/ 2563
895. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

. —  Ses enfants. —  Ses chagrins domestiques. […] Pareil aux créatures énormes demi-formées, enfants des premiers âges, il est encore à moitié homme et à moitié limon. […] Les audacieuses expressions, les excès de style, font entendre la voix vibrante de l’homme qui souffre, qui s’indigne et qui veut. « Les livres, dit-il dans son Aréopagitique, ne sont pas absolument des choses mortes ; ils contiennent en eux une puissance de vie pour être aussi actifs que l’âme dont ils sont les enfants. […] J’approche, et je crois trouver l’Ève et l’Adam de Raphaël, imités par Milton, disent les biographes, superbes enfants, vigoureux et voluptueux, nus sous la lumière, immobiles et occupés devant les grands paysages, l’œil luisant et vague, sans plus de pensée que le taureau ou la cavale couchés sur l’herbe auprès d’eux. […] Voilà de la vertu et de la morale anglaises, et chaque famille, le soir, pourra la lire en guise de Bible à ses enfants.

896. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Il considérait volontiers cette triste humanité comme une vieille enfant et une incurable, qu’il s’agit de redresser un peu, de soulager surtout en l’amusant. […] Ces imitations, en un mot, ne sont le plus souvent pour nous que le résumé heureux de toute une famille d’esprits et de tout un passé comique dans un nouveau type original et supérieur, comme un enfant aimé du ciel qui, sous un air de jeunesse, exprime à la fois tous ses aïeux. […] La physionomie de Marlowe, en effet, ne manquait pas de ressemblance avec le front d’un noble taureau, et le page, comme un enfant qu’il était encore, en avait été frappé plus que de tout autre. […] Dix mois avant sa mort, Molière, par la médiation d’amis communs, s’était rapproché de sa femme qu’il aimait encore, et il était même devenu père d’un enfant qui ne vécut pas. […] Louis XIV ne répondit à ce déchaînement de la haine qu’en devenant parrain du premier enfant qu’eut Molière.

897. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

L’enfant ne subsiste que si la mère, le père, une foule d’individus subsistent autour de lui. […] Peu importent, il est vrai, les diverses espèces de mouvement ; l’enfant s’agite en tous sens et son plaisir croît avec l’intensité de la motion en rapport avec les forces emmagasinées. […] Un enfant qui voit pour la première fois une étoffe écarlate reçoit une excitation du sens de la vue qui n’est nullement la suppression d’une peine préalable. […] La première étoile filante qui passe devant les yeux de l’enfant le charme sans s’être fait prévoir ni désirer ; un jeu de lumière dans le ciel est comme un sourire gratuit de la nature. […] L’évolution, l’universel « devenir », que les anciens appelaient l’universel « désir », est donc, selon la doctrine profonde de Platon dans le Banquet, « l’enfant de la Richesse » et non pas seulement de la « Pauvreté ».

898. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

La foule des villes, l’élan silencieux et résolu des troupes à la veille d’une bataille, la psychologie des servants et des petits officiers d’une batterie vers le feu ou d’un régiment passé en revue se dessinent tout naturellement sous sa plume, comme l’atmosphère morale d’un comité administratif, d’un conciliabule de généraux, d’un salon diplomatique et mondain, les bavardages d’un cortège de prisonniers bu d’une chambrée d’enfants. […] Il semble que le romancier soit au centre et à la suite des lentes ondes de mouvement qui font se durcir et s’effriter les roches, pousser et se flétrir tes plantes, s’affermir et vieillir les animaux, qui poussent les enfants à l’adolescence, les jeunes gens enthousiastes et mobiles à l’âge des décisions égoïstement rassises, qui fanent les femmes et les hommes, les talent ou les raidissent peu à peu en une vieillesse radoteuse ou rageuse et les portent ainsi de la naissance à la mort par d’insensibles gains et d’irréparables pertes. […] L’épanouissement de Natacha, de ses yeux ravissants d’enfant-reine, à son charme vif, rieusement surpris de jeune fille, la plus fine, la plus frémissante, la plus gracieusement et tendrement jolie qui soit dans les livres, son égarement de passion et sa tristesse ployée, se joint à l’endurcissement progressif du prince Bolkonsky, impérieux, quinteux, puis follement colère, hors de lui de chaude usure et s’affaissant sur son lit de mort en une douceur timorée d’enfant vieillot, besoigneux d’aide. […] Et ce tableau véridique si charmant du mariage ordinaire est loin encore des scènes familiales dans La Guerre et la Paix, de la vie de château et de palais des Rostow avec leurs enfants, leurs amis et leurs domestiques. […] Nous avons vu de quels éléments hostiles l’une et l’autre sont formées, comment les premiers livres de Tolstoï sont de larges et proches images de la nature et de l’homme, comment la vie même s’y est reproduite par les caractères profonds et cachés dont se marque sa révélation ; comment une infinie variété d’âmes humaines y existent vraiment, âmes de femmes, de jeunes filles, d’enfants, de soldats, d’hommes, prises à même de la multitude diverse, créées mobiles, variables, individuelles, réelles, agitées, bruissantes et telles que la sagacité de l’analyste s’oublie devant le succès et l’illusion de la synthèse.

