n’y a pas, en apparence, moyen de réconcilier les opinions diverses qui se partagent le monde, parce que la différence essentielle et fondamentale commence, ainsi que nous essaierons de l’établir, à la source même de la pensée, Tâchons donc de remonter jusque-là, et peut-être serons-nous plus disposés à nous entendre.
Lorsque le Labarum parut dans le ciel, n’entendit-on pas une voix qui sortait du Capitole, et qui disait : Les dieux s’en vont ?