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229. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Il n’eût pas tenu à lui par moments, et à ses lueurs de vanité, que le jeune Béranger ne vît dans le de qui précédait son nom un reste de lustre et la trace d’une distinction ancienne, au lieu de nous chanter comme plus tard : Je suis vilain et très-vilain. […] Étienne, en nombreuse et spirituelle compagnie, on le pressa au dessert de chanter, selon l’usage ; il commença cette fois d’une voix un peu tremblante, mais l’applaudissement fut immense, et le poëte sentit à cet instant-là, en tressaillant, qu’il pouvait rester simple chansonnier et devenir tout à fait lui-même. […] Car Béranger, ce qui semblerait inutile à rappeler ici, se chante dans les campagnes, au cabaret, à la guinguette, partout, quoi qu’en aient prétendu d’ingénieux contradicteurs, qui auraient voulu faire de M. de Béranger un bel esprit de salon et d’étude comme eux-mêmes. […] Ce n’est jamais dans la période impétueuse, au début ni au milieu des commotions publiques, que chante le poëte dont l’époque saluera la voix ; c’est plutôt au déclin, aux environs des dernières crises, quand la force sociale s’arrête de lassitude, fait trêve à son tumulte et s’entend gémir. […] mais ses fils dévoués À la chanter s’étaient vite enroués.

230. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Sa maîtresse a été malade, et il chante la pâleur de sa maîtresse. […] Il ne chante pas pour chanter ; pour lui, la tâche du poète ne vient qu’après la tâche du citoyen, et grâce aux sentiments patriotiques dont il est animé, toutes les paroles qu’il adresse à Charlotte Corday ont une signification précise ; la rime obéit, mais ne commande jamais. […] Il chante pour chanter, il vocalise, il prodigue les notes graves et les notes aiguës, de minute en minute il change d’octave, et il méconnaît la substance même de la poésie ; il oublie de sentir et de penser. […] Hugo ne regrette aucune croyance, que toute croyance lui est inutile ou indifférente, qu’il chante pour chanter, sans avoir à nous révéler aucune douleur sincère. […] Hugo, s’il eût acquis la connaissance complète de l’instrument poétique, avant de chanter ses émotions et ses pensées.

231. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Les philosophes, disions-nous, ont engendré le doute ; les poètes en ont senti l’amertume fermenter dans leur cœur, et ils chantent le désespoir ; ils chantent, glorieux mais tristes, entre une tombe et un berceau, entre un ordre social qui achève de s’écrouler et un nouveau monde qui va naître : et nous leur reprochions de tenir plutôt les yeux tournés vers le passé que vers l’avenir. […] Quand les sauvages pleurent un chef, les femmes chantent les louanges du mort, elles disent ses vertus et ses combats, et par moments, en présence du cadavre, elles rêvent le héros marchant encore dans sa force et dans sa beauté : ainsi font nos poètes avec leur fiction de Christianisme ; ils commencent par la plainte, la désolation, puis leur vient le regret de la dernière religion connue d’eux, et ils finissent quelquefois, en s’exaltant, par s’imaginer qu’elle vit encore. […] Mais les poètes purs sont plus changeants ou plus naïfs : comme ils avaient délaissé et les arguments théologiques et les grands ensembles d’idées, comme ils n’avaient pris de la religion déchue que des inspirations et des images, surtout comme ils sont hommes de sentiment et de vie lyrique, quand leur vie change, quand le doute les reprend, quand leur tristesse d’âme se prolonge malgré tous les remèdes dont ils avaient vanté l’efficacité, ils le disent ou le font entendre à tout le monde ; et ils ne pourraient faire autrement, ou ils seraient obligés de se taire ; car l’art c’est la vie du poète qui s’exprime telle qu’elle est au moment où il chante. […] L’un ne sait chanter que la vie diffuse dans l’espace et le temps, coulant de forme en forme dans le vaste océan de l’Être. […] Puisque tout est doute aujourd’hui dans l’âme de l’homme, les poètes qui expriment ce doute sont les vrais représentants de leur époque ; et ceux qui font de l’art uniquement pour faire de l’art sont comme des étrangers qui, venus on ne sait d’où, feraient entendre des instruments bizarres au milieu d’un peuple étonné, ou qui chanteraient dans une langue inconnue à des funérailles.

232. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Ajoutons pourtant que chez le maître de musique on lui avait enseigné à chanter quelques hymnes religieux et nationaux, à répéter des morceaux d’Homère, d’Hésiode et des poètes lyriques, le pœan qu’il chantait à la guerre, la chanson d’Harmodius qu’il récitait à table. […] Celle des Grecs était non-seulement débitée à haute voix, mais déclamée, chantée au son des instruments, bien plus encore, mimée et dansée. […] Dans les banquets des clubs38, après le repas, on faisait des libations et l’on chantait le pœan en l’honneur d’Apollon, puis venait la fête à proprement dite39, la déclamation mimée, la récitation lyrique au son de la cithare ou de la flûte, un solo suivi d’un refrain comme plus tard la chanson d’Harmodius et d’Aristogiton, un duo chanté et dansé comme plus tard, dans le banquet de Xénophon, la rencontre de Bacchus et d’Ariane. […] Callinos, Alcée, Théognis exhortaient, en vers qu’ils chantaient eux-mêmes, leurs concitoyens ou leur parti. […] Lucien. « Autrefois les mêmes chantaient et dansaient. » 38.

233. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

» Le poète (on nous pardonnera de donner à Bossuet un titre qui fait la gloire de David), le poète continue de se faire entendre ; il ne touche plus la corde inspirée ; mais, baissant sa lyre d’un ton jusqu’à ce mode dont Salomon se servit pour chanter les troupeaux du mont Galaad, il soupire ces paroles paisibles : « Dans la solitude de Sainte-Fare, autant éloignée des voies du siècle, que sa bienheureuse situation la sépare de tout commerce du monde ; dans cette sainte montagne que Dieu avait choisie depuis mille ans ; où les épouses de Jésus-Christ faisaient revivre la beauté des anciens jours ; où les joies de la terre étaient inconnues ; où les vestiges des hommes du monde, des curieux et des vagabonds ne paraissaient pas ; sous la conduite de la sainte Abbesse, qui savait donner le lait aux enfants aussi bien que le pain aux forts, les commencements de la princesse Anne étaient heureux200. » Cette page, qu’on dirait extraite du livre de Ruth, n’a point épuisé le pinceau de Bossuet ; il lui reste encore assez de cette antique et douce couleur pour peindre une mort heureuse. « Michel Le Tellier, dit-il, commença l’hymne des divines miséricordes : Misericordias Domini in æternum cantabo : Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur.

234. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Puisse l’ouvrage salutaire de Fénelon, qui se nourrissait du miel attique le plus pur, nous détourner, en nous inspirant son goût, de chanter ces passions fatales ! […] chante la rédemption de l’homme coupable, accomplie sur la terre par le fils de Dieu, revêtu de la nature humaine. […] Un tel début, analogue à celui de l’Iliade, semblait permettre à Klopstock de s’exempter, comme Homère, de la condition ordinaire d’une invocation : mais le poète grec chante un sujet terrestre, tandis que le poète allemand veut chanter une action céleste. […] « Toi que nomment ses pleurs ; toi que chante sa lyre. […] Il se borne à chanter la colère d’Achille : par elle, il commence le poème ; il le remplit d’elle seule, et le termine avec elle.

235. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Si son âme est souffrante, il remplira de deuil l’univers qui le force à chanter en mineur ou en majeur, selon l’accord de sa lyre. […] Vous avez cru devoir rattacher votre rêve inspiré à une théorie religieuse et philosophique ; vous avez craint de n’avoir pas le droit de chanter pour chanter ; vous vous êtes imposé une sorte de discussion. […] A-t-il donc chanté tout simplement pour chanter, comme il agit aujourd’hui tout simplement pour agir ? […] « Glissons sous sa tête un noir duvet », disent-ils, « chantons… bien doucement… ne l’effrayons pas !  […] (Il chante.)

236. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Ne permets pas qu’ils nous enveloppent encore une fois dans ce nuage obscur de ténèbres infernales où nous n’apercevrons plus le soleil de ta vérité, où jamais nous n’espérerons l’aurore consolatrice, où jamais nous n’entendrons plus chanter l’oiseau de ton matin ! […] De tels personnages ne peuvent point parler ; ils chantent. […] Le poëte ne chante plus en vers sublimes, il raconte ou harangue en vers graves. […] Nous découvrons que vous chantez Dieu comme le vulgaire le prie, suivant une formule apprise, non par un tressaillement spontané. […] Ce n’était point les combats et les œuvres du Seigneur qu’il pouvait chanter, mais les tentations et le salut de l’âme.

237. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

» Il va à l’endroit où il l’a vue pour la première fois, puis à un autre où il l’a entendue chanter ; « il n’y a point d’heure du jour ou de la nuit où il ne pense à elle. » Personne n’a depuis trouvé des paroles plus vraies et plus tendres ; voilà les charmantes « branches poétiques » qui avaient poussé à travers l’ignorance grossière et les parades pompeuses ; l’esprit humain au moyen âge avait fleuri du côté où il apercevait le jour. […] Les uns chantaient haut, comme s’ils s’étaient lamentés, Les autres d’autre façon, comme s’ils languissaient de désir ; Et quelques-uns à plein gosier, de toute leur voix. […] Ils chantent tour à tour une chanson contraire, et le rossignol pleure de chagrin en entendant le coucou mal parler de l’amour. […] — N’oublie jamais d’être fidèle et bon, Et je chanterai une des chansons nouvelles, Pour l’amour de toi, aussi haut que je pourrai chanter. »  Puis il commença bien haut la chanson : « Je blâme tous ceux qui sont en amour infidèles. » C’est jusqu’à ces délicatesses exquises que l’amour, ici comme chez Pétrarque, avait porté la poésie : même par raffinement, comme chez Pétrarque, il s’égare ici parfois dans le bel esprit, les concetti et les pointes. […] Ils ont eu des émotions fortes, parfois tendres, et les ont exprimées chacun selon le don originel de leur race, les uns par des clameurs courtes, les autres par un babil continu ; mais ils n’ont point maîtrisé ou guidé leurs impressions ; ils ont chanté ou causé, par impulsion, à l’aventure, selon la pente de leur naturel, laissant aux idées le soin de se présenter et de les conduire, et lorsqu’ils ont rencontré l’ordre, c’est sans l’avoir su ni voulu.

238. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

mais qu’il se souvienne Qu’autour du char qui l’a porté, Parmi les voix qui l’ont chanté Il n’a plus entendu la mienne ! […] Il s’embarque à Marseille sur le Thémistocle, le plus beau des vaisseaux d’Hydra, commandé par Tombasis, qui, un an après, devenait le navarque glorieux des îles en délivrance ; déjà on chantait à bord le chant de Rhigas. […] Oiseaux qui chantez dans les bois. […] Lebrun, dans ses vers, rendit aux rivages célèbres quelque chose de leur naturelle et sauvage verdeur ; on sentit l’homme qui avait visité ce pays de renaissante mémoire, avant de le chanter. […] Il fallait, remarque-t-on justement, avoir vécu sur mer, avoir aimé la mer, pour la chanter ainsi.

239. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Dans ce fameux et trop célèbre roman des Mystères de Paris, quand Eugène Sue s’apercevait qu’il avait trop plongé son lecteur dans la boue et dans l’horrible, vite il ramenait sa grisette gentille et rieuse et faisait chanter les oiseaux de Rigolette. […] Au fond Mme de Gasparin a beau faire, elle n’est pas contrite, elle n’est pas triste ; elle est bonne et compatit aux tristesses ; elle a l’âme noblement ambitieuse, altérée de vie, ayant soif de bonheur, jalouse de le conquérir pour le communiquer, pour le répandre autour d’elle ; c’est une vaillante, une infatigable qui chante son Excelsior en montant toujours le plus haut qu’elle peut sur la montagne. […] — Je chante dans mon arbre comme l’alouette chante en plein air.

240. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Nous sommes si d’accord avec Banville que nous admettons sa définition : « Le Vers est la parole humaine rythmée de façon à pouvoir être chantée, et, à proprement parler, il n’y a pas de poésie et de vers en dehors du chant. » Mais, si l’oreille des romantiques différait de celle des classiques, la nôtre a d’autres besoins que les leurs. […] De très habiles dissonances sur la métrique ancienne donnaient l’apparence qu’un instrument nouveau chantait, mais apparence illusoire ; c’était, avec bien du charme et de la ductilité en plus, avec un sens très critique, l’ancienne rythmique : je dis bien rythmique et non poésie, car je m’occupe ici de la forme et non de la gamme toute neuve d’idées qui frissonnait en ces deux poètes. […] Il est un des chaînons qui nous rattachent à Baudelaire, car Baudelaire fut un précurseur, non seulement par les enluminures qui parent les Fleurs du Mal, mais aussi surtout pour sa recherche d’une forme intermédiaire entre la poésie et la prose qu’il ne réussit parfaitement qu’une fois, mais admirablement, dans les Bienfaits de la Lune (Mendès a aussi, au moins une fois, retrouvé avec bonheur cette formule composée) ; et de comparer les parties rythmiques des Fleurs du Mal et des Poèmes en prose nous avait donné l’idée d’un livre mixte où les deux formes de phrases chantées eussent logiquement alterné. […] Il nous paraît donc plausible de le scander, en le considérant entre les syllabes environnantes comme un simple intervalle, et en cela nous sommes d’accord avec la déclamation instinctive du langage qui est la vraie base de la rythmique, et même la constitue dès qu’elle se met d’accord avec l’accent d’impulsion qui est son élément de variation, et l’intonation poétique, subordonnée à l’accent d’impulsion, accent et intonation qui comptent, puisque le vers et la strophe sont tout ou partie de phrase chantée et sont de la parole avant d’être une ligne écrite.

241. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

loin de sa province, à l’autre extrémité de la France, loin de ces landes que, dans son meilleur temps, il avait chantées ; et grâce à la libéralité du gouvernement de l’Empereur, il a pu être rapporté dans le pays qui l’a vu naître, et qui n’a pas seulement été sa patrie, mais qui a été son talent. […] Si pour Byron la première douleur de l’existence ne fut bientôt que ce rêve inouï qu’il a si divinement chanté ; pour Brizeux, le rêve lui-même était la vie, et quand, éphémère comme tous nos songes, le rêve douloureux s’en alla, la vie qu’il était, la vie poétique de l’auteur de Marie, s’en fut avec lui ! […] On le vit, le Lakiste énervé du Léta, rimer des Ternaires pour la Revue des Deux-Mondes, et chanter les nombres de Pythagore, comme un élève de l’École Normale, en récréation et en gaieté ! […] Brizeux, que les gens de Paris ont cru exclusivement Breton, parce qu’ils ne l’étaient pas, et que les Bretons ont aimé, parce qu’il n’était pas devenu tout à fait Parisien à Paris, Brizeux, qui avait le bonheur d’avoir une langue complète et magnifique, dans laquelle il eût pu être Breton tout à son aise et chanter la Bretagne, et qui a mieux aimé nous la dire, la Bretagne, en vers français, n’était pas, selon moi, assez profondément de son pays ; je ne dis pas de cœur, mais de génie.

242. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

On croirait qu’il s’agit de l’Ionie, quand on voit les reproches amers mêlés par le poëte à son appel aux armes ; on incline pour Athènes, devant cette apothéose de la gloire que chante le poëte, et dont son cœur est plein. […] Chante tant les plus mémorables guerres et les plus illustres généraux, il soutient sur la lyre tout le poids de l’œuvre épique. […] Stésichore cependant, outre la guerre et la liberté, les grandes épreuves et les grandes passions de l’homme, avait aussi chanté les aspects de la nature et quelques-uns des phénomènes célestes.

243. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

Par son vers, la forêt chante un hymne large ; elle chante un mélancolique conseil, les surates d’un Coran de renoncement, le monotone enseignement de l’inconscient bibliquement proclamé, ainsi qu’en témoignera, tant qu’on aimera les beaux vers, le Soir d’octobre, où le monotone ennui de vivre est en chemin, avec telle magnifique escorte de fatigue des ciels et de douceur fanée des sons.

244. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maeterlinck, Maurice (1862-1949) »

Je sais seulement qu’aucun homme n’est plus inconnu que lui, et je sais aussi qu’il a fait un chef-d’œuvre, non pas un chef-d’œuvre étiqueté chef-d’œuvre à l’avance, comme en publient tous les jours nos jeunes maîtres, chantés sur tous les tons de la glapissante lyre — ou plutôt de la glapissante flûte contemporaine ; mais un admirable et pur et éternel chef-d’œuvre, un chef-d’œuvre qui suffit à immortaliser un nom et à faire bénir ce nom par tous les affamés du beau et du grand ; un chef-d’œuvre comme les artistes honnêtes et tourmentés, parfois, aux heures d’enthousiasme, ont rêvé d’en écrire un et comme ils n’en ont écrit aucun jusqu’ici. […] Robert de Souza Voici un poète qui n’a pas voulu que l’âme de la châtelaine ne fût pas celle de la bergère, l’âme du pâtre celle de l’artisan ; il dépouilla la chanson de ses attaches locales, et c’est l’âme, l’universelle âme humaine qui chante, dénudée de tout ce qui n’est pas elle seule, partout semblable à elle-même, éternellement.

245. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Que, de son nom chanté par la bouche des belles, Benserade, en tous lieux, enchante les ruelles. […] Une demoiselle, dont la voix étoit fort belle & l’haleine un peu forte, venoit de chanter en présence de Benserade.

246. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Les montagnes de la Navarre n’avaient-elles point encore quelque druide, qui, sous le chêne, au bord du torrent, au murmure de la tempête, chantait les souvenirs des Gaules, et pleurait sur la tombe des héros ? […] Voltaire a donc brisé lui-même la corde la plus harmonieuse de sa lyre, en refusant de chanter cette milice sacrée, cette armée des Martyrs et des Anges, dont ses talents auraient pu tirer un parti admirable.

247. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

Il n’en était point ainsi de Mathieu, lui ; il avait chanté sous des noms différents, la seule Zani qu’il aimait. […] L’ombre chante ses litanies, quand le jour se tait et s’en va. […] Si tu épandais une gamme, tu chanterais mieux que nul oiseau. […] tu as chanté comme une chouette ! […] « Elle me dit en son langage : « Le soleil me fait chanter… si tu veux que je sois encore gaie, oh !