899. (1888) Poètes et romanciers

Elle quitta sa famille et son enfant pour aller vivre seule. […] Aujourd’hui que chez nous le patriotisme sommeille, ces émotions d’un enfant doivent paraître étranges. […] L’enfant s’appelait Paul. […] Napoléon enfant rencontre dans la campagne une vieille Égyptienne qui lui prédit les miracles de sa fortune. […] Il s’agit d’un enfant délicieux à voir, vermeil, d’un de ces enfants qui font dire : « Ô mère heureuse ! 

900. (1898) La cité antique

L’enfant qui naissait de là était considéré comme fils du mari, et continuait son culte. […] Passons à l’enfant. […] Elle n’était jamais tutrice, même de ses enfants. En cas de divorce les enfants restaient avec le père, même les filles. Elle n’avait jamais ses enfants en sa puissance.

901. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Peu de temps après avoir été sur la bruyère de Chanteloup, il servit de témoin, et, comme on dirait en temps ordinaire, de parrain à un enfant mâle qui naquit à un brave homme d’Amboise. […] Quoique Saint-Martin eût beaucoup moins à se plaindre qu’un autre de la Révolution et qu’il ait pu dire que jusqu’à une certaine heure elle l’avait traité en enfant gâté, il avait assez à en souffrir pour pouvoir récriminer contre elle s’il l’avait voulu et si son caractère l’y eût porté. […] — La douleur, dans l’homme et hors de l’homme, lui paraissait le cri universel, et il eût dit volontiers avec l’Apôtre : « Toutes les créatures soupirent et sont comme dans le travail de l’enfantement, attendant avec grand désir la manifestation des enfants de Dieu. » Il se rapprochait et se séparait de Rousseau par bien des points. […] Et cet autre passage encore : Un jour, à Saint-Roch, j’assistai au renouvellement des vœux du baptême que l’on fit faire aux enfants des deux sexes qui avaient fait leur première communion dans la quinzaine de Pâques.

902. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

il y a bien des sens cachés. » Et ils le diront et déjà ils le disent, parce qu’ils ont besoin de faire de vous tout ce que vous auriez dû être : car vous êtes l’enfant du siècle, vous le personnifiez, à leurs yeux, et là où le périlleux modèle ne répond pas pleinement à l’idée et fait défaut, ils y mettront la main, ils vous achèveront. […] Suivant lui, François, d’abord surnommé Corbueil, serait né en 1431 (l’année même de la mort de Jeanne d’Arc) à Auvers, près Pontoise, ce qui ne l’empêchait pas de se dire Parisien, sans doute parce qu’il était venu de bonne heure à Paris et y avait été élevé. « Rien d’ailleurs dans ses œuvres n’indique une enfance passée aux champs, absolument rien ; au contraire, tout y trahit l’enfant de la cité et le polisson du ruisseau. » Le nom de Villon, sous lequel il se fit ensuite connaître, n’était probablement qu’un surnom d’emprunt qu’il dut à un Guillaume Villon, lequel n’était ni son père, comme on l’a avancé, ni son oncle, mais seulement son maître. […] Voilà le proie blême que se propose Villon, et c’est le même que travaillent à résoudre les enfants de famille du xixe  siècle…. […] Il l’aura respecté et même un peu craint, comme un frère enfant, comme un bon génie qu’il ne faut offenser et effaroucher que le moins possible : il aura eu quelque pudeur avec lui.

903. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

C’était un Napolitain, agent sanitaire remplissant les fonctions de médecin et venant nous demander de guérir son enfant qui avait mal aux yeux. […] Je n’ai plus vu que des bergers, des mages, de pauvres petits enfants égorgés et un berceau duquel est sortie une législation qui devait changer la face du monde. […] Vous allez rire de voir Gribeauval et Habacuc contemporanisés par moi : riez tant qu’il vous plaira, puis songez qu’il y avait des curieux autour de moi, ries femmes, des enfants regardant avec attention aussi, mais ne voyant dans ce que nous admirions de mécanisme dans ces machines de guerre, qu’une nouvelle volonté de Dieu, qu’un fléau d’une autre forme envoyé par lui pour les éprouver de nouveau. […] » logé dans les palais du prince ou chez les premiers seigneurs de l’empire, présenté par l’empereur dans les manœuvres comme étant de son État-major, l’accompagnant dans ses voyages à l’intérieur, traité par lui non comme un peintre, mais comme un ami, comme un fils, comme un enfant gâté, avec une confiance, un laisser-aller que les lettres n’exagèrent pas, et que les meilleurs témoins nous ont certifié, Horace sut garder sa tête, son bon sens, et ne pas se laisser enivrer ni enguirlander.

904. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Tout ce qui a passé et défilé sous nos yeux depuis trente-cinq ans en fait de mœurs, de costumes, de formes galantes, de figures élégantes, de plaisirs, de folies et de repentirs, tous les masques et les dessous démasqués, les carnavals et leur lendemain, les théâtres et leurs coulisses, les amours et leurs revers, toutes les malices d’enfants petits ou grands, les diableries féminines et parisiennes, comme on les a vues et comme on les regrette, toujours renaissantes et renouvelées, et toujours semblables, il a tout dit, tout montré, et d’une façon si légère, si piquante, si parlante, que ceux même qui ne sont d’aucun métier ni d’aucun art, qui n’ont que la curiosité du passant, rien que pour s’être arrêtés à regarder aux vitres, ou sur le marbre d’une table de café, quelques-unes de ces milliers d’images qu’il laissait s’envoler chaque jour, en ont emporté en eux le trait et retenu à jamais la spirituelle et mordante légende. […] Ainsi, pour les Enfants terribles, le mot générateur de la série, c’est cet égoïsme profond de ces petits êtres qui, sans malice d’ailleurs ni arrière-pensée, leur fait tout voir par rapport à eux et les empêche de se rendre compte en rien de l’effet et de*la catastrophe morale que leur imprudence va produire au dehors chez autrui. […] » Tout le roman s’est révélé, et juste à son heure, à ce moment plus que hasardé où l’on fait pour la première fois le pas décisif. — • Ainsi encore, dans les Enfants terribles : on est dans un jardin public ; une jeune femme dans le fond dont on ne voit pas le visage, mais qui a un air des plus convenables, est occupée à lire ; sa petite fille joue près d’elle ; un monsieur qui a lorgné la mère demande à la petite, en la prenant entre ses genoux et en y mettant toutes sortes de façons : « Petit amour, comment s’appelle Madame votre maman ?  […] » — et dans la série de Clichy, entre tant de fausses gaietés et de misères, cette admirable scène du détenu visité le premier jour par sa femme et son petit enfant qu’il couvre de baisers, et la femme dont on ne voit pas le visage sans doute mouillé de larmes, et qui lui dit d’un ton gai, tout en vidant son panier : « Petit homme, nous t’apportons ta casquette, ta pipe d’écume et ton Montaigne.

905. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Ils ont, demi-formés des mains de la tendresse, La grâce et les défauts, enfants de la paresse. […] La circonstance mystérieuse, et cependant naturelle, qui fait qu’Arthur retrouve Julie et son enfant, introduit le léger intérêt romanesque qui, avec la conversion, compose la seule action de ce livre où pourtant l’attrait ne cesse pas. […] Plusieurs ont des femmes ou des enfants malades, qui consument ce peu d’argent qu’ils gagnent avec tant de peine ! […] et, quand vos grains recueillis seront devenus le pain des familles, ce pain que nous autres, insensés des villes, mangeons avec tant d’indifférence et d’oubli, le pauvre, toujours chrétien, lui, n’entamera pas sa nourriture unique, la vie de ses enfants, sans faire, avec la pointe de son couteau, cette croix dont il salue le jour et la nuit, et tous les actes de on existence laborieuse ; il remerciera Dieu du bienfait accordé à ses peines ; il lui demandera de bénir encore les travaux auxquels il s’apprête et pour lesquels il se fortifie.

906. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

J’en reçus bientôt un exemplaire imprimé31, et j’eus la surprise qu’éprouverait un père en revoyant adulte un enfant laissé en nourrice. […] Léger enfant de la prairie, Sors de ma lugubre prison ; Tu n’existes qu’une saison, Hâte-toi d’employer la vie. […] Peut-être un jour dans la campagne, Conduit par tes goûts inconstants, Tu rencontreras deux enfants Qu’une mère triste accompagne : Vole aussitôt la consoler ; Dis-lui que son amant respire, Que pour elle seule il soupire ; Mais, hélas ! […] Étale ta riche parure Aux yeux de mes jeunes enfants ; Témoin de leurs jeux innocents, Plane autour d’eux sur la verdure.

907. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Enfants de saint François, sous l’immense oranger, Reparlez-vous encor du fils de l’étranger ? […] La plus remarquable de ces pièces est (tome II, page 51) l’élégie imitée de l’allemand de Grillpanzer, l’Enfant heureux, dont l’idée refleurie avec grâce a fait depuis le plus frais bouton d’or de la couronne poétique de Reboul. Loyson commençait ainsi : Un Ange aux plumes argentées, Au chevet d’un berceau qu’ombrageaient à demi Ses ailes dans les airs mollement agitées, Planait d’un vol léger sur l’enfant endormi. […] Et il finissait par ce vers que tous ceux qui l’ont su alors ont retenu : Sois heureux, lui dit-il, — et l’enfant était mort.

908. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Son impétueuse chaleur de cœur, sa sincérité d’enfant, son dévouement inviolable en amitié, sa mélancolique résignation en amour, sa religion du devoir, son caractère tout en dehors, naïvement grave et sentencieux, beau de fierté et de prud’homie, tout le disposait fortement au genre espagnol ; il l’embrassa avec ferveur, l’accommoda, sans trop s’en rendre compte, au goût de sa nation et de son siècle, et s’y créa une originalité unique au milieu de toutes les imitations banales qu’on en faisait autour de lui. […] Pierre avait six enfants ; et comme alors les pièces de théâtre rapportaient plus aux comédiens qu’aux auteurs, et que d’ailleurs il n’était pas sur les lieux pour surveiller ses intérêts, il gagnait à peine de quoi soutenir sa nombreuse famille. […] Cela aideroit à tromper l’auditeur qui, ne voyant rien qui lui marquât la diversité des lieux, ne s’en apercevroit pas, à moins d’une réflexion malicieuse et critique, dont il y a peu qui soient capables, la plupart s’attachant avec chaleur à l’action qu’ils voient représenter. » Il se félicite presque comme un enfant de la complexité d’Héraclius, et que ce poëme soit si embarrassé qu’il demande une merveilleuse attention. […] Une autre fois, il disait à Chevreau : « J’ai pris congé du théâtre, et ma poésie s’en est allée avec mes dents. » Corneille avait perdu deux de ses enfants, deux fils, et sa pauvreté avait peine à produire les autres.

909. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Au milieu de cette vie d’excitation et d’élourdissement, se voyant atteinte de crises nerveuses et menacée d’une maladie de poitrine, Mme de Krüdner part pour Paris au mois de mai 1789 ; elle n’y était venue que tout enfant, à l’âge de treize ans : c’est donc pour la première fois qu’elle va juger de cette ville, qui était bien véritablement alors la capitale du monde. […] Eynard a très-bien résumé ces premières phases du développement de Mme de Krüdner, quand il dit : « Encore enfant, à Millau, elle ne cherchait que l’amusement ; à Venise, son cœur parle ; à Copenhague, sa vanité s’éveille ; mais c’est à Paris que son intelligence semble réclamer ses droits. » A peine y est-elle arrivée en effet, que Mme de Krüdner recherche les savants et les gens de lettres en renom, l’abbé Barthélémy, Bernardin de Saint-Pierre. […] Il est deux points qui m’ont toujours choqué chez mes meilleurs amis jansénistes, c’est quand ils insistent sur la damnation des enfants morts sans baptême, et sur celle des vieillards morts sans confession. […] C’est mille fois plus que je ne mérite ; mais la Providence se plaît à accabler ses enfants, même des bienfaits qu’ils ne méritent pas… » Le malin fabuliste avait dit précisément la même chose : ………..

910. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Enfant, elle fut nourrie au sein du luxe, des élégances et d’un certain idéal poétique extérieur et militaire que l’Empire favorisait. […] Ajoutons vite que si elle se dit fière et orgueilleuse, que si elle se sait belle, et que si elle se regardait souvent, elle restait gaie, franche d’abord, sans grimace aucune, vive et même naïve dans les mouvements, bonne enfant, disent tous ceux qui l’ont connue alors (Lamartine disait bien d’elle un jour : C’est un bon garçon ! […] Oui, me répète avec conviction un témoin aimable et des plus spirituels de ce moment, oui, elle était à la fois belle, simple, inspirée comme la Muse, rieuse et bonne enfant (c’est le mot unanime), et telle qu’elle a peint plus tard sa Napoline, c’est-à-dire encore elle-même,         Naïve en sa gaieté, rieuse et point méchante ; disant les vers avec élégance et un air de grandeur comme elle les faisait alors. […] Représentez-vous à une grande soirée de la duchesse de Duras, ou mieux à une brillante matinée du château de Lormois, chez la duchesse de Maillé, en plein soleil d’été, cette enfant rieuse, avec sa profusion de cheveux blonds et ce luxe de vie qui donne la joie, échappée dans le parc, bondissant et courant, puis rappelée tout à coup, et dans le plus élégant des salons, devant le plus recherché des mondes, récitant des vers d’un air grave, avec un front d’inspirée, un profil légèrement accusé de Muse antique, avec un timbre de voix précis et sonore, récitant ou un chant de Madeleine, ou son élégie (tant de fois refaite) sur Le Bonheur d’être belle, et dites s’il n’y avait pas de quoi rendre les armes et de quoi être ébloui.

911. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Il dira de l’enfant qu’il eut de Sophie (car Sophie accoucha d’une fille pendant les premiers mois de sa captivité), et regrettant de ne pouvoir l’élever entre eux deux : « Nos baisers lui eussent soufflé sans cesse la santé. » Nous l’avons entendu parler de tout son être qui croule dans l’état d’oppression et de misère où on l’a réduit. […] L’amant était encore tout vivant et tout délirant en lui ; le père était tout occupé de l’enfant qui venait de naître et qui vécut peu ; le prisonnier multipliait ses réclamations, ses apologies, ses mémoires, dans la vue de ressaisir sa liberté, et, en attendant, l’homme d’étude se livrait à toutes les lectures qui lui étaient possibles, à la traduction et à la composition de divers ouvrages, dont on voudrait à jamais anéantir deux ou trois, pour l’honneur de l’amour, pour la dignité du malheur et celle du génie. […] Lucas-Montigny m’a bien voulu confier, je trouve une traduction de l’Agricola de Tacite ; un petit Traité de l’inoculation, destiné à éclairer, à convaincre Sophie, pour qu’elle fît inoculer leur enfant ; un petit Abrégé de grammaire française, destiné aussi à cet enfant qu’ils avaient nommé Gabriel-Sophie.

912. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Le comte Joseph de Maistre, né en 1754, à Chambéry, en Savoie, dans une famille de haute magistrature, l’aîné de dix enfants, avait été élevé selon l’esprit de la sévérité antique, et il en garda toujours le cachet dans ses mœurs et dans son caractère : Le trait principal de l’enfance du comte de Maistre, nous dit son fils dans la Notice biographique, fut une soumission amoureuse pour ses parents. […] Je vois ma mère qui se promène dans ma chambre avec sa figure sainte, et, en t’écrivant ceci, je pleure comme un enfant. » Cette première éducation pure, étroite et forte, acheva de déterminer la nature déjà énergique du jeune de Maistre ; il fut comme ces chênes qui prennent pied dans une terre un peu âpre et qui s’enracinent plus fermement entre les rochers. […] Je crois entendre pleurer à Turin ; je fais mille efforts pour me représenter la figure de cette enfant de douze ans, que je ne connais pas. […] Je tâche de faire trêve aux rêves de bras coupés et de têtes cassées qui me troublent sans relâche ; puis je soupe comme un jeune homme, puis je dors comme un enfant, et puis je m’éveille comme un homme, je veux dire de grand matin, et je recommence, tournant toujours dans ce cercle, et mettant constamment le pied à la même place, comme un âne qui tourne la meule d’un battoir.

913. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Ayant à parler des Directions pour la conscience d’un roi, écrites par Fénelon pour le duc de Bourgogne, l’abbé Maury n’avait osé une première fois, en présence de l’Académie, définir nettement la confession et le confessionnal ; il avait dit vaguement : « Ce n’est plus à un enfant, c’est au chrétien qu’il s’adresse. […] Maury s’excuse encore de quelques conseils qu’il donne sur le propos des enfants gâtés : « Ne rendez pas ce mauvais service à votre aîné, et excusez le prêcheur Ragotin, prédicateur de grand chemin, qui se permet de vous ouvrir ainsi son cœur sans aucune réserve. » Cet abbé de Boismont, qu’était allé voir l’abbé Maury en Normandie, était riche bénéficier et de plus académicien. […] Il me tira à part dans une embrasure de fenêtre ; je crus qu’il voulait me communiquer quelque chose qu’il avait imaginé pour me tirer de l’abîme où je suis tombé. — Il sortit de sa poche trois pommes qu’on venait de lui donner, et dont il me fit présent pour mes enfants. […] Après avoir vu une fois ma femme et mes enfants, poursuit M. de Maistre, il en fit des éloges si excessifs qu’il m’embarrassa. « Je n’estime jamais à demi », me dit-il un jour en me parlant de moi. — Je ne comprends pas cependant, remarque M. de Maistre, pourquoi l’estime ne serait pas graduée comme le mérite.

914. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Sur quoi il courut une épigramme qui se terminait par ces mauvais vers : Il paye du lait aux enfants. […] Beaumarchais répondit gaillardement que cette petite n’était autre qu’une pauvre enfant adoptive dont Figaro, à Séville, prenait soin par humanité ; que depuis lors elle avait passé en France, avait épousé à Paris « un pauvre honnête garçon, gagne-denier sur le port Saint-Nicolas, nommé L’Écluze, qui venait d’être écrasé misérablement, au milieu de tous ses camarades, par la machine qui sert à décharger les bateaux » : Il a laissé, ajoutait-il, sa pauvre femme, âgée de vingt-cinq ans, avec un enfant de treize mois et un de huit jours qu’elle allaite, quoiqu’elle soit très malade et qu’elle manque de tout. […] Il parut, dans le Journal de Paris, une lettre d’une ironie froidement piquante, censée écrite par un ecclésiastique, lequel trouvait peu morale cette manière de faire l’aumône à une pauvre femme, en la désignant pour ce qu’elle n’était pas, et en la baptisant d’un nom de comédie, peu honorable après tout, et qui pouvait devenir préjudiciable à son enfant : Cette célébrité de nom qui fait votre gloire, monsieur, disait-on, peut faire le malheur des honnêtes gens que vous avez obligés.

915. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

» * * * — Tous ces jours-ci, je suis heureux à la façon d’un enfant, qu’on a légèrement grisé. […] » Mardi 12 avril Aujourd’hui la lettre de Blancheron, annonçant dans La Faustin son suicide, je l’ai écrite en pleurant comme un enfant ; — aura-t-elle près du lecteur l’effort nerveux qu’elle a produit sur moi ? […] En cette épouvante, et au milieu des débats contre la terrible hallucination, jaillirent du mourant d’autres paroles, avouant qu’il avait eu, bien des années auparavant, un enfant avec sa servante, qu’il l’avait tué, qu’il l’avait enterré sous le grand figuier du jardin. […] Et jusqu’à ce nom du cocher Ravaud, c’est le nom du cocher de mes cousines de Villedeuil, du vieux cocher entrevu à l’enterrement de mon frère, qui se rappelait, au bout de près de quarante ans, l’enfant qu’on faisait asseoir sur son siège, et aux petites mains duquel, parfois, il mettait ses guides.

916. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

» crie l’enfant royal dans Shakespeare ; mais voici un Hubert qui les aurait crevés sans pitié ! […] Cet enfant gâté par sa mère et d’une race pleine de bizarrerie, c’est Ajax. […] Il cherchait son enfant Ada sur le front de toutes les petites filles, et il disait dans son génie ce que le Sauveur disait dans sa vie mortelle : « Laissez venir les petits enfants jusqu’à moi. » Qu’il le sût ou qu’il l’ignorât, c’était par tout cela qu’il était un génie chrétien, cet orgueilleux qui eut si souvent les humilités de la tendresse, et dont l’orgueil d’ailleurs, a dit magnifiquement M. 

917. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Il n’a trouvé, enfin, en Galilée, qu’un pauvre caractère, qui n’avait rien de ce qui fait le grand homme quoiqu’il fût un formidable mathématicien, un de ces êtres infirmes qu’on punit maternellement, comme un vieil enfant plein de génie, mais aussi d’obstination et de désobéissance, en lui donnant pour noir cachot un palais Italien, au centre d’une belle terre italienne de douze arpents sur laquelle il pouvait promener ses soixante-quinze ans et ses gouttes, en y ajoutant pour geôliers son ami, l’archevêque de Sienne, et ses propres filles, à lui, Galilée, ses filles qu’il adorait, deux religieuses qui lui parlaient de Dieu, ce dont il avait très probablement grand besoin. […] l’oblige à lui recommander, à elle, sa nièce, qu’il appelle « enfant », son livre de la Psychologie sociale, et surtout, surtout, de prendre bien garde, « enfant ! […] Je ne pèserai pas beaucoup sur Alexandre Dumas, le génie nègre, comme il l’appelle, qui contait pour conter, dit-il, comme on conte aux enfants, ce qui l’innocente ; Alexandre Dumas, dont l’immoralité n’est pas immédiate, n’est pas dans ce qu’il écrit, mais dans la disposition où la lecture de ces vains romans jette une nation qui boit de ce vent.

918. (1940) Quatre études pp. -154

Byron sait bien qu’il n’est pas l’enfant gâté de la nature : et pourtant, il l’aime jusque dans ses rigueurs (Childe Harold, II, 31). […] Ils ont célébré leur terre natale et leur clocher ; ils ont chanté la famille, la mère, l’enfant ; ils ont écrit l’art d’être grand-père. […] J’évoque une grande maison triste, sur la colline de Recanati ; elle abrite un enfant qu’a visité le génie. […] Ô enfants ! […] C’est vous qui, en portant les deux sexes à se rapprocher, présidez à la conservation des espèces ; c’est vous qui, par des nœuds secrets, attachez les Pères et les Mères à leurs Enfants, et les Enfants à leurs Pères et à leurs Mères ; c’est vous qui excitez l’industrie des animaux, et celle de l’homme même ; c’est vous, en un mot, qui êtes l’âme du monde sentant.

919. (1924) Critiques et romanciers

Seulement, ce Des Grieux du Calvaire, c’est aussi un enfant de la Défaite. […] On ne dirait pas que ses héros fussent les enfants de son imagination, car il n’a aucune indulgence pour eux. […] Louise et Barnavaux ont un enfant ; Louise et Barnavaux sont un excellent ménage. […] Et, dès la mort de son enfant, Barnavaux ne souhaite que de s’en aller ; où donc ? […] Cécile est une enfant du peuple.

920. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

À l’adolescent, elle parle de l’amour ; au père, de la famille ; au vieillard, du passé ; et, quoi qu’on fasse, quelles que soient les révolutions futures, soit qu’elles prennent les sociétés caduques aux entrailles, soit qu’elles leur écorchent seulement l’épiderme, à travers tous les changements politiques possibles, il y aura toujours des enfants, des mères, des jeunes filles, des vieillards, des hommes enfin, qui aimeront, qui se réjouiront, qui souffriront. […] C’est l’écho de ces pensées, souvent inexprimables, qu’éveillent confusément dans notre esprit les mille objets de la création qui souffrent ou qui languissent autour de nous, une fleur qui s’en va, une étoile qui tombe, un soleil qui se couche, une église sans toit, une rue pleine d’herbe ; ou l’arrivée imprévue d’un ami de collège presque oublié, quoique toujours aimé dans un repli obscur du cœur ; ou la contemplation de ces hommes à volonté forte qui brisent le destin ou se font briser par lui ; ou le passage d’un de ces êtres faibles qui ignorent l’avenir, tantôt un enfant, tantôt un roi.

/ 2563