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241. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre quatrième. »

Il s’agit d’un prêtre d’Apollon, par conséquent d’un fourbe, d’un payen incrédule, par conséquent d’un homme de bon sens ; et La Fontaine se fâche et parle comme s’il s’agissait du vrai dieu, d’un prêtre du dieu suprême.

242. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

est-elle saisie d’un mal subit, tel qu’en envoient les Dieux ? […] Le héros aimé de Phèdre ou de Didon est tellement en présence d’une vraie maladie et d’un fléau des Dieux, que, s’il résiste, il a affaire à une héroïne violente et très-aisément à une femme cruelle. […] Virgile aussi a montré, en un des plus beaux passages du ive livre, l’impuissance des devins ; c’est quand Didon perd sa peine à consulter les oracles des Dieux et à interroger les entrailles des victimes : Heu vatum ignaræ mentes ! […] Après donc avoir fait briller de loin la gloire d’Ariane, « c’est ainsi, poursuit-il, que les Dieux te sauront gré à ton tour, si tu prends sur toi de sauver une telle élite de héros ; et certes, à te voir si belle, tout dit assez que tu es ornée des trésors du cœur. […] Plût aux Dieux que, comme Minos alors s’accorda pour elle avec Thésée, ton père voulût faire de même pour nous ! 

243. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Leur vie est à la fois naïve et sublime ; ils célèbrent les dieux avec une bouche d’or, et sont les plus simples des hommes ; ils causent comme des immortels ou comme de petits enfants ; ils expliquent les lois de l’univers, et ne peuvent comprendre les affaires les plus innocentes de la vie ; ils ont des idées merveilleuses de la mort, et meurent sans s’en apercevoir, comme des nouveau-nés. » Ce qu’il faut exclure, c’est la théorie qui, dans l’art, demeure indifférente au fond. […] Est-il donc, ô douleur, deux axes dans les cieux, Deux âmes dans mon sein, dans Jéhovah deux dieux ?  […] La chute des âmes et leur retour à Dieu, ce fond commun du platonisme et du christianisme, ont inspiré les deux grands poèmes : Chute d’un ange et Jocelyn : Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. […] S’il y avait au-dessus de la Nature des êtres supérieurs et vraiment divins, — un Dieu, des dieux ou des anges, — ils n’auraient qu’un moyen de prouver leur divinité : descendre pour partager nos souffrances, nous aimer pour ces souffrances et même pour nos fautes. […] ALBERT Non, quand leur âme immense entra dans la nature, Les dieux n’ont pas tout dit à la matière impure Qui reçut dans ses flancs leur forme et leur beauté.

244. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Il accepte ses dieux ; il les comprend du moins, et s’en entoure. […] Mais le grand flambeau du ciel, le dieu lumineux, se dégage et rayonne. […] Si quelque brutal les insulte, il appelle à leur secours toute la nature et tous les dieux. […] Déjà pourtant la magnifique imagination y déborde ; dieux, hommes, paysages, le monde qu’il fait mouvoir est à mille lieues du monde où nous vivons. […] Vénus, Diane et les dieux antiques habitent à sa porte et entrent chez lui sans qu’il y prenne garde.

245. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Il chanta d’abord Jupiter, qui abandonna le séjour des dieux (tel est l’empire du tout-puissant amour). […] D’une oreille ravie le monarque écoute, se pose en dieu, et en remuant la tête semble ébranler l’univers. […] Voici venir en triomphe le dieu de la joie ! […] Regarde la belle Thaïs à tes côtés ; prends ce que les dieux t’envoient ! […] Vois comme ces ombres agitent en l’air leurs torches en montrant du doigt les palais des Persans et les brillants temples des dieux ennemis !

246. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Ces deux auteurs sont mes dieux domestiques, sans lesquels je ne devrais point voyager. » Voilà le poème épique qui le préoccupe au milieu de tant d’autres soins ; cette diversité d’emplois et de pensées ne laisse pas d’y nuire. […] Je me figure que je vivrai un jour dans ce petit paradis, mais je veux que vous en soyez le dieu. » La lettre où il dit cela est de 1732, c’est-à-dire d’une date postérieure à son séjour en Angleterre. […] Mais Voltaire, en étant le dieu d’un tel monde et se modérant assez pour s’en contenter, se condamnant à mener cette vie de parfait galant homme, n’eût rien été qu’un Voiture accompli et un Hamilton supérieur : et il avait en lui une autre étoffe, bien d’autres facultés qui étaient à la fois son honneur et son danger. […] Il en sortait parce qu’il avait le diable au corps, et parce qu’il avait aussi des étincelles du dieu.

247. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Parquoi Numa, pensant bien que ce n’étoit pas petite ne légère entreprise que de vouloir adoucir et ranger à vie pacifique un peuple si haut à la main, si fier et si farouche, il se servit de l’aide des dieux, amollissant petit à petit et attiédissant cette fierté de courage et cette ardeur de combattre, par sacrifices, fêtes, danses et processions ordinaires que il célébroit lui-même… Et plus loin, marquant que, durant le règne de Numa, le temple de Janus, qui ne s’ouvrait qu’en temps de guerre, ne fut jamais ouvert une seule journée, mais qu’il demeura fermé continuellement l’espace de quarante-trois ans entiers : Tant étoient, dit-il, toutes occasions de guerre et partout éteintes et amorties : à cause que, non seulement à Rome, le peuple se trouva amolli et adouci par l’exemple de la justice, clémence et bonté du roi, mais aussi aux villes d’alenviron commença une merveilleuse mutation de mœurs, ne plus ne moins que si c’eût été quelque douce haleine d’un vent salubre et gracieux qui leur eût soufflé du côté de Rome pour les rafraîchir : et se coula tout doucement ès cœurs des hommes un désir de vivre en paix, de labourer la terre, d’élever des enfants en repos et tranquillité, et de servir et honorer les dieux : de manière que par toute l’Italie n’y avoit que fêtes, jeux, sacrifices et banquets. […] par l’aimable saint François de Sales, si on se l’imagine un seul moment jeune, non encore saint, helléniste et amoureux : Et sur le commencement du printemps, que la neige se fondoit, la terre se découvroit et l’herbe dessous poignoit ; les autres pasteurs menèrent leurs bètes aux champs : mais devant tous Daphnis et Chloé, comme ceux qui servoient à un bien plus grand pasteur ; et incontinent s’en coururent droit à la caverne des Nymphes, et de là au pin sous lequel étoit l’image de Pan, et puis dessous le chène où ils s’assirent en regardant paitre leurs troupeaux… puis allèrent chercher des fleurs, pour faire des chapeaux aux images (le bon Amyot, par piété, n’a osé dire : pour faire des couronnes aux dieux), mais elles ne faisoient encore que commencer à poindre par la douceur du petit béat de Zéphyre qui ouvroit la terre, et la chaleur du soleil qui les échauffoit. » Si vous croyez que ce petit béat de Zéphyre soit dans le grec, vous vous trompez fort ; c’est Amyot qui lui prête ainsi de cette gentillesse et de cette grâce d’ange, en revanche sans doute de ce qu’il n’a osé tout à côté appeler Pan et les Nymphes sauvages des dieux.

248. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre V. Figures de construction et figures de pensées. — Alliances de mots et antithèses »

Les dieux, ces parvenus, régnent, et seuls debout Composent leur grandeur de la chute de tout. […] Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.

249. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre III. Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaison. »

Enfin, à son départ, on lui fait de riches présents, si mince qu’ait paru d’abord son équipage ; car on suppose que c’est un dieu qui vient, ainsi déguisé, surprendre le cœur des rois, ou un homme tombé dans l’infortune, et par conséquent le favori de Jupiter. […] Les noms propres y sont hérissés d’épithètes ; un héros manque rarement d’être divin, semblable aux Immortels, ou honoré des peuples comme un dieu.

250. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Les dieux veulent du sang et du sang d’Hélène. […] envoyez promener les dieux ! On ne tue pas sa fille parce qu’un dieu l’ordonne ! Un dieu qui ordonne pareille chose n’est pas un dieu ». […] « Les dieux le veulent.

251. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

L’Olympe d’Homère et ses dieux ont pu prêter à la critique des âges devenus moqueurs. […] Ce qui frappe aujourd’hui, c’est encore dans les traits généraux et dominants une grandeur terrible ; Jupiter, Neptune, Apollon, Minerve, ces dieux principaux, ne sont pas peints à faire sourire. […] En un endroit, lorsqu’elle apprend brusquement à Mars la mort de son fils chéri Ascalaphus, le dieu terrible dans l’accès de sa douleur se met à frapper violemment ses deux florissantes cuisses de la paume de ses mains : le traducteur met simplement qu’il se frappe le corps de ses mains divines ; il oublie que cette forme expressive de désespoir s’est conservée fidèlement jusque chez les Grecs modernes.

252. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Mais l’ombre de la nuit survient, il se dérobe au sommeil ; à la lueur d’un flambeau qui le plonge dans une volupté douce, il converse avec ces morts illustres, ces sages de l’antiquité, réverés & bienfaisans comme les Dieux, héros donnés à l’humanité pour sa gloire & son bonheur. […] Dans mes promenades solitaires, je te suivrai dans les combats impétueux, Homére & tes héros me paroîtront aussi grands que tes Dieux. […] Je goûterai tes images tour à tour sublimes & gracieuses, & cette chaîne d’or qui tient l’Univers suspendu devant le maître des Dieux, & la ceinture de la mere des graces, & le sang immortel de Venus qui coule sous la lance du fougueux Diomede, & Junon qui sur le mont Ida enveloppé d’un nuage impénétrable aux rayons du Soleil, désarme dans ses bras le Dieu qui lance la foudre ; tout sera pour moi un tableau de la Nature, tout m’offrira sous d’aimables fictions l’emblême de la vérité.

253. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Je mourrois s’il y avoit le moindre entre-deux entre toi & moi, entre nous & dieu. […] Ils ne vouloient point admettre la réalité d’un état dans lequel on aime dieu sur la terre, absolument & sans intérêt, pour lui-même. Ils soutenoient qu’il n’y avoit point de cas où l’on pût faire à dieu le sacrifice du paradis & de son salut.

254. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Il y en a aussi d’héroïques et de grandioses ; car le genre de l’épigramme, il faut bien le savoir, n’est pas un genre de décadence ; il a été perpétuel en Grèce et a commencé dès le jour où l’on a eu une inscription à tracer en l’honneur des dieux ou des héros. […] Les courtisanes elles-mêmes ne se privaient pas de ces offrandes, et l’une d’elles, Calliclée, en se retirant, faisait comme Laïs, mais d’un air plus satisfait, et consacrait à Vénus ses instruments de toilette, devenus inutiles : « Cet Amour d’argent, une frange pour la cheville du pied, ce tour lesbien de cheveux foncés, une bandelette transparente pour soutenir le sein, ce miroir de bronze, ce large peigne de buis qui coule comme à pleine eau dans l’onde de la chevelure5, — voilà ce qu’ayant gagné ce qu’elle voulait, ô libérale Vénus, Calliclée vient déposer dans ton sanctuaire. » A côté de cela, une petite fille pieuse et fervente, — elle ou ses parents, — s’adressait à la déesse Rhéa pour obtenir d’arriver au seuil de l’hyménée dans toute sa fleur et sa fraîcheur : « Ô toi qui règnes sur le mont Dindyme et sur les crêtes de la Phrygie brûlante, Mère auguste des dieux, que par toi la petite Aristodice, la fille de Siléné, arrive fraîche et belle jusqu’à l’hyménée, jusqu’à la couche nuptiale, terme de sa vie de jeune fille ; elle le mérite pour avoir bien souvent, et dans le vestibule de ton temple et devant l’autel, agité çà et là (dans une sainte fureur) sa chevelure virginale !  […] Une autre fois, c’est un simple portefaix, l’honnête Miccalion, qui fait son offrande aux dieux : « Cette statue, ô Passant, est une consécration du portefaix Miccalion ; mais elle n’a pas échappé à Mercure, la piété du portefaix qui, dans son pauvre métier, a trouvé moyen de lui faire une offrande : toujours et partout l’homme de bien est homme de bien. » Mais la fleur des épigrammes de Léonidas en faveur du pauvre monde me paraît être l’épitaphe qu’il composa pour la bonne ouvrière Platthis, morte à quatre-vingts ans : « Soir et matin, la vieille Platthis a bien souvent repoussé le sommeil pour combattre la pauvreté ; elle a chanté aussi sa petite chanson à la quenouille et au fuseau, son compagnon d’ouvrage, jusqu’au terme de la blanche vieillesse ; se tenant à son métier jusqu’à l’aurore, elle parcourait avec les Grâces le stade de Minerve, dévidant d’une main tremblante, autour de son genou tremblant, l’écheveau qui devait suffire à la trame, l’aimable vieille ! […] Mais, ô puissant dieu du vin, protège-le, car il ne sied pas qu’un serviteur de Bacchus tombe par le fait de Bacchus ! 

255. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Prométhée, pour être libre, n’a qu’un carcan de bronze à briser et qu’un dieu à vaincre ; il faut que Hamlet se brise lui-même et se vainque lui-même. […] Mercure, c’est tout le vice possible, plein d’esprit ; Mercure, le dieu vice, sert Jupiter, le dieu crime. […] Shakespeare, portant Cordelia dans sa pensée, a créé cette tragédie comme un dieu qui, ayant une aurore à placer, ferait tout exprès un monde pour l’y mettre.

256. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

» Nous pourrions encore mieux servir les intérêts du jeune homme promis à la prêtrise, en répétant ces paroles d’un noble esprit : « Il faut qu’il prenne conscience avec nous du seul dieu réel et méconnu qui a créé à sont image tous les dieux évanouis, du dieu futur, l’Homme. Et j’attends l’heure prochaine où il prononcera à son tour non plus la vieille prière de mendicité : « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien », mais l’invocation superbe de l’homme à sa propre énergie : « Je veux prendre chaque jour, sans souci des maîtres ni des dieux, le pain de la chair et le pain de la pensée dans la lumière, dans la force et dans la joie %100 ».‌

257. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

Après s’être prodigieusement vanté lui-même, il faisoit la satyre des hommes & celle des dieux. […] Il se présenta deux infames délateurs, Anite & Melite, qui l’accusèrent d’athéisme, parce qu’il se moquoit de la pluralité des dieux.

258. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Deuxième cours des études d’une Université » pp. 489-494

Sans la mythologie, on n’entend rien aux auteurs anciens, aux monuments, ni à la peinture, ni à la sculpture, même modernes, qui se sont épuisées à remettre sous nos yeux les vices des dieux du paganisme, au lieu de nous représenter les grands hommes. […] 1° LES PREMIERS PRINCIPES DE LA MÉTAPHYSIQUE OU DE LA DISTINCTION DES DEUX SURSTANCES : DE L’EXISTENCE DE DIEU, DE L’IMMORTALITÉ DE L’AME ET DES PEINES A VENIR, S’IL Y EN A ; 2° LA MORALE UNIVERSELLE ; 3° LA RELIGION NATURELLE ; 4° LA RELIGION RÉVÉLÉE.1.

259. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 40, si le pouvoir de la peinture sur les hommes est plus grand que le pouvoir de la poësie » pp. 393-405

Ce furent, selon eux, les tableaux et les statuës qui concilierent à leurs dieux la véneration des peuples ausquels ils firent faire attention sur les merveilles que les poëtes racontoient de ces dieux.

260. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Nous allions par des sentiers étroits et tortueux, et je m’en plaignais un peu à l’abbé, mais lui, se retournant, s’arrêtant subitement devant moi et me regardant en face, me dit avec exclamation : monsieur, l’ouvrage de l’homme quelquefois plus admirable que l’ouvrage d’un dieu ! […] Sur ce, je racontais à l’abbé que Jupiter un jour fut attaqué d’un grand mal de tête ; le père des dieux et des hommes passait les jours et les nuits le front penché sur ses deux mains, et tirant de sa vaste poitrine un soupir profond. Les dieux et les hommes l’environnaient en silence, lorsque tout à coup il se releva, poussa un grand cri, et l’on vit sortir de sa tête entr’ouverte une déesse tout armée, toute vêtue : c’était Minerve. […] S’il est un dieu, c’est ainsi qu’il est, il jouit de lui-même. […] Le taureau est plus beau que le bœuf ; le taureau écorné qui mugit, plus beau que le taureau qui se promène et qui paît ; le cheval en liberté, dont la crinière flotte aux vents, que le cheval sous son cavalier ; l’onagre que l’âne ; le tyran que le roi ; le crime, peut-être que la vertu, les dieux cruels que les dieux bons, et les législateurs sacrés le savaient bien.

261. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Enchanté qu’il nous ait débarrassés des petits dieux gracieux ou badins qui, sous la plume des modernes, resserraient à leur image et à leur taille les grandes scènes de la création et les grands aspects de la beauté, je trouve pourtant qu’en se servant parfois de comparaisons trop familières, il nous rapetisse encore davantage ces grandes choses. […] Il dut être l’idéal des dames de son temps, alors qu’on se représentait le dieu des vers frisé et parfumé comme Alcibiade. […] Poète, il lui fallait un dieu. […] Quand le peuple brise ses dieux, c’est que les oracles ont menti, et que l’homme simple ne veut pas être récompensé de sa confiance par la trahison. […] On voit bien de quels hommes ils sont les maîtres et les dieux !

262. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Aujourd’hui, nous avons ce choix : — ou bien un théâtre, des décors, des acteurs : des demi trompe-l’œil, l’apparence d’une forêt et les planches, ni convention pure, ni représentation artistique complète de la nature ; et les acteurs, des hommes nécessairement difformes, incapables de faire admettre qu’ils sont les dieux qu’ils singent, et ne nous laissant plus qu’ils sont simplement des porte-parole ; avec les décors de notre Opéra et les acteurs de Meiningen, un compromis entre une convention et une réalité, le faux par définition ; — ou bien le concert, c’est-à-dire nulle prétention de représentation, mais le champ libre à la conception, l’espace grand ouvert à la réalité supérieure des forêts et des hôtes divins qu’en nous suscitera l’imagination : car cette musique c’est un décor, la nuit est dans la musique où Siegmund solitaire contemple le foyer éteint, et cette musique c’est encore les personnages, je vois (et combien plus beau que M.  […]   Telle qu’une vision éthérée des creux de l’Océan, que nul qu’un dieu ne peut voir, S’éleva hors du silence des choses ignorées une Présence, une Forme, une Force, Et nous écoutâmes, comme un Prophète écoute un message du   Très-Haut tonnant et ne peut fuir. […] Quand viendra l’heure de cette reconnaissance dernière, seuls le savent les dieux qui veulent cette solution ! […] Aux lieux où, toujours pure, la goutte de sang Aryen s’était conservée et avait imprégné la vie, échappant à tous les mélanges historiques, là devaient surgir les grands hommes : les Dante, les Cervantès, les Rousseau, les Shakespeare, les Gœthe et les Wagner sont tous de belles efflorescences issues de la première parenté des peuples, et tous peuvent être nommés fils des dieux. […] On y retrouve l’idée du sang pur (celui du Christ), du sang régénéré (par la puissance du Graal), celle de l’homme qui devient dieu (c’est l’histoire de Parsifal).

263. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Un excellent architecte avec qui j’avais voyagé avait coutume de me dire que, pour lui, la vérité des dieux était en proportion de la beauté solide des temples qu’on leur a élevés. […] Ainsi font-ils tous… J’ai écrit, selon quelques-unes des règles que tu aimes, ô Théonoé, la vie du jeune dieu que servis dans mon enfance ; ils me traitent comme un Évhémère ; ils m’écrivent pour me demander quel but je me suis proposé ; ils n’estiment que ce qui sert à faire fructifier leurs tables de trapézites. Et pourquoi écrit-on la vie des dieux, ô ciel ! […]  » Te rappelles-tu ce jour, sous l’archontat de Dionysodore, où un laid petit juif, parlant le grec des Syriens, vint ici, parcourut tes parvis sans te comprendre, lut tes inscriptions tout de travers et crut trouver dans ton enceinte un autel dédié à un dieu qui serait le Dieu inconnu. […] Les dieux passent comme les hommes, et il ne serait pas bon qu’ils fussent éternels.

264. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Les voilà bien ces dieux antiques qui ne connaissaient que la félicité et qui fuyaient la douleur. […] Ô infirmité des dieux bienheureux ! […] On comprend, on peut mesurer par la scène de notre Mystère le progrès, non littéraire, tout moral, que l’humanité avait fait depuis lors dans la manière de concevoir la pitié chez un dieu.

265. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Despréaux, avec le plus grand nombre des écrivains de son temps. » pp. 307-333

Le poëte lui répondit brusquement : Je pense que dieu a de sots ennemis. […] Boileau reproche à Linière, auteur d’un sottisier énorme, de n’avoir de l’esprit que contre dieu, & réprésente Saint-Pavin sous le nom D’Alidor, assis dans sa chaise, Médisant du ciel à son aise. […] Il passa les dernieres années de sa vie à Auteuil, s’y occupant de dieu, de l’étude & de ses amis.

266. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Vous souffrez volontiers que certains hommes conservent un culte de vénération pour vingt-cinq ans de notre histoire, parce qu’eux ont été plus ou moins mêlés aux événements de cette époque récente, parce qu’ils en ont plus ou moins adopté les résultats ; et vous vous irritez de ce que certains autres hommes, plus religieux dépositaires des mœurs anciennes, des vieilles habitudes, des illustrations consacrées par les siècles, se retirent quelquefois dans le silence de leurs foyers pour brûler un grain d’encens aux pieds de leurs premiers dieux domestiques, qui, après tout, furent assez longtemps les dieux de la patrie. […] Nos généraux ne ressemblaient point à ce farouche Romain qui dépouilla Corinthe de ses monuments : les arts furent traités par nous comme de nobles captifs, ou comme ces dieux que le peuple-roi ramenait de chez les nations vaincues, pour les placer au Capitole.

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