248. (1902) La poésie nouvelle

Dans ses Complaintes, il évoque plusieurs fois la tristesse des pauvres romances qu’on entend, pianotées ou chantées, au long des rues, derrière les fenêtres, par les dimanches des petites villes provinciales, et il en redoute l’énervante mélodie, encore que grêle et ridicule un peu. […] De sorte que le poète, en ayant l’air de ne chanter que pour lui-même, « ne fait, au fond, que syllabiser son moi d’une façon assez profonde pour que ce moi devienne un soi, c’est-à-dire l’aine de tous54. » On comprend maintenant pourquoi Kahn considère comme l’une des conditions de l’art l’élimination de toutes les circonstances explicatives.‌ […] …‌ Dehors, des gens vont et viennent, et chantent. […] Mais lui, dans son manteau sombre, reste songeur et taciturne, « malgré cette forêt qui chante et où il passe », malgré les roses et la tiédeur des seins qui le frôlent. […] Nulle part peut-être autant que dans la Corbeille des heures Henri de Régnier ne s’est révélé habile à faire chanter aux mots des choses inconnues.

249. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

En s’attachant sans réserve et sans mesure à l’Antiquité classique, latine et surtout grecque, ils le prirent trop haut ; ils ne purent soutenir jusqu’au bout leur gageure, ils se cassèrent la voix en voulant chanter sur un ton trop haut. […] Chez les Latins, avec Horace, l’Ode n’était déjà plus guère qu’une ode de cabinet, quoique le Carmen sæculare ait été chanté une fois par les jeunes Romains et Romaines. […] Rousseau, chez Le Brun, lequel pourtant s’en est un peu affranchi en une ou deux occasions : quelques odes de lui, rencontrant le sentiment patriotique de l’époque, y ont fait écho directement et ont pu être chantées, réellement chantées, sur le théâtre, dans les cérémonies, comme la Marseillaise, ou le Chant du départ de M. […] Née pour être chantée, si bien que son nom est synonyme de chant, elle n’est plus qu’imprimée. […] Elle est dans ce rythme vif et pressé (la strophe de dix vers, et le vers de sept syllabes) qui donne à la pensée toute son impulsion, et qui semble fait pour sonner la charge ou pour chanter la victoire.

250. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

« Plaines cultivées, collines arrondies, ondes limpides, rives ombreuses, molles prairies, bosquets de jeunes tiges de lauriers-roses, cèdres, palmiers, orangers chargés de fruits et de fleurs, groupés et entrelacés en formes diverses, mais toutes gracieuses, faisaient un dais contre les ardeurs de l’été avec leurs épaisses ombrelles, et parmi les branches s’abritaient en pleine sécurité, chantaient et voletaient les rossignols… « Près de là, auprès d’une fraîche source entourée de cèdres et de palmiers féconds, Roger dépose son bouclier, découvre son front de son casque, et, tantôt vers la plage de la mer, tantôt vers la montagne, il tourne son visage pour se faire caresser les joues par les brises fraîches et embaumées qui, sur les hautes cimes, font frissonner avec de gais murmures les feuilles des hêtres et des chênes. […] Le poète ici l’abandonne ; il revient à Roland dont il chante de nouveaux exploits de chevalier en faveur des dames. […] Arioste siffle comme il chante : c’est Molière et Homère dans le même homme. […] Il a chanté pendant vingt ans le Roland furieux, et, si l’homme était éternel, on voit qu’il chanterait avec la même verve pendant l’éternité. […] si nous étions encore au temps des miracles de l’imagination chantés par l’Arioste, je trouverais au pied de la colline un cheval tout sellé, une amazone, un nain, une tour, une beauté captive, une aventure qui ferait à la fois le miracle, la gloire, le bonheur de ma vie !

251. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Si vous pensez, comme je le pense, que les sujets historiques conviennent mal au drame musical (il y a peu d’idées au monde plus saugrenues que celle de faire chanter Robespierre ou Napoléon Ier, et c’est à cela qu’on en viendrait fatalement), si vous croyez que la légende est le domaine d’élection de la musique théâtrale, ne trouverez-vous pas dans les vieilles épopées françaises de magnifiques sources d’inspiration ? […] Là vous la surprendrez souriante ou pleurante, histoire de guerre ou légende d’amour, refrain d’atelier ou ronde que l’on chante en dansant dans la cour des fermes ; et toujours, ingénue, poignante parfois, elle vous révélera l’essence même de notre musique nationale. […] Mais, dans ces thèmes naïfs, au rythme jamais banal, que chantèrent enfants les mères de nos ancêtres, recherchez patiemment et sachez découvrir la qualité primitive de notre mélodie, et, par votre inspiration, par votre labeur personnel, développez jusqu’à une parfaite manifestation artistique l’âme musicale, inconsciente, de la patrie. […] Et ce n’est point les pensées exprimées en les vers de Schiller qui nous occupent surtout, mais ce son familier du chant choral dans lequel nous mêmes nous sentons invités à chanter notre partie, pour nous mêler à la communion du service divin idéal, comme le faisaient, réellement, les fidèles pour la grande musique de la Passion de Sébastien Bach, à l’entrée du Choral. […] À Bayreuth, nous voyons « l’ideé même de l’Art, en sa réalisation idéale. » X : Le style de Bayreuth. — Nous entendons par style « la conformité absolue entre le contenu et la forme, et, de plus, la concordance, également absolue, des divers éléments expressifs, par lesquels le contenu manifeste sa forme ». — La Musique : la forme (dans le drame musical) est le Motif, simple, incomparablement suggestif, plastique ; le Motif agit comme la force vitale, intime, d’une forme idéale déterminée ; « ici, le contenu et la forme sont identiques ». — Le Drame : la forme est la Parole chantée ; cette parole chantée est le trait d’union : « par elle, l’essence idéale de la Musique, qui avait pris forme dans le motif, devient un fait dramatique, tandis que le Drame pénètre, comme élément actif, dans le domaine de l’Idéal ».

252. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Alors, il chante le Lac et le Crucifix, et l’on assiste à un miracle. […] Des poules gloussaient, un coq chanta. […] près des colonnes dorées de Zeus Olympien, dans tes palais liquides, chante, chante toujours : Brékékékex, coax, coax. […] Il a chanté sa patrie dans la première ode de son unique ouvrage : La Lyre. […] Elle brode et chante.

253. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Si nous lisons avec application ou si nous causons avec vivacité, pendant que, dans la chambre voisine, on chante un air, nous ne le retenons pas ; nous savons vaguement qu’on a chanté, rien de plus. […] Il en est de même d’un air qu’on ne chante plus, d’une pièce de vers qu’on ne récite plus, d’un pays qu’on a quitté depuis longtemps. […] Abernethy, à la suite d’une blessure à la tête, il parlait toujours français. » En d’autres cas, la même réviviscence a été observée pour d’autres langues. « Un célèbre médecin de mes amis, dit encore le même auteur, m’apprend qu’ayant un jour la fièvre, mais sans aucun délire, il répéta de longs passages d’Homère, chose qu’il ne pouvait faire étant bien portant. » Un autre, qui, en santé, était fort mal doué pour la musique et avait presque oublié la langue gaélique, chantait, étant malade, des chansons gaéliques, et cela avec une grande précision, quoique la mélodie fût difficile et qu’auparavant il fût tout à fait incapable de les chanter.

254. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Mais, en attendant encore, l’auteur fait une digression politique de quelques centaines de pages, très éloquentes, mais très oiseuses, sur la révolution de 1830, sur Louis-Philippe d’Orléans, roi de rechange, sur la Fayette qui voudrait aller plus loin, mais qui n’ose pas, sur les jeunes étudiants, enfants de Béranger, qui voudraient chanter la Marseillaise, mais à qui Casimir Delavigne a mis dans la bouche la Parisienne. […] Une fois je vous ai entendue chanter. […] Est-ce que cela vous fait quelque chose que je vous entende chanter à travers le volet ? […] Comment se fait-il que l’oiseau chante, que la neige fonde, que la rose s’ouvre, que mai s’épanouisse, que l’aube blanchisse derrière les arbres noirs au sommet frissonnant des collines ? […] XXXIII En matière de législation, on ne chante pas le progrès, on le calcule.

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